Thomas sur Jean 12

12Jn 1,19-23


223. Précédemment, l’Evangéliste a montré comment le Christ se fit connaître aux Apôtres eux-mêmes par le témoignage de Jean; maintenant, il explique d’une manière plus parfaite ce témoignage. Il présente d’abord le témoignage porté par Jean devant les foules 1, puis devant ses propres disciples 2. Si on considère attentivement ce que dit l’Evangile, on trouve deux témoignages du Précurseur au sujet du Christ: l’un qu’il porta en présence du Christ et l’autre en son absence; en effet, s’il n’avait pas porté son témoignage en présence du Christ, il n’aurait pas dit: voilà Celui... 3 et si auparavant il n’en avait pas porté un autre en son absence, il n’aurait pas ajouté dont j’ai dit...

L’Evangéliste expose donc en premier lieu le témoignage rendu par Jean au Christ en son absence 4, puis celui qui fut porté en sa présence 5. Ces deux témoignages diffèrent; en effet, le Précurseur a donné le premier après une interrogation, et le second spontanément. C’est pourquoi, dans le premier, l’Evangéliste rapporte non seulement le témoignage, mais aussi l’interrogation. On interrogea Jean d’abord sur sa personne 6 (c’est l’objet de la leçon présente), ensuite sur sa fonction 7 [n° 240]. L’Evangéliste nous montre donc comment Jean confessa d’abord n’être pas ce qu’il n’était pas, puis ne nia pas être ce qu’il était [n° 234].
1. Jean 1, 19-34; leçons 12 à 14.
2. Jean 1, 35-36; leçons 15 et 16.
3. Jean 1, 15, n" 194.
4. Jean 1, 19-28; leçons 12 et 13.
5. Jean 1, 29-35; leçon 14.
6. Jean 1, 19-23.



I

ET VOICI QUEL FUT LE TEMOIGNAGE DE JEAN LORSQUE LES JUIFS ENVOYERENT DE JERUSALEM

DES PRETRES ET DES LEVITES POUR LUI DEMANDER: "QUI ES-TU?". IL CONFESSA, IL NE NIA PAS, IL CONFESSA: "JE NE SUIS PAS LE CHRIST". ILS LUI DEMANDERENT: "QUOI DONC? ES-TU ELIE?" IL DIT: "JE NE LE SUIS PAS". " ES-TU LE PROPHETE?" IL REPONDIT: "NON". ET VOICI QUEL FUT LE TEMOIGNAGE DE JEAN LORSQUE LES JUIFS ENVOYERENT DE JERUSALEM DES PRETRES ET DES LEVITES POUR LUI DEMANDER: "QUI ES-TU?"

224. Comme le montre le texte, le premier point comprend trois questions des envoyés et trois réponses de Jean.

A propos de la première interrogation, considérons le grand respect dont les Juifs, qui envoyèrent recueillir le témoignage du Précurseur, font preuve à son égard.

Quatre particularités illustrent la grandeur de ce respect. D’abord la dignité de ceux qui envoient [ces lévites et ces prêtres]; en effet, ce ne sont pas des Galiléens qui les envoyèrent, mais ceux qui étaient les notables du peuple d’Israël, des Juifs de la tribu de Juda, habitant près de Jérusalem, et qui étaient plus honorables — De Juda, le Seigneur a choisi les princ8s de son peuple 8. Le salut vient des Juifs 9.

Ensuite, la prééminence du lieu [où l’on envoie]; c’est Jérusalem, la cité royale et sacerdotale, vouée au culte divin — Vous, vous dites que c’est à Jérusalem qu’est le lieu où il faut adorer 10.

Puis l’autorité des envoyés, qui étaient des personnages insignes et parmi les plus consacrés du peuple, des prêtres et des lévites — Vous serez appelés prêtres du Seigneur 11.

Enfin, le fait que les Juifs ont envoyé demander à Jean de témoigner sur lui-même, comme s’ils avaient une telle confiance en ses paroles qu’ils étaient prêts à croire jusqu’à son témoignage sur lui-même. Aussi l’Evangéliste dit-il: ILS ENVOYERENT... POUR LUI DEMANDER: "QUI ES-TU?" Cela, ils ne l’ont pas fait pour le Christ; bien plus ils Lui disaient: "C’est toi qui te rends témoignage, ton témoignage n’est pas véridique" 12.
7. Jean 1, 24.



£[1, 20] IL CONFESSA, IL NE NIA PAS, IL CONFESSA: "JE NE SUIS PAS LE CHRIST".

225. L’Evangéliste donne ici la réponse de Jean; et il dit à deux reprises CONFESSA, pour montrer l’hu milité de Jean. En effet, bien que celui-ci jouît auprès des Juifs d’une autorité telle que ceux-ci voyaient en lui le Christ, il ne voulut cependant pas usurper un honneur qui ne lui était pas dû; bien plus, IL CONFESSA: "JE NE SUIS PAS LE CHRIST".

