Thomas A. sur Rm (1869) 13

Romains 2, 17 à 29: Sous la Loi

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Rm 2,17-29)





SOMMAIRE. -Que celui qui écoute la Loi et ne la met pas en pratique n'est pas justifié devant Dieu. D’où les Juifs ont-ils reçu leur nom?

17. Mais toi qui portes le nom de Juif, qui te reposes sur la Loi et te glorifies en Dieu,

18. Qui connais sa volonté, et qui, instruit par la Loi, sais discerner ce qui est le plus utile,

19. Tu te flattes d’être le guide des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres,

20. Le docteur des ignorants, le maître des enfants, ayant la règle de la science et de la vérité dans la Loi,

21. Toi donc qui instruis les autres, tu ne t’instruis pas toi-même; toi qui prêches de ne point dérober, tu dérobes,

22. Toi qui dis qu’il ne faut pas être adultère, tu es adultère; toi qui as en horreur les idoles, tu commets le sacrilège;

23. Toi qui te glorifies dans la Loi, tu déshonores Dieu par la violation de la Loi;

24. Car, à cause de vous, le nom de Dieu est blasphémé parmi les nations, ainsi qu'il est écrit.

25. Ce n'est pas que la circoncision ne soit utile si tu observes la Loi; mais si tu la violes, ta circoncision devient incirconcision.

26. Si donc l’incirconcis garde les préceptes de la Loi, son incirconcision ne lui sera-t-elle pas réputée circoncision?

27. Et ainsi, celui qui, étant naturellement incirconcis, accomplit la Loi, te condamnera, toi qui, avec la lettre et la circoncision, es prévaricateur de la Loi,

28. Car le Juif n’est pas celui qui le parait au dehors; ni la circoncision celle qui se fait à l’extérieur de la chair.

29. Mais le Juif est celui qui l’est intérieurement, et la circoncision est celle du coeur, faite en esprit et non selon la lettre; et ce Juif tire sa louange non des hommes, mais de Dieu.

Après avoir établi que ceux qui pratiquent la Loi sont justifiés, même sans l’avoir entendue, ce qui a rapport aux Gentils, l’Apôtre fait voir que ceux qui entendent la Loi ne sont justifiés qu’autant qu’ils la pratiquent, ce qui s’adresse aux Juifs. Il rappelle donc: premièrement, la prérogative des Juifs, laquelle consiste à avoir reçu la Loi; secondement, leur infidélité, pour avoir transgressé la Loi, à ces mots: (verset 21): "Vous qui instruisez les autres."

Or, il montre leur prérogative en les considérant à trois points de vue: I. au point de vue du peuple à qui a été donnée la Loi; II. de la Loi elle-même, en disant: "Et vous vous reposez sur la Loi;" III. De l’effet de la Loi ou du fait, en disant: "Qui connaissez sa volonté."

I. Considérant donc leur prérogative sous le rapport du peuple, il dit: "Vous qui portez le nom de Juif, qui est un nom honorable," selon le Psalmiste (CXIII, 2): "La Judée est devenue son sanctuaire;" et (Jean, IV, 2): "Le salut vient des Juifs." Les Juifs, en effet, sont appelés ainsi non de Judas Macabées, comme quelques-uns l’ont prétendu, peut-être parce qu’au moment où la nation juive était dispersée, Judas Macabées l’a rassemblée et défendue, ainsi qu’il est dit (1 Mach., III, 2): "Il combattait avec joie pour la défense d’Israël et il agrandit la gloire de son peuple." Car on trouve que les Juifs portaient ce nom avant Judas Macabées, comme on peut le voir (Esther, VIII, 16): "Une nouvelle lumière semble se lever sur les Juifs".Il faut donc dire que les Juifs ont pris leur nom du patriarche Juda (Genèse, XLIX, 8): "Juda, tes frères te loueront. En effet, au temps du roi Roboam, dix tribus s’étaient séparées de son royaume, et, ayant adoré le veau d’or, furent transportées par les Assyriens, comme il est rapporté au quatrième livre des Rois (XVII, 4). L’Écriture ne fait pas mention de leur retour, et, suivant toute apparence, la contrée qu’ils habitaient fut occupée par des étrangers qui, dans la suite, prirent le nom de Samaritains. Mais deux tribus, celles de Juda et de Benjamin, étant demeurées fidèles à l’autorité Roboam, persévérèrent dans le culte de Dieu; et bien qu’elles eurent été emmenées en captivité à Babylone, elles furent cependant ramenées par Cyrus, roi de Perse, dans le pays qu’elles habitaient, comme il est rapporté au premier livre d’Esdras (I, 5). Or, la tribu de Juda étant la plus considérable, c’est d’elle que la nation prit son nom 1, et non seulement ceux qui étaient de la tribu de Benjamin, mais ceux d’entre les dix tribus qui à leur retour s’adjoignirent à eux.

1 Pendant que dix tribus, rebelles et schismatiques, se séparent de leur Dieu et de leur roi, les enfants de Judas, fidèles Dieu et à David qu’il avait choisi, demeurent dans l’alliance et dans la foi d’Abraham. Les Lévites les accompagnent et se joignent à eux avec Benjamin. Le royaume de Dieu subsiste par leur union sous le nom de royaume de Juda, et la loi de Moïse s’y maintient dans toutes ses observances.

