Thomas A. sur Rm (1869) 5

Romains 1, 5-7: L'apostolat

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Rm 1,5-7)





ANALYSE DE LA LEÇON. –I° Libéralité du Christ qui donne à tous les fidèles la grâce et à quelques-uns l’apostolat. II°-Caractères de l’apostolat de saint Paul.- Son utilité. -Son étendue. -La plénitude de ses pouvoirs à l’égard des Romains en particulier.

I- L’Apôtre désigne les personnes qu’il salue par le nom de la ville, par la grâce qu’ils ont reçue de Dieu. -Il leur indique la source de cette grâce, leur vocation, leur sanctification, les biens qu’il leur souhaite et en quoi consistent ces biens.

5. Par qui nous avons reçu la grâce et l’apostolat, pour faire obéir à la foi toutes les nations à son nom;

6. Parmi lesquelles vous êtes vous aussi, ayant été appelés par Jésus-Christ.

7. A tous ceux qui sont à Rome, aux chéris de Dieu, appelés saints. Grâce à vous et paix par Dieu, notre Père, et par Notre Seigneur Jésus-Christ.

Après avoir considéré l’origine et la puissance du Christ, l’Apôtre traite de sa libéralité, qui se manifeste par les dons qu’il a faits aux fidèles. Il cite deux de ces dons:

I. L’un qui est commun à tous, à savoir, la grâce de la réparation, que nous avons reçue de Dieu par Jésus-Christ. C’est pourquoi il dit: "Par lequel, nous tous fidèles, nous avons reçu la grâce" (Jean, I, 17): "La grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ;" et au ch. V, 2, de cette même épître: "Par lequel il nous a donné accès à cette grâce, en laquelle nous sommes établis." Car il est de toute convenance que, toutes les choses présentes ayant été faites par le Verbe de Dieu, ainsi qu’il est dit en saint Jean (ch. X, 3), elles soient restaurées par lui, comme par l’art de Dieu tout-puissant: de même que l’ouvrier répare un édifice avec le même art qu’il a employé pour l’élever (Col 1,20): "Il a plu au Père de réconcilier par lui toutes choses, qu’elles soient sur la terre ou dans les cieux.

II. Le second est le don spirituel fait aux apôtres; ce qu’indique saint Paul en ajoutant: "Et l’apostolat;" lequel est le premier des degrés ecclésiastiques (I Cor., X, 28): "Dieu a établi dans son Eglise premièrement les apôtres." Or apôtre signifie envoyé, car ils sont envoyés par le Christ comme les représentants de son autorité et de son ministère (Jean, XX, 21): "Comme mon Père m’a envoyé, ainsi moi je vous envoie," c’est-à-dire avec la plénitude de l’autorité. De là vient que le Christ lui-même est appelé apôtre (Hébr., III, 1): "Considérez Jésus l’apôtre et le pontife." Aussi est-ce par lui, qui est pour ainsi dire l’apôtre et l’envoyé principal, que les autres, après lui, ont obtenu l’apostolat (Luc, VI, 13): "Il en a choisi douze d’entre eux, qu’il a nommés apôtres." Or saint Paul place la grâce avant l’apostolat, d’abord parce que ce n'est pas par leurs mérites, mais par la grâce qu’ils ont obtenu l’apostolat (I Cor., XV, 9): "Je suis le moindre des apôtres, et je ne mérite pas d’être appelé de ce nom; mais c’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis;" ensuite parce que l’apostolat ne peut être reçu dignement qu’en présupposant la grâce sanctifiante (Ephésiens IV, 7): "La grâce a été donnée à chacun de nous selon la mesure des dons de Jésus-Christ."

L’Apôtre déduit les caractères de cet apostolat:

De son utilité, quand il dit: "Pour obéir à la foi, comme s’il disait: nous avons été envoyés pour faire obéir les hommes à la foi. L’obéissance a lieu dans tout ce que nous pouvons faire volontairement. Mais dans les choses qui sont de la foi, nous ne donnons pas notre adhésion d’après une nécessité de raison, puisque ces choses sont au-dessus de la raison. Car nul ne croit qu’il ne le veuille, comme dit saint Augustin. Et voilà pourquoi la foi est un acte d’obéissance (ci-après, VI, 17): "Vous avez obéi de coeur à cette doctrine, sur le modèle de laquelle vous avez été formés." C’est de ce fruit qu’il est dit (Jean, XV, 16): "Je vous ai établi pour que vous portiez des fruits."

