Thomas sur Jean 18

18Jn 2,12-17


366. Plus haut [n° 335] l’Evangéliste a exposé le signe que fit le Christ pour affermir ses disciples; ce signe relevait de son pouvoir de transformer la nature. Ici, il s’agit de sa Résurrection, qui relève de ce même pouvoir et que le Christ annonça dans le dessein de convertir les foules.

L’Evangéliste commence [c'est l’objet de cette leçon] par exposer l’occasion de l’annonce du miracle [de la Résurrection]; il rapporte ensuite la prophétie elle-même [n° 393].

Au sujet de l’occasion, l’Evangéliste nous décrit le lieu [n° 367], puis indique le fait qui fut l’occasion de l’annonce du miracle [n° 380].


APRES CELA, IL DESCENDIT A CAPHARNAUM AVEC SA MERE, SES FRERES ET SES DISCIPLES, ET ILS N’Y RESTERENT QUE PEU DE JOURS. LA PÂQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE, ET JESUS MONTA A JERUSALEM.

Le lieu où cela se passa est Jérusalem; c’est pour quoi l’Evangéliste montre graduellement dans quel ordre le Seigneur se rendit à Jérusalem: il montre comment Il descendit d’abord à Capharnaüm, puis comment Il monta à Jérusalem [n° 374].

En ce qui concerne la descente de Jésus à Capharnaüm, Jean commence par indiquer le lieu [n° 367]; puis il décrit l’entourage de Jésus [n° 369]; enfin il indique la durée de son séjour [n° 372].

 APRES CELA, IL DESCENDIT A CAPHARNAUM

367. Le lieu où Jésus descendit est Capharnaüm; c’est pourquoi Jean dit: APRES CELA, c’est-à-dire après le miracle du vin, IL DESCENDIT A CAPHARNAÜM. Il semble, du point de vue historique, que cette affirmation soit contredite par Matthieu 1; pour lui, le Seigneur serait descendu à Capharnaüm après l’emprisonnement de Jean-Baptiste: or ce que l’Evangéliste rapporte ici est tout à fait antérieur à l’emprisonnement de Jean: car Jean n’avait pas encore été mis en prison 2.

Pour comprendre cette question, il faut savoir que, d’après l’Histoire ecclésiastique 3, les autres Evangélistes, c’est-à-dire Matthieu, Marc et Luc, commencèrent leur récit évangélique à l’époque de l’emprisonnement de Jean-Baptiste. Ainsi Matthieu, aussitôt après avoir raconté le baptême du Christ, son jeûne et sa tentation, commence son récit à partir de l’emprisonnement de Jean-Baptiste: Comme Jésus avait appris l’arrestation de Jean-Baptiste, Il se retira en Galilée 4.Marc fait de même et écrit: Après l’arrestation de Jean-Baptiste, Jésus vint en Galilée 5. Lorsque Jean l’Evangéliste, qui survécut aux trois autres Evangélistes, eut connaissance de leurs écrits, il en approuva la fidélité et la vérité. Cependant, voyant qu’il y manquait certains faits — les actions du Seigneur au temps de sa première prédication et avant l’emprisonnement de Jean —, à la prière des fidèles il fit remonter plus haut son Evangile en rapportant les actions du Seigneur avant l’arrestation de Jean, c’est-à-dire en partant de l’année où Jésus fut baptisé, comme on le voit dans l’ordre du récit de son Evangile. Ainsi les Evangélistes ne s’opposent pas, parce que le Seigneur descendit deux fois à Capharnaüm: une première fois avant l’emprisonnement de Jean-Baptiste — il s’agit de celle dont Jean parle ici; et une autre fois, après — celle dont parlent Matthieu 6 et Luc 7.
1. Mt 4, 12.
2. Jean 3, 24.
3. EUSÈBE, Histoire ecclésiastique, 3, ch. 24, trad. G. Bardy, SC 31, Le Cerf, Paris 1952, p. 132.
4. Mt 4, 12.
5. Mc 1, 14.


368. Capharnaüm veut dire "ville très belle" et signifie ce monde dont la beauté provient de l’ordre et de la disposition [pensée par] la divine Sagesse — La beauté des champs est en ma possession [dit le Seigneur] 8 Le Seigneur descendit donc à Capharnaüm, c’est-à-dire dans ce monde, avec sa mère, ses frères et ses disciples. Car au ciel, le Seigneur a un Père, mais pas de mère; sur terre, Il a une Mère, mais pas de père; aussi Jean nomme-t-il expressément sa Mère seule 9. Au ciel, Il n’a pas non plus de frères, car Il est le Fils unique qui est dans le sein du Père 10; mais, sur terre, Il est le premier-né d’une multitude de frères 11. Sur terre, le Christ a des disciples à qui Il enseigne les mystères de la divinité auparavant inconnus des hommes, car l’Apôtre dit: Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils 12.

Capharnaüm peut encore se traduire par "champ de consolation", et signifie alors tout homme qui porte du bon fruit — Voici, l’odeur de mon fils est comme l’odeur d’un champ fertile, que le Seigneur a béni [Isaac de son fils Jacob] 13 Un tel homme est appelé" champ de consolation" car il console le Seigneur qui se réjouit de ses progrès — Comme l’épousée fait l’allégresse de l’époux, tu feras l’allégresse de ton Dieu 14, et parce que les anges se réjouissent de sa bonté — Il y a de la joie parmi les anges de Dieu pour un seul pécheur qui fait pénitence 15.
6. Mt 4, 13.
7. Luc 4, 31.
8. Ps 49, 11.
9. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract. in Ioann., 8, ch. 8, BA 71, pp. 488-489.
10. Jean 1, 18.
11. Ro 8, 29.
12. He 1, 1.



 AVEC SA MERE, SES FRERES ET SES DISCIPLES

369. L’Evangéliste dit: IL DESCENDIT AVEC SA MERE. Jésus était donc accompagné en premier lieu de sa Mère, car elle était venue aux noces et c’est elle qui avait sollicité le miracle; le Seigneur la reconduisait à Nazareth 16, ville de Galilée dont la métropole était Capharnaüm.

370. En second lieu, Jésus était accompagné de SES FRERES. A ce sujet il faut se garder de deux erreurs. En premier lieu celle d’Elvidius, pour qui la Vierge eut d’autres fils après le Christ; ce sont ceux-là qu’il appelle "frères" du Seigneur, ce qui est hérétique. Notre foi tient que la Mère du Christ, vierge avant l’enfantement, le demeura pendant et après l’enfantement.

Ensuite, l’erreur de ceux qui prétendent que Joseph avait engendré d’une autre épouse des fils qu’on appelait "frères" du Seigneur; mais l’Eglise ne l’admet pas. Aussi Jérôme 17 les condamne-t-il. En effet le Seigneur, suspendu à la croix, confia la Vierge, sa Mère, à la garde du disciple vierge; donc, puisque Joseph a été le gardien spécial de la Vierge et même du Sauveur pendant son enfance, on peut croire qu’il fut vierge lui-même.

En conséquence, selon une saine intelligence du texte, nous disons que les "frères" du Seigneur étaient des parents consanguins de la Vierge, sa Mère, à un degré quelconque, ou encore de Joseph que l’on croyait père de Jésus; cela est conforme à l’usage de la Sainte Ecriture, qui appelle en général "frères" les parents consanguins. On lit par exemple dans la Genèse: Abraham dit à Lot: "Qu’il n’y ait pas de discorde entre toi et moi, car nous sommes frères" 18, alors que Lot était le neveu d’Abraham. Remarquons d’autre part que l’Evangéliste nomme séparément les FRERES et les DISCIPLES de Jésus, parce que tous les parents consanguins du Christ n’étaient pas ses disciples — Même ses frères ne croyaient pas en Lui 19.
13. Gn 27, 27; cf. ORIGÈNE, Sur saint Jean, 10, § 37, SC 157, pp. 405-407.
14. Isaïe 62, 5.
15. Luc 15, 10.
16. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In Ioannem hom., 23, ch. 1,
PG 59, col. 139.
17. Cf. plus haut, Prologue de saint Jérôme, n 15.


