Thomas sur Jean 75

75 Jn 11,28-37

1521. Après que l’Évangéliste a commencé à exposer les traits particuliers de Marthe [n° 1509], il poursuit en décrivant ceux de Marie, sa soeur; et d’abord il décrit son appel, puis sa venue à la rencontre du Christ [n° 1524], enfin la dévotion qu’elle témoigna au Christ [n° 1528].



Jean 11, 28: L’APPEL DE MARIE



ET AYANT DIT CELA, ELLE PARTIT ET APPELA MARIE, SA SOEUR, EN SILENCE, EN DISANT: "LE MAÎTRE EST LÀ, ET IL T’APPELLE."

1522. Marie est appelée par Marthe; celle-ci, consolée et instruite par le Christ, ne voulant pas que sa soeur soit privée d’une telle consolation, AYANT DIT les paroles dites juste auparavant avec le Seigneur, PARTIT ET APPELA MARIE, SA SOEUR, EN SILENCE, EN DISANT: "LE MAÎTRE EST LÀ, ET IL T'APPELLE 8."

Il y a là deux choses douteuses. D’abord au sujet du EN SILENCE. Car le silence n’est rien d’autre que la privation de la parole ou du son; elle n’aurait donc pas pu l’appeler en silence.

Je réponds: Augustin 9 dit que l’Evangéliste a dénommé silence la voix contenue, comme s’il disait: elle l’appela tout bas, selon ce que dit l’Ecclésiaste: Les paroles des sages sont entendues dans le silence 10. Et si elle l’appelle silencieusement, c’est parce qu’une multitude de Juifs était avec elle, comme on l’a dit, et que peut-être il s’en trouvait parmi eux quelques-uns qui n’aimaient pas le Christ ou qui s’en seraient allés 11, ou qui, en entendant cela, n’auraient pas suivi Marie 12.
1. Dispensatio est un terme typiquement paulinien. En effet, dans toute l’Ecriture, on ne le trouve qu’en saint Paul, cinq fois (1 Corinthiens 9, 17; Ep 1,10 et 3,2 et 9; Col 1,25). Sur le sens de ce terme latin
voir n° 762, note 4.
2. Lc2, 11.
3. Ps44, 8. Cf. n° 1119, note 4.
4. in 3, 34.
5. 1 Jn 5, 20.
6. Jn 16, 28.
7. Mt 16, 16.
8. Nous préférons ici le texte de l’édition Msrietti à celui de l’édition léonine, qui porte seulement statim et vocavit Mariam ".
9 Tract. in Io, XLIX, 16, BA 731), p. 236-237.
10. Qo 9, 17.


Au sens mystique, il est donné à entendre que celui qui crie vers le Christ seulement par la voix le fait d’une manière extérieure, mais [que celui qui appelle] dans le silence le fait d’une manière plus efficace. C’est pourquoi on dit: Dans le silence et l’espérance sera votre force.

1523. Le second point douteux est dans cette parole: LE MAÎTRE EST LÀ, ET IL T’APPELLE. Elle semble avoir dit quelque chose de faux, car le Seigneur n’a pas dit à Marthe qu’il appelait Marie.

Je réponds: Augustin dit que l’Evangéliste, pour être bref, donne à comprendre ce qu’il avait omis dans son récit. Car peut-être le Seigneur a-t-il dit à Marthe qu’il l’appelait. D’autres disent que Marthe regarda la présence même du Christ comme un appel; comme si elle disait: il est inexcusable que lui étant présent, toi tu ne sortes pas à sa rencontre.

Jean 11, 29-31: MARIE ACCOURT AU-DEVANT DU CHRIST



1524. L’Évangéliste expose ensuite la venue de Marie au-devant [du Christ].


CELLE-CI, QUAND ELLE ENTENDIT, SE LEVA RAPIDEMENT ET VINT VERS LUI.

JÉSUS EN EFFET N’ÉTAIT PAS ENCORE VENU AU VILLAGE, MAIS IL ÉTAIT TOUJOURS DANS LE LIEU OÙ MARTHE AVAIT ACCOURU AU-DEVANT DE LUI. LES JUIFS DONC QUI ÉTAIENT AVEC [MARIE] DANS LA MAISON ET LA CONSOLAIENT, VOYANT QUE VITE ELLE SE LEVAIT ET SORTAIT, LA SUIVIRENT, SE DISANT ELLE VA AU TOMBEAU POUR Y PLEURER.

Il commence par montrer la promptitude de Marie à aller au-devant du Christ, puis le lieu vers lequel elle accourut vers lui [n° 1526], enfin ceux qui la suivent pour l’accompagner [n° 1527].



CELLE-CI, QUAND ELLE ENTENDIT, SE LEVA RAPIDEMENT ET VINT VERS LUI.

1525. La promptitude de Marie à aller au-devant du Christ est décrite [pour souligner] qu’elle ne différa pas cela à cause de son chagrin 6 et ne tarda pas à cause de ceux qui se tenaient là, mais aussitôt, QUAND ELLE ENTENDIT, elle SE LEVA RAPIDEMENT, [quittant] la maison dans laquelle elle était, ET ELLE VINT VERS LUI, Jésus. De là il ressort avec évidence que Marthe ne l’aurait pas prévenue si l’arrivée de Jésus lui avait été connue dès le début 7.

Par là nous est donné l’exemple qu’il ne faut pas tarder lorsque nous sommes appelés [à nous tourner] vers le Christ — Ne tarde pas à te tourner vers le Seigneur, et ne diffère pas de jour en jour — Que je l’écoute comme un maître 9.
11. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In loannem hom., LXIII, I, PG 59, col. 349.
12. Le texte de l’édition léonine porte: "Mariam sequerentur". Nous préférons garder le texte de l’édition Marietti: "Mariam non sequerentur".
3. Is 30, 15.
4. Tract, in Ioann., XLIX, 16, BA 73", p. 236-237.
5. Ainsi THÉOPHYLACTE, Enarr. in Ev. S. bannis, chap. 11, PG 124, col. 98 C.
6. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In loannem hom., LXIII, 1, PG 59, col. 349.
7. Cf. THÉOPHYLACTE, Enarr. in Ev. S. bannis, chap. 11, PG 124, col. 99 A.
8. Si 5, 8.
9. Is 50, 4. Rappelons ici ce qui entoure cette parole d’Isaïe Il éveille le matin, le matin il éveille mon oreille, parce que je l’écoute comme un maître. Le Seigneur Dieu m’a ouvert l’oreille. Saint Thomas commente: s Il éveille, pour me rendre attentif; le matin — au commencement de ma prédication, ou au commencement de ma vie, — ou parce que c’est à ce moment-là qu’il avait coutume de prier, — Aux heures matinales, je méditerai sur toi (Ps 62,7). Il m’a ouvert l’oreille, pour comprendre, J’écouterai ce que dit en moi le Seigneur Dieu (Ps 84,9), — Vous n’avez qu’un seul Maître, le Christ (Mt 23,10)" (Exp. super Isaïam, 50, 4, p. 205, I. 59-65).





JÉSUS EN EFFET N’ÉTAIT PAS ENCORE VENU AU VILLAGE, MAIS IL ÉTAIT TOUJOURS DANS LE LIEU OÙ MARTHE AVAIT ACCOURU AU-DEVANT DE LUI.

1526. Le lieu où Marie rencontra le Christ est le même que celui où Marthe avait parlé avec Jésus. L’Evangéliste montre cela pour qu’on ne croie pas que la venue de Marie au-devant de lui est superflue — puisque le Christ aurait pu venir au village bien plus rapidement, de même que Marthe. Si le Seigneur demeura dans ce lieu, c’est pour qu’il ne semble pas s’imposer par un miracle mais que, lorsque prié et supplié il opèrerait le miracle 1, les Juifs confessent que Lazare était mort, et qu’ainsi le miracle ne souffre aucune calomnie.

Par là est donné aussi à entendre que lorsque nous voulons jouir de la présence du Christ, il nous faut anticiper sa venue sans attendre que lui-même descende jusqu’à nous; il faut plutôt que nous-mêmes nous rendions à lui — Eux-mêmes se tourneront vers toi, mais toi tu ne te tourneras pas vers eux 2.



LES JUIFS DONC, QUI ÉTAIENT AVEC £[MARIE] DANS LA MAISON ET LA CONSOLAIENT, VOYANT QUE VITE ELLE SE LEVAIT ET SORTAIT, LA SUIVIRENT, SE DISANT: ELLE VA AU TOMBEAU POUR Y PLEURER.

1527. L’Évangéliste décrit ici ceux qui suivent Marie pour l’accompagner. Il montre la raison pour laquelle ils la suivaient, en disant ELLE VA AU TOMBEAU POUR Y PLEURER. Car ils croyaient qu’elle faisait cela sous l’impulsion de la douleur en effet, ils n’avaient pas entendu les paroles que Marthe avait dites à Marie. En cela les Juifs sont louables — Ne manque pas de consoler ceux qui pleurent 3. Néanmoins, la divine Providence fit qu’ils la suivirent,

pour que, du fait de leur présence nombreuse, quand Lazare fut relevé, "ce si grand miracle de la résurrection d’un mort de quatre jours trouve de très nombreux témoins", comme le dit Augustin 4.



