Thomas sur Jean 59

59 Jn 8,45-50

1253. Après avoir exposé quelle est la condition du diable, le Seigneur montre que les Juifs en sont les imitateurs [n° 1242].

Or le Seigneur a attribué au diable deux conditions dans sa malice: l’homicide et le mensonge 122. Plus haut, il a réprimandé les Juifs à propos de l’homicide, qui leur faisait imiter le diable — Or maintenant vous cherchez à me tuer, moi un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu 123. C’est pourquoi, laissant cela de côté, il leur reproche ici leur aversion pour la vérité.


En premier lieu, il montre qu’ils sont hostiles à la vérité [n° 1254]; puis il exclut la raison qu’ils auraient pu alléguer [n° 1255]; enfin, il conclut à la véritable cause de leur aversion [n° 1256].

1254. Il commence donc par dire: le diable est MENTEUR, ET PERE DU MENSONGE; et certes, vous l’imitez, parce que vous ne voulez pas vous attacher à la vérité: MAIS MOI, SI JE VOUS DIS LA VERITE, VOUS NE ME CROYEZ PAS — Si je vous le dis, vous ne me croirez pas 124.

Autrement dit, Moi je suis la vérité 125, et le Fils de celui qui est véridique: JE VOUS DIS LA VERITE. Mais vous qui êtes les fils du diable menteur, vous êtes hostiles à la vérité, ET VOUS NE ME CROYEZ PAS — Si je vous dis les choses du ciel, comment croirez-vous? 126 — C’est pourquoi IsaÏe se plaint vive ment en disant: Seigneur, qui a cru à nos paroles? 127
121. Gn 4, 9.
122. Cf. CHRYSOSTOME, In loannem hom., 54, ch. 3, col. 300.
123. Jean 8, 40.





QUI D’ENTRE VOUS ME CONVAINCRA DE PÉCHÉ?

1255. La cause que les Juifs pouvaient alléguer pour justifier leur manque de foi (infidelitas)est le fait que le Christ serait pécheur; car on ne croit pas facilement un pécheur, même s’il est dans la vérité. C’est pourquoi il est dit: Dieu a dit au pécheur: Pourquoi récites-tu mes jugements? 128 Les Juifs pouvaient donc dire: nous ne te croyons pas parce que tu es pécheur.

C’est pourquoi le Christ exclut cette raison en disant: QUI D'ENTRE VOUS ME CONVAINCRA DE PECHE? Autrement dit: vous n’avez aucune juste raison pour ne pas croire que je dis la vérité, puisqu’on ne pourrait trouver en moi aucun péché — Lui qui n’a pas commis de faute; et on n’a pas trouvé de mensonge en sa bouche 129.

Selon Grégoire 130, il faut apprécier ici la mansuétude de Dieu, qui ne refuse pas de démontrer par la raison qu’il n’est pas pécheur, lui qui pouvait justifier les pécheurs par la puissance de sa divinité — Si j’ai dédaigné d’entrer en jugement avec mon esclave et ma servante quand ils se prononçaient contre moi... 131

Il faut aussi admirer l’excellence de la pureté unique du Christ, parce que, comme le dit Chrysostome’ aucun homme n’a pu dire avec une telle assurance: QUI D’ENTRE VOUS ME CONVAINCRA DE PECHE? , sinon notre Dieu, qui n’a pas commis de péché — Qui peut dire: mon coeur est pur, je suis pur de tout péché? 133 autrement dit: personne, sinon Dieu seul - Tous ils se sont égarés, tous ensemble pervertis: il n'en est pas un qui fasse le bien, honnis un seul 134, c’est-à-dire le Christ.
124. Luc 22, 67.
125. Cf. Jean 14, 6.
126. Jean 3, 12.
127. Isaïe 53, 1.
128. Ps 49, 16.
129. 1 Pe 2, 22; Isaïe 53, 9.
130. XL homiliae in Evangelia, I, hom. 18, PL 76, col. 1150.
131. Jb 31, 13.





SI JE DIS LA VÉRITÉ, P0URQUOI NE ME CROYEZ-VOUS PAS? CELUI QUI EST DE DIEU ÉCOUTE LES PAROLES DE DIEU: SI VOUS N’ÉCOUTEZ PAS, C’EST QUE VOUS N’ÊTES PAS DE DIEU

1256. Il conclut ici à la véritable cause de leur aversion. Il commence par l’exposer, avant de repousser l’opposition des Juifs [n° 1261].

En exposant la cause de leur aversion, il pose une question [n° 1257]; puis il établit un raisonnement [n° 1258]; enfin, il apporte la conclusion à laquelle il voulait parvenir [n° 1259].

 SI JE DIS LA VÉRITÉ, POURQUOI NE ME CROYEZ-VOUS PAS?

1257. Il commence donc par dire: puisque vous ne pouvez pas prétendre que c’est à cause de mon péché que vous ne me croyez pas, il reste maintenant à chercher

POURQUOI, SI JE VOUS DIS LA VERITE, VOUS NE ME CROYEZ PAS, étant donné que je ne suis pas pécheur. Autrement dit: si moi, que vous avez en haine, vous ne pouvez me convaincre de péché, il est manifeste que c’est à cause de la vérité que vous me haïssez, c’est-à-dire parce que je dis que je suis le Fils de Dieu — L'insensé ne reçoit pas les paroles de sagesse 135.
132. Il s’agit en fait d’Origène: Comm. sur S. Jean, XX, XXXI, § 277, p. 293.
133. Prov. 20, 9.
134. Ps 13, 3.


1258. Le Christ établit un raisonnement vrai, en disant: CELUI QUI EST DE DIEU ÉCOUTE LES PAROLES DE DIEU; car, comme il est dit, tout vivant aime son semblable 136; donc, quiconque provient de Dieu est, en tant que tel, à la ressemblance de tout ce qui est de Dieu, et y inhère 137. C’est pourquoi CELUI QUI EST DE DIEU ECOUTE volontiers LES PAROLES DE DIEU — Tout homme qui est de la vérité écoute mes paroles 138. La parole de Dieu doit être écoutée avec amour avant tout par ceux qui sont de Dieu, puisqu’elle est la semence par laquelle nous sommes engendrés fils de Dieu — Elle [n° a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée 139.

1259. C’est pourquoi il arrive à la conclusion à laquelle il voulait parvenir: SI VOUS N’ECOUTEZ PAS, C'EST QUE VOUS N’ETES PAS DE DIEU; autrement dit: ce n’est donc pas mon péché qui est cause de votre incrédulité, mais votre méchanceté — Que la sagesse est amère aux hommes ignorants ! 140 Car, comme le dit Augustin: "Quand il dit: VOUS N’ETES PAS DE DIEU, ne considère pas la nature, mais le vice; certes ils sont de Dieu selon la nature, mais ils ne sont pas de Dieu par le vice et leur amour dépravé (...). Cette parole a été adressée non seulement à ceux qui étaient cor rompus par le péché — car cela est commun à tous —, mais aussi à ceux dont il savait d’avance qu’ils ne croiraient pas, de cette foi qui pouvait les libérer du lien du péché 141.
135. Prov. 18, 2. Cf. THEOPHYLACTUS, Enarratio in Evangelium S. bannis, in hoc. vers., PG 124, col. 31 B.
136. Sir 13, 9.
137. Inhaeret. Ce terme désigne pour saint Thomas un ordre naturel nécessaire; ainsi, l’intelligence inhère nécessairement (ex necessitate) aux premiers principes, et la volonté à la fin ultime, qui est la béatitude. Le fait d’inhérer à quelque chose exprime donc par excellence l’ordre de la cause finale sur l’intelligence et la volonté. Voir Somme théol., I, q. 82, a. 1 et 2; et aussi III Sent., d. 27, q. 1, a. 1, c.
138. Jean 18, 37.
139. Jean 10, 35.
140. Sir 6, 21.