371. Enfin Jésus avait pour compagnons SES DISCIPLES. Cela pose une question: qui étaient ces disciples? Il semble, selon Matthieu, que les premiers à se convertir au Christ furent Pierre et André, Jean et Jacques; mais le Christ les appela après l’emprisonnement de Jean-Baptiste, Matthieu le dit clairement 20 ne semble donc pas que ceux-ci soient descendus avec le Christ à Capharnaüm, comme Jean le dit ici, puisque cette descente à Capharnaüm eut lieu avant l’emprisonnement de Jean-Baptiste.

A cela on peut donner deux réponses. Selon Augustin 21, Matthieu ne respecte pas l’ordre historique des faits, mais, récapitulant ce qu’il avait laissé de côté, il rapporte après l’emprisonnement de Jean-Baptiste des événements qui [réalité] sont antérieurs. Aussi, sans marquer d’aucune manière un rapport chronologique, Matthieu dit: Jésus marchant près de la mer vit deux frères, Simon (...) et André 22, sans ajouter "après cela" ou" en ces jours-ci".

L’autre réponse, également d’Augustin 23, est que par "disciples" l'Evangile n’entend pas seulement les douze que le Christ choisit et nomma Apôtres 24, mais aussi tous ceux qui croyaient en Lui et qui étaient instruits par son enseignement sur le Royaume des Cieux. Il se peut donc que, bien que les douze n’eussent pas encore suivi Jésus, d’autres cependant qui s’étaient joints à Lui soient appelés ici SES DISCIPLES. Cependant la première réponse est meilleure.
18. Gn 13, 8.
19. Jean 7, 5.
20. Mt 4, 18-22.
21. De cons. Evang., 2, ch. 17, § 39, PL 34, col. 1096.



 ILS N’Y RESTERENT QUE QUELQUES JOURS.

372. Jean résume ici brièvement le court séjour à Capharnaüm. La raison en est que les habitants de cette ville, parce qu’ils étaient très corrompus, ne montrèrent aucun empressement à recevoir la doctrine du Christ; c’est pourquoi Matthieu dit que le Seigneur les réprimanda, parce que ni les prodiges accomplis chez eux, ni son enseignement ne les avaient amenés à faire pénitence: Toi, Capharnaüm, crois-tu que tu seras élevée jus qu’au ciel? (...) jusqu’aux enfers tu descendras. Parce que, si les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu à Sodome, elle serait encore là aujourd’hui 25.Cependant, bien qu’ils fussent mauvais, le Seigneur descendit là pour y reconduire sa Mère, et Il s’y arrêta quel que temps afin de la consoler et de l’honorer 26.
22. Mt 4, 18.
23. Loc. cit.
24. Mt 10, 1-4; cf. Luc 6, 13.
25. Mt 11, 23.
26. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In Ioannem hom., 23, ch. 1, PG 59, col. 139.


373. Au sens mystique, l’Evangile de Jean nous fait connaître par là que certains ne peuvent retenir beau coup de paroles du Christ mais se contentent de peu pour leur illumination, à cause du peu de capacité de leur intelligence. C’est pourquoi, selon Origène 27, auprès de ceux-là le Christ ne s’attarde pas à de longs enseignements — J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent 28.

374. L’Evangéliste indique ensuite le lieu où monta Jésus. A ce sujet il rapporte d’abord l’occasion de sa montée à Jérusalem; puis il parle de la montée elle-même [n° 378].


LA PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE

375. L’occasion de sa montée fut la Pâque des Juifs, qui était imminente. Dans l’Exode, il est prescrit que, trois fois par an, tous les mâles viendront devant le Seigneur 29; et la Pâque était l’une de ces trois époques. Comme le Seigneur était venu pour donner à tous l’exemple de l’humilité et de la perfection, Il voulut, aussi longtemps qu’elle serait en vigueur, observer la Loi; car Il vint non l’abolir, mais l’accomplir, comme Il le dit Lui-même 30; pour ce motif, comme LA PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE, JESUS MONTA A JERUSALEM. A l’exemple du Christ, nous devons donc observer avec soin les préceptes divins. Si en effet, célébrant les solennités, le Fils de Dieu a accompli les prescriptions de la Loi qu’Il avait donnée, avec quelle grande application pour les bonnes oeuvres ne devons-nous pas pré parer et célébrer les fêtes?
27. Sur saint Jean, 10, ch. 9, § 41, SC 157, p. 411.
28. Jean 16, 12.
29. Ex 23, 17.
30. Mt 5, 17.


376. Remarquons que Jean, dans son Evangile, fait mention de la Pâque en trois endroits: ici, puis plus loin à propos du miracle des pains: La Pâque était proche, jour de la fête des Juifs 31; et, plus loin encore: Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue... 32. Nous savons donc, d’après cet Evangile, qu’après le miracle du vin le Christ prêcha durant deux ans, plus le temps compris entre son baptême et la Pâque; car le fait dont nous parlons eut lieu vers la Pâque, comme le dit ici Jean. Après une année révolue, à un moment proche de la Pâque suivante, Jésus fit le miracle des pains, et c’est à cette époque que Jean-Baptiste fut décapité. C’est bien aux environs de la Pâque qu’il fut décapité, puisque, comme le dit Matthieu 33, aussitôt après la décollation de Jean-Baptiste, le Christ se retira au désert et y fit le miracle des pains qui eut lieu aux alentours de la Pâque comme Jean le dit plus loin 34. Toutefois on célèbre la fête de cette décollation le jour de la découverte de la tête de Jean-Baptiste. Enfin Jésus souffrit sa passion lors d’une autre Pâque.

Selon l’opinion de ceux pour qui le miracle effectué aux noces et les faits rapportés ici eurent lieu l’année même du baptême du Christ, deux années et demie se seraient donc écoulées du baptême à la passion; ainsi, d’après eux, Jean dit que la PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE pour montrer que Jésus avait été baptisé peu de jours auparavant.

Cependant l’Eglise soutient le contraire. Nous croyons en effet que le Christ accomplit le miracle du vin un an jour pour jour après son baptême; que, un an plus tard, aux approches de la Pâque, Jean-Baptiste fut décapité; et que, depuis cette Pâque aux environs de laquelle Jean fut décapité, jusqu’à la Pâque où souffrit le Christ, il s’écoula une année. Il faut donc qu’il y ait eu, entre le baptême du Christ et le miracle du vin, une autre Pâque dont aucun évangéliste ne fait mention.

Ainsi, selon ce que l’Eglise affirme, le Christ prêcha trois ans et demi.
31. Jean 6, 4.
32. Jean 13, 1.
33. Mt 14, 13.
34. Jean 6, 4.


377. Si Jean dit LA PAQUE DES JUIFS, ce n’est pas parce que des hommes d’une autre nation auraient eux aussi célébré la Pâque, mais pour deux raisons qui sont les suivantes 35. Nous disons en effet qu’une fête célébrée d’une manière sainte et avec pureté d’intention est une fête célébrée pour le Seigneur; si au contraire on ne la célèbre ni purement, ni saintement, on célèbre non pour le Seigneur, mais pour soi-même — [c’est pour quoi le Seigneur dit:] Mon âme a horreur de vos nouvelles lunes et de vos fêtes 36; autrement dit: parce que vous les célébrez non pour moi, mais pour vous, elles me déplaisent. Quand vous jeûniez, (...) était-ce pour moi que vous jeûniez? 37 Non [veut-il dire], mais pour vous. Et puisque les Juifs dont il est question ici étaient corrompus et célébraient mal leur Pâque, l’Evangéliste ne dit pas: "La Pâque du Seigneur", mais: LA PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE.

Ou encore, Jean s’exprime ainsi pour différencier la Pâque DES JUIFS de la nôtre; la Pâque DES JUIFS était préfigurative, car elle était célébrée par l’immolation d’un agneau, figure du Christ; tandis que notre Pâque est la véritable: en elle, nous commémorons la véritable passion de l’Agneau immaculé — Le Christ, notre Pâque, a été immolé 38.
35. Cf. ORIGÈME. Sur saint Jean, 10, ch. 13, § 67 ss. SC 157, p. 427.
36. Isaïe 1, 14.
37. Zach 7, 5.
38. 1 Corinthiens 5, 7.





