Thomas sur Jean 7

7Jn 1,14

165. L’Evangéliste vient de montrer la nécessité et l’avantage qui a résulté pour les hommes de la venue du Verbe dans la chair; il explique maintenant comment s’est réalisée cette venue: ET LE VERBE S’EST FAIT CHAIR, ET IL A HABITE PARMI NOUS.

C’est la suite des paroles précédentes: Il est venu chez Lui 1, et c’est comme si Jean affirmait: le Verbe de Dieu est venu chez Lui. Mais pour qu’on ne croie pas que cette venue implique un changement de lieu, l’Evangéliste montre comment Il est venu: en se faisant chair; en effet Il est venu de la manière dont Il a été envoyé par le Père, et Il a été envoyé par le Père en étant fait chair — Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme 2; ce qui fait dire à Augustin: "Tel Il a été fait, tel Il a été envoyé".




 ET LE VERBE S’EST FAIT CHAIR

Pour Jean Chrysostome 3, ces paroles se relient à celles-ci: A tous ceux qui L’ont reçu, Il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu. En effet, l’Evangéliste a dit: Il leur a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu 4; et parce qu’on pourrait se demander d’où vient ce pouvoir, il répond en ajoutant avec raison que LE VERBE S’EST FAIT CHAIR; autrement dit, le fait même que le Verbe se soit fait chair nous a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu — Dieu a envoyé son Fils né d’une femme (...) pour faire de nous ses fils adoptifs.
1. Jean 1, 11.
2. Ga 4, 4.
3. In Ioannem hom., 11, ch. 1, PG 59, col. 78-79.
4. Jean 1, 12.




Cependant, pour Augustin 5 qui les rattache aux paroles précédentes nés de Dieu, ces mots sont comme un argument pour convaincre ceux qui trouveraient dur de croire que les hommes sont nés de Dieu; pour que l’on croie que c’est bien vrai, l’Evangéliste ajoute une autre assertion encore moins vraisemblable: LE VERBE S’EST FAIT CHAIR. Autrement dit: ne t’étonne pas si des hommes sont nés de Dieu, puisque le VERBE S’EST FAIT CHAIR, c’est-à-dire: Dieu s’est fait homme.

166. Remarquons que certains, comprenant mal cette affirmation LE VERBE S’EST FAIT CHAIR, en prirent prétexte à erreur.

En effet les uns affirmèrent que le Verbe s’était fait chair en ce sens qu’Il s’était changé en chair, Lui ou une partie de son être, tout comme de la farine devient du pain, ou de l’air se change en feu. Ce fut l’erreur d’Eutychès 6: il se fit dans le Christ, disait-il, une combinaison des deux natures, et en Lui la nature de Dieu et celle de l’homme étaient la même. La fausseté de cette opinion est manifeste, car l’Evangéliste dit plus haut: le Verbe était Dieu 7. Or Dieu est immuable, comme Il le dit Lui-même: Moi je suis Dieu et je ne change point 8. Il ne peut donc en aucune manière être changé en une autre nature. Aussi faut-il dire contre Eutychès 6: LE VERBE S’EST FAIT CHAIR; cela signifie qu’Il a pris la chair, et non que le Verbe Lui-même soit la chair elle-même. C’est comme si nous disions: "L’homme s’est fait blanc"; cela ne signifie rait pas que l’homme soit la blancheur elle-même, mais qu’il a pris la blancheur.
5. Tract. in Jo., 2, ch. 15, BA 71, pp. 203-205.
6. Eutychès, moine qui vivait à Constantinople au V siècle, fut condamné par le concile de Chalcédoine en 451 car il tenait pour hérétiques tous ceux qui admettaient deux natures dans le Christ. Avec Eutychès" apparaît l’hérésie dite monophysite; la tendance qu’elle incarne, symétrique et à l’opposé du nestorianisme, se laisse définir comme une insistance excessive à souligner ce qui dans l’Incarnation relève de Dieu, et cela au détriment de l’élément proprement humain. (...) L’accusation principale sera d’avoir professé que si Notre Seigneur Jésus-Christ est bien formé "à partir de deux natures", s’il y a bien deux natures avant l’union, il n’en subsiste plus qu’une dans l’union" (cf. J. DiuuÉi. ou et H. MARROU, Nouvelle histoire de l’Eglise, Le Seuil, Paris 1963, t. 1, pp. 393-394).


167. D’autres, tout en croyant que le Verbe ne s’est pas changé en chair, mais qu’Il l’a prise, affirmèrent cependant qu’Il avait pris la chair sans âme; car, disaient-ils, s’Il avait pris une chair animée, l’Evangéliste aurait dit: "Le Verbe s’est fait chair animée". Telle fut l’erreur d’Arius 9: il disait que dans le Christ il n’y avait pas d’âme, mais que le Verbe de Dieu en tenait lieu.

La fausseté de cette thèse apparaît dans son opposition à l’Ecriture Sainte qui, en plusieurs endroits, fait mention de l’âme du Christ, par exemple en Matthieu où le Seigneur dit: Mon âme est triste jusqu’à la mort 10; de plus elle attribue au Christ des passions de l’âme qui ne peuvent en aucune façon se trouver dans le Verbe de Dieu, ni non plus dans la chair seule: Jésus commença à ressentir tristesse et angoisse 11. De plus, Dieu ne peut être la forme d’un corps: même un ange ne peut être uni à un corps à la manière d’une forme puisque, par nature, il est séparé de tout corps, tandis que l’âme est unie au corps en qualité de forme. Le Verbe de Dieu ne peut donc être la forme d’un corps. D’ailleurs il est certain que la chair ne reçoit son caractère propre de chair que par l’âme; c’est évident car, une fois séparée du corps d’un homme ou d’un boeuf, la chair de l’homme ou du boeuf ne peut être appelée chair que d’une manière équivoque. Si donc le Verbe n’a pas pris une chair animée, il est clair qu’Il n’a pas pris chair. Or LE VERBE S’EST FAIT CHAIR, donc Il a pris une chair animée.
7. Jean 1, 1.
8. Mal 3, 6.
9. Voir ci-dessus, n° 61, note 62.
10. Mt 26, 38.
11. Mt 26, 37. Cf. Mc 14, 33.