Par son étendue, lorsqu’il dit: "Dans toutes les nations," parce que les apôtres ont été envoyés non pour instruire la nation juive seule, mais tous les peuples (.Matth., XXVIII, 19): "Allez, enseignez toutes les nations." Paul avait reçu l’apostolat spécialement pour les Gentils, en sorte qu’on peut lui appliquer ces paroles d’Isaïe (XLIX, 6): "C’est peu que tu me serves à réparer les tribus de Jacob et à convertir les restes d’Israël; je t’ai préparé pour être la lumière des nations." Cependant les Juifs, particulièrement ceux qui habitaient parmi les Gentils, n’étaient pas en dehors de cet apostolat (ci-après, XX, 13): "Tant que je serai l’apôtre des Gentils, j’honorerai mon ministère, m’efforçant de donner, s’il est possible, de l’émulation à ceux qui me sont unis selon la chair, et d’en sauver quelques-uns."

Par la plénitude de ses pouvoirs, en disant: "En son nom," c’est-à-dire à sa place et par son autorité. Comme donc en saint Jean (XX, 21) il est dit que le Christ est venu au nom de son Père, et comme tel avec la plénitude de son autorité, ainsi est-il dit que les apôtres sont venus au nom de Jésus-Christ et comme à sa place (II Cor., II, 2): "Si j’ai moi-même donné quelque chose, je l’ai donné à cause de vous au nom de Jésus-Christ." Par cette manière de parler il indique encore la fin de l’apostolat, et alors le sens serait: pour étendre le nom du Christ, et non pour obtenir quel que avantage temporel (Act., IX, 19): "Celui-ci est pour moi un vase d’élection pour porter mon nom, etc., etc." Voilà pourquoi il exhortait les fidèles à suivre cette pratique (Col 3,17): "Faites tout au nom de Jésus-Christ."

Par son pouvoir sur ceux à qui il écrivait, lesquels étaient soumis à cet apostolat; aussi ajoute-t-il: "Parmi lesquels, c’est-à-dire de ces nations soumises à notre apostolat vous faites partie, ô Romains, quelque grands que vous soyez (Is 26,5): "Il humiliera la cité superbe sous les pieds du pauvre, c’est-à-dire du Christ," sous les pieds des indigents, c’est-à-dire des apôtres, particulièrement de Pierre et de Paul (II Cor., X, 14): "Nous sommes parvenus jusqu’à vous en prêchant l’Evangile du Christ;" il ajoute: "Appelés de Jésus-Christ," c’est-à-dire par Jésus-Christ, selon ce passage d’Osée (I, 9): "J’appellerai celui qui n’était pas mon peuple;" ou encore, appelés pour être "de Jésus-Christ" (Rom., VIII, 29)

Ceux qu’il a connus dans sa prescience, "il les a appelés;" ou enfin appelés de Jésus-Christ, c’est-à-dire qui avez pris de Jésus-Christ votre nom de chrétiens (Act., XI, 26): "En sorte que ce fut à Antioche que les disciples reçurent le nom de chrétiens."

II° L’Apôtre, continuant, désigne les personnes qu’il salue:

I. Quant à leur demeure, en disant: "A tous ceux qui sont à Rome." Il écrit expressément à tous, parce qu’il désire le salut de tous (I Cor., VII, 7): "Je voudrais que tous fussent comme je suis moi-même." Au XXIII chapitre des Actes, 11, il lui a été dit: "Il faut que tu me rendes témoignage à Rome."

II. Quant au don de la grâce, par ces mots: "Aux bien-aimés de Dieu." Il exprime ainsi:

l’origine primitive de la grâce, l’amour de Dieu (Deutéron., XXXIII, 3): "Il a aimé tous les peuples; tous les saints sont dans sa main;" (I Jean, IV, 10): "Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu," c’est-à-dire les premiers, "mais c’est lui qui le premier nous a aimés." L’amour de Dieu n'est pas provoqué par ce qu’il y a de bon dans la créature, comme l’affection humaine; c’est lui qui produit ce qu’il y a de bon en elle, parce qu’aimer c’est vouloir du bien à celui que l’on aime; Or le vouloir, en Dieu, c’est la cause des choses, selon ce passage du Ps. (CXXXIV, 6): "Tout ce que Dieu a voulu, il l’a fait."

Il indique leur vocation, lorsqu’il ajoute: "Appelés." Or, il y a deux sortes de vocations: l’une extérieure, c’est ainsi que le Sauveur a appelé Pierre et André (Matthieu IV, 19) 1; l’autre intérieure, qui se fait par l’inspiration intérieure (Prov., I, 24): "J’ai appelé, et vous vous êtes éloignés."