1260. Il faut noter qu’on peut avoir une volonté mauvaise à trois degrés différents, comme le dit Grégoire 142. Certains en effet dédaignent de recevoir les commandements de Dieu, même par l’oreille de leur corps, c’est-à-dire par l’audition sensible; de ceux-là, il est dit: Comme la vipère sourde, et qui ferme ses oreilles 143.D’autres les reçoivent bien par l’oreille du corps, mais ils ne les embrassent d’aucun désir de l’esprit, n’ayant pas la volonté de les accomplir — Ils entendent mes paroles et ne les observent pas 144. D’autres enfin reçoivent de bon gré les paroles de Dieu, à tel point qu’ils en sont touchés jusqu’aux larmes; mais passé le temps des larmes, accablés de tribulations ou attirés vers les plaisirs, ils reviennent à l’iniquité; on en a l’exemple dans les Evangiles de Matthieu et Luc, à propos de la parole étouffée par les soucis 145 — La maison d’Israël ne veut pas t’écouter parce qu’ils ne veulent pas m’écouter 146.

C’est donc le signe que l’homme est de Dieu, s’il écoute avec amour la parole de Dieu; mais ceux qui refusent de l’entendre, dans leur coeur ou leurs actes, ne viennent pas de Dieu.

1261. Le Christ repousse ensuite l’objection des Juifs; l’Evangéliste expose d’abord leur réplique [n° 1262], puis la réfutation du Seigneur [n° 1263].
141. Tract, in Ioann., XLII, 15, p. 372, 11. 2-4 et 16, p. 373, 11. 14-18.
142. XL hom. in Ev., loc. cit.
143. Ps 57, 5.
144. Ez 33, 31.
145. Mt 13, 18; Luc 8, 11.
146. Ez 3, 7.



LES JUIFS RÉPONDIRENT DONC ET DIRENT: "N’AVONS-NOUS PAS RAISON DE DIRE QUE TUES UN SAMARITAIN ET QUE TU AS UN DÉMON?"

1262. En répliquant au Christ, les Juifs le chargent de [n° deux griefs. Ils lui disent d’abord qu’il est un Samaritain, puis qu’il a un démon.

N’AVONS-NOUS PAS RAISON DE DIRE...

Par cette parole, l’Évangéliste nous donne à entendre que les Juifs disaient souvent cela au Seigneur, comme un reproche. Certes, pour le second grief, nous lisons dans Matthieu: C’est par Béelzéboul, le prince des démons, qu’il chasse les démons 147. Mais qu’ils l’aient traité de Samaritain, on ne le trouve nulle part ailleurs dans les Evangiles, bien qu’ils l’aient sans doute dit plusieurs fois; car les Evangiles omettent de nous rapporter beaucoup de paroles et d’actes dont Jésus a été l’auteur ou l’objet, comme on le lit plus loin 148.

QUE TU ES UN SAMARITAIN...

Les Juifs peuvent avoir dit cette parole au Christ pour deux raisons. L’une est que les Samaritains étaient une nation odieuse au peuple d’Israël du fait que lorsque les dix tribus avaient été emmenées en captivité, ils avaient pris possession de leurs terres 149 — Les Juifs en effet n'ont pas de relations avec les Samaritains 150.Parce que donc le Christ attaquait les Juifs, ceux-ci croyaient qu’il le faisait par haine, et c’est pourquoi ils le considéraient comme un Samaritain, presque comme un ennemi.

Une autre raison est que les Samaritains n’observaient qu’en partie les rites judaïques. Les Juifs, voyant donc le Christ observer la Loi sur tel point et s’en détacher sur tel autre, par exemple le sabbat, le traitaient de Samaritain 151.
147. Mt 9, 34 et 12, 24.
148. Jean 20, 25. Cf. THEOPHYLACTU5, Enar. in Ioann., in h. vers., col. 31 C.
149. Voir 2 Rs 17, 24.
150. Jean 4, 9. Voir vol. II, n° 573 et 574.
151. Cf. THEOPHYLACTUS, toc cit.





... ET QUE TU AS UN DÉMON?

De même, ils disaient qu’il avait un démon pour une double raison 152.L’une est qu’ils n’attribuaient pas à une puissance divine les miracles qu’il opérait et le fait qu’il révélait leurs pensées, mais le soupçonnaient de les accomplir par l’art et la puissance des démons. C’est pourquoi ils disaient: C’est par Béelzéboul, le prince des démons, qu’il chasse les démons 153.

Il y a encore une autre raison: les paroles du Christ transcendaient la capacité humaine lorsqu’il disait, par exemple, que Dieu était son Père 154, ou qu’il était descendu du ciel 155. Or c’est une habitude des gens grossiers, quand ils entendent de telles choses, de les compter comme diaboliques; ainsi, ceux-là croyaient que le Christ parlait comme possédé d’un démon — Beaucoup disaient: il a un démon et il délire, pourquoi l’écoutez-vous? D'autres disaient: ces paroles ne sont pas celles d’un homme ayant un démon 156.

Les Juifs disent donc ces paroles pour l’accuser de péché, s’opposant à ce que lui-même avait dit: QUI D’ENTRE VOUS ME CONVAINCRA DE PECHE?


JÉSUS RÉPONDIT: "MOI, JE N’AI PAS DE DÉMON; MAIS J’HONORE MON PÈRE, ET VOUS, VOUS ME DÉSHONOREZ. OR MOI JE NE CHERCHE PAS MA GLOIRE: IL EN EST UN QUI LA CHERCHE, ET QUI JUGE. "

1263. Le Seigneur réfute ici la réplique des Juifs. Ils avaient accusé le Christ de deux choses: d’être un Samaritain, et d’avoir un démon. Il est vrai que le Seigneur ne se disculpe pas à propos de la première accusation, et cela pour une double raison.

Selon Origène 157, c’est parce que les Juifs voulaient toujours se séparer des Gentils (Gentilibus); mais déjà venait le [n° temps où la distinction entre juifs et Gentils devait être abolie, le temps de les appeler tous à la voie du salut. Et le Seigneur, afin de montrer qu’il était venu pour le salut de tous, bien plus encore que Paul, s’est fait tout à tous pour les sauver tous 158, et c’est pourquoi il n’a pas nié être un Samaritain.

L’autre raison, c’est que "Samaritain" signifie "gardien"; et comme lui-même est avant tout notre gardien, selon cette parole du psaume: Voici qu’une dormira pas ni ne sommeillera, celui qui garde Israël 159, il n’a pas nié être un Samaritain.

Mais il nie avoir un démon: MOI, JE N’AI PAS DE DEMON. D’abord, il rejette l’injure qu’on lui a faite [n° 1264], et met cela en lumière par une affirmation opposée [n° 1265]; puis il reprend l’effronterie de ceux qui l’injurient [n° 1266].
152. Ces deux raisons sont empruntées à Origène (op. cit., XX, xxxv, § 313-314, p. 311).
153. Mt 12, 24.
154. Jean 5, 17. Voir vol. II, n° 741.
155. Jean 3, 13 et 6, 41.
156. Jean 10, 20.
157. Loc. cit., § 316-319, P. 313. L’interprétation appuyée sur l’étymologie du nom "Samaritain" lui est aussi reprise.





MOI, JE N’AI PAS DE DÉMON

1264. Il faut noter que le Seigneur, en corrigeant les Juifs, leur a parlé souvent avec dureté; ainsi cette parole: Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites 160, et beaucoup d’autres qu’on lit dans l’Evangile de Matthieu. Mais on ne voit pas dans l’Evangile que le Seigneur ait parlé injurieuse ment ou avec dureté aux Juifs qui lui parlaient avec dureté ou qui agissaient grossièrement contre lui; comme le dit Grégoire 161: Dieu, en recevant ce qui l’atteint injustement, ne répond pas par des paroles outrageantes, mais dit simplement: MOI, JE N’AI PAS DE DEMON.

En cela, que nous est-il indiqué, si ce n’est qu’au temps où nous recevons à tort des injures de ceux qui nous sont les plus proches, nous devons même taire leurs mauvaises paroles, de peur que le service d’une juste correction ne dégénère en fureur. Il nous est aussi indiqué que nous devons défendre les choses qui touchent à Dieu, mais ne pas nous arrêter à celles qui nous touchent.

Mais cette parole, JE N’AI PAS DE DEMON, seul le Christ peut la prononcer, comme le dit Origène 162; car il n’a en lui-même rien du démon, que ce soit grave ou non. C’est pourquoi il disait: Il vient le prince de ce monde, et il n’a rien en moi 163. — Quel rapport du Christ avec Bélial? 164
158. Voir 1 Corinthiens 9, 22.
159. Ps 120, 4.
160. Mt 23, 23.
161. XL hom. in Ev., loc. cit., col. 1151.