168. D’autres enfin, tenant compte de cet argument, affirmèrent que le Verbe a pris une chair avec une âme, certes, mais une âme seulement sensitive, et non spirituelle; car, pour eux, le Verbe tenait lieu de cette dernière dans le corps du Christ. Ce fut l’erreur d’Apollinaire 12 qui, un certain temps, suivit Arius; mais à cause de l’autorité des textes sacrés cités plus haut, il fut contraint, à la fin, d’admettre dans le Christ une âme capable d’être sujette à ces passions; cependant cette âme, disait-il, fut privée de raison et d’intelligence car le Verbe, dans l’homme-Christ, en tenait lieu.

Cette opinion est manifestement fausse, comme opposée à l’autorité de l’Ecriture, car celle-ci affirme du Christ certaines choses qui ne peuvent se trouver ni dans la divinité, ni dans l’âme sensitive, ni dans la chair. [On y lit par exemple] Entendant les paroles pleines de foi d’un centurion de Capharnaüm, Jésus fut dans l’admiration 13. Or l’admiration, étant le désir de connaître la cause cachée d’un effet vu, est une passion de l’âme rationnelle et spirituelle. Ainsi, comme la tristesse oblige contre Arius à admettre dans le Christ la partie sensitive de l’âme, de même l’admiration oblige à admettre dans le Christ la partie spirituelle de l’âme.
12. Apollinaire le Jeune, né vers 300 et mort vers 390, "enseignait une doctrine étrange selon laquelle le Verbe, en s’incarnant, n’aurait pas pris la nature humaine dans son intégrité, mais seulement le corps, se réservant de jouer lui-même le rôle de l’âme ou de l’esprit". Suspecté, il chercha à se tirer d’embarras par une division trichotomiste du composé humain (âme-esprit-corps) en disant que le Christ avait bien une âme mais pas d’esprit humain. Il découle de là que" l’Incarnation n’est pas la prise par le Verbe d’une humanité complète". (...) La rédemption n’est pas totale: ce qui est sauvé, c’est ce que le Verbe a assumé, c’est-à-dire la chair et l’âme mais non pas le noûs (...) Le Christ ne possède qu’une nature concrète; le corps assumé par le Verbe n’est pas par lui-même une nature, puisqu’il ne saurait exister indépendamment du Verbe qui le vivifie. De là la formule: une est la nature incarnée du Dieu Verbe" (cf. G. Bju art. Apollinaire le Jeune et Apollinarisme, in Catholicisme, 1, col. 706-709).




Le raisonnement le prouve également. De même en effet qu’il n’y a pas de chair sans âme, de même il n’y a pas de vraie chair humaine sans l’âme humaine, qui est une âme spirituelle. Par conséquent, si le Verbe a pris une chair animée d’une âme seulement sensitive, et non rationnelle, Il n’a pas pris une chair humaine et on ne peut pas dire Dieu s’est fait homme.

En outre, si le Verbe a assumé la nature humaine, c’est pour la restaurer. Il a donc restauré ce qu’Il a assumé. Si donc Il n’avait pas assumé l’âme rationnelle, Il ne l’aurait pas restaurée; et dans ce cas, aucun fruit ne nous proviendrait de l’Incarnation du Verbe, ce qui est faux. Donc LE VERBE S’EST FAIT CHAIR, c’est-à-dire Il a pris une chair animée d’une âme rationnelle.


LE VERBE S’EST FAIT" CHAIR"

169. Mais peut-être dira-t-on si le Verbe a pris une chair ainsi animée, pourquoi l’Evangéliste ne fait-il pas mention de l’âme rationnelle, mais seulement de la chair, disant LE VERBE S’EST FAIT CHAIR?

Voici la réponse. L’Evangéliste a agi ainsi pour quatre raisons.

D’abord afin de prouver la vérité de l’Incarnation contre les Manichéens. Ceux-ci disaient que le Verbe n’a pas pris une vraie chair, mais seulement une chair imaginaire, car il ne convenait pas que le Verbe du Dieu bon prît un corps, le corps étant pour eux une créature du diable. Aussi, pour empêcher cette erreur, l’Evangéliste a fait spécialement mention de la chair; comme le Christ Lui-même, aux disciples qui Le prenaient pour un fantôme, montra la vérité de sa résurrection en disant: Un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’en ai 14.
13. Mt 8, 10. Pour comprendre la manière dont saint Thomas définit l’admiration, rappelons que le verbe latin admirari signifie d’abord "s’étonner".
14. Luc 24, 39.




Ensuite l’Evangéliste a écrit: LE VERBE S’EST FAIT CHAIR pour faire connaître la grandeur de la bonté divine envers nous. Il est certain en effet que l’âme rationnelle est plus semblable à Dieu que la chair et certes, c’eût déjà été un grand mystère d’amour si le Verbe n’avait assumé qu’une âme humaine, qui Lui ressemble davantage; mais prendre une chair si éloignée de la simplicité de la nature divine fut le signe d’un bien plus grand amour encore, et même d’un amour inestimable, comme le dit l’Apôtre C’est sans contredit un grand mystère d’amour qui a été manifesté dans la chair 15. Donc, pour montrer cette vérité, l’Evangéliste a fait mention seulement de la chair.