II. Quand donc l’Apôtre dit: "Vous qui vous reposez sur la Loi," il établit la prérogative des Juifs au point de vue de la Loi. Et d’abord, quant à la Loi même, en disant: "Sur la Loi," comme si par elle on était assuré de ce qu’il faut croire et pratiquer. En effet, celui qui doute dans son esprit ne se repose pas sur la Loi, mais se sent tiré en sens divers; celui, au contraire, qui possède la certitude de la sagesse, a le repos de l’esprit (Sagesse VIII, 16): "Quand j’entrerai dans ma maison, je me reposerai avec la sagesse." Ensuite, quant au législateur, quand il ajoute: "Et vous vous glorifiez en Dieu;" c’est-à-dire dans le culte et dans la connaissance du Dieu unique (Jérémie, IX, 24): "Que celui qui se glorifie, se glorifie de me connaître;" et encore (I Corinth., I, 31; II Corinth., X, 17): "Que celui qui se glorifie ne le fasse que dans le Seigneur."

III. Enfin, en disant: "Et qui connaissez sa volonté, s il établit leur prérogative au point de vue des effets de la Loi, d’abord pour l'homme par rapport à lui-même, puis par rapport aux autres, à ces mots: "Qui vous flattez."

L’Apôtre indique sur le premier point un double avantage. Le premier correspond à la gloire que les Juifs tiraient de Dieu: "Vous qui connaissez sa volonté," c’est-à-dire ce que Dieu veut que nous fassions (Rom., XII, 2): "Afin que vous reconnaissiez combien la volonté de Dieu est..." Le second, qui consiste à se reposer sur la loi de Dieu: "Et sachez discerner ce qui est le meilleur," c’est-à-dire: vous savez le discerner non seulement en séparant le bien d’avec le mal, mais encore en choisissant le meilleur de préférence au moins bon. Voilà pourquoi un docteur demandait (Matth., XXII, 36): "Quel est le grand commandement". C’est qu’il était "instruit par la Lois" (Psaume XCIII, 12): "Heureux, Seigneur, celui que vous avez instruit vous-même, et à qui vous avez enseigné votre Loi." L’Apôtre indique: les effets de la Loi par rapport aux autres, qui se trouvent avec la connaissance de la Loi dans un de ces trois rapports. A) Il en est qui sont complètement dans l’ignorance de cette Loi, d’abord par défaut d’esprit naturel; de même qu'on appelle aveugle, selon le corps, l’homme dont l'organe que de puissance intérieure (Is 59,10): "Nous avons heurté de nos mains les murailles, comme des aveugles". A ceux qui sont dans cet état, on ne peut donner la lumière de la science, ni leur apprendre ce qu’il faut faire; mais on peut leur donner, comme aux aveugles, un guide pour les conduire, et leur prescrire ce qu’ils ont à faire, bien qu’ils ne connaissent pas la raison des préceptes (Job, XXIX, 15): "J’étais l’oeil de l’aveugle." C’est de ces ignorants qu’il est dit (Matth., XV, 14): "Ils sont aveugles et conducteurs d’aveugles." D’autres sont dans l’ignorance par défaut d’instruction. Ils sont comme dans les ténèbres extérieures, parce qu’ils ne sont pas éclairés par l’instruction. A ceux-là le sage peut donner la lumière de la science, et leur faire comprendre ce qui est ordonné. Voilà pourquoi saint Paul dit: "La lumière de ceux qui sont dans les ténèbres". (Luc, I, 79): "Eclairer ceux qui sont dans les ténèbres." B) L’Apôtre indique ensuite ceux qui sont sur le chemin de la science, mais ne l’ont pas atteinte encore, surtout par défaut d’une instruction complète. Voilà pourquoi saint Paul dit: "Le docteur des ignorants," c’est-à-dire de ceux qui n’ont pas encore reçu la sagesse, mais qu’on instruit, qu’on tire pour ainsi dire de la rudesse commune à tous ceux qui apprennent les premiers éléments de l’instruction (Ecclésiastique VII, 25): "Avez-vous des fils? Instruisez " ou encore, par défaut d’age, comme sont les enfants; pour ceux-ci l’Apôtre dit: "Maître des enfants" (Is 33,18): "Où est le maître des petits?" C) Enfin, au troisième rang sont ceux qui ont déjà fait des progrès dans la science. Ceux-ci ont besoin d’être formés par des hommes sages, afin d’appuyer leurs maximes sur l'autorité, et de s’en faire une sorte de forme ou de règle de conduite. C’est pour eux que saint Paul dit: "Ayant la règle de la science " (II Tim. I, 13): "Proposez-vous pour modèle la saine doctrine que vous avez apprise de moi..." et ailleurs (Ph 3,17): "Proposez-vous l’exemple de ceux qui se conduisent selon le modèle que vous avez en moi." Or, il faut que ceux qui sont ainsi formés soient guidés par l’autorité des maîtres, afin de savoir ce qui est dans la Loi. Voilà pourquoi il est dit (Sagesse X, 10): "Il lui a donné la science des saints." Il faut encore qu’ils sachent quel est le sens véritable de ce qui est transmis dans la Loi. C’est pourquoi l'Apôtre ajoute: "De la vérité" (Psaume XLII, 3): "Envoyez votre lumière et votre vérité."

II° En disant: "Vous donc qui instruisez les autres," saint Paul montre l’infidélité des Juifs dans la transgression de la Loi:

I. de l'homme à l’égard de lui-même, à ces mots: "Vous donc qui instruisez les autres," en les dirigeant au bien, "vous ne vous instruisez pas" en vous y dirigeant vous-même. On peut lire ceci, avec point d’interrogation, comme pour exprimer une sorte d’indignation ou, sans interrogation, comme pour affirmer la malice des Juifs. On trouve cette façon de parler dans les passages suivants (Job IV, 3): "Vous en avez instruit plusieurs?" et un peu après: "La plaie de Dieu vient aujourd’hui sur vous, et vous perdez courage?" L’Apôtre montre leur infidélité à l’égard du prochain:

quant au vol: "Vous qui prêchez qu’il ne faut pas vous dérober" (Is 1,23): "Tes princes sont rebelles, et tes compagnons des voleurs !"

