Thomas sur Jean 3

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95. Plus haut, l’Evangéliste a manifesté la puissance du Verbe en tant qu’elle est universellement productrice de toutes les réalités; ici, il manifeste sa puissance dans son rapport spécial aux hommes, en disant que ce Verbe est LA LUMIERE DES HOMMES.

Il nous présente d’abord cette lumière [n° 96], ensuite son rayonnement [n° 102], enfin sa participation [n° 103].

Le tout peut s’interpréter de deux manières, soit selon le don de la lumière naturelle, soit selon la communication de la grâce [n° 104].


I

LE DON DE LA LUMIERE NATURELLE ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES

96. Ici, il faut d’abord considérer que, selon Augustin 1 et plusieurs autres, le nom de "lumière" se dit plus proprement des réalités spirituelles que des réalités sensibles. Pourtant Ambroise veut que la splendeur se dise métaphoriquement en Dieu. Mais cela n’a pas grande importance car, quelle que soit la réalité à laquelle il s’applique, le nom de "lumière" se réfère à une manifestation, que celle-ci soit dans l’ordre intelligible ou dans l’ordre sensible. Si donc on compare la manifestation intelligible et la manifestation sensible, le nom de "lumière" se rencontre, selon l’ordre de nature 2, en premier lieu à propos des réalités intelligibles, tandis que selon l’ordre génétique, c’est en premier lieu à propos des réalités sensibles. Et c’est pourquoi, si nous considérons la nature même de la manifestation, nous parlerons de lumière en premier lieu dans les réalités intelligibles, plutôt que dans les réalités sensibles; mais si nous considérons notre manière de nommer, c’est l’inverse.
1. Tract, in Ioann., 1, 18, BA 71, pp. 165 ss. 136


97. Pour bien comprendre ces paroles: ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES, il faut savoir qu’il y a divers degrés de vie. En effet, certains êtres comme les plantes vivent, mais sans lumière, en ce sens qu’ils sont dépourvus de toute connaissance; aussi leur vie n’est-elle pas lumière. D’autres au contraire, comme les animaux dépourvus de raison, vivent et connaissent; cependant leur connaissance, n’étant que sensible, ne porte que sur les réalités concrètes et matérielles, et c’est pourquoi ils ont la vie et la lumière, mais non LA LUMIERE DES HOMMES; enfin certains êtres vivent et connaissent non seulement les réalités [concrètes qui sont] vraies, mais ce qu’est la vérité elle-même. Telles sont les créatures douées d’intelligence, qui non seulement connaissent telle ou telle réalité [vraie] mais sont capables de connaître la vérité elle-même, par laquelle elles peuvent connaître toutes les réalités.

C’est pourquoi l’Evangéliste, parlant du Verbe, dit non seulement qu’Il est LA VIE, mais aussi qu’Il est LA LUMIERE, pour que tu comprennes qu’en lui la vie n’est pas sans connaissance; et il ajoute DES HOMMES, pour que tu n’imagines pas qu’il s’agit seulement de la connaissance sensible telle qu’elle se trouve chez les animaux dépourvus de raison.

98. Mais puisque cette lumière, c’est-à-dire le Verbe, est commune aux anges et aux hommes, il faut se demander pourquoi l’Evangéliste n’a pas dit: "Il était la lumière des hommes et des anges, ou des créatures douées d’intelligence", mais seulement: Il ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES.

A cela on peut répondre de deux manières. Chrysostome 3 dit que l’Evangéliste avait l’intention de nous transmettre ce que l’on peut connaître du Verbe dans son rapport au salut des hommes; c’est pourquoi, étant donné son intention, il rapporte [ce qu’il transmet de la connaissance du Verbe] davantage aux hommes qu’aux anges. Mais pour Origène 4, la participation de cette lumière revient aux hommes en tant qu’ils ont une nature douée d’intelligence; et, parce que "homme" est le nom d’une nature douée d’intelligence, il veut ici, par le nom "homme", entendre toute nature douée d’intelligence. En ce sens, ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES s’entend de toute créature douée d’intelligence; et c’est pourquoi l’Evangéliste, en disant IL ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES, a voulu dire: de toute nature douée d’intelligence.

99. Ces paroles expriment aussi la perfection et la dignité de la vie du Verbe, puisqu’il s’agit ici de la vie de l’intelligence.

En effet, puisqu’on appelle vivants les êtres qui se meuvent d’une manière ou d’une autre, on appelle vivants parfaits ceux qui se meuvent d’une manière parfaite.

Or se mouvoir d’une manière parfaite et au sens propre n’appartient, parmi les créatures inférieures, qu’à l’homme seul. Les autres en effet, même s’ils se meuvent d’eux-mêmes en vertu d’un principe intrinsèque, ne se meuvent cependant pas librement: [ils se meuvent] comme mus par un autre et déterminés à ceci ou à cela. Mais l’homme, étant maître de ses actes, se meut librement vers tout ce qu’il veut; aussi a-t-il une vie parfaite, et de même toute nature douée de raison ou d’intelligence.