En troisième lieu Jean a voulu montrer la vérité et le caractère unique de cette union dans le Christ. Assurément Dieu s’unit à d’autres hommes saints, mais à leur âme seulement; c’est pourquoi il est écrit: D’âge en âge la Sagesse se répand dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophètes 16. Mais que le Verbe de Dieu se soit uni à la chair, cela est propre au Christ, selon ce passage du Psaume: Pour moi, je suis seul, jusqu’à ce que je passe 17, et selon cette parole de Job: L’or ne peut lui être comparé 18. C’est le caractère unique de cette union dans le Christ que veut montrer l’Evangéliste en faisant mention seulement de la chair lorsqu’il dit: LE VERBE S’EST FAIT CHAIR.
15. 1 Tm 3, 16.
16. Sg 7,27.
17. Ps 140, 10.
18. Jb 28, 17.




Enfin, l'Evangéliste parle de la chair seule pour montrer que l’homme a été restauré de la manière qui convenait le mieux. C’est en effet par la chair que l’homme était rendu infirme; aussi l’Evangéliste, voulant prouver combien la venue du Verbe convenait à notre restauration, a fait mention spécialement de la chair, pour montrer que la chair infirme a été restaurée par la chair du Verbe; et c’est ce que l’Apôtre dit Ce qui était impossible à la Loi, que la chair rendait impuissante, Dieu l’a fait: envoyant pour le péché son propre fils dans une chair semblable à celle du péché et pour le péché, Il a condamné le péché dans la chair 19.


LE VERBE" S’EST FAIT" CHAIR.

170. On dira peut-être: si LE VERBE S’EST FAIT CHAIR parce qu’Il a pris chair, pourquoi l’Evangéliste n’a-t-il pas dit: "le Verbe a pris chair", au lieu de LE VERBE S’EST FAIT CHAIR? Je réponds qu’il s’est exprimé ainsi pour écarter l’erreur de Nestorius 20. Celui ci affirmait qu’il y avait deux personnes dans le Christ, et deux fils, et qu’en Lui, autre était le Fils de Dieu, autre le fils de la Vierge; c’est pourquoi il ne reconnais sait pas que la bienheureuse Vierge fût Mère du Fils de Dieu. Mais d’après cette opinion, ce qu’affirme l’Evangéliste en disant que Dieu s’est fait homme, serait faux, parce que, si deux réalités individuelles sont diverses par leur suppôt 21, il est impossible d’attribuer l’une à l’autre. C’est pourquoi si, dans le Christ, autre est la personne (ou le suppôt) du Verbe et autre la personne (ou le suppôt) de l’homme, la parole de l'Evangéliste LE VERBE S’EST FAIT CHAIR ne sera pas exacte. En effet, c’est pour être que quelque chose se fait; si donc le Verbe n’était pas homme, on ne pourrait pas dire qu’Il s’est fait homme. C’est pourquoi l’Evangéliste a dit expressément du Verbe qu’Il S’EST FAIT et non qu’Il" a assumé" la chair, pour montrer qu’Il ne s’est pas uni à la chair de la même manière qu’Il a pris les Prophètes, qui n’étaient pas assumés dans l’unité de la personne mais seulement en vue de l’acte prophétique. Au contraire, l’union du Verbe à la chair est telle que Dieu, elle Le fait homme et l’homme, elle le fait Dieu; c’est-à-dire qu’elle est telle que Dieu soit homme.
19. Ro 8, 3.
20. Nestorius, patriarche de Constantinople, condamné au concile d’Ephèse en 431, professait que la divinité n’était présente dans l’humanité du Christ" qu’à la façon dont elle l’était dans les prophètes, quoique plus parfaitement. Le point saillant de la controverse était son refus d’accepter qu’on donnât à Marie le nom de Mère de Dieu (en grec thé otokos), ce qui tendait au moins à faire penser qu’il y avait dans le Christ non seulement deux natures mais deux personnes distinctes, bien que Nestorius lui-même ne paraisse pas avoir voulu aller si loin" (cf. L. BOUYER, Dictionnaire théologique, Desclée, Tournai, 1963, art. Nestorianisme, pp. 458-459).
21. Le terme "suppôt" est premièrement un terme logique qui signifie ce qui est capable de recevoir un attribut; il est donc le sujet par excellence. Mais très souvent chez saint Thomas (comme ici), "suppôt" a le même sens que" personne". Il est donc pris en un sens métaphysique, comme ce qui subsiste dans une nature rationnelle.


171. Il y en eut d’autres qui, ne comprenant pas le mode de l’Incarnation, admirent que cette assomption se terminait vraiment à la personne, reconnaissant dans le Christ une unique personne à la fois divine et humai ne; et qui cependant disaient qu’il y avait en Lui deux hypostases, ou deux suppôts, l’un de la nature humaine, créé et temporel, l’autre de la nature divine, incréé et éternel. Telle est la première opinion qui est exposée dans les Sentences de Pierre Lombard 22.