ET JESUS MONTA A JERUSALEM.

378. Notons ici que, selon l’ordre historique des faits, Jésus est monté à deux reprises à Jérusalem vers la fête de la Pâque et a chassé du Temple acheteurs et vendeurs: une première fois avant l’emprisonnement de Jean-Baptiste (c’est ce que rappelle ici l’Evangéliste); une autre fois, alors que le temps de la passion était imminent, comme le raconte Matthieu 39. En effet, à plusieurs reprises le Seigneur a fait les mêmes oeuvres: on le constate à propos des deux aveugles à qui Il a donné la vue, guérisons dont l’une est rapportée par Matthieu 40, l’autre par Marc 41. De la même façon, Il chasse deux fois du Temple vendeurs et acheteurs.

379. JESUS MONTA A JERUSALEM peut être pris au sens mystique. Jérusalem, qui veut dire "vision de paix", signifie la béatitude éternelle vers laquelle Il monta et conduisit les siens. Et le fait que Jésus descende à Capharnaüm pour ensuite monter à Jérusalem n’est pas sans signification mystique; car s’Il n’était pas d’abord descendu, Il n’aurait pu monter — Celui qui est descendu, c’est le même qui est aussi monté 42. Cependant l’Evangéliste ne fait pas mention des disciples dans la montée vers Jérusalem parce que l’ascension des disciples est la conséquence de l’ascension du Christ — Personne n’est monté au ciel si ce n’est Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel 43.

II

IL TROUVA DANS LE TEMPLE DES GENS QUI VEN DAIENT DES BOEUFS, DES BREBIS ET DES COLOM BES, ET LES CHANGEURS ASSIS.

ET SE FAISANT UN FOUET AVEC DES CORDES, IL LES CHASSA DU TEMPLE, AINSI QUE LES BREBIS ET LES BOEUFS; IL JETA PAR TERRE LA MONNAIE DES CHANGEURS ET RENVERSA LEURS TABLES. ET IL DIT A CEUX QUI VENDAIENT DES COLOMBES: "ENLEVEZ CELA D’ICI, ET NE FAITES PAS DE LA MAISON DE MON PERE UNE MAISON DE TRAFIC. " SES DISCIPLES SE SOUVINRENT QU’IL EST ECRIT: LE ZELE DE TA MAISON ME DEVORERA.

380. L’Evangéliste rapporte ici le fait qui amena le Christ à donner aux Juifs le signe de la Résurrection; il montre d’abord la perversion des Juifs, puis il indique le remède que le Christ lui applique [n° 384], où il voit la réalisation d’une parole prophétique [n° 392].


IL TROUVA DANS LE TEMPLE DES GENS QUI VENDAIENT DES BOEUFS, DES BREBIS ET DES COLOM BES, ET LES CHANGEURS ASSIS.

381. A propos de cette perversion des Juifs, il faut savoir que le diable tend des embûches dans les choses de Dieu et s’efforce de les corrompre. Parmi les divers moyens dont il use pour corrompre les choses saintes, le principal est le vice de l’avarice — Les pasteurs d’Israël ne comprennent rien, ils se détournent pour suivre leur propre chemin, chacun suit son avarice, du plus grand au plus petit 44. C’est ce qu’a fait le diable depuis les temps les plus reculés. Car les prêtres de l’Ancien Testament, qui avaient été établis pour vaquer aux choses divines, s’adonnaient à l’avarice. Or Dieu avait ordonné dans la Loi qu’en certaines solennités on immolât au Seigneur tels et tels animaux; pour accomplir ce précepte, ceux qui habitaient près du Temple y venaient en amenant les animaux avec eux, mais ceux qui venaient de loin ne pouvaient agir de même. Aussi, comme ce genre d’offrande profitait aux prêtres, pour que ceux qui venaient de loin soient pourvus d’animaux à offrir, les prêtres eux-mêmes s’arrangèrent pour qu’on vendît ces animaux dans le Temple; à cet effet ils les faisaient exposer dans le Temple, c’est-à-dire sur les parvis du Temple. C’est ce que dit Jean: Le Seigneur TROUVA DANS LE TEMPLE DES GENS QUI VENDAIENT DES BOEUFS, DES BREBIS ET DES COLOMBES. Il mentionne ici deux espèces d’animaux vivant sur terre qui, selon la Loi, pouvaient être offerts au Seigneur en sacrifice: le boeuf et la brebis. Une troisième espèce qu’on offrait aussi et qui vit sur terre, la chèvre, est comprise avec la brebis. De la même façon, la tourterelle est comprise avec la colombe; en effet, parmi les oiseaux on en offrait deux au Seigneur: la colombe et la tourterelle.
39. Mt 21, 12-16.
40. Mt 9, 28.
41. Mc 10, 46.
42. Eph 4, 10.
43. Jean 3, 13.
44. Isaïe 56, 11.


382. Comme il arrivait parfois que certains se rendent au Temple sans animaux ni argent, et ne puissent donc rien acheter, les prêtres trouvèrent une astuce d’avare: ils installèrent des changeurs et des banquiers qui prêtaient de l’argent à ceux qui n’en avaient pas. Ceux-ci ne pratiquaient pas l’usure, parce que cela était interdit par la Loi, mais ils recevaient à la place de petits cadeaux et des objets sans valeur qui, eux aussi, passaient au profit des prêtres. C’est à cela que Jean fait allusion en disant que le Seigneur trouva DES CHANGEURS ASSIS dans le Temple, disposés à prêter de l’argent.

383. Au sens mystique, les paroles de l'Evangéliste peuvent s’entendre de trois manières. D’abord, vendeurs et acheteurs signifient ceux qui vendent ou achètent les biens ecclésiastiques. Les BREBIS, les BOEUFS et les COLOMBES symbolisent les biens ecclésiastiques spirituels et ce qui leur est lié. Car ces biens ont été consacrés et ratifiés par la doctrine des Apôtres et des docteurs, symbolisés par les BOEUFS — Où les récoltes sont abondantes, la force du boeuf paraît clairement 45, et par le sang des martyrs, symbolisés par les BREBIS: c’est en leur nom que parlent le Psalmiste 46 et l’Apôtre: On nous regarde comme des brebis d’abattoir 47. Il y a enfin les dons du Saint-Esprit, symbolisés par les COLOMBES car, comme le dit Jean: J’ai vu l’Esprit des cendre du ciel comme une colombe 48. C’est donc la doctrine même des Apôtres, le sang des martyrs et les dons du Saint-Esprit, que vendent ceux qui osent vendre les biens ecclésiastiques spirituels et ce qui leur est lié.

II arrive également que certains prélats ou intendants des Eglises vendent BOEUFS, BREBIS et COLOMBES, non pas ouvertement, par simonie, mais inconsciemment, par négligence: par exemple quand ils convoitent et s’occupent des richesses temporelles au point d’en négliger le salut spirituel de ceux qui leur sont soumis; car, ce faisant, ils vendent BREBIS, BOEUFS et COLOMBES, c’est-à-dire les trois sortes d’hommes qui leur sont soumis. D’abord les prédicateurs et les responsables d’oeuvres, symbolisés par les BOEUFS — Heureux vous qui semez partout où il y a de l’eau, et laissez en liberté le pied du boeuf et de l’âne. Car les prélats doivent assigner leur place aux BOEUFS, c’est-à-dire aux docteurs et aux sages, parmi les ânes 49, c’est-à-dire les incultes et les simples. Ils tirent aussi profit des exécutants et de ceux qui s’acquittent d’un service, symbolisés par les BREBIS — Mes brebis entendent ma voix 50... Et ceux-ci qui sont des brebis, qu’ont-ils fait? 51 Enfin ils tirent profit des contemplatifs, symbolisés par les COLOMBES — Qui me donnera des ailes comme celles de la colombe? Alors je volerais et me reposerais, je m’enfuirais au loin et j’irais demeurer au désert 52.

