Thomas sur Jean 41

41 Jn 6,14-25




Ces hommes donc, ayant vu le signe que Jésus avait fait, disaient: "Celui-ci est vraiment le Prophète qui doit venir dans le monde. " 5 Jésus donc, ayant connu qu’ils devaient venir pour l’enlever et le faire roi, s’enfuit de nouveau dans la montagne, tout seul. Lorsque le soir fut venu, ses disciples descendirent à la mer. '‘ Et quand ils furent montés dans la barque, ils vinrent de l’autre côté de la mer, vers Capharnaüm. Or les ténèbres s’étaient déjà faites et Jésus n’était pas venu à eux. 18 Cependant, au souffle d’un grand vent, la mer s’enflait. 19a Après donc qu’ils eurent ramé vingt-cinq ou trente stades, ils voient Jésus marchant sur la mer et s’approchant de la barque; 19b et ils craignirent. 20 il leur dit: "C’est moi, ne craignez pas. " 21a Ils voulurent donc le prendre dans la barque, "et aussitôt la barque toucha la terre à laquelle ils allaient. 22 Le jour suivant, la foule qui se tenait de l’autre côté de la mer observa qu’il n’y avait eu là qu’une seule barque, que jésus n’était pas monté avec ses disciples dans cette barque, mais que ses disciples seuls étaient partis 23 cependant, d’autres barques vinrent de Tibériade, près du lieu où ils avaient mangé le pain, le Seigneur ayant rendu grâces. 24 Quand donc la foule eut vu que Jésus n’était pas là, ni ses disciples non plus, ils montèrent dans les barques et vinrent à Capharnaüm, cherchant Jésus. Et l’ayant trouvé de l’autre côté de la mer, ils lui dirent: "Rabbi, quand es-tu venu ici?"

866. Après le signe visible — le don d’une nourriture corporelle —, l’Evangéliste rapporte les trois effets que ce signe a opérés sur les foules. Celles-ci confessent leur foi et tentent ensuite de manifester au Christ l’admiration qu’il a suscitée en elles [n° 869]; après qu’il a fui, elles se mettent avec empressement à sa recherche [n° 873].


I

£[6, 14] CES HOMMES DONC, AYANT VU LE SIGNE QUE JÉSUS AVAIT FAIT, DISAIENT: "CELUI-CI EST VRAIMENT LE PROPHÈTE QUI DOIT VENIR DANS LE MONDE. "

867. A propos de la confession de foi, il faut savoir que c’est comme de la bouche même des Juifs qu’il est dit dans le psaume: Nous n’avons plus vu de signes: il n'a plus de prophètes 79. Il était habituel, autrefois, que les prophètes fassent de nombreux signes; pour cette raison, les signes venant à manquer, il semblait que la prophétie devînt lettre morte; mais lorsqu’ils voient les signes, ils confessent que la prophétie leur est rendue. Voilà pourquoi déjà, à la seule vue du miracle, ils en étaient venus à tenir le Seigneur pour un prophète. Donc, il est dit: CES HOMMES qui avaient été rassasiés avec cinq pains, A YANT VU LE MIRACLE QUE JESUS AVAIT FAIT, DISAIENT: "CELUI-CI EST VRAIMENT LE PROPHETE. "

Cependant ils n’étaient pas encore parvenus à une foi parfaite, parce qu’ils tenaient pour un simple prophète celui qui, bien plus, est Seigneur des prophètes. Ils ne sont cependant pas complètement dans l’erreur, puisque le Seigneur lui-même se donne aussi le titre de prophète 80.

868. Sachons que le prophète est appelé voyant 81: Celui qu’on appelle aujourd’hui prophète s'appelait autrefois voyant 82. Or la vision se rapporte à la capacité de connaître; et le Christ possédait trois degrés de connaissance. Il possédait une connaissance sensible, et avait par là une certaine ressemblance avec les prophètes en ce sens que, dans l’imagination du Christ, pouvaient naître certaines formes sensibles qui représentaient des événements futurs ou cachés, ceci principalement à cause de la capacité de pâtir qui lui convenait selon son statut de pèlerin 83. Il possédait en outre la connaissance intellectuelle et, en celle-ci, il ne ressemblait pas aux prophètes, mais il est même au-dessus des anges parce qu’il avait une connaissance plus pénétrante que toute créature Enfin, il possédait la connaissance divine: par celle-ci il a été source de l’inspiration des prophètes et des anges, puisque toute connaissance a pour cause une participation au Verbe divin.

Nous voyons cependant les Juifs reconnaître dans le Christ l’excellence du prophète CELUI-CI EST VRAIMENT LE PROPHETE. Même si, en effet, il y a eu de nombreux prophètes chez les Juifs, un cependant était attendu, supérieur à tous les autres, d’après cette parole: Le Seigneur ton Dieu te suscitera du milieu d’entre tes frères un prophète et c’est bien de lui qu’ils parlaient; c’est pour cette raison qu’ils disent explicitement: QUI DOIT VENIR DANS LE MONDE.
78. Cf. ALCUIN, Comm. in S. Ioannis Evang., 3, ch. 12, col. 823.
79. Ps 73, 9.
80. Voir Mt 13, 57; Mc 6, 4; Luc 4, 24;Jean 4, 44. Cf. ALCUIN, Comm. in S. bannis Evang. 3, ch. 12, col. 823.
81. Cf. SAINT ISIDORE, Etymologiarum sive originu n libri, VII, VIII, 1.
82. 1 Sam 9, 9.
83. "Pèlerin" traduit le mot latin viator, littéralement: celui qui est en chemin. La tradition l’oppose à comprehensor qui signifie, à propos d’une compétition, le vainqueur, celui qui l’emporte.
84. Cf. Somme théologique, III, q. 11, a. 4.
85. Cf. ch. I, leç. 5, n° 129-132, vol. 1, pp. 163-166.
86. Cf. ch. IV, leç. 6, n° 667, vol. II, pp. 219-220.
87. Deut 18, 15.




II

JÉSUS DONC, A YANT CONNU QU’ILS DEVAlENT VENIR POUR L'ENLEVER ET LE FAIRE ROI, S'ENFUIT DE NOUVEAU DANS LA MONTAGNE, TOUT SEUL.

869. On rapporte ici le deuxième effet du signe sur les foules, lorsqu’elles entreprennent de manifester au Christ leur admiration et que cependant le Christ s’y soustrait. Ainsi, après la tentative de la foule, est rapportée la fuite du Christ [n° 871].

JÉSUS DONC, A YANT CONNU QU’ILS DEVAIENT VENIR POUR L’ENLEVER ET LE FAIRE ROI

870. L’Évangéliste mentionne la tentative des foules par ces mots: POUR L’ENLEVER ET LE FAIRE ROI. En effet, est enlevé celui qui est pris contre sa volonté et sans motifs véritables. Il était vrai que Dieu le Père, de toute éternité, avait tout disposé en vue de la manifestation du règne du Christ, mais cette manifestation n’était pas encore opportune. Le Christ était venu, certes, mais pas pour régner comme il le fera lorsque s’accomplira notre demande: que ton règne vienne 88; alors le Christ régnera aussi selon qu’il a été fait homme. Et à cause de cela, un autre moment a été disposé pour cette manifestation, c’est-à-dire lorsque la gloire de ses saints aura été dévoilée après le juge ment qu’il aura lui-même rendu. Au sujet de cette manifestation, les disciples demandaient: Seigneur, est-ce le temps où tu vas rétablir la royauté en Israël 89.

Les foules donc, croyant qu’il était venu pour régner, voulaient le faire roi. La raison en est que, la plupart du temps, les hommes veulent pour maître quelqu’un qui soit capable de leur assurer les biens temporels. C’est pourquoi, le Christ les ayant nourris, ils voulaient le faire roi — Tu as un manteau: sois notre roi 90. Ainsi s’éclaire ce que dit Chrysostome: "Vois la force de la gourmandise. Il n’est plus pour eux aucun souci de la transgression du sabbat, ils ne font plus preuve de zèle pour Dieu, mais toutes ces choses se sont évanouies, parce qu’ils se sont rempli le ventre. Mais aussi, le Prophète était enfin parmi eux et ils voulaient le faire roi" 91.


