Thomas A. sur Rm (1869) 11

Romains 2, 6 à 12: Dieu manifestera un jour sa justice

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Rm 2,6-12)





SOMMAIRE: -Que Dieu est le juge véritable et le très juste rémunérateur des oeuvres, bien que, pendant cette vie mortelle, il ne paraisse pas rendre à chacun suivant ce qu’il mérite.

6. Qui (Dieu) rendra à chacun selon ses oeuvres.

7. A ceux qui, par la persévérance dans les bonnes oeuvres, cherchent la gloire, l’honneur et la vie éternelle;

8. Mais à ceux qui ont l’esprit de contention, qui ne se rendent pas à la vérité, mais qui acquiescent à l’iniquité, ce sera la colère et l’indignation.

9. Tribulation et angoisse à l’âme de tout homme qui fait le mal, du Juif d’abord, et puis du Grec.

10. Mais gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d'abord, et ensuite au Grec;

10. Car Dieu ne fait pas acception des personnes.

12. Ainsi, quiconque a péché sans la Loi périra sans la Loi, et quiconque a péché sous la Loi sera jugé par la Loi.

Après avoir établi la vérité du jugement de Dieu, et réfuté ce qu’on y oppose, l’Apôtre montre la vérité de ce jugement. Et d’abord il énonce sa proposition; secondement il la développe à ces mots (verset 7): "A ceux qui par la persévérance."

I°. Il montre donc d’abord la vérité du jugement de Dieu: premièrement, quant aux oeuvres; secondement, quant aux personnes.

I. A l’égard des oeuvres, parce que, dans l’état présent, Dieu ne rétribue pas selon les oeuvres, car il donne quelquefois sa grâce à ceux qui font mal, par exemple à l’apôtre saint Paul lui-même, autrefois blasphémateur et persécuteur, lequel a obtenu miséricorde, ainsi qu’il l’écrivait à Timothée (I Timothée I, 13). Mais il n’en sera pas ainsi au jour du jugement, quand le temps sera venu de juger selon la justice (Psaume I, 3): "Quand le temps sera venu, je jugerai les justices." Et voilà pourquoi il est dit encore (Psaume XVII, 5): "Rétribuez-les selon leurs oeuvres."

II. Quant aux personnes, on reconnaît la vérité du jugement, parce que l’égalité de rétribution sera gardée pour tous (II Cor., V, 10): "Tous, nous devons comparaître."

Mais il semble que la rétribution future n’est pas selon les oeuvres, puisqu’une peine éternelle suivra une faute temporelle. II faut dire, comme saint Augustin l’a remarqué (La Cité de Dieu, liv. XXI, ch. XI, n° 1), "que, dans la rétribution de la justice, on ne considère pas l’égalité du temps entre la faute et la peine, puisque, même selon le jugement des hommes, au crime d’adultère, commis dans l’intervalle d’un moment, on inflige la peine de mort, châtiment dans lequel le législateur envisage moins la dureté que l’exclusion pour toujours du coupable de la société des vivants, opérée par la peine capitale. Ainsi l’homme, autant que sa condition le lui permet, est puni d’une peine éternelle pour une faute limitée quant au temps. II n’est donc pas étonnant que les péchés commis contre la charité, qui est le lien entre Dieu et l’homme, soient éternellement punis par le jugement de Dieu." Rien de plus juste:

Premièrement, en raison de la dignité infinie de Dieu contre lequel on pèche, car l’offense est d’autant plus grave que la dignité de la personne offensée est plus élevée; par exemple, celui qui frappe un prince pèche plus grièvement que celui qui frappe une personne privée. Ainsi, la malice du péché mortel étant en quelque sorte infinie, il est nécessaire qu’une peine infinie y corresponde. Or elle ne peut être infinie dans son intensité, il faut donc qu elle le soit dans sa durée.

Secondement, en raison de la volonté par laquelle on pèche. Quiconque, eu effet, pèche mortellement, se détourne du bien immuable et met sa fin dans un bien périssable: par exemple, le fornicateur, dans la délectation de la chair; l’avare, dans l’argent, etc. Et parce que la fin est recherchée pour elle-même, quiconque désire la fin se porte vers elle et voudrait l’obtenir à toujours, si rien ne s’y opposait. Celui donc qui pèche mortellement est dans la volonté de demeurer à toujours dans le péché, s’il n’en était accidentellement empêché soit par la crainte du châtiment, soit par quelque autre obstacle. Il est donc convenable que, du moment où l’homme, dans sa volonté, désire obtenir pour toujours le péché, il soit éternellement puni pour le péché; car Dieu, qui est le scrutateur du coeur, pèse surtout la volonté du pécheur.