Si l’on est attentif, il faut reconnaître que d’après cette opinion on ne peut pas maintenir que Dieu s’est fait homme et que l’homme s’est fait Dieu. Mais parce qu’on doit le maintenir, le cinquième concile oecuménique 23 a condamné cette opinion comme hérétique en ces termes: "Si quelqu’un dit qu’il y a dans le Seigneur Jésus-Christ une seule personne et deux hypostases, qu’il soit anathème". Aussi l’Evangéliste, pour exclure toute assomption qui ne se terminerait pas à l’unité de la personne, emploie l’expression S’EST FAIT.
22. III Sent., dist. 6.
23. il s’agit du 2e concile de Constantinople, en 553.




172. Mais si l’on cherche comment le Verbe est homme, on doit dire qu’Il est homme comme Socrate est homme, c’est-à-dire en ce sens qu’Il a la nature humaine. Le Verbe n’est pas la nature humaine elle-même; et le fait qu’Il ait été fait homme n’introduit pas de changement dans le Christ du côté du Verbe, mais du côté de la chair assumée à un moment donné du temps dans l’unité de la Personne. On dit en effet que le Verbe s’est fait chair à cause de l’union. Or l’union est une relation, et les relations attribuées nouvellement à Dieu par rapport aux créatures n’impliquent aucun changement du côté de Dieu, mais seulement du côté de la nature ayant avec Dieu un rapport nouveau.



II

ET IL A HABITE PARMI NOUS.

173. On peut comprendre de deux manières en quoi ce que Jean dit ici diffère de ce qui précède. L’Evangéliste nous a d’abord parlé de l’Incarnation du Verbe: LE VERBE S’EST FAIT CHAIR; ici il fait connaître le mode de l’Incarnation: ET IL A HABITE PARMI NOUS. Selon Chrysostome 24 et Hilaire 25, du fait que l’Evangéliste dit LE VERBE S’EST FAIT CHAIR, on pourrait comprendre que le Verbe s’est changé en chair et qu’il n’y a pas dans le Christ deux natures distinctes, mais une seule nature résultant du mélange des natures divine et humaine; c’est pourquoi l’Evangéliste, écartant cette interprétation, a ajouté ET IL A HABITE PARMI NOUS, c’est-à-dire dans notre nature, tout en demeurant cependant distinct dans la sienne: en effet, ce qui se change en un autre ne demeure pas distinct, et ce qui n’est pas distinct d’un autre n’habite pas en lui. Or le Verbe A HABITE dans notre nature, donc Il est distinct d’elle par sa propre nature. Et c’est pourquoi la nature humaine, en tant qu’elle fut distincte dans le Christ de la nature du Verbe, est dite demeure et temple du Dieu vivant: Mais Lui parlait du temple de son corps. 26
24. In Ioannem hom., 11, ch. 2, PG 59, col. 80.
25. De Trin., 10, eh. 22; PL 10, col. 359-360.
26. Jean 2, 21.


174. Bien que cela ait été dit par les saints nommés plus haut, il faut éviter de porter contre eux une accusation injuste. En effet, lorsque les anciens docteurs et les saints parlent contre une erreur redoutée, ils renchérissent de telle sorte, par des expressions imprécises, contre l’erreur qu’ils combattent, que d’autres en raison même de ces expressions tombent dans une autre erreur.

Par exemple, les expressions d’Augustin contre les Manichéens qui détruisaient le libre arbitre, expressions renforçant et exaltant la dignité du libre arbitre, ont été pour Pélage l’occasion de tomber dans l’erreur qu’il commet en soutenant que l’homme n’a plus besoin de la grâce de Dieu pour éviter le péché et accomplir des oeuvres méritoires.

C’est ainsi que les saints, voulant éviter la confusion des natures dans le Christ, ont affirmé l’inhabitation pour la raison que l’on a dite. Mais cela fut pour Nestorius 27 une occasion d’erreur. Il affirma en effet que le Fils de Dieu est uni à l’homme non de telle manière que de Dieu et de l’homme soit faite une seule personne, mais à cause de l’inhabitation du Fils de Dieu dans le Christ, qui, pour lui, se réalise par la grâce. Et ainsi le Fils de Dieu ne se serait pas FAIT homme.

175. Pour éclairer cela, il faut savoir que dans le Christ on peut considérer deux choses: la nature et la personne.

Il y a dans le Christ distinction de natures, mais non de personnes, parce que la nature humaine en Lui fut assumée dans l’unité de la personne. Donc, l’inhabitation dont parlent les saints docteurs doit être rapportée à la nature, et l’on doit dire: IL A HABITE PARMI NOUS en ce sens que la nature du Verbe a habité notre nature; mais non selon l’hypostase ou la personne, celle-ci dans le Christ étant la même pour les deux natures.
27. Voir ci-dessus, n 170, note 20.


176. Quant au blasphème de Nestorius, il est claire ment réfuté par l’autorité de l’Ecriture Sainte. En effet, l’Apôtre appelle "anéantissement" l’union de Dieu et de l’homme, en disant du Fils de Dieu: Lui qui était de condition divine, ne se prévalut pas d’être l’égal de Dieu, mais Il s’anéantit Lui-même, prenant la condition d’esclave 28. L’Apôtre ne dit pas que Dieu s’est "anéanti" en habitant la créature raisonnable par la grâce, car alors le Père et l’Esprit Saint se seraient "anéantis", puisqu’on dit qu’Ils habitent par la grâce dans la créature douée d’intelligence; en effet le Christ dit, en parlant de Lui et du Père: Nous viendrons en lui et nous ferons chez lui notre demeure 29 et l’Apôtre dit de l’Esprit Saint: L’Esprit de Dieu habite en nous 30.

