Sales, Controverses 221


ARTICLE II

QU’IL Y A DES TRADITIONS APOSTOLIQUES EN L’EGLISE

222
Nous confessons que la tressainte Escriture est tres excellente et tres utile ; rien ne luy peut estre contraire que le mensonge et l’impieté : mays pour establir ces verités il ne faut pas rejetter cellecy, a sçavoir, que les Traditions sont tres utiles ; donnees affin que nous croyons ; rien ne leur est contraire que l’impieté et le mensonge ; car pour establir une verité il ne faut jamais destruire l’autre. L’Escriture est utile pour enseigner ; apprenes donques de l’Escriture mesme quil faut recevoir avec honneur et creance les saintes Traditions. S’il ne faut rien adjouster a ce que Nostre Seigneur a commandé, ou est ce quil a commandé qu’on comdamnast les Traditions Apostoliques ? pourquoy adjoustes vous cecy a ses paroles ? ou est ce que Nostre Seigneur l’a jamais enseigné ? que tant s’en faut quil ait jamais commandé le mespris des Traditions Apostoliques, que jamais il ne mesprisa aucune tradition du moindre prophete du monde : coures tout l’Evangile, et vous n’y verres censurëes que les traditions humaines et contraires a l’Escriture. Voyes la Nouvelle 146 (In Corp Juris Civilis ; aliter Authenticae, Coll IX, tit. 29). Que si Nostre Seigneur ni ses Apostres ne l’ont jamais escrit, pourquoy nous evangelises vous ces choses cy ? au contraire, il est defendu de lever rien de l’Escriture, pourquoy voules vous lever les Traditions, qui y sont si expressement authentiquëes ?

N’est ce pas la Saint’Escriture de saint Pol qui dict, Itaque, fratres, tenete traditiones quas accepistis, sive per sermonem sive per epistolam ? Hinc patet quod non omnia per epistolam tradiderunt Apostoli, sed multa etiam sine literis (2 Thess 2, 14); eadem vero fide digna sunt tam ista quam illa , dict saint Chrysostome, en son commentaire sur ce lieu (Homil IV in Thess 2, § 2). Ce que saint Jan mesme confirme (2, 12 & 3, 13-14 Epistola) : Multa habens scribere vobis, nolui per chartam et atramentum ; spero enim me futurum apud vos, et os ad os loqui ; c’estoyent choses dignes d’estre escrites, neanmoins il ne l’a pas faict, mays les a dites, et au lieu d’Escriture en a faict Tradition.

Formam habe sanorum verborum, quae a me audisti : bonum depositum custodi (2 Tim 1, 13-14), disoit saint Pol a sont Timothee ; n’estoit ce pas luy recommander la Parole Apostolique non escritte ? et cela s’appelle Tradition. Et plus bas : Quae audisti a me per multos testes, haec commenda fidelibus hominibus, qui idonei erunt et alios docere. Qu’y a il de plus clair pour la Tradition ? Voyla la forme : l’Apostre parle, les tesmoins le rapportent, saint Timothëe le doit enseigner a d’autres, et ceux la aux autres ; voyla pas une sainte substitution et fidecommis spirituel ?

Me mesm’Apostre loüe il pas les Corinthiens de l’observation des Traditions ? Quod per omnia, dict, mei memores estis, et sicut tradidi vobis praecepta mea servatis (2 Cor 11, 2). Si c’estoit en la seconde des Corinthiens, on pourroit dire que par es commandemens il entend ceux de la premiere, quoy que le sens y seroit forcé (mays a qui ne veut marcher tout ombre sert), mays cecy est escrit en la premiere ; il ne parle pas d’aucun Evangile, car il ne l’appelleroit pas praecepta mea : qu’estoit ce donques sinon une doctrine Apostolique non escritte ? cela nous l’appellerons Tradition. Et quand a la fin il leur dict, Caetera cum venero disponam (11, 34), il nous laysse a penser quil leur avoyt enseigné plusieurs choses bien remarquables, et neanmoins nous n’en avons aucun escrit ailleurs : sera il donq perdu pour l’Eglise ? non certes, mais est venu par Tradition, autrement l’Apostre ne l’eust pas envié a la posterité et l’eust escrit.

Et Nostre Seigneur dict : Multa habeo vobis dicere quae non potestis portare modo (Jean 16, 12). Je vous demande, quand leur dict il ces choses quil avoit a leur dire ? pour vray, ou ce fut apres sa resurrection les 40 jours quil fut avec eux, ou par la venue du Saint esprit ; mais que sçavons nous que c’est quil comprenoit sous ceste parole, Multa habeo, et si tout est escrit ? il est bien dict (Act 1, 3) quil fut 40 jours avec eux, les enseignant du royaume des cieux, mays nous n’avons ni toutes ses apparitions ni ce quil leur disoit en icelles.

