Sales, Controverses 216


ARTICLE VII

DE LA PROPHANATION ES VERSIONS VULGAIRES

217 Que sil en va ainsy des versions latines, combien est grand le mespris et prophanation qui s’est faict es versions françoises, alemandes, polonnoises et autres langues : et neanmoins voicy un des plus pregnans artifices que l’ennemi du christianisme et d’unité ait employé en nostr’aage pour attirer les peuples a ses cordelles ; il connoissoit la curiosité des hommes, et combien chacun prise son jugement propre, et partant il a induict tous les sectaires a traduire les Saintes Escritures, chacun en la langue de la province ou il se cantonne, et a maintenir ceste non jamais ouÿe opinion, que chacun estoit capable d’entendre les Escritures, que tous les devoyent lire, et que les offices publiques se devoyent celebrer et chanter en la langue vulgaire de chaque province.

Mays qui ne voit le stratageme ? il ni a rien au monde qui passant par plusieurs mains ne s’altere, et perde son premier lustre. Le vin qu’on a beaucoup versé et reversé s’esvente et perd sa force, la cire estant maniee change couleur, la monoÿe en perd ses caracteres ;croyes aussy que l’Escriture Sainte, passant par tant de divers verseurs, en tant de versions et reversions, ne peut qu’elle ne s’altere. Que si aux versions latines il y a tant de varieté d’opinions entre ces tournoyeurs, combien y en a il davantage es editions vulgaires et maternelles d’un chacun, esquelles chacun ne peut pas reprendre ni conteroller. C’est une bien grande licence a ceux qui traduysent, de sçavoir quilz ne seront point conterollés par ceux de leur province mesme ; chaque province n’a pas tant d’yeux clairvoyans comme la France et l’Allemaigne. " Sçavons nous bien ", dict un docte prophane (Montaigne, l I c LVI ), " qu’en pistres qu’en Basque et en Bretaigne il y ait des juges asses pour establir ceste traduction faicte en leur langue ? l’Eglise universelle n’a point de plus ardu jugement a faire ". C’est l’intention de Satan de corrompre l’integrité de cest testament ; il sçait ce quil importe de troubler la fontaine et de l’empoysonner, c’est gaster toute la troupe aegalement.

Mays disons candidement ; ne sçavons nous pas que les Apostres parloyent toutes langues (Act 2, 9-11) ? et que veut dire quilz n’escrivirent leurs Evangiles et Epistres qu’en Hebrieu, comme saint Hierosme atteste de l’Evangile de saint Matthieu (Praefat in Math) , en Latin, comme quelques uns pensent de celuy de saint Marc, et en Grec, comm’on tient des autres Evangiles ; qui furent les trois langues choysies (Ex Pontificali Damasi, in vita Petri Concilia an. 43 ; Hilar, Praef in Psalmos §15), des la Croix mesme de Nostre Seigneur, pour la praedication du Crucifix ? Ne porterent ilz pas l’Evangile par tout le monde, et au monde ny avoit il point d’autre langage que ces trois la ? si avoit a la verité (Act 2, 11), et neanmoins ilz ne jugerent pas estre expedient de diversifier en tant de langues leurs escritz : qui mesprisera donques la coustume de nostre Eglise, qui a pour son garand l’imitation des Apostres ? Dequoy nous avons une notable trace et piste en l’Evangile : car le jour que Nostre Seigneur entra en Hierusalem, les troupes alloyent criant, Osanna filio David ; bendictus qui venit in nomine Domini ; osanna in excelsis (Mat 21, 9) ; et ceste parole, Osanna, a estëe laissëe en son entier parmi les textes grecz de saint Marc et saint Jan, signe que c’estoit la mesme parole du peuple : or est il que Osanna, ou bien Osianna (et l’un vaut l’autre, disent les doctes en la langue (Genebrard in Psal CXVII, 24), est une parole hebraique, non siriacque, prise, avec le reste de ceste louange la qui fut donnëe a Nostre Seigneur, du Psalme 117 (v 24). Ces peuples, donques, avoyent accoustumé de dire les Psalmes en Hebrieu, et neanmoins l’Hebreu n’estoit plus leur langue vulgaire, ainsy qu’on peut connoistre de plusieurs paroles dites en l’Evangile par Nostre Seigneur, qui estoyent siriacques, que les Evangelistes ont gardees, comme Abba, Haceldema, Golgotha, Pascha, et autres, que les doctes tiennent n’estre pas hebraiques pures mais siriacques, quoy qu’elles soient appellees hebraiques par ce que c’estoit le langage vulgaire des Hebreux des la captivité de Babiloyne. Laquelle, outre le grand poids qu’elle doit avoir pour contrebalancer a toutes nos curiosités, a une rayson que je tiens pour tres bonne ; c’est que les autres langues ne sont point reglëes, mays de ville en ville se changent en accens, en frases et paroles, elles se changent de sayson en sayson, et de siecle en siecle. Qu’on prenne en main les Memoyres du Sire de Joinville, ou encores celles de Philippe de Commines ; on verra que nous avons du tout changé leur langage : qui neantmoins devoient être des plus politz de leur tems, estans tous deux nourris en court. Si donques il nous failloit avoir (sur tout pour les services publiqs) des bibles chacun en son langage, de cinquant’ans en cinquante il faudroit remuer mesnage, et tousjours en adjoustant, levant ou changeant une bonne partie de la naifveté sainte de l’Escriture, qui ne se peut faire sans grande perte. Bref, c’est chose plus que raysonnable qu’une si sainte Regle comm’est la sainte Parole, soit conservëe es langues reglëes, car elle ne pourroit se maintenir en ceste parfaitte integrité es langues bastardes et desreglees.

