Thomas sur Jean 22

22Jn 3,16-21

16" Car Dieu a tellement aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique, afin que tout homme qui croit en Lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternel le. 17 Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par Lui. 18 qui croit en Lui n’est pas jugé; mais celui qui ne croit pas a déjà été jugé, parce qu’il ne croit pas au nom du Fils unique de Dieu. 19 tel est le jugement: la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. 20 En effet, quiconque fait le mal hait la lumière et il ne vient pas à la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient réprouvées; 21 mais celui qui accomplit la vérité vient à la lumière, pour que ses oeuvres soient manifestées, parce qu’elles ont été faites en Dieu. "

476. Plus haut [n° 465], le Seigneur a attribué la cause de la régénération spirituelle à la descente du Fils de Dieu et à l’exaltation du Fils de l’homme, et Il en a fait connaître le fruit, la vie éternelle. Mais ce fruit, cette éternité de vie, semblait incroyable à des hommes nécessairement voués à la mort. C’est pourquoi le Seigneur en dévoile [la raison ultime], d’abord en expliquant la grandeur de ce fruit par la grandeur de l’amour divin [n° 477], puis en excluant une objection [n° 481].


" CAR DIEU A TELLEMENT AIME LE MONDE QU’IL A DONNE SON FILS UNIQUE, AFIN QUE TOUT HOMME QUI CROIT EN LUI NE PERISSE PAS, MAIS QU’IL AIT LA VIE ETERNELLE. "

477. Comprenons ici que la cause de tous nos biens est l’amour divin. En effet, aimer quelqu’un, c’est proprement vouloir pour lui le bien; or la volonté de Dieu est cause des réalités; donc, le bien nous vient de ce que Dieu nous aime. L’amour de Dieu est certes la cause du bien de la nature — Tu aimes tout ce qui existe, et tu ne hais rien de ce que tu as fait 1 —, et il est aussi la cause du bien de la grâce — D’un amour éternel je t’ai aimé, c’est pourquoi je t’ai attiré 2, attiré par la grâce; mais que Dieu nous donne aussi le bien de la gloire, cela provient d’un [très] grand amour 3. C’est pourquoi le Christ montre ici que cet amour est le plus grand qui soit. Il le montre de quatre points de vue [différents, regardant successivement]:

1. Sg 11,25.
2. Jr 31,3.
3. Cf. Eph 2, 4.

la personne de celui qui aime; c’est Dieu qui aime, et immensément: DIEU A TELLEMENT AIME... Il a aimé les peuples; tous les saints sont dans sa main 4.

4. Deut 33, 3.

La condition de celui qui est aimé: c’est l’homme qui est aimé, l’homme de ce monde, l’homme de chair, et même l’homme vivant dans le péché — Dieu prouve ainsi son amour envers nous: (...) alors que nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec [lui] par la mort de son Fils 5.— Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui, et le fils de l’homme, pour que tu le visites? 6 Voilà ce que veut exprimer le Christ lorsqu’Il dit que Dieu a aimé LE MONDE.

5. Ro 5, 8 et 10.
6. Ps 8, 5.

La grandeur du don. L’amour, en effet, se manifeste par le don; car, comme le dit Grégoire, "l’amour se prouve par des actes 7". Or Dieu nous a fait le plus grand des dons, puisque, comme le dit ici le Christ, IL A DONNE SON FILS UNIQUE — Il n’a pas épargné son propre Fils, mais Il L’a livré pour nous tous 8. Et le Christ dit SON Fils, c’est-à-dire [celui qui est] Fils par nature, qui Lui est consubstantiel, et non un fils adoptif, comme ceux dont il est parlé dans le psaume: J’ai dit Vous êtes des dieux, et tous les fils du Très-Haut ç. Ces paroles du Christ font apparaître clairement l’erreur d’Ariusbis. Car si le Fils de Dieu était une créature, comme Arius 9bis le prétendait, Il ne pourrait pas manifester l’immensité de l’amour divin en vivant en Lui la bonté infinie, qu’aucune créature ne peut recevoir. Le Christ dit aussi: son Fils UNIQUE, pour montrer que Dieu ne partage pas son amour entre plusieurs fils, mais que tout son amour est dans son Fils, ce Fils qu’Il a donné pour prouver l’immensité de son amour — Le Père aime le Fils et il Lui montre tout ce qu’il fait 10.

7. XL homiliae in Evangelia, II, hom. 30, PL 76, coI. 1220.
8. Ro 8, 32.
9. Ps 81, 6.
9 bis. Voir n’ 61, note 62 (voL I, 2e éd., pp. 108-109).
10. Jean 5, 20.

Enfin, la grandeur du fruit, puisque par Lui nous avons la vie éternelle: ... afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle, vie qu’Il nous a acquise par la mort de la Croix 11.
11. Phi 2, 8.

478. Dieu a-t-Il donc donné son Fils pour qu’Il mourût sur la Croix? Assurément Il L’a donné pour la mort de la Croix 12, en tant qu’Il Lui a donné la volonté d’y souffrir, et cela de deux manières. Car d’une part, de qualité de Fils de Dieu, Il a eu de toute éternité la volonté de prendre chair et de souffrir pour nous; et cette volonté, Il la tenait du Père; et, d’autre part, c’est Dieu qui inspira à l’âme du Christ la volonté de souffrir.
12. Phi 2, 8 et Ro 8, 32" Lui qui n’a pas épargné même son propre Fils, mais qui L’a livré pour nous tous... ". Cf. SAINT AUGUSTIN, Commentaire de la première épître de saint Jean, VII, 7, SC 75, pp. 325-327 le Père" a envoyé son Fils mourir pour nous" (p. 325);" le Père L’a livré, et Lui s’est livré" (p. 327).

479. Remarquons que plus haut [n° 467], le Seigneur, parlant de la descente qui convient au Christ selon sa divinité, L’a nommé Fils de l’homme, cela parce qu’il n’y a qu’un seul suppôt dans deux natures, comme on l’a dit [n° 468], ce qui nous permet d’attribuer ce qui est divin au suppôt de la nature humaine et ce qui est humain au suppôt de la nature divine, mais non pas, toute fois, selon la même nature: ce qui est divin est attribué selon la nature divine, et ce qui est humain selon la nature humaine. Et si, alors qu’Il s’est nommé plus haut Fils de l’homme, le Seigneur, ici, parlant de Lui en tant qu’Il est voué à la mort, se nomme FILS DE DIEU, c’est pour une raison spéciale parce que Lui-même a voulu communiquer ce don en signe de l’amour divin, amour par lequel nous vient le fruit de la vie éternelle. Un tel nom était bien dû à Celui à qui il appartenait de manifester la puissance qui réalise la vie éternelle, puissance qui ne se trouve pas dans le Christ en tant que Fils de l’homme, mais en tant que Fils de Dieu C’est Lui qui est le vrai Dieu et la vie éternelle 13. En Lui était la vie 14.
13. 1 Jean 5, 20.
14. Jean 1, 4.