CHAPITRE III

QUE LES MINISTRES ONT VIOLE L’AUTHORITE DE L’EGLISE, 3\2ème \0REGLE DE NOSTRE FOY

ARTICLE PREMIER

QUE NOUS AVONS BESOIN DE QUELQU’AUTRE REGLE OUTRE LA PAROLE DE DIEU

231 Quand Absalon voulut faire une fois faction contre son bon pere, il s’assit pres de la porte au chemin, et disoit aux passans : Il ny a personne constitué du Roy pour vous ouir, hé, qui me constituera juge sur terre, afin que qui aura quelque negotiation vienne a moy et que je juge justement ? ainsy sollicitoit il le courage des Israelites (2 Rois 15, 2-6). Mays combien d’Absalons se sont trouvez en nostre aage, qui, pour seduyre et distraire les peuples de l’obeissance de l’Eglise, et solliciter les Chrestiens a revolte, ont crié sur les advenues d’Allemaigne et de France : il ny a personne qui soit establi du Seigneur pour ouyr et resouvre des differens sur la foy et religion ; l’Eglise n’y a point de pouvoir. Quicomque tient ce langage, Chrestiens, si vous le consideres bien vous verres quil veut estre juge luy mesme, quoy quil ne le die pas a descouvert, plus rusé qu’absalon.

J’ay veu un des plus recens livres de Theodore de Beze, intitulé, Des vrayes, essentielles et visibles marques de la vraÿe Eglise Catholique : il me semble quil vise la dedans a se rendre juge, avec ses collateraux, de tout le different ou nous sommes. Il dict (p 49) que la conclusion de tout son discours est "que le vray Christ est la seule, vraye et perpetuelle marque de l’Eglise Catholique, entendant du vray Christ tel, " dict il , " quil s’est tres parfaittement declaré dès le commencement, tant es escrits prophetiques qu’apostoliques, en ce qui appartient a nostre salut ; " plus bas il dict : " Voyla ce que j’avois a dire sur la vraye, unique et essentielle marque de la vraÿe Eglise, qui est la Parole escritte prophetique et apostolique, bien et deuement administrëe ; " (p 78) et plus haut il avoit confessé quil y avoit des grandes difficultés es Escrittures Saintes, mays " nom pas es pieces qui touchent a nostre creance " (p 41) . A la marge il met cest advertissement, quil a mis quasi par tout le texte : " L’interpretation de l’Escriture ne se doit puyser d’ailleurs que de l’Escritture mesme, en conferant les passages les uns avec les autres, et les rapportant a l’analogie de la foy ; " et en l’Epistre au Roy de France : " Nous demandons qu’on s’en rapporte aux Saintes Escrittures canoniques, et que, sil y a doute sur l’interpretation d’icelles, la convenance et le rapport qui doit estre tant entre les passages de l’Escritture qu’entre les articles de la foy en soyent juges. " Il y reçoit " les peres, avec tout autant d’authorité quilz se trouveront de fondement es Escrittures ; " il poursuit : " Quand au point de la doctrine, nous ne sçaurions appeler a aucun juge non reprochable qu’au Seigneur mesme, qui a declaré tout son conseil touchant nostre salut par les Apostres et Prophetes. " Il dict encores quilz sont " ceux qui n’ont desavoüé ni voudroyent desavoüer un seul Concile digne de ce nom, ni general ni particulier, ancien ni plus recent, " (notés) " pourveu , " dict il, " que la pierre de touche, qui est la Parole de Dieu, en face l’espreuve. "

Voyla, en un mot, ce que veulent tous tant quil y a de reformayres, qu’on prenne l’Escritture pour juge. Mays a cela nous repliquons, Amen : mays nous disons que nostre different n’est pas la ; c’est qu’es differens que nous aurons sur l’interpretation, et qui s’y trouveront de deux motz en deux motz, nous avons besoin d’un juge. Ilz respondent, quil faut juger des interpretations de l'E’critture conferant passage avec passage et le tout au Simbole de la foy. Amen, Amen, disons nous ; mais nous ne demandons pas comment on doit interpreter l’Escriture, mays qui sera le juge : car, apres avoir conferé les passages aux passages et le tout au Simbole de la foy, nous trouvons que par ce passage, Tu es Petrus, et super hanc petram aedificabo Ecclesiam meam, et portae inferi non praevalebunt ; et tibi dabo claves regni caelorum (Matt 16, 18-19), saint Pierre a esté chef ministerial et supreme oeconome en l’Eglise de Dieu ; vous dites, de vostre costé, que ce passage, Reges gentium dominantur eorum, vos autem non sic (Luc 22, 25-26), ou cest autre (car ilz sont tous si foibles que ne sçay pas lequel vous peut estre fondamental), Nemo potest aliud fundamentum ponere (1 Cor 3, 11), etc., conferé avec les autres passages et a l’analogie de la foy, vous faict detester un chef ministerial : nous suyvons tous deux un mesme chemin en la recherche de la verité de ceste question, a sçavoir, sil y a en l’Eglise un vicaire general de Nostre Seigneur, et neantmoins je suys arrivé en l’affirmative, et vous, vous estes logés en la negative ; qui jugera plus de nostre different ? Certes, qui s’addressera a Theodore de Beze, il dira que vous aves mieux discouru que moy, mays ou se fondera il en ce jugement, sinon sur ce quil luy semble ainsy, selon le praejugé quil en a faict il y a si long tems ? et quil dise ce quil voudra, car qui l’a establi juge entre vous et moy ?