Par le TEMPLE de Dieu, on peut aussi entendre l’âme spirituelle — Le temple de Dieu est saint, et ce temple c’est vous. L’homme vend donc BREBIS, BOEUFS et COLOMBES dans le TEMPLE quand il garde dans son âme les instincts bestiaux, pour lesquels il se vend au diable. Les boeufs, qui servent à l’agriculture, symbolisent les désirs terrestres; la brebis, animal stupide, signifie la sottise humaine; la colombe est le symbole de l’instabilité de l’homme: autant de choses que Dieu chasse du coeur des hommes.
45. Prov 14, 4.
46. Ps 43, 12.
47. Ro 8, 36.
48. Jean 1, 32.
49. Isaïe 32, 20.


384. C’est pourquoi Jean expose aussitôt le remède qu’employa le Seigneur, remède de l’oeuvre et de la parole, pour apprendre à ceux qui ont la charge de l’Eglise le devoir qu’ils ont de corriger leurs sujets par des actes et des paroles. Jean expose d’abord le remède que le Seigneur appliqua par des actes, ensuite celui qu’Il appliqua par sa parole [n° 387].


£[15] SE FAISANT UN FOUET AVEC DES CORDES, IL LES CHASSA TOUS DU TEMPLE, AINSI QUE LES BREBIS ET LES BOEUFS; IL JETA PAR TERRE LA MON NAIE DES CHANGEURS ET RENVERSA LEURS TABLES.

385. Le premier remède de Jésus consiste en trois actions: chasser les hommes, puis les brebis et les boeufs, enfin jeter par terre la monnaie. Il chasse les hommes avec un fouet, comme le dit Jean: SE FAISANT UN FOUET AVEC DES CORDES, IL LES CHASSA TOUS DU TEMPLE, ce qu’Il ne put faire qu’en usant de sa puissance divine; car, ainsi que le rapporte Origène 54, la puissance divine de Jésus pouvait, quand Il le voulait, étouffer la colère enflammée chez les hommes, comme Il pouvait calmer l’agitation des esprits — Le Seigneur, en effet, réduit à néant les pensées des hommes 55. Le Christ fait un FOUET DE CORDES parce que, selon Augustin 56, il tire de nos fautes la matière de notre punition; on appelle en effet CORDES l’enchaînement ininterrompu de péchés s’ajoutant les uns aux autres — Le méchant est lié par les cordes du péché 57. Malheur à vous qui vous servez des mensonges comme de cordes pour traîner une longue suite d’iniquités 58. Et de même qu’Il chassa les marchands du Temple, de même le Seigneur jeta à terre la monnaie des changeurs et renversa leurs tables.
50. Jean 10, 27.
51. 2 Sam 24, 17.
52. Ps 54, 7.
53. 1 Corinthiens 3, 17.


386. Remarquons-le, si le Christ chassa du Temple ce qui paraissait d’une certaine manière licite parce que cela était ordonné au culte de Dieu, à combien plus forte raison n’aurait-Il pas agi ainsi s’Il y avait trouvé des choses illicites. Il LES CHASSA donc parce que les prêtres ne cherchaient pas en cela l’honneur de Dieu, mais leurs intérêts propres; c’est pourquoi il est dit: Vous avez mis des incirconcis de coeur et de chair pour garder mes observances dans mon sanctuaire 59. Et le Seigneur montre du zèle pour l’observance de la Loi afin de confondre par là même les pontifes et les prêtres qui allaient Le calomnier à propos de cette Loi.

En chassant tout cela du Temple, Jésus donna aussi à entendre que les temps étaient proches où les sacrifices de la Loi devraient cesser et où le vrai culte de Dieu passerait aux gentils [Il le dira un jour explicitement aux Juifs]: Le Royaume de Dieu vous sera enlevé et il sera donné à une nation qui en produira les fruits 60. Et de même Il montrait que se damnent ceux qui ven dent les choses spirituelles — Périsse ton argent avec toi, puisque tu as pensé acquérir le don de Dieu à prix d’argent 61.
54. Sur saint Jean, 10, ch. 25, § 147, p. 477.
55. Ps 32, 10.
56. Tract, in Ioann., 10, 5, BA 71, p. 559.
57. Prov 5, 22.
58. Isaïe 5, 18.
59. Ez 44, 8. 9.



£[16] ENLEVEZ CELA D’ICI ET NE FAITES PAS DE LA MAISON DE MON PERE UNE MAISON DE TRAFIC.

387. Jean expose ici le remède que Jésus appliqua par sa parole. Remarquons que, d’après ce texte, les Simoniaques 62 doivent être aussitôt chassés de l'Eglise. Cependant, tant qu’ils vivent, ils peuvent se convertir en usant de leur libre arbitre et revenir à l’état de grâce avec l’aide de Dieu; ils ne doivent donc pas désespérer. Mais s’ils ne se convertissent pas, alors ils ne sont même plus chassés, ils sont liés par ceux à qui il est dit: Liez-lui pieds et mains et jetez-le dans les ténèbres du dehors 63. C’est pourquoi le Seigneur, observant cela, les avertit d’abord par ces paroles: ENLEVEZ CELA D’ICI; et ensuite Il leur donne la raison de son avertissement: NE FAITES PAS DE LA MAISON DE MON PERE UNE MAISON DE TRAFIC.
60. Mt 21, 43.
61. Ac 8, 20.
62. Voir n° 388. Cf. Ac 8, 18 ss. (l’histoire de Simon le magicien d’où vient le nom de" simonie" désignant le trafic des choses saintes).
63. Mt 22, 13.


388. Le Seigneur avertit donc les vendeurs de colombes en les réprimandant parce qu’ils symbolisent ceux qui vendent les dons du Saint-Esprit, c’est-à-dire les Simoniaques.

389. Et il donne la raison de son avertissement en disant: NE FAITES PAS DE LA MAISON DE MON PERE UNE MAISON DE TRAFIC... Otez de devant mes yeux la malignité de vos pensées 64. Remarquons que, d’après Matthieu 65, le Seigneur déclare: Ne faites pas de ma maison un repaire de brigands; mais qu’ici Il dit: UNE MAISON DE TRAFIC. Le Seigneur agit ainsi parce que, comme un bon médecin, Il commence par des remèdes assez doux pour en présenter ensuite de plus âpres. Le fait rapporté ici par Jean est le premier qui eut lieu. Aussi le Christ, au début, ne les appelle pas" brigands", mais" trafiquants". Cependant, parce qu’à cause de leur dureté ils n’avaient toujours pas cessé ce commerce, le Seigneur, les chassant de nouveau, les réprimande durement, traitant de brigandage ce qu’Il avait d’abord appelé négoce.

Le Seigneur dit LA MAISON DE MON PERE, afin de prévenir l’erreur des Manichéens 66 qui disaient que le Père du Christ n’avait pas été le Dieu de l’Ancien Testament, mais le Dieu du Nouveau. Si cela était vrai, puisque le Temple était la maison du Dieu de l’Ancien Testament, le Christ n’aurait certainement pas appelé le Temple la maison de son Père.

390. Mais pourquoi les Juifs ne sont-ils pas troublés de ce qu’Il appelle ici Dieu son PERE, alors que l’Evangéliste, plus loin 67, dit qu’ils Le persécutaient pour ce motif? A cette question il faut répondre que Dieu est le Père de certains par adoption, c’est-à-dire des justes, et que cela n’était pas nouveau pour les Juifs — Tu m’appelleras mon Père, et tu ne te sépareras pas de moi 68. Mais, par nature, Dieu n’est Père que du Christ — Le Seigneur m’a dit: Tu es mon Fils, c’est-à-dire mon propre et véritable FILS 69; et cela était inouï pour les Juifs. C’est parce que Jésus se disait le vrai Fils de Dieu que les Juifs Le persécutaient: Voilà pourquoi les Juifs cherchaient encore plus à Le faire mourir, parce que non seulement Il violait le sabbat, mais Il appelait encore Dieu son propre Père, se faisant l’égal de Dieu 70. Mais quand cette fois-ci Jésus appela Dieu son Père, les Juifs crurent que c’était par adoption.
64. Isaïe 1, 16.
65. Mt 21, 13; cf. Mc 11, 17, et Luc 19, 46.
66. Voir ci-dessus n° 81, note 22.
67. Jean 5, 18.