Quant aux personnes mariées qui se souillent par l’adultère: "Vous qui dites qu’il ne faut pas commettre d’adultère, vous commettez des adultères." (Osée, VII, 4): "ils sont tous adultères, semblables à l’être embrasé;" (Jérémie, V, 8): "Chacun d’eux poursuit, avec une ardeur furieuse, la femme de son prochain."

saint Paul montre leur infidélité par la comparaison qu’il fait d’eux à Dieu. A) D’abord, quant à leurs péchés contre son culte: "Vous qui avez en horreur les idoles," c’est-à-dire vous qui, par le précepte de la Loi, savez bien qu’il ne faut pas les honorer, "vous faites des sacrilèges;" en d’autres termes, vous abusez de ce qui appartient au culte divin. Les Juifs le firent d’abord sous le régime la Loi (Malachie, I, 17): "Vous dites: La Table du Seigneur est tombée dans le mépris; et plus tard, en blasphémant contre le Christ (Matth., XII, 24): "C’est par Belzébuth, prince des démons, etc.," B) Ensuite, quant à sa gloire même: "Vous qui vous glorifiez d’avoir la Loi, vous déshonorez Dieu par la violation de la Loi." Car, de même que l’observation de la Loi par les bonnes oeuvres est pour ceux qui en sont témoins une occasion d’honorer Dieu, ainsi la transgression de la Loi par les oeuvres mauvaises est pour ceux qui le voient une occasion de blasphèmes (1° II, 42): "Que par les bonnes oeuvres qu’ils vous verront faire ils glorifient Dieu." Au contraire, il est dit (Ire saint Timothée VI, 1): "Que tous ceux qui sont sous le joug de la servitude sachent qu’ils doivent à leurs maîtres toute sorte d’honneur, pour ne pas faire blasphémer le nom du Seigneur et la doctrine de la foi." Voilà pourquoi il est dit (Psaume CXVIII, 158): "J’ai vu les prévaricateurs, et j’ai séché dans les angoisses." L’Apôtre confirme ce qu’il dit par une autorité, en ajoutant: "Car vous êtes cause que le nom de Dieu est blasphémé parmi les nations," parce que les nations, voyant la vie déréglée des Juifs, estimaient que ces dérèglements venaient de la mauvaise instruction qu’ils avaient reçue par la Loi mosaïque. "Comme dit l’Ecriture," ajoute saint Paul, c’est-à-dire dans le prophète Isaïe (LII, 5): "Ses maîtres agissent avec iniquité, et mon nom est tous les jours et sans cesse blasphémé;" et encore au prophète Ezéchiel (XXXVI, 22), selon un autre texte,où notre version s’exprime ainsi: "Ce n’est pas pour vous, maison d'Israël, que j’agirai ainsi, mais à cause de mon nom, qui est saint, et que vous avez déshonoré parmi les nations."

III° Lorsque saint Paul dit: "Ce n’est pas que la circoncision, etc.," il montre que la circoncision n’est pas moins insuffisante que la Loi pour le salut, et cela pour la même raison qu’il a donnée pour la Loi, c’est-à-dire parce que l’observance de la Loi sans la circoncision a sa valeur, tandis que sans cette observance la circoncision n’en a aucune, comme nous avons vu plus haut.

Pour le démontrer, il compare la circoncision aux Juifs circoncis; II. aux nations circoncises, au verset 26: "Si donc un homme est circoncis;" III. Il développe ce qu’il a avancé, en disant: "Ce s’est pas celui qui l’est extérieurement qui est, etc."

I. Pour comparer la circoncision aux Juifs: il montre comment la circoncision est utile; dans quelles circonstances elle ne l’est pas, à ces mots: "Si vous la violez."

Il dit donc: "La circoncision sert" quant à la rémission du péché originel. C’est pourquoi il dit (Genèse, XVII, 14): "Le mâle dont la chair n’aura pas été circoncise sera exterminé, etc." Mais pour vous qui êtes adultes, elle ne vous sert finalement que "si vous observez la Loi," comme la profession sert aux religieux S’ils observent la règle. Car la Circoncision était une sorte de profession, obligeant à l’observance de loi (Ga V, 2): "Si vous êtes circoncis, le Christ ne vous servira de rien, il parle relativement au temps qui suivit la promulgation de l’Evangile;" mais ici il parle du temps qui précéda la passion de Jésus-Christ, temps où la circoncision avait son état régulier.

En ce même verset, il montre comment la circoncision est insuffisante, en disant: "Si vous, Juif adulte, violez la Loi, tout circoncis que vous êtes vous devenez comme incirconcis," c’est a dire la circoncision pour vous n a pas plus de valeur que si vous ne l’aviez pas reçue, parce que vous n’obéissez pas ce dont vous faites profession par la circoncision (.Jérémie, IX, 26): "Tous les peuples sont incirconcis de corps, les enfants d'Israël sont incirconcis de coeur." Ils n’en sont même que plus coupables, parce qu’ils ne gardent pas ce qu’ils ont promis. Or, comme il est dit dans l’Ecclésiaste (V, 3): "La promesse téméraire et infidèle déplaît à Dieu."

II. En disant: "Si donc un homme incirconcis," l’Apôtre compare la circoncision aux Gentils, et cela sous deux rapports.

En ce qui les Gentils obtiennent les effets de la circoncision en observant la Loi. De là cette déclaration: "Si la circoncision est utile" avec l’observance de la Loi, elle ne l’est pas si l’on n’observe pas la Loi. Donc, "si l’incirconcis," c’est-à-dire le Gentil qui n'a pas reçu la Circoncision, "garde les justices de la Loi," c’est-à-dire les ordonnances justes qu’elle renferme (Psaume CXIII? 86): "Tous vos commandements sont vérité; est-ce que tout incirconcis qu’il est, il ne sera pas regardé comme circoncis?" Comme si l’Apôtre disait: il obtiendra l'effet de la véritable circoncision. Car l’homme est extérieurement circoncis dans sa chair, afin qu’il pratique la circoncision du coeur (Jérémie IV, 4): "Recevez la circoncision du Seigneur, la circoncision vos coeurs."