C’est icy le gros de nostre affaire, Chrestiens ; connoisses, je vous prie, l’esprit de division. On vous renvoÿe a l’Escriture ; nous y sommes devant que vous fussies au monde, et y trouvons ce que nous croyons, clair et net. Mays il la faut bien entendre, adjustant les passages aux passages, le tout au Simbole ; nous sommes en ce train il y a quinze centz ans et passent. Vous vous y trompes, respond Luther. Qui vous l’a dict ? l’Escriture. Quelle Escriture ? telle et telle, ainsy conferëe et appariëe au Simbole. Au contrayre, dis je, c’est vous, Luther, qui vous trompes ; l’Escriture me le dict en tel et tel passage, bien joint et adjusté a telle et telle piece de l’Escriture et aux articles de la foy. Je ne suys pas en doute sil faut adjouster foy a la sainte Parole ; qui ne sçait qu’elle est au supreme grade de certitude ? ce qui me tient en peyne c’est l’intelligence de ceste Escriture, ce sont les consequences et conclusions qu’on y attache, lesquelles estans diverses, sans nombre et contraire bien souvent sur un mesme sujet, ou chacun prend parti, qui d’un costé qui d’autre, qui me fera voir la verité au travers de tant de vanités ? qui me fera voir ceste Escriture en sa naifve couleur ? car le col de ceste colombe change autant d’apparences que ceux qui le regardent changent de postures et distances. L’Escriture est une tres sainte et tres infallible pierre de touche ; toute proposition qui soutient cest essay je la tiens pour tres loÿale et franche. Mays quoy, quand j’ay en main ceste proposition, le cors naturel de Nostre Seigneur est realement, substantiellement et actuellement au Saint Sacrement de l’autel ? Je la fays toucher, a tous biays et de tous costés, a l’expresse et tres pure Parolle de Dieu et au Simbole des Apostres ; il ny a point d’endroit ou je ne la frotte cent fois si vous voules, et quand plus je regarde, tousjours je la reconnoys de plus fin or et de plus franc metail. Vous dites qu’en ayant faict de mesme vous y trouves du faux ; que voules vous que je fasse ? tant de maistres l’ont maniëe cy devant, et tous ont faict mesme jugement que moy, et avec tant d’asseurance quilz ont forclos, es asemblëes generales du mestier, quicomque y a voulu contredire : mon Dieu, qui nous mettra hors de doute ? Il ne faut plus dire la pierre de touche, autrement on dira, In circuitu impii ambulant (Ps 9, 9) : il faut que ce soit quelqu’un qui la manie, et face la preuve luymesme de la piece, puys, qu’il en face jugement, et que nous le subissions, et l’un et l’autre, sans plus contester ; autrement chacun en croira ce quil luy plaira. Prenes garde ; avec ces parades nous tirons l’Escriture apres nos fantasies, nous ne la suyvons pas. Si sal evanuerit, in quo salietur ? (Matt 5, 13) si l’Escriture est le sujet de nostre different, qui la reglera ?