En outre, si le Christ n’était pas Dieu personnellement, Il eût été extrêmement présomptueux en disant: Moi et le Père nous sommes un 31 et: Avant qu’Abraham fût, je suis 32. En effet moi et je indiquent la personne qui parle; or celui qui parlait était homme; il n’y a donc qu’une seule et même personne du Fils de Dieu et de l’homme, mais celui-là, un avec le Père, préexistait à Abraham.
28. Phi 2, 6-7.
29. Jean 14, 23.
30. 1 Corinthiens 3, 16.
31. Jean 10, 30.
32. Jean 8, 58.




177. On peut aussi considérer autrement les paroles ET IL A HABITE PARMI NOUS, par rapport à ce qui précède. Plus haut l’Evangéliste a parlé de l’Incarnation du Verbe; maintenant il exprime la façon de vivre du Verbe incarné: ET IL A HABITE PARMI NOUS, c’est-à-dire Il a vécu familièrement au milieu de nous, les Apôtres, ce à quoi Pierre fait allusion en parlant de tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu d’eux 33. Il a été vu sur la terre et Il a conversé avec les hommes 34.

178. L’Evangéliste a donc ajouté IL A HABITE PAR MI NOUS, d’abord pour montrer la conformité du Christ aux hommes dans la vie qu’Il a menée avec eux. On pourrait en effet croire que le Verbe s’était fait chair de telle sorte que le Christ aurait été différent des autres hommes par sa manière de vivre au milieu d’eux; c’est pourquoi l'Evangéliste dit ET IL A HABITE PARMI NOUS, c’est-à-dire, LE VERBE S’EST FAIT CHAIR de telle sorte qu’Il a vécu au milieu de nous comme un homme parmi les autres. Il s’est anéanti Lui-même, prenant la condition d’esclave et se faisant semblable aux hommes. Il a paru comme un simple homme 35.

De plus l’Evangéliste a écrit LE VERBE A HABITE PARMI NOUS pour montrer la véracité de son témoignage. En effet, plus haut, il avait révélé certaines des grandeurs du Verbe, et il allait encore en dire de nombreuses autres plus admirables. Pour rendre son témoignage digne de foi, il prit comme preuve de la vérité de ses paroles l’intimité dans laquelle il avait vécu avec le Christ, et écrivit: IL A HABITE PARMI NOUS. Comme s’il disait: Je suis bien placé pour Lui rendre témoignage, car j’ai vécu dans son intimité — Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont palpé du Verbe de vie — car la vie s’est manifestée, et nous l’avons vue (...) et nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui nous fut manifestée — ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi 36. Et Dieu a donné à son Fils de se manifester, non à tout le peuple, mais aux témoins choisis d’avance par Dieu, c’est-à-dire à nous qui avons mangé et bu avec lui après qu’il se fut levé d’entre les morts 37.
33. Ac 1, 21.
34. Bar 3, 38
35. Phi 2, 7.
36. 1 Jean 1, 1.
37. Ac 10, 40.




Jean 1, 14b: LA GLOIRE DU VERBE INCARNE

8Jn 1,14



179. L’Evangéliste, qui vient de parler de l’Incarnation du Verbe, met maintenant en évidence la manifestation du Verbe incarné. Pour cela il en indique les modes, puis les explique [cf. n° 200].

Le Verbe incarné se fit connaître aux Apôtres de deux manières: ils Le connurent en premier lieu par la vue, comme recevant du Verbe Lui-même la connaissance du Verbe, et en second lieu par l’ouïe, en recevant cette fois du témoignage de Jean la connaissance du Verbe. L’Evangéliste nous apprend donc d’abord ce que les Apôtres ont vu du Verbe (c’est l’objet de la présente leçon), puis ce qu’ils ont entendu de la bouche de Jean-Baptiste [n° 191].

Au sujet du Verbe, Jean affirme trois choses: la manifestation de sa gloire: ET NOUS AVONS VU SA GLOIRE [n° 180]; le caractère unique de cette gloire: GLOIRE QU’IL TIENT DE SON PERE COMME FILS UNIQUE [n° 184]; la qualification de cette gloire: PLEIN DE GRÂCE ET DE VERITE [n° 188].



NOUS AVONS VU SA GLOIRE     [1, 14c]

180. Ces paroles peuvent être la suite naturelle de ce qui précède, de trois manières différentes. Elles peuvent être prises d’abord comme preuve de l’affirmation: LE VERBE S’EST FAIT CHAIR. C’est alors comme si Jean disait: Je sais avec certitude que le Verbe de Dieu s’est incarné, car moi et les autres Apôtres, NOUS AVONS VU SA GLOIRE.

En effet: Nous parlons de ce que nous savons, et nous attestons ce que nous avons vu 1, et: Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé (...), car la vie s’est manifestée; nous l’avons vue (...) et nous vous annonçons la vie éternelle (...), qui nous fut manifestée; ce que nous avons vu (...) nous vous l’annonçons 2.

181. Pour Chrysostome 3, Ies paroles NOUS AVONS VU SA GLOIRE se rattachent aux précédentes, Le Verbe s’est fait chair, pour exprimer que le bienfait est multiple. L’Evangéliste veut dire: L’Incarnation nous a conféré non seulement le bienfait de devenir fils de Dieu, mais encore celui de voir sa gloire. En effet, des yeux faibles et malades ne peuvent par eux-mêmes regarder la lumière du soleil, mais quand il brille dans un nuage ou un corps opaque, alors ils le peuvent. Or, avant l’Incarnation du Verbe, les esprits humains étaient incapables de regarder en elle-même la lumière QUI ILLUMINE TOUT HOMME. Afin donc qu’ils ne fussent pas privés de la joie de sa vision, la lumière elle-même, c’est-à-dire le Verbe de Dieu, a voulu revêtir la chair afin de pouvoir être vue de nous — Ils se tournèrent vers le désert, et ils virent la gloire du Seigneur dans une nuée 4, c’est-à-dire le Verbe de Dieu dans la chair.
1. Jean 3, 11.
2. 1 In 1, 1.
3. In Ioannem hom., 12, ch. 1, PG 59, col. 81.
4. Ex 16, 10.