480. Notons encore l’expression: AFIN QUE TOUT HOMME QUI CROIT EN LUI NE PERISSE PAS. Périr, ou se perdre 15, c’est être empêché de parvenir à la fin à laquelle on est ordonné. Or l’homme est ordonné à une fin qui est la vie éternelle; et, aussi longtemps qu’il pèche, il se détourne de cette fin. Certes, tant qu’il vit, il ne périt pas tout à fait, au point de ne pouvoir être ramené à la vie; mais s’il meurt dans le péché, il périt [se perd] alors tout à fait Le chemin des impies se perdra 16.
15. En latin perire. Ce verbe se retrouvera à plusieurs reprises avec l’un ou l’autre de ses deux sens, par exemple en 6, 12" Ramassez les morceaux qui sont restés, pour que rien ne se perde"; 10, 28" Je leur donne la vie éternelle, et elles ne périront jamais"; 17, 12" Ceux que tu m’as donnés, je les ai gardés, et aucun d’eux ne s’est perdu... "
16. Ps 1, 6.

Enfin, les paroles QU’IL AIT LA VIE ETERNELLE révèlent l’immensité de l’amour divin: car en donnant la vie éternelle, Il se donne Lui-même. La vie éternelle, en effet, n’est rien d’autre que jouir de Dieu; et se donner soi-même est le signe du [plus] grand amour: Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause de l’amour extrême dont Il nous a aimés, et alors que nous étions morts par nos péchés, nous a fait revivre avec le Christ 17, c’est-à-dire qu’Il nous a donné d’avoir en Lui la vie éternelle.
17. Eph 2, 4-5.


" CAR DIEU N’A PAS ENVOYE SON FILS DANS LE MONDE POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR QUE LE MONDE SOIT SAUVE PAR LUI.

CELUI QUI CROIT EN LUI N’EST PAS JUGE; MAIS CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE, PARCE QU’IL NE CROIT PAS AU NOM DU FILS UNIQUE DE DIEU. OR TEL EST LE JUGEMENT LA LUMIERE EST VENUE DANS LE MONDE, ET LES HOMMES ONT MIEUX AIME LES TENEBRES QUE LA LUMIERE, PARCE QUE LEURS OEUVRES ETAIENT MAUVAISES. EN EFFET, QUICONQUE AGIT MAL HAIT LA LUMIE RE ET IL NE VIENT PAS A LA LUMIERE, DE PEUR QUE SES OEUVRES NE SOIENT REPROUVEES; MAIS CELUI QUI FAIT LA VERITE VIENT A LA LUMIERE, POUR QUE SES OEUVRES SOIENT MANIFESTEES, PARCE QU’ELLES ONT ETE FAITES EN DIEU. "

" CAR DIEU N’A PAS ENVOYE SON FILS DANS LE MONDE POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR QUE LE MONDE SOIT SAUVE PAR LUI. " (Jn 3,17)

481. Le Seigneur exclut ici une objection "que l’on pourrait faire". Dans l’ancienne loi, en effet, il avait été promis que le Seigneur viendrait pour juger: Le Seigneur viendra pour le jugement 18. On pourrait donc dire que le Fils de Dieu n’était pas venu pour donner la vie éternelle, mais pour juger le monde. Aussi le Seigneur, pour écarter cette objection, montre d’abord en quel sens Il n’est pas venu pour juger, puis Il le prouve (n° 484).
18. Isaïe 3, 14.

482. Il dit donc que le Fils de Dieu n’est pas venu pour juger, car Dieu n’a pas envoyé son Fils, lors de son premier avènement, POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR QUE LE MONDE SOIT SAUVE PAR LUI. De même Il dira plus loin: Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde 19. Or le salut de l’homme consiste à parvenir jusqu’à Dieu: En Dieu est mon salut et ma gloire 20 et parvenir jusqu’à Dieu, c’est obtenir la vie éternelle. Etre sauvé est donc la même chose qu’avoir la vie éternelle. Et il ne faut pas, sous prétexte que le Seigneur a dit: Je ne suis pas venu pour juger le monde, être paresseux et abuser de la miséricorde de Dieu en se donnant licence de pécher; car si, lors de son premier avènement, Il n’est pas venu pour juger mais pour remettre [les péchés], lors de son second avènement Il viendra pour juger et non pour remettre [les péchés], comme le dit Chrysostome 21 — Au temps que j’aurai fixé, je rendrai le juste jugement 22.
19. Jean 12, 47.
20. Ps 61, 8.
21. In loannem hom. 28, ch. 1, PG 59, col. 162.
22. Ps 74, 3.

483. Mais le Seigneur ne dit-Il pas plus loin: C’est pour un jugement que je suis venu dans le monde 23? A cette objection il faut répondre qu’il y a deux sortes de jugement. Il y a un jugement de discernement, et c’est pour celui-là que le Fils de l’homme est venu lors de son premier avènement; en effet, à sa venue, un discernement s’est opéré parmi les hommes, selon l’aveuglement des uns et la lumière de grâce des autres. Et il y a un jugement de condamnation; mais le Seigneur, autant qu’il dépendait de Lui, n’est pas venu pour celui-là.
23. In 9, 39.

"CELUI QUI CROIT EN LUI N’EST PAS JUGE; MAIS CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE, PARCE QU’IL NE CROIT PAS AU NOM DU FILS UNIQUE DE DIEU. "

Jn 3,18

484. Le Christ prouve ici ce qu’Il a dit plus haut; Il le fait en utilisant un procédé de division: Quiconque sera jugé sera ou croyant, ou incroyant; mais je ne suis pas venu juger les croyants, parce qu’ils ne sont pas jugés, ni pour juger les incroyants, parce qu’ils sont déjà jugés. Dieu n’a donc pas envoyé en premier lieu son Fils pour juger le monde.

Le Christ montre donc en premier lieu que les croyants ne sont pas jugés [n° 485] et ensuite que ceux qui ne croient pas ne sont pas jugés non plus [n° 487].