Donc LA VIE du Verbe, qui est LA LUMIERE de la nature douée d’intelligence, est parfaite.
3. In Ioannem hom., 5, ch. 3; PG 59, col. 58.
4. Sur saint Jean, 2, § 141-143, pp. 301-303.


100. Remarquons aussi à quel point convient l’ordre de ce début du Prologue. En effet, dans l’ordre naturel des réalités, nous trouvons d’abord l’être, comme ce qu’il y a de plus commun, ensuite la vie et enfin l’intelligence. C’est donc à juste titre que l’Evangéliste, en nous décrivant le Verbe 5, affirme d’abord son être en disant: Dans le principe était le Verbe en second lieu sa vie: En Lui était la vie 6; enfin son intelligence: ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES.

C’est pourquoi, d’après Origène 7, l’Evangéliste attribue à juste titre la lumière à la vie, parce que la lumière ne peut être attribuée qu’au vivant.

101. Il faut cependant noter que l’on peut considérer la lumière, par rapport au vivant, de deux manières soit comme son objet, soit comme participée par lui. Cela est manifeste dans la vision sensible. L’oeil, en effet, connaît la lumière extérieure comme son objet, mais il faut, pour qu’il la voie, qu’il participe à une certaine lumière intérieure qui le rende apte et le dispose à voir la lumière extérieure.

Ainsi, ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES peut être compris de deux manières.

LA LUMIERE DES HOMMES peut être ici considérée comme l’objet que seuls les hommes peuvent regarder, parce que seule la créature douée d’intelligence peut la regarder, puisqu’elle seule est capable de la vision divine — Il nous a faits plus intelligents que les animaux de la terre, plus sages que les oiseaux du ciel 8; en effet, bien que les autres animaux connaissent les réalités [concrètes qui sont] vraies, l’homme seul connaît ce qu’est la vérité elle-même.

LA LUMIERE DES HOMMES peut encore être considérée comme participée. En effet, jamais nous ne pourrions contempler le Verbe Lui-même, la lumière elle-même, si l’homme n’avait en lui une participation [à cette lumière], qui est la partie supérieure de notre âme, c’est-à-dire cette lumière [qui est notre faculté] intellectuelle. C’est d’elle que parle le Psaume: Elle a été gravée sur nous (c’est-à-dire dans la partie supérieure de l’âme, à savoir la raison), la lumière de ton visage 9, c’est-à-dire de ton Fils, qui est ta face, par laquelle tu te révèles.
5. Jean 1, la.
6. Jean 1, 4a.
7. Sur saint Jean, 2, § 153, pp. 307-309.



ET LA LUMIERE BRILLE DANS LES TENEBRES, ET LES TENEBRES NE L’ONT PAS ETREINTE.

102. L’Evangéliste nous a parlé plus haut de la lumière; il traite ici de son rayonnement, et ses paroles peuvent s’interpréter de deux manières, selon les deux acceptions du mot" ténèbres".

En premier lieu, prenons "ténèbres" au sens où ce mot désigne l’indigence naturelle propre à l’esprit créé. En effet l’esprit est à la lumière dont parle ici l’Evangéliste ce que l’air est à la lumière du soleil; car bien qu’il soit capable d’être illuminé par le soleil, l’air en lui-même est ténèbre. De même l’esprit créé, bien qu’il soit capable de cette lumière, est cependant, en tant que créé et considéré en lui-même, ténèbre. En ce sens les paroles de l’Evangéliste s’entendent ainsi: LA LUMIERE, c’est-à-dire cette VIE QUI EST LA LUMIERE DES HOMMES, BRILLE DANS LES TENEBRES, c’est-à-dire dans les âmes et les esprits créés, répandant sa lumière sur tous, comme en témoigne l’interrogation de Job: Pourquoi la lumière a-t-elle été donnée aux malheureux et la vie à ceux dont l’âme est remplie d’amertume (...), à l’homme dont la route est cachée? 10
8. Jb 35, 11.
9. Ps 4, 7.
10. Jb 3, 20-23.





MAIS LES TENEBRES NE L’ONT PAS ETREINTE,

C’est-à-dire n’ont pu la contenir. En effet, on dit que quelque chose est étreint quand on en circonscrit parfaitement les limites et qu’on les embrasse totalement du regard. Or, comme le dit Augustin, atteindre Dieu par l’esprit est une grande béatitude, mais L’étreindre est impossible. Ainsi les ténèbres, bien qu’elles atteignent à la lumière, ne peuvent cependant l’étreindre — Oui, Dieu est grand, Il surpasse notre science 11; Tu es grand dans tes conseils et incompréhensible dans tes pensées 12.

103. En second lieu, on peut prendre "ténèbres" au sens où, selon Augustin, ce terme désigne la folie qui affecte naturellement 13 les hommes — J’ai vu que la sagesse a autant d’avantages sur la folie que la lumière sur les ténèbres 14, On est fou, insensé, du fait que l’on est privé de la sagesse divine.