391. Que la maison de Dieu ne doive pas devenir une MAISON DE TRAFIC, le prophète Zacharie l’avait dit: En ces jours-là il n’y aura plus de marchands dans la maison du Seigneur des armées 71; et on lit dans les Psaumes, selon la version [des Septante]: Parce que je n’ai pas connu le négoce, je pénétrerai dans la puissance du Seigneur 72.


£[171 SES DISCIPLES SE SOUVINRENT QU’IL EST ECRIT: LE ZELE DE TA MAISON ME DEVORERA.

392. Jean cite ici la parole prophétique d’un Psaume 73. Il faut savoir à ce propos que ZELE [en latin zelus, qui signifie encore "jalousie"] exprime à proprement parler une certaine intensité d’amour, en vertu de laquelle celui qui aime intensément ne supporte rien qui s’oppose à son amour. C’est pourquoi on dit "jaloux" les maris qui, dans leur amour intense pour leur épouse, ne peuvent souffrir auprès d’elle la compagnie des autres, la trouvant contraire à leur amour. Donc, à proprement parler, on est" zélé" pour Dieu quand on ne peut supporter sans impatience rien qui soit contraire à l’honneur de Dieu, qu’on aime à l’extrême — Je suis rempli d’un zèle jaloux pour le Seigneur, le Dieu des armées 74.

Or nous devons aimer la maison du Seigneur — Seigneur, j’aime la beauté de ta maison 75. Nous devons tellement l’aimer que son zèle doit nous dévorer, en sorte que, si nous voyons faire quelque chose qui lui soit opposé, si chers que nous soient les coupables, nous nous efforcions d’y mettre fin sans craindre les maux qui peuvent en résulter pour nous. Aussi la Glose dit-elle: "Le bon zèle est la ferveur de l’âme, en vertu de laquelle l’esprit, rejetant la crainte, s’enflamme pour la défense de la vérité. En est dévoré celui qui, à la vue de n’importe quel désordre, s’efforce de le corriger et, s’il ne le peut, le supporte et gémit."
68. Jr 3,19.
69. Ps 2, 7.
70. Jean 5, 18.
71. Zach 14, 21.
72. Ps 70, 16.
73. Ps 68, 10.
74. 1 Rs 19, 10.
75. Ps 25, 8.




Jean 2, 18-35: LE SIGNE DU TEMPLE

19Jn 2,18-35


393. Après avoir exposé l’occasion de l’annonce du signe [n° 366], l'Evangéliste va maintenant faire connaître l’annonce elle-même. Il commence par l’exposer, puis fait connaître les fruits qu’elle porta [n° 416].


LES JUIFS REPLIQUERENT DONC ET DIRENT A JESUS: "QUEL SIGNE NOUS MONTRES-TU POUR AGIR AINSI?"

JESUS REPONDIT ET LEUR DIT: " DETRUISEZ CE TEMPLE ET EN TROIS JOURS JE LE RELEVERAI. " LES JUIFS LUI DIRENT ALORS: " ON A MIS QUARANTE-SIX ANS POUR BATIR CE TEMPLE ET TOI, EN TROIS JOURS TU LE RELEVE RAIS!" MAIS LUI PARLAIT DU TEMPLE DE SON CORPS. LORS DONC QU’IL FUT RESSUSCITE D’EN TRE LES MORTS, SES DISCIPLES SE SOUVINRENT QU’IL AVAIT DIT CELA, ET ILS CRURENT A L’ECRITURE ET A LA PAROLE QUE JESUS AVAIT DITE.

L’Evangéliste expose en premier lieu la demande du signe, puis il le fait connaître [n° 397), et montre enfin comment les Juifs comprirent le signe que le Christ leur donnait [n° 405).

LES JUIFS REPLIQUERENT DONC ET DIRENT A (2, 18) JESUS: "QUEL SIGNE NOUS MONTRES-TU POUR AGIR AINSI?"

394. Jean nous montre ici que les Juifs réclament un signe.

395. Il faut noter ici que, dans l’expulsion des marchands du Temple par Jésus, deux choses pouvaient être prises en considération dans le Christ: la droiture d’intention et le zèle, qui relèvent de la vertu, et la puissance ou l’autorité.

Si l’on regarde la vertu, c’est-à-dire la droiture d’intention et le zèle avec lesquels le Christ avait accompli ce que nous venons de dire, on n’avait pas à Lui demander un signe; car il est permis à chacun d’agir selon la [droiture de son intention]. Mais, si l’on regarde l’autorité avec laquelle Il les chassait du Temple, on pouvait Lui demander un signe, car il n’était pas permis à n’importe qui de faire cela, mais [seulement] à celui qui a autorité. Passant donc sous silence le zèle de Jésus et sa vertu, les Juifs Lui réclament un signe de son autorité: "QUEL SIGNE NOUS MONTRES-TU POUR AGIR AINSI?", c’est-à-dire: pourquoi nous chasses-tu avec tant de puissance et d’autorité? Cela ne semble pas être ta charge. De même, d’après Matthieu: "Par quel pou voir fais-tu cela, et qui t’a donné ce pouvoir 1?

396. Ils demandent donc un signe. Demander un signe était chose familière aux Juifs, puisque les signes les avaient amenés à la Loi. L’Ecriture dit en effet: Il ne s’est pas levé en Israël de prophète semblable à Moïse, lui que le Seigneur connaissait face à face, et qui fit tant de signes et de miracles 2.[Et selon Paul]: Les Juifs réclament des signes 3.C’est pour cette raison que David se plaint, au nom des Juifs: Nous n’avons plus vu de signes 4. Cependant ils demandent ici un signe, non pour croire, mais en espérant que le Christ n’en pourra produire aucun, et qu’ainsi ils pourront Le repousser et Le mettre dans l’embarras. Aussi, à cause de l’intention perverse de leur requête, Jésus ne leur donne pas un signe manifeste, mais un signe caché sous une figure, celui de sa Résurrection.
1. Mt 21, 23.
2. Deut 34, 10.



£[19] DETRUISEZ CE TEMPLE ET EN TROIS JOURS JE LE RELEVERAI.

397. L’Evangéliste rapporte ici comment le Christ leur donne le signe réclamé. Il leur donne le signe futur de sa Résurrection parce que c’est en cela que se manifeste au plus haut degré la puissance de sa divinité. En effet, il n’appartient pas à l’homme comme tel de se ressusciter des morts; seul le Christ, qui fut libre parmi les morts 5, put l’accomplir par la puissance de sa divinité. Ailleurs le Christ donne encore un signe semblable: Cette race méchante et adultère réclame un signe, et il ne lui sera pas donné d’autre signe que celui de Jonas le prophète 6, Bien qu’il ait donné dans les deux cas un signe voilé et en figure, ce dernier fut néanmoins plus clair, le premier plus obscur.
3. 1 Corinthiens 1, 22.
4. Ps 73, 9,
5. Ps 87, 6.
6. Mt 12, 39.


398. II faut remarquer qu’avant l’Incarnation Dieu donna à l’avance un signe de l’Incarnation future: Le Seigneur vous donnera Lui-même un signe: voici que la Vierge concevra et enfantera un fils, et elle lui donnera le nom d’Emmanuel 7; de même donna-t-II aussi à l’avance un signe de sa Résurrection future, parce qu’en ces deux mystères du Christ se manifeste au plus haut degré la puissance de la divinité. Rien, en effet, n’a pu se faire de plus admirable, que ceci: que Dieu se soit fait homme et que l’humanité, dans le Christ, ait été rendue participante, après sa Résurrection, de l’immortalité divine — Le Christ ressuscité d’entre les morts ne meurt plus (...) sa vie est une vie pour Dieu 8, c’est-à-dire semblable à Dieu.