En disant: "Il vous condamnera, etc.", Paul compare encore la circoncision aux Gentils, en montrant que, parce qu’ils accomplissent la Loi, ils sont préférés aux Juifs; c’est pour cela qu’il dit: "Et l’incirconcis," c’est-à-dire le Gentil qui est tel, "donne la perfection à la Loi." C’est-à-dire qu’en accomplissant préceptes "naturellement," en d’autres termes par la raison naturelle, dans le sens exposé plus haut, qu’ils pratiquent naturellement "ce qui est de la Loi," ce Gentil "condamnera," par la comparaison qu’on fera entre lui et vous, le Juif "circoncis" qui est prévaricateur de la Loi, dont il transgresse les préceptes "avec la lettre," c’est-à-dire le Juif qui a la loi écrite, et "la circoncision" de la chair. C’est de ce jugement par comparaison qu’il est dit en saint Matthieu (XII, 41): "Les hommes de Ninive s’élèveront, etc."

III. En ajoutant: "Le Juif n’est pas celui qui l’est à l’extérieur," l'Apôtre donne la raison de ce qu’il a dit. Il énonce d’abord cette raison, et ensuite la prouve, au verset 29: "Et ce Juif tire sa gloire."

Il énonce son assertion, et d’abord il dit pourquoi la circoncision ou le judaïsme, sans l’accomplissement de la Loi, n’est bon à rien; ensuite pourquoi l’accomplissement de la Loi est utile sans judaïsme et sans circoncision, à ces mots: "Le Juif est celui qui l’est intérieurement a) Il dit: "Si le circoncis qui prévarique contre la Loi, devient comme incirconcis," et sera "jugé par l’incirconcis" qui accomplit la Loi, "c’est que le Juif véritable n’est pas celui qui l’est à l’extérieur," et selon la génération de la chair, comme il sera dit au ch. IX, 6: "Car tous ceux qui par la circoncision sont enfants d’Israël ne sont pas pour cela Israélites," mais ceux-là seulement qui "sont enfants de la promesse." Pareillement, la circoncision véritable n’est pas celle qui se fait extérieurement sur la chair; car la circoncision est un signe, ainsi qu’il est dit dans la Genèse (Gen., XVII, 1): "Vous circoncirez votre chair, afin que ce soit un signe de l’alliance entre vous et moi," or un signe n’est véritable qu’autant que la chose signifiée y correspond. Si donc un Juif transgresse l’alliance, la circoncision en lui n’est plus véritable; voilà pourquoi il est regardé comme incirconcis. b) Lorsque l’Apôtre ajoute: "Mais le Juif est celui qui l’est intérieurement," il donne la raison pour laquelle celui qui garde la Loi sans être circoncis est regardé comme s’il l’était, et condamne la circoncision qui n’est que dans la chair. "C’est que a celui-là est Juif véritable qui l’est intérieurement," c’est-à-dire qui a dans l’affection du coeur les préceptes de la Loi dont les Juifs font profession (Matth., VI, 4): "Votre Père qui voit dans le secret, etc." De même, la circoncision véritable est celle qui est "dans le coeur, selon l’esprit," c’est-à-dire qui est faite "par l’esprit," lequel retranche du coeur les idées superflues; ou en esprit, "c’est-à-dire par l’intelligence de la Loi selon l’esprit, et non à la lettre (Ph 3,3): "Car nous sommes les vrais circoncis, nous qui servons Dieu en esprit."

Enfin, en disant: "Il tire sa gloire," saint Paul donne la preuve de ce qu’il avait avancé. Car il est manifeste qu’en toutes choses le jugement de Dieu doit être préféré aux jugements des hommes. Or ce qui apparaît à l’extérieur soit judaïsme, soit circoncision, est connu par les hommes, mais ce qui est intérieur tire sa gloire du jugement de Dieu, parce que (Rois, XVI, 7): "Les hommes voient ce qui parait, mais Dieu voit le coeur." Il reste donc à conclure que le judaïsme et la circoncision pratiqués intérieurement sont préférables à ce qui n’est qu’extérieur, et c’est la conclusion de saint Pau: "Elle tire sa gloire," la circoncision intérieure, "non des hommes, mais de Dieu" (II Cor., X, 18): "Celui qui se rend témoignage n’est pas véritablement bon, mais celui à qui Dieu rend témoignage."



CHAPITRE III: LA FOI


Romains 3, 1-8: Le prééminence des Juifs

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Rm 3,1-8)





SOMMAIRE: En quoi consiste la prééminence des Juifs sur les Gentils. L’infidélité de quelques-uns n’anéantit pas les promesses de Dieu.

1. Qu’est-ce donc que le Juif a de plus? Ou à quoi sert la circoncision?

2. Beaucoup, de toute manière. Premièrement, parce que c'est aux Juifs que les oracles de Dieu ont été confiés.

3. Car enfin, si quelques-uns d'eux n'ont pas cru, leur infidélité rendra-t-elle vaine la fidélité de Dieu? Non, certes.

4. Dieu est vrai, mais tout homme est menteur, selon qu est écrit, afin que vous soyez reconnu fidèle dans vos paroles et victorieux quand on vous juge.

5. Mais si notre iniquité relève la justice de Dieu, que dirons-nous? Dieu n’est-il pas injuste d sa colère?

6. (Je parle humainement) Pas du tout. Autrement comment Dieu jugera-t-il le monde?

7. Car si par mon mensonge la vérité de Dieu a éclaté davantage pour sa gloire, pourquoi suis-je encore jugé comme pécheur?