Mays je vous advise que le saint Concile de Trente (Reg IV lib prohibit) ne rejette pas les traductions vulgaires imprimëes par l’authorité des ordinaires, seulement il commande qu’on n’entreprene pas de les lire sans congé des superieurs ; ce qui est tres raisonnable, pour ne mettre pas ce couteau, tant affilé et tranchant a deux costés (Heb 4, 12), en la main de qui s’en pourroit esgorger soymesme, dequoy nous parlerons cy apres (Art X) ; et partant il ne trouve pas bon que chacun qui sçait lire, sans autr’asseurance de sa capacité que celle qui prend de sa temerité, manie ce sacré memorial. " Ni n’est certes rayson ", me souviens je avoir leu un essay du Sr de Montaigne (ubi sup p180), " de voir tracasser ", entre les mains de toutes personnes, " par une salle et par une cuysine, le saint Livre des sacrés misteres de nostre creance ; ce n’est pas en passant et tumultuairement quil faut manier un estude si serieux et venerable ; ce doit estre un’action destinee et rassise, alaquelle on doit tousjours adjouster ceste praeface de nostr’office, Sursum corda, et y apporter le cors mesme, disposé en contenance qui tesmoigne une particuliere attention et reverence. Et " crois davantage ", dict il, " que la liberté a chacun de " le traduire, et " dissiper une parole si religieuse et importante a tant de sortes d’idiomes, a beaucoup plus de danger que d’utilité ".

ARTICLE VIII

DE LA PROPHANATION QUI SE FAICT EN EMPLOYANT LA LANGUE VULGAIRE AUX OFFICES PUBLICS

218 Le Concile defend (Sess XXII cap 8 et cap 9, can. 9) aussy que les services publiqs de l’Eglise ne se facent pas en vulgaire, mays en langue reglëe, chacun selon les anciens formulaires approuvés par l’Eglise. Ce desvit prend en partie ses raysons de ce que j’ay ja dict ; car, s’il n’est pas expedient de traduire ainsy a tous propos de province en province le texte sacré de l’Escriture, la plus grande partie, et quasi tout ce qui est es offices, estant pris de la Sainte Escriture, il n’est pas convenable de le mettre nomplus en françois : sinon quil y a d’autant plus de danger de reciter es services publiqs la Saint’Escriture en vulgaire, que non seulement les vieux mays les jeunes enfans, non seulement les sages mais les folz, non seulement les hommes mais les femmes, et, en somme, qui sçait et ne sçait lire, pourroyent tous y prendre occasion d’errer, chacun a son goust. Lises les passages de David ou il semble quil murmure contre Dieu de la prosperité des mauvais ; vous verres l’indiscret vulgaire s’en flatter en ses impatiences : lises la ou il semble demander vengeance sur ses ennemis ; et l’esprit de vengeance s’en affeublera : lises voir ces celestes et tresdivines amours es Cantiques des Cantiques ; qui ne sçaura les bien spiritualizer n’en prouffitera qu’en mal (2 Tim 3, 13) et ce mot d’Osëe, Vade et fac tibi filios fornicationum (Osee 1, 2), et ces actes des anciens Patriarches, ne donneroyent ilz pas licence aux idiotz ?