485. Le Christ dit ici qu’Il n’est pas venu POUR JUGER LE MONDE, parce qu’Il n’est pas venu pour juger les croyants, puisque CELUI QUI CROIT EN LUI N’EST PAS JUGE — entendons d’un jugement de condamnation. En effet, aucun de ceux qui croient en Lui d’une foi formée n’est passible d’un tel jugement — Celui qui écoute ma parole et croit à Celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et il ne vient pas en juge ment, mais il est passé de la mort à la vie —, mais il sera jugé d’un jugement de récompense et d’approbation, ce jugement dont parle l’Apôtre: Celui qui me juge, c’est le Seigneur 26.
24. Nous adoptons ici (et de même au n° 486) la traduction littérale du P. Bernard (Somme théologique, II-II, q. 4, a. 4, éd. de la Revue des Jeunes): foi" formée" et foi" informe". Plus loin, au n° 901, saint Thomas précisera ce qu’est la foi" formée" en distinguant les diverses manières dont la foi se rapporte à Dieu. Dieu peut en effet être soit l’objet de la foi (croire à Dieu), soit le témoin (croire Dieu), soit la fin (croire en Dieu). Or, lorsque par la foi nous croyons en Dieu comme en notre fin, nous L’atteignons comme notre bien, c’est-à-dire comme l’objet de la charité. Une telle foi est dite" formée" parce qu’elle" opère par la charité" (n° 486; Ga 5,6). La charité, dit saint Thomas dans la Somme, "est appelée "forme" de la foi en tant que, par la charité, l’acte de la foi est rendu parfait et est formé (II-II, q. 4, a. 3). Ainsi, seul l’exercice de la foi formée distingue celle-ci de la foi informe, puisque Dieu est toujours son objet. Mais la foi exercée sans la charité ne nous ordonne pas immédiatement à notre fin; informée par la charité, elle devient au contraire une adhésion aimante à son objet propre Dieu se révélant comme Vérité et se communiquant comme Amour. Cette distinction a été reprise par le Concile de Trente (cf. vol. I, 20 éd., p. 182, note 35), en des termes différents.
25. Jean 5, 24.
26. 1 Corinthiens 4, 4.



" CELUI QUI CROIT EN LUI N’EST PAS JUGE... "

486. Mais qu’en est-il des nombreux croyants qui sont pécheurs? Ne seront-ils pas condamnés? A cette question certains hérétiques ont répondu qu’aucun croyant, si grand pécheur soit-il, ne sera condamné, mais qu’il sera sauvé par le mérite du fondement, c’est-à-dire de la foi, bien qu’il ait à souffrir une certaine peine. Ces hérétiques appuient leur erreur sur ces paroles de l’Apôtre: Personne ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé et qui est le Christ Jésus; et si l’oeuvre [quelqu’un aura bâtie sur ce fondement] brûle, il en subira la perte; lui pourtant sera sauvé, mais comme à travers le feu 27.
27. 1 Corinthiens 3, 11 et 15.

Mais cette interprétation s’oppose manifestement à ce que l’Apôtre enseigne aux Galates: Les oeuvres de la chair sont manifestes: ce sont la fornication, l’impureté, la débauche, l’idolâtrie, la sorcellerie, les inimitiés, les querelles, la jalousie (...) et autres choses semblables au sujet desquelles je vous préviens, comme je vous ai déjà prévenus: ceux qui commettent de telles choses n’hériteront pas du Royaume de Dieu 28.
28. Ga 5, 19-21.

Il faut donc répondre que le fondement, c’est-à-dire la foi au Christ, doit être sauf, mais que ce fondement n’est pas la foi informe: il est la foi formée, celle qui opère par la charité 29. Aussi le Seigneur dit-Il expressément, non pas que "celui qui Le croit", mais que CELUI QUI CROIT EN LUI 30 — c’est-à-dire qui, en croyant, tend vers Lui par la charité — celui-là N’EST PAS JUGE, parce qu’il ne pèche pas mortellement — ce qui fait dis paraître le fondement. Ou bien il faut dire, avec Chrysostome 31 que quiconque agit mal ne croit pas — Ils f ont profession de connaître Dieu, mais par leurs oeuvres ils Le renient — 32 mais que celui qui agit bien [de la foi] — Je te montrerai ma foi par les oeuvres 33 — et que celui-là n’est pas jugé, c’est-à-dire n’est pas condamné pour n’avoir pas cru.
29. Ga 5, 6.
30. Voir Somme théologique, II-II, q. 2, a. 2.
31. In loannem hom., 28, ch. 1, col. 163.
32. Ti 1, 16.
33. Ja 2, 18.



"MAIS CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE, PARCE QU’IL NE CROIT PAS AU NOM DU FILS UNIQUE DE DIEU. "

487. Le Seigneur montre maintenant que ceux qui ne croient pas ne sont pas jugés. Il commence par l’affirmer [n° 488], après quoi Il explicitera son affirmation [n° 490].

488. En ce qui concerne l’affirmation elle-même, il faut noter que, selon Augustin, le Christ ne dit pas que CELUI QUI NE CROIT PAS est jugé, mais qu’il n’est pas jugé parce qu’il A DEJA ETE JUGE — ce que l’on peut expliquer de trois manières. Selon Augustin, en effet, CELUI QUI NE CROIT PAS n’est pas jugé parce qu’il A DEJA ETE JUGE, non dans la réalité 34, mais dans la prescience de Dieu, c’est-à-dire que Dieu, à l’avance, sait qu’il sera condamné: Le Seigneur connaît ceux qui sont à Lui 35. Chrysostome donne une autre interprétation 36. Pour lui, CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE en ce sens que le fait même qu’il ne croie pas le condamne. Ne pas croire, en effet, c’est ne pas adhérer à la lumière, autrement dit être dans les ténèbres 37; et c’est là la grande condamnation. Ils avaient tous été liés d’une même chaîne de ténèbres. — Quelle joie aurai-je encore, moi qui suis assis dans les ténèbres et ne vois pas la lumière du ciel? 38 Troisième interprétation, encore selon Chrysostome 39: CELUI QUI NE CROIT PAS n’est pas jugé en ce sens qu’il est déjà con damné, c’est-à-dire qu’il y a déjà en lui un motif manifeste de condamnation; comme si, de quelqu’un qui, visiblement, est tout proche de la mort, on disait qu’il est déjà mort, avant même que soit prononcée sur lui la sentence de mort.
34. Comprenons: non dans l’exercice de la sentence portée, c’est-à-dire dans sa manifestation. Le texte de saint Augustin auquel saint Thomas se réfère nous éclaire sur ce que saint Thomas lui-même veut dire (voir note suivante).
35. 2 Tm 2, 19. Voir SAINT AUGUSTIN, Tract, in b. XII, 12, BA 71, p. 659: "Le jugement n’a pas encore eu lieu, et pourtant déjà le jugement est rendu. Le Seigneur sait en effet ceux qui sont à Lui: Il sait ceux qui demeureront pour la couronne et ceux qui demeureront pour la flamme; Il connaît dans son aire le froment et Il connaît la paille; Il connaît la moisson et Il connaît l’ivraie. Déjà celui qui ne croit pas a été jugé... "
36. Voir In boannem hom., 28, ch. 2, col. 163.
37. Sg 17,17.
38. Tob 5, 12.
39. Loc. cit.

