F. de Sales, Lettres 1530

1530 Saint François excuse madame de Saint-Georges de n'avoir pu, à cause de sa grossesse, accompagner la princesse en Piémont.

Paris, 19 juin 1619.
Monseigneur, La bonne madame de Saint-Georges fait elle-même, par lettre, ses excuses à Votre Altesse, de quoi elle ne s'est pu mettre en chemin pour suivre Madame ; mais elle n'a pas l'assurance de nommer la cause de son retardement, parce qu'elle est extraordinaire pour elle ; qui, n'ayant pu devenir grosse en tant d'années de son mariage, a rencontré ce contentement en celle-ci comme plus heureuse pour la bénédiction des noces; et d'autant qu'elle m'a prié de l'écrire à Votre Altesse, je l'ai fait, Monseigneur, suppliant encore pour moi votre bonté de se ressouvenir que je ne suis plus ici il y a quelques mois, que pour y attendre les commandements qu'elle me fera au retour de M. Garron, puisqu'elle me l'a ordonné; et qu'en tout je veux vivre, De Votre Altesse,
Monseigneur, Le très-humble, très-obéissant et très-fidèle orateur et serviteur,
FRANÇOIS, évêque de Genève.


177° LETTRE. A MADAME D'AIGUEBELLETTE.

1846
Encouragement à supporter patiemment les maux de la vie présente ; le mérite de la soumission compense les avantages de la communion dont on se voit privé.

Annecy, 25 (septembre) février 1621.

Je vous vois bien toujours, ma très-chère fille, sur votre lit et parmi plusieurs sortes d'afflictions. Que si mon cœur savait trouver quelque bon allégement pour la vôtre, il le contribuerait très-affectionnément. Mais, ma fille, tout ce que je sais pour cela, vous le savez, et l'ordinaire hantise que les déplaisirs ont avec vous vous aura rendue encore plus savante en l'art de souffrir. En gomme, qui veut bien recevoir les coups des accidents de celte vie mortelle, il doit tenir son esprit en la très-sainte volonté de Dieu et son espérance en la bienheureuse éternité. Tout ce tracas de peines et d'ennuis passera bientôt, ce ne sont que des moments (
2Co 4,17); et puis nous n'avons encore point répandu de sang (cf. He 12,4) pour celui qui répandit tout le sien pour nous sur la croix. Je suis consolé de la consolation que vous prenez en la réception du très-divin Sacrement, mais je n'ai pas eu le loisir de parler au bon Père Recteur du désir que vous auriez de communier plus souvent, et de plus je n'eusse pas osé, n'étant pas la raison que je donne la leçon à des si braves maîtres. Si c'était lui seul qui retranchât les communions, j'aurais bien eu assez de courage; mais quand c'est par l'avis de toute la compagnie, il me suffit bien d'user de mon opinion contraire, sans que je les importune contre la leur... (1) Je crois bien que la résolution que la compagnie a prise sur cela est en partie fondée sur l'extrême incommodité que ce leur serait s'il fallait être si souvent au confessionnal, ayant tant d'autres saintes occupations ; mais il faut s'accommoder à cela, et tant mieux ruminer la communion du Dimanche toute la semaine suivante. Ma très-chère fille, Dieu bénira votre soumission et suppléera à la consolation que vous auriez de communier plus souvent par celle que vous aurez d'avoir obéi à votre confesseur. Je suis de plus en plus tout vôtre.
FRANÇOIS, évêque de Genève.
(1) Il y a ici quelques mots effacés dans l'autographe et recouverts d’un papier solidement collé.



198e LETTRE. A UNE JEUNE DAME VEUVE.

Le Saint l'exhorte à quitter le monde pour entrer en religion.

Madame, je vois clair, ce me semble, en Dieu, qui vous appelle si miséricordieusement au monastère de la Visitation pour son pur amour, vous ouvre le chemin et facilite librement votre entrée. C'est pourquoi je vous dis hardiment : Sortez maintenant du monde en effet, puisque déjà vous en êtes dehors d'affection. Quelle plus légitime décharge pouvez-vous faire de la personne et des biens de vos enfants, que de les remettre entre les mains de M. votre père et de madame votre mère? et n'est-ce pas un trait visible et palpable de la providence divine pour ce sujet, que cela se puisse faire avec l'agrément, ains avec le désir de cette mère, jadis si jalouse de votre présence au monde?