JÉSUS S’ENFUIT DE NOUVEAU DANS LA MONTAGNE, TOUT SEUL.

871. L’Évangéliste en vient à la fuite du Christ. En disant DE NOUVEAU, il laisse entendre que le Seigneur, voyant les foules, était descendu de la montagne et qu’il les avait nourries en un lieu moins élevé: sien effet il n’était pas descendu de la montagne, on ne dirait pas qu’il y fuit de nouveau 92.

Mais puisqu’il est vraiment roi, pourquoi fuit-il? Il y a à cela trois raisons. L’une parce qu’il aurait dérogé à son rang s’il avait reçu sa royauté de l’homme, lui qui était roi de telle sorte que tous les rois le sont par participation à sa royauté — par moi règnent les rois 93. La seconde raison est qu’il aurait porté préjudice à son enseignement s’il avait reçu gloire et soutien des hommes. Par ses actes et son enseignement, il était tout relatif à la puissance divine et non à la faveur humaine — Je ne reçois pas de gloire venant des hommes 94. Il y a une troisième raison, et puisse-t-elle nous apprendre à mépriser l’estime du monde — Car je vous ai donné l’exemple, afin que, comme je vous ai fait, vous fassiez aussi vous-mêmes 95 — Ne recherche pas le pouvoir auprès des hommes 96. Ainsi donc, il a rejeté la gloire du monde pour se soumettre de lui-même au châtiment, d’après ce passage de l’épître aux Hébreux: Au lieu de la joie qui lui était proposée, il endura la croix, ayant méprisé son infamie 97.
88. Mt 6, 10.
89. Ac 1, 6. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract. in Ioann., XXV, 2, p. 427.
90. Isaïe 3, 6.
91. In boannem hom., 42, ch. 3, col. 243.


872. Nous voyons cependant en Matthieu un récit con traire: Il monta sur la montagne prier seul 98. Mais d’après Augustin 99, les deux passages ne sont pas contraires, parce que s’il y a cause de fuite, alors il y a nécessairement motif de prière. Le Seigneur nous enseigne ainsi que l’imminence de ce qui cause la fuite est un puissant appel à prier.

Au sens mystique, il gravit la montagne lorsque les foules, restaurées, eurent été préparées à s’attacher à lui, parce qu’il monta au ciel une fois que les peuples eurent été pré parés à se soumettre à la vérité de la foi: L'assemblée des peuples t’environnera; au-dessus d’elle, regagne la hauteur 100, c’est-à-dire lorsqu’elle t’environnera, regagne la hauteur.

Mais l’Evangéliste a dit S’ENFUIT, autrement dit, s’échappa, pour souligner que son élévation ne nous est pas compréhensible: en effet, ce que nous ne comprenons pas, nous disons que cela nous échappe.
92. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cil., XXV, 1, p. 425.
93. Prov 8, 15. Cf. loc. cit., XXV, 2, p. 427.
94. Jean 5, 41.
95. Jean 13, 15.
96. Nous avons gardé pour cette citation de Sir 7, 4 la version donnée par l’édition Marietti, attestée par de nombreux mAriuscrits de la Bible. Selon la correction proposée par l’édition léonine, saint Thomas aurait cité d’après une autre version, conforme au texte grec: Ne recherche pas le pouvoir auprès du Seigneur. La divergence de sens d’avec le contexte nous incline à ne pas garder une telle correction.
97. He 12, 2. Les deux dernières raisons sont empruntées d’une manière éloignée à Chrysostome (In loannem hom., 42, ch. 3, col. 243).
98. Mt 14, 23.
99. De consensu evangelistarum, II, 47, 100, PL 34, col. 1127-28. Les deux interprétations qui suivent sur la fuite de Jésus, en référence à son Ascension et à sa transcendance, lui sont reprises aussi (voir Tract, in Ioann., XXV, 3, p. 431; 4, p. 433).
100. Ps 7, 8.




III


873. Il s’agit ici du troisième effet du signe: la recherche empressée du Seigneur, de la part des disciples, mais aussi des foules [n° 885].

DÈS QUE LE SOIR FUT VENU, SES DISCIPLES DES DIRENT À LA MER. ET QUAND ILS FURENT MONTÉS DANS LA BARQUE, ILS VINRENT DE L’AUTRE CÔTE DE LA MER, VERS CAPHARNAÜM. OR LES TÉNÈBRES S’ÉTAlENT DÉJÀ FAITES ETJÉSUS N’ÉTAIT PAS VENUÀ EUX. CEPENDANT, AU SOUFFLE D’UN GRAND VENT, LA MER S’ENFLAIT APRÈS DONC QU’ILS EURENT RAMÉ VINGT-CINQ OU TRENTE STADES, ILS VOIENT JÉSUS MARCHANT SUR LA MER ET S’APPROCHANT DE LA BARQUE; ET ILS CRAIGNIRENT. MAIS IL LEUR DIT: "C’EST MOI, NE CRAIGNEZ PAS. " ILS VOULURENT DONC LE PRENDRE DANS LA BARQUE, ET AUSSITÔT LA BARQUE TOUCHA LA TERRE À LAQUELLE ILS ALLAIENT

Au sujet des disciples, l’Évangéliste souligne avec quelle insistance ils cherchent le Christ [n° 874]; ensuite il y revient plus longuement [n° 876], après avoir seulement mentionné la descente des disciples vers la mer et la traversée [n° 875].


DÈS QUE LE SOIR FUT VENU, SES DISCIPLES DESCEN DIRENT À LA MER.

874. A propos de la recherche des disciples, il faut savoir que le Christ gravit la montagne à l’insu de ses disciples. Ils attendirent pour cette raison jusqu’au soir, pensant qu’il allait les rejoindre. Le soir tombé, ils n’y tiennent plus et se mettent à sa recherche, tant l’amour les possédait. Et c’est pourquoi l’Evangéliste dit: DES QUE LE SOIR FUT VENU, SES DISCIPLES DESCENDIRENT A LA MER en le cherchant.

Au sens mystique, le SOIR désigne la Passion du Seigneur ou son Ascension: aussi longtemps que Jésus fut pré sent à ses disciples avec son corps, aucun trouble ne les arrêtait, aucune amertume ne les tourmentait: Les fils de l’époux peuvent-ils s’attrister tant que l’époux est avec eux? 101 Mais le Christ s’étant séparé d’eux, ils descendent vers la mer, c’est-à-dire vers les troubles du siècles: Voici la grande mer... 102

ET QUAND ILS FURENTMONTÉS DANS LA BARQUE, ILS VINRENT DE L'AUTRE CÔTÉ DE LA MER, VERS CAPHARNAÜM.

875. Mais, à cause de l’amour dont ils étaient enflammés, ils ne pouvaient supporter plus longtemps que man que la présence du Seigneur; c’est pourquoi ils en viennent à traverser la mer: ET QUAND ILS FURENT MONTES DANS LA BARQUE, ILS VINRENT DE L’AUTRE COTE DE LA MER 103. OR LES TÉNÈBRES S’ÉTAIENT DÉJÀ FAITES ET JÉSUS N’ÉTAIT PAS VENU À EUX. CEPENDANT, AU SOUFFLE D’UN GRAND VENT, LA MER S’ENFLAIT.

876. L’Évangéliste explicite ici ce qu’il avait sommaire ment noté: le trajet jusqu’à lamer, puis la traversée [n° 878].


OR LES TÉNÈBRES S’ÉTAIENT DEJÀ FAITES ET JÉSUS N’ÉTAIT PAS VENU À EUX.

877. Ce n’est pas sans raison que les ténèbres sont mentionnées, mais pour manifester par là la ferveur de leur amour. En effet, ni le soir ni la nuit n’ont arrêté les disciples 104.

Au sens mystique, les ténèbres désignent le manque de charité. La charité est en effet la lumière, d’après ce passage: Celui qui aime son frère demeure dans la lumière 105. Les ténèbres sont donc en nous tant que Jésus, la lumière véritable, n’est pas parvenu jusqu’à nous, comme il est dit plus haut 106, lui dont la présence chasse toutes les ténèbres 107.