Jean 11, 32-42: LA DÉVOTION DE MARIE ENVERS JÉSUS




QUAND DONC MARIE FUT VENUE OÙ ÉTAIT JÉSUS, LE VOYANT ELLE TOMBA À SES PIEDS ET LUI DIT: "SEIGNEUR, SI TU AVAIS ÉTÉ LÀ, MON FRÈRE NE SERAIT PAS MORT."

1528. Puis c’est la dévotion de Marie envers Jésus qui est mise en lumière, et d’abord la dévotion qu’elle a témoignée par un geste, puis la dévotion qu’elle a témoignée par la parole [n° 1530].



QUAND DONC MARIE FUT VENUE OÙ ÉTAIT JÉSUS, LE VOYANT ELLE TOMBA À SES PIEDS.

1529. À propos [de son geste], remarquons en Marie l’assurance et l’humilité.

L’assurance, parce qu’à l’encontre de l’ordre donné par les chefs, que personne ne confesse le Christ, elle n’a pas peur de la foule, ni ne craint la suspicion des Juifs au sujet du Christ: alors que plusieurs des ennemis du Christ étaient présents, elle courut vers le Christ — Le juste hardi comme le lion sera sans terreur 5.

Puis son humilité, parce qu’ELLE TOMBA À SES PIEDS, ce qu’on ne dit pas de Marthe — Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu, afin qu’il vous élève au temps de sa visite 6 — Nous adorerons dans le lieu où se sont arrêtés ses pieds 7.
1. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In loannem hom., LXIII, 1, PG 59, col. 349.
2. Jr 15, 19.
3. Si 7, 38.
4. Tract, in Ioann., XLIX, 17, BA 73", p. 236-237.
5. Pr 28,1.


6. 1 P 5, 6.


7. Ps 131, 7.





SEIGNEUR, SI TU AVAIS ÉTÉ LÀ, MON FRÈRE NE SERAIT PAS MORT.

1530. Lorsqu’elle lui a dit cela, elle a manifesté sa dévotion par la parole. Elle croyait en effet que lui était la Vie, et que là où il se trouve, la mort n’a pas lieu — Il n’existe pas d’union de la lumière avec les ténèbres 1. "Tant qu’il fut présent avec nous, comme le dit Augustin, aucune maladie, aucune infirmité n’a osé apparaître dans la maison de celles chez qui elle [la maladie] savait que la Vie était reçue. O infidèle union ! Alors que tu es encore dans le monde, Lazare ton ami meurt. Si l’ami meurt, l’ennemi, que souffrira-t-il 2?"

L’amour du Christ.

1531. À la suite de cela est exposé tout ce qui relève de l’amour du Christ. Le Christ en effet ne répond pas à Marie comme il répondit à Marthe; mais à cause de la foule qui se tient là, il ne dit rien, démontrant sa puissance par des gestes.


JÉSUS DONC, QUAND IL LA VIT PLEURER, PLEURER AUSSI LES JUIFS QUI L’AVAIENT ACCOMPAGNÉE, FREMIT EN SON ESPRIT ET SE TROUBLA,

ET IL DIT: "OÙ L’AVEZ-VOUS DÉPOSÉ?" ILS LUI DISENT: " SEIGNEUR, VIENS ET VOIS. " ET JÉSUS PLEURA. LES JUIFS DIRENT DONC: "VOILA COMMENT IL L’AIMAIT! " MAIS CERTAINS D’ENTRE EUX DIRENT: "NE POUVAIT-IL PAS, LUI QUI A OUVERT LES YEUX DE L’AVEUGLE-NÉ, FAIRE AUSSI QUE CELUI-CI NE MOURUT PAS?"

D’abord l’Évangéliste expose l’amour que le Christ montre à Marie, puis la discussion au sujet de l’amour du Christ [n° 1538]. Il commence par montrer l’amour du Christ, celui qu’il a eu dans le coeur, puis comment il l’exprima par des paroles [n° 1536], enfin, comment il le manifesta par des larmes [n° 1537].

I

JÉSUS DONC, QUAND IL LA VIT PLEURER, PLEURER AUSSI LES JUIFS QUI L’AVAIENT ACCOMPAGNÉE, FRÉMIT EN SON ESPRIT, ET SE TROUBLA.

1532. Il faut noter ici que le Christ est vrai Dieu et vrai homme 3; et c’est pourquoi presque partout dans ce qu’il a fait, l’humain se lit mêlé au divin et le divin à l’humain. Et ainsi, toutes les fois qu’on montre quelque chose d’humain au sujet du Christ, on ajoute aussitôt quelque chose de divin. En effet, nous ne lisons rien de plus fragile au sujet du Christ que sa Passion. Et cependant, lorsqu’il est suspendu à la Croix, les faits divins sont évidents le soleil est obscurci, les rochers se fendent, les corps des saints qui étaient endormis ressuscitent. À la Nativité aussi, alors qu’il est couché dans une mangeoire, du ciel brille une étoile, l’Ange chante des louanges, des mages et des rois offrent des présents. Or nous avons quelque chose de semblable en ce lieu: car le Christ, selon la vulnérabilité de son humanité, souffre une certaine fragilité, éprouvant en lui un trouble au sujet de la mort de Lazare.

C’est pourquoi L’Evangéliste dit: IL FRÉMIT EN SON ESPRIT ET SE TROUBLA.
1. 2 Co 6, 14.
2. Le sermon dont saint Thomas cite ce passage comme provenant de saint Augustin (Serm. de Verbis Domini, 52) est en fait d’un auteur inconnu; on le trouve en appendice dans la Patrologie de Migne (Serm. XCVI).
3. Citons simplement ici quelques passages de l’enseignement de l’Eglise que saint Thomas reprend en croyant et en théologien e Celui qui est vrai Dieu est le même qui est vrai homme. Il n’est aucun mensonge en cette unité, car l’humilité de l’homme et la grandeur de la divinité sont ensemble l’une et l’autre. De même en effet que Dieu n’est pas changé par sa miséricorde, de même l’homme n’est pas détruit par la majesté. L’une et l’autre nature opère (agit) en communion avec l’autre ce qui lui est propre: c’est-à-dire le Verbe opérant ce qui appartient au Verbe, et la chair exécutant ce qui appartient à la chair... " (Lettre à Flavien, FC, n° 312, p. 189; DENZINGER, Enchiridion symbolorum n°294, p. 103). s A la suite des saints Pères, nous enseignons tous unanimement qu’il faut confesser un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait [n° en divinité, et le même parfait [n° en humanité, le même véritablement Dieu et véritablement homme, le même [n° d’une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité, et consubstantiel à nous selon l’humanité, le tout semblable à nous à l’exception du péché s (Concile de Chalcédoine, FC n° 313, p. 190; DENZINGER, Enchiridion symbolorum..., n° 301, p. 107).


1533. Au sujet de ce trouble, remarquons la piété, puis la discrétion [n° 1540], enfin la puissance [n° 1535].

La piété parce que la cause en est juste. En effet, quelqu’un se trouble d’une manière juste quand il se trouble de la tristesse et du mal des autres; et quant à cela l’Evangéliste dit: LORSQU’IL LA VIT PLEURER — Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie et pleurez avec ceux qui pleurent 1.

1534. La discrétion, parce qu’il se trouble selon le jugement de la raison. C’est pourquoi l’Evangéliste dit: IL FRÉMIT EN SON ESPRIT, comme gardant le jugement de la raison. Dans le trouble, en effet, l’esprit est dit pensée ou mieux, raison 2 selon cette parole: Que vous soyez renouvelés par l’esprit de votre pensée. Or il arrive parfois que les passions de cette sorte, de la partie sensitive, ne proviennent pas de l’esprit, ni ne gardent la conduite de la raison; bien plus, elles la perturbent plutôt davantage: cela certes ne fut pas en lui, parce qu’IL FRÉMIT EN SON ESPRIT.

Mais que signifie le frémissement du Christ? Il semble signifier la colère: Comme le frémissement du lion, ainsi la colère du roi De même, il semble signifier l’indignation, selon le psalmiste: Il frémira de ses dents et dépérira.

Je réponds: il faut dire que ce frémissement, dans le Christ, signifie une colère et l’indignation du coeur. Toute colère et indignation sont causées par une douleur ou une tristesse. Or ici deux choses étaient sous-jacentes. L’une, dont le Christ se troublait, qui était la mort infligée à l’homme à cause du péché; l’autre, contre laquelle il s’indignait, à savoir la fureur de la mort et du diable. C’est pourquoi, de même que quand quelqu’un veut repousser un ennemi, il souffre de maux qui lui arrivent par lui et s’indigne pour le punir, de même le Christ a souffert et s’est indigné.