Aussi Grégoire dit-il qu’il y a deux procédures possibles dans le jugement de ceux qui doivent être condamnés 40.Certains, en effet, seront jugés après examen, car il y a en eux quelque chose qui s’oppose à leur condamnation: le bien de la foi; ce sont les croyants pécheurs. Mais ceux qui ne croient pas, dont la condamnation est évidente, sont condamnés sans examen; et c’est d’eux qu’il est dit ici CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE. Les impies, dit le psaume, ne ressusciteront pas au jugement 41, c’est-à-dire pour l’examen de leur cause.

489. Ajoutons qu’être jugé a ici le même sens qu’être condamné, et qu’être condamné, c’est être privé du salut, auquel on ne parvient que par une seule voie qui est le NOM DU FILS UNIQUE DE DIEU: car il n’est pas sous le ciel d’autre Nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés 42. — O Dieu, sauve-moi par ton Nom 43. Ceux donc qui ne croient pas dans le Fils de Dieu se privent du salut, et il y a en eux un motif manifeste de condamnation.
40. Voir Moralium libri, 26, ch. 27, PL 76, coI. 379. L’expression judicium discussionis, qu’emploie saint Thomas dans la phrase suivante et que nous avons traduite par" juger après examen", ne se trouve pas dans ce passage des Moralia; mais les deux jugements sont très nettement distingués par saint Grégoire à propos de Jb 26, 6. Sur la distinction de ces deux jugements, voir ci-dessous, n° 776.
41. Ps 1, 5.
42. Ac 4, 12.
43. Ps 53, 3.


" OR TEL EST LE JUGEMENT: LA LUMIERE EST VENUE DANS LE MONDE, ET LES HOMMES ONT MIEUX AIME LES TENEBRES QUE LA LUMIERE,
PARCE QUE LEURS OEUVRES ETAIENT MAUVAISES. EN EFFET, QUICONQUE AGIT MAL HAIT LA LUMIERE ET NE VIENT PAS A LA LUMIERE, DE PEUR [19] QUE SES OEUVRES NE SOIENT REPROUVEES; MAIS CELUI QUI FAIT LA VERITE VIENT A LA LUMIERE, POUR QUE SES OEUVRES SOIENT MANIFESTEES, PARCE QU’ELLES ONT ETE FAITES EN DIEU. "

490. Le Seigneur explicite ici son affirmation en montrant que le motif de la condamnation est manifeste chez ceux qui ne croient pas. Pour cela Il propose d’abord un symbole capable de l’expliciter [n° 491], puis Il montre la convenance de ce symbole [n° 493].

£[19]" OR TEL EST LE JUGEMENT LA LUMIERE EST VENUE DANS LE MONDE, ET LES HOMMES ONT MIEUX AIME LES TENEBRES QUE LA LUMIERE, PARCE QUE LEURS OEUVRES ETAIENT MAUVAISES. "

491. A travers ce symbolisme le Christ fait ressortir trois choses le don de Dieu, la perversité d’esprit de ceux qui ne croient pas, et enfin la cause de cette perversité.

Le Christ dit donc ceci: Il est manifeste que CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE. Le don de Dieu — LA LUMIERE EST VENUE DANS LE MONDE — le montre clairement. Les hommes, en effet, étaient dans les ténèbres de l’ignorance, et ces ténèbres, Dieu les a dissipées en envoyant la lumière dans le monde afin que les hommes connaissent la vérité Je suis la lumière du monde: celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie 44. — Il est venu nous visiter d’en haut, le soleil levant, pour illuminer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort 45. Mais cette lumière EST VENUE DANS LE MONDE parce que l’homme ne pouvait y avoir accès, car Dieu habite une lumière inaccessible, que nul homme n’a vue ni ne peut voir 46.

Que CELUI QUI NE CROIT PAS ait DEJA ETE JUGE, la perversité d’esprit de ceux qui ne croient pas le montre également: car ils ONT MIEUX AIME LES TENEBRES QUE LA LUMIERE, autrement dit ils ont préféré rester dans les ténèbres de l’ignorance, plutôt que d’être instruits par le Christ. Ils Ont été rebelles à la lumière 47— Malheur à ceux qui (...) font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres 48.
44. Jean 8, 12.
45. Luc 1, 78-79.


Et la cause de cette perversité, c’est que LEURS OEUVRES ETAIENT MAUVAISES, ces oeuvres qui sont en désaccord avec la lumière et qui cherchent les ténèbres. Rejetons les oeuvres des ténèbres 49, dira Paul, c’est-à-dire les péchés, qui cherchent les ténèbres: Ceux qui dorment, dorment la nuit 50, et l’oeil de l’adultère guette le crépuscule 51. Si quelqu’un ne croit pas à la lumière, c’est qu’il s’oppose à elle et s’en écarte.
46. 1 Tm 6, 16. Cf. ci-dessus, n° 454, note 23.
47. Jb 24, 13.
48. Isaïe 5, 20.
49. Ro 13, 12.
50. Voir 1 Th 5, 4-7: "Pour vous, mes frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres, de sorte que ce jour vous suprenne comme un voleur. Car vous êtes tous des fils de lumière et des fils du jour. Nous ne sommes pas de la nuit ni des ténèbres. Ne dormons donc pas comme les autres, mais veillons et soyons sobres. Ceux qui dorment, en effet, dorment la nuit, et ceux qui s’enivrent, s’enivrent la nuit. " En commentant ce dernier verset, saint Thomas note: "Le sommeil et l’ivresse conviennent à la nuit, car ceux sur qui règnent la nuit de l’infidélité et les ténèbres des péchés sont ivres, l’amour des choses présentes les empêchant d’avoir l’espérance des réalités à venir — ayant perdu tout espoir, ils se sont livrés à l’impudicité... (Ep 4,19)" (Super primam epistolam ad Thessalonicenses lectura, 5, leç. 1, n° 118).
51. Jb 24, 15.
52. Cf. Jean 12, 36" Croyez en la lumière, afin d’être des fils de lumière".


492. Mais tous les incroyants font-ils des oeuvres mauvaises? Il semble que non; car beaucoup de païens, Caton par exemple, et de nombreux autres, ont agi selon la vertu.