De même, donc, que les esprits des sages sont lumineux en raison de leur participation à cette lumière et sagesse divine, de même les esprits sont ténèbres du fait qu’ils en sont privés. Si donc certains esprits sont ténébreux, cela n’est pas dû à une indigence de la part de cette lumière car, pour ce qui la concerne, elle BRILLE DANS LES TENEBRES et illumine tous les esprits; mais si les insensés sont privés de cette lumière, c’est parce que LES TENEBRES NE L’ONT PAS ETREINTE, c’est-à-dire [les insensés] ne l’ont pas saisie, incapables qu’ils étaient, à cause de leur folie, de participer à elle, ou plutôt parce que, une fois élevés jusque-là, ils n’en ont eu cure — A ceux qu’enfle la démesure, c’est-à-dire aux orgueilleux, Il cache la lumière, c’est-à-dire la lumière de sagesse, et Il annonce à son ami que la lumière est son partage et qu’il peut s’élever vers elle 15; Ils n’ont pas connu la voie de la sagesse et ne se sont pas souvenu de ses sentiers 16, Cependant, bien que certains esprits soient ténébreux, c’est-à-dire privés de la sagesse savoureuse et lumineuse, aucun pourtant n’est ténébreux au point de ne participer en rien à la lumière divine. En effet, toute vérité connue par qui que ce soit est due totalement à la participation de cette LUMIERE QUI BRILLE DANS LES TENEBRES; car "tout vrai, quel que soit celui qui le dise, vient du Saint-Esprit" 17, Et cependant LES TENEBRES c’est-à-dire les hommes ténébreux, NE L’ONT PAS ETREINTE comme vérité plénière.

C’est ainsi qu’Origène 18 et Augustin 19 interprète ce verset.
11. Jb 36, 26.
12. Jr 32,19.
13. Tract, in J 1, 19; BA 71, pp. 167. 169. Il ne s’agit pas ici de la nature prise comme telle, mais de l’état de corruption qui affecte naturellement l’homme en raison du péché originel. On peut donc dire que l’homme est naturellement insipiens en raison de cet état de corruption, conséquence du péché. Cela est tout à fait évident si l’on se réfère au texte de saint Augustin.
14. Qo 2, 13.
15. Jb 36, 32-33. Cf. ci-dessus, n° 11, note 41.
16. Bar 3, 23.
17. Pierre LOMBARD, Collect. in Epist. Pauli (Glossa), In 1 Co; PL 191, col. 1651 A; Cf. PSETJDO-AMBROISE, Super 1 Co, 12, 3; PL 17, col. 245 B.
18. Sur saint Jean, 2, § 160, p. 315.
19. Tract, in J 1, 19, p. 168.




II

LE DON DE LA GRÂCE

104. On peut encore entendre ces versets comme exprimant la communication de la grâce par laquelle le Christ illumine, et cela est en continuité avec ce que disait précédemment l'Evangéliste. En effet, celui-ci a parlé plus haut de la création par le Verbe; ici il traite de la re-création, par le Christ, de la créature douée d’intelligence.

[4b] ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES

ET LA VIE, celle du Verbe, ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES, de tous les hommes et non seulement des Juifs, car le Fils de Dieu assumant la chair est venu dans le monde pour illuminer tous (les hommes] — pour autant que cela dépendait de Lui — par la grâce et la vérité — Si je suis né et si je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité 20; Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde 21. C’est pourquoi Jean ne dit pas "la lumière des Juifs" parce que, bien qu’au début Il ait été seule ment connu en Judée 22, par la suite cependant Il se fit connaître au monde entier — Je t’ai donné comme lumière aux nations pour que tu sois mon salut jus qu’aux extrémités de la terre 23.

C’est encore à juste titre qu’il unit la lumière et la vie en disant ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES, pour montrer que l’une et l’autre, la lumière et la vie, nous sont venues par le Christ: la vie, par la participation à la grâce — La grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ 24 — ; la lumière, par la con naissance de la vérité et de la sagesse.
20. Jean 18, 37.
21. Jean 9, 5.
22. Ps 75, 2.
23. Isaïe 49, 6.



ET LA LUMIERE BRILLE DANS LES TENEBRES, ET LES TENEBRES NE L’ONT PAS ETREINTE.

105. Ces paroles peuvent, selon cette interprétation, s’entendre de trois manières, suivant les trois acceptions possibles du mot "ténèbres".

Les "ténèbres" peuvent signifier la peine. En effet on peut appeler "ténèbres" toute tristesse et toute affliction du coeur, et "lumière" toute joie — Si je suis assis dans les ténèbres 25, c’est-à-dire dans l’affliction, le Seigneur est ma lumière, c’est-à-dire ma joie et ma consolation.

C’est pourquoi, suivant cette acception, Origène dit que LA LUMIERE qui BRILLE DANS LES TENEBRES, c’est le Christ qui vient dans le monde avec un corps capable de souffrir et exempt de péché, dans une chair semblable à celle du péché 26; Il a brillé dans la chair, cette chair du Christ qui, en tant qu’elle est semblable à celle du péché, est dite ténèbres. Ainsi, la lumière qui a brillé dans le monde, c’est le Verbe de Dieu caché par le voile 27 des ténèbres de la chair — Je cacherai le soleil par des nuages 28.