Il m'est avis certes, ma très-chère fille, que Dieu lui-même jette des fleurs et des parfums aux chemins de votre retraite, afin qu'elle se fasse avec plus de douceur, et que les plus coquilleux l'approuvent et bénissent. Car que peut-on dire? Que vous laissez vos enfants? Oui, mais où les laissez-vous ? Entre les mains de leur premier père et de leur première mère. En chargez-vous vos père et mère? Non, vous ne les chargez pas tant que vous les déchargez, puisque c'est selon leur gré et à leur souhait que cela se fait.
Ainsi que vous me décrivez toute cette affaire, je n'y vois nulle sorte de difficulté, sinon pour la chère petite fille, que la grand'mère retirera de la religion dans la nourriture du monde. Car quant au garçon, aussi bien dans deux ou trois ans ne le pouvez-vous plus garder dans votre giron, ni le nourrir de votre nourriture, ains de la nourriture du collège ou de la cour.
Et quant à la chère petite, si Bien l'appelle à la religion, elle y viendra, ou tôt ou tard, nonobstant l'inclination de madame sa grand'mère. Il se servira même de la nourriture du monde pour lui faire goûter le bien de la religion. Ceci est vrai, je vous assure, ma très-chère fille : il arrive quelquefois que les jeunes enfants élevés en religion en rejettent par après la sujétion, comme les chevaux que l'on charge trop tôt de la selle.
La vocation à la religion est une grâce trop particulière pour être donnée par l'industrie et prudence humaine. Dieu emploie bien souvent l'éducation pour la vocation; mais quand l'éducation ne prévient pas, il ne laisse pas de faire son bénéfice puissamment et suavement. Vos offrandes de cette fille à Dieu lui seront plus utiles que votre nourriture.
Mais mon esprit s'écarte, par la consolation que je sens à votre occasion. Je dis donc simplement que je ne vois rien qui vous doive retenir au monde, non pu même le présage à la future vocation de votre fille, qui étant encore incertain, ne doit pas être préféré a la certitude de votre appel, lequel vous devez donc suivre soigneusement, fortement, diligemment, mais sans empressement et sans inquiétude.
Dieu, qui a commencé en vous cette sainte œuvre, la veuille bien accomplir ; afin qu'après vous avoir tirée, conservée et entretenue dans le monastère de la Visitation en cette vie, il vous appelle dans le monastère éternel de la perpétuelle Visitation en la vie future; et sur ce désir que je fais de tout mon cœur, je suis sans fin et sans exception, ma très-chère fille, votre, etc.


315° LETTRE. A UNE RELIGIEUSE.


Garnier lettre 315

Hé certes ma très-chère fille, si je ne regardais qu'à ma conscience cette journée me serait de grande confusion, et digne de vos larmes plutôt que de votre congratulation; mais Dieu est bon, il voit la gTandeur de ma charge et la vanité de mes forces ; c'est pourquoi je dis comme saint Ambroise : Je ne crains pas d'une crainte qui ôte le courage, parce que j'ai un bon maître. — Ma fille, aimez-moi bien toujours avec toutes nos chères sœurs, et priez la divine Providence, de m'être de plus en plus miséricordieuse pour le pardon de mes fautes passées, et de plus en plus propice pour mon amendement à l'avenir. La très-glorieuse Vierge notre très-bonne Dame et très-pitoyable Mère, nous veuille combler de son saint amour afin que vous et moi ensemblement qui avons eu le bonheur d'être appelés et embarqués sous sa protection, et en son nom, fassions saintement notre navigation en humble pureté et simplicité, afin qu'un jour nous nous trouvions au port de salut qui est le paradis pour louer et bénir éternellement son Fils notre Rédempteur. Amen.


319e LETTRE. A MADAME DE LA FLÉCHÈRE.

Réflexion sur la bizarrerie des événements humains; pensée mystique à l'occasion des vendanges.

Annecy, jour de Saint Hichel.
Ma santé se va tous les jours plus affermissant, ma très-chère fille ; mais je me trouve grandement affaibli des jambes, et plus que je ne pensais. C'est la vérité que je suis consolé de savoir comme cette pauvre nouvelle veuve se comporte vertueusement. Car, voyez-vous, parte que je fus l'officier en leuï Baaïiage, m'est avis que sa viduité m'est plus à cœur, et que je suis plus obligé de la servir et lui souhaiter du bien. Héias 1 que ce monde est bizarre 1 On se marie d'un côté, et de l'autre on regrette la perte d'un mari. Or sus, vous allez donc aux champs et à vendanges; Dieu soit toujours avec vous et vous comble du moust de son amour plus fervent. Nous ne laisserons pas de recevoir de vos nouvelles aux occurences. Madame de Chantai est à présent un peu occupée, parce qu'aujourd'hui nous avons reçu les oblations de deux sœurs, ma sœur Le Gros et ma sœurRousset de Saint-Claude, et les parents font leurs petites affaires sur ce sujet. Je lui enverrai votre lettre. Ma très-chère fille, je suis plus incomparablement que vous ne sauriez croire tout vôtre.


320e LETTRE. SAINT FRANÇOIS DE SALES A MADAME D’AIX.

Vive Jésus.

Je fus certainement consolé, ma très-chère sœur, de la lettre que vous m'écrîtes, l'autre jour, y voyant de bonnes marques du désir que vous avez d'aimer Dieu de toute votre âme. Que vous pois-je dire, sinon que vous persévériez à désirer l'amour qui ne peut jamais être assez désiré, étant infiniment désirable? Pour l'absolution de vos péchés de tant d'années, que vous me demandiez : ma très-chère fille, vous devez savoir que Dieu par sa bonté les aura effacés au même instant que vous lui voulûtes donner votre coeur, par la résolution que son inspiration vous fit prendre de ne vivre que pour lui. Néanmoins, ma chère sœur, vous pourrez utilement répéter souvent la prière de ce pénitent qui disait: Seigneur, lavez-moi davantage de mon iniquité, et me nettoyez de mon péché: pourvu que ce soit une vraie et simple confiance en cette souveraine bonté, vous assurant que sa miséricorde ne vous manquera pas. Soyez donc bien tout à Dieu : marchez en simplicité dans le chemin où la Providence vous a mise ; elle vous tiendra de sa main et vous conduira au port que vous désirez de l'aimable éternité, pour laquelle vous avez été créée. Priez réciproquement pour mon âme. Dieu soit béni.

F. de Sales, Lettres 1530