Thomas sur Jean 39

39 Jn 5,41-47




41" Je ne reçois pas de gloire venant des hommes; mais j’ai reconnu que vous n’avez pas en vous l’amour de Dieu. Moi, je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas; qu’un autre vienne en son nom propre, celui-là vous le recevrez. Comment pouvez-vous croire, vous qui tirez votre gloire les uns des autres, et qui ne cherchez pas la gloire qui vient de Dieu seul? Ne pensez pas que c’est moi qui vous accuserai auprès du Père celui qui vous accuse, c’est Moïse, en qui vous espérez. En effet, si vous croyiez à Moïse, vous croiriez peut-être à moi aussi, car c’est moi qu’il a écrit. Mais si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles?"

825. Après avoir confirmé l’éminence de sa puissance par les témoignages des hommes, de Dieu et des Ecritures [n° 799], le Seigneur reproche maintenant aux Juifs leur lenteur à croire.

Les Juifs Le persécutaient pour deux motifs parce qu’Il avait rompu le sabbat, en quoi Il semblait s’opposer à la Loi, et parce qu’Il se disait Fils de Dieu, en quoi Il semblait s’opposer à Dieu. Ainsi les Juifs paraissaient poursuivre le Christ en raison de leur respect religieux pour Dieu et du zèle qu’ils avaient pour la Loi de Moïse. Aussi le Seigneur veut-Il montrer que ce n’est pas pour ces raisons qu’ils Le persécutaient, mais pour des raisons contraires. Il montre donc que ce qui est la cause de leur incrédulité, c’est d’abord leur manque de respect religieux à l’égard de Dieu [n° 825], puis leur manque de respect pour Moïse [n° 833].


I

JE NE REÇOIS PAS DE GLOIRE VENANT DES HOM 441 MES; MAIS J’AI RECONNU QUE VOUS N’AVEZ PAS EN VOUS L’AMOUR DE DIEU.

MOI, JE SUIS VENU AU NOM DE MON PERE, ET VOUS NE ME RECEVEZ PAS; QU’UN AUTRE VIENNE EN SON NOM PROPRE, CELUI-LA VOUS LE RECEVREZ. COMMENT POUVEZ-VOUS CROIRE, VOUS QUI TIREZ VOTRE GLOIRE LES UNS DES AUTRES, ET QUI NE CHERCHEZ PAS LA GLOIRE QUI VIENT DE DIEU SEUL?

Avant de montrer que c’est leur manque de respect religieux pour Dieu qui est cause de leur incrédulité [n° 832], le Christ commence par souligner l’irréligion des Juifs [n° 825], puis Il la manifeste par un signe [n° 829].

JE NE REÇOIS PAS DE GLOIRE VENANT DES HOMMES; MAIS J’AI RECONNU QUE VOUS N’AVEZ PAS EN VOUS L’AMOUR DE DIEU.

Pour montrer l’irréligion des Juifs, Il commence par refuser l’intention que ceux-ci Lui ont prêtée et que les paroles qu’Il venait de dire pouvaient laisser entendre [n° 826]; puis Il dit qu’elle est sa véritable intention [n° 827].

826. Parce que le Seigneur venait de rappeler tant de témoignages en sa faveur — ceux de Jean, de Dieu, de ses propres oeuvres et des Ecritures —, les Juifs pouvaient penser qu’Il avait fait cela comme s’Il cherchait une gloire humaine. Cela Il le refuse en disant : JE NE REÇOIS PAS DE GLOIRE VENANT DES HOMMES, c’est-à-dire Je ne cherche pas de louange humaine, car je ne suis pas venu pour donner l’exemple de la recherche d’une telle gloire — Dieu en est témoin, nous n’avons pas cherché la gloire qui vient des hommes 1. Ou bien: JE NE CHERCHE PAS DE GLOIRE VENANT DES HOMMES, c’est-à-dire, je n’ai pas besoin de la gloire humaine, moi qui de toute éternité ai la gloire auprès du Père Glorifie-moi, Père auprès de toi, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût 2. En effet, je ne suis pas venu pour être glorifié par les hommes, mais plutôt pour les glorifier, puisque c’est de moi que procède toute gloire J’aurai par elle [la Sagesse] la gloire dans les assemblées 3. Lorsqu’on dit que Dieu est honoré et glorifié par les hommes — Glorifiez le Seigneur autant que vous le pourrez: Il sera encore au-dessus 4—, ce n’est pas que par là le Seigneur devienne plus glorieux, mais que sa gloire est manifestée en nous.
1. 1 Th 2, 5-6.
2. Jean 17, 5.


827. Ce n’est donc pas pour chercher une gloire humaine que le Seigneur a apporté ces témoignages mais pour une autre raison: J’AI RECONNU, dit-Il, c’est-à-dire j’ai fait connaître, QUE VOUS N’AVEZ PAS EN VOUS L’AMOUR DE DIEU que vous feignez d’avoir. Aussi n’est-ce pas pour l’amour de Dieu que vous me persécutez. Si Dieu ou l’Ecriture ne me rendait pas témoignage, alors ce serait pour Dieu que vous me persécuteriez. Mais Dieu Lui-même témoigne pour moi, et par les oeuvres que je fais, et par les Ecritures, et par Lui-même, comme on l’a dit [n° 816]. C’est pourquoi, si vous aimiez Dieu, ce au nom de quoi vous me rejetez devrait vous faire venir à moi 5. Vous n’aimez donc pas Dieu. J’AI RECONNU QUE VOUS N’AVEZ PAS EN VOUS L’AMOUR DE DIEU peut encore vouloir dire: Je n’ai pas fait appel à ces témoignages comme si j’avais besoin d’être glorifié par vous, mais je sais que vous n’aimez pas Dieu et je souffre de ce que vous errez, et je veux vous ramener à la voie de la vérité 6: Si je n’avais pas fait parmi eux des oeuvres que nul autre n’a faites, ils n’auraient pas de péché; mais maintenant ils ont vu et ils ont haï et moi et mon Père 7— L’orgueil de ceux qui te haïssent monte toujours 8.

828. Il faut cependant savoir que Dieu ne peut être haï par personne, ni en Lui-même, ni dans tous ses effets, puisque tout bien qui existe dans les réalités vient de Dieu, et qu’il est impossible que l’on haïsse tout bien, sans aimer au moins être et vivre. Cependant, un homme peut haïr un effet de Dieu en tant qu’il s’oppose à son appétit, comme la peine ou quelque chose de ce genre. C’est en ce sens qu’on dit avoir Dieu en haine.


MOI, JE SUIS VENU AU NOM DE MON PERE, ET VOUS NE ME RECEVEZ PAS; QU’UN AUTRE VIEN NE EN SON NOM PROPRE, CELUI-LA VOUS LE RECEVREZ.

829. Le Seigneur donne maintenant un signe manifestant que les Juifs n’ont pas en eux l’amour de Dieu d’abord un signe concernant le présent [n° 830], puis un autre concernant l’avenir [n° 831].

830. Pour le signe concernant le présent, Il se réfère à sa venue: MOI, JE SUIS VENU AU NOM DE MON PERE — ce qui revient à dire: Que vous n’aimiez pas Dieu, cela est manifeste; car si quelqu’un aime son Seigneur, il va de soi qu’il honore et reçoit celui qui vient de sa part, et qu’il cherche à l’honorer. Or MOI, JE SUIS VENU AU NOM DE MON PERE, en manifestant son nom au monde — Père, j’ai manifesté ton nom aux hommes que tu m’as donnés du milieu du monde — 9 et vous, VOUS NE ME RECEVEZ PAS: donc vous ne L’aimez pas.