1535. La puissance enfin, parce qu’il se troubla lui-même par son commandement. Car les passions de cette sorte surgissent quelquefois d’une cause indue, comme lorsque quelqu’un se réjouit de choses mauvaises et s’attriste des bonnes — Ceux qui se réjouissent alors qu’ils ont fait le mal et exultent dans les choses les plus mauvaises 6; et cela ne fut pas dans le Christ. C’est pourquoi il dit: QUAND IL LA VIT PLEURER... Quelquefois elles surgissent d’une cause bonne, cependant elles ne sont pas maîtrisées par la raison. Et contre cela il dit: IL FRÉMIT EN SON ESPRIT. Quelquefois, bien qu’elles soient maîtrisées par quelqu’un, elles devancent cependant le

jugement de la raison; de telles passions sont des mouvements subits. Et cela, certes, ne fut pas dans le Christ, parce que tout mouvement de l’appétit sensible fut en lui selon le mode et le commandement de la raison. Et c’est pourquoi il dit: IL SE TROUBLA, autrement dit: par le jugement de la raison, il assuma en lui cette tristesse.

Mais à l’encontre de cela, il est dit: Il ne sera pas triste, ni troublé 1.

Je réponds en disant que cela est à entendre de la tristesse qui devance [la raison] et est incontrôlée. Or le Christ voulut se troubler et s’attrister pour trois causes. D’abord pour éprouver la condition et la vérité de la nature humaine. Ensuite, pour que, en s’attristant et se contenant, il enseigne la mesure qu’on doit observer dans les tristesses. Les stoïciens en effet ont dit qu’aucun sage ne s’attriste. Mais il semble tout à fait inhumain que quelqu’un ne s’attriste pas de la mort d’un autre. Cependant il en est qui, dans les tristesses au sujet du mal de leurs amis, dépassent la mesure. Mais le Seigneur voulut s’attrister pour te signifier que tu dois parfois t’attrister, ce qui va contre les stoïciens. Et dans la tristesse il a tenu une mesure, ce qui va contre les seconds. C’est pourquoi l’Apôtre dit: Nous ne voulons pas que vous soyez dans l’ignorance au sujet de ceux qui s’endorment, pour que vous ne vous attristiez pas. Mais là il ne dit pas simplement pour que vous ne vous attristiez pas, mais il ajoute: Gomme les autres qui n’ont pas d’espérance — Pleure sur un mort, parce que sa lumière a manqué, et plus loin: Pleure peu sur un mort, parce qu’il a trouvé le repos.

La troisième raison est pour indiquer que nous, nous devons nous attrister devant les morts et pleurer d’une manière sensible [CORPORALITER 4] selon cette parole: J’ai été affligé et trop humilié 5.
1. Rom 12, 15. À propos de ce passage de saint Paul, saint Thomas dit notamment s " En effet, la compassion même de l’ami qui souffre avec nous apporte la consolation dans les tristesses, de deux manières. D’abord certes parce qu’on reconnaît là une preuve effective de l’amitié — Dans ses maux, c’est-à-dire dans l’infortune, on connaît l’ami (Si 12,9). Et cela même est source de joie, de connaître que quelqu’un est pour nous un véritable ami. D’une autre manière, parce que du fait même que l’ami souffre avec nous, il semble s’offrir à porter en même temps le fardeau de l’adversité qui cause la tristesse. Et certes ce qui est porté à plusieurs est porté plus légèrement que par un seul " (Ad Rom. lect., XII, n° 1004). Voir aussi Somme théol., I-II, q. 38, a. 3. Cf. n° 1475, note 7.
2. Saint Thomas veut indiquer ici que l’esprit, dans la tribulation, rie peut plus s’exercer dans sa fine pointe d’esprit, mais qu’il s’exerce selon le mode rationnel de l’intelligence humaine. La raison n’est pas une puissance vitale différente de l’intelligence, mais le mode de l’intelligence humaine, qui, étant liée dans son exercice â la vie sensible, connaît dans un certain devenir et grâce à l’abstraction (cf. Somme théol., I, q. 79, s. 8). Saint Thomas emploie ici le mot mens sans doute à cause de la citation de l’épître aux Ephésiens qui suie.
3. Ep 4, 23.
4. Pr 19, 12.
5. Ps 111, 10.
6. Pr. 2, 14.





ET IL DIT: "OÙ L’AVEZ-VOUS DÉPOSÉ?" ILS LUI DISENT: "SEIGNEUR, VIENS ET VOIS."

1536. Ici le Seigneur montre l’affection de son coeur par des paroles 6.
1. Is 42, 4. Saint Thomas commente "Il ne sera pas triste, dans son coeur, ni troublé, dans son visage. [n° Christ] fut toujours joyeux et affable, gardant une égalité d’esprit même si dans sa partie sensible se trouvait une propassion de tristesse, propassion non certes nécessaire, mais volontaire. D’où Mt 26, 38 Mon âme est triste. " (Exp. super Isaïam, 42, 4, p. 177, 1. 4 1-46). Le terme propassion désigne chez saint Thomas les opérations de l’affectivité sensible du Christ, qui, à la différence de nos passions si souvent désordonnées et agitées, sont dans le Christ rectifiées immédiatement par sa plénitude de grâce.
2. 1 Th 4, 12. Saint Thomas commente: "Que quelqu’un s’attriste au sujet des morts, cela regarde la piété. D’abord à cause de la disparition du corps qui fait défaut. Nous devons en effet les aimer, et le corps à cause de l’âme — O mort, qu’amère est ta mémoire pour l’homme qui possède la paix (Si 41,1). Deuxièmement à cause du départ, et de la séparation qui est douloureuse pour les amis — Est-ce ainsi que sépare la mort amère? (1S 15,32). Troisièmement parce que par la mort est un rappel du péché — Le salaire du péché, c’est la mort (Rm 6,23). En quatrième lieu parce qu’on fait le rappel de notre mort -. En elle on est averti de la fin de tous les hommes, et celui qui est vivant pense à ce qui doit lui arriver (Qo 7,3) * (In I Thess. exp., n’ 93).
3. Si 22, 10 et 11.
4. Corporaliter (littéralement: corporellement) désigne la manière dont on vit au niveau du corps, c’est-à-dire sensiblement.
5. Ps 37, 9.
6. Saint Thomas reprend dans ce paragraphe l’interprétation de saint Augustin (De diversis quaestionibus 83, q. 65, Ba 10, p. 230-23 1). Voir aussi, Tract, in Ioann., XLIX, 20, BA 7311, p. 244-245.


Mais le Seigneur ignorait-il le lieu où il avait été déposé? Il semble que non. Car de même que, étant absent, il sut par la puissance de sa divinité la mort de Lazare, de même il sut aussi le lieu du sépulcre. Pourquoi donc interroge-t-il à partir de ce qu’il a su?

Je réponds: il faut dire que ce n’est pas en ignorant qu’il interroge; mais pendant que le sépulcre lui est montré par le peuple, il veut que [les Juifs] confessent Lazare mort et enseveli; et ainsi il peut soustraire le miracle à l’emprise de tout soupçon.

Il y a à cela deux raisons mystiques. L’une est que celui qui interroge semble ne pas connaître ce au sujet de quoi il interroge. Or par Lazare dans le tombeau sont signifiés ceux qui sont morts dans les péchés. Le Seigneur montre donc qu’il ignore le lieu de Lazare, donnant par cela à entendre que, pour ainsi dire, il ne connaît pas les pécheurs, selon cette parole de saint Matthieu: Je ne vous ai pas connus; éloignez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité. Et la Genèse: Adam, où es-tu L’autre raison est que si quelques-uns ressuscitent du péché à l’état de la justice divine, cela vient de la profondeur de la prédestination divine; et cette profondeur, certes les hommes l’ignorent — Qui a connu l’esprit du Seigneur, ou qui a été son conseiller? Et: Qui en effet fut présent au conseil du Seigneur, et a vu, et a entendu sa parole Et c’est pourquoi le Seigneur, en interrogeant ainsi, s’est comporté à la manière de quelqu’un qui ne connaît pas, puisque nous-mêmes aussi nous ne connaissons pas cela.

Ainsi donc est exposée l’interrogation du Seigneur, et la réponse du peuple Suit: ILS LUI DIRENT: "SEIGNEUR, VIENS ET VOIS."

VIENS en ayant pitié, VOIS en regardant avec attention — Vois mon humilité et mon labeur, et remets-moi tous mes péchés.




ET JÉSUS PLEURA.