399. Mais il faut être attentif aux paroles par les quelles ce signe est donné. Le Christ dit que SON CORPS est un temple; la raison en est qu’on appelle "temple" un lieu où Dieu habite — Le Seigneur est dans son temple saint 9.C’est pour cela que l’âme sainte en qui Dieu habite est appelée "temple de Dieu": Le temple de Dieu est saint, et ce temple c’est vous 10. Donc, puisque dans le corps du Christ demeure la divinité, le corps du Christ est le temple de Dieu non seulement en tant qu'[il a une] âme, mais encore en tant qu’il est corps — En lui réside corporellement toute la plénitude de la divinité 11. En nous aussi, certes, Dieu habite par sa grâce, c’est-à-dire [par le moyen de] l’acte de l’intelligence et de la volonté, qui n’est pas acte du corps, mais de l’âme seulement; mais dans le Christ, Dieu habite selon l’union hypostatique, union qui n’inclut pas l’âme seulement, mais aussi le corps; c’est pourquoi le corps même du Christ est le temple de Dieu.

400. Nestorius 12, trouvant là l’occasion de son erreur, prétend que le Verbe de Dieu n’est uni à la nature humaine que par inhabitation; ainsi, d’après lui, dans le Christ, autre est la personne de Dieu et autre la personne de l’homme comme on l’a dit plus haut. C’est pourquoi il faut préciser que l’inhabitation de Dieu dans le Christ se rapporte à la nature, car, en Lui, autre est la nature divine, autre la nature humaine dans le Christ; et non à la personne, qui est la même dans le Christ en tant que Dieu et en tant qu’homme, c’est-à-dire la personne du Verbe, comme on l’a dit plus haut.
7. Isaïe 7, 14.
8. Ro 6, 9.
9. Ps 10, 5.
10. 1 Corinthiens 3, 17.
11. Col 2, 9.
12. Voir n° 170, note 20.


401. En donnant le signe, le Christ prédit sa mort future et sa Résurrection.

402. Il prédit sa mort par ces mots: DETRUISEZ CE TEMPLE. En effet le Christ mourut et fut mis à mort par d’autres: Le Fils de l’homme doit être livré aux mains des hommes; ils Le tueront 13, mais de son plein gré: Il s’est offert à la mort volontairement 14.

Voilà pourquoi Il dit: DETRUISEZ CE TEMPLE, c’est-à-dire mon corps. Il ne dit pas: "il sera détruit", pour qu’on ne comprenne pas qu’il s’agit d’une mort naturelle, et Il ne dit pas" je détruirai" pour qu’on n’entende pas qu’Il se mettrait à mort Lui-même; mais Il dit DETRUISEZ, non certes comme un ordre, mais comme une prédiction et une permission. En tant que prédiction, DETRUISEZ CE TEMPLE signifie alors: vous détruirez; et comme permission, DETRUISEZ CE TEMPLE veut dire: faites de mon corps ce que vous voulez, je vous le livre — de même qu’Il dit à Judas: Ce que tu fais, fais-le vite 15, non comme un commande ment, mais en l’abandonnant à son libre arbitre.

Jésus emploie le terme détruisez parce que la mort du Christ est la destruction de son corps, d’une tout autre manière, cependant, que pour les autres hommes; leurs corps en effet sont détruits par la mort au point qu’ils sont réduits en cendre et putréfiés; mais une pareille destruction n’eut pas lieu pour le Christ: Tu ne laisseras pas ton Saint voir la corruption 16 Il fut pour tant détruit par la mort, puisque son âme fut séparée de son corps comme la forme de la matière, que son sang fut séparé de son corps, et que son corps fut transpercé par les clous et la lance.
13. Mt 17, 22.
14. Isaïe 53, 7.
15. Jean 13, 27.


403. Le Christ annonce sa Résurrection en disant: EN TROIS JOURS JE LE RELEVERAI, à savoir mon corps, autrement dit je ressusciterai d’entre les morts. Il ne dit pas: "il sera relevé", ni: "mon Père le relèvera", mais: moi-même JE LE RELEVERAI, montrant ainsi qu’Il ressuscitera d’entre les morts par sa propre puissance. Nous ne nions pas pour autant que le Père ait ressuscité le Christ: Il a ressuscité Jésus d’entre les morts 17, dit Paul; et le Psalmiste: Mais toi, Seigneur, aie pitié de moi et ressuscite-moi 18. Ainsi, Dieu le Père L’a relevé d’entre les morts et le Christ est ressuscité par sa propre puissance — Et moi, je me suis couché et me suis endormi, et je me suis éveillé car le Seigneur m’a saisi 19. Il n’y a là aucune opposition, car le Père et le Fils ont en commun une même puissance; par suite, tout ce que fait le Père, le Fils aussi le fait pareillement 20. Si donc le Père L’a relevé, le Fils aussi s’est relevé — Il a été crucifié en raison de sa faiblesse, mais Il vit en raison de la puissance de Dieu 21.

404. Le Christ dit EN TROIS JOURS, et non: après trois jours, parce qu’Il n’est pas resté trois jours entiers dans le tombeau; mais comme l’explique Augustin il y a là une synecdoque, cette figure de langage où l’on prend la partie pour le tout. Origène 22 donne à ces paroles une raison mystique, disant: le corps du Christ est le véritable temple de Dieu et il représente le corps mystique, c’est-à-dire l’Eglise — Vous êtes le corps du Christ et ses propres membres 23. Comme dans le corps du Christ habite la divinité par la grâce de l’union, ainsi la divinité habite dans l'Eglise par la grâce de l’adoption. Et bien que ce corps mystique semble être détruit par les adversités des tribulations qui l’affligent, il est relevé cependant en trois jours, à savoir le jour de la loi naturelle, le jour de la Loi écrite et le jour de la loi de la grâce; en effet, bien qu’en ces trois jours il meure dans un certain nombre de ses membres, cependant il vit dans d’autres. Voilà pourquoi Jésus dit: EN TROIS JOURS, puisque cette Résurrection spirituelle s’accomplit en trois jours. Mais après ces trois jours nous serons ressuscités et parfaitement restaurés, non seulement à la première résurrection, mais aussi à la seconde — Bien heureux qui a part à la seconde résurrection 24.
16. Ps 15, 10.
17. Ro 8, 11.
18. Ps 40, 11.
19. Ps 3, 6.
20. Jean 5, 19.
21. 2 Co 13, 4.



ON A MIS QUARANTE-SIX ANS POUR BATIR CE TEMPLE, ET TOI EN TROIS JOURS TU LE RELEVE RAIS!

405. L’Evangéliste va donner l’intelligence du signe proposé par le Christ. Il commence par exposer la fausse interprétation des Juifs, puis rapporte la véritable intelligence du signe, celle qu’en eurent les Apôtres [n° 412].

406. L’interprétation des Juifs était fausse parce qu’ils croyaient que le Christ parlait du Temple matériel où Il se trouvait alors; et c’est d’après cette intelligence du signe qu’ils Lui répondent: ON A MIS QUARANTE-SIX ANS POUR BATIR CE TEMPLE, cet édifice matériel dans lequel nous sommes, ET TOI, EN TROIS JOURS TU LE RELEVERAIS!
22. Sur saint Jean, 10, ch. 35, § 228, p. 521.
23. 1 Corinthiens 12, 27.
24. Ap 20, 6. (Le texte sacré parle en fait de la première résurrection.)


407. Mais à ce propos se présente une objection d’ordre littéral: car le Temple de Jérusalem fut bâti par Salomon et, selon le premier livre des Rois 25, Salomon l’acheva en sept ans. Comment se fait-il alors que Jean prête aux Juifs cette affirmation: ON A MIS QUARANTE-SIX ANS POUR BÂTIR CE TEMPLE? Voici la réponse: selon certains, cela ne doit pas s’entendre de la première construction du Temple, qui demanda sept ans à Salomon; en effet ce Temple de Salomon fut détruit par Nabuchodonosor. Mais il s’agit de sa reconstruction par Zorobabel au retour de la captivité, comme on le lit au livre d’Esdras 26, reconstruction qui fut tellement entravée et retardée par les nombreuses attaques venant d’ennemis de tous côtés qu’on ne put achever le Temple qu’après quarante-six ans.