Si le Christ s’est soustrait aussi longtemps à ses Apôtres, c’est d’abord pour qu’ils éprouvent ce qu’était son absence, ce dont ils ont fait l’expérience en mer, lors de la tempête — Pour en avoir fait l’expérience, vois combien il est mauvais et amer d’abandonner le Seigneur 108 —, mais aussi pour qu’ils le recherchent avec encore plus de diligence — Où est parti ton bien-aimé, ô la plus belle des femmes, (...) et nous le chercherons avec toi 109.

878. De la traversée, l’Évangéliste dit: CEPENDANT, AU SOUFFLE D'UN GRAND VENT, LA MER S'ENFLAIT. Il note d’abord la tempête de mer [n° 879], puis l’apparition du Christ et le moment de son apparition [n° 880], et enfin l’effet de l’apparition [n° 881].
101. Mt 9, 15. L’expression "les fils de l’époux" est un hébraïsme qui désigne ses compagnons et amis qui préparent la noce et y participent ensuite; elle durait ordinairement sept jours.
102. Ps 103, 25.
103. Cette explication est très proche de celle de saint Jean Chrysostome, In loannem hom., 43, ch. 1, col. 245.
104. Cf. CHRYSOSTOME loc. cit.
105. 1Jn2, 10.
106. Cf. Jean 1, 9 — Il était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde — et les numéros 102 à 107 et 124 à 132 du commentaire de saint Thomas, vol. I, pp. 139 à 145 et 159 à 166.
107. Cf. 1 Jean 2, 8: Les ténèbres s'en vont et la lumière véritable brille d Voir SAINT AUGU5TIN, Tract. in Ioann., XXV, 5, p. 435.
108. Jr 2,19.
109. Gant 6, 1. Voir CHRYSOSTOME, loc. cit.





CEPENDANT, AU SOUFFLE D'UN GRAND VENT, LA MER S'ENFLAIT

879. Sur la mer, la tempête était provoquée par le souffle du vent qui s’était levé, et c’est pourquoi il dit:

CEPENDANT, AU SOUFFLE D'UN GRAND VENT, LA MER S'ENFLAIT, au large. Parce vent on désigne la tentation et la persécution par lesquelles passera l’Eglise à cause du man que de charité. En effet, comme le dit Augustin, là où la charité se refroidit, les vagues grandissent et la barque est secouée. Et cependant, ni ces vents, ni la tempête, ni les vagues, ni les ténèbres, ne réussissent à l’empêcher d’avancer ni à la disloquer et finalement à la submerger: Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. — Les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison et elle n’a pas été renversée 110.

880. L’apparition du Christ n’eut pas lieu dès le début de la tempête, mais après un certain temps; c’est pour cela que l'Evangéliste dit: APRES DONC QU’ILS EURENT RAME VINGT-CINQ OU TRENTE STADES, ILS VOIENT JESUS. Et cela pour nous faire comprendre que le Seigneur permet que nous soyons tourmentés pour un temps afin d’éprouver notre force. Au terme cependant, lorsque l’épreuve est sur le point de nous écraser, il ne nous abandonne pas, il se fait proche de nous: Dieu est fidèle, qui ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces, mais qui ménagera, avec la tentation, la voie par laquelle vous pourrez la supporter 111.

D’après Augustin, les vingt-cinq stades qu’ils franchissent en ramant sont les cinq livres de Moïse. En effet, un tel nombre est un carré, obtenu par la multiplication du nombre cinq par lui-même: cinq fois cinq en effet font vingt-cinq. Or le nombre multiplié conserve la signification de sa racine: pour cette raison, de même que l’on désigne par cinq l’ancienne Loi, de même aussi par vingt-cinq. Par trente, on désigne la perfection du Nouveau Testament qui manquait à la Loi. En effet, si ces mêmes cinq sont multipliés par six, qui est un nombre parfait, apparaît le nombre trente 112.

A ceux qui parcourent en ramant les vingt-cinq ou trente stades, c’est-à-dire qui accomplissent la Loi ou la perfection évangélique, à ceux-là Jésus vient, foulant aux pieds toutes les agitations du monde et toutes les prétentions du siècle — C’est toi qui domines la puissance de la mer, et le mouvement de ses flots, c’est toi qui l’apaises 113. Ils voient alors le Christ approcher de la barque, c’est-à-dire qu’ils voient approcher le secours divin — Le Seigneur est proche de tous ceux qui l’invoquent 114.

Il apparaît donc que, à ceux qui le recherchent avec droiture, le Christ accorde sa présence. Or les Apôtres le désiraient avec une extrême ferveur; ce que prouvent l’obscurité du moment, la tempête de la mer et l’éloignement du port, obstacles malgré lesquels ils s’efforçaient de le rejoindre. Et c’est pourquoi le Christ se rendit présent à eux.
110. Mt 24, 13 et 7, 25. Tract. in Ioann., XXV, 5-6, p. 437.
111. 1 Corinthiens 10, 13.
112. Op. cit., XXV, 6, p. 439. Six est un nombre parfait car il est la somme exacte de ses parties: le sixième, le tiers et la moitié. Cf. De div. quaest. 83, q. 57, 3, BA 10, p. 169; et De Trinitate, IV, Iv, 7, BA 15, p. 356. L’interprétation allégorique du Christ écrasant les agitations du monde et venant à ceux qui accomplissent la Loi est reprise aussi au même passage du commentaire de saint Augustin.
113. Ps88, 10.
114. Ps 144, 18.



ET ILS CRAIGNIRENT. MAIS IL LEUR DIT: "C’EST MOI, NE CRAIGNEZ PAS. " ILS VOULURENT DONC LE PRENDRE DANS LA BARQUE, ET AUSSITÔTLA BARQUE TOUCHA LA TERRE À LAQUELLE ILS ALLAIENT

881. L’Évangéliste expose ici l’effet de l’apparition; d’abord l’effet intérieur [n° 882], puis l’effet extérieur.

882. L’effet intérieur fut la crainte. Et c’est pourquoi on rapporte en premier lieu la crainte des disciples conçue à l’apparition soudaine du Christ: ET ILS CRAIGNIRENT, d’une crainte bonne qui est causée par l’humilité — Ne conçois pas d’orgueilleux desseins, mais crains 115 ou d’une crainte mauvaise parce que, selon le récit de Matthieu, les disciples, le voyant marcher sur la mer, furent troublés et se disaient: "c’est un fantôme" et sous l’effet de la crainte, ils poussaient des cris 116 — Ils ont tremblé de crainte là où il n'y avait pas à craindre 117. Cette crainte se rencontre principalement chez les gens soumis à la chair, parce qu’ils redoutent les réalités spirituelles.

En second lieu, l’Evangéliste nous dit l’aide apportée par le Christ face à un double péril: le péril de la foi dans l’intelligence, et quant à cela il dit: C'EST MOI, comme chassant toute incertitude — Voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi" et le péril de la crainte dans la volonté; quant à celui-ci, il dit: NE CRAIGNEZ PAS — A la face des peuples, sois sans crainte — Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte? 120

En troisième lieu est rapportée l’arrivée des disciples à hauteur du Christ: ILS VOULURENT LE PRENDRE DANS LA BARQUE, ce qui signifie que lorsque la crainte servile est chassée de nos coeurs, alors nous recevons le Christ en l’aimant et en le contemplant: Voici que je me tiens à la porte et je frappe; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui 121.


ET AUSSITÔT LA BARQUE TOUCHA LA TERRE À LAQUELLE ILS ALLAIENT

883. L’effet extérieur concerna la barque qui, une fois la tempête apaisée, toucha aussitôt terre, alors que, d’après la distance parcourue, elle en était encore très éloignée. Le Christ ne leur a pas assuré une navigation fictive, mais tranquille. Et voulant accomplir un plus grand miracle, il ne monta pas dans la barque.