226. Mais que signifie cette parole: IL CONFESSA, IL NE NIA PAS? Il semble en effet qu’il ait nié, puis qu’il dit n’être pas le Christ. Il faut répondre qu’il n’a pas nié la vérité en disant qu’il n’était pas le Christ: autrement, il aurait renié la vérité. Job a dit: Si, à la vue du soleil dans son éclat et de la lune radieuse dans sa course, mon coeur alors a ressenti une secrète joie, et si j’ai porté ma main à ma bouche 13, c’est là le comble de l’iniquité et un reniement du Dieu très-haut 14 n’a donc pas renié la Vérité puisque, si grand qu’on le jugeât, il ne s’est pas élevé avec orgueil, s’attribuant l’honneur qui ne lui appartenait pas. IL CONFESSA: "JE NE SUIS PAS LE CHRIST", parce qu’en vérité il ne l’était pas, comme nous l’avons dit plus haut en expliquant ces paroles: Il n’était pas la lumière 15.
8. 1 Chr 28, 4.
9. Jean 4, 22.
10. Jean 4, 20.
11. Isaïe 61, 6.
12. Jean 8, 13.


227. Cependant, ceux qui avaient été envoyés ne lui demandaient pas s’il était le Christ, mais qui il était; pourquoi alors Jean répondit-il: JE NE SUIS PAS LE CHRIST? Il faut dire que le Précurseur répond plutôt à la pensée de ceux qui l’interrogent qu’à leur question elle-même; sa réponse peut se comprendre de deux manières.

Selon Origène 16, les prêtres et les lévites étaient venus à lui dans une bonne intention. Ils conjecturaient en effet, par les Ecritures et surtout par la prophétie de Daniel, qu’était venu le temps de l’avènement du Christ. Aussi, voyant la sainteté de Jean, ils supposaient qu’il était le Christ. C’est pourquoi ils lui envoyèrent des délégués pour savoir si à leur question: "QUI ES-TU?", il déclarerait être le Christ. Aussi répondit-il à leur pensée: "JE NE SUIS PAS LE CHRIST".

Mais d’après Chrysostome 17, prêtres et lévites interrogeaient Jean d’une manière perfide; Jean, en effet, était parent des prêtres, puisque fils d’un prince des prêtres. De plus, il était consacré; et pourtant il rendait témoignage au Christ dont la naissance parais sait sans noblesse. D’où ce que disaient les Juifs: N’est-ce pas là le fils du charpentier? 18; et Il leur restait inconnu. Désirant donc avoir pour maître Jean plutôt que le Christ, ils lui envoyèrent des émissaires chargés de le séduire par des flatteries, pour l’amener à s’attribuer cet honneur et à se dire le Christ. Mais, voyant leur malice, le Précurseur dit: "JE NE SUIS PAS LE CHRIST".
13. En signe d’adoration de ces créatures.
14. Job 31, 26.
15. Jean 1, 8.
16. Sur saint Jean, 6, § 50, SC 157, p. 167.
17. In Ioannem hom., 16, ch. 1, PG 59, col. 103.



ILS LUI DEMANDERENT: "QUOI DONC? ES-TU ELIE?" IL DIT: "JE NE LE SUIS PAS".

228. L’Evangéliste rapporte ici la deuxième interrogation. A ce sujet, il faut se rappeler que si le peuple juif attendait la venue du Seigneur, il attendait aussi Elie qui devait Le précéder [selon cette prophétie]: Voici que je vais vous envoyer Elie le prophète, avant que n’arrive le jour du Seigneur grand et redoutable 19 Aussi les envoyés, voyant que Jean confessait n’être pas le Christ, insistent pour que du moins il dise s’il est Elie: "QUOI DONC? ES-TU ELIE?"

229. Or il y a des hérétiques qui pensent que l’âme est transmissible d’un corps à un autre et que ce dogme était alors professé chez les Juifs. Ceux-ci croyaient donc [disaient-ils] en raison de la ressemblance des oeuvres de Jean et d’Elie, que l’âme de ce dernier était dans le corps de Jean. Aussi, pour ces hérétiques, lorsque les envoyés demandaient au Précurseur s’il était Elie, cela revenait à lui demander si l’âme d’Elie était dans son corps. Ils citent en faveur de leur opinion ces paroles du Seigneur au sujet de Jean: Si vous voulez comprendre, l’Elie qui doit venir, c’est lui 20. Mais aussitôt la réponse de Jean: "JE NE SUIS PAS ELIE" dit le contraire. A cela ils répondent que Jean parla par ignorance, ne sachant pas que son âme était l’âme d’Elie. Mais On gène réfute cette idée: il paraît tout à fait déraison nable que Jean, le prophète illuminé par l’Esprit, qui a dit de si grandes choses du Fils unique de Dieu, ait pu ignorer à son propre sujet que son âme ait été celle d’Elie.

230. Ce n’était donc pas dans cette intention qu’ils lui demandaient: "ES-TU ELIE?" Mais comme les Ecritures racontent 22 qu’Elie n’était pas mort et qu’un char de feu l’avait enlevé vivant jusqu’au ciel, ils le croyaient réapparu subitement parmi eux.

Contre cette interprétation, il y a le fait que le Pré curseur était né de parents connus et que sa naissance n’était ignorée de personne. Luc écrit [sujet des événements qui marquèrent sa venue au monde]: Tous furent étonnés (...) et ils gravaient ces merveilles dans leur coeur, en disant: "Que sera donc cet enfant?" 23

On peut dire qu’il n’est pas incroyable que les Juifs aient pensé de Jean ce qu’on vient de rapporter, car on constate un fait analogue dans saint Matthieu 24. Hérode croyait que le Christ était Jean qu’il avait décapité; et pourtant le Christ avait prêché et avait été connu long temps avant que le Précurseur n’eût été décapité. Ce serait avec une démence et un aveuglement semblable que les Juifs auraient demandé à Jean s’il était Elie.
18. Mt 13, 55.
19. Mal 3, 1 et 23.
20. Mt 11, 14.
21. Sur saint Jean, 6, § 74-75, p. 185.
22. 2 Rs 2, 11.
23. Luc 1, 63 et 66.
24. Mt 14, 1-2; cf. aussi Mc 6, 14-16 et Luc 9, 7. 9.