408. Ou bien il faut dire, en suivant Origène 27, qu’il s’agit bien du Temple de Salomon, mais que la durée de quarante-six ans que nécessita la construction commence au jour où David parla de construire un Temple et consulta le prophète Nathan sur ce sujet 28, et qu’elle va jusqu’à l’achèvement définitif de l’édifice par Salo mon; dès ce premier jour, en effet, David commença à préparer les matériaux et tout ce qu’il fallait pour la construction du Temple; et si on calcule avec soin le temps écoulé, on arrive au total de quarante-six ans.
25. 1 Rs 6, 1.
26. Esd 1, 5-6; 3 et 6.
27. Sur saint Jean, 10, eh. 38, § 255, p. 535.
28. 2 Sam 7, 2.


409. Bien que les Juifs se réfèrent à ce Temple matériel on peut, selon Augustin 29, rapporter les paroles du Christ au TEMPLE DE SON CORPS puisque, dit-il, la conception et la formation du corps humain se fait en quarante-cinq jours de la façon suivante: durant les six premiers jours après la conception, le corps humain ressemble à une masse de lait; les neufs jours suivants, il prend la consistance du sang; les douze jours qui sui vent, les chairs s’affermissent; et c’est dans les dix-huit jours qui restent qu’il achève de se former jusque dans les plus petits linéaments de tous ses membres. Et ces nombres, six, neuf, douze et dix-huit, additionnés, donnent le nombre quarante-cinq auquel il suffit d’ajouter un, en raison du sacrement de l’unité, pour atteindre quarante-six.

410. Mais alors une question se pose. Car ce processus de formation ne paraît pas s’appliquer au corps du Christ, puisque ce fut dès le premier instant de sa conception qu’il fut formé et animé. A cela il faut ré pondre qu’il y eut bien quelque chose d’unique dans la formation du corps du Christ, car dès le premier instant il fut parfait quant à tous les linéaments de ses membres; cependant il ne fut pas achevé quant aux dimensions normales du corps humain, et c’est pourquoi il demeura dans le sein de la Vierge le temps nécessaire pour atteindre sa dimension normale. Prenons mainte nant, dans le calcul précédent, le nombre six, le premier indiqué, et le nombre quarante-six qui était le der nier, et multiplions-les l’un par l’autre: le produit est deux cent soixante-seize; or, en réduisant ce nombre en mois de trente jours, on trouve neuf mois et six jours; c’est donc à bon droit qu’on dit que la construction du Temple figurant le corps du Christ a duré quarante-six ans, pour laisser entendre que cette construction matérielle demanda autant d’années que le développement parfait du corps du Christ demanda de jours: en effet, entre le huitième jour des calendes d’avril où le Christ fut conçu et où (à ce que l’on croit) Il souffrit sa passion, jusqu’au huitième jour des calendes de janvier [Il naquit], il y a autant de jours, à savoir deux cent soixante-seize, chiffre obtenu par le produit de six par quarante-six 29 bis.

411. Augustin 30 voit un autre sens mystique dans ce même nombre (comme on le lit dans la Glose). Il dit en effet qu’avec les lettres du nom d’Adam, remplacées par le nombre qu’elles désignent selon l’usage des Grecs, on arrive au nombre quarante-six. En effet A compte pour un, comme étant la première lettre de l’alphabet, et D pour quatre, selon son rang; en ajoutant donc un pour le second A et quarante pour M, on arrive à quarante-six; ainsi est signifié que le corps du Christ est tiré du corps d’Adam.

Selon les Pères grecs, le nom d’Adam se compose des premières lettres qui désignent les quatre parties du monde, à savoir: Anatholè, qui est l’Orient; Dusis, qui est l’Occident; Arctos, qui est le Nord; Mesembria, qui est le midi. Cela exprime que le Christ prit sa chair d’Adam pour rassembler ses élus des quatre parties du monde, comme Il dit en Matthieu: Il rassemblera ses élus des quatre vents 31.
29. De diversis quaest., q. 56, BA 10, p. 159.
29 bis. Voir SA AUGUSTIN, De Trinitate, 4, ch. 5, n° 9, BA 15, p. 363.
30. Tract. in J 10, 12, BA 71, pp. 579-581.
31. Mt 24, 31.



MAIS LUI PARLAIT DU TEMPLE DE SON CORPS.

412. En disant cela, l’Evangéliste donne le vrai sens du signe, compris par les Apôtres; puis il rapporte l’événement qui les amena à comprendre.

413. Jean dit donc que les Juifs disaient cela par ignorance, mais que le Christ ne l’entendait pas ainsi, qu’au contraire Il faisait allusion au Temple de son corps: LUI PARLAIT DU TEMPLE DE SON CORPS. Nous avons dit plus haut pourquoi le corps du Christ est appelé" temple".

Prenant prétexte de cette parole, Apollinaire 32 soutint cette erreur que la chair du Christ était une matière inanimée, parce que le temple est une réalité inanimée. Mais en cela il se trompe; car lorsqu’on dit que le corps du Christ est un temple, on use d’une expression métaphorique, expression qui ne suppose pas une similitude totale [entre les deux termes], mais seulement sous un certain rapport: ici sous le rapport de l’habitation, ce qui se réfère à la nature, comme on l’a dit plus haut. D’ailleurs l’autorité de l’Ecriture établit clairement cette vérité, puisque le Christ dit Lui-même: J’ai le pouvoir de poser mon âme 33.

414. Quant à ce qui permit aux Apôtres d’avoir une intelligence vraie des paroles de Jésus, l’Evangéliste le montre ensuite: LORS DONC QU’IL FUT RESSUSCITE D’ENTRE LES MORTS, SES DISCIPLES SE SOUVINRENT QU’IL AVAIT DIT CELA. Avant la Résurrection, en effet, il était difficile de comprendre ce [Langage] d’abord parce qu’il affirmait que dans le corps du Christ était la vraie divinité (faute de quoi on n’eût pu l’appeler "temple"), et comprendre cela, à l’époque où Jésus par lait ainsi, dépassait la capacité humaine. Ensuite parce que Jésus fait ici mention de sa Passion et de sa Résurrection en disant JE RELEVERAI CE TEMPLE, ce qu’aucun disciple n’avait encore entendu; aussi, lorsque le Christ annonça clairement aux Apôtres sa Résurrection et sa Passion, Pierre en l’entendant fut scandalisé et s’écria: A Dieu ne plaise, Seigneur; non, cela ne t’arrivera pas. Mais après sa Résurrection, alors qu’ils avaient déjà reconnu pleinement que le Christ était Dieu par tout ce qu’Il leur avait montré dans sa Passion et sa Résurrection, et après avoir eu connaissance du mystère de sa Résurrection, alors les disciples se souvinrent qu’Il avait dit cela de son corps et ils crurent à l’Ecriture, c’est-à-dire à ce qu’avaient annoncé les prophètes: Après deux jours, Il nous rendra la vie; le troisième jour Il nous relèvera et nous vivrons en sa présence 35. Jonas demeura trois jours et trois nuits dans le ventre d’un grand poisson 36. Voilà pourquoi, ce jour même de la Résurrection, le Christ leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Ecritures 37: ET LES DISCIPLES CRURENT A LA PAROLE QUE JESUS AVAIT DITE, à savoir: DETRUISEZ CE TEMPLE ET EN TROIS JOURS JE LE RELEVERAI.
32. Voir ci-dessus n° 168, note 12.
33. Jean 10, 18.


415. Par anagogie, d’après Origène 38, il nous est donné ici à entendre qu’à l’ultime résurrection, nous serons vraiment disciples du Christ, lorsqu’au jour de la grande résurrection tout le corps de Jésus, c’est-à-dire son Eglise, recevra confirmation de ce que nous con naissons obscurément maintenant par la foi; et alors nous recevrons l’accomplissement de notre foi en contemplant par la vision ce que nous voyons aujourd’hui dans un miroir 39.
34. Mt 16, 22.
35. Os 6, 2.
36. Jon 2, 1.
37. Luc 24, 45.
38. Sur saint Jean, 10, h. 43, § 319, p. 567.
39. 1 Corinthiens 13, 12.