1265. Le Christ met ce qu’il a dit en lumière par une affirmation opposée, en disant: MAIS J’HONORE MON PERE. Car le diable tient tête en refusant d’honorer Dieu. Qui donc cherche à honorer Dieu est étranger au diable. Donc le Christ, qui honore son Père, c’est-à-dire Dieu, n’a pas de démon. Et le propre du Christ, et de lui seul, est d’honorer le Père, parce que le fils honore le père 165, comme il est dit dans Malachie. Or le Christ est d’une manière unique Fils de Dieu.




ET VOUS, VOUS ME DÉSHONOREZ. OR MOI JE NE CHERCHE PAS MA GLOIRE: IL EN EST UN QUI LA CHERCHE, ET QUI JUGE.

1266. Le Christ reprend ici l’insolence de ceux qui l’injurient; il commence par reprendre ceux qui l’injurient [n° 1267]; puis il nie la cause qu’ils pourraient invoquer pour lui faire des reproches [n° 1268]; enfin, il leur annonce la condamnation qui leur est réservée [n° 1269].

1267. Il dit donc d’abord: moi J’HONORE MON PÈRE, ET VOUS, VOUS ME DESHONOREZ. Autrement dit: moi, je fais ce que je dois faire; vous, vous ne faites pas ce que vous devez faire; bien au contraire, en ce que vous me déshonorez, vous déshonorez mon Père — Qui n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père qui l’a envoyé 166.

1268. Mais ils pourraient dire: Tu es trop dur; tu te soucies trop de ta gloire, et ainsi, tu nous fais des reproches.

C’est pourquoi le Christ, parlant en tant qu’homme, ajoute, pour rejeter cela: OR MOI, JE NE CHERCHE PAS MA GLOIRE. Car Dieu est le seul qui puisse chercher sa gloire sans commettre de faute; les autres ne le peuvent pas, si ce n’est en Dieu — Celui qui se glorifie, qu’il se glorifie dans le Seigneur 167. — Si moi je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien 168.

Mais le Christ en tant qu’homme n’a-t-il pas de gloire? Bien au contraire, une grande gloire de toutes manières; car bien que lui-même ne la cherche pas, IL EN EST UN cependant QUI LA CHERCHE, c’est-à-dire le Père. Car il est dit: Tu l’as couronné, le Christ homme, de gloire et d’honneur 169 et ailleurs: Tu le revêts de gloire et de splendeur 170.

1269. Et non seulement il cherchera ma gloire dans ceux qui mettent en oeuvre les causes de vertu qui sont greffées en eux 171, mais il punira et condamnera ceux qui s’opposent à ma gloire; c’est pourquoi le Christ ajoute: ET QUI JUGE.

A cela on objectera ce qui est dit plus haut: Le Père ne juge personne, mais il a remis tout jugement au Fils 172. Je réponds: le Père ne juge personne indépendamment du Fils, parce que même le jugement qu’il rendra du fait que vous m’avez injurié, il le rendra par le Fils. Ou bien il faut dire 173 que le mot "jugement" est parfois pris au sens de condamnation: et ce jugement-là, le Père l’a donné au Fils, parce que lui seul apparaîtra sous une forme visible au jugement, comme on l’a dit plus haut 174; Mais parfois le mot est pris au sens de discernement, et c’est de cela qu’on parle ici. C’est pourquoi aussi il est dit: Juge-moi, ô Dieu, et discerne ma cause 175; autrement dit: c’est le Père qui discerne ma gloire de la vôtre, car il discerne votre gloire, qui est pour le monde, de celle de son Fils, qu’il a oint au-dessus de ses semblables 176, lui qui est sans péché, alors que vous, vous êtes des hommes marqués par le péché.
162. Op. cit., XX, XXXI, § 335, p. 323. Saint Thomas reprend très libre ment sa remarque.
163. Jean 14, 30.
164. 2 Co 6, 15.
165. Mal 1, 6.
167. 2 Co 10, 17. Saint Thomas précise que la parole qu’il se glorifie dans le Seigneur peut être interprétée de trois manières: "ou bien dans le Seigneur dénote l’objet dont on se glorifie; autrement dit: qu’il se glorifie de ce qu’il possède le Seigneur en l’aimant et en le connaissant — Que celui qui se glorifie en cela: me connaître et avoir de l’intelligence, parce que moi je suis le Seigneur, qui fais miséricorde et rends jugement et justice sur la terre (Jérémie 9, 24). D’une autre manière, qu’il se glorifie dans le Seigneur veut dire qu’il se glorifie selon Dieu; et ainsi se glorifie celui qui se glorifie des choses qui sont de Dieu, et non pas de ce qui est mauvais, comme fait celui dont il est dit dans le psaume: Pourquoi te glorifies-tu dans la malice? (Ps 51,3). D’une autre manière encore, qu’il se glorifie dans le Seigneur signifie: qu’il se glorifie en prenant garde que sa gloire ne soit en dehors de Dieu, en lui rapportant tout ce qui a contribué à sa propre gloire — Qu’as-tu que tu n'aies reçu 7(1 Corinthiens 4, 7)" (Ad 2 Cor. lect., X, leç. 3, n° 370).
168. Jean 8, 54.
169. Ps 8, 7.
170. Ps 20, 6.
171. Cette affirmation si dense de saint Thomas demanderait de longs développements théologiques. Soulignons simplement l’image de la greffe, choisie par de nombreux Pères de l’Eglise et déjà par saint Paul (Rm 11,17 ss.), pour désigner la grâce. Celle-ci, qui est source des trois vertus théologales (la foi, l’espérance et la charité), communique à l’homme la vie même de Dieu. Parce que c’est la vie même de Dieu, elle est plus radicale que la vie naturelle de l’homme: en y coopérant par sa bonne volonté, l’homme permet à la vie divine de prendre possession, d’assumer toutes les dimensions de sa vie humaine. La charité, première des vertus selon un ordre de perfection (voir Somme théol., I-II, q. 62, a. 4), qui unit immédiatement l’homme à sa fin surnaturelle, est alors pour le théologien la forme, la racine et la mère de toutes les vertus (Somme théol., II-II, q. 23, a. 8). Comme la grâce nous est communiquée par le mystère de la Croix glorieuse du Christ, tout homme uni au Christ comme à sa source devient le lieu en lequel se manifeste la gloire du Christ (Jn 15,1-17). Voir aussi ci-dessus, n° 166. Jean 5, 23. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XLIII, 3, p. 374.
172. Jean 5, 22.
173. Cf. SAINT AUGUSTIN, loc. cit., 9, p. 376.
174. Voir vol. II, n° 763.
175. Ps. 42, 1. "Il y a un jugement de discrétion, c’est-à-dire de séparation à l’égard des méchants; c’est pourquoi le psalmiste ajoute Discerne ma cause. Cela se réfère à l’état présent; et ainsi, nous demandons à être séparés des méchants; et si ce n’est pas dans le lieu, au moins dans la cause. En effet, il y a beaucoup de choses communes entre eux et nous, parce que le lieu est le résultat de la fortune; mais la cause non, parce que dans les mêmes choses, les bons et les méchants se comportent tout autrement; dans l’adversité, les bons brillent par la patience, tandis que les méchants fument d’impatience" (Expos. In Ps 42, n 1).
176. Cf. Ps 44, 8 et He 1, 8.




Jean 8, 51-59: LE FRUIT DE LA LUMIÈRE

60 Jn 8,51-59




51 Amen, amen, je vous le dis: Si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. Les Juifs dirent donc: "Maintenant, nous avons connu que tu as un démon. Abraham est mort, et les Prophètes aussi, et toi tu dis: 'Si quel qu’un garde ma parole, il ne goûtera jamais la mort*. ' Serais-tu plus grand que notre père Abraham, qui est mort? Et les prophètes, ils sont morts. Qui te prétends-tu?" 54 répondit: "Si moi je me glorifie moi-même, ma gloire n’est rien. C’est mon Père qui me glorifie, lui dont vous dites qu’il est votre Dieu. 55a Et vous ne l’avez pas connu 55b mais moi je l’ai connu. Et si je dis que je ne le con nais pas, je serai semblable à vous, un menteur. Mais je le connais, et je garde sa parole. Abraham votre père a exulté de ce qu’il verrait mon jour: il l’a vu, et il a été dans la joie. " Les Juifs lui dirent donc: "Tu n’as pas encore cinquante ans, et tu as vu Abraham?" 58 leur dit: "Amen, amen, je vous le dis, avant qu’Abraham fût fait, moi je Suis. " Ils ramassèrent donc des pierres pour les lui jeter, mais Jésus se déroba à leur vue et sortit du Temple.