A cela il faut répondre, selon Chrysostome 53, qu’autre chose est de bien agir par vertu, autre chose de le faire grâce à une aptitude qui nous y dispose naturellement. Il y a en effet des hommes qui agissent bien par disposition naturelle, simplement parce que leurs dispositions ne les poussent pas à faire le contraire. Et même des incroyants ont pu agir bien de cette manière: tel, par exemple, a vécu chastement parce qu’il n’avait pas à lutter contre la concupiscence. Mais ceux-là agissent bien par vertu qui, malgré un penchant au vice contrai re, ne s’écartent pourtant pas de la vertu, cela grâce à la rectitude de leur raison et à la bonté de leur volonté; et c’est le propre des croyants.

On peut dire encore que, s’ils faisaient le bien, les incroyants ne le faisaient cependant pas par amour de la vertu, mais par vaine gloire; et que, du reste, ils n’agissaient pas bien dans tous les domaines, puisqu’ils ne rendaient pas à Dieu le culte qui Lui est dû.


£[20] EN EFFET, QUICONQUE AGIT MAL HAIT LA LUMIERE ET IL NE VIENT PAS A LA LUMIERE,

DE PEUR QUE SES OEUVRES NE SOIENT REPROUVEES; MAIS CELUI QUI FAIT LA VERITE VIENT A LA LU MIERE, POUR QUE SES OEUVRES SOIENT MANIFESTEES, PARCE QU’ELLES ONT ETE FAITES EN DIEU. "

493. Le Seigneur montre ici la convenance du symbole qu’Il vient de donner, d’abord en ce qui concerne les méchants [n° 494], puis en ce qui concerne les bons [n° 495].

494. Le Christ dit donc ceci: S’ils n’ont pas aimé la lumière, c’est parce que LEURS OEUVRES ETAIENT MAUVAISES. Cela est évident, puisque QUICONQUE AGIT MAL HAIT LA LUMIERE. Il ne dit pas "a agi", mais AGIT; car si quelqu’un a mal agi mais s’en repent et, voyant qu’il a mal fait, s’en afflige, il VIENT A LA LUMIERE. Au contraire QUICONQUE AGIT MAL, c’est-à-dire persévère dans le mal, ne s’en afflige pas et ne vient pas à la lumière, mais il la hait, non en tant qu’elle est une vérité manifeste, mais en tant que par elle le péché de l’homme est manifesté. Car l’homme mauvais aime connaître la lumière et la vérité; mais il déteste être dénoncé par elle Si soudain paraît l’aurore, ils la prennent pour l’ombre de la mort 54. Celui qui AGIT MAL ne vient donc pas à la lumière, et cela DE PEUR QUE SES OEUVRES NE SOIENT REPROUVEES. Nul homme, en effet, s’il est décidé à ne pas renoncer au mal, ne veut être blâmé; il fuit le blâme au contraire, et le hait Ils ont haï celui qui réprimande à la Porte, et celui qui parle avec intégrité, ils l’ont eu en horreur 55.— L’homme pernicieux n’aime pas celui qui le reprend 56.

495. Le Christ montre ensuite la convenance du symbole qu’Il a donné en ce qui concerne les bons. La vérité, en effet, ne réside pas seulement dans les pensées et les paroles, mais aussi dans les actes: CELUI QUI FAIT LA VERITE VIENT A LA LUMIERE.

Mais quelqu’un a-t-il agi ainsi avant le Christ? Il semble que non; car qui FAIT LA VERITE? Celui qui ne pèche pas. Or, avant le Christ, tous ont péché 57.
54. Jb 24, 17.
55. Am 5, 10.
56. Prov 15, 12.
57. Ro 3, 23.
58. Tract, in b. XII, 13, p. 661.
53. In boannem hom., 28, ch. 2, PG 59, coI. 164.


A cela je réponds, en suivant Augustin 58, que celui-là FAIT LA VERITE en lui-même, à qui déplaît le mal qu’il a fait et qui, après avoir abandonné les ténèbres, se garde du péché et, regrettant ses fautes passées, VIENT A LA LUMIERE, afin que SES OEUVRES SOIENT MANIFESTEES d’une manière spéciale [c’est-à-dire comme celles d’un pécheur repentant].

496. On objectera sans doute que nul ne doit donner en spectacle le bien qu’il fait, et que le Seigneur blâme les Pharisiens d’agir ainsi. A cela il faut répondre [distinguant diverses manières de manifester ses oeuvres]. Vouloir les manifester devant Dieu pour qu’Il les approuve, cela est permis, car ce n’est pas celui qui se recommande lui-même qui est un homme éprouvé, mais celui que Dieu recommande 59. Voici, dit Job, que dans le ciel est mon témoin 60. Il est également permis à tous, et il n’est pas répréhensible, de vouloir manifester ses oeuvres à sa propre conscience afin de s’en réjouir Ce qui fait notre gloire, c’est ce témoignage de notre conscience, que nous nous sommes comportés dans ce monde (...) dans la simplicité du coeur et la sincérité de Dieu, non pas avec une sagesse charnelle, mais avec la grâce de Dieu 61. Mais manifester devant les hommes, pour sa propre gloire, le bien qu’on fait, voilà qui est répréhensible. Néanmoins les hommes saints désirent que le bien qu’ils font soit, pour l’honneur de Dieu et au profit de la foi, manifesté aux hommes: Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux 62. S’ils viennent à la lumière pour que leurs oeuvres soient manifestées, c’est PARCE QU’ELLES ONT ETE FAITES EN DIEU, c’est-à-dire selon le commandement de Dieu ou par la grâce de Dieu. En effet, tout ce que nous faisons de bien, que ce soit en évitant le péché, en regrettant les fautes que nous avons commises ou en accomplissant des oeuvres bonnes, tout vient de Dieu, comme le dit Isaïe Seigneur, tu nous donneras la paix, car toutes nos oeuvres, c’est toi qui les as accomplies pour nous 63.
59. 2 Co 10, 18.
60. Jb 16, 20 (19).
61. 2 Co 1, 12.
62. Mt 5, 16.
63. Isaïe 26, 12.




Jean 3, 22-26: LE BAPTEME DE JEAN ET CELUI DU CHRIST

23Jn 3,22-26




22 Après cela, Jésus vint avec ses disciples dans la terre de Judée; et Il y demeurait avec eux, et Il baptisait. Or Jean aussi baptisait à Aenon, près de Salim, parce qu’il y avait là beaucoup d’eau; et l’on y venait, et l’on y était baptisé. 24 Jean n’avait pas encore été mis en prison. Or il s’éleva de la part des disciples de Jean une discussion avec les Juifs à propos de la purification. Et ils vinrent à Jean et lui dirent " Rabbi, celui qui était avec toi de l’autre côté du Jourdain, celui à qui tu as rendu témoignage, le voilà qui baptise, et tous viennent à lui. "

497. Plus haut [n° 423], le Seigneur a donné son enseignement concernant la régénération spirituelle; ici, Il accomplit par des oeuvres, en baptisant, ce qu’Il avait d’abord enseigné par des paroles.