1537. Puis le Seigneur manifeste son affection par des larmes: c’est pourquoi il est ajouté: ET JÉSUS PLEURA. Et certes ces larmes ne provenaient pas d’une nécessité,

mais de la piété et d’une cause. Il était en effet la source de la piété 6, et c’est pourquoi il pleurait pour montrer qu’il n’est pas répréhensible que quelqu’un pleure par piété Fils, sur un mort répands des larmes ‘ Et il pleura pour une cause afin d’enseigner que l’homme, à cause du péché, a besoin de larmes 8, selon cette parole du psaume: J’ai peiné dans mon gémissement, chaque nuit, je baignerai mon lit de larmes 9.

II

LES JUIFS DIRENT DONC: "VOILÀ COMMENT IL L’AIMAIT! " MAIS CERTAINS D’ENTRE EUX DIRENT: "NE POUVAIT-IL PAS, LUI QUI A OUVERT LES YEUX DE L’AVEUGLE-NÉ, FAIRE AUSSI QUE CELUI-CI NE MOURÛT PAS?"

1538. L’Évangéliste montre ici la discussion des Juifs au sujet de l’affection du Christ. D’abord il en présente qui admiraient cette affection du Christ; puis d’autres qui, dans le doute, rappellent le miracle accompli auparavant [n° 1539].

L’Evangéliste introduit ceux qui admiraient le miracle du Christ par mode de conclusion, lorsqu’il dit: LES JUIFS DIRENT DONC, c’est-à-dire les signes de l’affection du Christ étant montrés, tant les paroles que les larmes: VOILÀ COMMENT IL L’AIMAIT; car l’amour se manifeste au plus haut point dans les tristesses des hommes 10. C’est au milieu des biens d’un homme qu’on connaît ses ennemis; c’est dans la tristesse et le malheur qu’on reconnaît son ami 11. Et, au sens mystique, il est donné par là à entendre que Dieu aime même ceux qui sont dans les péchés. En effet, s’il ne les avait pas aimés, il ne dirait certainement pas: Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, à la pénitence 12. — D’un amour éternel je t’ai aimé, c’est pourquoi je t’ai attiré, ayant pitié de toi 13.
1. Mt 7,23.
2. Gn 3, 9.
3. Rm 11, 34, citant Is 40, 13.
4. Jr 23, 18.
5. Ps 24, 18. Saint Thomas commente s La peine assumée intérieurement, c’est l’humilité de l’esprit devant Dieu. C’est pourquoi il dit vois, c’est-à-dire considère mon humilité — Il a jeté les yeux sur l’humilité de sa servante (Lc 1,48). De même, il existe aussi une humilité manifestée extérieurement, qui est un certain labeur; c’est pourquoi il dit et mon labeur. [les pécheurs] ne sont point dans le labeur des hommes (Ps 72,5). […] De la faute il dit Remets tous mes péchés — Lorsque tu prieras, tes péchés seront effacés (Si 28,2). Et notons qu’on obtient la rémission des péchés par trois choses. Par les tribulations, qui opèrent la rémission des péchés si elles sont portées patiemment — Tu enlèves les péchés au temps de la tribulation, et après la tempête tu fais le calme, et après les larmes et les gémissements tu répands l’exultation (Tb 3,22). De même par l’humilité — N’as-tu pas vu Achab humilié devant moi? Ainsi, puisqu’il s’est humilié à cause de moi, je n’amènerai pas le malheur en ses jours (1R 21,29). […] De même par le travail — Il a jeté les yeux sur notre humilité, notre labeur et notre angoisse, et il nous a fait sortir d’Egypte à main forte et à bras étendu (Dt 26,7-8). Et c’est pourquoi il dit Remets tous mes péchés s (Exp. in Psalmos, 24, n 12).
6. Sur le sens du terme latin pietas, voir 00 1067, note 2.
7. Si 38, 16.
8. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XLIX, 19, BA 73 p. 242-243.
9. Ps 6, 7.
10. Cf. n° 1475, note 7 et n° 1533, note 1.
11. Si 12, 9. Voir Pr 17, 17 (que donnait l’éd. Marietti) Celui qui est ami aime en tout temps; dans les détresses il se révèle être un frère.
12. Mt 9, 13; Mc 2, 17; Lc 5, 32.
13. Jr 31,3.


1539. Ceux qui voulaient rendre douteux le miracle accompli faisaient partie des ennemis de Jésus. C’est pourquoi il dit: CERTAINS D’ENTRE EUX, c’est-à-dire les Juifs, DIRENT: "NE POUVAIT-IL PAS, LUI QUI A OUVERT LES YEUX DE L’AVEUGLE-NÉ, FAIRE AUSSI QUE CELUI-CI NE MOURÛT PAS?" comme s’ils disaient s’il l’aimait au point d’aller jusqu’à pleurer devant sa mort, il semble qu’il aurait voulu qu’il ne meure pas: car la tristesse provient de choses qui sont arrivées alors que nous ne le voulions pas. Si donc, alors qu’il ne le veut pas, Lazare est mort, il semble qu’il n’a pas pu empêcher la mort; bien plus, il semble qu’il n’a pas pu ouvrir les yeux de l’aveugle-né. Ou bien il faut dire qu’ils ont dit cela en admirant, avec la manière de parler d’Elisée: Où est le Dieu d’Elie main tenant 3? et de David dans le psaume: Où sont tes miséricordes d’autrefois, Seigneur 4?





Le relèvement de Lazare.

76 Jn 11,38-44

1540. Après avoir montré certains préambules au relèvement de Lazare, l’Evangéliste poursuit en traitant du relèvement lui-même. A ce sujet il fait quatre choses.

D’abord il montre le départ du Christ vers le tombeau, puis l’enlèvement de la pierre [n° 1542], ensuite la prière du Christ [n° 1550], enfin la résurrection du mort [n° 1556].

I

JÉSUS DONC, FRÉMISSANT DE NOUVEAU EN LUI-MÊME, VINT AU TOMBEAU.

1541. L’Évangéliste a soin de dire souvent qu’il a pleuré et qu’il a frémi, comme le dit Chrysostome 4 parce que dans la suite il devait montrer la puissance de sa divinité. Donc, pour qu’on ne doute pas de la vérité de son humanité, il affirme du Christ les choses plus faibles et plus humbles de notre nature. Et de même que Jean, parmi les autres Evangélistes, montre plus explicitement dans le Christ la nature et la puissance divines 6 de même aussi il parle à son sujet de certaines choses plus fragiles: qu’il pleura, qu’il frémit, et autres choses de cette sorte, qui mettent en pleine lumière dans le Christ, au plus haut point, l’affection de la nature humaine.

Au sens mystique, il frémit pour donner à entendre que ceux qui ressuscitent de leurs péchés doivent continuellement persister dans la douleur, selon cette parole du psaume: Tout le jour, je marchais contristé 7. Ou bien il faut dire que plus haut il frémit en son esprit à cause de la mort de Lazare, et qu’ici à nouveau il frémit en lui-même à cause de l’infidélité des Juifs.

3. 2 R 2, 14.


4. Ps 88, 50.
5. In loannem hom., LXIII, 1-2, PG 59, col. 349-350.
6. A ce propos, voir n° 1 s. et n° 23.
7. Ps 37, 7.




C’est pourquoi l’Evangéliste avait annoncé à l’avance le doute, au sujet du miracle, de ceux qui disaient: NE POUVAIT-IL PAS, LUI QUI A OUVERT LES YEUX DE L’AVEUGLE, FAIRE AUSSI QUE CELUI-CI NE MOURÛT PAS? Et ce frémissement vint certes de sa compassion et de sa pitié envers les Juifs — Jésus, voyant les foules, eut pitié d’elles 1.

1542. Puis l’Évangéliste traite de l’enlèvement de la pierre. D’abord il décrit la pierre, puis il montre le commandement du Christ de bouger la pierre [n° 1544], ensuite la discussion au sujet de l’éloignement de la pierre [n° 1545]; enfin il laisse entendre l’accomplissement du commandement [n° 1549].




C’ÉTAIT UNE GROTTE, ET UNE PIERRE AVAIT ÉTÉ POSÉE SUR ELLE.

1543. La pierre est décrite posée sur le tombeau. Il faut savoir en effet que dans ces régions, on utilise certaines cavernes en manière de grotte comme sépultures pour les hommes, où on peut déposer plusieurs corps de morts, à des moments divers c’est pourquoi elles ont une ouverture, qu’on ferme par une pierre et qu’on ouvre quand c’est nécessaire. Et c’est pourquoi il est dit ici, qu’UNE PIERRE AVAIT ÉTÉ POSÉE SUR ELLE, c’est-à-dire sur l’ouverture de la grotte. On trouve dans la Genèse 2 une chose semblable, quand Abraham acheta un champ et une grotte pour ensevelir Sarah son épouse.

Mystiquement, on entend par la grotte la profondeur des péchés, dont il est dit dans le psaume: Je suis enfoncé dans une boue profonde, et il n’est rien qui tienne. Par la pierre placée sur [la grotte] on entend la Loi, qui a été écrite dans la pierre, et qui n’enlevait pas le péché, mais tenait les[hommes] dans le péché parce que, du fait qu’ils agissaient contre la Loi, ils péchaient plus gravement ‘ C’est pourquoi il est dit: L’Ecriture a tout enfermé sous le péché.
1. Mt 14, 14.
2. Cf. Gn 23, 1-20.
3. Ps 68, 3.