182. Augustin 5 rattache les paroles NOUS AVONS VU SA GLOIRE aux précédentes en les rapportant au bienfait de la grâce. En effet, non seulement à cause de la faiblesse naturelle, mais encore en raison de l’imperfection due au péché, l’oeil de l’homme était incapable de contempler la lumière divine. Le feu, celui de la concupiscence, est tombé sur eux et ils n’ont pas vu le soleil, c’est-à-dire le Soleil de justice 6. Donc, pour que nous puissions voir la lumière divine, le Verbe a guéri les yeux des hommes en faisant de sa chair un collyre salutaire, de sorte que les yeux corrompus par la concupiscence de la chair puissent guérir par sa chair. Voilà pourquoi, aussitôt après avoir dit Le Verbe s’est fait chair, il ajoute ET NOUS AVONS VU SA GLOIRE, comme pour dire: aussitôt appliqué le collyre, nos yeux ont été guéris. [C'est pour signifier cela que le Seigneur] dit de la boue avec sa salive et la mit sur les yeux de l’aveugle né 7. La boue vient de la terre, mais la salive vient de la tête. Ainsi dans la personne du Christ, la nature humaine qu’Il a prise vient de la terre; mais le Verbe incarné vient de la tête, c’est-à-dire de Dieu le Père. Aussitôt que cette boue fut appliquée sur nos yeux, NOUS AVONS VU SA GLOIRE.

183. C’est cette gloire, c’est-à-dire la splendeur du Verbe, que Moïse désira voir quand il dit: Montre-moi ta gloire 8 Mais il ne mérita pas de la voir; bien plus, le Seigneur ne lui a-t-Il pas dit: Tu me verras de dos 9, c’est-à-dire tu ne verras de moi que des ombres et des figures? Les Apôtres, au contraire, virent sa splendeur même — Nous tous qui, le visage découvert, réfléchis Sons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, allant de splendeur en splendeur 10.

Quant aux Prophètes, ils ont certes vu cette splendeur; cependant ils ne l’ont pas vue à visage découvert mais en figures et en énigmes; voilà pourquoi Jean dit: Isaïe a dit cela, parce qu’il a vu sa gloire 11. Les Apôtres, eux, la virent à visage découvert, c’est-à-dire sans figures: Bienheureux les yeux qui voient ce que vous voyez. Car je vous dis que beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous voyez, vous, et ils ne l’ont pas vu; entendre ce que vous entendez, et ils ne l’ont pas entendu 12.
5. Tract. in Ioann., 2, 16, BA 71, pp. 205. 207.
6. Ps 57, 9; cf. Mal 3, 20.
7. In 9, 6.
8. Ex 33, 18.
9. Ex 33, 23.
10. 2 Co 3, 18.
11. Jean 12, 41.
12. Le 10, 23-24.





 GLOIRE QU’IL TIENT DE SON PERE COMME FILS UNIQUE

184. L’Evangéliste montre ici le caractère unique de cette gloire. On sait en effet de certains hommes qu’ils rayonnèrent de gloire; ainsi l’Exode dit de Moïse: Son visage devint resplendissant 13, ou selon une autre version: Il jetait des rayons de lumière. Dès lors on pour rait raisonner ainsi: ce n’est pas parce que les Apôtres ont vu le Christ rayonner de gloire qu’on doit conclure que le Verbe s’est fait chair. Mais l’Evangéliste prévient ce raisonnement en disant: GLOIRE QU’IL TIENT DE SON PERE COMME FILS UNIQUE. Comme s’il disait: sa gloire n’est pas comme la gloire d’un ange, de Moïse, d’Elie, d’Elisée, elle est celle du Fils unique; car, dit l’Apôtre, Il a été digne d’une gloire supérieure à celle de Moïse 14, c’est-à-dire par-dessus tous les saints et les anges, parce que eux sont glorieux par participation, tandis que le Verbe est la gloire elle-même. Qui est semblable à Dieu parmi les fils de Dieu? 15
13. Ex 34, 29.
14. He 3, 3.
15. Ps 88, 7.




185. Selon Grégoire 16, lorsque l’Evangéliste emploie ici le mot comme, il ne l’emploie pas seulement pour indiquer que nous sommes appelés fils de Dieu en rai son d’une ressemblance avec la filiation divine, mais pour exprimer la vérité; tandis que pour Jean Chrysostome 17, c’est une manière de parler: si quelqu’un avait vu un roi s’avancer entouré d’une gloire aux aspects multiples et qu’un autre l’interrogeât pour savoir comment s’avançait le roi, le premier, pour aller au plus court et exprimer d’un mot cette gloire aux aspects multiples, dirait qu’il s’avançait comme un roi, c’est-à-dire comme il convenait à un roi. Ainsi fait l’Evangéliste: comme si on lui avait demandé quelle était la gloire du Verbe qu’il avait contemplée, Jean, incapable de l’exprimer parfaitement, dit: cette GLOIRE était celle QU’IL TIENT DE SON PERE COMME FILS UNIQUE, c’est-à-dire une gloire telle qu’elle convient au Fils unique de Dieu.