Il est d’abord question ici de deux baptêmes, celui du Christ et celui de Jean [n° 500], puis d’une discussion qui s’éleva à leur sujet, mettant l’un en comparai son avec l’autre [n° 506].

APRES CELA, JESUS VINT AVEC SES DISCIPLES DANS LA TERRE DE JUDEE; ET IL Y DEMEURAIT AVEC EUX, ET IL BAPTISAIT. OR JEAN AUSSI BAPTI SAIT A AENON, PRES DE SALIM, PARCE QU’IL Y AVAIT LA BEAUCOUP D’EAU; ET L’ON Y VENAIT, ET L’ON Y ETA1T BAPTiSE. CAR JEAN N’AVAIT PAS ENCORE ETE MIS EN PRISON.


£[22] APRES CELA, JESUS VINT AVEC SES DISCIPLES DANS LA TERRE DE JUDEE; ET IL Y DEMEURAIT AVEC EUX, ET IL BAPTISAIT.

498. APRES CELA, dit l’Evangéliste, c’est-à-dire après ce qui a été rapporté de l’enseignement du Christ sur la régénération spirituelle, JESUS VINT AVEC SES DIS CIPLES DANS LA TERRE DE JUDEE. Mais ici se pose une question d’ordre littéral; car plus haut (2, 13), l’Evangéliste avait dit que le Seigneur était venu de Galilée à Jérusalem, qui se trouve dans le territoire de Judée, où Il avait instruit Nicodème. Comment donc, après avoir instruit Nicodème, vint-Il en Judée, puisqu’Il y était déjà?

A cette question il y a deux réponses. D’après Bède 1, le Christ, après son entretien avec Nicodème, se rendit en Galilée, y demeura quelque temps, puis revint en Judée; il ne faut donc pas, lorsqu’il nous est dit: APRES CELA, JESUS VINT..., entendre qu’Il se rendit en Judée immédiatement après son entretien avec Nicodème.

Chrysostome 2 comprend cette phrase d’une autre manière. Pour lui, il faut entendre que le Christ, APRES CELA, se rendit immédiatement DANS LA TERRE DE JUDEE. II voulait en effet prêcher là où la multitude se rassemblait, afin que beaucoup se convertissent : J’ai annoncé ta justice dans la grande assemblée 3. C’est ouvertement que j’ai parlé au monde 4. Or il y avait en Judée deux endroits où affluait la foule des Juifs. Jérusalem, où l’on montait pour les fêtes, et le Jourdain, où l’on accourait à cause de la prédication et du baptême de Jean. C’est pourquoi le Seigneur, qui fréquentait ces deux lieux, dès que furent achevés les jours de fête, quitta Jérusalem qui est située dans une partie de la Judée, et se rendit dans l’autre partie, celle du Jourdain, où Jean baptisait.

499. Au sens moral 5, le fait que Jésus vint en JUDEE mot dont le sens étymologique est" confession" 6 — signifie que le Christ visite ceux qui confessent leurs péchés ou proclament la louange de Dieu 7— La Judée est devenue son sanctuaire 8. Et Il demeure 9, parce qu’on ne visite pas en passant ceux qui agissent ainsi: Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure 10. Et là Il baptise, c’est-à-dire purifie des péchés; car si l’on ne confesse pas ses péchés, on n’en obtient pas la rémission: Celui qui cache ses crimes ne sera pas conduit dans la bonne voie, mais celui qui les confesse et les abandonne obtiendra miséricorde 11.
1. Voir Glossa ordinaria (attribuée à W STRABON), Evang. bannis, PL 114, col. 368 D.
2. In Ioannem hom., 29, ch. 1, PG 59, col. 166-167.
3. Ps 39, 10.
4. Jean 18, 20.
5. Voir vol. I (2e éd.), Préface, p. 32.
6. Cf. Gn 29, 35; SAINT AUGUSTIN, Enarrationes in Psalmos, Ps 75, 3, 4-5, CCL vol. XXXIX, p. 1038 (PL 36, col. 959). Voir aussi Fr. WUTZ, Onomastica sacra, pp. 88, 476, 586, etc.



OR JEAN AUSSI BAPTISAIT A AENON, PRES DE SALIM, PARCE QU’IL AVAIT LA BEAUCOUP D’EAU; ET L’ON Y VENAIT, ET L’ON Y ETAIT BAPTISE. CAR JEAN N’AVAIT PAS ENCORE ETE MIS EN PRISON.

500. L’Evangéliste dépeint maintenant le baptême de Jean, en faisant connaître d’abord la personne de celui qui baptise [n° 501], puis le lieu du baptême [n° 502], puis son fruit [n° 503] et enfin le temps où a lieu ce baptême [n° 504].
7. Cette distinction des deux sens de la" confession" se retrouve fréquemment chez saint Augustin. Voir les nombreuses références données par E. Jeauneau dans JEAN SCOT ERIGÈNE, Commentaire sur l’Evangile de Jean, p. 238, note 3.
8. Ps 113, 2.
9. Tout ce passage est assez proche du passage parallèle de Scot Erigène (repris dans la Glossa ordinaria)" Suivant le sens moral, le pays de Judée est le coeur des fidèles [croyants]. Judée, en effet, veut dire "confession". Mais il y a deux sortes de confession: on confesse ses péchés, on confesse aussi les louanges divines. Quand cette double confession, celle des péchés et celle des louanges divines, existe dans un coeur, Jésus y vient avec ses disciples — autrement dit avec son enseignement et le rayonnement de sa lumière —, il y demeure et il purifie ce coeur de tous ses péchés. C’est ce que signifie la suite du texte: Il demeurait là avec eux et il baptisa" (JEAN SCOT ERIGÈNE, Commentaire sur l’Evangile de Jean, III, vu, p. 239; cf. p. 373, où ce passage a été relevé parmi les "gloses marginales" de la Glossa ordinaria).
10. Jean 14, 23.
11. Prov 28, 13.



OR JEAN AUSSI BAPTISAIT A AENON, PRES DE SA LIM, PARCE QU’IL Y AVAIT LA BEAUCOUP D’EAU; ET L’ON Y VENAIT, ET L’ON Y ETAIT BAPTISE.

501. La personne qui baptise est Jean: OR JEAN AUSSI BAPTISAIT. Mais ici se pose une question. Puis que le baptême de Jean était ordonné au baptême du Christ, il semble que, le baptême du Christ une fois venu, Jean aurait dû cesser de baptiser, de même que, une fois venue la vérité, la figure cesse.