Troisièmement, en raison de l’effet du péché, qui est la soustraction de la grâce; d’où il suit que l’homme, en tant qu’il est en lui, demeure pour toujours dans le péché, dont il ne peut sortir que par le secours de la grâce. Or il y a contradiction que le crime persiste et que la peine cesse: voilà pourquoi la peine dure à toujours. Quant à ce que dit l’Apôtre: "Que Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres," il ne faut pas l’entendre selon l’égalité des oeuvres, parce que la récompense surpasse le mérite, mais dans une certaine proportion, parce qu’aux bons Dieu donnera les biens, et aux meilleurs des biens plus excellents. De même à l’égard des méchants.

II° Quand l’Apôtre dit: "A ceux qui par la persévérance," il développe sa proposition, quant aux oeuvres et quant aux personnes, par ces mots: "Tout homme."

I. Quant aux oeuvres, saint Paul montre la vérité du jugement de Dieu, d’abord à l’égard du bien, ensuite à l’égard du mal, à partir de ces paroles: "Aux esprits opiniâtres."

Dans le bien, il faut considérer le mérite et la récompense. Trois choses concourent au mérite:

Premièrement, la patience; ce qui peut être entendu d’abord de la patience de Dieu, dans le sens exposé plus haut: "Est-ce que vous méprisez les richesses de sa bonté et de sa patience?" l’Apôtre faisant ainsi comprendre que ceux-là pratiquent la persévérance des bonnes oeuvres, c’est-à-dire y sont disposés, qui se servent utilement de la patience de Dieu pour opérer le bien. On peut encore l’entendre de la patience de l’homme, et cela de deux manières: d’abord, en tant que la patience suppose qu’on supporte les épreuves avec simplicité de coeur; car il est nécessaire qu’on ne se relâche pas des bonnes oeuvres à cause des maux qu’on souffre. C’est ce qui fait dire à saint Pau: Par la persévérance dans les bonnes oeuvres (Jaca., I, 4): "La patience produit l’oeuvre parfaite;" (Luc, XXI, 19): "Vous posséderez vos âmes dans votre patience." on peut aussi prendre la patience de l’homme pour la longanimité ou la persévérance, c’est-à-dire que l’ennui ne fasse pas abandonner les bonnes oeuvres (Jacques V, 7): "Pour vous, mes frères, persévérez dans la patience jusqu’à l'avènement du Seigneur;" et encore (Hébr., X, 31): "La patience vous est nécessaire."

Deuxièmement, la bonté de l’oeuvre concourt au mérite; on l’appelle bien, d’après sa relation avec sa fin légitime et sa conformité à la règle du devoir, c’est-à-dire la loi de Dieu et la raison humaine (Ga 6,9): "Ne nous lassons pas de faire le bien."

Troisièmement, la rectitude d’intention concourt au mérite "pour ceux qui cherchent la vie éternelle," c’est-à-dire que dans les épreuves que l’homme souffre, comme dans le bien qu’il fait, il ne doit se proposer rien de temporel, mais l’éternité (Matth., VI, 3): "Cherchez premièrement le royaume de Dieu."

Du côté de la récompense, l’Apôtre indique trois choses:

1. Premièrement, "La gloire," ce qui signifie la clarté dont l’âme des saints sera, même intérieurement, remplie, comme dit Isaïe (LVIII, 11): "Il remplira votre âme de ses splendeurs, et dont resplendira extérieurement leur corps (Matth., XIII, 43): "Les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père;" (Psaume CXLIX, 5): "Les élus triompheront dans la gloire."

2. Secondement, "L’honneur," qui marque la dignité des saints et la vénération dont ils reçoivent l’hommage de toute créature; car ils seront rois et prêtres (Apoc., V, 10): "Vous nous avez faits rois et sacrificateurs pour notre Dieu." Plus tard ils seront placés parmi ses enfants, selon ces paroles du Sage (V, 5): "Les voilà comptés parmi les enfants de Dieu;" (Psaume CXXXVIII, 17): "Mon Dieu, vous honorez trop vos amis."

3. Troisièmement, "L’incorruptibilité," parce que cette gloire et cet honneur ne seront pas passagers, comme les honneurs du monde (I Cor., IX, 25): "Eux, cependant, c’est pour gagner une couronne corruptible; nous en attendons, nous, une incorruptible."

II. En ajoutant: "Aux esprits opiniâtres," saint Paul fait voir la vérité du jugement de Dieu à l’égard du mal, dont il considère la coulpe et la peine.