106. En un second sens, les "ténèbres" peuvent signifier les démons, selon l’Epître aux Ephésiens: Nous n’avons pas à lutter contre la chair et la sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les dominations de ce monde de ténèbres 29. Suivant cette acception l’Evangéliste dit: LA LUMIERE BRILLE DANS LES TENEBRES, autrement dit le Fils de Dieu est descendu dans le monde où dominaient les ténèbres, c’est-à-dire les démons — C’est maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors 30. ET LES TENEBRES — les démons — NE L’ONT PAS ETREINTE, c’est-à-dire qu’ils n’ont pu obscurcir la lumière, le Christ, en Le tentant, comme on peut le voir en saint Matthieu 31.
24. Jean 1, 17.
25. Mic 7, 8.
26. Ro 8, 3.
27. He 10, 20.
28. Ez 32, 7.


107. Enfin les "ténèbres" peuvent signifier les erreurs ou les ignorances dont le monde entier était rempli avant la venue du Christ, comme le dit l’Apôtre: Autrefois vous étiez ténèbres 32.

Il dit donc: LA LUMIERE, c’est-à-dire le Verbe de Dieu incarné, BRILLE DANS LES TENEBRES, c’est-à-dire dans le monde, qui désigne ici les hommes du monde obscurcis par les ténèbres de l’erreur et de l’ignorance Il est venu nous visiter d’en haut, le soleil levant, pour illuminer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort 33. Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière 34.

ET LES TENEBRES NE L’ONT PAS ETREINTE, c’est-à-dire n’en ont pas été victorieuses. En effet, aussi loin que soient allés les hommes, obscurcis par leurs péchés, aveuglés par la jalousie, enténébrés par l’orgueil, dans leur combat contre le Christ (comme on peut le voir dans l’Evangile), en Le chargeant d’opprobre, en Le couvrant d’injures et d’affronts et enfin en Le tuant, cependant ils NE L’ONT PAS ETREINT, c’est-à-dire ils ne L’ont pas vaincu en obscurcissant sa lumière, et son éclat n’en a que brillé davantage dans le monde entier — Comparée à la lumière [la Sagesse] l’emporte sur elle, car la lumière fait place à la nuit, mais la malice, c’est-à-dire celle des Juifs et des hérétiques, ne prévaut pas contre la Sagesse 35, c’est-à-dire le Fils de Dieu incarné; car, comme il est dit au livre de la Sagesse, Un rude combat lui a été ménagé, pour qu’il vainquît et qu’il sût que la Sagesse est plus puissante que tout 36.
29. Eph. 6, 12.
30. Jean 12, 31.
31. Mt 4, 1-11.
32. Eph 5, 8.
33. Lc 1, 78-79.
34. Isaïe 9, 2.
35. Sg 7,30.
36. Sg 10,12.




Jean 1, 6-8: LE TEMOIN DU VERBE INCARNE

4

108. Plus haut, l’Evangéliste a traité de la divinité du Verbe [n° 1 à 3]; il commence maintenant à traiter de son Incarnation. A ce sujet, il parle d’abord du témoin du Verbe incarné, c’est-à-dire du Précurseur [c'est l’objet de la présente leçon]; il parlera ensuite de l’avènement du Verbe, quand il dira: Il était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde [n° 124]. Jean décrit en premier lieu le Précurseur comme venant pour témoigner; en second lieu il le montre comme ne suffisant pas à sauver [n° 122].



I

£[6-7] IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU; SON NOM ETAIT JEAN. IL VINT COMME TEMOIN, POUR REN DRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI.

L’Evangéliste fait connaître le Précurseur sous quatre aspects: il précise la condition de sa nature: IL Y EUT UN HOMME; son autorité: ENVOYE DE DIEU [n° 111]; son aptitude à accomplir sa mission: SON NOM ETAIT JEAN [n° 114]; enfin la dignité de cette mission: CELUI-CI VINT COMME TEMOIN, POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI [n° 115].

109. Remarquons tout d’abord que l'Evangéliste n’a plus la même façon de s’exprimer dès qu’il commence à parler d’un événement qui se passe dans le temps. En effet, jusqu’ici, parlant des réalités éternelles, il employait le verbe être à l’imparfait; il montrait par là que l’éternité est sans terme; mais maintenant, puisqu’il parle des réalités temporelles, il emploie le verbe être au passé simple, pour montrer qu’elles ont eu lieu de telle sorte qu’elles sont terminées.

IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU

110. L’Evangéliste commence ici par écarter une fausse opinion des hérétiques sur la condition ou la nature de Jean. A cause de la parole du Seigneur à son sujet: C’est de lui qui est écrit: Voici que j’envoie mon ange devant ta face 1, ils pensèrent que Jean était de nature angélique. Ce qu’exclut l'Evangéliste en disant: IL Y EUT UN HOMME par nature et non un ange — On sait ce qu’est un homme: il ne peut s’attaquer en justice à plus fort que lui 2.Du reste, il convient que ce soit un homme qu’on envoie à des hommes, car ceux-ci sont davantage attirés par un de leurs semblables — La Loi établit grands-prêtres des hommes sujets à la faiblesse 3. En effet, Dieu pouvait gouverner les hommes par des anges, mais Il a préféré le faire par des hommes, afin que leur exemple les instruisît davantage. Voilà pourquoi Jean fut un homme et non un ange.

111. Ensuite l’Evangéliste fait connaître Jean par son autorité: Il fut ENVOYE DE DIEU. Si Jean ne fut pas un ange quant à la nature, il le fut cependant quant à la fonction, car il fut envoyé par Dieu. En effet, la fonction propre des anges est d’être les envoyés de Dieu et ses messagers: Ne sont-ils pas tous des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service 4? C’est pourquoi "ange" traduit "envoyé". Les hommes, envoyés par Dieu pour annoncer quelque chose, peuvent donc être appelés "anges" — Aggée, ange parmi les anges du Seigneur 5, c’est-à-dire messager parmi les messagers du Seigneur, parla en ces termes au peuple selon le message du Seigneur. Mais pour que quelqu’un rende témoignage à Dieu, il faut qu’il soit envoyé par Lui — Comment prêcheront-ils, s’ils ne sont pas envoyés? 6 Et envoyés par Dieu, ils ne doivent pas chercher leurs intérêts, mais ceux de Dieu — Car ce n’est pas nous-mêmes que nous prêchons, mais le Christ Jésus notre Seigneur 7. Celui, en revanche, qui est envoyé non par Dieu mais par lui-même, cherche ses intérêts ou ceux des hommes, mais non pas ceux du Christ. Aussi l’Evangéliste dit-il ici: IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU, pour que tous comprennes que Jean n’a rien annoncé que de divin, qu’il n’a rien annoncé d’humain.
1. Mt 11, 10 et cf. Mc 1, 2, citant Mal 3, 1.
2. Qo 6, 10 b.
3. He 7, 28.
4. He 1, 14.


112. Remarquons qu’il y a trois sortes d’envoyés de Dieu. Certains le sont par une inspiration intérieure — Et maintenant le Seigneur m’a envoyé, ainsi que son Esprit 8, ce qui revient à dire: je suis envoyé de Dieu par une inspiration intérieure de l’Esprit. D’autres sont envoyés par une vision claire et manifeste, soit corporelle soit imaginaire — J’entendis la voix du Seigneur disant: "Qui enverrai-je? Quel sera notre messager? Je répondis: "Me voici, envoie-moi." 9 Enfin on peut être envoyé par l’injonction d’un supérieur qui tient en cela la place de Dieu — Si j’ai pardonné, c’est par amour pour vous, au nom du Christ 10. C’est pourquoi ceux qui sont envoyés par un supérieur sont envoyés par Dieu, comme Barnabé et Timothée furent envoyés par l’Apôtre Paul.
5. Ag 1, 13.
6. Ro 10, 15.
7. 2 Co 4, 5.
8. Isaïe 48, 16.
9. Isaïe 6, 8.
10. 2 Co 2, 10.


Lorsque l’Evangéliste dit ici: IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU, il faut comprendre que ce fut par une inspiration intérieure; ou peut-être Jean fut-il envoyé par Dieu sur une [vision] extérieure [comme pourraient le suggérer ces paroles]: Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit: Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est Lui qui baptise dans l’Esprit Saint 11.

113. Quand l’Evangéliste dit: IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU, il ne faut pas non plus l’entendre à la manière de certains hérétiques, pour qui les âmes des hommes ont été créées avec les anges dès le commencement, mais ne sont envoyées dans le corps qu’au moment de la naissance; de sorte que, d’après eux, [l'Evangéliste voudrait dire que] Jean fut envoyé à la vie, c’est-à-dire que son âme fut envoyée dans son corps. En réalité, il faut comprendre que Jean fut envoyé pour baptiser et prêcher.


SON NOM ETAIT JEAN.

114. L’Evangéliste fait ici connaître Jean par ce qui le rendait apte à remplir sa mission.

En effet, la mission du témoin requiert une aptitude. Car si le témoin est inapte, il a beau être envoyé par un autre, son témoignage est insuffisant. Or, c’est par la grâce de Dieu que l’on est rendu apte à accomplir une fonction — C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis 12 C’est Dieu qui nous a rendus capables d’être les ministres de la nouvelle alliance 13. L’Evangéliste indique donc fort à propos l’aptitude du Précurseur en disant: SON NOM ETAIT JEAN, nom qui signifie "en qui est la grâce". Ce nom ne lui fut pas donné en vain, mais selon la préordination divine avant même sa naissance: Et tu lui donneras le nom de Jean, avait dit l’ange à Zacharie 14 C’est pourquoi il peut dire: Le Seigneur m’a appelé dès le sein de ma mère 15, et: Celui qui sera, déjà est nommé 16. C’est ce que l’Evangéliste montre aussi par sa manière de s’exprimer lorsqu’il dit ETAIT, ce qui se réfère à la préordination de Dieu.
11. Jean 1, 33.
12. 1 Corinthiens 15, 10.
13. 2 Co 3, 6.