II exprime la grâce de la justification, lorsqu’il dit: "Saints", c’est-à-dire sanctifiés par la grâce et par les sacrements qui la confèrent (Cor., VI, 11): "Vous avez été lavés, vous avez été purifiés," pour être les bien-aimés de Dieu, appelés à être saints.

III. II énumère alors les biens qu’il leur souhaite; ce sont "la grâce et la paix." La grâce est le premier des dons de Dieu, parce que c’est par elle que le pécheur est justifié (Romains, III, 24): "Ils sont justifiés gratuitement par la grâce." La paix est le dernier des dons divins, parce qu’il se complète dans la béatitude (Psaume CXLVII, 3): "Il a placé la paix jusques à vos confins. Car ce sera la paix parfaite, quand la volonté se reposera dans la plénitude de tout bien, en obtenant l’immunité de tout mal" (Is 32,18): "Mon peuple se reposera dans la beauté de la paix." Ainsi dans ces deux biens on comprend ceux qui sont intermédiaires.

IV. L’Apôtre montre ensuite de qui il faut attendre ces biens, en ajoutant: "Par Dieu notre Père " (Jacques I, 17): "Toute grâce excellente, et tout don parfait, vient d’en haut et descend du Père des lumières;" (Psaume LXXXIII, 12): "Dieu donnera sa grâce et la gloire." Saint Paul ajoute: "Et de Notre Seigneur Jésus-Christ," parce que, comme il est dit en saint Jean (I, 7): "La grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ;" et le Sauveur a dit lui-même en saint Jean (XIV, 27): "Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix." Quand l’Apôtre dit: "Dieu notre Père," cela peut s’entendre rigoureusement de la Trinité tout entière, exprimée par ce mot "Père," parce que les noms qui supposent relation à la créature sont communs à toute la Trinité, comme ceux de Créateur et Seigneur. Il ajoute: "Et de Notre Seigneur Jésus-Christ," non pas que Jésus-Christ soit une personne distinguée des trois personnes divines, mais à cause de la nature humaine, dont le mystère fait arriver jusqu’à nous les dons de la grâce (Pierre, I, 4): "Par qui Dieu nous a donné les grandes et précieuses grâces qu’il avait promises.

On peut dire aussi que ces mots: "De Dieu notre Père," indiquent la personne du Père, qui, selon ce qui lui appartient, est appelé le Père du Christ, et notre Père par appropriation (Jean, XX, 17): "Je monte vers mon Père, et votre Père." L’Apôtre indique la personne du Fils en disant: "De Notre Seigneur Jésus-Christ." Quant à la personne du Saint-Esprit, elle n'est pas désignée d’une manière explicite, parce qu’elle se manifeste dans ses dons, la grâce et la paix; ou encore parce qu’elle est comprise dans les deux personnes, dont elle est le noeud et l’union.



Romains 1, 8 à 16: Désir de Paul de visiter les romains.

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Rm 1,8-16)





ANALYSE DE LA LEÇON. -I° Saint Paul témoigne aux Romains l’affection qu’il leur porte, par les actions de grâces qu’il rend à Dieu de leur foi. - II° Par la prière qu'il fait pour eux. -Digression théologique sur le serment. - Sur quoi l'Apôtre invoque-t-il le témoignage de Dieu? - III° Par le désir qu’il a de les visiter. - Dans quel dessein le désire-t-il? - obstacles qui l’en empêchent.



8. Premièrement je rends grâces à mon Dieu, par Jésus-Christ, pour vous tous, de ce que votre foi est annoncée dans tout l'univers.

9. Car le Dieu que je sers en mon esprit dans l'Evangile de son Fils m’est témoin que sans cesse je fais mémoire de vous.

10. Dans toutes mes prières, demandant que, par la volonté de Dieu, quelque heureuse voie me soit ouverte pour aller vers vous.

11. Car je désire vous voir pour vous communiquer quelque chose de la grâce spirituelle, afin de vous fortifier.

12. C’est-à-dire pour me consoler avec vous par cette foi, qui est tout ensemble et votre foi et la mienne.

13. Aussi je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que je me suis souvent proposé de venir vers vous (mais j’en ai été empêché jusqu'à présent) pour obtenir quelque fruit parmi vous, comme parmi les autres nations.