Ah, quicomque dict que Nostre Seigneur nous a embarqués en son Eglise, a la mercy des ventz etde la marëe, sans nous donner un expert pilote qui s’entende parfaittement en l’art nautique sur la charte et la bussole, il dict quil veut nous perdre. Quil y ayt mis la plus excellente bussole et la charte la plus juste du monde, mays dequoy sert cela si personne n’a le sçavoir d’en tirer quelque regle infallible pour conduire le navire ? dequoy servira il quil y ait un tres bon timon, sil ny a un patron pour le mouvoir a la mesure qu’enseignera la charte ? mays sil est permis a chacun de le tourner au fil que bon luy semblera, qui ne void que nous sommes perdus ? Ce n’est pas l’Escriture qui a besoin de regle ni de lumiere estrangere, comme Beze pense que nous croyons ; ce sont nos gloses, nos consequences, intelligences, interpretations, conjectures, additions, qui ne pouvant demeurer coy s’embesoigne tousjours a nouvelles inventions : ni moins voulons nous un juge entre Dieu et nous, comm’il semble quil veuille interferer en son Epistre (p 203) ; c’est entr’un homme tel que Calvin, Beze, Luther, et entr’un autre tel que Echius, Fischer, Morus ; car nous ne nous demandons pas si Dieu entend mieux l’Escriture que nous, mays si Calvin l’entend mieux que saint Augustin ou saint Cyprien. Saint Hilaire dit tresbien : De intelligentia haeresis est, non de Scriptura, et sensus, non sermo, fit crimen (L II de Trinit § 3) ; et saint Augustin : Non aliunde natae sunt haereses nisi dum Scripturae bonae intelligentur non bene, et quod in eis non bene intelligentur etiam temere et audacter asseritur. C’est le vray jeu de Michol ( 1 Rois 19, 13), de couvrir une statue faitte a poste dans le lict, des habitz de David ; qui regarde cela pense avoir veu David, mays il s’abuse, David ny est pas : l’heresie couvre au lict de son cerveua la statue de sa propre opinion des habitz de la Sainte Escritture ; qui voit ceste doctrine pense avoir veu la sainte Parole de Dieu, mays il se trompe, elle ny est point, les motz y sont mays non l’intelligence. Scripturae, dict saint Hierosme (Contra Lucif § 28), non in legendo sed in intelligendo consistunt, sçavoir la loy n’est pas sçavoir les paroles, mays le sens.

Et c’est icy ou je crois d’avoir fermement prouvé que nous avons besoin d’une autre Regle pour nostre foy outre la regle de l’Escritture Sainte : Si diutius steterit mundus (dict une bonne fois Luther, Contra Zuing et Oecol), iterum fore necessarium, propter diversas Scripturae interpretationes quae nunc sunt, ut ad conservandam fidei unitatem Conciliorum decreta recipiamus, atque ad ea confugiamus ; il confesse qu’auparavant on la recevoit, et confesse que ci apres il le faudra faire. J’ay esté long, mays cecy une fois bien entendu, n’est pas un petit moyen de se resouvre a une tressainte deliberation.

Autant en dis je des Traditions ; car si chacun veut produyre des Traditions, et que nous n’ayons poinct de juge en terre, pour mettre en dernier ressort difference entre celles qui sont recevables et celles qui ne le sont pas, a quoy, je vous prie, en serons nous ? L’exemple est clair : Calvin trouve recevable l’Apocalipse, Luther le nie, autant en est il de l’Epistre de saint Jaques ; qui reformera ces opinions des reformateurs ? l’une ou l’autre est mal formëe, squi y mettra la main ? Voyla une seconde necessité que nous avons d’une autre 3e regle outre la Parole de Dieu.

Il y a neanmoins tresgrande difference entre les premieres regles et celles cy ; car la premiere Regle, qui est la Parole de Dieu, est Regle infallible de soy mesme, et tres suffisante pour regler tous les entendemens du monde, la seconde n’est pas proprement Regle de soymesme, mays seulement entant qu’elle applique la premiere, et qu’elle nous propose la droitture contenüe en la Parole sainte : ainsy qu’on dict les loyx estre une regle des causes civiles ; le juge ne l’est pas de soy mesme, puysque son jugement est obligé au reglement de la loy, neantmoins il est, et peut tresbien estre appellé, regle, par ce que l’application des loix estant sujette a varieté, quand il l’a une fois faicte il faut s’y arrester. La Sainte Parole, donques, est la loy premiere de nostre foy ; reste l’aplication de ceste Regle, laquelle pouvant recevoir autant de formes quil y a de cerveaux au monde, nonobstant toutes analogies de la foy, encores faut il avoir une seconde Regle pour le reglement de cest’application : il faut la doctrine, et quelqu’un qui la propose ; la doctrine est en la sainte Parole, mays qui la proposera ? Voyci comm’on deduit un article de foy : la Parole de Dieu est infallible, la Parole de Dieu porte que le Baptesme est necessaire a salut (Marc 16, 16), donques le Baptesme est necessaire a salut. La premiere proposition est inevitable : nous sommes en difficulté de la 2e avec Calvin ; qui nous appointera ? qui determinera de ce doute ? si chacun a l’authorité de proposer le sens de la sainte Parole, la difficulté est immortelle ; si celuy qui a l’authorité de proposer peut errer en sa proposition, tout est a refaire. Il faut donques qu’il y ait quelqu’infallible authorité, a la proposition de laquelle nous soyons obligé d’acquiescer : la Parole de Dieu ne peut errer, qui la propose ne peut errer, tout sera donques tres asseuré.