Mays sachons un peu, de grace, pourquoy on veut avoir les Escritures et services divins en vulgaire. Pour y apprendre la doctrine ? mays certes, la doctrine ne s’en peut tirer si quelqu’un n’a ouvert l’escorce de la lettre, dans laquelle est contenue l’intelligence ; ce que je deduyray tantost en son lieu (Art X) : la predication sert a ce point, non la recitation du service ; en laquelle la Parole de Dieu est non seulement recitëe, mays exposëe par le pasteur. Mays qui est celuy, tant houppé soit il et ferré, qui entende sans estude les Propheties d’Ezechiel et autres, et les Psalmes ? et que servira donques aux peuples de les ouir, sinon pour les prophaner et mettre en doute ? et quand au reste, nous autres Catholiques ne devons en aucune façon reduire nos offices sacrés aux langages particuliers, ains plus tost, comme nostr’Eglise est universelle en tems et en lieux, elle doit aussi faire ses services publiqs en un langage qui soit de mesme universel en tems et en lieux, tel qu’est le Latin en Occident, le Grec en Orient ; autrement nos praestres ne sçauroyent dire Messe, ni les autres l’entendre, hors de leurs contrëes. L’unité et la grand’estendue de nos freres requiert que nous disions nos publiques prieres en un langage qui soit un a toutes nations ; en ceste façon nos prieres sont universelles, par le moyen de tant de gens qui en chaque province peuvent entendre le Latin ; et me semble en conscience que ceste seule rayson doit suffire, car, si nous contons bien, nos prieres ne sont pas moins entendues en Latin qu’en François. Car, divisons le cors d’une republique en trois parties, selon l’ancienne division françoise, ou, selon la nouvelle, en quatre. Il y a 4 sortes de personnes : les ecclesiastiques, les nobles, ceux de roubbe longue et le opulas ou 3e estat ; les trois premiers entendent le latin ou le doivent entendre, silz ne le font, leur damp. Reste le 3e estat, duquel encores une partie l’entend ; le reste, pour vray, si on ne parle le propre barragouin de leur contrëe, a grand peyne pourroit il entendre le simple recit des Escritures. Ce tresexcellent theologien Robert Belarmin (In hac quaestione Controv . de Verbo Dei, l 2 , c 15) raconte, pour l’avoir appris de lieu tres asseuré, qu’une bonne femme, ayant ouy en Angleterre un ministre lire le chap 25 de l’Ecclesiastique (quoy quilz ne le tiennent si non pour ancien, non pour canonique), parce quil est, la, discouru de la mauvaistie des femmes, elle se leva, en disant : " Et quoy ? c’est la parole de Dieu ? mays du diable. " Il recite encores (ibidem), le prenant de Theodoret (l 4 Hist 17 al. 16), un bon et juste mot de saint Basile le Grand : l’escuyer de cuysine de l’Empereur voulut faire l’entendu a produire certains passages de l’Escriture ; Tuum est de pulmento cogitare, non dogmata divian decoquere (Vide locum Theodoreti) ; comme sil eust dict : mesles vous de gouster vos sauces, non pas de gourmander la divine Parole.

ARTICLE IX De la prophanation des Psaumes en suivant la version de Marot

Et en les chantant partout indifféremment

219
Mays entre toutes les prophanations, il me semble que cellecy se faict voir a travers des autres, qu’es temples, publiquement et tout par tout, aux champs, aux boutiques, on chante la rimaillerie de Marot comme Psalmes de David. La seule insuffisance de l’autheur, qui n’estoit qu’un ignorant, la lasciveté de laquelle il tesmoigne par ses escritz, sa vie tres prophane et qui n’avoit rien moins que du Chrestien, meritoit qu’on luy refusast la frequentation de l’eglise ; et neanmoins son nom et ses psalmes sont comme sacrés en vos eglises, et les chante l’on parmi vous autres comme s’ils estoyent de David : la ou, qui ne voit combien est violëe la sacrëe Parole ? car le vers, sa mesure, sa contrainte ne permet pas qu’on suyve la proprieté des motz de l’Escriture, mays y mesle l’on du sien pour rendre le sens parfaict et comble, et a esté necessaire a cest ignorant rimeur de choisir un sens la ou il y en pouvoyt avoir plusieurs. Et quoy ? n’est ce pas une prophanation et violation extreme d’avoir laissé a ceste cervelle esventëe un jugement de si grande consequence, et puys suivre aussy estroittement le triage d’un basteleur, es prieres publiques, comm’on fit jamais jadis l’interpretation des 70, qui furent si particulierement assistés du Saint Esprit ? combien de motz, combien de sentences couche il la dedans, qui ne furent jamais en l’Escriture ; c’est bien autre que de prononcer mal scibolleth. Toutefois, on sçait bien quil ni a rien qui ayt tant chatouïllé ces curieux, et surtout les femmes, que ceste authorité de chanter en l’eglise et assemblëe. Certes, nous ne refusons a personne de chanter avec le chœur, modestement et decemmment ; mays il semble plus convenables que les ecclesiastiques et deputés chantent pour l’ordinaire, comm’il fut faict a la dedicace du Temple de Salomon, 2 Paral 7, 6. O que l’on se plaict a faire voir sa voix es eglises : mays vous trahit on pas en ces chantemens qu’on vous faict faire ? Je n’ay ni la commodité ni le loysir de poursuivre le reste ; quand vous cries ces vers du Psalme 8, ut sup.