14. Je suis redevable aux Grecs et aux barbares, aux sages et aux simples.

15. Ainsi (autant qu est en moi), je suis prêt à vous évangéliser, vous aussi qui êtes à Rome.

16. Car je ne rougis pas de l'Evangile.

Après la salutation, l’Apôtre aborde le sujet de l’épître. Il témoigne premièrement son affection à ceux auxquels il s’adresse, afin de les rendre bienveillants; secondement, il leur expose la doctrine véritable sur la vertu de la grâce de Jésus-Christ en disant: "Elle est la vertu de Dieu."

Il montre son affection: I. par ses actions de grâces pour les biens qu’ils ont reçus; II. Par les prières qu’il fait pour eux, à partir de ces mots: Dieu m’est témoin; III. par le désir qu’il a de les visiter, à partir de: "Demandant si par quelques moyens."

Sur l’action de grâces il faut remarquer trois choses:

l’ordre que l’Apôtre suit; il dit: Je rends grâces à mon Dieu. Il est nécessaire, en effet, de remplir d’abord ce devoir en toutes choses (Thess., V, 48): "Rendez grâces à Dieu en tout." On n’est pas digne de recevoir un bienfait quand on ne remercie pas après l’avoir obtenu (Sagesse XVI, 29): "L’espérance de l’ingrat se fondra comme la glace de l’hiver;" et, au livre de l’Ecclésiaste (X, 7): "Les fleuves reviennent aux lieux d’où ils sont sortis," parce que les bienfaits, par l’action de grâce, retournent à leur principe, pour redescendre de nouveau par le don de nouveaux bienfaits. Or, dans toutes nos demandes, dans toutes nos actions, le secours divin nous est nécessaire. Voilà pourquoi en toutes choses nous devons remercier.

saint Paul désigne trois personnes, dont la première est celle à qui s’adresse l’action de grâces. Il la nomme en disant: "A mon Dieu," c’est-à-dire à Celui à qui est due l’action de grâces pour tout bien, parce que ces biens découlent de lui (Jacques X, 47): "Toute grâce excellente, et tout don parfait, vient d’en haut, etc." Quoique Dieu soit le Dieu de tous par la création et par sa providence (Gal., XV, 1), cependant il est d’une manière spéciale le Dieu des justes,

1. à cause du soin particulier qu’il en prend (Psaume XXVI, 15): "Les yeux du Seigneur sont ouverts sur les justes," et (Psaume XXVI, 1): "Le Seigneur est ma lumière;"

2. par le culte spécial qu’ils lui rendent (Exode., XV, 2): "Il est mon Dieu, et je le glorifierai;"

3. parce qu’il est leur récompense (Gen., XV, 4): "Moi, le Seigneur, je suis ta récompense infiniment grande." La seconde personne désignée est le Médiateur, en disant: "Par Jésus-Christ" car l’action de grâces doit remonter à Dieu dans le même ordre que les grâces descendent de Dieu vers nous, c’est-à-dire par Jésus-Christ (Rom., V, 2), "en qui par la foi nous avons accès à la grâce, en laquelle nous sommes établis." La troisième est la personne de ceux pour qui il rend grâces; et il les fait connaître en disant: "Pour vous tous; parce qu’il regarde leurs actions de grâces comme les siennes propres, à cause du lien de la charité; comme s’il disait: je n’ai pas à remercier davantage pour avoir appris, etc. Il dit expressément: "Pour vous tous, parce qu’il désire être agréable à tous (I Cor., X, 33): "Comme je m’efforce moi-même de plaire à tous en toutes choses," et qu’il souhaite le salut de tous (I Cor., VII, 7): "Je voudrais que tous fussent tels que je suis moi-même."

L’Apôtre expose le motif de l’action de grâces en ajoutant: "De ce que votre foi est annoncée dans le monde entier." S’il remercie pour la foi, c’est qu’elle est le fondement de tous les biens spirituels (Hébr., X, 1): "La foi est la substance des choses à espérer." Or les Romains sont loués de leur foi, parce qu’ils l’avaient reçue promptement et qu’ils y persévéraient avec courage. Aussi jusqu’au temps présent, comme saint Jérôme le remarquait déjà en expliquant l’épître aux Galates, on voit chez les Romains de nombreux témoignages de foi quand on visite les saints Lieux. Cependant leur foi n’était pas encore parfaite, car quelques-uns d’entre eux s’étaient laissés surprendre par de faux apôtres, qui les portaient à mêler à l’Évangile les cérémonies de la loi. Mais saint Paul se réjouit de cette foi parmi eux, non seulement à cause d’eux-mêmes, mais encore pour le bien qui en résultait, parce que, les Romains étant les maîtres des nations, leur exemple attirait à la foi les autres Gentils. C’est que, suivant la remarque de la Glose, l’inférieur se porte volontiers à imiter ce qu’il voit faire au supérieur. Aussi avertit-on les chefs des églises (I Pierre, V, 3): "de devenir les modèles de leur troupeau par une vertu qui sorte du coeur."