ARTICLE II

QUE L’EGLISE EST UNE REGLE INFALLIBLE POUR NOSTRE FOY

232
Or, n’est il pas raysonnable qu’aucun particulier s’attribue cest infallible jugement sur l’interpretation ou explication de la sainte Parole ; car, a quoy en serions nous ? Qui voudroit subir le joug du jugement d’un particulier ? pourquoy plus tost de l’un que de l’autre ? quil parle tant quil voudra de l’analogie, de l’entousiasme, du Seigneur, de l’esprit, tout cela ne pourra jamais brider tellement mon cerveau que, sil faut s’embarquer a l’adventure, je ne me jette plus tost dans le vaysseau de mon jugement que dans celuy d’un autre, quand il parleroit grec, Hebrieu, Latin, Tartarin, Moresque et tout ce que vous voudres. S’il faut courir fortune d’errer, qui n’aymera mieux la courir a la suite de sa propre fantasie, que de s’esclaver a celle de Calvin ou de Luther ? chacun donnera liberté a sa cervelle de courir a l’abandon ça et la, par les opinions tant diverses soyent elles, et de vray, peut estre rencontrera il aussy tost la veritévqu’un autre. Mays c’est impieté de croire que Nostre Seigneur ne nous ayt layssé quelque supreme juge en terre, auquel nous puyssions nous addresser en nos difficultés, et qui fust tellement infallible en ses jugemens que suyvant ses decretz nous ne puysions errer. Je soutiens que cejuge n’est autre que l’Eglise Catholique, laquelle ne peut aucunement errer es interpretations et consequences qu’elle tire de la Sainte Escriture, ni es jugemens qu’elle faict sur les diifcultés qui s’y presentent. Car, qui ouyt jamais deviser, etc.

CHAPITRE IV

QUE LES MINISTRES ONT VIOLE L’AUTHORITE DES CONCILES

4E REGLE DE NOSTRE FOY

ARTICLE PREMIER

ET PREMIEREMENT DES QUALITES D’UN VRAY CONCILE

241
On ne sçauroit mieux projetter un vray et saint Concile que sur le patron de celuy que les Apostres firent en Hierusalem. Or, voyons 1. Qui l’assembla : et nous trouverons quil fut assemblé par l’authorité mesme des pasteurs : Conveneruntque Apostoli et seniores videre de verbo hoc (Act 15, 6).Et de vray, ce sont les pasteurs qui ont charge d’instruire le peuple, et de prouvoir a son salut par les resolutions des doutes qui surviennent touchant la doctrine Chrestienne ; les empereurs et les princes doivent y avoir zele, mais selon leur ministere, qui est par voÿe de justice, de police et de l’espëe, quilz ne portent pas sans cause (Rom 13, 4). Ceux donques qui voudroyent que l’Empereur eust ceste authorité, n’ont point de fondement en l’Escriture ni en la rayson ; car, quelles sont les causes principales pour lesquelles on assemble les Conciles generaux, sinon pour reprimer et repouser l’heretique, le schismatique, le scandaleux, comme loups de la bergerie ? ainsy fut faicte ceste premiere assemblëe en Hierusalem pour resister a certains de l’haeresie des Pharisaeens : et qui a charge de repouser le loup sinon le berger ? et qui est berger que celuy a qui Nostre Seigneur dict, Pasce oves meas (Jean 21, 17) ? Qui a l’authorité de repaistre le troupeau a l’authorité d’assembler les bergers, pour cognoistre quelle pasture et quelles eaux sont saines aux ouaïlles ; cela est proprement assembler les pasteurs in nomine Christi (Matt 18 , 20), c’est a dire, par l’authorité de Nostre Seigneur, car qu’est ce autre chose assembler les estatz au nom du prince que les convoquer par authorité du prince ? et qui a cest authorité que celuy qui commme lieutenant a receu les clefz du royaume des cieux (Matt 16, 19) ? Qui fit dire au bon pere Lucentius, evesque vicaire du Saint Siege apostolique, que Dioscorus avoit eu tresgrand tort d’avoir assemblé un Concile sans l’authorité Apostolique : Sinodum, dict il , ausus est facere sine authoritate Sedis Apostolicae, quod nunquam rite factum est, nec fieri licuit ; et dict ces paroles en la pleyne assemblëe du grand Concile de Caceldoyne. Il est neanmoins necessaire que si la ville ou l’assemblëe se faict est sujette a l’Empereur, ou a quelque prince, et qu’on veuïlle faire quelque cueillette publique pour les frais d’un Concile, que le prince chez lequel on s’assemble ayt donné licence et authorisé l’assemblëe, et les cueillettes doivent estre avouëes par les princes riere les estatz desquelz elles se font : et quand l’Empereur voudroit assembler un Concile, pourveu que le Saint Siege y consentit pour rendre la convocation legitime… Telles ont esté les assemblëes de quelques Conciles tres authentiques, et celle qu’Herode commanda en Hierusalem (Matt 2, 4) , pour sçavoir ubi Christus nasceretur, a laquelle les prestres et les scribes consentirent ; mays qui la voudroit tirer en consequence, pour attribuer l'’uthorité aux princes de commander les convocations, auroit autant de rayson que de tirer en consequence sa cruauté sur saint Jan Baptiste et le meurtre sur les petitz enfans.