£[7] IL VINT COMME TEMOIN, POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI.

115. L’Evangéliste, enfin, nous fait connaître Jean par la dignité de sa mission. Il dit: IL VINT COMME TEMOIN — voilà sa mission —, POUR RENDRE TE MOIGNAGE A LA LUMIERE — voilà en quoi consiste cette mission.

116. La mission de Jean-Baptiste est donc de témoigner. Ici, il faut remarquer que tout ce que Dieu fait — qu’il s’agisse des hommes ou de ses autres oeuvres — Dieu le fait pour Lui-même — Le Seigneur a fait toutes ces choses pour Lui-même 17; non certes pour s’ajouter à Lui-même quelque chose, car Il n’a pas besoin de nos biens 18, mais pour manifester sa bonté en toutes ses oeuvres, en ce sens que par elles sont rendues visibles à l’intelligence (...) sa puissance éternelle et sa divinité 19. Toute créature devient donc témoin de Dieu, puisque toute créature est un certain témoignage de la bonté divine. Ainsi la grandeur de la création est un témoignage de la toute-puissance divine; sa beauté, un témoignage de la sagesse divine. Mais certains hommes sont l’objet d’un dessein de Dieu d’une manière spéciale; de sorte que non seulement matériellement, en tant qu’ils sont, mais encore par leurs oeuvres bonnes, ils rendent témoignage à Dieu. C’est pourquoi tous les saints sont les témoins de Dieu dans la mesure où, par leurs oeuvres bonnes, Dieu est glorifié devant les hommes — Que brille votre lumière devant les hommes, en sorte qu’ils voient vos oeuvres bonnes et glorifient votre Père qui est dans les cieux 20.Cependant, ceux qui, non seulement participent aux dons de Dieu en eux-mêmes en faisant le bien par la grâce de Dieu, mais encore transmettent ces dons aux autres par leur enseignement, leur influence et leurs exhortations, sont plus spéciale ment les témoins de Dieu — Quiconque invoque mon nom, je l’ai créé pour ma gloire 21 Jean vint donc pour témoigner, c’est-à-dire pour transmettre aux autres les dons de Dieu et annoncer sa louange.
14. Luc 1, 13.
15. Isaïe 49, 1.
16. Qo6, 10a.
17. Prov 16, 4.
18. Ps 15, 2.
19. Ro 1, 20.
20. Mt 5, 16.
21. Isaïe 43, 7.


117. Or cette mission de Jean, cet office de témoin, est très grand, car on ne peut témoigner de quelque chose que dans la mesure où on y participe — Nous parlons de ce que nous savons, et nous attestons ce que nous avons vu 22. C’est pourquoi rendre témoignage à la vérité divine indique que l’on connaît cette vérité. De là vient que le Christ aussi eut cette mission: Si je suis né, et si je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité. Mais autre est le témoignage du Christ, autre celui de Jean-Baptiste, parce que autre est en chacun d’eux la connaissance de la vérité 23. Le Christ, en effet, témoignage comme la lumière même qui embrasse tout, bien plus, comme la lumière même subsistante; tandis que Jean témoigne comme celui qui ne fait que participer à la lumière. C’est pourquoi le Christ rend parfaitement témoignage et manifeste parfaitement la vérité, tandis que Jean et les autres saints ne le font que dans la mesure où ils participent à cette vérité divine.

Grande est donc la mission de Jean, et par la participation à la lumière divine, et par sa similitude avec le Christ qui a rempli cette même mission. Voici que je l’ai donné pour témoin aux peuples, pour chef et pour maître aux païens 24.
22. Jean 3, 11.
23. Jean 18, 37.


118. L’Evangéliste précise ensuite en quoi consiste cette mission. Il dit: IL VINT POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE.