8. Et pourquoi ne ferons-nous pas le mal pour qu en arrive du bien? (Conformément au blasphème qu nous impute, et à ce que quelques-uns nous font dire). La condamnation de ceux-là est juste.



L’Apôtre a montré que le judaïsme, auquel appartiennent la réception de la Loi et la circoncision, est insuffisant pour le salut sans l’accomplissement de la Loi, et que le Gentil, sans judaïsme extérieur et sans circoncision, tient l’effet de l’un et de l’autre en accomplissant la Loi. Il fait ici une objection contre ce qu’il a dit, et d’abord il la propose; puis il y répond, lorsqu’il dit, au verset 2: "Leur avantage: est grand."

Il présente donc cette objection ainsi: Si la chose était telle qu’il a été dit; si le Juif véritable et la vraie circoncision ne se reconnaissaient pas à l’extérieur, mais "dans le secret du coeur," Quel avantage reste donc au Juif? C’est-à-dire que lui a-t-il été donné de plus qu’aux autres? Il semble qu’il n’a rien reçu et qu’il y a ici contradiction, puisque Dieu dit (Deut., VII, 6): "Le Seigneur notre Dieu vous a choisis pour que vous soyez son peuple entre tous les peuples." "Ou quelle est l’utilité de la circoncision extérieure?" De ce qui précède il semble résulter qu’il n’y en ait aucune: nouvelle contradiction, puisque la circoncision a été donnée par Dieu, qui dit (Is 48,17): "Je suis le Seigneur qui vous enseigne ce qui est utile."

En disant: "Leur avantage est grand," l’Apôtre répond à l’objection qu’il vient de poser; et d’abord, quant à la prérogative du judaïsme; puis quant à la circoncision. Il répondra à cette seconde partie de l’objection au chapitre IV: "A quel avantage reconnaîtra-t-on donc, etc.?" A l’égard de la prérogative des Juifs, d’abord il l’établit; ensuite il renverse la présomption orgueilleuse avec laquelle ils se préféraient aux Gentils, au verset 9: "Sommes-nous donc préférables?" Premièrement donc, il énonce sa proposition sur la prééminence des Juifs; secondement, il la développe lorsqu’il dit: "D’abord en ce que les oracles;" troisièmement, il prévient une objection, à ces mots: "Si quelques-uns n’ont pas cru."

I° L’Apôtre dit donc d'abord: "on a demandé quel avantage restait au Juif? Il lui en reste beaucoup," et quant a l'étendue de ces avantages, ce que saint Paul exprime en disant: "Il est grand; et quant au nombre, ce qu’il indique lorsqu il ajoute "En toute manière". En effet, les Juifs sont privilégiés et dans la contemplation des choses divines, comme il est dit (Psaume LXXV, 1): "Dieu est connu dans toute la Judée," et dans le partage des biens terrestres (Psaume CXLVII, 9): "Dieu n’a pas agi ainsi pour toutes les nations." Ils sont encore privilégiés dans leurs ancêtres, dans les promesses et dans leur race (Rom., IX, 4 et 5): "C’est à eux qu’appartiennent et l’adoption des enfants de Dieu, et la gloire, et le testament." Dans chacune de ces faveurs, la part de leur prérogative n’est pas petite, mais grande et principale, ce qui revient à ce que dit saint Pau: "Leur avantage est grand." Car le plus grand bien de l’homme, c’est la connaissance de Dieu, par laquelle il adhère à lui et reçoit ses enseignements (Psaume XCIII, 12): "Heureux l’homme que vous instruisez, Seigneur! "

II° En disant: "D’abord en ce que les oracles de Dieu leur ont été confiés," l’Apôtre développe ce qu’il avait dit: "Cet avantage est grand," c’est-à-dire les Juifs ont en plus que les oracles de Dieu leur ont été remis comme à des amis (Jean, XV, 15): "Je vous ai donné le nom d’amis." Et c’est beaucoup, parce que les oracles de Dieu sont pleins de noblesse (Psaume XVIII, 10): "Les oracles de Dieu sont véritables et pleins de justice en eux-mêmes." Ils sont pleins de suavité (Psaume CXVIII, 103): "Que vos paroles sont douces à mon coeur! " Ils sont utiles aussi pour ne pas pécher (Psaume CXVII verset II): "Je renferme vos paroles dans mon coeur afin de ne pas vous offenser."

III° A ces mots: "Si quelques-uns n’ont pas cru, etc.," saint Paul:

I. Il prévient une objection; II. Il y répond, avec ces mots: "Leur infidélité anéantira-t-elle?" en conduisant à des contradictions; III. Il montre que la conséquence à laquelle il conduit implique vraiment contradiction.

I. On pouvait attaquer la prérogative des Juifs en y opposant leur ingratitude, qui semblait leur avoir fait perdre le privilège des oracles de Dieu. C’est pourquoi l’Apôtre dit: "Que si quelques-uns d’entre eux n’ont pas cru, est-ce qu’on en peut conclure qu’il ne reste aucun avantage au Juif?" suivant ce que dit saint Pierre (II Ep., II, 21): "Il eût mieux valu pour eux qu’ils n’eussent pas connu la voie de la justice, que de retourner en arrière après l’avoir connue." Or ils n’ont pas cru au premier législateur (Psaume CV, 23): "Ils ne crurent pas à la parole du Seigneur." Ils n’ont pas cru aux prophètes (Ezéch., II, 6): "Ceux qui sont avec vous sont les incrédules et les rebelles." Ils n’ont pas cru au Fils lui-même (.Jean, VIII, 45): "Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas?"