Il y a à cela trois réponses. La première se fonde sur la personne du Christ Jean a baptisé pour que le Christ fût baptisé par lui. Et il ne fallait pas que le Christ fût seul à être baptisé par lui, sinon le baptême de Jean, en raison de ce caractère unique, aurait pu paraître meilleur que le baptême du Christ 12 ; et il était opportun que d’autres fussent baptisés par Jean avant le Christ, parce que, avant que l’enseignement du Christ ne fût connu de tous, il était nécessaire que les hommes fussent préparés à [le Christ par le baptême de Jean. En ce sens, le baptême de Jean est à celui du Christ ce qu’est au vrai baptême la catéchèse, où l’on instruit de la foi les catéchumènes et où on les prépare au baptême. Il fut encore nécessaire que, après que le Christ eut été baptisé par Jean, d’autres fussent baptisés par lui, pour que l’on ne pensât pas que son baptême était à rejeter; de même que, une fois venue la vérité, la pratique des observances légales ne cessa pas tout de suite, mais il fut permis aux Juifs, selon Augustin, de les conserver pendant un certain temps 13.
12. Voir SAINT AUGUSTIN, Tract. in b. IV, 14, BA 71, pp. 283-285; V, 5, p. 301; XIII, 7, pp. 685-687. Voir aussi Jean ScoT ERIGÈNE, op. cit., III, viii, p. 247.
13. Voir Epistola 82, CSEL vol. XXXIV, pp. 363-367. L’observance des coutumes légales des Juifs constitue le thème de toute cette lettre.


La deuxième réponse se fonde sur la personne de Jean: si Jean, dès que le Christ avait commencé à baptiser, avait lui-même cessé aussitôt de baptiser, on aurait pu croire qu’il le faisait par jalousie ou par colère. Mais parce qu’il est dit que nous devons avoir soin de faire le bien, non seulement devant Dieu, mais aussi devant tous les hommes 14, Jean ne cessa pas tout de suite de baptiser.

Enfin, la troisième réponse se fonde sur les disciples de Jean, qui commençaient déjà à être jaloux du Christ et de ses disciples, parce qu’ils baptisaient. Si donc Jean avait aussitôt cessé complètement de baptiser, il aurait laissé ses disciples céder davantage encore à la jalousie et à l’hostilité envers le Christ et ses disciples. En effet, alors même que Jean baptisait, ils supportaient déjà difficilement le baptême du Christ, comme la suite le montre clairement; voilà pourquoi Jean ne cessa pas immédiatement de baptiser — Prenez garde que cette liberté que vous avez ne devienne pour les faibles une occasion de chute 15.

502. Le lieu du baptême était AENON, PRES DE SALIM, PARCE QU’IL Y AVAIT LA BEAUCOUP D’EAU. SALIM est appelée aussi d’un autre nom SALEM, la ville dont Melchisédech fut roi 16. L’Evangéliste dit ici SALIM parce que, chez les Juifs, le lecteur peut, à l’intérieur des mots, user des voyelles à son gré; si bien que, chez les Juifs, il importe peu que l’on dise Salim ou Salem. Et en ajoutant PARCE QU’IL Y AVAIT LA BEAUCOUP D’EAU, l’Evangéliste explique le nom du lieu, AENON, qui signifie "eau" 17.
14. Ro 12, 17.
15. 1 Corinthiens 8, 9.
16. Gn 14, 18.


503. Quant au fruit du baptême, c’est la rémission des péchés. C’est pourquoi l’Evangéliste dit: ET L’ON Y VENAIT, ET L’ON Y ETAIT BAPTISE, c’est-à-dire purifié; car, comme le disent Matthieu et Luc 18, une grande multitude allait à Jean.


CAR JEAN N’AVAIT PAS ENCORE ETE MIS EN PRISON.

504. L’Evangéliste situe enfin dans le temps ce qu’il rapporte, et par là donne à entendre qu’il fait commencer son récit des actions du Christ avant ceux des autres Evangélistes. Les autres, en effet, n’ont commencé le récit des oeuvres du Christ qu’à partir du moment où Jean fut emprisonné. C’est ainsi que Matthieu commence son récit [la vie apostolique du Christ] par ces mots Ayant appris que Jean avait été livré, Jésus se retira en Galilée 19. Tous les actes du Christ antérieurs à l’emprisonnement de Jean avaient donc été passés sous silence; voilà pourquoi Jean, qui écrivit son Evangile en dernier lieu, combla cette lacune; et c’est ce qu’il fait comprendre en disant que JEAN N’AVAIT PAS ENCORE ETE MIS EN PRISON 20.

505. Notons encore que c’est en raison de l’économie divine que Jean ne baptisa ni ne prêcha plus long temps à partir du moment où le Christ Lui-même commença à baptiser, cela pour éviter qu’un schisme ne se fît dans le peuple; toutefois il lui fut permis de le faire encore un certain temps, pour ne pas apparaître comme quelqu’un que l’on doit rejeter, comme on l’a dit plus haut [n° 501]. De même, c’est encore en raison de l’économie divine que, après la prédication de la foi et la conversion des croyants, le temple fut entièrement détruit, afin que toute la piété religieuse et l’espérance des croyants soient attirées vers le Christ.
17. Cf. JEAN SCOT ERIGÈNE, op. cit. III, v pp. 241-243.
18. Voir Mt 3, 5-7 et Luc 3, 3 et 7.
19. Mt 4, 12.
20. Cf n° 367 (vol. I, 2 éd., p. 346).



II

"OR IL S’ELEVA DE LA PART DES DISCIPLES DE JEAN UNE DISCUSSION AVEC LES JUIFS A PROPOS DE LA PURIFICATION.

ET ILS VINRENT A JEAN ET LUI DIRENT: "RABBI, CELUI QUI ETAIT AVEC TOI DE L’AUTRE COTE DU JOURDAIN, CELUI A QUI TU AS RENDU TEMOIGNAGE, LE VOILA QUI BAPTISE, ET TOUS VIENNENT A LUI. "

506. L’Evangéliste introduit ici la discussion qui s’éleva à propos des baptêmes. II expose d’abord le fait de cette discussion, qui met en comparaison les deux baptêmes [n° 507], puis le rapport qui en est fait à Jean [n° 508], puis la manière dont celui-ci y met fin [n° 513].

OR IL S’ELEVA DE LA PART DES DISCIPLES DE JEAN UNE DISCUSSION AVEC LES JUIFS A PROPOS DE LA PURIFICATION.