2. Il succede que nous remarquions, en ce premier Concile chrestien qui fut faict par les Apostres, qui y fut apellé : Convenerunt, dict le texte, Apostoli et presbiteri videre de verbo hoc ; les Apostres et les prestres (Act 15, 6), en un mot, les gens d’Eglise : la rayson le vouloit, car le vieux proverbe est par tout bon, Ne sutor ultra crepidam, et le bon mot du pere Hosius, rapporté par saint Athanase (Epist ad solitariam vitam agentes § 44), quil escrivit a l’empreur Constantius, Tibi Deus imperium commisit, nobis quae sunt Ecclesiae concredidit. C’est donques aux Ecclesiastiques d’y estre convoqués, quoy que les princes, l’Empereur, les roys et autres y ayent lieu comme protecteurs de l’Eglise.

Troysiesmement, qui y doit estre juge : et nous ne voyons pas que personne y portast sentence que 4 des Apostres, saint Pierre, saint Pol, saint Barnabas et saint Jaques, au jugement desquelz chacun acquiesça. Pendant qu’on deliberoit, les senieurs ou prestres parlerent, comm’il est probable selon ces paroles (Act 15, 7), cum autem magna conquisitio fieret, qui monstrent qu’on debatit bien fort ceste question ; mays quand il vint a resoudre et porter sentence, il ne se trouve personne qui ne soit Apostre : aussy ne trouve l’on pas es anciens Conciles et canoniques qu’autre que les Evesques ayt signé et defini ; qui fut la cause que les Peres du Concile de Calcedoyne (Actione prima), y voyans entrer les religieux et laicz, crierent plusieurs foys : Mitte foras superfluos, Concilium episcoporum est. Attendite, dict saint Pol (act 20, 28), vobis et universo gregi ; mays qui doit fayre cecy, de penser a soy et pour le cors general ? in quo vos posuit Spiritus Sanctus Episcopos regere Ecclesiam Dei : il appartient aux pasteurs de prouvoir de saine doctrine aux brebis.

4. Si nous considerons qui y praesida, nous trouverons que ce fut saint Pierre qui y porte le premier de la sentence, qui fut apres suyvie du reste, comme dict saint Hierosme (Ep. Ad Augustinum II (al. Ep. 112)) ; aussy avoit il la principale charge de pasteur, Pasce oves meas (Jean 21, 17), et estoit le grand oeconome sur le reste, Tibi dabo claves regni caelorum (Matt 16, 19), il estoit confirmateur des freres (Luc 22, 32), office qui appartient proprement au praesident et surintendant. Ainsy despuys, le successeur de saint Pierre, Evesque de Rome, a tousjours praesidé aux Conciles par ses legatz. Au Concile de Nicëe, les prmiers qui souscrivent ce sont Hosius, evesque, Vitus et Modestus, prestres, envoyës par le Saint Siege : et de vray, quelle occasion pouvoit faire que deux prestres souscrivissent devant les Patriarches, si ce n’eust esté quilz estoyent en lieutenance du supresme Patriarche ? Que quand a saint Athanase, tant s’enfaut quil y praesidat, quil ny fut pas assis ni ne souscrivit point, comme n’estant que diacre pour l’heure ; et le grand Constantin non seulement ny praesida pas, ains s’assit au bas des Evesques (Theod l I hist c 7 al 6), et ny voult point estre comme pasteur (Ruff l 1 c 2) mays comme brebis. Au Concile de Constantinople, quoy quil ny fut pas aucun legat pour luy, par ce quil traittoit la mesme cause avec les Evesques occidentaux a Rome qui estoit traittëe a Constantinople par les orientaux, qui ne s’estoyent peu joindre en esprit et deliberation, si est ce que par les lettres que les Peres de part et d’autre s’envoyerent, Damase, Evesque de Rome, est reconneu pour legitime chef et praesident (vide Theod l 5 c 10 al 9 et c 8). Au Concile d’Ephese, saint Cyrille y praesida comme legat et lieutenant de Caelestin, Pape : voyci les paroles de saint Prosper d’Aquitayne (Contra Collatorem c 21 , § 2) : Per hunc virum (il parle du Pape Caelestin) etiam orientales Ecclesiae gemina peste purgatae sunt, quando Cyrillo, Alexandrinae urbis Antistiti, gloriossimo fidei Catholicae defensori, ad exsecandam nestirianam impietatem apostolico auxiliatus est gladio ; ce que le mesme Prosper dict encores in Chronico : Nestorianae impietati praecipua Cyrilli Alexandrini Episcopi industria et Papae Caelestini repugnat authoritas. Au Concile de Calcedoyne, il ny a rien qui ne crie tout par tout que les legatz du Saint Siege Romain ny aient praesidé, Pascasinus et Lucentius ; il ny en a que d’en lire les actes.