II. En disant: "Leur infidélité anéantira-t-elle...," l’Apôtre répond à l’objection, en faisant voir qu’elle mène à cette conséquence inadmissible: si l’incrédulité de quelques-uns était cause que la prérogative des Juifs fût détruite, il s’ensuivrait que l’infidélité de l’homme anéantirait la fidélité de Dieu, ce qui est inadmissible. Aussi dit-il: "Est-ce que l’infidélité de quelques-uns," c’est-à-dire de ceux qui n’ont pas cru, "anéantira la fidélité de Dieu?" on peut entendre ces paroles de deux manières. D’abord, de la foi, par laquelle on croit en Dieu. En effet, de ce que quelques-uns n’ont pas cru, la foi de ceux qui ont cru n’est pas pour cela anéantie; car le mal de quelques-uns parmi ceux qui vivent dans la société ne détruit pas le bien des autres (Ecclésiastique XXX, 12): "Il a béni et exalté quelques-uns d’entre eux; il en a exalté, et il les a sanctifiés; il s’est uni à eux, etc." saint Augustin faisait ce reproche à quelques chrétiens (lettre LXXXVIII aux fidèles d'Hippone): "Pourquoi se rassemblent-ils, et quel est le sujet de leur entretien? Si un évêque, un clerc, un solitaire, une vierge vient à tomber, ils s’imaginent que tous les autres ne valent pas mieux, quoique tous ne peuvent pas être convaincus." on peut aussi entendre ces mots de la fidélité avec laquelle un Dieu fidèle remplit ses promesses (Hébr., X, 23): "Celui qui nous a promis est fidèle..." Or cette fidélité serait détruite s’il arrivait, à cause de l’incrédulité de quelques individus, qu’il ne restât aucun avantage au Juif. Car Dieu a promis de multiplier et d’exalter ce peuple, comme on le voit au livre de la Genèse (XXII, 17): "Je multiplierai ta paternité."

III. Lorsqu’il dit: "Nullement, car Dieu est vrai," saint Paul montre qu’il y a contradiction à ce que la fidélité de Dieu soit anéantie à cause de l’infidélité des hommes, et il le prouve par un raisonnement; par un témoignage: "Comme il est écrit;" il prévient le sens erroné qu’on pourrait donner au passage cité, à ces mots: "Si notre injustice."

Son raisonnement se tire de ce que Dieu est en soi la vérité (Jérémie, X, 10): "Le Seigneur est le Dieu vrai;" et encore (I Jean, VI, 20): "C’est lui qui est le vrai Dieu et la vie éternelle; mais tout homme est menteur;" (Psaume CXV, 2): "J’ai dit dans mon trouble: tout homme est menteur." De là il est évident que le mensonge de l’homme, ou l’infidélité qui n’adhère pas à la vérité, n’anéantit pas la vérité de Dieu ou sa fidélité. Pour plus de clarté, remarquez que la vérité suppose l’objet adéquat à notre intelligence. Or un objet est autrement adéquat à notre intelligence, autrement à l’intellect divin. Notre intellect, en effet, forme sa connaissance par les objets; et, par conséquent, la cause et la mesure de la vérité en lui, c’est l’entité de l’objet. Aussi, selon qu’une chose est ou n’est pas, l’expression qui l’indique est regardée comme vraie ou fausse, dit Aristote. Notre intelligence peut donc être vraie ou fausse, selon qu’elle possède ou non la notion adéquate à l’objet. Or ce qui peut être ou n’être pas a besoin d’un agent pour être, et sans cet agent il ne vient pas à l’existence. De même que l’air, sans l’irradiation de la lumière, reste à l’état ténébreux, ainsi en est-il de notre intelligence: si elle n’est illuminée par la vérité première, d’elle-même elle ne peut que demeurer dans le mensonge. Donc l’homme, de lui-même, est esclave du mensonge, selon son intelligence, et il n’est vrai qu’en tant qu’il participe à la vérité divine (Psaume XLII, 3): "Envoyez votre lumière et votre vérité." L’intellect divin, au contraire, est la cause et la mesure des choses, et voilà pourquoi, de sa nature, il n’éprouve aucune défaillance véritable; il n’y a de vrai que ce qui lui est conforme. Pareillement, si l’on considère la vérité du côté de son objet, l’homme, par lui-même, ne la possède pas, parce que, de sa nature, il est sujet au changement, et tend au néant. Seule la nature divine, qui n'est pas sortie du néant, et qui n’y tend pas par le changement, possède par elle-même la vérité.

En disant: Comme il est écrit, l’Apôtre prouve la même proposition par l’autorité du psaume cinquantième, dans lequel on lit (Psaume L, 5): "Afin que vos paroles soient justifiées et que vous soyez vainqueur au jour du jugement." on voit comment ce passage reçoit ici son application, en considérant les versets précédents. Il est dit d’abord (Psaume L, 5): "J’ai péché contre vous seul," et ensuite: "Afin que vous soyez justifié dans vos paroles et que vous soyez victorieux au jour du jugement." Dieu, en effet, avait promis par le prophète Nathan à David que son royaume subsisterait pour toujours dans sa race, ainsi qu’il est rapporté au 2° livre des Rois (VII, 13); mais, dans la suite, David, ainsi qu’on le voit au même livre, étant tombé dans des fautes graves, l’adultère et l’homicide (I Rois, XI, 4 et 24), une chute de cette nature faisait dire à plusieurs personnes que Dieu ne tiendrait pas les promesses faites à ce prince. L’intention du Psalmiste est donc de faire entendre: premièrement, que son péché ne change pas la justice de Dieu, à laquelle il appartient de réaliser ses paroles, et pour cette raison il dit: "Afin que vous soyez justifié dans vos paroles," c’est-à-dire afin que vous soyez reconnu juste dans vos paroles, si mes péchés ne vous portent pas à laisser vos promesses sans accomplissement (Prov., VIII, 8) Toutes mes paroles sont équité; et encore (Psaume CXLIV, 14): "Le Seigneur est fidèle dans toutes ses paroles. Secondement, le Roi-prophète veut faire entendre que la promesse divine ressemble sous quelque rapport au jugement des hommes;" c’est pourquoi il dit: "Afin que vous soyez vainqueur," en tenant votre promesse, "lors que vous serez jugé" par les hommes, qui s’imaginent presque que vous ne l’accomplirez pas à cause de mes péchés (Rom., XII, 21): "Ne vous laissez pas vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien." Or, si l’Apôtre parle ainsi pour l’homme, combien davantage ce langage convient-il à Dieu?