Ainsi donc, trois miracles se rejoignent ici: la marche sur la mer, l’arrêt soudain de la tempête, l’acheminement de la barque au port encore éloigné. Pour que nous apprenions que les croyants en qui le Christ demeure répriment l’agitation du monde, foulent aux pieds le flot des tribulations et accomplissent rapidement leur traversée vers la terre des vivants 122, d’après le psaume: Ton esprit de bonté me conduira dans une terre sans embûches 123.
115. Ro 11, 20.
116. Mt 14, 26.
117. Ps 13, 5. Cf. SAINT THOMAS, Ad Rom. lect., VIII, Ieç. 3 nos 638-643. Voir aussi n° 969, note 112.
118. Luc 24, 39.
119. Jr 1,8.
120. Ps 26, 1.
121. Ap 3, 20.


884. Mais ici, trois questions se posent. L’une concerne la lettre, à propos de laquelle jean affirme manifestement le contraire de Matthieu: en effet, Matthieu dit que les disciples gagnèrent la mer sur l’ordre du Seigneur 124, or ici, ils y descendent en le cherchant. Une autre question se pose: Matthieu dit au même endroit que c’est en passant par la mer que les disciples parviennent en terre de Génésareth 125. Or ici, il est dit qu’ils arrivèrent à Capharnaüm. Troisième question: Matthieu dit que le Christ monta dans la barque, et jean qu’il n’y monta pas.

Chrysostome 126 affirme, se débarrassant du même coup des trois questions, que ce miracle ne fut pas le même que celui rapporté par Matthieu. En effet, comme il le dit lui-même, le Christ accomplit fréquemment des miracles tels que marcher sur les eaux, non pas devant les foules, mais devant ses seuls disciples pour éviter que les foules croient qu’il n’avait pas un vrai corps.

Mais d’après Augustin 127, il est dit, et c’est plus juste, que ce fut le même miracle, rapporté ici par Jean, là par Matthieu. Et c’est pourquoi, répondant à la première question, il dit qu’il importe peu que Matthieu dise que ceux-ci étaient descendus à la mer sur l’ordre du Christ. Il a pu se faire en effet que le Seigneur le leur ait ordonné et qu’eux soient descendus, croyant que le Christ allait naviguer avec eux. Voilà pourquoi ils l’attendirent jusqu’à la nuit; et parce que le Christ ne venait pas, alors ils franchirent la mer.

A la seconde question, il y a deux réponses. La première tient au fait que Capharnaüm et Génésareth sont sur la même rive et voisines. Et les disciples, peut-être, parvinrent par la mer aux confins des deux; C’est pour cela que Matthieu nomme l’une, Jean l’autre. On peut aussi dire que Matthieu ne précise pas qu’ils vinrent tout de suite à Génésareth; c’est pourquoi, peut-être, ils vinrent d’abord à Capharnaüm, puis de là à Génésareth 128.
122. Ps 26, 13.
123. P 142, 10. Saint Thomas applique au croyant ce que saint Augustin disait du Christ; voir note 112 in fine.
124. Cf. Mt 14, 22.
125. Cf. Mt 14, 34.
126. In loannem hom., 43, ch. 1, col. 245-6. Chrysostome remarque dans les deux récits plusieurs divergences qui permettent d’affirmer qu’il s’agit de deux miracles différents. Cependant, lorsqu’il commente le récit de saint Matthieu, il fait intervenir celui de saint Jean (verset. 21), ce qui suppose qu’il les considère comme nous rapportant tous les deux le même miracle (In Matthaeum homiliae, 50, ch. 2, PG 58, col. 506).
127. De consensu evangelistarum, II, 46, PL 34, col. 1125-27.
128. Saint Thomas ne répond pas à la troisième question, qu’il avait lui-même soulevée indépendamment (comme ce fut le cas pour la deuxième) de saint Augustin et de saint Jean Chrysostome.




LA RECHERCHE DES FOULES

42 Jn 6,22-25





LE JOUR SUIVANT, LA FOULE QUI SE TENAIT DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA MER OBSERVA QU’IL N’Y AVAIT EU LÀ QU’UNE SEULE BARQUE,

QUE JÉSUS N’ÉTAIT PAS MONTÉ AVEC SES DISCIPLES DANS CETTE BARQUE MAIS QUE SES DISCIPLES SEULS ÉTAIENT PARTIS; CEPENDANT, D’AUTRES BARQUES VINRENT DE TIBÉRIADE, PRÈS DU LIEU OÙ ILS AVAIENT MANGÉ LE PAIN, LE SEIGNEUR AYANT RENDU GRÂCES. QUAND DONC LA FOULE EUT VU QUE JÉSUS N’ÉTAIT PAS LÀ, NI SES DISCIPLES NON PLUS, ILS MONTÈRENT DANS LES BARQUES ET VINRENTÀ CAPHARNAUM, CHERCHANT JÉSUS. ET L’AYANT TROUVÉ DE LAUTRE CÔTÉ DE LA MER, ILS LUI DIRENT: "RABBI, QUAND ES-TU VENU ICI?"

885. Après avoir rapporté la manière dont les disciples cherchèrent le Christ, l’Evangéliste considère maintenant les foules qui le cherchaient.

Il expose d’abord ce qui les a poussées à le chercher [n° 886] et l’occasion qu’elles ont saisie pour mettre ce dessein à exécution [n° 887]. Vient enfin le récit de la recherche elle-même [n° 888].

LE JOUR SUIVANT, LA FOULE QUI SE TENAIT DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA MER OBSER VA QU1L N’Y AVAIT EU LÀ QU’UNE SEULE BARQUE, QUE JÉSUS N’ÉTAIT PAS MONTÉ AVEC SES DISCIPLES DANS CETTE BARQUE, MAIS QUE SES DISCIPLES SEULS ÉTAIENT PARTIS.

886. Ce qui a poussé les foules à chercher le Christ, c’est le miracle qu’il vient d’accomplir: franchir la mer sans embarcation. Le miracle leur apparaît du fait que depuis le crépuscule il n’était pas sur le rivage, proche du lieu où il avait accompli le miracle des pains; la seule barque qui avait été sur ce rivage était passée avec les disciples sur l’autre bord, sans le Christ. C’est pourquoi, lorsqu’au matin ils ne trouvèrent pas le Christ sur le bord où ils étaient la veille, mais constatèrent qu’il était déjà de l’autre côté sans avoir eu aucune embarcation pour traverser, ils se doutèrent qu’il avait accompli la traversée en marchant sur la mer. C’est ce qu’exprime l’Evangéliste en disant: LE JOUR SUIVANT celui du miracle des pains, LA FOULE QUI SE TENAIT DE L’AUTRE CÔTE DE LA MER où il avait accompli le miracle OBSERVA QU’IL N’Y AVAIT EU LA QU’UNE SEULE BARQUE, parce que la veille il n’y en avait pas eu d’autres que celle-là, et vit QUE JESUS N’ETAIT PAS MONTE AVEC SES DISCIPLES DANS CETTE BARQUE 129.

Cette unique barque signifie l’Eglise qui est une par l’unité de la foi et des sacrements: Une seule foi, un seul baptême 130. Quant au fait que Jésus n’est pas avec ses disciples, il signifie la séparation physique que l’Ascension réalise entre le Christ et ses disciples: Le Seigneur, après leur avoir parlé, fut emporté au ciel 131.
129. Saint Thomas suppose ce raisonnement de la part des Juifs à la suite de saint Jean Chrysostome, In loannem hom., 43, ch. 1, col. 246.
130. Eph 4, 5.



CEPENDANT, D'AUTRES BARQUES VINRENT DE TIBÉRIADE, PRÈS DU LIEU OÙ ILS AVAIENT MANGÉ LE PAIN, LE SEIGNEUR AYANT RENDU GRÂCES.

887. L’occasion de la recherche est donnée par l’arrivée d’autres barques, d’un autre endroit de la mer, avec lesquelles ils pouvaient la traverser pour chercher le Christ; et c’est pourquoi l’Evangéliste dit: D’AUTRESBARQUESS, URVIN RENT, d’un autre endroit, c’est-à-dire DE TIBERIADE, PRES DU LIEU OÙ ILS AVAIENT MANGÉ LE PAIN.