Voyla donques l’Escriture, la rayson, la prattique des 4 plus purs Conciles qui furent onques, ou saint Pierre praeside et ses successeurs quand ilz s’y sont trouvés ; j’en pourrois tout autant monstrer de tous les autres qui ont esté receuz en l’Eglise universelle comme legitimes, mays ceci suffira bien.

Reste le consentement, reception et execution des decretz du Concile, qui fut faicte, comm’elle se doit encores faire a present, par tous ceux qui y assistent, dont il fut dict (Act 15, 22) : Tunc placuit Apostolis et senioribus, cum omni Ecclesia, eligere viros ex eis, etc. ; m ays quand a l’authorité en vertu delaquelle la promulgation du decret de ce Concile-la fut faicte, elle ne fut sinon des gens ecclesiastiques : Apostoli et seniores fratres, iis qui sunt Antiochiae, Syriae et Ciliciae (Vers 23) ; l’authorité des brebis ny est point cottëe, mais celle la seulement des pasteurs. Il peut bien y avoir des laicz au Concile sil est expedient, mays non pas pour y tenir lieu de juges.

ARTICLE II

COMBIEN EST SAINTE ET SACREE L’AUTHORITE DES CONCILES UNIVERSELZ

242 Nous parlons donq icy d’un Concile tel que celuy la, ou se trouve l’authorité de saint Pierre, tant au commencement qu’a la conclusion, et des autres Apostres et pasteurs qui s’y voudront trouver, sinon de tous au moins d’une notable partie ; ou la discussion soit libre, c’est a sçavoir, que qui voudra y propose ses raysons sur la difficulté qui y est proposëe ; ou les pasteurs ayent voix judiciaire ; telz en fin qu’ont esté ces quatre premiers, desquelz saint Gregoire faisoit tant de conte, quil en fit ceste protestation : Sicut sancti Evangelii 4 libros, sic 4 Concilia suscipere et venerari me factor (L I Epist ep 24 al 23, in fine).

Or sus, voyons un peu combien grande doit estre leur authorité sur l’entendement des Chrestiens ; et voicy comme les Apostres en parlent : Visum est Spiritui Sancto et nobis (Act 15, 28). L’authorité donques des Conciles doit estre reverëe comme appuyëe sur la conduite du Saint Esprit ; car, si contre ceste heresie pharisaique, le Saint Esprit, docteur et conducteur de son Eglise, assista l’assemblëe, il faut croire encores qu’en toutes semblables occasions il assistera encores les assemblees des pasteurs, pour, par leur bouche, regler et nos actions et nos creances. C’est la mesm’Eglise, aussy chere au celest’Espoux qu’elle fut alhors, en plus de necessité qu’elle n’estoit alhors ; quelle rayson y a il quil ne luy fist la mesme assistence quil luy fist alhors en pareille occasion ? Consideres, je vous prie, l’importance de ces motz Evangleiques (Matt 18, 17), Si quis Ecclesiam non audierit, sit tibi tanquam etnicus et publicanus ; et quand peut on jamais ouyr plus distinctement l’Eglise que par la voix d’un Concile general, ou les chefz de l’Eglise se trouvent tous ensemble pour dire et deduyre les difficultés ? le cors ne parle pas par ses jambes ni par ses mains, mays seulement par son chef ; ainsy, comme peut l’Eglise mieux prononcer sa sentence que par eses chefz ? Mays Nostre Seigneur s’explique : Iterum dico vobis, quia si duo ex vobis consenserint super terram de moni re quamcumque petierint, fiet illis a patre meo qui in caelis est ; ubi enim sunt duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum (vers 19 et 20). Si deux ou troys, quand besoin en est, estans assemblés au nom de Nostre Seigneur, ont son assistence si particuliere quil est au milieu d’eux comm’un general emmy l’armee, comm’un docteur et regent au milieu de ses disciples, si le Pere les exauce infalliblement en ce quilz luy demandent, comme refuseroit il son Saint Esprit a la generale assemblëe des pasteurs de l’Eglise ?