JÉSUS DIT: "ÔTEZ LA PIERRE."

1544. L’Évangéliste rapporte ici le commandement du Christ, de bouger la pierre.

Mais on se demande: puisqu’il est plus grand de relever un mort que de bouger une pierre, pourquoi n’enleva t-il pas aussi en même temps la pierre par sa puissance?

Chrysostome 6 répond que cela a été fait pour une plus grande certitude du miracle, c’est-à-dire pour que le Christ fasse d’eux des témoins du miracle, et pour qu’ils ne disent pas ce qu’ils avaient dit de l’aveugle ce n’est pas celui-là qui a été mort.

Au sens mystique, selon Augustin 7, l’enlèvement de la pierre signifie l’éloignement du poids des observances légales pour les fidèles du Christ venant à l’Eglise des nations païennes, poids que quelques-uns voulaient leur imposer. C’est pourquoi Jacques dit: Il a semblé bon au Saint Esprit et à nous de ne vous imposer aucun autre fardeau 8. Et Pierre dit: Pourquoi tentez-vous d’imposer sur les têtes des disciples un joug que ni nos pères, ni nous n’avons pu porter 9? Au sujet de cela, donc, le Seigneur dit: ÔTEZ LA PIERRE, c’est-à-dire le poids de la Loi, et prêchez la grâce 10. Ou bien, par la pierre, il signifie ceux qui, dans l’Eglise, vivent d’une manière corrompue et sont une pierre d’achoppement pour ceux qui veulent croire, en les éloignant de la conversion 11.
4. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XLIX, 22, BA 73*, p. 246-247.
5. Ga 3, 22. Voir aussi Rm 3, 20; 7, 7-25.
6. In Ioannem hom., LXIII, 2, PG 59, col. 350-351.
7. De diversis quaest. 83, q. 65, p. 230-23 1.
8. Ac 15, 28.
9. Ac 15, 10.
10. La Loi a été donnée par Moïse; la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ On 1, 17). Voir n’ 205-20L Saint Thomas cite ici saint Augustin: Tract, in Ioann., XUX, 22, BA 73*, p. 246-247.
11. De diversis quaest. 83, q. 65, p. 230-23 1.

Au sujet de cette pierre, il est dit dans le psaume: De peur que peut-être à la pierre tu ne te heurtes le pied 2. Et certes le Seigneur recommanda qu’elle soit bougée: Otez les obstacles du chemin de mon peuple 3.





MARTHE, LA SOEUR DE CELUI QUI ÉTAIT MORT, LUI DIT: "SEIGNEUR, IL SENT DÉJÀ; C’EST EN EFFET LE QUATRIÈME JOUR. JÉSUS LUI DIT: "NE T’AI-JE PAS DIT QUE SI TU CROIS, TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU?

1545. L’Évangéliste expose la discussion de Marthe, et d’abord les paroles de Marthe qui discute, puis les paroles du Christ qui répond [n° 1545].

1546. Il expose les paroles de Marthe en disant: MARTHE, LA SOEUR DE CELUI QUI ÉTAIT MORT, LUI DIT: "SEIGNEUR, IL SENT DÉJÀ; C’EST EN EFFET LE QUATRIÈME JOUR." Au sens littéral, cela eut lieu pour montrer la vérité du miracle, puisque déjà les membres commençaient à être décomposés par la putréfaction.

Au sens mystique, il s’agit de celui qui a l’habitude de pécher; IL SENT DÉJÀ, c’est-à-dire par une renommée très mauvaise, dont, par le péché, s’élève une odeur très repoussante. Car de même que des bonnes oeuvres s’exhale une bonne odeur, selon ce que dit l’Apôtre: Pour Dieu nous sommes la bonne odeur du Christ de même à partir des oeuvres mauvaises se diffuse une odeur mauvaise, puante. Et on dit aussi avec raison qu’il date de quatre jours, comme pressé sous le poids des péchés terrestres et des cupidités charnelles: la terre en effet est le dernier des quatre éléments 5 — Sa puanteur s’élèvera, et sa putréfaction montera, parce qu’il a agi avec orgueil 6.

1547. À Marthe le Christ répondit en disant: NE T’AI-JE PAS DIT QUE SI TU CROIS, TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU?

Là, le Seigneur semble reprocher à Marthe de ne pas se souvenir de ce que le Christ lui avait dit: CELUI QUI CROIT EN MOI, MÊME S’IL MEURT, VIVRA. Car Marthe défiait le Christ de pouvoir ressusciter un mort de quatre jours. En effet, alors qu’il avait récemment ressuscité quelques morts, elle croyait cependant cela impossible au sujet de son frère, à cause de la longue durée des jours 7. Et c’est pourquoi le Seigneur lui dit: NE T’AI-JE PAS DIT QUE SI TU CROIS, TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU? c’est-à-dire le relèvement de ton frère, par lequel Dieu sera glorifié.

Mais, bien que plus haut le Seigneur ait dit aux Apôtres que ce miracle serait pour sa gloire, en disant: AFIN QUE PAR ELLE SOIT GLORIFIÉ LE FILS DE DIEU, c’est-à-dire par la mort, ici cependant il dit à Marthe que ce miracle sera pour la gloire de Dieu. Et cela parce que la gloire du Père est la même que celle du Fils. C’est pourquoi il ne parle pas explicitement ici de la gloire du Fils, pour ne pas troubler les Juifs qui se tenaient là, prompts à la contradiction.

1548. Dans ces paroles du Seigneur, on fait comprendre deux fruits de la foi. Le premier est l’accomplissement des mi racles, qui est dû à la foi: Si vous aviez la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne passe d’ici à là, et elle y passera; et rien ne vous sera impossible 8.
2. Ps 90, 12.
3. Is 57, 14.
4. 2 Co 2, 15. Saint Thomas commente s Il parle par similitude de la Loi, où il est dit que les sacrifices sont accomplis en odeur de suavité très suave pour Dieu; c’est comme s’il disait Nous sommes un holocauste qui est offert à Dieu en odeur de suavité " (Ad 2 Cor. lori., II, n° 74).
5. Cf. saint AUGUSTIN, De diversis quaest. 83, q. 65, p. 230-233.
6. Jl 2, 20.
7. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In loannem hom., LXIII, 2, PG 59, col. 350-35 1 THÉOPHYLACTE, Enarr. in Ev. S. bannis, PG 124, col. 102-103.
8. Mt 17, 19.






C’est pourquoi aussi l’Apôtre disait: Quand j’aurais la foi jusqu’à transporter les montagnes 1. Et en saint Marc il est dit: Et ceux-ci prêchèrent partout, le Seigneur coopérant et confirmant leur parole par les signes qui la suivaient 2, Et certes cet accomplissement des miracles est pour la gloire de Dieu; c’est pourquoi il dit: SI TU CROIS,




TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU.

Le second fruit est la vision de la gloire éternelle, qui est due à la foi, comme récompense. C’est pourquoi il dit: TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU. Et selon une version d’Isaïe: Si vous n’avez pas cru, vous ne comprendrez pas 3. — Nous voyons à présent par le moyen d’un miroir, en énigme, par la foi; mais alors ce sera face à face 4.



ILS ÔTÈRENT DONC LA PIERRE.

1549. L’Évangéliste expose l’accomplissement du commandement en mettant en avant: ILS ÔTÈRENT DONC LA PIERRE. Là il faut considérer, selon Origène 5, que le retard à enlever la pierre placée là a été causé par la soeur du défunt. Et c’est pourquoi la résurrection de son frère a été retardée aussi longtemps qu’elle a retenu le Christ par des paroles; mais, dès que, en obéissant, elle suit jusqu’au bout le commandement du Christ, son frère est ressuscité. Pour que, par là, nous apprenions à ne rien interposer entre les ordres de Jésus et leur exécution, si nous désirons que l’effet du salut s’ensuive aussitôt — A l’instant où son oreille m’a entendu, il m’a obéi 6.

III

JÉSUS, LES YEUX LEVÉS EN SAUT, DIT: "PÈRE, JE TE RENDS GRÂCES DE M’AVOIR ÉCOUTÉ.

MOI JE SAVAIS QUE TU M’ÉCOUTES TOUJOURS; MAIS C’EST À CAUSE DE LA FOULE QUI M’ENTOURE QUE J’AI PARLÉ, AFIN QU’ILS CROIENT QUE C’EST TOI QUI M’AS ENVOYÉ."

1550. Il s’agit ici de la prière du Christ, dans laquelle il rend grâces. A propos de cette prière l’Evangéliste expose quatre choses. D’abord il montre la manière de prier, puis l’efficacité de la prière [n° 1553]. Ensuite il exclut la nécessité de prier [n° 1554], enfin il souligne l’utilité de la prière [n° 1555].