Ici, il faut savoir que l’on peut témoigner de quel que chose pour deux raisons: soit à cause de la réalité même dont on témoigne, par exemple si elle est douteuse et incertaine, soit à cause des auditeurs, par exemple s’ils ont le coeur dur et lent à croire. En ce qui concerne Jean, s’il est venu rendre témoignage, ce n’est pas à cause de la réalité elle-même dont il témoignait, puis qu’elle était la lumière. Aussi l’Evangéliste dit-il: IL VINT RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE, c’est-à-dire non pas à une réalité obscure, mais à une réalité manifeste. S’il vint témoigner, c’est donc à cause de ceux pour qui il témoignait, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI, c’est-à-dire par Jean. En effet, comme la lumière est non seulement visible en elle-même et par elle-même, mais rend encore visible tout le reste, ainsi le Verbe de Dieu n’est pas seulement lumière en Lui-même: Il est aussi Celui qui manifeste [fait connaître] tout ce qui est manifesté. Car tout être se manifeste et se fait connaître par sa forme. Or toutes les formes sont par le Verbe, qui est l’Idée contenant parfaitement ce que sont les vivants: Il est donc non seulement la lumière en soi, mais encore la lumière qui manifeste toutes choses — Tout ce qui est manifesté est lumière 25. Et l’Evangéliste appelle à juste titre le Fils "LUMIERE de Dieu", car la LUMIERE est venue pour éclairer les nations 26. Or, plus haut, Jean a appelé le Fils "Verbe de Dieu", [VERBE] par lequel le Père se dit Lui-même et [dit] toute créature. C’est pourquoi, comme le Fils est à proprement parler la LUMIERE des hommes, et que l’Evangéliste en parle ici comme de Celui qui est venu pour opérer le salut de l’homme, c’est à juste titre que, pour parler du Fils, il cesse ici de se servir du nom de Verbe, et emploie le mot LUMIERE.

119. Mais si cette lumière suffit par elle-même à manifester toutes choses, et non pas seulement elle-même, que lui manquait-il pour qu’il y ait témoignage? Les témoignages de Jean et des prophètes au sujet du Christ ne seraient donc pas nécessaires?

Je réponds que cette objection est celle des Manichéens, qui veulent, réduire à rien ces témoignages. Aussi les saints apportent-ils contre eux de nombreuses raisons pour expliquer que le Christ ait voulu le témoignage des prophètes.

Origène donne trois raisons 27.

D’abord, Dieu veut avoir des témoins, non qu’Il ait besoin Lui-même de leur témoignage, mais pour ennoblir ceux dont Il fait ses témoins. C’est ce que nous voyons également dans l’ordre de l’univers: Dieu produit certains effets par des causes secondes, non qu’Il soit impuissant à les produire immédiatement, mais parce qu’Il daigne, pour les ennoblir, communiquer à ces causes secondes la dignité de la causalité. Ainsi donc, Dieu aurait pu par Lui-même illuminer tous les hommes et les amener à la connaissance de Lui-même; cependant, pour préserver l’ordre qui doit être dans le monde et ennoblir certains hommes, Il a voulu que la connaissance divine parvînt aux hommes par d’autres hommes — Vous êtes vraiment mes témoins, dit le Seigneur 28.

La seconde raison pour laquelle le Christ voulut avoir des témoins, c’est qu’Il illumina le monde par des miracles: or ceux-ci, parce qu’ils furent opérés dans le temps, passèrent avec le temps, de sorte qu’ils n’ont pas atteint tous les hommes. Mais les paroles des prophètes, confiées à l’Ecriture, pouvaient parvenir non seulement à ceux qui étaient présents, mais encore aux hommes à venir. Le Seigneur voulut donc que les hommes viennent à la connaissance du Verbe par le témoignage des prophètes: ainsi, non seulement ceux qui étaient présents, mais aussi ceux qui viendraient ensuite seraient illuminés à son sujet; aussi l’Evangéliste dit-il expressément: AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI, non seulement ceux qui étaient présents, mais encore les hommes à venir.

La troisième raison, c’est que les conditions des hommes sont différentes, et qu’ils sont conduits et dis posés de diverses manières à la connaissance de la vérité. En effet, certains sont amenés à la connaissance de la vérité plutôt par les signes et les miracles; d’autres au contraire plutôt par la sagesse. Voilà pourquoi les Juifs demandent des signes et les Grecs sont en quête de la sagesse 29. Pour montrer à chacun une voie de salut, le Seigneur voulut donc ouvrir l’une et l’autre voie, celle des signes et celle de la sagesse. Ainsi, ceux qui ne seraient pas conduits à la voie du salut par les miracles opérés dans l’Ancien et le Nouveau Testament, pourraient du moins parvenir à la connaissance de la vérité 30 par la voie de la sagesse, exposée par les prophètes et les autres livres de l’Ecriture sainte.

Jean Chrysostome 31 donne une quatrième raison les hommes d’intelligence faible ne peuvent saisir en elles-mêmes la vérité et la connaissance de Dieu. Pour se mettre à leur portée, Dieu a voulu illuminer certains hommes plus que les autres sur les mystères divins; de la sorte, les faibles reçoivent d’eux, d’une manière humaine, la connaissance des mystères divins qu’ils n’avaient pas en eux-mêmes la possibilité d’atteindre. C’est pourquoi l’Evangéliste dit AFIN QUE TOUS CRUS SENT PAR LUI, c’est-à-dire: IL VINT COMME TEMOIN, non pas à cause de LA LUMIERE, mais à cause des hommes, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI.

Ainsi il est clair que les témoignages des prophètes sont convenables; aussi devons-nous les recevoir, car ils nous sont nécessaires pour connaître la vérité.
25. Eph 5, 14.
26. Luc 2, 32.
27. Sur saint Jean, 2, § 199 ss., pp. 345 ss.
28. Isaïe 43, 10.
29. 1 Corinthiens 1, 22.
30. Cf. 1 Tm 2, 4.