On dit que le Fils manifeste son Père aux hommes, car, bien que le Père fût connu en tant que Dieu — Dieu est connu en Juda 10—, toutefois, en tant qu’Il est Père communiquant à un Fils sa propre nature 11, Il n’était pas connu avant la venue du Christ; c’est pourquoi Salomon interrogeait: Quel est son nom et quel est le nom de son fils, si tu le sais? 12.
3. Sg 8,10.
4. Sir 43, 32.
5. Littéralement: "De la même façon que vous me rejetez, vous devriez venir à moi. "
6. Cf. Sg 5,6 " Nous avons erré hors de la voie de la vérité. " Cf. aussi Ps 118, 30; Sir 34, 22.
7. Jean 15, 24.
8. Ps 73, 23.
9. Jean 17, 6.
10. Ps 75, 1.
11. En latin: inquantum est naturalis Pater Fuji. — ce que le Symbole de Nicée exprime en disant que le Fils est" consubstantiel au Père". Cf. ci-dessus, n° 820, note 68.


831. Pour le signe concernant l’avenir, le Christ se réfère à la venue de l'Antéchrist. Les Juifs, en effet, au raient pu objecter: Bien que tu viennes au nom de Dieu nous ne t’avons cependant pas reçu, et cela parce que nous ne voulons recevoir personne d’autre que Dieu le Père Lui-même. Mais le Seigneur prévient une telle objection en montrant qu’il ne peut en être ainsi puis que, dit-Il, vous en recevrez un autre qui ne viendra pas au nom du Père, mais en son nom propre. Qui plus est, il viendra contre Lui: QU’UN AUTRE, c’est-à-dire l’Antichrist, VIENNE, non pas au nom du Père, mais EN SON NOM PROPRE, car il ne cherchera pas la gloire du Père, mais la sienne 13, et ce qu’il fera, il ne l’attribuera pas au Père, mais à lui-même. Ainsi l’Apôtre [annonce la venue de] l’adversaire, celui qui se dressera contre tout ce qui est appelé Dieu ou est objet de culte 14. CELUI-LA, dit le Christ, VOUS LE RECEVREZ. Aussi l’Apôtre ajoute-t-il: C’est pourquoi Dieu leur enverra une puissance d’erreur qui les fera croire au mensonge 15, et cela parce qu’ils n’ont pas reçu l’enseignement de la vérité grâce auquel ils auraient été sauvés. Aussi la Glose dit-elle: "Parce que les Juifs n’ont pas voulu recevoir le Christ, il convient que, pour châtiment de ce péché, ils reçoivent l'Antéchrist, en sorte que ceux qui n’ont pas voulu croire à la vérité croient au mensonge" 16 Mais, selon Augustin 17, cela peut s’entendre des hérétiques et des faux docteurs qui tirent leur enseignement de leur propre coeur et non de la bouche de Dieu, qui louent leur propre nom et méprisent le nom de Dieu, et dont il est dit: Comme vous avez entendu que l’Antéchrist vient, ainsi maintenant, beaucoup d’antéchrists sont apparus 18. Il est donc manifeste [le Christ] que la persécution dont vous me poursuivez ne procède pas de l’amour de Dieu. Elle procédait de la haine et de la malignité des Juifs à son égard 19; et c’est cela qui était la cause de leur incrédulité.


COMMENT POUVEZ-VOUS CROIRE, VOUS QUI TIREZ VOTRE GLOIRE LES UNS DES AUTRES, ET QUI NE CHERCHEZ PAS LA GLOIRE QUI VIENT DE DIEU SEUL?

832. C’est pourquoi Il conclut: COMMENT POUVEZ-VOUS CROIRE, VOUS QUI TIREZ VOTRE GLOIRE LES UNS DES AUTRES, c’est-à-dire une gloire tout humaine, ET QUI NE CHERCHEZ PAS LA GLOIRE QUI VIENT DE DIEU SEUL, celle qui est la vraie gloire? Si les Juifs ne pouvaient pas croire au Christ, c’est que, leur esprit orgueilleux étant avide de gloire et de louange, ils se considéraient comme plus élevés que les autres en gloire, et tenaient pour un déshonneur de croire en le Christ, qui paraissait pauvre et méprisable. Mais celui-là peut croire en Lui, qui, ayant un coeur humble 20, cherche la gloire de Dieu seul et désire Lui plaire. C’est pourquoi il est dit plus loin: Cependant, même parmi les notables, beaucoup crurent en Lui; mais à cause des Pharisiens ils ne l’avouaient pas, de peur d’être chassés de la synagogue, et cela parce qu’ils préféraient la gloire des hommes à la gloire de Dieu 21. Ceci montre bien que la vaine gloire 22 est très dangereuse, ce qui fait dire à Cicéron: "L’homme doit se garder de la gloire qui prive l’âme de la liberté, sur laquelle les hommes magnanimes doivent faire porter tout leur effort" 23.
12. Prov 30, 4.
13. Cf. ALcun. i, Comm. in S. Ioannis Evang. (Glossa), 3, ch. 11, PL 100, col. 818 B. Selon saint Augustin" antéchrist" signifie" qui est contre le Christ" et non, comme quelques-uns l’ont pensé, "celui qui doit venir avant (ante) le Christ" (commentaire de la première épître de S. Jean, SC 75, p. 190).
14. 2 Th 2, 4.
15. 2 Th 2, 11.
16. Cette citation n’est pas littérale. Voici le texte exact: "Qui est celui que les Juifs reçurent, si ce n’est l’Antéchrist, qui doit venir chercher sa propre gloire? Et le châtiment de leur péché, qui fut de n’avoir pas voulu croire à la vérité, sera de croire au mensonge" (ALcmN [loc. cit.; même texte chez BÈDE, In S. bannis Evang. expos. (Glossa), ch. 5, PL 92, col. 703 C-D).
17. cf. Serm. de Script., 129 (ou Serm. de Ver!, . Dom., 45, selon les éditions antérieures), ch. 6, 7, PL 38, col. 723. Voir aussi Commentaire de la première épître de S. Jean, III, 4, SC 75, p. 191.
18. 1 Jean 2, 18.
19. Cf. SAINT JEAN CRHYSOSTOME, In Ioannem hom., 41, ch. 1, PG 59, col. 236.




Et c’est pourquoi la Glose dit: "C’est un grand vice que la vantardise et l’ambition de la louange humaine, qui veulent qu’on pense d’elles ce que d’elles-mêmes elles n’ont pas" 24.


II

NE PENSEZ PAS QUE C’EST MOI QUI VOUS ACCU SERAI AUPRES DU PERE: CELUI QUI VOUS ACCU SE, C’EST MOISE, EN QUI VOUS ESPEREZ.

EN EFFET, SI VOUS CROYIEZ A MOÏSE, VOUS CROIRIEZ PEUT-ETRE A MOI AUSSI, CAR C’EST DE MOI QU’IL A ECRIT. MAIS SI VOUS NE CROYEZ PAS A SES ECRITS, COMMENT CROIREZ-VOUS A MES PA ROLES?

833. Le Seigneur montre maintenant que les Juifs n’ont pas de zèle pour Moïse. Pour cela Il montre d’abord, en écartant une opinion [n° 834] et en affirmant la vérité [n° 835], comment Moïse leur était contraire, puis Il en donne la raison [n° 836].

NE PENSEZ PAS QUE C’EST MOI QUI VOUS ACCUSERAI AUPRES DU PERE: CELUI QUI VOUS ACCU SE, C’EST MOISE, EN QUI VOUS ESPEREZ.

834. Ces paroles ont un triple sens. Le premier, c’est que le Fils de Dieu n’est pas venu dans le monde pour condamner le monde, mais pour le sauver; voilà pourquoi Il dit: NE PENSEZ PAS que je sois venu pour condamner: je suis venu pour délivrer: Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par Lui. Aussi le sang du Christ ne crie-t-il pas l’accusation, mais la rémission — Vous vous êtes approchés (...) du médiateur de la nouvelle alliance, Jésus, et d’un sang d’aspersion plus éloquent que celui d’Abel 26, qui criait 27 en accusant. Qui accusera les élus de Dieu? C’est Dieu qui justifie. Quel est celui qui condamnera? Le Christ Jésus, qui est mort, bien plus qui est aussi ressuscité d’entre les morts, qui est à la droite de Dieu et qui même intercède pour nous? 28

On peut comprendre les paroles du Christ d’une autre manière: NE PENSEZ PAS QUE C’EST MOI QUI VOUS ACCUSERAI AUPRES DU PERE, parce que je ne serai pas accusateur, mais juge. Le Père, en effet, a remis tout jugement au Fils 29.