Ces autres barques qui surviennent signifient les groupes d’hérétiques et ceux qui cherchent leurs intérêts et non pas ceux du Christ: Vous me cherchez (. .) parce que vous avez mangé des pains 132. S’il y a d’autres barques, c’est qu’elles sont séparées de l’Eglise, du point de vue soit de la foi pour les hérétiques, soit de la charité pour les hommes charnels; de l’extérieur cependant, ils semblent en être proches dans la mesure où ils font état d’une foi simulée et ont une apparence de sainteté: Ceux qui ont l’apparence de la piété, mais qui en rejettent la source... 133 — Il n'est pas étonnant que les serviteurs de Satan prennent l’apparence de serviteurs de justice 134.
131. Mc 16, 19.
132. Jean 6, 26. Cf. ALCUIN, Comm. in S. Ioannis Evang., 3, ch. 13, col. 827 D.
133. 2 Tm 3, 5.
134. 2 Co 11, 15.


888. La recherche fut empressée. L’Évangéliste rap porte d’abord comment la foule se met à la recherche du Christ [n° 889], puis comment, l’ayant trouvé, elle l’interroge [n° 890].


QUAND DONC LA FOULE EUT VU QUE JÉSUS NÉTAIT PAS LA, NI SES DISCIPLES NON PLUS, ILS MONTERENT DANS LES BARQUES ET VINRENT A CAPHARNAUM, CHERCHANT JÉSUS.

889. Il dit donc d’abord que QUAND LA FOULE EUT VU QUE JESUS N’ETAIT PAS LA, NI SES DISCIPLES NON PLUS, ILS MONTERENT DANS LES BARQUES qui étaient arrivées de Tibériade, le CHERCHANT, ce qui est louable: Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver 135. Cherchez le Seigneur et votre âme vivra 136.



ET L’AYANT TROUVÉ DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA MER, ILS LUI DIRENT: "RABBI, QUAND ES-TU VENU ICI?"

890. Mais l’ayant trouvé, ils l’interrogent: les Juifs, AYANT TROUVE le Christ DE L’AUTRE COTE DE LA MER, LUI DIRENT: "RABBI, QUAND ES-TU VENU ICI?"

On peut comprendre cette question de deux manières: ou bien ils cherchent seulement à savoir quand il est arrivé, et alors, selon Chrysostome 137: il faut blâmer les rustres qui, après un si grand miracle, ne cherchent pas à savoir comment s’est accomplie la traversée — c’est-à-dire de quelle manière il l’a accomplie sans embarcation —, mais seule ment à quel moment elle s’est accomplie.

Ou bien on peut dire que leur interrogation ne porte pas seulement sur le temps, mais aussi sur les autres circonstances de la traversée miraculeuse.

891. Mais remarquons que, plus haut, après qu’il eut refait leurs forces, ils voulaient le faire roi, alors que maintenant qu’il est présent et qu’ils le tiennent, ils ne veulent plus le faire roi. En voici la raison: ils voulaient le faire roi sous l’effet de la joie causée par le repas. Or les passions de cette sorte sont fugitives, et c’est pour cela que tout ce qui est fondé sur elles est passager; ce qui, au contraire, est fondé sur l’intelligence, est plus stable: L'homme de Dieu, semblable au soleil, demeure dans sa sagesse, mais l’insensé est changeant comme la lune 138— L’impie fait une oeuvre instable 139.
135. Isaïe 55, 6.
136. Ps 68, 33.
137. CHRYSOSTO op. cit., 43, ch. 1, col. 246.
138. Sir27, 11.
139. Prov 11, 18.



LA REVELATION DE LA NOURRITURE SPIRITUELLE

892. Après cela, [on voit] le Seigneur traiter de la nourriture spirituelle, dont il met la vérité en lumière, pour écarter ensuite les opinions qui viennent la contredire.



Jean 6, 26-40a: L’ENSEIGNEMENT DE LA VÉRITÉ





26 leur répondit et dit: "Amen, amen, je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé des pains et avez été rassasiés. 2ia Travaillez non pas en vue de la nourriture qui périt, mais en vue de celle qui demeure pour la vie éternelle, 7b et que le Fils de l’homme vous donnera; car Dieu le Père l’a marqué. " Ils lui dirent donc: "Que ferons-nous pour travailler aux oeuvres de Dieu?" 29 répondit et leur dit: "L’oeuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. " 30 Ils lui dirent donc: "Quel signe fais-tu donc pour que nous voyions et croyions en toi? Quelle oeuvre fais-tu?" Nos pères ont mangé la manne dans le désert, comme il est écrit: Il leur a donné à manger un pain du ciel. " 32 leur dit donc: "Amen, amen, je vous le dis, ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel, mais c’est mon Père qui vous donne le vrai pain du ciel. 33 Car le vrai pain [Dieu] est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde. " 34 lui dirent donc: "Seigneur, donne-nous toujours ce pain. " 3 leur dit: "C’est moi qui suis le pain de vie qui vient à moi n’aura pas faim, et qui croit en moi n’aura jamais soif. Mais je vous l’ai dit, vous m’avez vu, et vous ne croyez pas. Tout ce que me donne le Père viendra à moi, et celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors, parce que je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Or c’est la volonté de celui qui m’a envoyé — le Père — que de tout ce qu’il m’a donné, je ne perde rien, mais que je le ressuscite au dernier jour. 40a Car c’est la volonté de mon Père qui m’a envoyé, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle 40b et moi je le ressusciterai au dernier jour."



Le Seigneur nous enseigne la vérité sur la nourriture spirituelle en nous en découvrant la puissance [n° 895], puis l’origine [n° 903], et enfin en enseignant la manière de la prendre.


JÉSUS LEUR RÉPONDIT ET DIT: "AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, VOUS ME CHERCHEZ, NON PARCE QUE VOUS A VEZ VU DES SIGNES,

MAIS PARCE QUE VOUS AVEZ MANGÉ DES PAINS ET A VEZ ÉTÉ RASSASIÉS. TRAVAILLEZ NON PAS EN VUE DE LA NOURRITURE QUI PÉRIT, MAIS EN VUE DE CELLE QUI DEMEURE POUR LA VIE ÉTERNELLE, ET QUE LE FILS DE L'HOMME VOUS DONNERA; CAR DIEU LE PÈRE L'A MARQUÉ. " ILS LUI DIRENT DONC: "QUE FERONS-NOUS POUR TRAVAILLER AUX OEUVRES DE DIEU?" JÉSUS RÉPONDIT ET LEUR DIT: "L’OEUVRE DE DIEU, C’EST QUE VOUS CROYIEZ EN CELUI QU’IL A ENVOYÉ. "

Avant de parler de la puissance de cette nourriture, le Seigneur en révèle l’existence. Après cela, il manifeste ce qu’elle est [n° 899]. A propos de son existence, il dénonce la cupidité perverse des Juifs, puis il les exhorte à se soumettre à la vérité [n° 894].    

893. Le Seigneur dit donc: AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, bien que vous vous comportiez comme si vous m’étiez dévoués, cependant VOUS ME CHERCHEZ NON PARCE QUE VOUS AVEZ VU DES SIGNES, MAIS PARCE QUE VOUS AVEZ MANGÉ DES PAINS ET A VEZ ÉTÉ RASSASIÉS, comme pour dire: c’est à cause de la chair et non de l’esprit que vous me cherchez; en effet, c’est pour être à nouveau rassasiés.