231. Mais pourquoi Jean dit-il JE NE SUIS PAS ELIE, alors que le Christ dira: l’Elie qui doit venir, c’est lui? L’ange Gabriel résout cette difficulté quand il dit que Jean marchera devant le Seigneur avec l’esprit et la puissance d’Elie 25. Il ne fut donc pas Elie en personne, mais il le fut par l’esprit et la puissance, parce que dans ses oeuvres se manifestait la ressemblance d’Elie.

232. On peut en effet remarquer trois points de ressemblance entre Jean et Elie.

En premier lieu dans la fonction: car Elie précédera le second avènement du Seigneur, comme Jean devança le premier. Aussi l’ange a-t-il dit: Il marchera devant le Seigneur. Ensuite, dans leur mode de vie: Elie séjournait dans le désert, mangeant peu et couvert de vêtements rudes 26; Jean vivait au désert, se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage, et sa ceinture était de poil de chameau.

Enfin dans leur zèle: Elie fut d’un zèle extrême; aussi disait-il: Je suis rempli d’un zèle jaloux pour le Seigneur 27. De même Jean mourut à cause de son zèle pour la vérité, comme on le voit dans saint Matthieu.


" ES-TU LE PROPHETE?" IL REPONDIT: "NON".

233. Telle est la troisième question que rapporte l’Evangéliste. Mais d’abord, comment se fait-il que Jean, à la question: "ES-TU LE PROPHETE?" ait répondu qu’il ne l’était pas, [et que Zacharie] dit de lui: " Toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut" 29?

On peut répondre de trois manières. D’abord, Jean n’est pas simplement un prophète, il est plus que prophète. En effet, les autres prophètes n’annonçaient l’avenir que longtemps à l’avance. [d'où la recommandation d’Habacuc:] Si tarde la réalisation de la vision, attendez-la. Mais Jean a annoncé le Christ présent, en Le montrant en quelque sorte du doigt — " Voici l’Agneau de Dieu. Voici celui qui enlève les péchés du monde" 31. C’est pourquoi le Seigneur dit de lui qu’il est plus qu’un prophète 32.

Ensuite, d’après Origène 33, les Juifs, à partir d’une mauvaise interprétation [des Ecritures], s’imaginaient que paraîtraient, au moment de la venue du Christ, trois personnages éminents: le Christ Lui-même, Elie et un autre très grand prophète [dont Moïse avait dit:] le Seigneur ton Dieu nous suscitera du milieu de nous, d’entre nos frères, un prophète tel que moi 34.

Ce très grand prophète, en réalité, n’est autre que le Christ; mais, selon les Juifs, c’est un autre personnage. Voilà pourquoi ils ne demandent pas simplement au Précurseur s’il est prophète, mais s’il est ce très grand Prophète. Cela se voit à l’ordre des questions, car ils demandent d’abord s’il est le Christ, ensuite s’il est Elle, enfin s’il est ce Prophète. Ce qui explique, en grec, la présence d’un article, pour signifier LE prophète par excellence.

Enfin, les Pharisiens en voulaient à Jean parce qu’il s’était attribué le ministère du baptême en dehors de la Loi et de leurs traditions. [Il y a en effet dans l’Ancien Testament trois personnages auxquels il pouvait convenir de baptiser: le Christ, à qui Ezéchiel fait dire: Je ferai sur vous une aspersion d’eaux pures 36;
25. Luc 1, 17.
26. l Rs l9, 4 et 2 Rs l, 8.
27. 1 Rs 19, 10.
28. Cf. ci-dessus, note 24.
29. Luc 1, 76.
30. Hab 2. 3.
31. Jean j, 29.
32. Mt 11, 9.
33. Sur saint Jean, 6, § 90, p. 197.
34. Deut 18, 15.
35. Ez 36, 25.




Elie qui, d’après le Deuxième livre des Rois 36, partagea les eaux du Jourdain et, les ayant passées, fut enlevé; Elisée qui, selon le même livre 37, ordonna à Naaman le Syrien de se laver sept fois dans le Jourdain pour être purifié de sa lèpre.

Les Juifs donc, voyant Jean baptiser, croyaient qu’il était l’une de ces trois personnes, le Christ, Elie ou Elisée. Aussi, lorsqu’ici ils disent à Jean: "ES-TU LE PROPHETE?" ils lui demandent s’il n’est pas Elisée. Elisée est appelé le Prophète, d’une manière spéciale, à cause des nombreux miracles qu’il a faits; il dit du reste, en parlant de lui-même: Que le roi d’Israël sache qu’il y a un prophète en Israël 38. Pour cette raison, Jean répond: JE NE LE SUIS PAS, c’est-à-dire: Je ne suis pas Elisée.


II

ILS LUI DIRENT ALORS: "QUI ES-TU, QUE NOUS DONNIONS UNE REPONSE A CEUX QUI NOUS ONT ENVOYES?

QUE DIS-TU DE TOI-MEME?"      " JE SUIS, DECLARA-T-IL, LA VOIX DE CELUI QUI CRIE DANS LE DESERT: RENDEZ DROIT LE CHEMIN DU SEIGNEUR, COMME A DIT LE PROPHETE ISAIE".