Enfin, cette phrase peut s’entendre ainsi: NE PENSEZ PAS QUE C’EST MOI, c’est-à-dire moi seulement, QUI VOUS ACCUSERAI AUPRES DU PERE de ce que vous me faites; mais Moïse aussi vous accusera de ne pas le croire dans ce qu’il a dit de moi.
20. Voir ALcuIN, loc. cit., col. 818 C, et BÈDE, loc. cit., col. 703 D.
21. Jean 12, 42-43.
22. Ga 5, 26: "Ne devenons pas avides d’une vaine gloire... ".
Cf. Phi 2, 3. La" vaine gloire", explique saint Thomas en commentant l’Epître aux Galates, est la gloire du monde, du" siècle" (gloria saecularis). Est vain, précise-t-il, "ce qui n’est fondé sur rien de solide, ni ne s’appuie sur la vérité, ni n’est aimé en vue du bien. C’est pourquoi la gloire de ce monde est vaine, parce qu’elle est caduque et non solide — Toute chair est de l’herbe, et toute sa gloire est comme la fleur des champs (Isaïe 40, 6) — et parce qu’elle est fausse — La gloire [l’homme pécheur] n’est que fumier et vers (1 Mac 2, 62) — .), et encore parce qu’elle est inutile et infructueuse: en effet, si grande que soit la gloire qu’un homme tire du témoignage du siècle, il ne peut pas pour autant atteindre par là sa fin, qu’il n’atteint que grâce au témoignage de Dieu Celui qui se glorifie, qu’il se glorifie dans le Seigneur (1 Corinthiens 1, 31)" (Super Epistolam ad Galatas lectura, V, leç. 7, n° 341).
23. Saint Thomas modifie légèrement le texte de Cicéron: "Il faut se garder (...) de l’avidité de la gloire (...); en effet, elle supprime la liberté, sur laquelle les hommes magnanimes doivent faire porter tout leur effort" (Les devoirs, livre I, xx, § 68, p. 138).
24. Voici le texte exact: "Il faut considérer avec plus d’attention quel grand mal sont la vanité et l’ambition de la louange humaine (...). L’homme veut qu’on pense de lui ce qu’en lui-même il ne s’efforce pas de posséder" (ALCUIN, loc. cit.; même texte chez BÈDE, loc. cit.).


835. C’est pourquoi le Christ ajoute CELUI QUI VOUS ACCUSE, C’EST MOÏSE, EN QUI VOUS ESPEREZ, car vous croyez être sauvés par ses préceptes. Et Moïse les accuse doublement. Il les accuse matériellement, car du fait qu’ils ont transgressé ses commandements, ils doivent être accusés — Tous ceux qui ont péché sous la Loi seront jugés par la Loi 30. Moïse les accu se aussi en ce sens que lui-même et les autres saints exerceront un pouvoir dans le jugement: [ils auront] dans leurs mains des glaives à deux tranchants pour tirer vengeance des nations, pour châtier les peuples, afin d’exercer sur eux le jugement prescrit 31.
25. Jean 3, 17.
26. He 12, 24.
27. Gn 4, 10.
28. Ro 8, 33-34.
29. Jean 5, 22.
30. Ro 2, 12.





EN EFFET, SI VOUS CROYIEZ A MOÏSE, VOUS CR0IRIEZ PEUT-ÊTRE A MOI AUSSI, CAR C’EST DE MOI QU’IL A ECRIT.

836. Le Seigneur donne ici la raison pour laquelle Moïse leur était contraire: C’EST DE MOI QU’IL A ECRIT, en disant notamment: Le Seigneur ton Dieu suscitera de ta nation et d’entre tes frères un prophète comme moi c’est lui que tu écouteras 32, et en rapportant tous les sacrifices qui étaient des figures du Christ. Et si le Seigneur dit PEUT-ETRE, ce n’est pas qu’il y ait en Dieu le moindre doute, mais pour attirer l’attention sur la volonté libre de l’homme 33.

MAIS SI VOUS NE CROYEZ PAS A SES ECRITS, COMMENT CROIREZ-VOUS A MES PAROLES?

837. Après avoir donné la raison pour laquelle Moïse était contraire aux Juifs, le Seigneur en donne main tenant un signe, pris a fortiori et négativement, dans une double comparaison. D’abord une comparaison de personne à personne: en effet, bien que le Christ, absolument parlant, fût plus grand que Moïse, celui-ci cependant, aux yeux des Juifs, était plus grand; aussi le Seigneur dit-Il si vous ne croyez pas Moïse, vous ne croirez pas non plus à moi. Ensuite, Il compare leurs manières de transmettre: Moïse donna les commandements dans des écrits, qui peuvent être plus longuement médités et ne tombent pas facilement dans l’oubli, si bien qu’ils obligent davantage à croire. Mais le Christ, Lui, enseigna par la parole, et c’est pourquoi Il dit: SI VOUS NE CROYEZ PAS A SES ECRITS dont vous avez chez vous les livres, COMMENT CROIREZ-VOUS A MES PAROLES?
31. Ps 149, 6.
32. Deut 18, 15.
33. Cf. ci-dessus, n" 578.




CHAPITRE VI: Le don de la nourriture spirituelle  1

40
838. Une fois exposé l’enseignement sur la vie spirituelle par laquelle le Christ vivifie ceux qui ont été régénérés, l’Evangéliste traite maintenant de la nourriture par laquelle le Christ soutient ceux qu’il a vivifiés; il regarde d’abord la production miraculeuse par le Christ d’une nourriture corporelle, puis il traite de la nourriture spirituelle [n° 892].



Jean 6, 1-13: LA MULTIPLICATION DES PAINS

Jn 6,1-13


Du miracle visible il considère d’abord l’accomplissement, puis l’effet [n° 866].

A. L’ACCOMPLISSEMENT DU MIRACLE





1 Or Après cela, Jésus s’en alla de l’autre côté de la mer de Galilée, c’est-à-dire de Tibériade 2 et une grande multitude le suivait, parce qu’ils voyaient les signes qu’il faisait sur ceux qui étaient malades. Jésus gravit donc discrètement la montagne; et là, il était assis avec ses disciples. Or proche était la Pâque, jour de la fête des Juifs. Jésus, donc, ayant levé les yeux et vu qu’une très grande multitude était venue à lui, dit à Philippe: "Où achèterons-nous des pains pour que ceux-ci mangent?" Or il disait cela pour le tenter, car lui savait ce qu’il devait faire. 7 lui répondit: "Deux cents deniers de pain ne leur suffiraient pas pour que chacun d’eux en ait même un petit morceau. "8 Un de ses disciples, André, frère de Simon-Pierre, lui dit: "Il y a ici un petit garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons; mais qu’est-ce que cela pour tant de monde?" 10 Jésus dit donc: "Faites s’allonger ces hommes. " Or il y avait beaucoup d’herbe en ce lieu. Les hommes s’allongèrent donc au nombre d’environ cinq mille. "Jésus prit donc les pains, et quand il eut rendu grâces, il les distribua à ceux qui étaient allongés; et de même des poissons, autant qu’ils en vou laient. 12 Lorsqu’ils furent rassasies, il dit à ses disciples: "Recueillez les morceaux qui sont restés, afin que rien ne se perde. "’ Ils les recueillirent donc, et remplirent douze couffins avec les morceaux des cinq pains d’orge et des deux poissons qui restèrent en surplus à ceux qui avaient mangé.



I

APRÈS CELA, JÉSUS S’EN ALLA DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA MER DE GAULÉE, C'EST-À-DIRE DE TIBÉRIADE;

ET UNE GRANDE MULTITUDE LE SUIVAIT, PARCE QU1LS VOYAIENT LES SIGNES QU’IL FAISAIT SUR CEUX QUI ÉTAIENT MALADES. JÉSUS GRA VIT DONC DI$CRÈTE MENTLA MONTAGNE; ETLÀ, IL ÉTAITASSIS AVEC SES DISCIPLES. OR PROCHE É TAIT LA PÂQUE, JOUR DE LA FÊTE DES JUIFS.