Et comme le dit Augustin 1, ils se trouvent dans cette même situation, ceux qui cherchent Jésus non pas pour lui-même mais pour en obtenir certains avantages profanes: ainsi ceux qui, engagés dans les choses du monde, s’adressent aux dignitaires de l’Eglise et aux clercs, non pas à cause du Christ, mais pour que, par leur intercession, ils soient introduits auprès des grands. Tels sont aussi ceux qui se réfugient auprès des Eglises non pas à cause de Jésus mais parce qu’ils sont opprimés par de plus forts qu’eux, comme d’ailleurs ceux qui, s’approchant du Seigneur par les ordres sacrés, y recherchent non pas le mérite de la vertu mais des ressources pour la vie présente, les richesses et les honneurs, comme le dit Grégoire 2. Et cela est vérifié ici: en effet, accomplir des signes revient à la puissance divine, mais manger le pain multiplié n’est que temporel. Ceux qui ne viennent pas au Christ à cause de la puissance qu’ils voient en lui, mais parce qu’ils se nourrissent de pain, ne servent donc pas le Christ mais leur ventre, comme il est dit dans l’épître aux Philippiens 3— Il te reconnaîtra lorsque tu lui auras fait du bien 4.
1. Tract, in Ioann., XXV, 10; BA 72, pp. 445-447.
2. Moralium libri, 23, ch. 24, PL 76, col. 282.
3. Phi 3, 19: 11 en est (...) qui se conduisent en ennemis de la Croix du Christ. Leur fin, c’est la perdition; leur dieu, c’est leur ventre.
4. Ps 48, 19. Saint Thomas commente ainsi ce verset: "Il arrive parfois que les pécheurs louent Dieu ou accomplissent des oeuvres qui en soi sont bonnes; mais que survienne l’adversité, et leur louange cesse, ou bien leurs bonnes oeuvres. Voilà pourquoi le psalmiste se tourne vers Dieu en disant: O Dieu, celui-ci, c’est-à-dire le pécheur ou quiconque est dans l’abondance, te confessera, c’est-à-dire te louera, parce que tu lui auras fait du bien, parce que tu lui auras donné les biens temporels qu’il aime: La bénédiction du Seigneur enrichit (Pr 10,22). Jérôme dit: 'Ils te loueront lorsque tout aura bien été pour eux*, c’est-à-dire: les hommes louent les riches et en sont les esclaves aussi longtemps qu’ils subviennent à leurs besoins et qu’ils sont favorisés dans leurs richesses. Mais si la fortune change, ils changent; ils ne les louent plus, mais les dénigrent" (Expositio in Psalmos, 48, n° 10).


894. Il les ramène à la vérité en leur donnant connaissance d’une nourriture spirituelle; il parle d’abord de sa puissance, puis de son auteur [n° 897].


TRAVAILLEZ NON PAS EN VUE DE LA NOURRITURE QUI PÉRIT, MAIS EN VUE DE CELLE QUI DEMEURE POUR LA VIE ÉTERNELLE.

895. La puissance de cette nourriture ressort du fait qu’elle ne périt pas. Sachons à ce propos que les réalités corporelles ont une certaine ressemblance avec les réalités spi rituelles dans la mesure où celles-ci en sont cause et source; et c’est pourquoi elles imitent en quelque manière les réalités spirituelles. Or le corps est soutenu par la nourriture; cela donc qui soutient l’esprit, quoi que ce soit, en est appelé la nourriture. Et ce qui soutient le corps, puisqu’il passe dans la nature de ce corps, est corruptible; mais la nourriture qui soutient l’esprit est incorruptible parce qu’elle n’est pas changée en l’esprit lui-même, mais c’est au contraire l’esprit qui est changé en la nourriture. Voilà pourquoi Augustin dit: "Je suis la nourriture des grands; grandis et tu me mangeras. Et tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ta chair; mais c’est toi qui seras changé en moi 5.

C’est pour cela que le Seigneur dit: TRAVAILLEZ, c’est-à-dire, recherchez en travaillant — autrement dit, méritez par vos travaux — non pas LA NOURRITURE QUI PERIT, celle qui est corporelle — Les aliments sont pour le ventre et le ventre pour les aliments, et Dieu abolira l’un comme l'autre 6, les autres parce qu’on ne fera pas toujours usage des aliments, mais TRAVAILLEZ en vue de cette nourriture, celle de l’esprit, QUI DEMEURE POUR LA VIE ÉTERNELLE. Cette nourriture est Dieu lui-même en tant qu’il est la vérité à contempler et la bonté à aimer qui nourrissent l’esprit — Mangez mon pain 7 — Elle l’a nourri d’un pain de vie et d’intelligence 8. Cette nourriture est aussi l’obéissance aux commandements divins — Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé 9; et encore le Christ lui-même — C’est moi qui suis le pain de vie 10. Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson 11, cela en tant que [sa chair est] conjointe au Verbe de Dieu qui est la nourriture dont vivent les anges. Plus haut, à propos de la boisson corporelle et de la boisson spirituelle, il avait mis en lumière une différence semblable à celle qu’il établit ici entre la nourriture corporelle et la nourriture spirituelle: Quiconque boit de cette eau aura encore soif mais celui qui boit de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif 12. La raison en est que les réalités corporelles sont corruptibles, tandis que les réalités spirituel les, et Dieu plus que tout, demeurent éternellement.

896. Mais il faut savoir, selon Augustin (dans son livre sur Le travail des moines 13), que sur cette parole TRAVAILLEZ NON PAS EN VUE DE LA NOURRITURE QUI PÉRIT, MAIS EN VUE DE CELLE QUI DEMEURE POUR LA VIE ETERNELLE, certains moines trouvèrent le moyen d’errer en disant que les hommes spirituels ne devaient pas travailler de leurs mains, à quelque oeuvre que ce soit. Mais cette interprétation est fausse, puisque Paul, qui fut éminemment spirituel, a travaillé de ses propres mains, comme lui-même le rapporte dans sa deuxième épître aux Thessaloniciens: Nous n'avons pas mangé gratuitement le pain de qui conque, mais dans le labeur et la fatigue, oeuvrant jour et nuit, afin de n’être un poids pour personne 14. La véritable intelligence du passage est donc que nous orientions notre oeuvre, c’est-à-dire notre principal effort et notre intention, vers la recherche de la nourriture qui conduit à la vie éternelle, c’est-à-dire vers les biens spirituels. Sur les choses temporel les, nous ne devons pas porter en premier lieu notre attention, mais seulement d’une manière relative: nous les procurer uniquement en raison de notre corps corruptible qu’il faut soutenir aussi longtemps que nous vivons ici-bas. Pour cette raison, et à l’encontre de ces moines, l’Apôtre dit explicitement: Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus 15, comme s’il disait: ceux qui disent qu’il ne faut travailler à aucune oeuvre corporelle — et manger en est bien une —, ceux-là doivent aussi ne pas manger.
5. Confessions, VII, X, 16; BA 13, p. 617.
6. 1 Corinthiens 6, 13.
7. Prov 9, 5.
8. Sir 15, 3.
9. Jean 4, 34.
10. Jean 6, 48.
11. Jean 6, 56.
12. Jean 4, 13-14; cf. vol. II, n" 586, pp. 156-158. Ce rapprochement entre la nourriture et la boisson spirituelles est fait par saint Augustin (Tract, in Ioann., XXV, 10, pp. 447-449; 13, p. 459).
13. Le rejet de l’interprétation de ce verset pris à la lettre est le thème central du De Operibus Monachorum de saint Augustin; mais il n’y est fait aucune allusion àJn 6, 27. Chrysostome au contraire commente explicitement ce verset contre ceux qui, pour vivre mollement dans l’oisiveté, abusent de ces paroles, comme si Jésus-Christ avait interdit le travail des mains" (op. cit., 44, ch. 1, col. 248; trad. Jeanniri, p. 312).





 ET QUE LE FILS DE L’HOMME VOUS DONNERA; CAR DIEU LE PÈRE L’A MARQUÉ.

897. L’Évangéliste considère ici l’auteur du don de la nourriture spirituelle. Il mentionne d’abord de qui il s’agit, puis montre d’où lui vient l’autorité de la donner [n° 898].