Dans la coulpe, il indique

Premièrement la persistance de l’opiniâtreté: ce qui peut être entendu soit de l’homme à l’égard de Dieu, qui l’appelle par ses bienfaits et contre lequel l’homme paraît se raidir en résistant à sa bonté (Deut., XXXI, 27): "Moi vivant encore et marchant avec vous, vous avez toujours murmuré contre le Seigneur; soit de l’homme à l’égard de la foi" (II Tim., II, 14): "Ne vous livrez pas à des disputes de paroles;" soit du désaccord des hommes entre eux, désaccord qui est contraire à la charité, la mère des vertus (Jacques III, 16): "Où est la jalousie et la contention, là aussi est le trouble et toute espèce de mal."

Deuxièmement, leur dureté, à savoir, de ceux qui "n’acquiescent pas à la vérité." On peut l’entendre: ou de la vérité de la foi (Jean, VIII, 46): "Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas?" ou de la vérité de la divine justice, à laquelle n’acquiescent pas ceux qui ne croient pas à la vérité du jugement de Dieu (Ezéch., XVIII, 25): "Et vous dites: La voie du Seigneur n’est pas selon la justice;" ou enfin de la vérité de la vie, à laquelle n’acquiescent pas ceux qui vivent dans l’iniquité (Jean, III, 21): "Celui qui accomplit la vérité vient à la lumière."

Troisièmement, il indique leur malice, en disant: "Ils croient à l’iniquité," ou parce qu’ils donnent consentement à ceux qui conseillent cette iniquité (Prov., XVIV, 4): "Le pécheur obéit à la langue inique;" ou parce qu’ils croient à l’impunité du pécheur, ce qui fait rejaillir l’iniquité sur Dieu même (Ecclésiastique V, 4): "Ne dites pas: J’ai péché, et il ne m’est rien arrivé de funeste;" ou, enfin, parce qu’ils écoutent l’iniquité, c’est-à-dire l’infidélité, en d’autres termes la doctrine contraire à la foi (II Thess., II, 11): "Afin que tous ceux qui n’ont pas cru à la vérité et qui ont consenti à l’iniquité soient condamnés."

Quant à la punition, l'Apôtre en indique quatre qui peuvent être classées de deux manières. D'abord, en ce sens que "La colère," c'est-à-dire le châtiment et la vengeance corporelle, existe après le jugement (Sophonie, I, 15): "Jour de colère, ce jour." - "L’indignation," au moment même du jugement, quand les méchants s’indigneront contre eux-mêmes à cause des péchés qu’ils auront commis (Sagesse V, 6): "Nous avons donc erré hors de la voie de la vérité." Pour la "Tribulation et l'angoisse," elles appartiennent a l'âme, séparée du corps avant la résurrection (Prov., I, 27): "Quand la tribulation et l'angoisse se précipiteront sur vous." on peut encore les grouper d'une autre manière, en rapportant les deux premières à Dieu, dont on appelle colère la disposition à punir; elle est pour les méchants un sujet d’horreur (Apoc., VI, 16): "Ils diront aux montagnes et aux rochers: Tombez sur nous !" Son indignation, parce qu’il regardera les pécheurs comme indignes de la vie éternelle (Psaume XCIV, 11): "Je leur ai dit, dans ma colère, qu’ils n’entreront pas, etc." Les autres châtiments viennent de l'homme la "tribulation" d abord, ainsi appelée du mot latin tribulus, plante piquante. On peut donc donner le nom de tribulation à tout ce qui cause de la douleur (Soph., I, 14); "La voix amère du jour du Seigneur, tribulation pour les forts." "L’angoisse" se dit; de ce qui ressert l’âme de l'homme sans qu’il puisse trouver un remède contre les maux qu’il éprouve ou qu'il souffre déjà (Dan., X, 12): "Je n’ai qu’angoisses de toutes parts ne sachant que choisir;" (Job, XXV, 9): "Dieu entendra-t-il ses cris, quand l’angoisse sera venue sur lui?"

II. Quand saint Paul dit: "Sur l’âme de tout homme," il établit la vérité du jugement de Dieu quant aux personnes. Et d’abord, il en expose l’équité; puis il en donne la raison, quand il dit: Car Dieu ne fait pa acception des personnes (verset 11); enfin il développe cette raison, lorsqu’il ajoute (verset 11): "Ainsi tous ceux qui, etc."