234. L’Evangéliste montre ici comment Jean confessa ce qu’il était. Il expose en premier lieu la question des envoyés; puis la réponse de Jean [n° 236].

£[22] ILS LUI DIRENT ALORS: "QUI ES-TU, QUE NOUS DONNIONS UNE REPONSE A CEUX QUI NOUS ONT ENVOYES? QUE DIS-TU DE TOI-MEME?"

235. Nous avons, disent ici les Juifs, été envoyés pour savoir qui tu es; aussi dis-nous: QUE DIS-TU DE TOI-MEME? Mais remarquons combien Jean est consacré: déjà il a réalisé ces paroles de l’Apôtre: Je vis, mais non pas moi, c’est le Christ qui vit en moi 39. C’est pourquoi il ne répond pas: "Je suis le fils de Zacharie, ou tel et tel": il dit uniquement sa dépendance à l’égard du Christ.

JE SUIS, DECLARA-T-IL, LA VOIX DE CELUI QUI £[23] CRIE DANS LE DESERT: RENDEZ DROIT LE CHE MIN DU SEIGNEUR, COMME A DIT LE PROPHETE ISAÏE.

236. Jean dit qu’il est une VOIX parce que si, par l’origine, la voix est postérieure au verbe, elle est en revanche première pour la connaissance. En effet, le verbe conçu dans le coeur se fait connaître à nous par l’émission de la parole qui en est le signe. Or Dieu le Père a envoyé le Précurseur Jean, créé dans le temps, pour annoncer son Verbe, conçu de toute éternité; c’est donc à juste titre que Jean dit: JE SUIS LA VOIX.

237. Ce qu’il ajoute: DE CELUI QUI CRIE, peut se comprendre de deux façons: ou c’est Jean qui crie, ou c’est le Christ qui crie en Jean, [comme disait saint Paul]: Voulez-vous une preuve que celui qui parle en moi, c’est le Christ? 40.

Celui qui crie peut le faire pour quatre raisons. En effet, le cri implique d’abord une manifestation et c’est pourquoi Jean crie, pour montrer que le Christ parlait manifestement en lui, comme lorsqu’Il criera Lui-même: Le dernier jour de la fête, le plus solennel, Jésus debout s’écriait: "Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive"; alors que, dans les prophéties, Il n’a pas crié, parce que les prophéties furent données de manière énigmatique et sous des figures; aussi le Psalmiste dit-il: La tente de Dieu autour de lui, c’est l’eau ténébreuse des nuées de l’air 42.

Ensuite, le cri s’adresse à des personnes éloignées; or les Juifs s’étaient éloignés de Dieu; aussi fallait-il crier — Tu as éloigné de moi mes amis et mes proches 43.

En troisième lieu, le cri s’adresse à des sourds — Qui est sourd, sinon mon serviteur?44

Enfin, le cri exprime qu’on parle avec indignation, parce que celui qui crie s’adresse à ceux qui ont mérité la colère de Dieu — [Le Seigneur] leur parlera dans sa colère. 45

238. Mais remarquons qu’il crie DANS LE DESERT, car Le Seigneur fit entendre sa parole à Jean, fils de Zacharie, dans le désert 46. On peut trouver là un sens littéral et un sens mystique.

Au sens littéral, Jean reste DANS LE DESERT pour être exempt de tout péché, afin d’être ainsi plus digne de porter témoignage pour le Christ et de rendre, par sa vie, son témoignage plus digne de foi auprès des hommes.

Au sens mystique, le DESERT s’explique de deux façons. Le DESERT, en effet, signifie d’abord les païens, conformément à cette parole d’Isaïe: Les fils de la délaissée [du latin desertae]sont plus nombreux que les fils de celle qui avait un époux 48. Ainsi, pour montrer que la connaissance de Dieu ne doit pas être prêchée seulement à Jérusalem, mais chez toutes les nations, il cria DANS LE DESERT — Le royaume de Dieu [dira le Christ aux Juifs] vous sera enlevé et il sera donné à une nation qui en produira les fruits.

Par DESERT, d’autre part, on entend la Judée, qui était alors déserte — Voici que votre maison vous est laissée déserte 49. Jean cria donc DANS LE DESERT, c’est-à-dire en Judée, pour faire comprendre que le peuple à qui il prêchait était alors déserté par Dieu — Dans cette terre déserte et où il n’y a ni chemin ni eau, je me suis présenté devant toi, dans ton sanctuaire, pour contempler ta puissance et ta gloire 50.
36. 2 Rs 2, 8.
37. 2 Rs 5, 8-10.
38. Ibid.
39. Ga 2, 20.
40. 2 Co13. Sur la signification du cri, voir n° 193.
41. Jean 7, 37.
42. Ps 17, 12.
43. Ps 87, 19.
44. Isaïe 42, 19.
45. Ps 2, 5.
46. Luc 3, 2.
47. Isaïe 54, 1.


239. Mais que crie Jean? RENDEZ DROIT LE CHEMIN DU SEIGNEUR. C’est en effet pour cela qu’il fut envoyé — Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut, car tu marcheras devant le Seigneur pour préparer ses voies 51. Or le chemin préparé pour recevoir le Seigneur, le chemin DROIT, c’est le chemin de justice [selon Isaïe:] Le chemin du juste est droit, droite est la voie que tu aplanis pour le juste 52.