507. Le fait qu’ils étaient, comme on l’a dit, deux à baptiser, le Christ et Jean, fut pour les disciples de Jean, jaloux pour leur maître, une occasion de dissension IL S’ELEVA UNE DISCUSSION, une controverse, DE LA PART DES DISCIPLES DE JEAN, ce qui veut dire qu’ils en furent les instigateurs, AVEC LES JUIFS, auxquels les disciples de Jean reprochaient d’accourir vers le Christ à cause des miracles qu’Il faisait, plutôt que vers Jean, qui n’en faisait aucun.

Cette discussion s’éleva A PROPOS DE LA PURIFICATION, c’est-à-dire du baptême. Quant à la cause de la jalousie des disciples de Jean, qui les poussa à engager la controverse, ce fut le fait que Jean envoyait au Christ ceux qu’il baptisait, alors que le Christ, Lui, n’envoyait pas à Jean ceux qu’Il baptisait; ce qui laissait paraître — et peut-être les Juifs le disaient-ils — que le Christ était plus grand que Jean. C’est ainsi que les disciples de ce dernier, n’étant pas encore spirituels, se querellent avec les Juifs à ce sujet. — Puisqu’il y a parmi vous jalousie et querelle, n’êtes-vous pas charnels, et ne marchez-vous pas selon l’homme? 21


ET ILS VINRENT A JEAN ET LUI DIRENT: "RABBI, CELUI QUI ETAIT AVEC TOI DE L’AUTRE COTE DU JOURDAIN, CELUI A QUI TU AS RENDU TEMOIGNA GE, LE VOILA QUI BAPTISE, ET TOUS VIENNENT A LUI. "

508. ILS VINRENT A JEAN, dit l’Evangéliste, pour lui rapporter la discussion qu’ils avaient suscitée. Et si i’on est très attentif [texte de l’Evangile], on comprend que les disciples de Jean s’efforcèrent de provoquer chez celui-ci un sentiment d’opposition à l’égard du Christ, semblables en cela au délateur et à l’homme à la langue double dont parle l’Ecriture: Le délateur et l’homme à la langue double seront maudits, car ils en troubleront beaucoup qui avaient la paix 22.

Ces disciples mettent en avant quatre choses destinées à susciter dans l’âme de Jean une opposition à l’égard du Christ. Ils lui rappellent d’abord l’humble condition qui fut jusque-là celle du Christ [n° 509], puis le fait que Jean s’est dépensé pour le bien du Christ [n° 510]; après quoi ils soulignent que le Christ s’est approprié le ministère [qu’exerçait Jean] [n° 511] et, enfin, le dommage qui en résulte pour celui-ci [n° 512].
21. 1 Corinthiens 3, 3.
22. Sir 28, 15.


509. Pour lui rappeler l’humble condition du Christ, ils disent: CELUI QUI E TAIT AVEC TOI, comme s’il s’agissait de l’un des disciples, et non pas" celui avec qui tu étais", comme avec un maître; car si l’on rend honneur à quelqu’un de plus grand que nous, cela n’est pas un si grand motif de jalousie; mais si l’on manifeste plus d’honneur à quelqu’un de plus petit que nous, c’est alors que nous sommes jaloux — J’ai vu des esclaves sur des chevaux, et des princes marchant sur la terre comme des esclaves 23 — J’ai appelé mon serviteur et il ne m’a pas répondu 24. Un maître, en effet, est plus troublé par la révolte d’un serviteur ou d’un sujet que par celle de quelqu’un d’autre.

510. Ensuite, voulant rappeler à Jean qu’il s’est dépensé pour le bien du Christ, ils ne disent pas" celui que tu as baptisé"; car ils auraient par là confessé la grandeur du Christ qui fut manifestée lors du baptême, ils auraient reconnu que l’Esprit Saint était descendu sur Lui sous la forme d’une colombe et que la voix du Père s’était fait entendre pour Lui; mais ils disent CELUI A QUI TU AS RENDU TEMOIGNAGE, c’est-à-dire celui que tu as glorifié et vers qui tu as fait se tourner tous les regards, voilà ce qu’il a l’audace de faire en retour — ce qui est de nature à susciter beaucoup d’irritation: Celui qui mangeait mon pain a levé insolemment le talon contre moi 25. Car ceux qui cherchent leur propre gloire 26, et qui visent leur propre avantage dans le ministère qu’ils exercent, éprouvent du mécontente ment si un autre s’approprie ce ministère.
23. Qo 10, 7.
24. Jb 19, 16.
25. Ps 40, 10.


511. C’est pourquoi, en troisième lieu, ils soulignent que le Christ s’est approprié le ministère de Jean, en disant: LE VOILA QUI BAPTISE, c’est-à-dire qui exer ce ton ministère — ce qui est de nature à susciter beau coup de trouble. On voit en effet, d’une façon générale, les hommes d’un même métier être à l’affût les uns des autres et se jalouser mutuellement. Le potier est jaloux du potier, et non du charpentier. C’est ainsi que les docteurs jaloux, qui cherchent leur propre honneur, sont eux aussi mécontents si un autre enseigne la vérité. C’est contre eux que Grégoire affirme: "L’âme d’un pasteur juste souhaite que d’autres enseignent la vérité qu’à lui seul il ne suffit pas à enseigner" 27. Tel fut Moïse: Puisse tout le peuple prophétiser, le Seigneur leur donnant son Esprit! 28

512. Cependant les disciples de Jean ne se contentèrent pas de le provoquer à propos de ce ministère assumé par le Christ. Ils lui exposent en quatrième lieu ce qui pouvait l’affecter davantage, le dommage que le Christ semblait lui causer en s’attribuant son ministère: ET TOUS, c’est-à-dire tous ceux qui avaient coutume de venir à toi, VIENNENT A LUI — autrement dit: "Tous courent à son baptême en t’abandonnant et te méprisant. " Qu’auparavant ils aient eu coutume d’aller à Jean, cela ne fait pas de doute; le Seigneur Lui-même l’atteste: Qui êtes-vous allés voir au désert? 29 Une jalousie semblable excitait les Pharisiens contre le Christ et leur faisait dire: Voilà que tout le monde court après Lui 30. Mais les propos des disciples de Jean ne réussirent pas à le dresser contre le Christ, car il n’était pas un roseau agité par le vent 31. On le voit clairement dans la réponse qui suit, par laquelle il met fin à la discussion qui lui avait été rapportée.
26. Jean 7, 18.
27. Cf. Moralium libri, XXII, ch. 23, PL 76, col. 247 C: "L’âme juste des pasteurs (...) souhaite (...) que les lèvres de tous proclament la vérité qu’à elle seule elle ne suffit pas à exprimer".
28. Nomb 11, 29.
29. Mt 11, 7.
30. Jean 12, 19.
31. Mt 11, 7.          




Jean 3, 27-32: LA PRIMAUTE ABSOLUE DU CHRIST SUR JEAN

24
Thomas sur Jean 22