Il montre donc la vérité du jugement de Dieu, premièrement quant aux personnes, d’abord à l’égard des méchants, en disant: "Sur l’âme de tout homme qui fait le mal," c’est-à-dire contre toute âme; car, ainsi que, dans les saints, la gloire descend de l’âme au corps, de même, dans les réprouvés, le châtiment est d’abord et principalement subi dans l’âme, et subsidiairement dans le corps, qui, à cause des fautes ou des crimes de l’âme, réssuscitera passible (Ezéchiel XVIII, 20): "L’âme qui a péché, mourra elle-même." L’Apôtre ajoute: "Du Juif d’abord, et du Grec;" car les Juifs méritaient un châtiment plus sévère, eux qui connaissaient la volonté de Dieu par la Loi (Luc, X, 12): "Le serviteur qui connaît la volonté de son maître et qui ne l’a pas exécutée, etc., sera frappé, et avec justice, de plusieurs coups." De même, les chrétiens, pour le même péché, l’adultère ou le vol, par exemple, seront punis plus sévèrement que les infidèles (Hébr., X, 29): "Combien, pensez-vous, mérite de plus grands supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu...?" Mais si l’on considère le châtiment dans son ensemble, la punition des infidèles est plus sévère, à cause du péché même d’infidélité, qui est le plus grave de tous; ce qui fait dire à saint Pierre (I Pierre III, 5) que la colère de Dieu attend les incrédules. Deuxièmement saint Paul établit cette même vérité quant aux bons. D’abord il rappelle à leur sujet ce qu’il a dit plus haut: "La gloire et l’honneur;" puis, au lieu de "L’incorruptibilité," il indique la Paix," qui la renferme, et avec elle beaucoup d’autres avantages; car la paix ne peut être parfaite tant que l’on craint de perdre ce que l’on possède, et celui-là seul a la véritable paix du coeur, qui possède tout ce qu’il désire et qui ne craint pas de le perdre (Is 32,18): "Mon peuple se reposera dans la beauté de la paix." Sur ce point, l’Apôtre attribue encore aux Juifs la primauté, parce que c’est à eux les premiers que les promesses ont été faites; pour les Gentils, ils seront admis dans ce qui a été promis aux Juifs (Jean, IV, 38): "Les autres ont travaillé, et vous êtes entrés dans leurs travaux."

Quand l’Apôtre dit: "Dieu ne fait pas acception de personne," il donne la raison de ce qu’il a avancé, à savoir, que Dieu ne fait pas, etc. (Act., X, 34): "En vérité, Dieu ne fait pas acception des personnes." L’acception des personnes est opposée à la justice distributive, qui consiste à donner à chacun selon la dignité des personnes. L’acception a donc lieu quand on donne à quelqu’un plus un moins sans égard à sa dignité. C’est ce qui arrive quand le don ne se fait pas à cause de la condition, mais pour la personne qui est en cause. Agir ainsi, c’est donc prendre la cause comme règle de son action, mais en vue de la personne, comme si cette personne elle-même était le motif qui fait agir. Donner, par exemple, à une personne, à raison de la parenté, plus de biens patrimoniaux qu’à un étranger, ce n’est pas faire acception des personnes, parce que la parenté est une raison convenable d’obtenir ces sortes de biens. Mais un supérieur, à raison de la parenté, donne à un clerc plus de bénéfices ecclésiastiques qu’à un autre, il peut y avoir là acception des personnes, en supposant que ce parent favorisé ne présente pas d’autre aptitude: la parenté, en effet, n’est pas la raison légitime de la distribution des biens spirituels. Mais, comme Dieu fait toutes choses d’après la raison suprême des convenances, il ne peut y avoir en lui acception des personnes; car il est dit (Sagesse VII, 1): "Le Seigneur dispose toutes choses avec douceur."

Cependant Dieu ne paraît-il pas faire acception des personnes quand, parmi les pécheurs, il en laisse quelques-uns dans leurs péchés et en appelle d’autres à lui? Il faut répondre que l’acception des personnes est opposée à la justice; d’où il suit qu’elle n’a lieu qu’à l’égard de ce qui est donné comme dû, ce qui est l’objet de la justice. Or Dieu n’appelle pas le pécheur à la pénitence en vertu d’une dette qu’il a contractée envers lui, mais gratuitement; car si l’on est appelé en raison des oeuvres, ce n’est plus d’après la grâce, comme il est dit au chap. XI, 6, (le cette épître, et encore (Tite, III, 5): "Non d’après les oeuvres de la justice que nous avons faites, mais, par sa miséricorde." Dans ces sortes de bienfaits, gratuitement accordés, il est loisible non seulement à Dieu, mais à l’homme, de donner comme il semble bon (Matth., XX, 15): "Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux?"