La voie du juste est droite lorsque l’homme tout entier est soumis à Dieu: l’intelligence par la foi, la volonté par l’amour, l’agir par l’obéissance à Dieu. Et, à ces paroles: JE SUIS LA VOIX DE CELUI QUI CRIE DANS LE DESERT: RENDEZ DROIT LE CHEMIN DU SEIGNEUR, Jean ajoute: COMME LE DIT LE PROPHETE ISAIE, c’est-à-dire comme l’a prédit Isaïe. C’est comme si Jean disait: "Je suis celui en qui ces paroles s’accomplissent."
48. Mt 21, 43.
49. Mt 23, 38
50. Ps 62, 3.
51. Luc 1, 76.
52. Isaïe 26, 7.




Jean 1, 24-28: LE MINISTERE DE JEAN. SON BAPTEME DANS L’EAU

13


240. Plus haut Jean-Baptiste, interrogé, a rendu témoignage au Christ en parlant de sa propre personne; ici, il le fait en parlant de son ministère.

A ce sujet, l’Evangéliste traite quatre points: quels sont ceux qui l’interrogent [n° 241]; leur interrogation [n° 243]; la réponse de Jean, dans laquelle il rend témoignage au Christ [n° 244]; enfin le lieu où les choses se sont passées [n° 251].


I

£[24] LES ENVOYES ETAIENT DES PHARISIENS.

241. Ceux qui interrogent sont des Pharisiens. L’Evangéliste le souligne. Or, selon Origène 1, les paroles rapportées ici relèvent d’un autre témoignage 2: ces envoyés du parti des Pharisiens ne sont pas les mêmes que les prêtres et les lévites envoyés par l’ensemble des Juifs, mais d’autres, envoyés spécialement par les Pharisiens. Selon cette interprétation, l’Evangéliste dit LES ENVOYES, non ceux des Juifs comme furent les prêtres et les lévites, mais d’autres, ETAIENT DES PHARISIENS. Dans la pensée d’Origène, les prêtres et les lévites, personnages instruits et respectueux, interrogent Jean humblement et avec déférence sur sa dignité; ils lui demandent s’il est le Christ, ou Elie, ou le Prophète. Mais ceux-là, Pharisiens et donc, comme l’indique leur nom, gens séparés et acerbes, avancent des propos injurieux pour Jean-Baptiste; aussi lui disent-ils: POURQUOI DONC BAPTISES-TU, SI TU N’ES NI LE CHRIST, NI ELIE, NI LE PROPHETE?

Cependant, selon d’autres, à savoir Grégoire 3, Chrysostome 4 et Augustin 5, ces Pharisiens sont les mêmes que les envoyés des Juifs, qui étaient prêtres et lévites. Il y avait en effet parmi les Juifs une secte dont les membres étaient séparés des autres pour des raisons d’observances extérieures: d’où leur nom de "Pharisiens", c’est-à-dire "séparés". Dans cette secte, certains étaient prêtres et lévites, d’autres appartenaient au peuple. Pour que leurs messagers aient plus d’autorité, les Juifs envoyèrent des prêtres et des lévites qui étaient des Pharisiens, à qui ne manquaient par conséquent ni la dignité de l’ordre sacerdotal, ni l’autorité religieuse.

242. C’est pourquoi l’Evangéliste ajoute ces paroles LES ENVOYES ETAIENT DES PHARISIENS. Il le dit d’abord pour indiquer le motif de leur question sur le baptême de Jean, question pour laquelle ils n’avaient pas été envoyés. En d’autres termes: ils avaient été envoyés pour demander à Jean qui il était; mais s’ils lui posent cette autre question: POURQUOI DONC BAPTISES-TU? c’est qu’ils faisaient partie des Pharisiens, que leur situation religieuse rendait hardis.

Jean dit encore que c’étaient des Pharisiens pour — selon Grégoire 6 — montrer dans quelle intention ils demandèrent à Jean: QUI ES-TU? Les Pharisiens, en effet, parmi tous les autres Juifs, se comportaient à l’égard du Christ d’une manière perfide et calomnieuse. Ainsi dirent-ils du Seigneur: Cet homme chasse les démons par Beelzéboul, le prince des démons. Les mêmes encore se concertèrent avec les Hérodiens pour Le prendre en défaut dans ses paroles 8. C’est pourquoi, en affirmant LES ENVOYES ETAIENT DES PHARISIENS, l’Evangéliste indique qu’ils L’interrogeaient d’une manière calomnieuse, et poussés par l’envie.
1. Sur saint Jean, 6, § 120, SC 157, pp. 221-223.
2. Jean 1, 19-23.
3. Libri XL Ijomjliarum in Evangelia, 7, ch. 3, PL 76, col. 1100 D.
4. In Ioannem hom., 16, ch. 2, PG 59, col. 104.
5. Tract, in Ioann., 4, 8, BA 71, p. 271.
6. Cf. op. cit.





II

£[25] ILS L’INTERROGERENT ET LUI DIRENT: "POUR QUOI DONC BAPTISES-TU, SI TU N’ES NI LE CHRIST, NI ELIE, NI LE PROPHETE?