Et quand a ceste façon de faire chanter indifferemment , en tous lieux et en toutes occupations, les Psalmes, qui ne voit que c’est un mespris de religion ? N’est ce pas offencer la Majesté divine, de luy parler avec des paroles tant exquises comme celles des Psalmes sans aucune reverence ni attention ? dire des prieres par voye d’entretien, n’est ce pas se mocquer de Celuy a qui on parle ? Quand on voit, ou a Geneve ou ailleurs, un garçon de boutique se jouer au chant de ces Psalmes, et rompre le fil d’une tres belle priere pour dire, Monsieur, que vous plaict il ? ne connoist on pas bien qu’il faict un accessoire du principal, et que ce n’est sinon pour passetems quil chante ceste divine chanson, quil croit neantmoins estre du Saint Esprit ? Ne faict il pas bon voir ces cuysiniers chanter les Psalmes de la Poenitence de David, et demander chasque verset le lart, le chapon, la perdrix ? Ceste voix, dict des Montaignes, " est trop divine pour n’avoir autre usage que d’exercer les poulmons et plaire aux oreilles ". Je confesse qu’en particulier tous lieux sont bons a prier et toute contenance qui n’est pas peché, pourveu qu’on prie d’esprit, par ce que Dieu voit l’interieur, auquel gist la principale substance de l’orayson ; mays je crois que qui prie en publiq doit faire demonstration exterieure de la reverence que les paroles quil profere demandent ; autrement il scandalize le prochain, qui n’est pas tenu de penser quil ayt de la religion en l’interieur, voyant le mespris en l’exterieur.

Je tiens, donques, que tant pour chanter comme Psalmes divins ce qui est bien souvent fantasie de Marot, que pour le chanter irreveremment et sans respect, on peche tressouvent, en vostre tant reformëe eglise, contre ceste parole, Spiritus est Deus, et eos qui adorant eum in spiritu et veritate oportet adorare (Jean 4, 24) : car, outre ce qu’en ces psalmes vous attribues au Saint Esprit bien souvent les conceptions de Marot, contre la verité, la bouche aussy crie, par mi les rues et les cuysines, o Seigneur, o Seigneur, que le cœur ni l’esprit n’y sont point , mays au traffiq et au gain ; et, comme dict Isaïe (29, 13) , vous vous eslances de bouche vers Dieu, et le glorifies de vos levres, mays vostre cœur est bien loin de luy, et vous le craignes selon les commandemens et doctrines des hommes. Pour vray, cest inconvenient de prier sans devotion arrive bien souvent aux Catholiques, mais ce n’est pas par l’adveu de l’Eglise, et je ne reprens pas maintenant les particuliers de vostre parti, mais le cors de vostre eglise, laquelle par ses traductions et libertés met en usage prophane ce qui devroit estre en tres grande reverence.

Au chapitre 14 de la I. aux Corinthiens, Mulieres in ecclesia taceant (v 34) semble s’entre aussi bien des cantiques que du reste : nos religieuses sunt in oratorio, non in ecclesia.


ARTICLE X

DE LA PROPHANATION DES ESCRITURES PAR LA FACILITE QU’ILZ PRAETENDENT ESTRE EN L’INTELLIGENCE DE L’ESCRITURE

2110 L’imagination doit avoir grande force sur les entendemens huguenotz, puys qu’elle vous persuade si fermement ceste grande absurdité, que les Escritures sont aysëes a chacun, et que chacun les peut entendre : et de vray, affin de produire les traductions vulgaires avec honneur, il falloit bien parler ainsy. Mays dites la verité ; penses vous que la chose aille ainsy ? les trouves vous si aysëes ? les entendes vous bien ? si vous le penses, j’admire vostre creance, qui est non seulement sur l’experience, mays contre ce que vous voyes et sentes . Sil est ainsy,

Que l’Escriture soit si aysëe a entendre, a quoy faire tant de commentaires des Anciens et tant de commenteries de vos ministres ? a quel propos tant d’harmonies, et a quoy faire ces escoles de theologie ? Il ne faut, ce vous dit on, que la doctrine de la pure Parolle de Dieu en l’Eglise. Mays ou est ceste Parole de Dieu ? en l’Escriture ; et l’Escriture est ce quelque chose de secret ? non pas, ce dit on, aux fideles : a quoy faire donq ces interpreteurs, ces praedicans ? si vous estes fideles, vous y entendres autant qu’eux ; renvoyes les aux infideles, et gardes seulement quelques diacres pour vous donner le morceau de pain et le vin de vostre souper ; si vous pouves vous repaistre vous mesmes au champ de l’Escriture, qu’aves vous a faire de pasteurs ? quelque jeun’innocent et pur enfant qui sçaura lire en fera bien la rayson. Mays d’ou vient ceste discorde, si frequente et irreconciliable, qui est entre vous autres freres en Luther, sur ces seules paroles, Cecy est mon cors, et sur le point de la justification ? Certes, saint Pierre n’est pas de vostre advis, qui admoneste, en sa 2. Epistre (3, 16), que ès Epistres de saint Pol il y a certains traitz difficiles, que les ignorans et remuans depravent, comme le reste de l’Escriture, a leur propre malheur. L’eunuche tresorier general d’Ethiopie estoyt bien fidele, puysqu’il estoit venu adorer au Temple de Hierusalem ; il lisoyt Isaïe (Act 8, 27-28), il entendoit bien les paroles, puys qu’il demandoit de quel Prophete s’entendoit (v 34) ce quil avoit leu ; neantmoins il n’en avoit pas l’intelligence ni l’esprit, comme luy mesme confessoit : Et quomodo possum si non aliquis ostenderit mihi ? (v 31) Non seulement il n’entend pas, mays confesse de ne le pouvoir sil n’est enseigné ; et nous verrons une lavandiere se vanter d’entendre aussy bien l’Escriture que saint Bernard. Ne connoisses vous pas l’esprit de division ? il faut s’asseurer que l’Escriture est aysëe, affin que chacun la tirasse, qui ça qui la, que chacun en face le maistre, et qu’elle serve aux opinions et fantasies d’un chacun. Certes, David la tenoyt pour malaysëe, quand il disoit : Da mihi intellectum ut discam mandata tua (Ps 108, 73). Si on vous a laissé l’epistre de saint Hierosme, ad Paulinum (Epist 53), devant vos bibles, lises la ; car il empoigne ceste cause tout expres. Saint Augustin en parle en mille lieux, mais sur tout en ces Confessions (l 12 c 14) ; en l’epistre 119 (c 21) il confesse d’ignorer beaucoup plus en l’Escriture quil n’y sçait. Origene et saint Hierosme, celluyla en sa praeface sur les Cantiques (Opera, tom III, col 64), celluyci en la sienne sur Ezechiel (Opera, tom V col 15) , recitent quil n’estoit pas permis aux Juifz devant l’aage de 30 ans, lire les 3 premiers chapitres de Genese, le commencmeent et la fin d’Ezechiel ni les Cantiques des Cantiques, pour la profondité de leur difficulté, en laquelle peu de gens peuvent nager sans s’y perdre ; et maintenant chacun en parle, chacun en juge, chacun s’en faict accroire.