II° En ajoutant: "Dieu m’est témoin," l’Apôtre montre son affection à leur égard par la prière qu’il fait pour eux; et parce que c’est dans le secret que l’affaire de la prière se traite avec Dieu, suivant saint Matthieu (VI, 6): "Quand vous priez, entrez dans votre chambre, et, la porte fermée, priez votre Père," il appelle Dieu à témoin qu’il prie pour eux. I. Premièrement donc il invoque ce témoignage; II. Secondement il déclare ce pour quoi il l’invoque, à savoir, sur la continuité de sa prière.

I. Ce témoignage divin, il l’invoque quand il dit: Je l’atteste ce Dieu, témoin de tout ce qui se fait (Jérémie XXIX, 23): "Je suis juge et témoin." Et pour montrer qu’il n’invoque pas en vain ce juste témoin, il explique comment il lui est uni:

quant à son service: "Dieu (dit-il) que je sers," à savoir, par le culte de latrie (Deut., V verset 13; saint Matth., IV, 10): "Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul;"

quant à la manière de le servir, lorsqu’il dit: "En esprit," comme s’il disait non seulement d’un culte extérieur et corporel, mais principalement d’un culte intérieur et spirituel (Jean, IV, 24): "Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité;" ou en esprit, c’est-à-dire par des observances spirituelles, et non charnelles, à la manière des Juifs (Philipp., III, 3): "Nous sommes la vraie circoncision, nous qui servons Dieu en esprit;"

quant à l’office dans lequel il le sert, savoir: "Dans l’Évangile de son Fils, en suivant ce qui est dit plus haut: "Choisi pour l’Évangile." Or, cet Évangile est triplement celui du Fils de Dieu, d’abord parce qu’il en est le sujet (Luc, II, 10): "Je vous annonce une grande joie;" ensuite parce qu’il l’a annoncé par lui-même et en vertu de son office propre (Luc, IV, 43): "il faut que j’évangélise aussi le royaume de Dieu aux autres nations, car c’est pour cela que j’ai été envoyé;" enfin, parce qu’il adonné l’ordre de l’annoncer (Marc, XVI, 15): "Prêchez l’Évangile à toute créature."

Mais, observe saint Augustin, dire: "Dieu m’est témoin," c’est dire la même chose que: "je jure par Dieu". L’Apôtre ne parait-il pas agir contre ce que le Seigneur a dit (Matth., V, 34): "Moi, je vous dis de ne jurer en aucune sorte;" (Jacques V, 12): "Avant toutes choses, mes frères, ne jurez pas." Mais, répond le même saint Augustin, le sens des saintes Ecritures se détermine par les actions des saints, car c’est le même Esprit qui les a inspirées, suivant ces paroles (II Pierre, I, 21): "C’est par le mouvement de l’Esprit-Saint que les hommes inspirés de Dieu ont parlé." Ce même Esprit dirige les saints dans leurs actions. Aussi verrons-nous au ch. VIII de cette épître, 14: "Ceux qui sont mus par l’Esprit de Dieu sont les enfants de Dieu." Donc, lorsque nous voyons que saint Paul fait un serment, nous concluons que la parole du Sauveur et celle de saint Jacques doivent être entendues dans ce sens, que le serment n’est pas illicite dans toute circonstance; mais que l’homme doit faire tous ses efforts pour ne pas employer le serment, acte néanmoins bon et désirable en soi. Car la fréquence du serment nous expose à tomber dans le parjure, à cause de la fragilité de la langue humaine, selon ce qu’on lit dans l’Ecclésiastique (XXIII, 9): "Que la bouche ne s’accoutume pas à jurer, car par là les chutes sont fréquentes." De plus, il semble que c’est manquer de respect à Dieu que de l’invoquer comme témoin sans motif nécessaire; c’est pourquoi il est dit au même ch. 10: "Que le nom de Dieu ne soit pas sans cesse dans ta bouche." Aussi voit-on que l’Apôtre n’a fait de serment qu’en écrivant, alors que l’homme parle avec plus de réflexion et de prudence. Cependant le serment est quelquefois nécessaire pour qu’on ajoute foi à la parole de celui qui parle, ce qui est parfois avantageux même à celui qui entend. C’est ainsi que l’Apôtre jure pour le bien de ceux auxquels il s’adresse, car il leur était utile, en vue du salut, de croire que saint Paul ne cherchait pas son intérêt propre, mais celui du plus grand nombre. Ainsi ce que le Sauveur ajoute en saint Matthieu (V, 3): "Ce qui est de plus (c’est-à-dire plus que la simple affirmation) est mal," doit être entendu comme étant mal, non du côté de celui qui jure, mais de celui qui exige le serment. Et même non pas mal jusqu’à la coulpe, si ce n’est dans le cas où l’on penserait que celui dont on exige le serment jurera contre la vérité, car alors, dit saint Augustin, c’est un péché grave; mais de mal de peine, à savoir: en raison de l’ignorance où nous sommes si ce qu’on nous dit est vrai.