1551. Il montre que la manière de prier convient. JÉSUS, LES YEUX LEVÉS EN HAUT, DIT, c’est-à-dire: il éleva son intelligence, l’amenant par la prière vers le Père [qui est] le Très-Haut. Ainsi, pour nous, si nous voulons prier, à l’exemple de la prière du Christ, il est nécessaire de lever les yeux de notre esprit vers Dieu en les détournant des choses présentes, de la mémoire, des pensées et des intentions 7.
1. 1 Corinthiens 13, 2.
2. Mc 16, 20.
3. Is 7, 9. Cf. n’ 600, note 2 et n’ 995, note 3.
4. 1 Corinthiens 13, 12. Saint Thomas commente: "Il faut savoir que quelque chose de sensible peut être vu de trois manières: soit par sa présence dans la réalité qui voit, comme la lumière elle-même qui est présente à l’oeil; soit par la présence, dans le sens, de sa similitude immédiatement dérivée de la réalité elle-même, comme la blancheur qui est vue sur le mur la blancheur elle-même n’est pas présente dans l’oeil mais sa similitude, bien que la similitude elle-même ne soit pas vue par l’oeil; soit [n° par la présence d’une similitude qui n’est pas immédiatement dérivée de la réalité elle-même, mais qui est dérivée d’une similitude de la réalité dans quelque chose d’autre, comme quand on voit un homme par le moyen d’un miroir. En effet, la similitude de l’homme n’est pas immédiatement dans l’oeil; [ce qui y est,] c’est la similitude de l’homme reflétée dans le miroir. Si nous parlons ainsi de la vision de Dieu, je dis que seul Dieu se voit lui-même d’une connaissance naturelle, parce qu’en Dieu l’essence et l’intelligence sont identiques, et c’est pourquoi son essence est présente à son intelligence. Mais de la seconde manière, peut-être les anges voient-ils Dieu d’une connaissance naturelle en tant qu’une similitude de l’essence divine se reflète d’une manière immédiate en eux. Mais nous, c’est de la troisième manière que nous connaissons Dieu en cette vie, en tant que nous connaissons les réalités invisibles de Dieu par les créatures, comme il est dit dans l’épître aux Romains (1, 20). Et ainsi, toute la création est pour nous comme un miroir, parce qu’à partir de l’ordre, de la bonté et de la grandeur qui sont causées dans les réalités par Dieu, nous venons à la connaissance de la sagesse, de la bonté et de l’éminence divine. Et cette connaissance est dite vision dans un miroirs (Ad I Cor. leci., XIII, n’ 800).
5. Commentaria in evangelium bannis, XXVIII, 3, PG 14, col. 683 A-686 A.
6. Ps 17, 45.
7. Cf. ORIGÊNE, Commentaria in evangelium bannis, XXVIII, 4-5, PG 14, col. 686 A-694 A.




Nous levons aussi les yeux vers Dieu quand, ne mettant pas notre confiance dans nos mérites, nous espérons en la seule miséricorde de Dieu, selon cette affirmation: Vers toi j’ai levé les yeux, qui habites dans les cieux; les voici comme les yeux des serviteurs vers les mains de leurs maîtres, comme les yeux de la servante vers les mains de sa maîtresse; ainsi nos yeux vers le Seigneur notre Dieu, jusqu‘à ce qu’il ait pitié de nous 1 — Elevons nos coeurs avec nos mains vers le Seigneur qui est dans les cieux 2.

1552. Il montre l’efficacité de la prière quand il dit: PÈRE, JE TE RENDS GRÂCES DE M’AVOIR ÉCOUTÉ. Et en cela nous avons une preuve que Dieu est [toujours] disposé à donner avec largesse, selon le psaume: Le désir des pauvres, le Seigneur l’a exaucé, de telle sorte qu’il exauce le désir avant même qu’on profère des paroles — A la voix de ta clameur, aussitôt qu’il l’entendra, il te répondra 4. — Eux parlant encore, je dirai: Me voici présent 5. Il est donc d’autant plus à propos de penser du Seigneur sauveur que Dieu le Père, prévenant sa prière, l’exaucerait. Car les larmes que le Christ avait versées pour la mort de Lazare ont eu le rôle de prière.

Par le fait qu’il rend grâces au commencement de la prière, nous est donné l’exemple que, lorsque nous voulons prier nous devons, avant de demander des choses futures, rendre grâces à Dieu pour les bienfaits reçus — En toutes choses rendez grâces 6.

1553. La parole: DE M’AVOIR ÉCOUTÉ, si on l’entend du Christ en tant qu’il est homme, ne présente pas de difficulté. En tant qu’homme en effet, le Christ était moindre que le Père; et ainsi il lui convient de prier le Père et d’être exaucé par lui. Mais si, comme le veut Chrysostome 7, on l’entend du Christ selon qu’il est Dieu, alors cette parole présente une difficulté; car selon qu’il est Dieu, il ne lui convient pas de prier ni d’être exaucé, mais plutôt d’exaucer les prières des autres.

Et c’est pourquoi il faut dire que quelqu’un est écouté quand sa volonté est accomplie. Or la volonté du Père est toujours accomplie, comme il est dit dans le psaume: Tout ce qu’il a voulu, il l’a fait 8. Donc, puisque la volonté du Père et du Fils est la même, toutes les fois que le Père accomplit sa volonté, il accomplit la volonté du Fils. Le Fils dit donc, en tant que Verbe: JE TE RENDS GRÂCES DE M’AVOIR ÉCOUTÉ, c’est-à-dire, tu as fait ce qui était dans ton Verbe pour être fait — Car il a dit, et cela a été fait 9.

1554. Il exclut la nécessité de prier en disant: MOI JE SAVAIS QUE TU M’ÉCOUTES TOUJOURS. Là, le Seigneur montre sa divinité comme d’une manière obscure, comme s’il disait: pour faire ma volonté, je n’ai pas besoin de prière, parce que depuis l’éternité ma volonté est accomplie  — En tout il fut exaucé à cause de sa révérence 10. CAR MOI, JE SAVAIS, c’est-à-dire avec certitude, QUE TOUJOURS moi, le Verbe, TU M’ÉCOUTES, parce que tout ce que tu fais est en moi pour être fait.
1. Ps 122, 1-2.
2. Lm 3, 41.
3. Ps 9, 17.
4. Is 30, 19.
5. Is 65, 24. En réalité, saint Thomas mélange ici deux versets d’Isaïe: 65, 24 — Eux parlent encore, j’écouterai -et 58, 9: Alors tu invoqueras, et le Seigneur exaucera; tu crieras, et il dira: Me voics présent.
6. 1 Th 5, 18. Saint Thomas commente ce verset en le rattachant â son interprétation du verset qui précède Priez sans cesse (1Th 5,17). 11 dit que nous devons s prier pour les bienfaits que nous devons recevoir, et rendre grâces pour ceux que nous avons reçus. C’est pourquoi l’Apôtre dit: En toutes choses, c’est-à-dire dans le bien comme dans l’adversité, rendez grâces — Toutes choses coopèrent au bien de ceux qui aiment Dieu (Rm 8,28)... " (Ad 1 Thess. lect., V, n° 131).
7. In loannem hom., LXIV, l-2, PG 59, col. 355-357.
8. Ps 113 (B), 3.
9. Ps 32, 9. Cf. n° 68s.
10. He 5, 7. Saint Thomas commente L’efficacité [n° la prière du Christ] est montrée à partir de la manière de prier. Deux choses Sont en effet nécessaires à celui qui prie un amour fervent, et de même la douleur et le gémissement. De ces deux aspects le psaume dit: Seigneur, tout mon désir est devant toi, pour ce qui est du premier; et mon gémissement ne t’a pas été caché, quant au second (Ps 37,10). Or le Christ a eu ces deux choses. C’est pourquoi l’Apôtre dit, à cause de la première [chose nécessaire], avec un cri puissant, c’est-à-dire avec une intention très efficace. Entré en agonie, il priait de façon plus ardente (Le 22, 43). Et il dit en clamant: Père, entre tes mains, je remets mon esprit (1-c 23, 46). A propos de la seconde, il dit: et des larmes. Par les larmes, en effet, l’Apôtre exprime le gémissement intérieur de celui qui prie. Cela, on ne le lit pas dans l’Evangile, mais il est probable que, de même qu’il a pleuré lors de la résurrection de Lazare, [il a pleuré] dans sa Passion. Car il a fait beaucoup de choses qui n’ont pas été écrites. Il n’a cependant pas pleuré pour lui-même, mais pour nous, à qui sa Passion a été utile. Pour lui, elle a été utile en tant que c’est par elle qu’il a mérité d’être exalté C’est pourquoi Dieu l’a exalté et l’a gratifié du Nom qui est au-dessus de tout nom. Et c’est pourquoi il a été exaucé à cause de sa révérence, révérence qu’il avait envers Dieu plus que tous les hommes. — L’esprit de la crainte du Seigneur le remplira (Is 11,3) s (Ad Haeb. lect., V, n° 256). Dans la Somme théologique, saint Thomas rattache la révérence à l’action du don de crainte dans l’âme du Christ. La crainte divine est dans l’âme humaine du Christ " selon qu’elle regarde l’éminence divine elle-même, dans la mesure où l’âme du Christ était mue en Dieu, par un certain amour de révérence, à partir de l’action de l’Esprit Saint" (III; q. 7, a. 6). Voir aussi M-D. PHILIPPE, Le Mystère du Christ crucifié et glorifié, II, 1, 2, "Bienheureux le pauvre Roi-Serviteur", p. 106 s.