Quant à l’accomplissement du miracle [n° 847], il en considère d’abord les circonstances: la multitude que le Christ a nourrie avec largesse, le lieu [n° 845] puis le temps où cela se passe [n° 846]. A propos de la multitude, il détermine d’abord le lieu où elle le suit [n° 839] puis la foule elle-même [n° 842] et enfin la cause pour laquelle elle le suit [n° 843].

APRÈS CELA, JÉSUS S'EN ALLA DE L'AUTRE CÔTÉ DE £[LA MER DE GALILÉE, C'EST-À-DIRE DE TIBÉRIADE.

839. C’est l’endroit où la foule suivit le Seigneur que l'Evangéliste suggère ici. Il situe donc cet épisode après les paroles mystiques que le Seigneur avait prononcées sur sa puissance.

La mer de Galilée est souvent nommée dans l’Écriture, et de multiples manières 2. En effet, puisqu’elle n’est pas salée, mais qu’elle est formée d’une accumulation des eaux du cours du Jourdain, Luc l’appelle lac 3, mais parce que, selon une particularité de la langue hébraïque, le vocable "mer" désigne toute accumulation d’eau, d’après ce passage: Dieu (...) appela mers l’accumulation des eaux 4, elle est appelée mer.

Le nom "lac de Génésareth" lui vient de la nature du lieu. En effet, elle est très agitée du fait de l’emprise des vents qui naissent de l’évaporation de ses propres eaux, d’où cette dénomination de Génésareth, qui en grec signifie "qui engendre le vent". Elle est appelée mer de Galilée parce qu’elle se trouve dans cette province, et aussi lac de Tibériade, du nom de la ville située sur l’un des bords de cette mer, à l’opposé de la ville de Capharnaüm. Cette ville était autrefois appelée Zénéreth, mais après sa rénovation par le tétrarque Hérode elle fut baptisée Tibériade 5, en l’honneur de l’empereur Tibère.

840. Au sens littéral, la raison pour laquelle Jésus partit par la mer, selon Chrysostome 6, est que le Christ se serait soustrait à la fureur et à l’agitation que les Juifs avaient conçues contre lui à cause de ce qu’il avait dit auparavant sur lui-même.

D’où, selon le même auteur 7, de même que les javelots lorsqu’ils se heurtent à quelque chose de dur blessent durement, mais lorsque rien ne leur fait obstacle, perdent leur force aussitôt envoyés et retombent, de même, si nous nous opposons à ceux qui ne respectent rien en leur résistant vivement, leur fureur ne fait alors qu’augmenter, mais si nous leur cédons, nous apaisons sans peine leur folie.

Pour cette raison le Christ, en prenant le large, a apaisé la fureur des Juifs née des paroles précédentes, nous donnant ainsi un exemple à suivre — Ne tiens pas tête à l’effronté Si 8,14.

2. Sur tout ce passage, voir ISIDORE, Etymologiarum sive originum lzbn, XIII, xiv, 1; XIX, 1-2; 5-9; transmis par BÈDE, In S. Lucae Evangelium expositio, L. II, ch. 5, PL 92, col. 381 D; et ALCUIN, Commentarium in S. Ioannis Evangelium (Glossa), 3, ch. 12, PL 100, col. 819.
3. Lc 5,1: Or donc, comme la foule le serrait de près et écoutait la parole de Dieu, tandis que lui se tenait sur le bord du lac de Génésareth
4. Gn 1,10.
5. Cf. SAINTJÉRÔME, Liber de situ et nominibus locorum hebraicorum, PL
23, col. 888 A-B et 889 A-B.
6. In Iooannem homiliae, 42, ch. 1, PG 59, col. 239.
7. Loc. cit.
842. L’Évangéliste souligne ensuite l’importance de la foule qui suivait Jésus, parce qu’UNE GRANDE MULTITUDE LE SUIVAIT


841. Au sens mystique, la mer désigne le siècle présent et son agitation — Voici la grande mer aux vastes bras Ps 103,25. C’est cette mer que le Seigneur a passée lorsqu’il a affronté, en naissant, la mer de notre mortalité et de notre souffrance. Il l’a foulée aux pieds en mourant; puis, la passant en se relevant, il est parvenu à la gloire de la Résurrection. De ce passage il est dit plus loin: Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père... Jn 13,1.

Dans son passage pris en ce sens, des foules nombreuses rassemblées de chacun des deux peuples 11 l’ont suivi en croyant en lui et en l’imitant — Ton coeur sera dans l’admiration et se dilatera quand se sera tournée vers toi la multitude de la mer et que la force des nations sera venue à toi Is 60,5. Lève-toi, Seigneur, selon l’ordre que tu as donné, et l’assemblée des peuples t'environnera Ps 7,7-8.

ET UNE GRANDE MULTITUDE LE SUIVAIT.            [2a]

11. L’expression est à rapprocher de ce passage de l’épître aux Ephésiens: Car lui [Christ] est notre paix, lui qui des deux peuples en a fait un, et a détruit le mur de la séparation — l'inimitié — dans sa chair, abrogeant la loi des commandements avec ses prescriptions, afin de rassembler en lui les deux en un unique et nouvel homme, en faisant la paix (Ep 2,14-15). Saint Thomas commente ainsi: "Qui des deux peuples en a fait un, parce que le Christ a uni chacun des deux peuples, celui des Juifs honorant le vrai Dieu et celui des Gentils devenus étrangers au culte d’un tel Dieu: J’ai d’autres brebis qui ne sont point de cette bergerie; et il faut que je les amène, et elles entendront ma voix, et il n'aura qu'un bercail et qu'un pasteur (Jn 10,16)" (Ad Eph. lect., II, leç. 5, n" 111).



PARCE QU’ILS VOYAIENT LES SIGNES QU’IL FAISAIT SUR CEUX QUIÉTAIENT MALADES.

843. Telle est la cause pour laquelle ils le suivaient: l’accomplissement des miracles.
A ce propos, il faut savoir que certains — les mieux disposés — le suivaient à cause de son enseignement. Tandis que d’autres, moins parfaits, le suivaient à cause de leur admiration pour les signes visibles; ceux-ci étaient d’esprit plus grossier 14: Ainsi donc, les langues servent de signe non pour ceux qui croient, mais pour les non-croyants; la prophétie, elle, n'est pas pour les non-croyants, mais pour ceux qui croient 1Co 14,22. C’est encore à cause de leur dévotion 16 et de leur foi que d’autres le suivaient, ceux-là mêmes qu’il avait guéris par leur corps: en effet, le Seigneur les avait guéris dans leur corps afin que jusque dans leur âme, ils soient parfaitement guéris — Les oeuvres de Dieu sont parfaites Dt 32,4. Ceci est corroboré par ce qu’il dit explicitement au paralytique: "Désormais, ne pèche plus" Jn 5,14 et "Mon fils, tes péchés te sont remis Mt 9,2, paroles qui concernent plus la santé de l’âme que celle du corps.

844. Remarquons que, bien que l’Évangéliste n’ait fait jusque-là mention que de trois miracles, celui des noces, celui du fils du fonctionnaire royal et celui du paralytique, il parle ici sans préciser des SIGNES QU’IL FAISAIT, pour que nous comprenions que le Christ a fait beaucoup d’autres signes, comme il est dit plus loin Cf. Jn 20,30 Jn 21,25, dont il ne fait pas mention dans ce livre. En rédigeant son Evangile, en effet, il se proposait d’abord de nous introduire dans l’enseignement du Christ.