186. Le caractère unique de la gloire du Verbe s’est manifesté de quatre manières. D’abord dans le témoignage que le Père a rendu au Fils. Jean fut l’un des trois qui virent le Christ transfiguré sur la montagne et entendirent la voix du Père disant: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me complais 18; et de cette gloire il est dit: Il reçut de Dieu e Père honneur et gloire, quand la gloire venue de la splendeur magnifique lui dit: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé" 19
16. Moral., 18, ch. 6. PL 76, col. 4344.
17. In Ioannem hom., 12, ch. 1, PG 59, col. 81-82.
18. Mt 17, 5.
19. 2 Pe 1, 17.




Ensuite dans le service dont s’acquittent les anges à son égard. En effet, avant l’Incarnation du Verbe, les hommes étaient soumis aux anges; mais ensuite les anges, soumis au Christ, Le servirent — Des anges s’approchèrent du Christ et Le servaient 20.

Puis dans l’obéissance de la nature; parce que, créée par Lui, toute la nature obéissait au Christ et était à ses ordres — Tout a été fait par Lui 21; or cela n’a été donné ni aux anges, ni à aucune autre créature, mais au seul Verbe incarné — Quel est celui-ci, disait-on, pour que la mer et les vents Lui obéissent? 22

Enfin dans la manière d’enseigner et d’agir du Christ. Ce n’est pas de leur propre autorité que Moïse et les autres prophètes donnaient des préceptes et instruisaient les hommes, mais avec l’autorité même de Dieu; aussi disaient-ils: Le Seigneur dit ceci... et: Le Seigneur parla à Moïse... Mais le Christ, Lui, parle en maître et comme ayant autorité, c’est-à-dire avec sa propre puissance; aussi s’exprime-t-Il ainsi: Moi je vous dis... 23 Pour cette raison Matthieu remarque, à la fin du sermon sur la montagne, qu’Il enseignait [les foules] en homme qui a autorité, et non comme les scribes 24 De même les autres saints opéraient des miracles, mais non par leur propre puissance; le Christ au contraire les accomplissait par sa propre puissance; c’est pour quoi on disait de Lui: Quel est ce nouvel enseignement? Il commande en maître aux esprits impurs et ils Lui obéissent 25. La gloire du Verbe est donc vraiment unique.
20. Mt 4, 11.
21. Jean 1, 3.
22. Mt 8, 27.
23. Mt 5, 22.
24. Mt 7, 29.
25. Mc 1, 27.




187. L’Ecriture, remarquons-le, appelle le Christ tantôt FILS UNIQUE, comme en ce verset 14, et plus loin: Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, Lui, L’a fait connaître 26 tantôt au contraire" Premier-né" [comme dans l’Epître aux Hébreux]: De nouveau, lors qu’Il introduit le Premier-né dans le monde, Dieu dit: " Que tous les anges de Dieu l’adorent" 27 En voici la raison: de même qu’il appartient en propre à toute la Sainte Trinité d’être Dieu, de même c’est le propre du Verbe d’être Dieu engendré. Or, tantôt nous nommons Dieu selon ce qu’Il est en Lui-même, et alors Lui seul, d’une manière unique, est Dieu par son essence; en ce sens, nous disons: il n’y a qu’un seul Dieu, selon ce que dit l'Ecriture: Ecoute Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu 28 tantôt nous attribuons aussi à d’autres, d’une manière dérivée, le nom de la divinité, par suite d’une certaine ressemblance de la divinité communiquée aux hommes. Cette similitude participée nous fait dire, en ce sens, qu’il y a beaucoup de "dieux": De fait il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs. 29

De la même manière, si nous considérons le caractère propre du Fils, qui est d’être engendré, si nous nous plaçons du point de vue du mode selon lequel cette filiation Lui est assignée, c’est-à-dire selon la nature, nous L’appelons le FILS UNIQUE de Dieu; puisque Lui seul est naturellement engendré par le Père, il n’y a qu’un seul Fils de Dieu. Mais si nous considérons ce Fils en tant qu’Il communique à d’autres, par une certaine ressemblance, la participation à sa filiation, il y a alors beaucoup de fils de Dieu par participation. Et puisque c’est grâce à cette ressemblance qu’on les appelle" fils de Dieu", on L’appelle le" Premier-né" de tous — Ceux qu’il a connus d’avance, Dieu les a prédestinés à reproduire l’image de son Fils, pour qu’il soit le Premier né d’une multitude frères 30. Le Christ est donc FILS UNIQUE de Dieu par nature; mais on L’appelle" Premier-né" en tant que, de sa filiation naturelle, la filiation est communiquée à beaucoup par une certaine ressemblance et participation.
26. Jean 1, 18.
27. He 1, 6.
28. Deut 6, 4.
29. 1 Corinthiens 8, 5.
30. Ro 8, 29.




III


PLEIN DE GRÂCE ET DE VERITE.



188. En disant cela, l’Evangéliste précise ce qu’est la gloire du Verbe; comme s’il disait: sa gloire est telle qu’Il est PLEIN DE GRÂCE ET DE VERITE.

Cette affirmation peut se comprendre de trois façons.