1555. De même, moi, homme, TU M’ÉCOUTES TOUJOURS, parce que ma volonté est toujours conforme à ta volonté, MAIS C’EST À CAUSE DE LA FOULE QUI M’ENTOURE QUE J’AI PARLÉ, AFIN QU’ILS CROIENT QUE C’EST TOI QUI M’AS ENVOYÉ. En cela il nous est donné à entendre qu’il a fait et dit beaucoup de choses en vue de l’utilité des autres — C’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous 1. Car toute action du Christ nous instruit.

Or le Christ voulut spécialement démontrer par cette prière qu’il n’était pas étranger au Père, mais qu’il le reconnaissait comme son principe. Et c’est pourquoi il ajoute AFIN QU’ILS CROIENT QUE C’EST TOI QUI M’AS ENVOYÉ — Telle est la vie éternelle: qu’ils te connaissent toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ 2 — Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sous la Loi 3. Et en cela est montrée l’utilité de la prière.

IV

ET APRÈS AVOIR DIT CELA, IL CRIA D’UNE VOIX FORTE: "LAZARE, VIENS DEHORS !

ET AUSSITOT, CELUI QUI AVAIT ETE MORT SORTIT, LES PIEDS ET LES MAINS LIÉS DE BANDELETTES; ET SON VISAGE ÉTAIT ENVELOPPÉ D’UN SUAIRE. JÉSUS LEUR DIT: "DELIEZ-LE ET LAISSEZ-LE ALLER."

1556. Ici l’Évangéliste traite du relèvement de Lazare, et à ce sujet fait trois choses. D’abord il montre la voix de celui qui le fait se dresser, puis l’effet de la voix [n° 1558], enfin le commandement de délier celui qui s’est redressé [n° 1559].



Jean 11, 43: LA VOIX DE CELUI QUI LE FAIT SE DRESSER





ET APRÈS AVOIR DIT CELA, IL CRIA D’UNE VOIX FORTE: "LAZARE, VIENS DEHORS."

1557. Or il montre que la voix de celui qui le fait se dresser est forte; c’est pourquoi il dit: APRÈS AVOIR DIT CELA — il s’agit de Jésus —, IL CRIA D’UNE VOIX FORTE; et ceci au sens littéral, pour détruire l’erreur des Gentils et de certains Juifs qui disent que les âmes des morts s’attardent dans les tombeaux avec les corps 4. C’est pourquoi il clame, comme faisant venir de loin l’âme qui ne se trouve pas dans le tombeau.

Ou bien il faut affirmer, et c’est mieux, que la voix du Christ est dite forte à cause de la grandeur de sa puissance.
l. Jn 13, 15.
2. Jn 17, 3.
3. Ga 4, 4. Saint Thomas commente "Il a envoyé son Fils, c’est-à-dire son propre Fils, Fils selon la nature [n° Et s’il est Fils, il est donc aussi héritier (Ga 4,7). Il dit donc son Fils, c’est-à-dire son propre Fils, selon la nature et unique engendré, non pas adoptif — Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné le Fils, l’Unique (Jn 3,16). Il l’a envoyé, dis-je, non séparé de lui, parce qu’il a été envoyé du fait qu’il a assumé la nature humaine, et cependant il était dans le sein du Père — L’unique engendré, qui est dans le sein du Père, éternellement (Jn 1,18) — Personne n’est monté au ciel si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel Un 3, 13), lui qui, bien qu’il soit descendu par l’assomption de la chair, est cependant dans le ciel. De même il l’a envoyé, mais non pas pour qu’il soit là où il n’était pas auparavant; parce que, bien qu’il soit venu chez les siens (1, 11] par la présence de la chair, il était cependant dans le monde par la présence de la divinité, comme il est dit dans l’évangile de Jean (1, 14). De même, il ne l’a pas envoyé comme un serviteur, parce que sa mission fut l’assomption de la chair et non l’abandon de la majesté [n° s (Ad Gal. lect., IV, n° 202).
4. Saint Thomas reprend ici un développement de TuÈopi-w LACTE (Enarr. in Ev. S. bannis, chap. 11, PG 124, col. 106 A) qui suit OISIGÈNE (Comm. in ev. bannis, XXVIII, 5, col. 690 D-691 A).


Car sa puissance fut si grande qu’il ressuscita Lazare de la mort, comme celui qui dort est tiré du sommeil 1. C’est pourquoi le psaume dit: Il a donné à sa voix une voix de puissance 2. Aussi, cette voix forte est représentative de cette voix forte qui sera [entendue] à la résurrection commune par laquelle tous seront ressuscités des tombeaux 3 — Au milieu de la nuit, une clameur retentit 4. Il crie donc en disant: LAZARE, VIENS DEHORS. Il appelle celui-ci par son nom propre, parce que si grande était la puissance de sa voix qu’ensemble tous les morts auraient été contraints de sortir si, par l’expression du nom, il n’eût pas déterminé sa puissance vers un seul, comme Augustin le dit dans le livre De Verbis Domini 5. Aussi est-il donné par là à entendre que le Christ appelle les pécheurs à sortir de la fréquentation du péché — Sortez d’elle, mon peuple 6 —, et même de son occultation, en manifestant le péché lui-même par la confession — Si, comme un homme, j’ai caché mon péché 7.


L’EFFET DE LA VOIX ET AUSSITÔT, CELUI QUI AVAIT ÉTÉ MORT SORTIT, LES PIEDS ET LES MAINS LIÉS DE BANDELETTES; ET SON VISAGE ÉTAIT ENVELOPPÉ D’UN SUAIRE.

1558. Ici l’Évangéliste montre l’effet de la voix. Et d’abord il montre la résurrection du mort, ensuite la disposition du mort qui ressuscite.

Certes la résurrection du mort fut rapide, au commandement du Seigneur. C’est pourquoi il dit ET AUSSITÔT CELUI QUI AVAIT ÉTÉ MORT SORTIT. La puissance de la voix du Christ était si grande que sans aucun retard elle a conféré la vie; comme il en sera lors de la résurrection commune 8 quand, en un clin d’oeil 9, les morts entendant la trompette sonner, les morts qui sont dans le Christ ressusciteront les premiers, comme il est dit dans la première épître aux Thessaloniciens 10. Déjà en effet est anticipée 11 la mission [officium] du Christ, dont il est dit plus haut: Elle vient l’heure, et c’est maintenant, où les morts qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront’ entendue vivront 12. Ainsi donc est accompli ce qu’avait dit le Seigneur: Mais je m’en vais le tirer du sommeil 13.
1. Cf. n°1496.
2. Ps 67, 34.
3. Cf. TI Ennar. in ev. S. bannis, chap. 11, PG 124, col. 106 A.
4. Mt 25, 6.
5. Serm. XCV! (App. ), PL 5, 2, col. 1 931.
6. Ap 18, 4.
7. Jb 31, 33. En commentant ce verset, saint Thomas note que souvent les hommes cachent leurs fautes soit en les niant, soit en les excusant, soit encore en les masquant par des artifices astucieux (Exp. super Job, 31, 33, p. 169, I. 334-340).
8. Cf. THÉOPHYL Enarr. in ev. S. Ioannis, chap. 11, PG 124, col. 106 A.
9. 1 Corinthiens 15, 52.
10. 1 Th 4, 15. Saint Thomas commente: "Toua meurent et toua ressuscitent, et cela en même temps. L’Apôtre ne dit pas ici que ceux-ci ressuscitent avant ceux-là, mais que ceux-ci ressuscitent avant que ceux-là ne rencontrent [n° En effet l’Apôtre ne pose pas ici l’ordre d’une résurrection par rapport à une résurrection, mais un ordre par rapport au rapt ou â la rencontre. Car lorsque le Seigneur viendra, mourront ceux qui seront trouvés vivants, puis aussitôt, ressuscitant avec ceux qui étaient morts auparavant, ils seront emportés dans les nuées, comme l’Apôtre le dit ici. Mais il y a cette différence entre les bons et les mauvais, que ceux-ci resteront sur la terre qu’ils ont aimée, et que les bons seront emportés vers le Christ qu’ils ont cherché — Là où aura été le corps, là aussi se rassembleront les aigles (Mt 24,28). Et, dans la résurrection, les saints seront conformés au Christ non seulement quant à la gloire du corps (Ph 3,21), mais aussi quant au situs, parce que le Christ sera dans la nuée — Et une nuée le déroba à leurs yeux. — Il viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel (Ac 1,9 et 11). C’est ainsi que les saints eux aussi seront emportés dans les nuées. Et pourquoi cela? Pour montrer qu’ils sont déiformes. En effet, dans l’Ancien Testament, la gloire du Seigneur est apparue sous la forme d’une nuée... " (Ad I Thess. lect., IV, n° 103).
11. Nous gardons ici le texte de l’édition Marietti, qui porte anticipatur, la léonine proposant avec réserve la correction mancipatur est aliéné.
12. Jn 5, 25.
13. Jn 11, 11.