14. Cf. CHRYSOSTOME, op. cit., 42, ch. 1, col. 239.
16. Le terme latin devotio exprime le ferme désir d’accomplir avec coeur tout ce qui a trait au culte dû à Dieu, de manière à nous établir dans un rapport vrai de dépendance à son égard. La "dévotion ", au sens où l’entend saint Thomas, est donc comme un acte de justice envers Dieu et en ce sens elle découle de la vertu de religion. Mais vouloir rendre un culte à Dieu est l’expression d’un amour pour lui. Cet amour, antérieur au culte, est soit naturel — c’est l’amour d’adoration — soit surnaturel — c’est l’amour de charité. C’est pour quoi on peut traduire le terme devotio par "soumission aimante". Ainsi la devotio est l’acte par lequel notre lien personnel avec Dieu va rejaillir sur toutes nos activités qui deviennent, par la grâce, matière du culte: Que vous mangiez ou que vous buviez, quoi que vous fassiez, faites tout à la gloire de Dieu (1Co 10,31). Cf. Somme théologique, II-II 8,1-12,2.



JÉSUS GRAVIT DONC DISCRÈTEMENT LA MONTAGNE; ET LÀ, IL ÉTAIT ASSIS A VEC SES DISCIPLES.

845. L’Évangéliste indique ensuite le lieu du miracle: une montagne. Il dit pour cette raison que jésus la GRAVIT DISCRETEMENT c’est-à-dire y monta en secret. La montagne est certes un lieu assez propice à la réparation des forces; elle symbolise en effet la perfection de la justice — Ta justice est comme les montagnes de Dieu Ps 35,7. Parce que les nourritures terrestres ne rassasient pas — au contraire quiconque boit de cette eau aura encore soif Jn 4,13 — alors que les nourritures spirituelles rassasient, le Seigneur monte sur les hauteurs avec ses disciples pour montrer que les nourritures spirituelles rassasient et donnent la perfection de la justice. C’est de cette montagne qu’il est dit: La montagne de Dieu est une montagne fertile Ps 67,16. C’est pourquoi le Christ, siégeant entouré de ses disciples, y dispensait son enseignement. C’est lui en effet qui enseigne la science à l’homme Ps 93,10.

21. Le terme latin subire a deux significations, selon que sub exprime le mode du déplacement (se déplacer en cachette) ou son origine: aller de bas (sous-entendu: en haut), c’est-à-dire monter. Le déplacement du Christ correspond aux deux sens.

OR PROCHE ÉTAIT LA PÂQUE, JOUR DE LA FÊTE DES £[JUIFS.

846. Maintenant l’Évangéliste indique la période, qui elle-même convient au rétablissement des forces. Pâque signifie en effet passage — C’est la Pâque, c’est-à-dire le passage du Seigneur Ex 12,11. Il nous fait comprendre par là que tout homme qui désire être restauré par le pain de la parole divine et par le corps et le sang du Seigneur doit passer des vices aux vertus — Notre Pâque, le Christ, a été immolée, célébrons-la dans un repas avec des azymes de pureté et de vérité 1Co 5,7-8; et la Sagesse divine dit elle-même: Passez à moi, vous tous qui me désirez Si 24,26 (LXX 24, 19).

Cette Pâque est la seconde dont l’Évangéliste fait mention; pour celle-ci, le Seigneur ne monta pas à Jérusalem, contrairement au précepte de la Loi 29. La raison en est que le Christ était Dieu et homme: en tant qu’homme, il était certes soumis à la Loi, mais en tant que Dieu, il était au-dessus. Afin donc de se montrer homme, il observait parfois la Loi, et, comme Dieu, il s’en affranchissait. Du même coup, il faisait comprendre que sous peu les observances légales cesseraient progressivement 30.

29. Trois fois dans l’année, toute la population mâle paraîtra devant Yahvé, ton Dieu, dans le lieu qu'il aura choisi: à la fête des Azymes, à la fête des Semaines et à la fête des Tentes (Dt 16,16); et le lieu que le Seigneur a choisi est bien le Temple de Jérusalem, suivant ce passage du premier livre des Rois (8, 10-13): Or, quand les prêtres sortirent du Saint, la nuée remplit la Maison de Yahvé, et les prêtres ne purent s tenir pour leur service, à cause de la nuée; car la gloire de Yahvé remplissait la Maison de Yahvé. Alors Salomon dit: "Yahvé a décidé de demeurer dans la sombre nuée. Oui, je t'ai bâti une Maison pour résidence, un lieu où tu habites à tout jamais!
30. Cf. CHRYSOSTOME, op. cit., col. 239.


II

847. L’Évangéliste traite ensuite de la réalisation du miracle. C’est en premier lieu la nécessité d’opérer le miracle qu’il expose; puis il poursuit en rapportant la réalisation elle-même [n° 855].

JÉSUS, DONC, AYANT LEVÉ LES YEUX ET VU QU’UNE TRÈS GRANDE MULTITUDE ÉTAIT VENUE À LUI, DIT À PHILIPPE:

"OÙ ACHÈTERONS-NOUS DES PAINS POUR QUE CEUX-CI MANGENT?" OR IL DISAIT CELA POUR LE TENTER, CAR LUI SAVAIT CE QU’IL DE VAIT FAIRE. PHILIPPE L UI RÉPONDIT: "DEUX CENTS DENIERS DE PAIN NE LEUR SUFFIRAIENT PAS POUR QUE CHA CUN D’EUX EN AIT MÊME UN PETIT MORCEAU " UN DE SES DISCIPLES, ANDRÉ, FRÈRE DE SIMON-PIERRE, LUI DIT "IL Y A ICI UN PETIT GARÇON QUI A CINQ PAINS D’ORGE ET DEUX POISSONS; MAIS QU’EST-CE QUE CELA POUR TANT DE MONDE?"

La nécessité que le miracle se produise vient de l’interrogation du Seigneur et de la réponse des disciples [n° 851].

A propos de l’interrogation, l’Evangéliste relate l’occasion saisie par le Christ d’interroger les disciples [n° 848], puis l’interrogation elle-même [n° 849], et il dévoile en dernier lieu l’intention du Christ interrogeant [n° 850].



JÉSUS, DONC, AYANT LEVÉ LES YEUX ET VU QU’UNE TRÈS GRANDE MULTITUDE ÉTAIT VENUE À LUI

848. C’est la vision de la multitude venant au Christ qui suscita l’interrogation. Pour cette raison, l’Evangéliste dit: Jésus, étant dans la montagne avec ses disciples, c’est-à-dire avec les plus avancés, AYANT LEVE LES YEUX ET VU...

En cela, deux traits concernant le Seigneur sont à relever.

D’abord, la perfection pleine de gravité du Christ, qui ne promène pas ses regards de tous côtés, mais est assis en compagnie de ses disciples, avec réserve et attention; c’est le contraire de ce qui est dit dans les Proverbes: Génération dont les yeux sont altiers et les paupières hautaines Pr 30,13 31 ; et selon l’Ecclésiastique, à son regard, on connaît l’homme Si 19,26.

Ensuite, pour que nous apprenions que le Christ n’était pas assis oisif avec ses disciples, mais qu’il était tout occupé à les enseigner et que, attirant leurs coeurs à lui, il regardait ceux qu’il enseignait 33— Et lui, levant les yeux sur ses disciples Lc 6,20 34—, il est dit ici: AYANT LEVE LES YEUX, c’est-à-dire les détournant de ses disciples, il vit la multitude.

Au sens mystique, les yeux du Seigneur sont les dons spirituels que, dans sa miséricorde, il accorde à ses élus lors qu’il lève les yeux vers eux, c’est-à-dire lorsqu’il leur accorde un regard de bienveillance 35.

31. Cf. ALCUIN, Comm. in S. bannis Evang., 3, ch. 12, col. 821.
33. Cf. CHRYSOSTOME, in Ioannem hom., 42, ch. 1, col. 240.
34. On ne sait pas avec certitude si saint Thomas a cité ce passage de saint Luc ou Mt 5,1. On remarque en effet un trouble dans le texte des manuscrits et des premières éditions. La citation de saint Luc semble préférable. Lui seul, en effet, parle du regard de Jésus posé sur ses disciples pendant qu’il les enseigne.
35. Pour le rapprochement entre les yeux du Seigneur et les dons spirituels, tiré de la vision de l’Agneau en Ap 5,6 voir ALCUIN, loc. cit.