Lorsque saint Paul dit: "Tous ceux," il développe la raison qu’il a donnée précédemment. Que Dieu ne fasse pas acception des personnes, cela est évident, puisque tous ceux qui font le mal sont punis. Partant de ce principe, l’Apôtre parle d’abord de ceux qui n’ont pas reçu la foi, et dit que "Quiconque a péché sans la Loi," c’est-à-dire la loi de Moïse, reçue de Dieu, "périra sans la Loi," c’est-à-dire sera condamné, mais non pas pour avoir transgressé la Loi (Job IV, 20): "Parce qu’aucun d’eux n’a compris, ils périront éternellement." Il parle ensuite de ceux qui ont reçu la Loi écrite, et Il dit que tous ceux "qui ont péché sans la Loi," après la Loi écrite, seront jugés par la Loi, à savoir, parce qu’ils ont transgressé le principe de la Loi (Jean, XII, 48): "La parole que je vous ai annoncée le jugera au dernier jour."

De cette façon de parler de saint Paul, quelques auteurs ont pris occasion de commettre une erreur. Parce que l’Apôtre n’a pas dit: tous ceux qui ont péché sous la Loi périront par la Loi, comme il avait dit de ceux qui sont sans la Loi, qu’ils périront sans la Loi, ils ont cru que ceux qui pèchent après avoir reçu la Loi seront jugés d’une manière particulière, c’est-à-dire dans le temps présent, et sans périr. Mais, remarque la Glose, quel chrétien dira que le Juif ne périra pas s’il ne croit pas en Jésus-Christ, quand le Sauveur dit que "Sodome, au jour du jugement, sera traitée avec moins de rigueur que lui?" Comme on le lit en saint Matthieu (X, 15) et (Ezéchiel XVIII, 23): "Je ne veux pas la mort du pécheur." L’Apôtre a employé cette diversité de langage, parce que, ainsi que le dit saint Grégoire dans ses Morales, (liv. XXVI, ch. XXIV)sur ce passage de Job (XXXVI, 6): "Il fait justice aux pauvres," quelques-uns, au jugement à venir, périront, mais ne seront pas jugés, à savoir, les impies, qui sont sans foi et sans loi de Dieu (Psaume I, 5): "Au jour du jugement, les impies ne se lèveront pas parce qu’il n’y a pas lieu à discuter la cause de celui qui est totalement étranger à Dieu" (Jean, III, 18): "Celui qui ne croit pas au Fils de Dieu est déjà jugé." Quant aux autres, qui pèchent après avoir reçu et la loi de Dieu et la foi, ils périront, mais, toutefois, ils seront jugés; leur cause sera comme discutée en leur présence. C’est ainsi qu’il est dit au prophète Ezéchiel (XXXIV, 17): "Je juge entre les brebis et les brebis, entre les béliers et les boucs." De même, dit encore saint Grégoire, un roi condamne ses ennemis sans les entendre, ses sujets après les avoir entendus avec un soin diligent.



Romains 2, 13 à 16: La Loi de Moïse ne justifie pas

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Rm 2,13-16)





SOMMAIRE: Que la gloire des Juifs, placée par eux dans la Loi, est vaine puisque ni sa promulgation ni son acceptation ne justifie.



13. Car ce ne sont pas ceux qui écoutent la Loi qui sont justes devant Dieu mais ce sont les observateurs de la Loi qui seront justifiés.

14. En effet, lorsque les Gentils, qui n'ont pas la Loi, font naturellement ce qui est selon la Loi; n'ayant pas la Loi, ils sont à eux-mêmes la Loi.

15. Montrant ainsi l'oeuvre de la Loi écrite en leur coeur, leur conscience leur rendant témoignage, et leurs pensées s'accusant et se défendant l'une l'autre.

16. Au jour où Dieu jugera par Jésus-Christ, selon mon Evangile, ce qu'il y a de caché dans les hommes.

L'Apôtre, après avoir réfuté le jugement humain, par lequel les Gentils et les Juifs se jugeaient réciproquement, et établi le jugement de Dieu, s’applique ici à montrer que les avantages dont les Juifs se glorifiaient ne suffisaient pas à procurer leur salut. Il énonce d’abord sa proposition, puis il répond à ce que l’on pouvait objecter, à ces mots du troisième chapitre: "Quel est donc l’avantage?" Or, les Juifs se glorifiaient de la Loi et de la circoncision, qui ne venaient pas Moïse, mais des patriarches, ainsi qu’il est dit au ch. VII de saint Jean. Il montre donc: premièrement, que l’audition ou la réception de la Loi était insuffisante pour le salut; secondement, il le montre également pour la circoncision, au verset 25: Ce n’est pas que la circoncision, etc.

A l’égard de la Loi: il énonce sa proposition; II° il la développe, à ces mots: "En effet, lorsque les Gentils."

I° Or, pour établir sa proposition, il nie une chose et en affirme une autre.