D’abord du point de vue de l’union, ensuite de la perfection de son âme [n° 189], enfin de sa dignité de chef [n° 190]. Du point de vue de l’union, car la grâce est donnée à l’homme pour que, par elle, il soit uni à Dieu. Est donc PLEIN DE GRÂCE celui qui est uni à Dieu de la manière la plus parfaite. Les autres sont unis à Dieu en participant à Lui par mode de similitude naturelle: c’est le cas de tous les hommes — Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance 31 parmi eux certains Lui sont en outre unis par la foi 32 — Que le Christ habite dans vos coeurs par la foi et par la charité, parce que celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu 33. Mais tous ces modes d’union demeurent partiels, car la participation à Dieu par mode de similitude naturelle unit à Dieu de manière imparfaite, et Dieu n’est ni vu par la foi tel qu’Il est, ni aimé par la charité autant qu’Il est aimable, puisque l’infini n’est aimé de la créature douée d’intelligence que d’une manière finie. C’est pourquoi l’union n’est pas plénière, tandis que dans le Christ elle est plénière, puisque la nature humaine est assumée par Dieu de telle sorte que l’homme soit Dieu Lui-même par l’unité de la personne. Il fut donc PLEIN DE GRÂCE, non par quelque don gratuit spécial reçu de Dieu, mais parce qu’Il était Dieu Lui-même. C’est pourquoi Dieu — c’est-à-dire le Père — Lui a donné — c’est-à-dire au Christ — le nom qui est au-dessus de tout nom 34. Il était prédestiné à être Fils de Dieu avec puissance 35. Il fut encore PLEIN DE VERITE, parce que dans le Christ la nature humaine, par l’union, parvint à la vérité divine elle-même, c’est-à-dire que cet homme était la vérité divine elle-même. Dans les autres hommes, il y a de nombreuses vérités participées, selon que la vérité première brille en leurs esprits par de nombreuses similitudes; mais le Christ est la vérité elle-même; c’est pourquoi il est dit: En Lui sont cachés tous les trésors de la sagesse 36.
31. Gn 1, 26.
32. Eph 3, 17.
33. 1 Jean 4, 16.


189. On peut encore interpréter les paroles: PLEIN DE GRACE ET DE VERITE de la perfection de l’âme du Christ, parce qu’Il a reçu sans mesure tous les dons de l’Esprit Saint: Dieu Lui a donné l’Esprit sans mesure 37, alors qu’Il l’a donné avec mesure à toutes les créatures douées d’intelligence, aux anges comme aux hommes. En effet, selon Augustin, de même qu’en chaque membre du corps il y a un sens commun à tous, le sens du toucher, mais que dans la tête il y a tous les sens, de même dans le Christ, qui est la tête, toutes les grâces sont en surabondance, tandis que dans les autres saints il y a un unique don gratuit commun à tous, à savoir la charité, et des dons spéciaux différents chez les uns et les autres, parce que les grâces sont diverses 38; mais le Christ a eu toute la grâce. [C'est bien de la plénitude de la grâce du Christ qu’Isaïe parle en ces termes]: Un rejeton sort de la souche de Jessé et une fleur pousse de sa racine; sur Lui reposera l’Esprit du Seigneur: Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété; et l’Es prit de crainte du Seigneur le remplit 39.
34. Phi 2, 9.
35. Ro 1, 4.
36. Col 2, 3.
37. Ju 3, 34.
38. 1 Corinthiens 12, 4.
39. Isaïe 11, 1.
40. Jean 21, 17.




Le Christ fut aussi PLEIN DE VERITE, parce que son âme précieuse connut toute vérité, posséda la science de toutes choses. C’est pourquoi Pierre lui dit: Seigneur, Tu sais tout 40; [Dieu Lui-même avait déclaré par le psalmiste:] Ma vérité, c’est-à-dire la connaissance de toute vérité, et ma miséricorde c’est-à-dire la plénitude de toutes les grâces, seront avec Lui 41.

190. On peut enfin expliquer les paroles PLEIN DE GRÂCE ET DE VERITE en les rapportant à la dignité capitale du Christ, car Il est la tête de l’Eglise 42 et de ce point de vue il Lui appartient de répandre la grâce dans les autres, grâce qu’Il a répandue sur nous par ses gestes et son enseignement, selon ce qui est dit dans les Actes: Jésus commença à agir et à enseigner 43. Il est donc dit PLEIN DE GRÂCE en tant qu’Il a réalisé la grâce en justifiant. En effet la loi ancienne était impuissante à justifier, mais le Christ, Lui, a justifié: Ce que ne pouvait la Loi, que la chair rendait impuissante, Dieu l’a fait: en envoyant en vue du péché son propre Fils dans une chair semblable à celle du péché, Il a condamné le péché dans la chair, afin que la justice exigée par la Loi s’accomplît en nous 44.

De même le Christ réalisa la vérité, en ce sens qu’Il accomplit les figures de l’Ancienne Loi et les promesses faites aux Pères — J’affirme que le Christ Jésus s’est fait ministre de la circoncision pour montrer la véracité de Dieu en accomplissant les promesses faites à nos Pères 45; et: Toutes les promesses de Dieu ont leur oui en Lui 46.
41. Ps 88, 25.
42. Eph 5, 23.
43. Ac 1, 1.
44. Ro 8, 3.
45. Ro 15, 8.
46. 2 Co 1, 20.




Jean Le dit encore PLEIN DE GRÂCE parce qu’Il l’a répandue en nous par les paroles pleines de grâce de son enseignement. La grâce est répandue sur tes lèvres 47. Ps 44, 3. Voilà pourquoi Luc dit que dès l’aurore tous venaient à Lui 48. Luc 21, 38, c’est-à-dire que dès le matin ils cherchaient à se rendre auprès de Lui. Et PLEIN DE VE RITE, car Il n’enseignait pas en énigmes et en figures, mais en vérité et ouvertement, sans aucune ruse. Voilà que maintenant Tu parles ouvertement, sans user de paraboles 49. Jean 16, 29.



Jean 1, 15 LE TEMOIGNAGE RENDU AU VERBE INCARNE

9
Thomas sur Jean 7