OÙ ACHÈTERONS-NOUS DES PAINS POUR QUE CEUX CI MANGENT?

849. L’interrogation porte sur la réfection de la multitude. Le Seigneur suppose un fait et cherche autre chose. Il suppose quelque indigence parce qu’il n’avait pas de quoi donner la nourriture à une telle multitude. Il cherche alors comment la trouver lorsqu’il dit: OUACHETERONS-NOUS DES PAINS POUR QUE CEUX-CI MANGENT?

Il faut remarquer ici que tout docteur a le devoir de faire paître spirituellement la foule qui vient à lui. Et puisqu’aucun homme ne possède de son propre fonds de quoi la faire paître, ainsi il doit acquérir auprès d’un autre par le labeur de l’étude et l’assiduité à la prière. Vous qui n’avez pas d’argent, dit le Seigneur en Isaïe, venez. Et il continue: Pourquoi dépensez-vous votre argent, c’est-à-dire votre éloquence, non pas pour des pains c’est-à-dire la Sagesse véritable qui restaure — Sagesse dont l’Ecclésiastique dit: Il l’a nourri du pain de la vie et de l’intelligence —, non pas pour des pains donc, et pourquoi dilapidez-vous votre travail pour ce qui ne rassasie pas Is 55,1-2 Si 15,3 en apprenant ce qui ne rassasie pas mais vide plutôt?



OR IL DISAIT CELA POUR LE TENTER, CAR LUI SAVAIT CE QU’IL DEVAIT FAIRE.

850. L' Evangéliste dévoile par là l’intention de celui qui interroge; et, supprimant une incertitude, il en fait apparaître une autre.

Il était en effet possible de penser que le Seigneur avait interrogé Philippe par ignorance; cependant l’Evangéliste exclut cela en disant CAR LUI SAVAIT CE QU’IL DEVAIT FAIRE. Mais puisque tenter semble être aussi le fait d’un ignorant — c’est en effet provoquer ce dont on tirera expérience — il apparaît que l’Evangéliste conduit à une autre incertitude lorsqu’il dit: POUR LE TENTER

Mais il faut préciser que c’est de diverses manières qu’une personne en tente une autre, au sens de la connaître par expérience. L’homme tente d’une certaine manière, pour apprendre; le diable d’une autre, pour tromper — Votre adversaire le diable, comme un lion rugissant, rôde, cher chant qui dévorer 37. Mais Dieu — et le Christ — ne tente ni pour apprendre, parce qu’il est celui qui scrute les coeurs et les reins 38 ni pour tromper — Dieu (...) ne tente personne 39; s’il tente, c’est pour donner aux autres une connaissance d’expérience sur celui qui est tenté. C’est ainsi que Dieu a tenté Abraham: Dieu tenta Abraham 40; et plus loin: Je sais maintenant que tu crains le Seigneur 41, c’est-à-dire j’ai fait connaître que tu crains le Seigneur. C’est ainsi qu’à cet endroit il a tenté Philippe afin de dévoiler sa réponse aux autres, les conduisant par là à une connaissance plus certaine de l’événement à venir.

851. L’Évangéliste poursuit avec la réponse des disciples, d’abord celle de Philippe, puis celle d’André [n° 853].


PHILIPPE LUI RÉPONDIT: "DEUX CENTS DENIERS DE PAIN NE LEUR SUFFIRAIENT PAS POUR QUE CHACUN D’EUX EN AIT MÊME UN PETIT MORCEAU".

852. A propos de la réponse de Philippe, il faut savoir que Philippe était, par rapport aux autres, plus lent et moins subtil, et que de ce fait il interrogeait le Seigneur plus souvent que les autres — Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit 42. Mais dans l’interrogation de ces deux disciples prise au sens littéral, André était mieux disposé que Philippe, qui semble n’avoir aucune ouverture ou disposition à l’accomplissement du miracle. C’est pour cela qu’il envisage cette manière dont tous les hommes auraient pu en nourrir d’autres, c’est-à-dire par l’argent, lorsqu’il dit: DEUX CENTS DENIERS DE PAIN NE LEUR SUFFIRAIENT PAS; or nous ne les possédons pas, et à cause de cela nous ne pourrons pas leur donner à manger. Cela nous dévoile la pauvreté du Christ: il n’avait même pas deux cents deniers.
37. 1 Pe 5, 8.
38. Cf. Ps 7,10 Jr 11,20 Ap 2,23.
39. Ja 1, 13.
40. Go 22, 1.
41. Gn 22, 12.



UN DE SES DISCIPLES, ANDRI FRÈRE DE SIMON PIERRE, LUI DIT: "IL YA ICI UN PETIT GARÇON QUIA CINQ PAINS D’ORGE ET DEUX POISSONS; MAIS QU’EST-CE QUE CELA POUR TANT DE MONDE?"

853. André, par contre, semble envisager la réalisation du miracle. Peut-être en effet avait-il en mémoire le signe qu’Elisée avait accompli avec des pains d’orge, lorsqu’avec vingt pains il nourrit cent hommes, comme on le lit au livre des Rois 43. Et c’est pour cela qu’il dit: IL YA ICI UNFETIT GARÇON QUI A CINQ PAINS D’ORGE ET DEUX POIS SONS. Cependant, il présumait que le Christ n’allait pas accomplir un plus grand miracle qu’Elisée. Il estimait en effet qu’à partir d’un nombre moindre sortirait miraculeusement un nombre moindre, et à partir d’un plus grand nombre, un nombre plus grand (bien qu’à celui qui n’a pas besoin de la matière, celle-ci lui étant soumise, il soit aussi facile de nourrir les foules à partir d’un nombre plus grand [ou plus petit); et c’est pour cela qu’André ajoute: MAIS QU’EST-CE QUE CELA POURTANT DE MONDE? comme s’il disait: même s’ils sont multipliés comme Elisée les multiplia, ce n’est pas suffisant 44.

854. Au sens mystique, refaire les forces spirituelles renvoie à la sagesse. Et la vraie sagesse est celle qu’a enseignée le Christ, qui est lui-même la vraie Sagesse — Le Christ est Puissance de Dieu et Sagesse de Dieu 45. Mais, avant celui du Christ, deux enseignements avaient cours: l’un humain, celui des philosophes; et l’autre, celui de la Loi écrite.

C’est du premier que Philippe fait mention et c’est pourquoi il parle d’acheter du pain: DEUX CENTS DENIERS DE PAIN NE LEUR SUFFIRAIENT PAS. Effectivement, la sagesse humaine s’obtient par acquisition. Le nombre cent dénote la perfection. Pour cette raison, les DEUX CENTS dévoilent la double perfection nécessaire à cette sagesse; en effet, on en atteint la perfection d’une double manière: par l’expérience et parla contemplation. Il dit donc: DEUX CENTS DENIERS DE PAIN NE LEUR SUFFIRAIENT PAS, parce que rien de ce que l’intelligence humaine peut atteindre de la vérité par expérience ou raisonnement ne suffit à épuiser sa faim de sagesse — Que le sage ne tire pas gloire de sa sagesse, que le fort ne se glorifie pas dans sa force, que le riche ne se glorifie pas dans ses richesses; mais que celui qui se glorifie se glorifie en ceci, de connaître et de savoir que c’est moi qui suis le Seigneur 46. En effet, il n’est aucun philosophe dont la sagesse fut telle que par elle les hommes aient pu être tirés de l’erreur; au contraire, nombreux sont ceux que les philosophes entraînent à errer.