Il faut ici remarquer que la promesse faite par Dieu à David devait s’accomplir par l’incarnation du Christ; elle appartenait donc, à la prédestination prophétique, d’après laquelle ce qui est promis doit s’accomplir, quoi qu’il arrive, tandis que ce qui est promis ou prédit par prophétie comminatoire ne doit pas toujours s’accomplir nécessairement dans n’importe quelles circonstances, mais selon que l’exigent les mérites humains, qui peuvent subir des modifications. Par conséquent, si ce qui avait été promis à David ne se fût pas accompli, ç’aurait été au préjudice de la justice divine; mais si ce qui est promis par la prophétie comminatoire ne s’accomplit pas, la justice divine n’en reçoit aucune atteinte, parce qu’alors on remarque dans les mérites humains quelque changement. C’est ce qui fait dire au prophète Jérémie (XV, 7): "Soudain, je parlerai contre un peuple et contre un royaume, pour l’anéantir, l’extirper et le détruire. Si ce peuple fait pénitence, et moi aussi, je me repentirai du mal que j’avais résolu, etc." II est donc évident, d’après cette explication, que le péché de l’homme n’anéantit pas la fidélité de Dieu.

On donne encore, dans la Glose, d’autres explications de ce passage; mais elles ne se rapportent pas aussi bien à l’intention de l’Apôtre, qui veut premièrement que les paroles qu’il cite fassent suite à celles qui précèdent dans le Psalmiste (L, 3): "Lavez-moi de plus en plus de mes souillures," et cela "afin que vous soyez reconnu fidèle," c’est-à-dire que vous paraissiez juste "dans vos paroles," par lesquelles vous avez promis le pardon aux pécheurs, non seulement dans Ezéchiel (XVIII, 21), où l’on trouve déjà ces paroles, mais encore au Lévitique (XXV verset 41): "Alors ils prieront pour leurs impiétés, et je me souviendrai de mon alliance;" et au Deutéronome (XXX, 10): "Si, touchés par le repentir au fond du coeur, vous revenez à Dieu, le Seigneur votre Dieu vous ramènera et aura pitié de vous." Ainsi vous serez Vainqueur" lorsque "vous serez jugé" par les hommes, qui croient que vous ne devez plus m’accorder mon pardon. Secondement, la Glose remarque que ces mêmes paroles se lient avec ce verset: "J’ai péché contre vous seul," c’est-à-dire par comparaison avec vous, qui seul êtes juste. C’est ce qui fait dire au Psalmiste: "Afin que vous soyez reconnu fidèle," c’est-à-dire que vous paraissiez juste par comparaison avec moi et avec les autres pécheurs (Psaume X, 8): "Le Seigneur est juste, et il aime les justices," et cela non seulement dans ses actes, mais même dans ses paroles, ce qui est la justice parfaite, comme dit saint Jacques (verset 2): "Si quelqu’un ne pèche pas en paroles, c’est un homme parfait." - "Quand vous serez jugé," c’est-à-dire quand vous serez comparé à n’importe quel homme dans le jugement (Is 5,3): "Soyez juges entre ma vigne et moi, etc." Troisièmement, ces paroles se rapportent au Christ, qui seul est sans péché: (Epître de Pierre) "Lui qui n'a pas commis le péché, et dans la bouche de qui ne s’est pas trouvé le mensonge." Et il est ainsi justifié dans ses paroles, par comparaison avec les autres hommes: "Afin que vous soyez vainqueur du péché, de la mort et du démon" (Apoc., V, 5): "Le lion a vaincu;" et cela lorsque vous serez jugé injustement par Pilate (Job, XXXVI, II): "Votre cause a été jugée comme celle d’un impie."

Lorsque l’Apôtre dit: "Que si notre iniquité," il prévient le sens erroné qu’on pourrait tirer du passage qu’il a cité. On aurait pu, en effet, donner à la conjonction "Afin que" le sens non pas seulement d’effet, mais de cause. Il s’ensuivrait ainsi que le péché de l’homme aurait pour fin directe d’exalter la gloire de Dieu. Mais l’Apôtre montre que c’est une erreur, et donne ainsi à entendre qu’on a mis cette particule par forme de liaison, parce que du péché de David il est résulté la manifestation de la justice divine, et non pour indiquer la cause, comme si le péché de l’homme eût servi à manifester la justice de Dieu, saint Paul prouve son interprétation en montrant les contradictions du sens contraire, au moyen d’inductions tirées a) du jugement de Dieu et b) du jugement de l’homme.