L’auteur et le donateur de la nourriture spirituelle est le Christ. Et c’est pourquoi il dit CELLE, c’est-à-dire la nourriture qui ne périt pas, QUE LE FILS DE L’HOMME VOUS DONNERA. S’il avait dit "le Fils de Dieu ", on n’y aurait rien vu d’étonnant. Mais que ce soit le Fils de l’homme qui la donne est plus propre à éveiller l’attention. La raison pour laquelle il revient proprement au Fils de l’homme de don ner est que la nature humaine blessée par le péché se dégoûtait de la nourriture spirituelle, et n’était pas capable de la prendre dans ce qu’elle a de spirituel: pour cette rai son, il a été nécessaire que le Fils de Dieu prît chair et que, par sa chair, il nous redonnât vigueur — Tu as préparé devant moi une table 16.
14. 2 Th 3, 8. Voir aussi Eph 4, 28.
15. 2 Th 3, 10.
16. Ps 22, 5. Saint Thomas commente: "Tu as préparé devant moi une table: celle des deux enseignements — La Sagesse a dressé sa table, elle a envoyé ses servants sur la hauteur pour inviter (Pr 9,2-3) ---, table sur laquelle se trouvent divers mets, c’est-à-dire les divers enseignements spirituels; et cela devant moi: Il médite sa Loi jour et nuit (Ps 1,2). Ou bien la table sacramentelle, c’est-à-dire l’autel. L’Ecriture Sainte parle en effet de trois tables. La première est celle de la Loi ancienne: Tu feras une table en bois de Setim (...) tu placeras sur la table les pains de proposition (Ex 25,23 et 30). La seconde est celle du Nouveau Testament:
Vous ne pouvez participer à la table du Seigneur et à la table des démons (1 Corinthiens 10, 21) — il s’agissait ici de la réalité et de la figure. La troisième table est dressée dans la patrie: Moi, je dispose pour vous du royaume (...) pour que vous mangiez et buviez à ma table dans mon royaume (Lc 22,29-30). Et par chacune des deux premières tables, nous luttons contre nos ennemis; c’est pour cela qu’il est dit: contre ceux qui tourmentent (Ps 22,5), puisque par la table qu’est l’Ecriture Sainte, nous expulsons les tentations: En toutes circonstances, vous armant du bouclier de la foi par lequel vous pouvez éteindre tous les traits embrasés du Mauvais... (Ep 6,16). De même, le corps du Christ nous garde contre les ennemis, comme le dit Chrysostome dans son commentaire sur l’Evangile de Jean" (Expositio in Psalmos, 22, n° 2).


898. D’où lui vient l’autorité de donner? L’Évangéliste le dit: DIEU LE PERE L’A MARQUE 17, comme s’il disait: si le Fils donne, cela ne lui revient qu’à cause du caractère uni que et éminent de sa plénitude de grâce, par laquelle il sur passe tous les fils des hommes. Il l’a MARQUE, c’est-à-dire choisi explicitement parmi les autres: Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile d’allégresse de préférence à tous tes compagnons 18.

Ou, selon Hilaire 19, il l’a MARQUÉ, c’est-à-dire marqué de son sceau. Quand on a imprimé un sceau dans de la cire, celle-ci conserve toute la figure du sceau. De même, le Fils reçoit toute la forme du Père. Et c’est de deux manières que le Fils reçoit du Père: l’une est éternelle et ce qui est dit ici ne la signifie pas, parce que dans l’apposition d’un sceau, autre est la nature de ce qui reçoit, autre celle de ce qui imprime. Mais il faut le comprendre du mystère de l’Incarnation, parce que Dieu le Père a imprimé dans la nature humaine le Verbe qui, par son Incarnation, est le resplendissement de sa gloire et l’effigie de sa substance 20.

Ou, selon Chrysostome 21, il l’a MARQUE, c’est-à-dire Dieu le Père l’a établi spécialement pour donner la vie éternelle au monde: Moi, je suis venu pour que mes brebis aient la vie et qu’elles l’aient plus abondamment 22. Ainsi en effet, quand quelqu’un est choisi pour assumer une fonction importante, on dit qu’il est détaché 23 en vue d’exercer cette fonction: Après cela, le Seigneur détacha encore soixante-douze autres disciples 24. Ou encore, il l'a MARQUE, c'est-à-dire l'a manifesté par la voix lors du baptême, et par les oeuvres, comme on l’a dit plus haut.

899. Ensuite, en disant: ILS LUI DIRENT DONC: "QUE FERONS-NOUS POUR TRAVAILLER AUX OEUVRES DE DIEU?", l’Evangéliste manifeste ce qu’est la nourriture spirituelle; il note d’abord la question des Juifs, puis la réponse de Jésus-Christ.
17. Hunc enim Pater signavit Deus. Signare possède de multiples significations, mais on peut le traduire par marquer ou distinguer. II signifie premièrement conférer une qualité ou une détermination (par son travail, l’artiste distingue la matière, il lui confère une certaine qualité et une certaine noblesse). Mais puisque, d’une part, l’acte suit la détermination, distinguer signifie choisir quelque chose en vue d’une action que sa détermination rend apte à accomplir (c’est en ce sens qu’une personne est détachée en vue de telle activité); et puisque, d’autre part, nous distinguons une réalité d’une autre, distinguer signifie faire ressortir du tout. Et enfin, parce que, selon notre manière de connaître, l’acte manifeste la forme, celui-ci distingue une personne au sens où il manifeste ses qualités (se distinguer par son comportement).
18. Ps 44, 8. Saint Thomas commente: "Dans l’Ancien Testament, les prêtres et les rois étaient oints, comme on le voit pour David (1S 1S 16,13) et pour Salomon (cf. 1 Rs 1, 39). Les prophètes aussi étaient oints, comme on le voit pour Elisée qui fut oint par Elie (cf. 1 Rs 19, 16). Cela convient au Christ qui fut roi: Il règnera sur la maison de Jacob pour l’éternité (Lc 1,33). Il fut aussi prêtre, lui qui s’est offert lui-même en sacrifice à Dieu (Ep 5,2). Et il fut prophète, lui qui annonça à l’avance la voie du salut: Le Seigneur suscitera un prophète parmi les fils d’Israël (Dt 18,15)" (Expos. in Ps 44, n°5).
19. De Trinitate, VIII, 44, CCL vol. LXII A, p. 357. Saint Thomas résume ce passage en le précisant et en l’explicitant. Cf. aussi SAINT AUGUS TIN, Tract. in Ioann., XXV, 5, p. 435.
20. He 1, 3.
21. Nous n’avons pas, jusqu’à ce jour, retrouvé cette référence.
22. Jean 10, 10.
23. Cf note 17.



ILS LUI DIRENT DONC: "QUE FERONS-NOUS POUR £[TRAVAILLER AUX OEUVRES DE DIEU?"

900. Sur cette question, sachons que les Juifs, instruits par la Loi, croyaient que rien n’est éternel, si ce n’est Dieu. Ainsi, lorsque le Seigneur eut dit que la nourriture spirituelle DEMEURE POUR LA VIE ETERNELLE, ils comprirent que cette nourriture est quelque chose de divin. Et voilà pourquoi, en interrogeant, ils mentionnent non pas la nourriture mais l’oeuvre de Dieu: QUE FERONS-NOUS POUR TRAVAILLER AUX OEUVRES DE DIEU? En cela, ils n’étaient pas loin de la vérité puisque la nourriture spirituelle n’est rien d’autre que de travailler aux oeuvres de Dieu — Que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle? 25

JÉSUS RÉPONDIT ET LEUR DIT: "L’OEUVRE DE DIEU, C’EST QUE VOUS CROYIEZ EN CELUI QU’IL A ENVOYÉ."

901. Dans cette réponse du Seigneur, il faut avoir présent à l’esprit que l’Apôtre distingue la foi des oeuvres 26, en disant qu’Abraham n’a pas été justifié par les oeuvres mais par la foi. Qu’est-ce donc que le Seigneur affirme là, que la foi elle-même, c’est-à-dire croire, est l’oeuvre de Dieu?