1270. Plus haut [n° 1146], en disant: Qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie 1, le Seigneur avait promis deux choses à ceux qui le suivent: qu’ils seraient libérés des ténèbres et qu’ils obtiendraient la vie. On a traité de la libération des ténèbres; il s’agit maintenant de montrer comment on obtient la vie grâce au Christ.

Le Christ expose d’abord la vérité [n° 1271], avant de rejeter une opposition de la part des Juifs [n° 1272].


I

1271. Il faut savoir que le Christ, bien qu’il eût été provoqué par les injures et les opprobres, ne renonça pas à son enseignement; mais après qu’on eut dit qu’il avait un démon, il dispensa plus largement encore les bienfaits de sa prédication.

En cela, un exemple nous est donné 2: quand la perversité des méchants grandit, et que ceux qui se convertissent sont foulés aux pieds par les opprobres des hommes, non seulement on ne doit pas interrompre la prédication, mais on doit même l’intensifier — Toi donc, fils d’homme, ne les crains pas, et n'aie pas peur de leurs paroles 3. — Je souffre jusqu'à porter des chaînes, comme si j'avais mal agi, mais la parole de Dieu n'est pas enchaînée 4.



AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS: SI QUELQU’UN GARDE MA PAROLE, IL NE VERRA JAMAIS LA MORT

Dans ces paroles, le Seigneur fait deux choses: il en [n° réclame une, et promet la seconde.

Il réclame, de fait, que l’on observe sa parole: SI QUEL QU’UN GARDE MA PAROLE. En effet, la parole du Christ est vérité; c’est pourquoi nous devons la garder; en premier lieu par la foi et par une méditation continuelle — Garde-la, et elle te gardera 5-, ensuite par l’accomplissement des oeuvres — Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime 6.

En second lieu, il promet à ceux qui le suivent qu’ils seront libérés de la mort: IL NE VERRA JAMAIS LA MORT, c’est-à-dire, il ne l’éprouvera pas — Ceux qui agissent en moi, dans la sagesse divine, ne pécheront pas, et ceux qui me révèlent auront la vie éternelle 7.

Et il convient qu’une telle récompense soit due à un tel mérite; car la vie éternelle consiste principalement dans la vision divine — La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ 8; or un certain germe et un commencement de cette vision sont réalisés en nous par la parole du Christ — La semence, c’est la parole de Dieu 9; ainsi, comme celui qui entoure de soins la semence d’une plante ou d’un arbre pour qu’elle ne se corrompe pas parvient à la récolte d’un fruit, de même celui qui garde la parole de Dieu parvient à la vie éternelle — L'homme qui aura accompli ces choses vivra en elles 10.
1. Jean 8, 12.
2. Cf. GRÉGOIRE LE GRAND, XL ho, n. in Ev., I, hom. 18, coI. 1151 C.
3. Ez 2, 6.
4. 2 Tm 2, 9.
5. Prov 4, 6.
6. Jean 14, 21.
7. Sir 24, 30-3 1. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XLIII, 10, p. 377, 1.
8. Jean 17, 3.
9. Lc8, 11.
10. Lev 18, 5.



II

LES JUIFS DIRENT DONC: "MAINTENANT NOUS AVONS CONNU QUE TU AS UN DÉMON.

ABRAHAM EST MORT, ET LES PROPHÈTES AUSSI, ET TOI TU DIS: SI QUELQU’UN GARDE MA PAROLE, IL NE GOÛTERA JAMAIS LA MORT SERAIS-TU PLUS GRAND QUE NOTRE PÈRE ABRAHAM, QUI EST MORT? ET LES PROPHÈTES, ILS SONT MORTS. QUI TE PRÉTENDS-TU?" JÉSUS RÉPONDIT: "SI MOI JE ME GLORIFIE MOI-MÊME, MA GLOIRE N’EST RIEN C’EST MON PÈRE QUI ME GLORIFIE, LUI DONT VOUS DITES QU’IL EST VOTRE DIEU ET VOUS NE L'A VEZ PAS CONNU: MAIS MOI JE L'AI CONNU ET SIJE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE À VOUS, UN MENTEUR MAIS JE LE CONNAIS, ET JE GARDE SA PAROLE. ABRAHAM VOTRE PÈRE A EXULTÉ DE CE QU’IL VERRAIT MON JOUR: IL L’A VU, ET IL A ÉTÉ DANS LA JOIE." LES JUIFS LUI DIRENT DONC: "TU N’AS PAS ENCORE CINQUANTE ANS, ET TU AS VU ABRAHAM?" JÉSUS LEUR DIT: "AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, AVANT QU'IL FUT FAIT, MOI JE SUIS. "ILS RAMASSERENT DONC DES PIERRES POUR LES LUI JETER, MAIS JÉSUS SE DÉROBA À LEUR VUE ET SORTIT DU TEMPLE.

1272. L’Évangéliste expose ici la réfutation par le Seigneur de l’opposition des Juifs. Or ils s’opposent au Christ de trois manières: d’abord en l’accusant de fausseté [n° 1273]; puis en se moquant de lui [n° 1288]; enfin, en le poursuivant [n° 1291].

En traitant du premier point, l’Evangéliste montre d’abord les Juifs s’efforçant de convaincre le Seigneur de présomption, puis le Seigneur répondant à certaines de leurs paroles [n° 1276].

En parlant au Seigneur, les Juifs lui infligent d’abord un affront [n° 1273]; puis ils exposent un fait [n° 1274], avant de l’interroger [n° 1275].

1273. Ils lui ont infligé l’affront [de l’accuser] de mensonge, en disant: MAINTENANT NOUS AVONS CONNU QUE TU AS UN DÉMON. Ils ont dit cela parce qu’il est connu chez les Juifs que l’inventeur des péchés, et principalement du mensonge, c’est le diable, selon cette parole: Je sortirai, et serai l’esprit du mensonge dans la bouche de tous ses prophètes 11. Et il leur semblait manifeste que ce que le Seigneur avait dit — à savoir, SI QUELQU’UN GARDE MA PAROLE, IL NE VERRA JAMAIS LA MORT — était un mensonge; en effet, selon leurs préoccupations terrestres, ils comprenaient de la mort corporelle ce que le Seigneur avait dit de la mort spirituelle et éternelle; et surtout, la parole du Christ était en contradiction avec l’autorité de l’Ecriture: Quel est l’homme qui vit et ne verra pas la mort, qui arrachera son âme à la main du shéol? 12; c’est pourquoi ils lui disent: TU AS UN DEMON; autrement dit, tu prof un mensonge sous l’inspiration du démon.




ABRAHAM EST MORT, ET LES PROPHÈTES AUSSI, ET TOI TU DIS: SI QUELQU’UN GARDE MA PAROLE, IL NE GOÛTERA JAMAIS LA MORT.

1274. Et pour le convaincre de mensonge, ils présentent d’abord le fait de la mort de leurs pères, avant de répéter les paroles du Christ.

Ils disent donc: Ce que tu dis est vraiment faux, car ABRAHAM, comme tout homme, EST MORT, comme le montre avec évidence le livre de la Genèse 13.De même, LES PROPHETES sont morts — Tous nous mourrons; et nous nous écoulons dans la terre comme des eaux qui ne reviennent pas 14. Mais, bien qu’ils soient vraiment morts corporellement, ils ne le sont cependant pas spirituellement. Le Seigneur dit dans l’Evangile de Matthieu: Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob; et il ajoute: Il n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants 15. Ils sont donc morts dans leur corps, mais ils vivent quant à l’esprit, parce qu’ils ont gardé la parole de Dieu, et qu’ils ont vécu par la foi 16. Le Seigneur disait cela en le comprenant de cette mort-là, et non de la mort corporelle.

Les Juifs répètent la parole du Seigneur en disant: ET TOI TU DIS: SI QUELQU’UN GARDE MA PAROLE, IL NE GOÛTERA JAMAIS LA MORT.