a) Première induction: L’Apôtre, premièrement, expose le sens erroné; secondement, montre la conséquence qui s’ensuivrait, à ces mots: "Que dirons-nous donc? Dieu est-il injuste?" troisièmement, il prouve qu’il y a contradiction en disant: "Non, sans doute." Premièrement, remarquez que l’Apôtre, dans ce qui précède, avait fait deux comparaisons, l’une de la vérité de Dieu avec le mensonge de l’homme: Dieu est vrai, mais tout homme est menteur;" la seconde, de la justice de Dieu avec le péché de l’homme, d’après les paroles du psaume cité: "J’ai péché contre vous seul, afin que vous soyez justifié." Quant à la première comparaison, l’Apôtre dit: Si l’on doit entendre ces paroles dans le sens que notre injustice exalte directement la justice de Dieu, "Que dirons-nous?" C’est-à-dire nous ne pourrons soutenir les conséquences qui en résultent, car le péché n'est pas nécessaire pour exalter la justice de Dieu (Ecclésiastique XV, 22): "Il ne veut pas cette multitude d’enfants infidèles et inutiles." Secondement, il exprime la contradiction qui s’ensuit en disant: "Est-ce que Dieu qui manifeste sa colère," c’est-à-dire sa vengeance à l’égard du péché, "est injuste?" car c’est la conséquence de ce qu’on avance. Si, en effet, le péché avait pour fin directe d’exalter la justice, il ne serait pas digne de châtiment, mais de récompense, et Dieu, en punissant les hommes pour le péché, se montrerait injuste, en opposition avec ce qui est dit au Deutéronome (XXX, 4): "Dieu est fidèle et sans aucune iniquité." Troisièmement, l’Apôtre repousse cette contradiction en disant: "Non, sans doute." A Dieu ne plaise qu’il soit injuste." Je parle à la manière des hommes, c’est-à-dire si je profère ces paroles, ce n'est pas à mon sens, mais dans le sens d’un homme qui s’égare, ainsi qu’il est dit (1 Cor., XXI, 3): "Puis qu’il y a parmi vous des jalousies et des contentions, n’êtes-vous pas charnels?" Mais il montre qu’il ne faut pas parler ainsi, en ajoutant: "Autrement," c’est-à-dire si Dieu est injuste, "comment sera-t-il le juge du monde?" c’est-à-dire comment pourra-t-il être le juge universel et suprême du monde? Car celui qui est premier et supérieur d’une manière absolue a pour attribut nécessaire l’infaillibilité, comme le premier moteur l’immobilité; de là (Psaume XCV, 13): "Il jugera l’univers dans sa justice." Le livre de Job (XXXIV, 12) présente un argument semblable: "Certainement Dieu ne condamne pas en vain, et le Tout-puissant ne renverse pas la justice: en a-t-il mis un autre à sa place sur la terre, etc. ?" c’est-à-dire: s’il ne jugeait pas selon la justice, il faudrait dire qu’il y a un autre juge du monde.

b) Il donne la même preuve au moyen d’une induction tirée du jugement de l’homme. Premièrement, il expose de nouveau le sens erroné des paroles citées; deuxièmement, il en déduit la fausse conséquence, à ces mots: Pourquoi donc me condamner encore? Troisièmement, il montre qu’il y a contradiction en disant: "Dont la condamnation." Premièrement, il expose le sens erroné en comparant la vérité de Dieu au mensonge de l’homme: "Car si par mon mensonge," c’est-à-dire à cause de mon mensonge, "la vérité de Dieu est manifeste," en d’autres termes, a éclaté davantage "pour sa gloire," en sorte que le mensonge de l’homme concoure directement à procurer la gloire de Dieu, malgré ce que dit Job (X, 7): "Dieu a-t-il besoin de votre mensonge?" il en résulte une double contradiction, que l’Apôtre indique aussitôt. La première, c’est que l’homme ne devrait pas être réputé pécheur pour le mensonge, dès lors que son mensonge a directement pour fin la gloire de Dieu. Aussi saint Paul ajoute-t-il: "Pourquoi donc," c’est-à-dire pourquoi même maintenant, "suis-je moi-même condamné? Ou suis-je regardé comme pécheur par les hommes, à cause d’un mensonge?" (Sagesse XVII, 40): "L’iniquité est timide; elle est livrée à la condamnation de tous," c’est-à-dire qu’au jugement les pécheurs sont condamnés par tout le monde. La seconde contradiction, c’est que ce sens donne lieu à une fausse interprétation contre les apôtres; car, de ce qu’ils prêchaient que la surabondance de la grâce de Jésus-Christ couvrait l’abondance du péché (Rom., V, 20): "Là où le péché a abondé, la grâce a sur abondé," on blasphémait contre eux, comme s’ils eussent dit que les hommes devaient faire le mal pour obtenir le bien. Or, telle serait la conséquence si le mensonge de l’homme avait directement pour fin d’exalter la gloire de Dieu et sa vérité. C’est pourquoi l’Apôtre dit: "Nous ferons donc le mal," c’est-à-dire nous pécherons et enseignerons le mensonge, " afin qu’il en sorte du bien;" en d’autres termes, pour que la vérité de Dieu et sa justice soient exaltées, ainsi qu’on le dit "en blasphémant contre nous," ou plutôt, comme quelques-uns nous le font dire, en blasphémant (1 Cor., XV, 13): "On nous blasphème, et nous prions;" comme encore quelques personnes nous accusent de l’enseigner, en dénaturant nos paroles (saint Pierre, III, 16): "Que des hommes ignorants et légers détournent à de mauvais sens." Or, l’Apôtre repousse ces accusations en ajoutant: "Dont la condamnation sera légitime," c’est-à-dire la condamnation "de ceux qui font le mal pour en faire sortir le bien." Car, de même qu’on ne doit pas raisonner du vrai au faux, de même on ne doit pas tendre par le mal à une fin qui est bonne (Jérémie, X, 1): "Pourquoi tous ceux qui vivent dans les prévarications et dans l’iniquité sont-ils heureux?" paroles qui s’appliquent aux impies. Ou bien "leur condamnation," c’est-à-dire de ceux qui nous imputent faussement ces erreurs, est légitime; car ceux qui pervertissent la sainte doctrine sont justement condamnés (Apoc., XXII, 18): "Si quelqu’un ajoute à ces récits, Dieu versera sur lui les plaies décrites dans ce livre."




Thomas A. sur Rm (1869) 13