A cela il y a deux réponses. L’une consiste à dire que l’Apôtre ne distingue pas la foi des oeuvres prises au sens absolu, mais des oeuvres extérieures. Certaines oeuvres en effet sont extérieures, celles que produisent les membres du corps, et parce qu’elles sont plus manifestes, elles sont communément appelées oeuvres. D’autres au contraire sont intérieures, celles qui s’exercent dans l’âme elle-même, qui ne sont connues que des sages et de ceux qui se recueillent en leur coeur 27. En un autre sens, on dit que croire peut être compté parmi les oeuvres extérieures, non que la foi soit les oeuvres elles-mêmes, mais au sens où elle en est le principe. C’est pour cela qu’il dit expressément: C’EST QUE VOUS GRO YIEZEN GEL UI QU’IL A ENVOYE. Ce n’est pas en effet la même chose de dire croire à Dieu — ainsi en effet je désigne l’objet —, croire Dieu parce qu’ainsi je désigne le témoin, et croire en Dieu parce qu’ainsi je désigne la fin 28; de sorte que Dieu se rapporte à la foi comme son objet, son témoin et sa fin, mais autrement ici ou là, parce que l’objet de la foi peut être une créature [comme créée] — je crois en effet que le ciel a été créé — et qu’une créature peut aussi être témoin de la foi — je crois en effet Paul ou n’importe lequel des saints — mais la fin de la foi ne peut être que Dieu: de fait, c’est vers Dieu seul que notre esprit peut être tourné comme vers sa fin. Or la fin, qui comme telle est bonne, est l’objet de l’amour: voilà pourquoi croire en Dieu comme à une fin est propre à la foi formée 29 par la charité. Cette foi ainsi formée est principe de toutes les bonnes oeuvres et, dans cette mesure, le fait même de croire est appelé OEUVRE DE DIEU.
25. Mt 19, 16.
26. Cf. Ro 4, 2.
27. Ps 84, 9.
24. Luc 10, 1.




902. Mais si la foi est L’OEUVRE DE DIEU, comment les hommes accomplissent-ils les oeuvres de Dieu?

Cette difficulté est dénouée par Isaïe lorsqu’il dit: Toutes nos oeuvres, c'est toi qui les fais pour nous, Seigneur 30. En effet, le fait même que nous croyions et tout ce que nous accomplissons de bien nous vient de Dieu: Dieu lui-même est celui qui opère en vous le vouloir et son accomplissement 31. Et s’il dit explicitement que croire est l’oeuvre de Dieu, c’est pour manifester que la foi est un don de Dieu, comme il est dit dans l’épître aux Ephésiens 32.
28. Cf. Somme théol., II-II, q. 2, a. 2; dans cet article, saint Thomas s’appuie sur l’autorité de saint Augustin (Tract, in Ioann., XXIX, 6, pp. 606-609). Voir aussi vol. II, pp. 69-70, note 24.
29. Cf. vol. I, pp. 182-183, note 35.
30. Isaïe 26, 12.
31. Phi 2, 13.
32. Eph 2, 8: C’est par gré ce que vous êtes sauvés, à cause de la foi, et ceci n’est pas de vous, c’est un don de Dieu. Cf. vol. II, p. 109, n°537: "Nul ne peut croire en Dieu par lui-même: on ne le peut que par Dieu. "



II

ILS LUI DIRENT DONC: "QUEL SIGNE FAIS-TU DONC POUR QUE NOUS VOYIONS ET CROYIONS EN TOI?

QUELLE OEUVRE FAIS-TU? NOS PÈRES ONT MANGÉ LA MANNE DANS LE DÉSERT, COMME IL EST ÉCRIT: IL LEUR A DONNÉ À MANGER UN PAIN DU CIEL. "JÉSUS LEUR DIT DONC: "AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, CE N’EST PAS MOÏSE QUI VOUS A DONNÉ LE PAIN DU CIEL, MAIS C’EST MON PERE QUI VOUS DONNE LE VRAI PAIN DU CIEL. CAR LE VRAI PAIN [DIEU] EST GELUI QUI DESCEND DU CIEL ET DONNE LA VIE AU MONDE. "

903. Ce passage traite de l’origine de cette nourriture, que Jésus révèle [n° 906] en réponse à une question des Juifs qui réclament un signe [n° 904] et qui précisent lequel en mettant en avant le témoignage de l’Ecriture [n° 905].

904. Ils demandent un signe en posant une question: ILS LUI DIRENT: "QUEL SIGNE FAIS-TU DONC POUR QUE NOUS VOYIONS ET CROYIONS EN TOI?"

Cette question est éclaircie par Chrysostome 33, et d’une autre manière par Augustin. Chrysostome dit en effet que le Seigneur les avait invités à la foi 34. Or, parmi ce qui nous conduit à embrasser la foi, il y a les miracles: Des signes sont donnés pour ceux qui n'ont pas la foi; et pour cette raison, ils demandent encore un signe grâce auquel ils puissent croire; c’est en effet une habitude chez les Juifs que de demander des signes: Les Juifs réclament des signes 35. C’est pour cette raison qu’ils disent: QUEL SIGNE FAIS-TU DONC?

Mais il est ridicule, de la part des Juifs, de réclamer un miracle pour croire, quel que soit ce miracle, puisque le Christ venait d’en accomplir en multipliant les pains et en marchant sur le mer et que ces miracles, grâce auxquels ils auraient pu croire, s’étaient produits sous leurs yeux. Mais s’ils disent cela, c’est pour provoquer le Seigneur et l’amener à leur procurer toujours la nourriture. Cela est évident, puisqu’ils ne font mention d’aucun autre signe que celui accompli par Moïse pour leurs pères pendant quarante années, comme si par là ils lui demandaient de toujours les nourrir: NOS PERES ONT MANGE LA MANNE DANS LE DESERT, et non pas: Dieu a nourri nos pères de la manne, pour ne pas laisser croire qu’ils voulaient en faire l’égal de Dieu. Ils ne disent pas non plus que Moïse les a nourris, pour ne pas laisser penser qu’ils préféraient Moïse au Christ: ne voulaient-ils pas l’amadouer, pour que sans cesse il les nourrisse? De cette nourriture il est dit: Voici que moi je vais faire pleuvoir pour vous un pain du ciel 36, et dans les Psaumes: L’homme a mangé le pain des anges 37.
33. In loannem hum., 45, ch. 1, col. 251-252. En fait, l’expression "invitaverat eus ad fid. em" se trouve chez saint Augustin (XXV, 12), et la citation de Chrysostome ne commence qu’à partir de "sed hoc ridiculosum videtur
34. 1 Corinthiens 14, 22.
35. 1 Corinthiens 1, 22.



NOS PÈRES ONTMANGÉ LA MANNE DANS LE DÉSERT, COMME IL EST ÉCRIT: IL LEUR A DONNÉ À MANGER UN PAIN DU CIEL.

905. Augustin 38, lui, dit que le Seigneur a affirmé qu’il allait leur donner LA NOURRITURE QUI DEMEURE POUR LA VIE ETERNELLE comme pour faire apparaître sa prééminence sur Moïse. Les Juifs, eux, estimaient Moïse plus grand que le Christ. Pour cette raison ils affirmaient:

Dieu a parlé à Moïse, mais celui-ci, nous ne savons d’où il est 39. Et c’est pour cela qu’ils réclamaient du Christ qu’il accomplisse des actions plus grandes que celles de Moïse. Et à cause de cela, ils évoquent ce que fit Moïse en disant: NOS PERES ONT MANGE LA MANNE DANS LE DESERT, comme s’ils voulaient dire: l’action que tu t’attribues est plus grande que ce que Moïse a accompli, parce que toi tu promets la nourriture qui ne périt pas, tandis que la manne donnée par Moïse, si elle était gardée pour le lendemain, grouillait de vers. Si donc tu veux que nous croyions en toi, accomplis quelque chose de plus grand que Moïse; ce que tu as accompli, en effet, n’est pas plus grand, parce que tu as rassasié cinq mille hommes, mais avec des pains d’orge et une seule fois, alors que lui, c’est tout le peuple qu’il a rassasié avec la manne, et pendant quarante années, et cela dans le désert, ainsi qu’il est écrit dans le psaume: Il leur a donné à manger un pain du ciel 40.
36. Ex 16, 4.
37. Ps 77, 25.
38. Op. cit., XXV, 12; BA 72. p. 455.
39. Jean 9, 29.




LA RÉPONSE DE JÉSUS

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Thomas sur Jean 41