Tels des auditeurs dangereux et méchants, brouillant la parole du Seigneur, ils ne répètent pas exactement les mêmes mots. Le Seigneur a dit en effet: IL NE VERRA JAMAIS LA MORT; mais eux: IL NE GOUTERA JAMAIS LA MORT Selon leur manière de comprendre cette parole, cela revient au même, parce que dans les deux cas ils comprenaient qu’il n’y aurait JAMAIS d’expérience de LA MORT, c’est-à-dire de la mort corporelle. Mais selon la véritable compréhension, il y a, comme le dit Origène 17, une différence entre voir la mort et la goûter; car voir la mort c’est en avoir complètement l’expérience; tandis que la goûter, c’est en avoir un certain goût, ou y participer de quelque manière. Et de même que par rapport à la peine, c’est plus de voir la mort que de la goûter, de même par rapport à la gloire, c’est plus de ne pas goûter la mort que de ne pas la voir. En effet, ne la goûtent pas ceux qui sont au ciel avec le Christ, c’est-à-dire ceux qui se tiennent et demeurent dans un lieu spirituel; d’eux, il est dit: Il en est certains qui s ici qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venant avec son Royaume 18. Il en est d’autres cependant qui, tout en ne voyant pas la mort en péchant mortellement, la goûtent cependant par quelque léger attachement aux choses terrestres. Et le Seigneur a dit, comme on le voit dans le texte grec, et comme l’expose aussi Origène 19: IL NE VERRA pas LA MORT, parce que celui qui aura reçu et gardé la parole du Christ, même s’il goûte quelque chose de la mort, ne la verra cependant pas.
11. 1 Ro. 22, 22.
12. Ps 88, 49.
13. Gn 25, 7-10.
14. 2 Sam 14, 14.
15. Mt 22, 32 (Ex 3,6).
16. Ro 1, 17 et Ga 3, 11.
17. Comm. sur S. Jean, XX, XLIII, § 402, p. 351.
18. Mt 16, 28.
19. Op. cit., § 402-40.


1275. Ils l’interrogent enfin, en disant: SERAIS-TU PLUS GRAND QUE NOTRE PERE ABRAHAM, QUI EST MORT?

Ils cherchent d’abord à le comparer à leurs pères: SERAIS-TU, disent-ils, PLUS GRAND? Comme le dit Chrysostome 20, ils pouvaient, selon leur intelligence soumise à la chair, chercher plus haut encore, à savoir: SERAIS-TU PLUS GRAND que Dieu? Car Abraham et les prophètes ont gardé les commandements de Dieu, et cependant ils ont connu la mort corporelle. Ainsi donc, si un homme qui aura gardé ta parole ne meurt pas, il semble que tu sois plus grand que Dieu. Cependant, ils se sont contentés de cette réplique parce qu’ils l’estimaient plus petit qu’Abraham, alors qu’il est écrit dans le psaume: Il n’en est pas de semblable à toi parmi les dieux, Seigneur 21; et dans l’Exode: Qui est semblable à toi parmi les forts, Seigneur? 22 — c’est-à-dire: personne.

Ils s’enquièrent ensuite de sa propre appréciation, c’est-à-dire qu’ils cherchent à savoir pour qui il se prend: QUI TE PRETENDS-TU? Si tu es plus grand que ceux-là, à savoir Abraham et les prophètes, il semble qu’il faille comprendre par là que tu es d’une nature supérieure, par exemple un ange, ou bien Dieu. Mais nous ne le pensons pas de toi, — et c’est pourquoi ils ne disent pas: QUI ES-TU? Mais: QUI TE PRETENDS-TU? — parce que tout ce que tu dis, par où tu les surpasses, ne le reconnaissant pas de toi, nous pensons que tu l’inventes de toutes pièces. Ils disent la même chose plus loin: Nous ne te lapidons pas pour une bonne oeuvre, mais pour un blasphème, parce que, alors que tu es un homme, tu te fais toi-même Dieu 23.
20. In loannem hom., 55, 1, col. 302.
21. Ps 85, 8.
22. Ex 15, 11.
23. Jean 10, 33.



JÉSUS RÉPONDIT: SI MOIJE ME GLORIFIE MOI-MÊME, MA GLOIRE N’EST RIEN.

C’EST MON PÈRE QUI ME GLORIFIE, LUI DONT VOUS DITES QU’IL EST VOTRE DIEU ET VOUS NE L’AVEZ PAS CONNU: MAIS MOI JE L’AI CONNU ET SIJE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE À VOUS, UN MENTEUR. MAIS JE LE CONNAIS, ET JE GARDE SA PAROLE.

1276. L’Évangéliste expose ici la réponse du Seigneur: celui-ci commence par répondre à la seconde question [des Juifs], en refusant d’abord la fausseté dont ils l’accusaient [n° 1277], puis en enseignant la vérité qu’ils ignoraient [n° 1278], et en explicitant les deux choses sur lesquelles il a attiré l’attention. [n° 1280]. Il répondra ensuite à leur première question [n° 1287].

1277. Il dit donc: Vous m’interrogez en disant: QUI TE PRÉTENDS-TU? comme si la gloire que je n’ai pas, je l’usurpais pour moi! Mais inutile est le discours de ceux qui me guettent, car je ne me fais pas ce que je suis, mais je l’ai reçu du Père 24; en effet, SI MOI JE ME GLORIFIE MOI-MEME, MA GLOIRE N’EST RIEN Cela peut être compris du Christ en tant qu’il est le Fils de Dieu; en ce sens, il dit avec précision: SI MOI, c’est-à-dire moi seul, JE ME GLORIFIE MOI MEME, c’est-à-dire si je m’attribue une gloire que le Père ne me donne pas, MA GLOIRE N’EST RIEN; car la gloire du Christ en tant qu’il est Dieu, c’est la gloire du Verbe et du Fils de Dieu; or le Fils n’a rien en dehors du fait qu’il est né, c’est-à-dire en dehors de ce qu’il a reçu en naissant d’un autre: si donc il se trouvait par impossible que sa gloire ne soit pas d’un autre, elle ne serait pas la gloire du Fils.

Il semble cependant meilleur [de penser] que cela est dit du Christ en tant qu’homme. En effet, si quelqu’un s’attribue une gloire qu’il ne tient pas de Dieu, cette gloire est fausse; car tout ce qui est de la vérité est de Dieu; et ce qui est le contraire de la vérité est faux, et par conséquent n’est rien. Donc, la gloire qui n’est pas de Dieu n’est rien. Il est dit du Christ dans l’épître aux Hébreux qu’il ne s'est pas glorifié lui-même en se faisant grand prêtre 25. — Ce n’est pas celui qui se recommande lui-même qui est un homme éprouvé, mais c’est celui que Dieu recommande 26.

Ainsi est prouvée la fourberie des Juifs.
24. Cf. ORIGÈNE, Comm. sur S. Jean, XX, XLIV, § 419, p. 359.
25. He 5, 5.
26. 2 Co 10, 18.


1278. Le Christ expose la vérité qu’il a l’intention d’enseigner en disant: C’EST MON PERE QUI ME GLORIFIE, LUI DONT VOUS DITES QU'IL EST VOTRE DIEU Autre ment dit: moi je ne me glorifie pas moi-même, comme vous le prétendez; mais il est autre celui qui me glorifie, à savoir MON PERE. Il le décrit ici par sa propriété et par sa nature 27.

Par sa propriété, qui est la paternité; c’est pourquoi il dit C’EST MON PERE, et non moi.

Utilisant cette parole, les Ariens, comme le note Augustin 28, accusent abusivement notre foi en disant que le Père est plus grand que le Fils; car celui qui glorifie est plus grand que celui qui est glorifié par lui. Si donc le Père glorifie le Fils, le Père est plus grand que le Fils.

Il faut dire que cet argument aurait quelque vraisemblance, si on ne lisait à l’inverse que le Fils glorifie (glorificare) le Père; le Fils dit en effet: Père, l’heure est venue, glorifie (clarifica) ton Fils, pour que ton Fils te glorifie 29. Et plus loin, dans le même chapitre: Moi je t’ai glorifié (clarifica) sur la terre 30. Or glorificare et clarificare rendent en latin un seul et même mot grec; et selon Ambroise, "la gloire (gloria) est une connaissance lumineuse (clara) accompagnée de louange" 31.