Il nie ce que les Juifs prétendaient, c’est-à-dire qu’ils étaient justifiés par le seul fait d’entendre la Loi. Voilà pourquoi il déclare: "J’ai avancé que ceux qui pèchent sous la Loi seront jugés par la Loi; Car ceux qui entendent la Loi ne sont pas," par le fait seul de l’avoir entendue, justifiés devant Dieu," alors même qu’ils seraient réputés tels devant les hommes (Matth., VII, 26): "Tout homme qui entend mes paroles et ne les accomplit pas est semblable à un insensé;" et encore: "Celui qui écoute la parole et ne l’accomplit pas, etc."

Il affirme que ceux qui pratiquent la Loi sont justes, en disant: "Mais les observateurs de la Loi seront justifiés " (Matth., VI, 24): "Tout homme qui entend mes paroles et les accomplit sera comparé à un homme sage;" et (Jacques I, 22): "Ayez soin d’observer la parole, et ne vous contentez pas de l’écouter;" et encore (Psaume, CX, 9): "Quiconque fait le bien a la véritable intelligence."

Mais il semble que ce qui précède est contredit par ce qu’on lit plus bas, au chap. V, 20: "Nul ne sera justifié devant Dieu par les oeuvres de la Loi." Donc pas un seul ne peut être justifié pour avoir fait ces oeuvres.

Il faut dire que ce mot justifier peut être pris: premièrement, dans le sens de réputer, en sorte que l’on peut être dit justifié quand on est réputé juste (Ezéch., XVI, 52): "Tu as justifié tes soeurs," c’est-à-dire en les disant telles. En ce sens, ces paroles: Ce sont ceux qui pratiquent la Loi qui seront préférés, signifient: seront réputés justes devant Dieu et devant les hommes. Deuxièmement, dans le sens de pratiquer la justice devant Dieu et devant les hommes, en tant qu’on en accomplit les oeuvres (Luc, XVIII, 14): "Celui-ci revint dans sa maison justifié," c’est-à-dire que ce publicain avait accompli une oeuvre de justice en confessant son péché. Selon cette interprétation, on voit la vérité des paroles de l’Apôtre: "Ceux qui pratiquent la Loi seront justifiés," et cela en accomplissant la justice de la Loi. Troisièmement, on peut prendre ce mot pour le principe de la justice, en sorte que l’on appelle justifié celui qui reçoit de nouveau la justice, comme plus bas, chap. V, 1: "Justifiés donc par la foi, etc." Mais cette troisième interprétation ne doit pas s’appliquer ici, et ceux qui pratiquent la Loi ne sont pas justifiés comme s’ils acquéraient la justice par la Loi; car cela n’est possible ni aux oeuvres cérémoniales, qui ne conféraient pas la grâce sanctifiante, ni même aux oeuvres morales, qui ne peuvent faire acquérir l’habitude de la justice, mais seulement par l’habitude infuse de la justice avec la quelle nous pratiquons ces oeuvres.

II° A ces mots: "En effet, lorsque les Gentils," saint Paul développe sa proposition. Et, d’abord, il montre que ceux qui pratiquent la Loi sont justifiés, même quand ils ne l’auraient pas entendue; ensuite, que ceux qui entendent la Loi sans l’observer ne sont pas justifiés, à ces mots: "Que si le Juif."

I. Pour établir la justice par la pratique de la Loi, l’Apôtre fait voir: Le mérite de ceux qui observent la Loi sans l’avoir entendue; il développe ce qu’il avait dit, à ces mots: Qui montrent l’oeuvre de la Loi écrite dans leur coeur;" il le prouve, à ces mots: "Par le témoignage de leur conscience.