Or, combien soit grande la prophanation de ce costé personne ne le pourroit suffisamment penser qui ne l'’uroit veu : pour moy je diray ce que je sçay, et ne mens point. J’ay veu un personnage en bonne compagnie, auquel estant objectëe a un sien devis la sentence de Nostre Seigneur, Qui percutit te in maxillam, praebe ei et alteram (Luc 6, 29), l’entendit incontinent en ce sens, que comme pour flatter un enfant qui estudie bien, on luy met legerement a petitz coups la main a la joue pour l’inciter a mieux, ainsy vouloit dire Nostre Seigneur, a qui te trouvera bien faisant et t’y consolera, davantage et te flatter ou amadoüer des deux costés. Ne voyla pas un beau sens et rare ? mays la raison estoit encores plus belle, par ce qu’a l’entendre autrement ce seroit contre nature, et qu’il faut interpreter l’Escriture par l’Escriture, ou nous trouvons que Nostre Seigneur n’en fit pas de mesme quand le serviteur le frappa : c’est le fruit de vostre triviale theologie. Homme de bien, et qui a mon advis ne voudroit pas mentir, m’a raconté quil a ouy un ministre en ce pais, traittant de la Nativité de Nostre Seigneur, asseurer quil n’estoit pas né en une creche, et exposer le texte, qui est expres au contraire, paraboliquement, disant : Nostre Seigneur dict bien quil est la vigne, et il ne l’est pas pour cela, de mesme, encor quil soit dict quil est né en une creche, il ny est pas né pour cela, mais en quelque lieu honnorable, qui en comparaison de sa grandeur se pouvoit appeler creche. La couleur de cest’interpretation me faict encor plus croire l’homme qui me l’a dict, car estant simple et sans sçavoir lire, a grand peyne quil l’eut controuvëe. C’est chose tres étrange de voir comme ceste suffisance praetendue faict prophaner l’Escriture.

Hic adscribenda sunt ea verba c. 35 (Aliter c 25, Commonit I.) Vincentii Lirinensis : Nam videas eos, etc . Cecy n’est ce pas faire ce que dict Dieu en Ezechiel, 34 v 18 : Nonne satis vobis erat pascua bona depasci ? insuper et reliquias pascuarum vestrarum conculcatis pedibus.

Ad hoc signum addendum est caput de prophanatione per Psalmos Davidis versibus redditos.

ARTICLE XI

RESPONCE AUX OBJECTIONS, ET CONCLUSION DE CE PREMIER ARTICLE

2111 S’ensuyt ce que vous allegues pour vostre defence. Saint Pol semble vouloir qu’on face le service en langue intelligible, aux Corinthiens (1 Cor 14). Vous verres que pour cela il ne veut pas qu’on diversifie le service en toutes sortes de langages, mais seulement que les exhortations et cantiques qui se faysoyent par le don des langues soyent interpretés, affin que l’eglise ou on se trouve sache ce que l’on dict : Et ideo, qui loquitur lingua, oret ut interpretur (v 13). Il veut donques que les louanges qui se faysoyent en Corinthe se fissent en Grec, car, puys quilz se faysoyent non ja comme services ordinaires, mays comme cantiques extraordinaires de ceux qui avoyent ce don, pour consoler le peuple, il estoyt raysonnable quilz se fissent en langue intelligible, ou que on les eust interpreté sur le champ ; ce quil semble monstrer quand plus bas il dict : Si ergo conveniat universa ecclesia in unum, et omnes linguis loquantur, intrent autem idiotae aut infideles, nonne dicent quod insanitis ?(v 23) et plus bas (v 27, 28) : Sive lingua quis loquitur, secundum duos aut ut multum tres, et per partes, et unus interpretur ; si autem non fuerit interpres, taceat in ecclesia, sibi autem loquatur et Deo. Qui ne voit quil ne parle pas des offices solemnelz en l’eglise, qui ne se faysoyent que par le pasteur, mays des cantiques qui se faysoyent par le don des langues, quil vouloyt estre entenduz ; car, de vray, ne l’estans pas, cela detournoyt l’assemblëe et ne servoit de rien. Or de ces cantiques parlent plusieurs Peres, mays entr’autres Tertulien, lequel deduysant la sainteté des agapes ou charités des Anciens dict (In Apol c 39) : Post manualem aquam et lumina, ut quisque de Scripturis Sanctis vel de proprio ingenio potest, provocatur in medium Deo canere.