Quant à la disposition de celui qui ressuscite, il est dit lié, c’est-à-dire ayant LES MAINS ET LES PIEDS LIÉS, liés de bandelettes, avec lesquelles les anciens enveloppaient les morts; ET SON VISAGE ÉTAIT ENVELOPPÉ D’UN SUAIRE, pour ne pas faire horreur. C’est pourquoi le Christ ordonna à celui qui était lié et tout entier recouvert, de ressusciter, pour que le miracle fût mieux reconnu comme vrai.



Jean 11, 44: LE COMMANDEMENT DU CHRIST






JÉSUS LEUR DIT: "DÉLIEZ-LE ET LAISSEZ-LE ALLER."

1559. Ici, le Christ commande qu’il soit délié. Et la raison en est que ceux-là mêmes qui le délièrent furent des témoins plus confiants du miracle et eurent une mémoire plus tenace de ce qui arriva. Pareillement aussi, en le touchant et en s’approchant de lui, ils verraient que c’est vraiment lui. Et c’est pourquoi il ajoute: ET LAISSEZ-LE ALLER, pour montrer que le miracle n’est pas imaginaire. En effet on a parfois vu des "mages" qui ont ressuscité des morts, mais ils n’ont pu cependant les conduire à reprendre les charges qu’ils avaient précédemment. Et c’était certes parce que leur résurrection était seulement imaginaire, et non pas vraie 1.

1560. Or il faut savoir que tout cela est exposé mystiquement par Augustin, et cela de deux manières, selon deux manières de sortir.

En effet le pécheur sort quand, en faisant pénitence, il se dégage de l’habitude du péché pour aller vers l’état de justice — Sortez du milieu d’eux et séparez-vous 2. Celui-ci a cependant les mains liées par des bandelettes, c’est-à-dire par les concupiscences charnelles; parce que tant que nous sommes établis dans un corps nous ne pouvons pas être séparés des difficultés, même en nous relevant des péchés; c’est pourquoi l’Apôtre dit: Moi-même je suis asservi par l’esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché 3. Et si sa face était recouverte d’un suaire, c’est que, dans cette vie, nous ne pouvons avoir la pleine connaissance de Dieu — Nous voyons à présent par le moyen d’un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face 4. Et c’est pourquoi il ordonne de le délier et de le laisser aller; parce que, après cette vie, tous les voiles seront ôtés pour ceux qui se relèvent du péché, afin qu’ils contemplent Dieu face à face, comme il est dit dans la première épître aux Corinthiens 5. Alors en effet sera déliée la corruptibilité du corps qui est comme un lien liant l’âme et l’alourdissant 6, l’éloignant [ainsi] de toute contemplation plénière et lumineuse telle [que celle dont on vient de parler] — Délie les liens de ton cou, fille de Sion captive 7. Ainsi apparaît une manière spirituelle de sortir, qui est exposée par Augustin dans le Livre des quatre-vingt-trois questions 8.

Il y a une autre manière de sortir; c’est par la confession, dont il est dit: Qui cache ses crimes ne sera pas dirigé; mais qui les aura confessés et les aura abandonnés obtiendra miséricorde 9. Ainsi en effet, s’avancer c’est, comme en sortant de ce qui est caché, être dévoilé par la confession. Mais pour que tu confesses, Dieu agit par la voix, c’est-à-dire la grâce, en appelant d’une voix forte 10. Or le mort qui s’avance encore lié, c’est celui qui confesse en étant encore coupable. Pour que ses péchés soient déliés, il est demandé aux ministres de le délier et de le laisser aller.
1. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In loannem hom., LXIII, 3, PG 59, col. 358.
2. 2 Co 6, 17.
3. Rm 7, 25.
4. 1 Corinthiens 13, 12.
5. Ibid.
6. Corruptibilitas corporis, quae est [...] aggravans animam. II y a ici une réminiscence très nette de Sg 9, 15: Corpus quod corrumpitur aggravat animam.
7. Is 52, 2.
8. Livre des quatre-vingt-trois questions, q. 65, BA 10, p. 232-233.
9. Pr 28, 13.
10. Tract, in Ioann., xux, 24, BA 735, p. 248-25 1.




Car celui que le Christ vivifie par lui-même intérieurement, les disciples le délient, parce que ceux qui sont vivifiés sont absous par le ministère des prêtres — Tout ce que tu auras délié sur la terre, sera délié aussi dans les cieux 1.

1561. Mais certains de ceux qui accomplissent ce ministère disent que de même que le Christ a vivifié Lazare par lui-même et a commandé aux disciples de délier celui qui a été vivifié, de même Dieu vivifie intérieurement l’âme par la grâce, en remettant la faute et en absolvant de la culpabilité de la peine éternelle; tandis que les prêtres absolvent, par le pouvoir des clefs, seulement du côté de la peine temporelle.

Mais cette position attribue trop peu aux clefs de l’Eglise. C’est en effet le propre des sacrements de la loi nouvelle, qu’en eux soit conférée la grâce. Or les sacrements consistent dans l’action même des ministres 2. C’est pourquoi, dans le sacrement de pénitence, la contrition et la confession se trouvent, matériellement, du côté de celui qui reçoit le sacrement; tandis que la puissance causale du sacrement est dans l’absolution du prêtre, en vertu du pouvoir des clefs par lesquelles il applique en quelque sorte l’effet de la Passion du Seigneur à celui qu’il absout, pour qu’il obtienne la rémission. Si donc le prêtre n’absolvait que de la peine, le sacrement de pénitence ne conférerait pas la grâce par laquelle la faute est remise. Et par conséquent il ne serait pas un sacrement de la loi nouvelle.

Il faut donc dire que, de même que dans le sacrement du baptême le prêtre, en proférant les paroles et en lavant extérieurement, effectue le ministère du baptême, le Christ baptisant intérieurement, de même le prêtre accomplit extérieurement par la puissance des clefs le ministère de l’absolution, le Christ remettant intérieurement la faute par la grâce.
1. Mt 16, 19.
2. In dispensatione ministrorum. Sur la dispensano en général, voir n° 762, note 4 et n°1520, note 1.


1562. Mais il semble y avoir ici une différence du fait que, la plupart du temps, accèdent au baptême des enfants non justifiés avant le baptême, qui obtiennent dans le baptême la grâce de la rémission; tandis que pour obtenir l’absolution, arrivent la plupart du temps des adultes ayant déjà obtenu auparavant, par la contrition, la rémission des péchés. De sorte qu’ainsi l’absolution qui suit semblerait ne rien faire pour la rémission des péchés.

Mais si on considérait cela attentivement, en recevant des adultes dans l’un et l’autre sacrements, on trouverait une similitude de toute manière. Il arrive en effet que des adultes, avant d’obtenir le sacrement du baptême en acte, ayant celui-ci par le désir, obtiennent la rémission des péchés, baptisés du baptême de l’Esprit Saint. Et cependant le baptême qui suit, pris en lui-même, opère la rémission des péchés, bien que dans celui à qui les péchés sont déjà remis, cela n’ait pas lieu — il obtient seulement une augmentation de grâce. Mais si un adulte avant le baptême n’était pas parfaitement disposé à obtenir la rémission des péchés, pendant qu’il est baptisé il obtient, dans l’acte lui-même, la rémission par la puissance du baptême, s’il n’oppose pas, par feinte, d’obstacle à l’Esprit Saint.

Et il faut dire de même dans la pénitence. Si quelqu’un en effet, avant l’absolution du prêtre, est pleinement contrit, il obtient la rémission des péchés du fait qu’il a dans le désir de se soumettre aux clefs de l’Eglise, désir sans lequel il n’y aurait pas de vraie contrition. Mais si auparavant la contrition suffisant pour la rémission n’était pas plénière, il obtient dans l’absolution elle-même la rémission de la faute, du moment qu’il n’oppose pas d’obstacle à l’Esprit Saint. Et il en va de même dans l’Eucharistie, l’extrême-onction et dans les autres sacrements de la loi nouvelle.



Jean 11, 45-46: LES EFFETS DE LA RÉSURRECTION

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Thomas sur Jean 75