243. Leur interrogation concerne le ministère du baptême. Remarquons-le, ils ne cherchent pas à s'instruire mais à dresser un obstacle: en effet, voyant la multitude du peuple courir vers Jean-Baptiste à cause du rite nouveau du baptême, étranger à celui des Pharisiens et de la Loi, ils jalousaient Jean et s’efforçaient de tout leur pouvoir d’empêcher son baptême. Voilà pourquoi, incapables de se contenir, ils manifestent leur jalousie et disent: POURQUOI BAPTISES-TU, SI TU N’ES NI LE CHRIST, NI ELIE, NI LE PROPHETE? Ce qui veut dire: "Tu ne dois pas baptiser, puisque tu as dit n’être aucun des trois personnages en qui le baptême a été préfiguré; si tu n’es pas le Christ qui sera la fontaine pour laver les péchés, si tu n’es pas Elie, ni le Prophète, c’est-à-dire Elisée, qui l’un et l’autre ont traversé le Jourdain à pied sec 9, comment oses-tu baptiser?"

Les envieux leur ressemblent, qui empêchent le progrès des âmes et disent aux voyants: "Ne voyez pas", et aux prophètes: "Ne nous prophétisez pas la vérité" 10.
7. Mt 12, 24.
8. Mt 22, 15-16.
9. 2 Rs 2, 8.




III



JEAN LEUR REPONDIT: "MOI, JE BAPTISE DANS L’EAU; AU MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQU’UN QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS.

IL EST CELUI QUI DOIT VENIR APRES MOI, QUI EXISTAIT AVANT MOI, ET MOI JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE". MOI, JE BAPTISE DANS L’EAU.

244. La réponse de Jean est vraie. Il répond d’abord en parlant de son ministère, puis en parlant du Christ [n° 245]. Il leur dit: MOI, JE BAPTISE DANS L’EAU, autrement dit: n’allez donc pas vous étonner si je baptise, alors que je ne suis ni le Christ, ni Elie, ni le Prophète: mon baptême ne mène pas à la perfection, il est imparfait. En effet, pour qu’un baptême soit parfait, il lui faut laver le corps et l’âme; or l’eau, par nature, lave le corps, mais l’âme ne peut être lavée que par l’esprit. C’est pourquoi Jean-Baptiste dit: MOI, JE BAPTISE DANS L’EAU, c’est-à-dire je lave le corps par une réalité corporelle; un autre viendra qui baptisera d’une manière parfaite, dans l’eau et l’Esprit Saint; Il sera Dieu et homme, Il lavera le corps avec l’eau, l’esprit avec l’Esprit, de telle sorte que la sanctification de l’es prit rejaillira sur le corps — Jean a baptisé dans l’eau, mais vous, sous peu de jours, vous serez baptisés dans l’Esprit Saint 11.
10. Isaïe 30, 10.
11. Ac 1, 5.


245. [Après avoir parlé de son ministère,] Jean rend témoignage au Christ; d’abord par rapport aux Juifs: AU MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQU’UN QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS; ensuite par rapport à lui-même: IL EST CELUI QUI DOIT VENIR APRES MOI... [n° 247].


AU MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQU’UN QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS.

246. Jean situe ici le Christ par rapport aux Juifs. Ses précédentes paroles revenaient à dire: "Moi, j’ai fait une oeuvre imparfaite; mais il y en a un autre qui parachèvera mon oeuvre". Or cet autre, ajoute-t-il, SE TIENT AU MILIEU DE VOUS. On peut expliquer cette dernière parole de multiples manières.

D’après Grégoire, Chrysostome et Augustin, elle a trait à la vie commune du Christ avec les hommes par ce que, selon la nature humaine, Il apparut semblable aux autres hommes — Lui qui était de condition divine, ne se prévalut pas d’être l’égal de Dieu, mais Il s’anéantit Lui-même, prenant condition d’esclave et se faisant semblable aux hommes. Il a paru comme un simple homme 12, C’est en ce sens que Jean dit: AU MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQU’UN, c’est-à-dire: Il a partagé votre vie bien des fois, comme étant l’un des vôtres — Je suis au milieu de vous comme celui qui sert 13, [Pourtant] VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, c’est-à-dire: que Dieu se soit fait homme, vous ne pouvez pas le comprendre. De même, vous ignorez combien Il est grand selon la nature divine, qui se cachait en Lui — Oui, Dieu est si grand qu’Il dépasse notre science 14, Aussi, comme le dit Augustin 15, "une lampe, c’est-à-dire Jean, fut allumée pour que les hommes trouvent le Christ" — J’ai préparé une lampe à mon Christ 16.
12. Phi 2, 6.
13. Luc 22, 27.
14. Jb 36, 26.
15. Tract, in Jo., 5, 14, BA 71, p. 325.


Origène propose deux autres explications 17: D’après la première, les paroles de l’Evangéliste se rapportent à la divinité du Christ et doivent s’entendre ainsi: AU MILIEU DE VOUS, c’est-à-dire au milieu de toutes les réalités, SE TIENT QUELQU’UN, c’est-à-dire le Christ, car en tant que Verbe de Dieu Il a rempli toute la création depuis son commencement — Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas, moi? dit le Seigneur 18. Cependant VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, parce que, comme l’Evangéliste le dit plus haut, Il était dans le monde (...) et le monde ne l’a pas connu 19.