André, lui, fait mention du second enseignement, et pour cette raison, il ne voulait pas que l’on achetât d’autres pains, mais que la foule fût restaurée avec ceux que l’on possédait, c’est-à-dire avec ceux que contenait la Loi: par là, il était mieux disposé que Philippe et c’est pourquoi il dit: IL Y A ICI UN PETIT GARÇON QUI A CINQ PAINS D'ORGE. Cet enfant peut désigner Moïse à cause de l’imperfection du statut de la Loi 47— La Loi n’a conduit personne à la perfection 48-- ou le peuple des Juifs qui était asservi aux éléments du monde 49. Cet enfant possède donc CINQ pains, c’est-à-dire l’enseignement de la Loi: soit parce qu’elle a été renfermée dans les cinq livres de Moïse 50— La Loi a été donnée par Moïse soit parce qu’elle a été donnée à des hommes tout entiers pris par les réalités sensibles, dont on fait l’expérience au moyen des cinq sens 51. Ce sont des pains D’ORGE, parce que la Loi avait été donnée de telle sorte qu’en elle l’aliment vital était caché dans les réalités sensibles des sacrements de l’Ancienne Alliance 52 : le grain d’orge est en effet caché par une balle extrêmement dure; ou encore parce que le peuple des Juifs n’avait pas encore été détaché du désir charnel, mais que celui-ci, comme une balle, lui col lait au coeur. En effet, dans l’Ancien Testament, les Juifs avaient fait l’expérience de la dureté de la Loi à cause des observances liturgiques — joug (...) que ni nos pères ni nous n’avons pu porter 53— ; et les Juifs, étant eux-mêmes livrés aux choses corporelles, ne saisissaient pas le sens spirituel de la Loi — Jusqu'à ce jour, lorsqu'ils lisent Moïse, un voile est posé sur leur coeur 54.

Par les DEUX POISSONS qui donnaient bon goût au pain, on entend l’enseignement des Psaumes et des Prophètes, pour dire ainsi que l’ancienne Loi ne comportait pas seulement cinq pains, c’est-à-dire les livres de Moïse, mais aussi deux poissons, c’est-à-dire les Prophètes et les Psaumes 55, d’où la division tripartite des écrits de l’Ancien Testament — Ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes 56. Ou bien les DEUX POISSONS, selon Augustin 57, signifient deux autorités, celle du roi et celle du prêtre, par les quels ce peuple était gouverné; ils préfiguraient le Christ qui fut le roi et le prêtre véritable. MAIS QU’EST-CE QUE CELA POUR TANT DE MONDE? Ce triple enseignement (celui des Psaumes, des Prophètes et de la Loi), en effet, n’a pas pu conduire le genre humain à la connaissance parfaite de la vérité: même si, de fait, Dieu fut connu en Judée 58, les nations cependant le méconnaissaient.
42. Jean 14, 8.
43. Cf. 2 Rs 4, 42: Un homme arriva de Baal-Chalicha, apportant à l’homme de Dieu du pain de premiers fruits, vingt pains d’orge et du grain frais dans sa besace. Elisée dit: "Donne aux gens et qu’ils mangent. "Son serviteur dit: "Comment servirai-je cela à cent personnes?" — "Donne aux gens, dit-il, et qu'ils mangent, car ainsi parle le Seigneur: On mangera et on en aura de reste. "Il les servit; ils mangèrent et en eurent de reste, selon la parole du Seigneur.
44. Cf. CHRYSOSTOME In Ioannem hom., 42, ch. 2, coI. 240-24 1.
45. 1 Corinthiens 1, 24.
46. Jr 9,23.
49. Cf. Ga 4, 3.
50. Jean 1, 17.
51. Cf. ORIGÈNE, Homélies sur la Genèse, XVI, 6, SC 7, p. 257.
52. Saint Thomas se demande, au début du traité des sacrements, s’il existait des sacrements avant la venue du Christ (Somme théol., III, q. 61, a. 3). Il rappelle d’abord "que les sacrements sont les signes sensibles des réalités invisibles par lesquelles l’homme est sanctifié ". Or le Christ est le Sauveur de tout homme. "C’est pourquoi il fallait que, avant la venue du Christ, des signes sensibles fussent donnés aux hommes, par lesquels ils témoigneraient de leur foi en l’avènement futur du Sauveur. "Les signes sensibles de ces sacrements sont les observances légales, qui ont été données d’une part à cause de l’obscurcissement de la loi naturelle dans l’esprit des hommes, et d’autre part, la venue du Christ approchant, pour signifier la foi plus explicitement (cf. note 48).
53. Ac 15, 10.
54. 2 Co 3, 15.
55. Cf. ALCUIN, Comm. in S. Ioannis Evang., 3, ch. 12, col. 821.
56. Luc 24, 24.
57. Tract, in Ioann., XXIV, 5, BA 72, pp. 415-417.
58. Cf. Ps 76, 2.



III

855. A partir du verset 10, l’Évangéliste traite de l’accomplissement du miracle: la disposition des hommes [n° 856], la réfection de leurs forces [n° 859], puis le recueil des fragments [n° 863].

JÉSUS DIT DONC: "FAITES S’ALLONGER CES HOMMES. "OR IL Y AVAIT BEAUCOUP D’HERBE EN CE LIEU LES HOMMES S’ALLONGÈRENT DONC AU NOMBRE D'ENVIRON CINQ MILLE. JÉSUS PRIT DONC LES PAINS, ET QUAND IL EUT RENDU GRÂCES, IL LES DISTRIBUA À CEUX QUIÉTAIENT ALLONGÉS; ET DE MÊME DES POISSONS, AUTANT QU’ILS EN VOULAIENT LORSQU’ILS FURENT RASSASIÉS, IL DIT À SES DISCIPLES: "RECUEILLEZ LES MORCEAUX QUI SONT RES TÉS, AFIN QUE RIEN NE SE PERDE. "ILS LES RECUEILLIRENT DONC, ET REMPLIRENT DOUZE COUFFINS DE MORCEAUX DES CINQ PAINS D'ORGE ET DES DEUX POISSONS QUI RESTÈRENT EN SURPLUS À CEUX QUI AVAlENT MANGÉ.

L’Évangéliste nous rapporte l’ordre donné pour que les foules s’installent [n° 856], l’opportunité de cette disposition [n° 857] et le nombre de ceux qui étaient concernés [n° 858].




JÉSUS DIT DONC: "FAITES S'ALLONGER CES HOMMES. "OR IL Y AVAIT BEAUCOUP D‘HERBE EN CE LIEU LES HOMMES S’ALLONGÈRENT DONC AU NOMBRE D'ENVIRON CINQ MILLE.

856. L’ordre donné par le Seigneur aux disciples était que la foule se dispose à manger. C’est pourquoi Jésus dit: FAITES S’ALLONGER CES HOMMES, c’est-à-dire s’asseoir pour manger. Car, comme nous l’avons dit plus haut [n° 360], les gens, dans l’Antiquité, prenaient leurs repas allongés sur des lits. Aussi l’habitude se répandit de dire que s’al longent ceux qui s’asseyent pour manger. Ce terme, au sens mystique, exprime le repos nécessaire à la perfection de la sagesse — Celui qui donne peu à l’action acquerra la sagesse 59. Cette disposition se fait par l’intermédiaire des disciples, car c’est par eux qu’il nous a été fait part de la connaissance de la vérité — Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple 60.

857. La convenance de la disposition est fondée sur le lieu. OR IL Y AVAIT BEAUCOUP D‘HERBE EN CE LIEU, ce qui, au sens littéral, est agréable pour les convives allongés sur le sol.

Au sens mystique, l’herbe signifie la chair — toute chair est comme l’herbe 61; elle peut en ce sens se rapporter à deux choses. Elle s’applique en effet à l’enseignement de l’Ancien Testament qui était donné à l’homme cherchant son repos dans la chair et à un peuple sage selon la chair — Si vous le voulez et si vous m’écoutez, vous mangerez les biens de la terre 62. Elle s’applique aussi à celui qui embrasse la vraie sagesse à laquelle on ne peut parvenir à moins d’avoir foulé aux pieds les choses de la chair — Ne vous conformez pas à ce siècle 63.
59. Sir 38, 25 (Vulgate).
60. Ps 71, 3.
61. Isaïe 40, 6.
62. Isaïe 1, 19.