Sur le mérite sans la Loi, il indique, quant aux Gentils, premièrement, l’absence de la Loi, lorsqu’il dit: "Quand les Gentils, qui n’ont pas de Loi," c’est-à-dire qui n’ont pas reçu de loi divine; car ce n'est pas aux Gentils que la Loi a été donnée, mais aux Juifs, selon ce passage de l’Eccl. (XXIV, 33): "Moïse nous a donné la Loi avec les préceptes de la justice, l’hérédité de la maison de Jacob, et les promesses faites à Israël." Et au Ps. (CXLVII, 9): "Il n’a pas agi ainsi pour toutes les nations;" et encore (Deut., XXXIII, 4): "Moïse nous a enseigné la Loi avec l’héritage du peuple de Jacob." on voit donc, d’après ces textes, que les Gentils ne prévariquaient pas en n’observant pas les préceptes cérémoniaux de la Loi. Deuxièmement, l’observance de la Loi, dont il les loue, en disant: Ils font naturellement ce qui est de la Loi, c’est-à-dire ce que la Loi prescrit quant aux préceptes moraux, qui sont dictés parla raison naturelle; comme il est dit de Job (I, 4): "qu’il était juste, droit, craignant Dieu et étranger au mal;" d’où Job dit de lui-même (XXXII, 44): "Mes pieds ont suivi ses traces, j’ai gardé ses voies." Mais sur ce que dit l’Apôtre: "Naturellement," il peut s’élever une difficulté. Ce mot semblerait, en effet, favoriser les Pélagiens, qui prétendaient que l’homme, par ses forces naturelles, pouvait observer tous les préceptes de la Loi. Il est donc nécessaire d’entendre "naturellement" de la nature réformée par la grâce; car saint Paul parle des Gentils convertis à la foi, qui, par le secours de la grâce de Jésus-Christ, avaient commencé à observer les préceptes moraux. On peut encore interpréter cette expression: Naturellement, par la loi naturelle, qui montrait aux Gentils ce qu’il fallait faire, selon ce passage du Psalmiste (VI, 6): "Plusieurs disent: Qui nous fera voir les biens promis, la lumière de votre visage, etc.?" ce qui exprime la lumière de la raison naturelle, dans laquelle se reflète l’image de Dieu. Toutefois cela ne veut pas dire que la grâce ne soit pas nécessaire pour exciter l’affection, de même que la Loi donne la connaissance du péché, comme il sera dit au chapitre III; mais la grâce est ultérieurement requise pour déterminer l’affection. Troisièmement, l'Apôtre montre le mérite des Gentils en ceci, que, n’ayant point la Loi écrite, "ils sont à eux-mêmes leur propre loi," c’est-à-dire qu’ils s’acquittent du devoir de la Loi pour eux-mêmes, en s’instruisant et en se portant au bien, parce que, comme dit le Philosophe (X° Ethique): la loi est un discours qui nous contraint et qui procède de la prudence et de l’intelligence. C’est pourquoi il est dit (I Tïm., I, 9): "La Loi n'est pas établie pour le juste," c'est-à-dire qu'il n'est pas contraint par une loi extérieure; mais cette "Loi est établie pour celui qui n'est pas juste," parce qu’il a besoin d’être contraint extérieurement. Aussi est-ce le suprême degré de la dignité dans l’homme de n’être pas déterminé à faire le bien par les autres, mais de le faire de soi-même. Au second degré sont ceux qui sont déterminés au bien par un autre, mais sans l’emploi de la contrainte. Au troisième, ceux qui ont besoin de cette contrainte pour devenir bons. Au quatrième, enfin, ceux qui ne peuvent pas être amenés au bien, même par la contrainte (Jérémie, II, 3): "En vain j’ai frappé vos enfants, ils ont été indociles à mes châtiments."

En ajoutant: "Qui montrent écrit dans leurs coeurs," l’Apôtre fait voir comment les Gentils sont à eux-mêmes leur propre loi. Nous pouvons entendre ces paroles au moyen d’une comparaison tirée de la Loi. La Loi est proposée extérieurement, et à raison de la faiblesse, comme aussi pour ne pas en laisser périr le souvenir, on l’a confiée à l’Écriture. Ainsi en est-il de ceux qui observant la Loi sans l’avoir reçue par l’enseignement extérieur, font l’oeuvre de la Loi écrite, non avec de l’encre, "mais d’abord et principalement par l’esprit de Dieu" (Ep. aux Corinthiens, III, 3); et, en second lieu, par le soin même de l’homme (Prov., III, 3): "Il les a gravés," c’est-à-dire les préceptes de la sagesse, "sur la table de votre coeur;" ce qui fait dire à saint Pau: "Dans leurs coeurs, non sur le parchemin ou sur des tables de pierre ou d’airain" (Jérémie, XXXI, 33): "Je graverai ma Loi dans leurs entrailles, je l’écrirai dans leurs coeurs."