Puys, si l’assemblëe legitime des pasteurs et chefz de l’Eglise pouvoit estre une fois saisie d’erreur, comme se verifieroit la sentence du Maistre, Portae inferi non praevalebunt adversus eam (Matt 16, 18) ? comme pourroit l’erreur et la force infernale s’emparer de l’Eglise a meilleures enseignes que d’avoir asservi les docteurs, pasteurs et cappitaines avec leur general ? Et ceste parole, Ecce ego vobiscum sum usque ad consumationem seculi (Matt ult v ult), que deviendroit elle ? Et l’Eglise comme sera elle colomne et pilier de verité (1 Tim 3, 15), si ses bases et fondementz soustiennent l’erreur et fauseté ? les docteurs et pasteurs sont les visibles fondementz de l’Eglise, sur l’administration desquelz le reste s’appuÿe.

En fin, quel plus estroit commandement avons nous que de prendre la pasture de la main de nos pasteurs (Luc 10, 16 ; Heb 13, 17) ? saint Pol ne dict il pas que le Saint Esprit les a colloqués au bercail pour nous regir (Act 20, 28), et que Nostre Seigneur les nous a donnés affin que nous soyons point flottans et emportés a tout vent de doctrine (Eph 4, 11 et 14) ? quel respect donques devons nous porter aux ordonances et canons qui partent de leur assemblëe generale ? Certes, pris a part l’un de l’autre, leurs doctrines sont encore sujettes a l’espreuve, mays quand ilz sont ensemble, et que toute l’authorité ecclesiastique est ramassëe en un, qui peut conteroller l’arrest qui en sort ? Si le sel s’esvanouÿt, en quoy le conservera-on (Matt 5, 13) ? si les chefz sont aveugles, qui conduira le reste ? si les colomnes tumbent, qui les soutiendra ?

En un mot, l’Eglise de Dieu qu’a elle de plus grand, de plus asseuré et solide pour renverser l’haeresie que les arrestz des Conciles generaux ? L’Escriture, dira de Bezez. Mays j’ay ja monstré cy devant (ch 3 art 1), que de intelligentia haeresis est, non de Scriptura ; sensus, non sermo, fit crimen. Qui ne sçait combien de passages l’Arrien produict ? que luy peut on opposer sinon qu’il les entend mal ? mays il a pleyne liberté de croire que c’est vous qui interpretes mal, non luy, que vous vous trompes, non luy, que son rapport a l’analogie de la foy est mieux cousu que le vostre, pendant quil ni a que les particuliers qui s’opposent a ses nouveautés. Que si l’on leve la souveraineté aux Conciles des decisions et declarations necessaires sur l’intelligence de la sainte Parole, la sainte Parole sera autant prophanëe que les textes d’Aristote, et nos articles de Religion seront sujetz a revision immortelle, et de Chrestiens resoulz et asseurés deviendrons miserables academiques. Athanase dit que Verbum Domini per oecumenicam Niceae Sinodum manet in aeternum (Ep ad Episcop. Africanos § 2) ; saint Gregoire Nazianzene, parlant des Apollinaristes, qui se ventoyent d’avoyr esté avoüés par un Concile Catholique, Quod si vel nunc, dict il, vel ante suscepti sunt, hoc ostendant et nos acquiescemus ; perspicuum enim erit eos rectae doctrinae assentiri, nec enim aliter se res habere potest (Ep ad Cledonium Ia) ; saint Augustin dict (L I de Bap. Contra Donat c 7) que la celbre question du Baptesme, meüe par les Donatistes, fit douter plusieurs Evesques, donec, plenario totius orbis Concilio, quod saluberrime sentiebatur etiam remotis dubitationibus firmaretur ; Defertur, dict Ruffin (L I Hist. C 5), ad Constantinum sacerdotalis Concilii (Nicaeni) sententia ; ille tanquam a Deo prolatam veneratur, cui si quis tentasset obniti , velut contra divina statuta venientem in exilium se protestatur acturum. Que si quelqu’un pensoit, pour produire des analogies, des sentences de l’Escriture, des mots grecz et hebreux, quil luy fust permis de remettre en doute ce qui a desja esté determiné par les Conciles genraux, il faut quil produise des patentes du ciel bien signëes et scelees, ou quil die que chacun en peut autant faire que luy, et que tout est a la merci de nos subtiles temerités, que tout est incertain et sujet a la diversité des jugemens et considerations des hommes. Le Sage nous baille un autre advis (Ecclesiastes 12, 11-12) : Verba sapientium sunt sicut stimuli, et sicut clavi in altum defixi, quae per magistrorum consilium data sunt a pastore uno ; his amplius, fili mi, ne requiras.

Sales, Controverses 221