D’après la seconde explication d’Origène, ces paroles se rapportent au fait que le Verbe est cause de la sagesse humaine, et il est dit: QUELQU’UN SE TIENT AU MILIEU DE VOUS, c’est-à-dire qu’Il brille dans toutes les intelligences, parce que tout ce qui est lumière et sagesse dans les hommes leur vient de leur participation au Verbe. Et Jean dit AU MILIEU, parce qu’au milieu du corps de l’homme se trouve le coeur; or on attribue au coeur sagesse et intelligence, de sorte que, bien que l’intelligence n’ait pas d’organe corporel, le coeur, parce qu’il est l’organe principal, est pris habituellement pour l’intelligence. L’Evangéliste dit donc, selon cette comparaison, que le Verbe SE TIENT AU MILIEU, en tant qu’Il illumine tout homme venant en ce monde; cependant VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, parce que, comme l’Evangéliste l’a dit plus haut, la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas étreinte 20.

Enfin, selon une quatrième explication, ces paroles se rapportent à l’annonce prophétique du Christ. La réponse s’adresse spécialement aux Pharisiens: ils ne cessaient de consulter les écrits de l’Ancien Testament qui annonçaient le Christ, et pourtant ils ne Le con naissaient pas. D’après cette interprétation, le Précurseur dit AU MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQU’UN, c’est-à-dire dans la Sainte Ecriture que vous ruminez sans cesse — Vous scrutez les Ecritures 21 — et cependant VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, parce que votre coeur est endurci à cause de votre infidélité, et vos yeux sont aveuglés de sorte que vous ne reconnaissez pas présent Celui dont vous croyez qu’Il va venir.
16. Ps 131, 17.
17. Sur saint Jean, 6, § 188, SC 157, pp. 269-271.
18. Jr 23,24.
19. Jean 1, 10.
20. Jean 1, 9 et 5.





£[27] IL EST CELUI QUI DOIT VENIR APRES MOI, QUI EXISTAIT AVANT MOI, ET MOI JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE.

247. Jean considère ici le Christ par rapport à lui-même. Il affirme d’abord l’éminence du Christ par rap port à lui, et montre ensuite l’immensité de cette éminence [n° 249].

248. Jean-Baptiste montre l’éminence du Christ par rapport à lui-même à la fois dans l’ordre de la prédication et dans l’ordre de la dignité. En premier lieu dans l’ordre de la prédication; c’est pour cela qu’il déclare.

Il est Celui qui vient après moi, pour prêcher, baptiser et mourir — Tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses voies 22. Mais Jean précède le Christ comme l’imparfait précède le parfait, et comme la dis position précède la forme, selon ce que dit l’Apôtre.

Ce n’est pas le spirituel qui paraît d’abord, mais ce qui est charnel 23. En effet, toute la vie de Jean a été une préparation au Christ. C’est pourquoi il a dit plus haut

Je suis la voix de celui qui crie dans le désert. Mais le Christ a précédé Jean et nous tous, comme le parfait pré cède l’imparfait et le modèle son image. [Il dit Lui-même]: Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renon ce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive et [Pierre écrit:] Le Christ a souffert pour nous, vous laissant un exemple, afin que vous suiviez ses traces 25.

Jean montre encore l’éminence de Jésus dans l’ordre de la dignité, en disant: IL EXISTAIT AVANT MOI, c’est-à-dire: Il a été placé devant moi et Il me devance en dignité parce que, comme il est dit plus loin: Il faut que Lui croisse et que moi je diminue 26.
21. Jean 5, 39.
22. Luc 1, 76.
23. 1 Corinthiens 15, 46.


249. Puis Jean indique l’immensité de l’éminence [du Christ] en disant: ET MOI JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE. C’est-à-dire ne pensez pas qu’Il me dépasse en dignité comme un homme doit être préféré à un autre, mais d’une manière si éminente que je ne suis rien en comparaison de Lui. C’est évident, puisque JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE, ce qui est le plus humble des services que l’on puisse rendre aux hommes.

Il ressort de là que Jean était très avancé dans la connaissance de Dieu, en ce sens que la considération de l’infinie grandeur de Dieu le faisait se mépriser totale ment et se compter pour rien. De même Abraham, lors qu’il eut reconnu Dieu, disait Je parlerai à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre 27. Et Job, après avoir vu le Seigneur, s’écria: Maintenant mon oeil te voit, c’est pourquoi je m’accuse moi-même, et je fais pénitence dans la poussière et la cendre 28.

Quant à Isaïe, après avoir vu la gloire de Dieu, il dit: Toutes les nations sont devant Lui comme si elles n’existaient pas 29. Cette lecture est littérale.
24. Mt 16, 24.
25. 1 Pe 2, 21.
26. Jean 3, 30.
27. Gn 18, 27.
28. Jb 42, 5.




250. Cependant il y a aussi un sens mystique. Selon Grégoire 30, par la chaussure qui est faite avec des peaux d’animaux morts, il faut entendre la nature humaine mortelle que le Christ a prise — J’étendrai ma chaussure en Idumée 31. La courroie de la chaussure est l’union même de la divinité et de l’humanité, que ni Jean ni aucun autre ne peut dénouer, ni n’a pu pleinement scruter, puisque cette union était telle qu’elle faisait de l’homme un Dieu et de Dieu un homme. C’est pourquoi Jean dit: JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE, c’est-à-dire d’expliquer le mystère de l’Incarnation, etc., — entendons au sens plénier et parfait; car, d’une certaine manière, Jean et les autres prédicateurs, bien qu’imparfaitement, dénouent la courroie de sa chaussure.