Obj. Populus hic labiis me honorat, cor autem eorum (Is 29, 13) : cela s’entend de ceux qui chantent et prient, en quel langage que ce soit, et parlent de Dieu par maniere d’acquit, sans reverence et devotion ; non de ceux qui parlent un langage a eux inconneu mays conneu a l’Eglise, et neantmoins ont le cœur ravi en Dieu.

Obj. Es Actes des Apostres (c 2, 11) on louoit Dieu en toutes langues : aussy faut il, mays es offices universelz et catholiques il y faut une langue universelle et catholique ; hors de la, que toute langue confesse que le Seigneur Jesus est a la dextre de Dieu le Pere (Philip 2, 11).

Au Deuteronome (30, 11-14) est-il pas dict que les commandemens de Dieu ne sont pas secretz ni celés ? et le Psalmiste dict il pas : Praeceptum Domini lucidum (Ps 18, 9) ; Lucerna pedibus meis verbum tuum (Ps 118, 105) ? Tout cela va bien, mays il s’entend estant prechëe et expliquëe et bien entendue, car, Quomodo credent sine praedicante (Rom 10, 14) ? et tout ce que David grand prophete a dict, ne doit estre tiré en consequence sur un chacun.

Mays on m’objecte a tous propos : ne dois je pas chercher la viande de mon ame et de mon salut ? pauvre homme, qui le nie ? mays si chacun va aux pasturages comme les vielles oÿes, a quoy faire les bergers ? cherche les pastiz, mays avec ton pasteur. Se mocqueroit on pas du malade qui voudroit chercher sa santé en Hipocrate sans l’aide du medecin ? ou de celuy qui voudroit chercher son droit en Justinien sans s’adresser au juge ? Cherchez, luy diroit on, vostre santé, mais par le moyen des medecins ; et vous, cherchez vostre droit et le procurez, mais par les mains du magistrat. Quis mediocriter sanus non intelligat Scriptarum expositionem ab iis esse petendam qui earum sunt doctores ? dict saint Augustin (Lib I de morib. Ecclesiae. c I). Quoy ? si personne ne trouve son salut que qui sçait lire les Escritures, que deviendront tant de pauvres idiotz ? certes, ilz trouvent et cherchent leur salut asses suffisamment, quand ilz apprennent de la bouche du pasteur le sommaire de ce qu’il faut croire, esperer, aymer, faire et demander a Dieu. Croyes qu’encores selon l’esprit il est veritable ce que disoit le Sage : Melior est pauper ambulans in simplicitate sua quam dives in pravis itineribus (Prover. 28, 6) ; et ailleurs : Simplicitas justorum diriget eos (11, 3) ; et : Qui ambulat simpliciter ambulat confidenter (10, 9). Ou je ne voudrois pas dire quil ne faille prendre peyne d'’ntendre, mays seulement qu'’n ne se doit pas penser de trouver de soymesme son salut ni son pasturage, sans la conduite de qui Dieu a constitué pour cest effect, selon le mesme Sage (ibid 3, 5) : Ne innitaris prudentiae tuae, et, Ne sis sapiens apud temetipsum (vers 7) : ce que ne font pas ceux qui pensent en leur suffisance connoistre toute sorte de miseres, sans observer l’ordre que Dieu a establi, qui en a faict entre nous les uns docteurs et pasteurs (Eph 4, 11), non tous, et un chacun pour soymesme. Certes, saint Augustin (L 8 Conf c 8) trouva que saint Anthoyne, homme indocte, ne layssoit pas de sçavoir le chemin de Paradis, et luy avec sa doctrine en estoit bien loin alhors, parmi les erreurs des Manicheens.

Mays j’ay quelques tesmoignages de l’antiquité et quelques exemples signalés, que je veux laysser a la fin de cest article pour sa conclusion.