Or il y a deux manières de jurer: l’une par la simple attestation, comme lorsqu’on dit: "Par Dieu, ou Dieu m’est témoin," ce que fait ici saint Paul; l’autre par exécration, lorsqu’on invoque le témoignage divin, en se soumettant à quelque châtiment si l'on ne dit pas la vérité, suivant cette parole du Ps. (VII, 4): "Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en ont fait, je consens de succomber, etc." C’est ainsi que l’Apôtre a juré (II Cor., I, 23): "Je prends Dieu à témoin, et je veux qu’il me punisse si, etc."

II. L’Apôtre expose ensuite ce sur quoi il invoque le témoignage de Dieu, lorsqu’il dit: "Que je me souviens sans cesse de vous, demandant continuellement dans mes prières." Il jure que, sans interruption, il s’occupait d’eux dans ses prières, à cause de l’utilité commune qui résultait de leur conversion (I Rois, XII, 23): "Que Dieu me garde de ce péché, de cesser de prier pour vous." Cette parole: "Je me souviens sans cesse de vous," peut être entendue de deux manières: d’abord, "je me souviens de vous," dans le sens où il est dit au Ps. (CXXXVI, 7): "Que ma langue s’attache à mon palais si je ne me souviens pas de toi;" ensuite, je fais mémoire de vous, c’est-à-dire une prière à Dieu, qui prête attention aux supplications des humbles. Ainsi, tandis que les saints prient pour leurs frères, ils sont, comme dans le reste de leurs actions, sous le regard de Dieu. C’est pour cette raison que (III Rois, XV, 18) la veuve de Sarepta dit à Elie: "Êtes-vous venu chez moi pour renouveler la mémoire de mes péchés?" Comme si ce qui se fait contre les justes demeurait dans la mémoire et sous les yeux de Dieu. Quand l’Apôtre dit: "qu’il ne cesse pas de prier," il pratique ce qu’il recommande (1 Thess., V, 17): "Priez sans cesse;" et (Luc, XVIII, 1): "Il faut toujours prier et ne se lasser jamais." Ce qui peut s’entendre de trois manières: d’abord quant à l’acte même de la prière. Dans ce sens, celui-là prie toujours, ou sans discontinuer, qui prie à des temps et à des heures fixes (Act., III, 1): "Pierre et Jean montèrent au temple pour la prière de la neuvième heure." Ensuite quant à la fin de la prière, qui est d’élever notre intelligence vers Dieu: dans ce sens, l’homme prie aussi longtemps qu’il dirige sa vie entière vers Dieu (I Cor., IX, 31): "Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, etc." Enfin quant à son motif, car lorsqu’on agit dans le dessein de déterminer d’autres personnes à prier pour soi, on prie en quelque sorte soi-même, comme on le voit par l’exemple de ceux qui font l’aumône aux pauvres, afin que ces pauvres prient pour eux (Ecclésiastique XXIX, 15): "Renfermez l’aumône dans le sein du pauvre, etc." Voici donc l’enchaînement du texte: Je rends grâces à Dieu pour vous, parce que je regarde vos biens comme les miens propres; et, en preuve, je prie pour vous comme je le fais pour moi-même.

III° Lorsque l’Apôtre dit: "Suppliant, etc., il témoigne son affection aux Romains, en leur montrant le désir qu’il a de les visiter. D’abord il exprime ce désir, ensuite sa résolution de l’effectuer par ces mots: "Je ne veux pas que vous ignoriez." Or de ce désir il en donne: I. la marque, II. le motif.