Voici une autre lecture mystique 32: selon l’ancienne Loi, lorsque quelqu’un mourait sans enfant, le frère du défunt était tenu de prendre l’épouse du défunt et de donner, de cette épouse, une descendance à son frère. Si celui-ci ne voulait pas la prendre pour épouse, alors un proche parent du défunt, qui acceptait d’épouser la veuve, devait enlever [au frère] sa chaussure, signifiant par là le désistement de ce dernier; il prenait alors la veuve pour épouse, et la maison du premier devait s’appeler maison du déchaussé 33. Se référant à cela, Jean dit: JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE, c’est-à-dire: Je ne suis pas digne d’avoir pour épouse celle qui est due [au Christ], l’Eglise. C’est comme s’il disait: je ne suis pas digne d’être appelé l’époux de l’Eglise, elle qui est consacrée au Christ dans le baptême de l’Esprit; moi je baptise seulement dans l’eau — Celui qui a l’épouse est l’époux; mais l’ami de l’époux, qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux: cette joie qui est mienne est donc à son comble 34.
29. Isaïe 40, 17.
30. In Libri XL hom., 7, eh. 3, PL 76, col. 1101 B.
31. Ps 59, 10.
32. Cf. SAINT GRÉGOIRE, op. cit., col. 1101 C.
33. Cf. Deut 25, 5-10.



IV

CELA SE PASSAIT A BETHANIE, AU DELA DU JOURDAIN, OU JEAN BAPTISAIT.

251. L’Evangéliste signale ensuite le lieu où ces choses se sont passées.

A ce propos une question se pose: alors que Béthanie est sur le mont des Oliviers, situé près de Jérusalem, comme le dit Jean l’Evangéliste 35, ainsi que Marc 36 et Luc 37 comment Jean peut-il dire ici que CELA SE PASSA AU DELA DU JOURDAIN, qui était très éloigné de Jérusalem? Voici la réponse que donnent Origène 38 et Chrysostome 39: il ne faut pas lire Béthanie, mais Béthabora, ville située au delà du Jourdain; le fait que le texte dise "Béthanie" serait dû à une erreur des copistes. Cependant, les manuscrits grecs et latins portent communément "Béthanie"; il faut donc répondre autrement et dire qu’il y a deux Béthanie, l’une qui est près de Jérusalem, sur le flanc du mont des Oliviers, l’autre au delà du Jourdain, où Jean baptisait.
34. Jean 3, 29.
35. Jean 11, 18.
36. Mc 11, 1.
37. Le 19, 29.
38. Sur saint Jean, 6, § 204. 205, pp. 285-287.
39. In. Toannem hom., 17, eh. 1, PG 59, col. 107.


252. Le fait que l’Evangéliste fasse mention du lieu a une signification littérale et une signification mystique. Voici la signification littérale, selon Chrysostome 40: lors que Jean écrivait son Evangile, peut-être des contemporains de ces événements vivaient-ils encore, qui avaient vu ce lieu; et, pour donner une plus grande certitude, il les fait témoins de ce qu’ils avaient vu.

Selon la signification mystique, ces lieux conviennent au baptême. En effet, si on lit BETHANIE, qui se traduit "maison d’obéissance", cela signifie que l’obéissance de la foi est nécessaire pour parvenir au baptême — [ainsi l’Epître aux Romains dit:] Nous, nous avons reçu mission d’Apôtre pour amener tous les païens à l’obéissance de la loi 41. Mais si on lit "Béthabora", qui se traduit "maison de la préparation", cela signifie que, par le baptême, nous sommes préparés à la vie éternelle.

Et que Béthanie soit AU DELA DU JOURDAIN n’est pas sans signification cachée. JOURDAIN, en effet, veut dire "leur descente" et, selon Origène 42, signifie le Christ qui descendit des cieux, comme Il le dit Lui-même: Je suis descendu du ciel pour faire (...) la volonté de mon Père 43. C’est pourquoi la Sagesse dit d’elle-même: Je suis comme un canal issu d’un fleuve 44. Il convient en effet que par le Christ soient purifiés tous ceux qui entrent dans ce monde, selon cette affirmation de l’Apocalypse: Il nous a lavés de nos péchés dans son sang 45.

Le Jourdain peut aussi signifier le baptême. Il for me en effet la frontière entre ceux qui, d’un côté, ont reçu de Moïse leur héritage, et ceux qui, de l’autre, l’ont reçu de Josué 46; ainsi le baptême forme une sorte de frontière entre les Juifs et les païens qui s’y rendent pour se laver en venant au Christ, afin de déposer la honte du péché. De même, en effet, que les fils d’Israël au moment de leur entrée dans la terre promise ont eu à franchir le Jourdain, de même c’est par le baptême qu’il faut [pour] entrer dans la patrie céleste.

L’Evangéliste dit: AU DELA DU JOURDAIN, pour faire comprendre que Jean prêchait son baptême de pénitence même aux transgresseurs de la Loi et aux pécheurs; c’est pourquoi le Seigneur dit pareillement: Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs 47.
40. Ibid.
41. Ro 1, 5.
42. Sur saint Jean, 6, § 217-218, pp. 295-297.
43. Jean 6, 38.
44. Sir 24, 41 (LXX 24, 30).
45. Ap 1, 5.
46. Cf. JOS 3, 7-13 c’est Josué qui a conduit le peuple d’Israël en terre promise. Voir Sur saint Jean, 6, § 227-232, pp. 303-305.
47. Mt 9, 13.




Jean 1, 29-34: JEAN, TEMOIN DU CHRIST AGNEAU DE DIEU, VRAI FILS DE DIEU

14
Thomas sur Jean 12