120. L’Evangéliste dit AFIN QU’ILS CRUSSENT, parce qu’il y a deux modes de participation à la lumière divine. L’un, parfait, qui a lieu dans la gloire — Dans ta lumière, nous verrons la lumière 32; l’autre, imparfait, que donne la foi, et c’est pour cela qu’IL VINT COMME TEMOIN. A propos de ces deux modes, l’Apôtre dit: Nous voyons maintenant dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face; et encore: Maintenant je connais d’une manière partielle, mais alors je connaîtrai comme je suis connu 33. De ces deux modes, celui de la participation par la foi précède l’autre, parce que c’est par lui qu’on parvient à la vision — Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas 34. Et l’Apôtre Nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés de clarté en clarté en cette même image 35, c’est-à-dire celle que nous avons perdue. La Glose explique "De la clarté de la foi à la clarté de la vision 36".
31. In Ioannem hom., 6, PG 59, col. 61.
32. Ps 35, 10 b.
33. 1 Corinthiens 13, 12.
34. Isaïe 7, 9.


L’Evangéliste dit donc: AFIN QUE TOUS CRUS SENT PAR LUI; car ce n’est pas "afin que tous aussitôt voient Dieu parfaitement", mais afin que, croyant d’abord par la foi, ils arrivent plus tard à jouir de la vision dans la patrie.

121. Si l’Evangéliste dit PAR LUI, c’est pour montrer la différence entre Jean-Baptiste et le Christ. Le Christ en effet est venu afin que tous crussent par Lui et en Lui: Celui qui croit en moi, de son sein couleront des fleuves d’eau vive 37. Tandis que Jean est venu afin que tous crussent, non certes en lui, mais dans le Christ, PAR LUI.

On objectera sans doute que tous ne crurent pas par lui. Si donc il est venu AFIN QUE TOUS CRUS SENT PAR LUI, il est venu en vain. A cela je réponds que, autant qu’il dépend de Dieu qui envoya et de Jean qui vint, tous eurent à leur portée un moyen suffisant pour parvenir à la foi; mais que, si tous ne crurent pas, ce fut par la faute de ceux qui décidèrent de tenir leurs yeux baissés vers la terre 38, et ne voulurent pas voir la lumière.


II

IL N’ETAIT PAS LA LUMIERE, MAIS IL DEVAIT £[81 RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE.

122. Jean, sur qui on a tant dit et qui fut envoyé par Dieu, est certes grand; néanmoins sa venue ne suffit pas aux hommes pour le salut; car le salut de l’homme consiste à participer à la lumière elle-même. Si donc Jean avait été la lumière, sa venue aurait suffi aux hommes pour le salut; mais lui-même n’était pas la lumière, et c’est pourquoi l’Evangéliste dit: IL N’ETAIT PAS LA LUMIERE. Par suite, la lumière était nécessaire, elle qui devait suffire aux hommes pour le salut.

Ou encore: Jean, on l’a dit, VINT POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE. Or le témoin possède d’ordinaire une autorité plus grande que celui à qui il rend témoignage. L’Evangéliste dit donc ici: IL N’ETAIT PAS LA LUMIERE, MAIS IL DEVAIT RENDRE TE MOIGNAGE A LA LUMIERE, pour qu’on ne croie pas que Jean eût une plus haute autorité que le Christ. Il rend témoignage en effet non parce qu’il est plus grand, mais parce qu’il est plus connu, bien qu’il soit plus petit.

123. Mais une question se pose à propos de ce que dit l’Evangéliste: IL N’ETAIT PAS LA LUMIERE. Car on lit en un sens contraire: Autrefois vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur 39 et: Vous êtes la lumière du monde 40. Ainsi, Jean et les Apôtres, et tous les hommes bons, sont lumière. Je réponds: certains disent que Jean n’était pas "la lumière", avec l’article, car cela est propre à Dieu seul; mais que si l’on prend "lumière" sans article, Jean et tous les autres saints sont lumière. Ce qui peut s’expliciter ainsi le Fils de Dieu est la lumière par essence, mais Jean l’est par participation. Et donc, parce que Jean participait à la vraie lumière, il était vraiment apte à RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE: en effet le feu est manifeste de manière plus appropriée par quelque chose d’enflammé que par tout autre chose, et de même la couleur par le coloré.
35. 2 Co 3, 18.
36. Voir la Glossa ordinaria attribuée à Walafrid Strabon, PL 114, col. 556 "... de la gloire de la foi, où nous sommes fils de Dieu, à la gloire de la vision (speciei), où nous Lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel qu’Il est (1Jn 3,2)". Même texte dans P. LOMBARD, Collectanea in Epist. S. Pauli, PL 192, col. 28.
37. Jean 7, 38.
38. Ps 16, 11.
39. Eph 5, 8.
40. Mt 5, 14.




Jean 1, 9-10: LA NECESSITE DE LA VENUE DU VERBE

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Thomas sur Jean 3