Saint Augustin : Admonenda fuit charitas vstra confessionnem non esse semper vocem peccatoris ; quia mox ut hoc verbum sonuit (in ore) lectoris, secutus est etiam sonus tunsionis pectoris vestri. Audito, scilicet, quod Dominus ait, Confiteor tibi, Pater (Matt 21, 25 ; Luc 10, 21), in hoc ipso quod sonuit Confiteor, pectora vestra tutudistis : tundere autem pectus quid est, nisi arguere quod latet in pectore, et evidenti pulsu occultum castigare peccatum ? quare hoc fecistis, nisi quia audistis, Confiteor tibi, Pater ? Confiteor audistis, quis est qui confitetur non attendistis ; nunc ergo advertite. Voyes vous comme le peuple oyoyt la leçon publique de l’Evangile, et ne l’entendoit pas, sinon ce mot, Confiteor tibi, Pater ? qu’il entendoit par coustume, par ce qu’on le disoit tous au commencement de la Messe, comme nous faysons maintenant : c’est sans doute que la leçon s’en faysoit en Latin, qui n’estoit pas leur langage vulgaire.

Mays qui veut voir le conte que les Catholiques font de la Sainte Escriture et le respect quilz luy portent, quilz admirent le grand cardinal Borromëe, lequel n’estudioit jamais les Saintes Escritures sinon a genoux, luy semblant quil oyoyt parler Dieu en icelles, et que telle reverence estoit deüe a une si divine audience. Jamais peuple ne fut mieux instruict, selon la malice du tems, que le peuple de Milan sous le cardinal Borromëe ; mays l’instruction du peuple ne vient pas a force de tracasser les saintes Bibles, et forme de fantasies les Psalmes, ains de les manier, lire, ouyr, chanter et prier avec apprehension vive de la majesté de Dieu a qui on parle, de qui on lit ou escoute on la Parole, tousjours avec ceste praeface de l’ancienn’Eglise, Sursum corda.

Ce grand amy de Dieu, saint François, a la glorieuse et tressainte memoyre duquel on celebroit hier par tout le monde feste, nous monstroit un bel exemple de l’attention et reverence avec laquelle on doit prier Dieu. Voyci ce qu’en raconte le saint et fervent docteur de l’Eglise, saint Bonaventure (In vita S. Franc c 10) : Solitus erat vir sanctus horas canonicas non minus timorate persolvere quam devote ; nam licet oculorum, stomachi splenis et hepatis aegritudine laboraret, nolebat muro vel parieti inhaerere dum psalleret, sed horas semper erectus et sine caputio, non gyrovagis oculis nec cum aliq ua syncopa persolvebat ; si quando esset in itinere constitutus figebat tunc temporis gressum, hujusmodi consuetudinem reverentem et sacram propter pluviarum inundantiam non omittens ; dicebat enim : si quiete comedit corpus cibum suum, futurum cum ipso vermium escam, cum quanta pace et tranquillitate accipere debet anima cibum vitae ?


CHAPITRE II

QUE L’EGLISE DES PRAETENDUZ A VIOLE LES TRADITIONS APOSTOLIQUES, 2E REGLE DE LA FOY CHRESTIENNE

ARTICLE PREMIER

QUE C’EST QUE NOUS ENTENDONS PAR TRADITION APOSTOLIQUE

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Voicy les paroles du saint Concile de Trente (Sess IV), parlant de la verité et discipline Chrestienne Evangelique : Perspiciens (sancta Sinodus) hanc veritatem et disciplinam contineri in Libris scriptis et sine scripto Traditionibus, quae ab ipsius Christi ore ab Apostolis acceptae, aut ab ipsis Apostolis, Spiritu Sancto dictante, quasi per manus traditae, ad nos usque pervenerunt ; orthodoxorum Patrum exempla secuta, omnes Libros tam Veteris quam Novi Testamenti, cum utriusque unus Deus sit auctor, nec non Traditiones ipsas, tum ad fidem tum ad mores pertinentes, tanquam vel oretenus a Christo vel a Spiritu Sancto dictatas, et continua successione in Ecclesia Catholica servatas, pari pietatis affectu ac reverentia suscipit et veneratur. Voyla, a la verité, un decret digne d’une assemblëe qui puysse dire, Visum est Spiritui Sancto et nobis (Act 15, 28) ; car il ny a presque mot qui ne porte coup sur les adversaires et ne leur leve tous armes du poingt.

Car, dequoy leur proufitera meshuy de crier : In vanum colunt me, docentes mandata et docrtinas hominum (Is 29, 13 Marc 7, 7). Irritum fecistis mandatum Dei propter traditionem vestram (Mat 15, 6). Ne intendas fabulis Judaicis (Tit 1, 14). Aemulator existenspaternarum mearum traditionum (1 Tim 1, 4 ; 1 Tim 1, 4) . Videte ne quis vos decipiat per philosophiam et inanem fallaciam, secundum traditionem hominum (Col 2, 8). Redempti estis de vana vestra conversatione paternae traditionis (1 Pet 1, 18) ? Tout cecy n’est point a propos ; puysque le Concile proteste clairement que les Traditions quil reçoit ne sont ni traditions ni doctrines des hommes, ains, quae ab ipsius Christi Spiritu Sancto dictante, quasi per manus traditiae, ad nos usque pervenerunt : ce sont donques Parole de Dieu, doctrine du Saint Esprit, non des hommes. En quoy vous verres arrester quasi tous vos ministres, faysans des grandes harangues pour monstrer quil ne faut mettre en comparayson la tradition humaine avec l’Escriture ; mays a quel propos tout cela, sinon pour enjoler les pauvres auditeurs ? car jamais nous ne dismes cela.