C'EST MON PÈRE QUI ME GLORIFIE

Cette parole peut se rapporter au Christ, et en tant qu’il est Fils de Dieu, et en tant qu’il est Fils de l’homme.

En tant qu’il est Fils de Dieu, le Père le glorifie de la gloire de la divinité, en l’engendrant égal à lui-même de toute éternité — Splendeur de sa gloire et effigie de sa substance — Que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père 33.

Mais en tant qu’homme, il a eu la gloire par une surabondance en lui de la divinité, une surabondance de grâce et de gloire unique — Nous avons vu sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité 34.
27. Comprenons bien ce langage de saint Thomas. Il prend ici "propriété" dans un sens très large; entre le Père et le Fils, il y a une relation mutuelle, qui est comme une propriété de la divinité. Le Père se distingue alors du Fils par sa paternité. On peut donc dire d’une certaine manière que la paternité est comme sa propriété.
28. Tract, in Ioann., XLIII, 14, p.; saint Augustin leur répond aussitôt par l’argument que saint Thomas reprend ci-dessous.
29. Jean 17, 1.
30. Jean 17, 4.
31. Voir Somme théol., I-II, q. 2, a. 3. Il s’agit en fait de saint Augustin qui reprend par deux fois cette définition dans son commentaire du quatrième Evangile (C, 1, p. 588, II, 32-33; CV 3, p. 605, 11. 24-25), identifiant gloria et claritas. Il se réfère lui-même aux "anciens et très célèbres auteurs". Le Thesaurus donne Cicéron, De l’invention, 1. 11, 55, éd. Garnier, § 166, p. 263.


1279. Il le décrit ensuite par la nature de la divinité, quand il dit: LUI DONT VOUS DITES QU’IL EST VOTRE DIEU Pour qu’on ne pense pas que le Père est autre que Dieu, il dit qu’il est glorifié par Dieu — Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié et Dieu a été glorifié en lui. Si Dieu a été glorifié en lui Dieu aussi le glorifiera en lui-même 35.

Selon Augustin 36, cette parole s’oppose aux Manichéens, qui disent que le Père du Christ n’a pas été annoncé dans l’Ancien Testament, mais qu’il est l’un des chefs des mauvais anges. Or il est établi que les Juifs ne disent pas que leur Dieu est un autre que le Dieu de l’Ancien Testament. Donc, le Dieu de l’Ancien Testament est le Père du Christ qui le glorifie.
32. He 1, 3. Saint Thomas commente ainsi la première partie de ce ver set: "Selon Ambroise, 'la gloire est une connaissance lumineuse accompagnée de louange*, comme une certaine connaissance manifeste que l’on a de la bonté de quelqu’un. Mais comme il est dit que personne n’est bon, si ce n’est Dieu (Mt 19,17 Lc 18,19), Dieu est la bonté par antonomase, et par essence, tandis que les autres réalités sont bonnes par participation; ainsi, à Dieu seul convient la gloire par antonomase — Ma gloire, je ne la donnerai pas à un autre (Isaïe 42, 8). — Au roi des siècles, immortel, invisible, au seul Dieu, honneur et gloire (1Tm 1,17). Donc, la connaissance de la bonté divine, d’une manière excellente et par antonomase, est dite gloire, c’est la "connaissance lumineuse accompagnée de louange" de la bonté divine. L’homme possède en quelque façon (aliqualiter) cette connaissance — Mainte nant, je le connais en partie (1 Corinthiens 13, 12); elle est possédée par les anges d’une manière plus excellente, mais elle ne l’est d’une manière par faite que par Dieu seul. Dieu, en effet, personne ne l’a jamais vu (Jn 1,18); cela est vrai: les anges eux-mêmes ne le voient pas de manière à le comprendre, mais lui seul se comprend lui-même. Donc, seule la connaissance que Dieu a de lui-même peut être parfaitement appelée gloire, parce qu’il possède une connaissance parfaite et très lumineuse de lui-même.
La splendeur est ce qui est émis en premier lieu par ce qui est éclatant, et la sagesse est quelque chose d’éclatant — La sagesse de l’homme resplendit sur son visage (Qo 8,1). G’est pourquoi la première conception de la sagesse est comme une splendeur. Donc, le Verbe du Père, qui est un fruit conçu de son intelligence, est la splendeur de sa Sagesse par laquelle il se connaît. Et c’est pourquoi l’Apôtre appelle le Fils la splendeur de sa gloire, c’est-à-dire la splendeur de la connaissance divine pleine de lumière. En cela, il montre qu’il n’est pas seule ment sage, mais la Sagesse engendrée — A cause de Sion, je ne me tairai pas, et à cause de Jérusalem je n'aurai de cesse, jusqu ce que son juste ne sorte comme une splendeur, et que son sauveur ne brûle comme une lampe (Isaïe 62, 1)" (Ad Hebraeos lect., I, leç. 2, n° 26).
33. Phi 2, 11.





ET VOUS NE L’AVEZ PAS CONNU: MAIS MOIJE L’AI CONNU ET SIJE DISAIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE À VOUS, UN MENTEUR. MAIS JE LE CONNAIS, ETJE GARDE SA PAROLE.

1280. Le Christ explicite ici la fourberie des Juifs, et sa vérité à lui. Il le fait de deux façons: d’abord en montrant l’ignorance des Juifs [n° 1281], puis en montrant sa propre connaissance [n° 1283].

ET VOUS NE L'AVEZ PAS CONNU

1281. A propos de l’ignorance des Juifs, il faut savoir qu’ils auraient pu dire: Toi, tu dis que tu es glorifié par notre Dieu; mais ses jugements nous sont connus, selon ce que dit le psaume: Il n'a pas fait ainsi pour toutes les nations, et vos jugements, il ne les leur a pas manifestés 37. Donc, si ce que tu dis était vrai, nous le saurions de toute façon: comme cela nous est caché, il est établi que ce n’est pas vrai. C’est pourquoi le Christ dit en concluant: ET VOUS NE L’AVEZ PAS CONNU; autrement dit: il n’est pas étonnant que vous n’ayez pas reconnu la gloire dont me glorifie mon Père, que vous dites votre Dieu, puisque vous ne le connaissez pas lui-même.

1282. Mais n’est-il pas dit: Dieu est connu en Judée 38. À cela il faut répondre qu’ils le connaissent comme Dieu, mais non comme Père; c’est pourquoi le Christ a dit plus haut: C’EST MON PERE QUI ME GLORIFIE. Ou bien il faut dire: vous ne l’avez pas connu par une volonté aimante, parce que vous honorez d’une manière charnelle celui qui doit être honoré d’une manière spirituelle — Dieu est esprit, et ceux qui adorent doivent adorer en esprit et en vérité 39. De même, vous ne le connaissez pas d’une manière effective, parce que vous méprisez d’accomplir ses commandements — Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renient par leurs actes 40.
35. Jean 13, 31.
36. Op. cit., XLIII, 15, p. 379, 11. 5-15.
37. Ps 147, 20.
34. Jean 1, 14; voir vol. I, n° 179 ss.


1283. Mais ils auraient pu dire: soit, nous ne connais sons pas ta gloire, mais comment connais-tu que tu tiens ta gloire de Dieu le Père? Le Christ poursuit donc en montrant sa propre connaissance, lorsqu’il dit: MAIS MOI JE L'AI CONNU ET SIJE DIS QUEJE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE À VOUS, UN MENTEUR. MAIS JE LE CONNAIS, ET JE GARDE SA PAROLE.

Le Christ expose d’abord sa connaissance [n° 1284], puis la nécessité de l’affirmer [n° 1285]; enfin il explicite ce qu’il dit [n° 1286].

1284. Il dit donc: Je sais que je tiens la gloire de Dieu le Père, parce que MOI JE L’AI CONNU, c’est-à-dire de cette connaissance dont il se connaît lui-même, et que nul autre n’a en dehors du Fils — Personne ne connaît le Fils, si ce n'est le Père, et personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils, c’est-à-dire d’une connaissance de parfaite compréhension. Et parce que tout ce qui est imparfait tient son commencement de ce qui est parfait, de là vient que toute notre connaissance est dérivée du Verbe; c’est pourquoi on lit ensuite: et celui à qui le Fils veut le révéler 41.