A ces mots: "Par le témoignage de leur conscience," saint Paul prouve ce qu’il avait avancé, c’est-à-dire que l’oeuvre de la Loi est écrite dans leurs coeurs. Il cite quelques oeuvres qui montrent qu’il en est ainsi. Et d’abord il indique ces oeuvres. La première est le témoignage de la conscience, ce qu’il exprime en disant: "Par le témoignage de la conscience," laquelle n’est autre chose que l’application de la connaissance reçue pour juger si une action est bonne ou mauvaise. En effet, quelquefois cette conscience rend témoignage du bien, ainsi qu’il est dit (2 Corinth., I, 12): "Ce qui fait notre gloire, c’est le témoignage de notre conscience." D’autres fois elle témoigne du mal (Ecclésiastique VII, 23): "Votre conscience sait que souvent vous avez médit des autres." Or nul ne peut rendre témoignage d’une oeuvre, qu’elle est bonne ou mauvaise, sans avoir la connaissance de la Loi. Quand donc la conscience rend témoignage du bien et du mal, c’est une marque évidente que "L’oeuvre de la Loi est écrite" dans le coeur de l’homme. La seconde de ces oeuvres, c’est l’accusation et la défense, qui ne peuvent exister sans la connaissance de la Loi. L’Apôtre dit d’elles: "Et des pensées," c’est-à-dire par les pensées, "qui accusent ou qui défendent," grécisme qui, au lieu de l’ablatif, met le génitif, et réciproquement. Il s’élève en effet dans l’homme, sur chacun de ses actes, une connaissance qui l’accuse, ce qui arrive quand, pour quelque motif, il pense qu’il a fait mal (Psaume XLIX, 2): "Je l’accuserai, je t’exposerai à tes propres yeux," et (Is 3,9): "L’impudence de leur visage dépose contre eux." D’autres fois, il s’élève également une connaissance qui défend, ce qui arrive quand, pour quelque raison, l'homme pense avoir fait bien, selon ce passage de Job (XXVII, 6): "Mon coeur ne m’accuse aucun jour de ma vie." Or, entre cette accusation et cette défense intervient le témoignage de la conscience, auquel on s’arrête. On peut aussi lire autrement et dire: "Par le témoignage de leur conscience," non seulement sur les oeuvres, mais aussi "sur les pensées," c’est-à-dire sur les pensées et les oeuvres dont l’homme a conscience; mais le premier sens est préférable.

Mais parce que le témoignage, l’accusation et la défense ont lieu dans le jugement, l’Apôtre traite en second lieu de ce jugement: il indique le temps où il se fera, quand il dit: "Dans le jour." Il ne détermine pas ce qui s’y rapporte, mais parle de la manifestation des secrets (1 Cor., IV, 5): "Il éclairera ce qui est enveloppé de ténèbres." on appelle quelquefois ce jugement "Nuit," à cause de l’incertitude de l’heure (Matth., XXV, 6): "Au milieu de la nuit, un cri se fit entendre." Or, ces pensées, dont il est dit qu’elles accusent ou qu’elles défendent, au jour du jugement ce ne seront pas elles parleront alors, parce qu’à ce moment chacun saura s’il est sauvé ou damné; mais l’accusation ou la défense des pensées qui parlent maintenant, et le témoignage de la conscience qui se fait entendre actuellement, seront en ce jour mis devant les yeux de l’homme par l’action de la puissance divine, comme dit saint Augustin (liv. Cité de Dieu). Quant, à la connaissance de ces pensées qui demeurent dans l’âme, il semble que ce n’est pas autre chose, ainsi que l’explique la Glose, que le titre à la condamnation ou le mérite qui leur est dû.

L’Apôtre indique l’auteur du jugement en disant: "Lorsque Dieu jugera" (Psaume XCV, 13): "Il jugera l’univers dans sa justice." Il détermine également sur quoi portera le jugement, en ajoutant: "Ce qui est caché dans le coeur des hommes," et dont les hommes ne sauraient juger maintenant (I Cor., IV, 5): "Il éclairera ce qui est caché dans les ténèbres." Saint Paul montre, enfin, la doctrine sur laquelle s’appuie la foi à ce jugement, quand il dit "Selon mon Évangile," c’est-à-dire selon l’Évangile que je prêche (Matth., XII, 36): "Au jour du jugement, toute parole inutile, etc." Il dit: "Mon Évangile," bien qu’il ne puisse dire: mon baptême, quoiqu’il soit le ministre de l’un et de l’autre, parce que, dans le baptême, rien ne se fait par la main de l’homme; mais dans la prédication de l’Évangile, il y a place à l’oeuvre du prédicateur (Ephés., III, 34): "En sorte qu’en me lisant vous pouvez voir l’intelligence que j’ai du mystère du Christ." Il dit, en dernier lieu, à qui a été donnée la puissance de juger, lorsqu’il ajoute: "Par Jésus-Christ," qui a été s établi juge des vivants et des morts, comme il est dit aux Actes (X, 42) et en saint Jean (V, 22): "Le Père a donné tout jugement son Fils," c’est-à-dire que dans le jugement, Il apparaîtra aux bons et aux méchants: aux bons, dans la gloire de sa divinité (Is 33,17): "Vos yeux verront votre Roi dans son éclat;" aux méchants, dans la nature humaine (Apoc., I, 7): "Tout oeil le verra."




Thomas A. sur Rm (1869) 11