I. La marque de son désir, c’est la prière qu’il faisait pour qu’il fût accompli.

Elle vient en preuve de ce désir, d’abord par son intensité, lorsqu’il dit: "Suppliant", comme s’il eût attesté les choses sacrées, ainsi qu’on le fait pour une affaire importante qui dépasse la portée de nos forces (Prov., XVIII, 23): "Le pauvre parle avec supplications, le riche répond avec raideur." Or ce qu’on désire vivement parait grand à celui qui le désire. Puis par son anxiété, quand il dit: "Si par quelque moyen." Ce qu’on désire avec anxiété, on cherche à l’obtenir par tous les moyens, facilement ou non (Philippe., I, 18): "Qu’importe, pourvu que Jésus-Christ soit annoncé, de quelque manière que ce soit, soit par occasion, soit par un zèle véritable, je m’en réjouis et je continuerai de m’en réjouir." Ensuite saint Paul montre la persévérance de ce désir en disant: "Si quelque jour," c’est-à-dire après de longs désirs; car l’affection des justes n’est pas d’un instant seulement, mais elle persévère (Prov., XVII, 17): "Le véritable ami aime en tout temps." Enfin sa rectitude, en ce que ce désir est conforme à la volonté divine, ce qui fait dire à l’Apôtre: "Si je puis avoir une voie favorable et "si c’est la volonté de Dieu," qui est à mes yeux la mesure de ce qui est favorable; comme dit le Sauveur (Luc, XXII, 42): "Que sa volonté se fasse et non la mienne."

Lorsque saint Paul dit: "Car je désire," il exprime le motif de ce désir, et il en indique deux objets:

1. l’utilité de ceux qu’il voulait visiter; c’est pourquoi il ajoute: "Je désire vous voir " (Philipp., I, 8): "Je vous aime tous dans les entrailles de Notre Seigneur Jésus-Christ," et non en paroles, comme il arrive dans les amitiés du monde. "Pour vous départir," c’est-à-dire pour vous communiquer "quelques grâces spirituelles," non comme auteur de la grâce, mais comme son ministre (I Cor., IV, 4): "Que les hommes nous regardent comme les ministres de Jésus-Christ, et cela pour vous fortifier dans la foi que vous avez reçue;" (Luc, XXII, 32): "Et toi, quand tu seras converti, affermis tes frères." Or un ministre confère la grâce de plusieurs manières: d’abord par l’administration des sacrements de grâce (I Pierre, IV, 10): "Que chacun de vous, selon le don qu’il a reçu, le communique à ses frères;" ensuite par l’exhortation de la parole (Ephésiens IV, 29): "Que nulle parole mauvaise ne sorte de votre bouche, mais que toutes soient bonnes à nourrir la foi, et à inspirer la piété à ceux qui écoutent."

2. II montre qu’il y a une consolation réciproque dans les rapports de ceux qui sont liés par l’amitié; c’est pourquoi il ajoute: "Afin de vous voir, de vous communiquer la grâce et de nous consoler réciproquement par votre foi, qui est aussi la mienne;" car c’est une consolation mutuelle de devenir unanimes dans la foi (II Cor., VII, 6): "Le Dieu qui console les humbles nous a consolés par l’arrivée de Tite, non seulement, etc."

II. Ensuite lorsqu’il dit: "Je ne veux pas que vous ignoriez;" voulant montrer que ce n’est pas un vain désir, il exprime la résolution de le réaliser. Il énonce cette résolution; il en dit le motif par ces paroles: "Pour obtenir quelque fruit;" Il montre qu’il est tout à fait déterminé, en disant: "Autant qu’il est en moi."

Sa résolution, 1. Il L’énonce; 2. Il en indique l’obstacle par ces mots: "J’ai été empêché."

1. Il dit donc: "Non seulement j’ai le désir de vous voir, mais je me suis proposé de le faire, et je ne veux pas, mes frères, vous laisser ignorer que souvent j’ai arrêté dans mon esprit la résolution d’aller vers vous, afin de vous donner des preuves de mon affection, non seulement en paroles et en discours, mais en oeuvres et en vérité" (I Jean, III, 18).

2. Il rappelle ensuite l’obstacle qui l’a empêché d’exécuter cette résolution, en disant: "J’en ai été empêché jusqu’à ce moment;" et cela soit par le démon, qui s’efforce d’empêcher la prédication, d’où procède le salut des hommes (Prov., XXV, 23): "Le vent d’aquilon dissipe la pluie," c’est-à-dire les paroles de ceux qui prêchent; ou encore par Dieu lui-même, dont la volonté détermine les voyages et les discours des hommes apostoliques (Job, XXXVII, 11): "Les nuées (c’est-à-dire les prédicateurs) répandent leur lumière; elles éclairent de toutes parts, sur la face de la terre, partout où les conduit la volonté de Celui qui les gouverne."