1285. Mais parce que ceux qui jugent selon la chair pourraient considérer comme une arrogance, de la part du Christ, de dire qu’il connaît Dieu, il poursuit en montrant la nécessité de sa parole: ET SI JE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE A VOUS, UN MENTEUR.

Car selon Augustin 42, il ne convient pas que, pour éviter l’arrogance, on abandonne la vérité et on tombe dans le mensonge. C’est pourquoi le Christ dit: SI JE DIS... autrement dit: comme vous, vous mentez quand vous dites que vous le connaissez, ainsi moi, SIJE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, alors que je le connais, JE SERAI SEMBLABLE A VOUS, UN MENTEUR. Cette similitude provient d’une attitude contraire puisqu’elle serait une similitude dans le mensonge: de même que ceux-ci mentent en disant qu’ils con naissent celui qu’ils ignorent, ainsi le Christ serait un menteur en disant ignorer celui qu’il connaît. Mais il y a une différence dans cette connaissance, parce que ceux-là ne le connaissent pas, alors que le Christ le connaît parfaitement 43.


ET SI JE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE À VOUS, UN MENTEUR.

Mais le Christ aurait-il pu s’exprimer de la sorte? Certes, il aurait pu en exprimer matériellement les paroles, mais il n’aurait pu avoir l’intention d’exprimer quelque chose de faux; ceci en effet n’aurait pu se faire que par une inclination de la volonté du Christ vers le faux, ce qui était impossible, comme il lui était impossible de pécher. Cependant, la conditionnelle reste vraie, bien que l’antécédent et le conséquent soient impossibles 44.
38. Ps 75, 2. Cf. n° 1161 et note 35.
39. Jean 4, 24; voir vol. II, n° 611.
40. Ti 1, 16.
41. Mt 11, 27.


1286. Qu’il connaisse le Père, il l’explicite en ajoutant: MAIS JE LE CONNAIS ETJE GARDE SA PAROLE.

[Je le connais] d’une connaissance spéculative: JE LE CONNAIS intellectuellement, de la connaissance qu’on a dite 45; LE, c’est-à-dire le Père. De même, [je le connais] d’une connaissance affective, c’est-à-dire par une harmonie de ma volonté avec lui: ET JE GARDE SA PAROLE. — Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé 46.
42. Depuis le début du paragraphe: op. cit., XLIII, 15, p. 379, 11. 15-20.
43. Saint Thomas joue ici sur deux mots latins: cognoscere et scire; voir n°1161 et la note 36.
44. Voir ch. VII, n° 1063 et 1064.



ABRAHAM VOTRE PÈRE A EXULTÉ DE CE QU’IL VERRAIT MON JOUR: IL L’A VU, ET IL A ÉTÉ DANS LA JOIE.

1287. Le Christ répond ici à la première question que lui avait posée les Juifs, à savoir: SERAIS-TU PLUS GRAND QUE NOTRE PERE ABRAHAM, QUI EST MORT?

Il montre qu’il est plus grand pour cette raison [qu'Abraham s’est réjoui]. En effet, quiconque attend de quelqu’un du bien, et sa perfection, est plus petit que celui dont il les attend; or Abraham a eu en moi toute l’espérance de sa perfection et de son bien: il est donc plus petit que moi. C’est pourquoi le Christ dit: ABRAHAM VOTRE PERE, au sujet duquel vous vous glorifiez, A EXULTE DE CE QU’IL VERRAIT MON JOUR: IL L’A VU, ET IL A ETE DANS LA JOIE. Le Christ parle d’une double vision et d’une double joie, mais dans un ordre différent.

Il mentionne d’abord la joie de l’exultation: A EXULTE, et il ajoute la vision en disant: DE CE QU’IL VERRAIT. Ensuite, il met en premier lieu la vision: IL L’A VU, et il ajoute la joie: ET IL A ETE DANS LA JOIE.

Ainsi, la joie demeure entre deux visions, procédant de l’une et tendant vers l’autre; autrement dit: IL L'A VU, ET IL A ETE DANS LA JOIE, et IL A EXULTE, c’est-à-dire il s’est réjoui, DE CE QU’IL VERRAIT MON JOUR.

Il faut donc voir d’abord quel est ce jour qu’il a vu, et à la pensée duquel il a exulté. Or le jour du Christ est double: celui de l’éternité, dont il est question dans le psaume: Moi aujourd’hui, je t’ai engendré 47; et le jour de l’Incarnation et de l’humanité, dont il est question plus loin: il me faut travailler aux oeuvres de celui qui m’a envoyé, tant qu'il fait jour 48. — La nuit est passée, le jour est venu 49. Nous disons donc de l’une et l’autre manière qu’Abraham a d’abord vu par la foi le jour du Christ, c’est-à-dire celui de l’éternité et celui de l’Incarnation — Abraham crut en Dieu, et cela lui fut compté comme justice 50.

Qu’il ait vu le jour de l’éternité, cela est manifeste; autrement, il n’aurait pas été justifié par Dieu, parce que, comme le dit l’épître aux Hébreux, il faut que celui qui s’approche de Dieu croie qu'il existe 51.

Qu’il ait vu le jour de l’Incarnation, cela nous est révélé par trois choses: d’abord par le serment qu’il exigea de son serviteur, car il dit au serviteur qu’il envoyait: Place ta main sous ma cuisse, et jure par le Dieu du ciel 52; comme le dit Augustin 53, en cela nous était signifié que le Dieu du ciel sortirait de sa cuisse. Ensuite, comme le dit Grégoire 54, lorsqu’il donna l’hospitalité à trois anges, figures de la Très Sainte Trinité 55. Enfin, quand il connut en préfiguration la Passion du Christ, dans le sacrifice d’un bélier et d’Isaac 56.

Ainsi donc, IL A ÉTÉ DANS LA JOIE de cette vision; mais il ne s’est pas reposé en elle; bien au contraire, à partir de celle-ci IL A EXULTE en entrant dans une autre vision, à savoir la vision sans obstacle et claire 57, plaçant en elle toute sa joie. C’est pourquoi le Christ dit: IL A EXULTE DE CE QU’IL VERRAIT, par une vision claire, MON JOUR, celui de ma divinité et de mon humanité — Beaucoup de rois et de prophètes ont voulu voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu 58.
45. Le texte latin est: sed scio eum; voir n° 1285 et note 43.
46. Jean 6, 38.
47. Ps 2, 7. "Moi, aujourd’hui, je t’ai engendré, c’est-à-dire éternellement; en effet, ce n est pas une génération nouvelle, mais éternelle, et c’est pourquoi le psalmiste dit aujourd’hui: ce mot signifie le temps présent, et ce qui est éternel est toujours. Il dit aussi je t'ai engendré, et non pas 'je t’engendre*, pour désigner la perfection de la génération: en effet, puisque cette génération est sans mouvement, en même temps il est engendré et il a été engendré. Il dit encore aujourd’hui pour désigner l’éternel présent et l’éclat qui conviennent au Christ, qui habite une lumière inaccessible (1Tm 6,16), et qui est vraiment, en qui il n’y a ni passé, ni futur, ni rien d’obscur, mais la clarté lumineuse" (Exp os. in Ps 2, n° 5).
48. Jean 9, 4.
49. Ro 13, 12. Saint Thomas, en commentant ce verset, nous dit que l’on peut comparer à la nuit "tout le temps de la vie présente, à cause des ténèbres de l’ignorance dans lesquelles la vie présente souffre avec peine"; ou encore "l’état de la faute, à cause des ténèbres de la faute"; ou enfin "les temps précédant l’Incarnation du Christ, parce qu’elle n’était pas encore manifeste, mais comme sous la ténèbre"; et ainsi, le jour signifie "l’état de la béatitude future, à cause de l’éclat lumineux de Dieu dont les saints sont illuminés ", ou "l’état de grâce, à cause de la lumière de l’intelligence spirituelle, que les justes possèdent, mais qui fait défaut aux impies ", ou enfin "le temps à partir de l’incarnation du Christ, à cause de la puissance du soleil spirituel dans le monde" (Ad Rom. lect., XIII, leç. 3, n° 1066-1068).
50. Gn 15, 6. Cf. SAINT AUGUSTIN Tract, in Ioann., XLIII, 16, p. 380, 11. 11-19.
51. He 11, 6.
52. Gn 24, 2-3.
53. Loc. cit., 11. 27-38.
54. XL hum, in Ev., I, hom. 18, col. 1152 A.