858. Le nombre de ceux qui étaient là était considérable: LES HOMMES S’ALLONGERENT DONC AU NOMBRE D’ENVIRON CINQ MILLE. L’Évangéliste prend uniquement les hommes en compte, conformément à la coutume légale, selon laquelle Moïse fit recenser le peuple en comptant tous les enfants d’Israël qui avaient vingt ans et au-dessus 64, à l’exclusion des femmes. L’Evangéliste ne compte que les hommes parce qu’ils sont seuls capables d’être enseignés parfaitement — C'est une sagesse que nous prêchons parmi les parfaits 65 — C'est pour les parfaits qu’est la nourriture solide 66.


JÉSUS PRIT DONC LES PAINS, ET QUAND IL EUT RENDU GRÂCES, IL LES DISTRIBUA À CEUX QUI ÉTAIENT ALLONGÉS; ET DE MÊME DES POISSONS, AUTANT QU’ILS EN VOULAIENT.

859. Il traite maintenant du repas qui refait les forces, en commençant par dévoiler ce qui anime Jésus lorsqu’il donne le repas [n° 860], puis en disant quelle est la matière du repas [n° et en montrant qu’il rassasie parfaitement [ibid.].

Ce qui anime jésus lorsqu’il donne ce repas, c’est d’une part l’humilité [n° 860], d’autre part l’action de grâces [n° 861].

860. L’humilité parce que ce sont des pains reçus qu’il distribua. Certes le Christ, au moment de faire le miracle, pouvait nourrir les foules avec des pains créés à partir de rien. Mais c’est à dessein que, pour refaire les forces des fou les, il multiplia des pains déjà existants. D’abord pour mettre en évidence que les réalités sensibles ne doivent pas leur existence au diable comme le disent les Manichéens dans leur égarement; car si c’était vrai, le Seigneur n’aurait pas fait servir les réalités sensibles à l’oeuvre de la louange divine, d’autant que le Fils de Dieu est venu dans ce monde pour détruire les oeuvres du diable Ensuite, il agit ainsi pour mon trer qu’il est faux de dire, comme ils le font, que l’enseigne ment, de l’Ancien Testament n’est pas de Dieu mais du diable 67. C’est donc pour montrer que l’enseignement du Nouveau Testament n’est pas autre que celui qui était préfiguré et contenu dans l’enseignement de l’Ancien Testa ment, qu’il a multiplié des pains déjà existants, indiquant par là qu’il est lui-même celui qui a mené la Loi à sa perfection et l’a accomplie — Je ne suis pas venu abolir mais accomplir 68.

861. L’âme du Christ est aussi dans l’action de grâces: il rendit GRACES pour montrer qu’il tient d’un autre, c’est-à-dire du Père, tout ce qu’il a; en cela il nous donne l’exemple, pour que nous fassions de même. Son action de grâces a cependant ici un caractère particulier: il nous montre que nous devons, en commençant un repas, rendre grâces à Dieu: Rien n’est à proscrire de ce qu’on prend avec action de grâces 69 — Les pauvres mangeront et seront rassasiés, et ils loueront le Seigneur 70. Il nous montre également que sa prière d’action de grâces ne le concernait pas: elle était pour la foule, et il devait la persuader qu’il était venu de Dieu. Et si, au moment où il accomplit un miracle devant la multitude, il prie, c’est pour montrer que, loin de s’opposer à Dieu, il agit selon sa volonté 71. Il est dit en Marc que le Christ fit distribuer le pain aux foules par les Apôtres 72. Mais ici on dit qu’il les a distribués lui-même parce qu’il est évident qu’il faisait lui-même ce qu’il faisait faire par d’autres. A la lumière du mystère, l’un et l’autre sont vrais, parce que si lui seul refait les forces intérieurement, les autres les refont extérieurement et comme des serviteurs.
63. Ro 12, 2. "Ne vous conformez pas à ce siècle, c’est-à-dire aux choses qui passent avec le temps. En effet, le siècle présent est une certaine mesure des choses qui s’écoulent dans le temps. Et l’homme se rend conforme aux réalités temporelles par son affection, du fait qu’il s’y plonge en les aimant: Ils sont de abominables, semblables à ce qu’ils ont aimés (Os 9,10). La religion pure et immaculée auprès de Dieu le Père, c’est de se garder immaculé de ce siècle (Ja 1, 27). Il se conforme aussi à ce siècle, celui qui imite les moeurs du monde: Je témoigne dans le Seigneur que déjà vous ne marchez plus comme les païens marchent (Ep 4,17)" (Ad Romanos lect., XII, leç. 1, n" 965).
64. Nomb 1, 3: Depuis l’âge de vingt ans et au-dessus, tous ceux qui en Israël sont aptes à faire la campagne, vous les recenserez selon leurs armées, toi et Aaron.
65. 1 Corinthiens 2, 6.
66. He 5, 14.
67. 1 Jean 3, 8.
68. Mt 5, 17.
69. 1 Tm 4, 4.
70. Ps 21, 27.
71. Cf. CHRYSOSTOME, In loannem hom., 42, ch. 3, col. 242.


862. La matière du repas fut les pains et les poissons, dont on a suffisamment parlé plus haut [n° 854].

Quant au rassasiement procuré par le repas, il fut par fait: AUTANT QU’ILS EN VOULAIENT En effet, seul le Christ rassasie l’âme indigente et comble de biens l’âme affamée 73. Les autres, selon la mesure de la grâce qu’ils possèdent, font des miracles. Mais le Christ, agissant selon sa puissance absolue, faisait toutes choses avec une extrême surabondance; c’est pourquoi il est dit qu’ILS FURENT RASSASIES 74.


LORSQU’ILS FURENT RASSASIÉS, IL DIT À SES DISCIPLES: "RECUEILLEZ LES MORCEAUX QUI SONT RESTÉS, AFIN QUE RIEN NE SE PERDE. "

863. Les disciples recueillent les morceaux: l’Évangéliste rapporte d’abord l’ordre du Seigneur [n° 864], puis son exécution par les disciples [n° 865].

864. Si le Seigneur demande que l’on recueille les morceaux, ce n’est pas par ostentation, mais pour montrer que l’événement n’était pas irréel, puisque les restes recueillis ont été conservés un certain temps et ont profité à d’autres.

Il voulut aussi par là graver plus profondément l’événement miraculeux dans le coeur des disciples à qui il donna l’ordre d’emporter les morceaux, parce qu’il ne voulait rien négliger pour former ceux qui devaient enseigner le monde 75.
72. Mc 6, 41: Ayant pris les cinq pains et les deux poissons, et levé les yeux au ciel, il dit la bénédiction et rompit les pains, et il les donnait aux disciples pour les leur servir; et les deux poissons, il les partagea entre tous.
73. Cf. Luc 1, 53: Il comble de biens les affamés. Ps 16, 15: Je serai rassasié quand sera apparue ta gloire.
74. Cf. CHRYSOSTOME, loc. cit.


865. Et les disciples se sont exécutés fidèlement. En effet, ILS LES RECUEILLIRENT DONC, ET REMPLIRENT DOUZE COUFFINS DE MORCEAUX DES CINQ PAINS D’ORGE ET DES DEUX POISSONS QUI RESTÈRENT EN SURPL US À CEUX QUI AVAlENT MANGÉ.

Notons que le nombre des morceaux restés en surabondance n’était ni indéterminé ni laissé au hasard; mais il relevait d’une détermination, parce que ce n’est pas plus ou moins mais exactement comme il le voulait, que le Seigneur a produit cette surabondance. En voici le signe: le couffin de chaque Apôtre était plein (un couffin est un récipient utilisé pour les travaux de la campagne 76). Les douze couffins signifient donc les douze Apôtres et leurs imitateurs 77 qui, même s’ils sont comptés pour rien dans l’immédiat, n’en sont pas moins intimement comblés par les richesses des sacrements spirituels 78. On dit qu’ils sont douze parce qu’ils devaient proclamer la foi en la Sainte Trinité aux quatre parties du monde.
75. Cf. Sg 1,7; Cf. CHRYSOSTOME, loc. cit.
76. Cf. CHRYSOSTOME, loc. cit.




Jean 6, 14-25: L’EFFET DU MIRACLE

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Thomas sur Jean 39