De là ce passage des Actes (XVI, 6): "Ayant traversé la Phrygie et le pays de la Galatie, le Saint-Esprit leur défendit de prêcher la parole de Dieu;" et plus loin: "Ils se disposaient à passer en Bithynie, et l’Esprit de Jésus ne le permit pas." L’Apôtre, dans l’intérêt des hommes, ne veut pas leur laisser ignorer ces deux obstacles, afin que, connaissant son affection, ils reçoivent sa parole avec plus de docilité, et qu’attribuant l’obstacle qui empêche sa visite à leur faute, ils se corrigent. Car il est dit en punition du péché (Is 5,6): "J’ordonnerai à mes nuées de ne plus répandre leur rosée sur elle."

Saint Paul donne ensuite deux raisons de sa détermination. La première, c’est l’utilité des Romains; ce qui lui fait dire: "Afin d’obtenir quelque fruit parmi vous, comme parmi les autres nations à qui j’ai annoncé la parole de Dieu." on peut entendre ces paroles de deux manières: d’abord, comme si l’Apôtre disait: "Afin d’obtenir quelque fruit par ma prédication" (Jean, XV, 16): "Afin que vous alliez et que vous portiez des fruits." Ensuite, comme si de leur conversion devait résulter quelque fruit pour lui-même, selon cette parole (Jean, IV, 36): "Celui qui moissonne reçoit un salaire et amasse des fruits pour la vie éternelle." La seconde raison est l’obligation qui résultait de la mission qu’il avait reçue (I Cor., IX, 16): "Malheur à moi si je ne prêche pas l'Evangile etc." Et parce qu’il avait reçu l’apostolat de toute la gentilité, il déclare qu’il est le débiteur de tous (I Cor., XX, 19): "Libre à l’égard de tous, je me suis fait le serviteur de tous."

Voilà pourquoi il établit deux distinctions: l’une quant à la diversité des nations, lorsqu’il dit: "Aux Grecs et aux barbares." Or le nom de barbares peut être employé de deux manières: dans un sens restreint, par exemple, quand on est étranger relativement à un autre (I Cor., XXV, II): "Si j’ignore ce que signifient les paroles, je suis barbare à l’égard de celui à qui je parle." Dans un sens absolu, quand on est comme étranger à l’égard de la société humaine, en tant qu’on ne se conduit pas par la raison: en ce sens on appelle proprement barbares ceux qui ne suivent pas les lois de la raison, selon ce qui est dit (2 Mach., XV, 2): "Ne faites pas une chose si cruelle et si barbare," c’est-à-dire si éloignée des habitudes des hommes. Et parce que les Grecs ont établi les premiers des lois, tous les Gentils qui ont pour règles les lois humaines, il les appelle Grecs. Quant aux Juifs, gouvernés par la loi divine, il n’en fait pas mention, parce qu’il n’a ait pas été établi apôtre des Juifs, mais des Gentils (Gal., II, 9): "Ainsi qu’ils prêchent parmi les circoncis, nous, nous prêchons parmi les Gentils."

Or de ces deux motifs il déduit la détermination de sa volonté, lorsqu’il ajoute: "Autant qu’il est en moi," c’est-à-dire eu ma puissance; si d’ailleurs je n’en suis pas empêché, je suis prêt à annoncer l’Évangile à vous-mêmes qui êtes à Rome. (Exode XXXV, 20): "Toute l’assemblée des enfants d’Israël, étant sortie de la présence de Moïse, offrit avec une volonté prompte et pleine d’affection." Enfin il prévient un obstacle qui arrêterait cette détermination, une sorte de honte qui fait que plusieurs négligent ce qu’ils feraient d’ailleurs avec activité, ajoutant: "Car je ne rougis pas de l’Evangile qui paraissait à quelques-uns un sujet de honte. C’est ainsi qu’il dit (I Cor., I, 22): "Pour nous, nous prêchons Jésus Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils," bien que, selon la vérité des choses, il n’y ait nullement lieu à rougir de ce qui suit: "Mais la force de Dieu et la sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, qu’ils soient Juifs ou Gentils." Il est dit encore (Luc, IX, 26): "Quiconque rougit de moi et de mes paroles, le Fils de l’homme rougira de lui." Voilà pourquoi les baptisés sont marqués du signe de la croix avec l’onction du saint chrême sur le front qui est le siége de la honte, afin qu’ils ne rougissent pas de l’Évangile.




Thomas A. sur Rm (1869) 5