En cas pareil ilz produysent contre nous ce que saint Pol disoit a son bon Timothëe (2 Tim 3, 16-17) : Omnis scriptura divinitus inspirata utilis est ad docendum, ad corripiendum, ad erudiendum in justitia, ut perfectus sit homo Dei, ad omne bonum opus instructus. A qui en veulent ilz ? c’est une querelle d’Allemand. Qui nie la tres excellente utilité de l’Escriture, sinon les huguenotz qui en levent des plus belles pieces comme vaynes ? Elles sont tres utiles, certes ; ce n’est pas une petite faveur que Dieu nous a faict de les nous conserver parmi tant de persecutions : mays l’utilité de l’Escriture ne rend pas les saintes Traditions inutiles, nom plus que l’usage d’un œil, d’une jambe, d’une oreille, d’une main, ne rend pas l’autre inutile ; dont le Concile dict : Omnes Libros tam Veteris quam Novi Testamenti, nec non Traditiones ipsas, pari pietatis affectu ac reverentia suscipit et venerantur. Belle façon de raysonner : la foy proufite, donques les œuvres ne proufitent de rien.

De mesme (Jean 20, 30-31) : Multa quidem et alia signa fecit Jesus quae non sunt scripta in libro hoc ; haec autem scripta sunt ut credatis quod Jesus est Filius (Dei), et ut credentes vitam haebatis in nomine ejus : donques il ny a rien autre a croire que cela ; belle consequence ! Nous sçavons bien que Quaecumque scripta sunt ad nostram doctrinam scripta sunt (Rom 15, 4) ; mays cela empechera il que les Apostres praechent ? Haec scripta sunt ut credatis quod Jesus est Filius Dei ; mays cela ne suffit pas, car, quomodo credent sine praedicante (ibid 10, 14) ? Les Escritures sont donnees pour nostre salut, mays nompas les Escritures seules, les Traditions y ont encor place : les oyseaux ont l’aisle droite pour voler ; donques l’aysle gauche ny sert de rien ? ains l’une ne va pas sans l’autre. Je laysse a part les responces particulieres, car saint Jan ne parle que des miracles quil avoyt a escrire, quil tient suffire pour prouver la divinité du Filz de Dieu.

Quand ilz produysent ces paroles, Non addetis ad verbum quod ego praecipio vobis, nec auferetis ab eo (Deut 4, 2) ; Sed licet nos aut angelus de caelo evangelizet vobis praeterquam quod evangelizavimus vobis, anathema sit (Gal 1, 8), ilz ne disent rien contre le Concile, qui dict expressement que la doctrine Evangelique ne consiste pas seulement es Escritures, mays encore es Traditions. L’Escriture donques est Evangile, mais nom pas tout l’Evangile, car les Traditions sont l’autre partie : qui enseignera donques outre ce qu’ont enseigné les Apostres, maudict soit il ; mays les Apostres ont enseigné par escrit et par Tradition, et tout est Evangile. Que si vous consideres de pres comme le Concile apparie les Traditions aux Escritures, vous verres quil ne reçoit point de Tradition contraire a l’Escriture ; car il reçoit la Tradition et l’Escriture avec pareil honneur, parce que l’une et l’autre sont ruysseauz tres doux et purs, qui sont partis d’une mesme bouche de Nostre Seigneur, comme d’une vive fontayne de sapience, et partant ne peuvent estre contraires, ains sont de mesme goust et qualité, et se joignans ensemble arrousent gayement cest arbre du Christianisme, quod fructum suum dabit in tempore suo (Ps 1, 3).

Nous appelons donques Tradition Apostolique la doctrine, soit de la foy soit des mœurs, que Nostre Seigneur a enseignëe de sa propre bouche ou par la bouche des Apostres ; laquelle n’estant point escritte es Livres canoniques, a esté ci devant conservëe jusqu'à nous comme passant de main en main, par continuelle succession de l’Eglise : en un mot, c’est la Parole de Dieu vivant, imprimëe non sur le papier (2 Jean 12) mais dans le cœur de l’Eglise (2 Cor 3, 2-3) seulement. Et ny a pas seulement Tradition des ceremonies, et de certain ordre exterieur arbitraire et de bienseance, mays, comme le dict le saint Concile, en doctrine qui appartient a la foy mesme t aux mœurs ; quoy que, quand aux Traditions des mœurs, il y en a qui nous obligent tres étroittement, et d’autres qui ne nous sont proposëes que par conseil et bienseance, et cellescy n’estans observëes ne nous rendent pas coulpables, pour veu qu’elles soyent approuvëes et prisëes comme saintes, et ne soyent mesprisëes


Sales, Controverses 216