II

COMME IL ETAIT A JERUSALEM POUR LA PÂQUE £[PENDANT LA FETE, BEAUCOUP CRURENT EN SON NOM,

EN VOYANT LES SIGNES QU’IL ACCOMPLIS SAIT. MAIS JESUS, LUI, NE SE FIAIT PAS A EUX, PARCE QU’IL LES CONNAISSAIT TOUS ET QU’IL N’AVAIT PAS BESOIN QU’ON LUI RENDIT TEMOI GNAGE AU SUJET DE L’HOMME: CAR IL SAVAIT, LUI, CE QU’IL Y A DANS L’HOMME.

416. L’Evangéliste mentionne maintenant le fruit qui a résulté des signes de Jésus, à savoir la conversion à la foi de plusieurs. Il parle de ceux qui ont cru en rai son des miracles de Jésus, montre comment Jésus se comporta avec eux [n° 420] et précise la raison de son attitude [n° 421].

£[23] BEAUCOUP CRURENT EN SON NOM, EN VOYANT LES SIGNES QU’IL ACCOMPLISSAIT.

417. Le fruit qui résulta des signes de Jésus fut grand, car beaucoup se convertirent à Lui, comme le dit ici l’Evangéliste, parce qu’ils étaient frappés en les voyant.

418. Remarquons pourtant qu’il y eut, parmi ces croyants, deux motifs différents de croire. Les uns en effet crurent en raison des signes et des miracles qu’ils avaient vus, d’autres en raison de la révélation des secrets et de la prophétie. Mais ceux qui croient en rai son de l’enseignement, parce qu’ils sont plus spirituels, sont plus dignes de louange que ceux qui croient à cause des signes, car ces derniers sont plus grossiers et davantage dominés par le sensible. En effet, ceux qui se sont convertis ici apparaissent dominés par le sensible, du fait que ce n’est pas à cause de l’enseignement de Jésus, comme les disciples, mais EN VOYANT LES SIGNES QU’IL ACCOMPLISSAIT, qu’ils CRURENT EN SON NOM — Les prophéties sont pour les fidèles, (...) les signes pour les infidèles, dit l’Apôtre 40.

419. Mais on peut se demander quels signes ils virent accomplir par Jésus, puisqu’il n’est fait à cet endroit mention d’aucun signe accompli à Jérusalem. A cela on peut répondre, avec Origène 41, de deux manières.

D’une part Jésus a pu accomplir à ce moment beau coup de signes qui ne sont pas rapportés ici, car les Evangélistes ont sciemment omis bien des miracles du Christ. Leur nombre, en effet, était si considérable qu’on ne pouvait aisément les rapporter tous: Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits; si on les écrivait un à un, le monde lui-même, je crois, ne saurait contenir les livres qu’on en écrirait 42. C’est ce que montre clairement l’Evangéliste quand il dit: EN VOYANT LES SIGNES QU’IL ACCOMPLISSAIT; il ne les a pas mentionnés car l’intention des Evangélistes n’était pas de rapporter par écrit tous les signes de Jésus, mais seulement autant qu’il était nécessaire pour instruire l'Eglise des fidèles.

D’autre part on peut, parmi les miracles, regarder comme un très grand signe le fait d’avoir tout seul, avec un fouet de cordes, chassé du Temple une multitude d’hommes.


MAIS JESUS, LUI, NE SE FIAIT PAS A EUX

420. Quelle fut l’attitude de Jésus envers ceux qui crurent, l'Evangéliste nous le montre en disant: MAIS JESUS, LUI, NE SE FIAIT PAS A EUX, c’est-à-dire à ceux qui avaient cru en Lui. Cependant, comment se peut-il que des hommes aient cru en Dieu et que Jésus ne se soit pas fié à eux? Auraient-ils pu Le tuer sans qu’il le voulût? On dira peut-être qu’Il ne se fiait pas à eux parce qu’Il savait que leur foi était simulée. Mais si c’était vrai, l’Evangéliste n’aurait certainement pas dit que BEAUCOUP CRURENT EN SON NOM; et cependant JESUS, LUI, NE SE FIAIT PAS A EUX. Pour Chrysostome 43, la raison de cette attitude du Christ est que ces gens crurent en Lui, mais d’une manière imparfaite, parce qu’ils ne pouvaient encore atteindre les mystères du Christ dans toute leur perfection; c’est pourquoi JESUS, LUI, NE SE FIAIT PAS A EUX, c’est-à-dire qu’Il ne leur révélait pas encore ses mystères cachés; du reste, même à ses Apôtres Il garda cachées bien des choses: J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent 44 et de même Paul dit: Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels 45. Ainsi l’Evangéliste, pour marquer nettement que leur foi était encore imparfaite, ne dit pas qu’ils croyaient "en Lui", puisqu’ils ne croyaient pas encore en sa divinité, mais EN SON NOM; ils croyaient seulement ce qu’on disait de Lui, les noms qu’on Lui donnait, par exemple celui d’homme juste et d’autres semblables.

On peut aussi penser avec Augustin 46 que ces croyants représentent dans l’Eglise les catéchumènes à qui, bien qu’ils croient au nom du Christ, Jésus ne se fie pas, puisque l’Eglise ne leur donne pas le corps du Christ: ce corps dont aucun ministre ne peut produire [présence] sous le mode sacramentel s’il n’a été consacré, et que, de même, nul ne peut recevoir s’il n’a été baptisé.
40. 1 Corinthiens 14, 22.
41. Sur saint Jean, 10, ch. 46, § 319, p. 579.
42. Jean 21, 25.
43. In Ioannem hom., 24, ch. 1, PG 59, col. 143.
44. Jean 16, 12.
45. 1 Corinthiens 3, 1.
46. Tract, in Ioann., 11, ch. 3, BA 71, pp. 590-591.



PARCE QU’IL LES CONNAISSAIT N’AVAIT TOUS ET QU'IL N'AVAIT PAS BESOIN QU’ON LUI RENDIT TEMOIGNAGE AU SUJET DE L’HOMME: CAR IL SAVAIT, LUI, CE QU’IL Y A DANS L’HOMME.

421. Jean nous donne ici la raison pour laquelle IL NE SE FIAIT PAS A EUX; [raison], c’est la connaissance parfaite du Christ: IL LES CONNAISSAIT TOUS. Certes l’homme ignorant doit, à propos de n’importe qui, présumer le bien; mais, après que la vérité s’est fait jour sur tel ou tel, il faut se comporter à son égard selon sa condition. Comme rien de ce qu’il y a dans l’homme n’était caché au Christ, sachant leur foi imparfaite, IL NE SE FIAIT PAS A EUX.

422. On nous montre ici que la connaissance du Christ était universelle, puisqu’elle s’étendit non seule ment à ses proches, mais encore aux étrangers; voilà pourquoi Jean dit: IL LES CONNAISSAIT TOUS, et c’était un effet de sa puissance divine — Les yeux du Seigneur sont infiniment plus lumineux que le soleil 47. L’homme en effet, même s’il connaît les autres, ne peut avoir d’eux une connaissance certaine, parce qu’il ne voit que ce qui apparaît au dehors; aussi a-t-il besoin du témoignage d’autrui. Le Christ, Lui, connaît les hommes avec une certitude parfaite puisqu’Il pénètre les coeurs; c’est pourquoi IL N’AVAIT PAS BESOIN QU’ON LUI RENDIT TEMOIGNAGE AU SUJET DE L’HOMME; bien mieux, c’est Lui qui rend témoignage — Voici que mon témoin est dans le ciel 48 [disait Job].

On nous montre aussi que la connaissance du Christ est parfaite, parce qu’elle ne s’étend pas seulement aux réalités extérieures, dont la connaissance est imparfaite et que même les hommes connaissent, mais aussi aux réalités intérieures; ce que l’Evangéliste exprime en disant: Il savait, Lui, ce qu’il y a dans l’homme, c’est-à-dire les secrets du coeur 49 — car Les enfers et l’abîme sont à nu devant le Seigneur 50.
47. Sir 23, 28 (LXX 23, 19).
48. Jb 16, 19.
49. 1 Corinthiens 14, 25.
50. Prov 15, 11.




CHAPITRE III: La régénération spirituelle donnée aux juifs


Jean 3, 1-6: L'ENTRETIEN AVEC NICODEME

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Thomas sur Jean 18