LES JUIFS LUI DIRENT DONC: TU N’AS PAS ENCORE CINQUANTE ANS, ET TU AS VU ABRAHAM? J ÉSUS LEUR DIT: AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, AVANT QU’ABRAHAM FÛT FAIT, MOI JE SUIS.

1288. L’Évangéliste montre ici comment les Juifs tournent en dérision les paroles du Christ.

Il montre d’abord comment les Juifs se moquent des paroles du Christ de manière à le confondre [n° 1289], puis comment le Christ explicite ces paroles pour que leur moquerie porte à faux [n° 1290].

1289. Parce que donc le Christ avait dit: ABRAHAM VOTRE PERE A EXULTE DE CE QU’IL VERRAIT MON JOUR, les Juifs, ayant des esprits soumis à la chair et ne considérant que l’âge physique 59, tournent sa parole en dérision et disent: TU N’AS PAS ENCORE CINQUANTE ANS; bien sûr, il n’en avait ni cinquante, ni même quarante: il avait environ trente ans — Et Jésus, lors de ses débuts, avait environ trente ans 60.

Ils disent: TU N’AS PAS ENCORE CINQUANTE ANS, peut-être parce que chez les Juifs l’année jubilaire était tenue en très grande révérence: on comptait tout à partir d’elle; et c’était l’année pendant laquelle on relâchait les captifs et on cédait les biens qu’on avait acquis 61. Cette parole revient donc à dire: tu n’as pas encore dépassé l’es pace d’un jubilé, et TU AS VU ABRAHAM! bien que le Seigneur n’eût pas dit avoir vu Abraham, mais "qu’Abraham avait vu son jour".
55. Voir Gn 18.
56. Voir Gn 22. Cette troisième référence est donnée par Chrysostome, in loannem hom., 55, ch. 2, col. 304; on peut sans doute rapprocher, à l’occasion de cette remarque, les deux expressions: mon jour et mon heure, celle-ci désignant dans la pensée du Christ, l’heure de la Croix.
57. Apertam et perspeciem; cf. n° 1145 etia note 23.
58. Luc 10, 24.
59. Cf. GRÉGOIRE LE GRAND, loc. cit.


1290. C’est pourquoi le Seigneur, en répondant aux Juifs, explique ses paroles, pour ne pas donner prise à leur moquerie: AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, AVANT QU'ABRAHAM FUT FAIT, MOI JE SUIS.

Le Seigneur dit à son propre sujet deux choses remarquables, qui sont efficaces contre l’hérésie des Ariens. L’une, comme le dit Grégoire 62, est que sa parole unit un temps passé et un temps présent: AVANT signifie en effet le passé, et JE SUIS est au temps présent. Ainsi, pour montrer qu’il est éternel, et pour révéler que son être est être d’éternité, il ne dit pas: "Avant Abraham, moi je fus 63, mais: AVANT ABRAHAM, MOI JE SUIS; car l’être éternel ne con naît pas le passé et le futur, mais inclut tout temps dans un [instant] indivisible. C’est pourquoi il peut être dit: Celui qui est m’a envoyé vers vous, et Je suis celui qui suis 63.Avant donc ou après Abraham il a eu l’être, lui qui put entrer dans le monde par la manifestation du présent et s’en retirer par le cours de la vie.

L’autre chose, selon Augustin 64, c’est qu’en parlant d’Abraham, qui est une créature, il n’a pas dit: avant qu’Abraham fût, mais: AVANT QU’ABRAHAM FUT FAIT; alors que, parlant de lui-même, pour montrer qu’il n’a pas été fait, comme une créature, mais qu’il est engendré de toute éternité de l’essence du Père, il ne dit pas: Moi je suis fait, mais MOI JE SUIS, lui qui dans le Principe était le Verbe 65 — Avant toutes les collines, le Seigneur m’a engendré 66.
60. Luc 3, 23.
61. Cf. THEOPHYLACTUS Enarratio in Ev. S. Ioannis, in h. loc., PG 124, col. 38 D-39 A.
62. Lac. cit., col. 1152 B.
63. Ex 3, 14.
64. Tract, in Ioann., XLIII, 18, p. 381.







ILS RAMASSÈRENT DONC DES PIERRES POUR LES LUI JETER, MAIS JÉSUS SE DÉROBA À LEUR VUE ET SORTIT DU TEMPLE.

1291. L’Évangéliste expose ici la tentative [d'homicide] des Juifs contre le Christ; il montre d’abord les Juifs poursuivant le Christ, puis la fuite de celui-ci [n° 1292].

Si les Juifs poursuivent le Christ, cela vient de ce qu’ils ne croient pas. Car les esprits de ceux qui ne croient pas, n’ayant pas la force de supporter des paroles d’éternité, ni de les comprendre, les considèrent comme des blasphèmes; et c’est pourquoi, selon le commandement de la Loi 67, voulant le lapider comme blasphémateur, ILS RAMASSERENT DES PIERRES POUR LES LUI JETER 68. Et comme le dit Augustin 69, une telle dureté de pierre, où courrait-elle si ce n’est vers des pierres? — Nous ne te lapidons pas pour une bonne oeuvre, mais pour un blasphème 70. Ils font la même chose, ceux qui, ne comprenant pas à cause de la dureté de leur coeur la vérité apportée par ceux qui en ont l’expérience, blasphèment celui qui la proclame — d’où ce qui est écrit dans l’épître canonique de Jude: Ils blasphèment tout ce qu’ils ignorent 71.

1292. La fuite du Christ procède de sa puissance: JESUS SE DEROBA A LEUR VUE ET SORTIT DU TEMPLE, lui qui, s’il avait voulu exercer la puissance de sa divinité dans ses actes, les aurait liés, ou les aurait précipités dans les peines d’une mort subite 72.

MAIS IL SE DÉROBA À LEUR VUE spécialement pour deux raisons; d’abord pour donner à ceux qui reçoivent sa parole l’exemple qu’il faut éviter ses persécuteurs — Lorsqu’on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre 73. Ensuite, parce qu’il n’avait pas choisi ce genre de mort, mais voulut plutôt être immolé sur l’autel de la Croix 74; et parce que le temps n’était pas encore accompli, il s’enfuit encore. Ainsi donc, en tant qu’homme il fuit leurs pierres 75. Cependant il ne se cache pas sous une pierre ou dans quelque coin, mais, se rendant invisible à leurs yeux par la puissance de sa divinité, il SORTIT et s’éloigna DU TEMPLE 76. Il fit de même lorsqu’ils voulurent le précipiter du haut d’une montagne 77. En cela, comme le dit Grégoire, il nous est donné à comprendre que la vérité elle-même est cachée à ceux qui tiennent pour négligeable de suivre ses paroles. Le fait est que la vérité fuit l’esprit qu’elle ne trouve pas humble — Lui qui cache sa face à la maison de Jacob... 78

De même aussi, il SE DEROBA A LEUR VUE ET SORTIT DU TEMPLE parce qu’il devait les laisser, eux qui ne recevaient pas une correction de sa part, ni la vérité, et qu’il devait aller vers les nations — Votre maison vous sera laissée déserte 79.
65. Jean 1, 1.
66. Prov 8, 25.
67. Voir Lev 24, 16.
68. Cf. GREGOIRE LE GRAND, loc. cit., col. 1152 C.
69. Loc. cit 1. 5.
70. Jean 10, 33.
71. Jude 10.
72. Cf. GRÉGOIRE LE GRAND, loc. cit.
73. Mt 10, 23. Cf. GRÉGOIRE LE GRAND, loc. cit. Voir ci-dessus, n° 1207.
74. "In ara crucis voluit immolari"; voir ch. VII, n° 1096 et la note 55.
75. Cf. SAINT AUGUSTIN, loc. cit., 1. 14.
76. Cf. THEOPHYLACTUS, Enarr. in Ev. S. b., in h. loc., col. 39 B.
77. Voir Luc 4, 29.
78. Isaïe 8, 17. Loc. cit., col. 1153 B.
79. Mt 23, 38.








CHAPITRE IX: La puissance illuminative de l'enseignement du Christ confirmée par un acte


Thomas sur Jean 59