Thomas A. sur Rm (1869) 15

Romains 3, 9 à 20: Les gentils et les Juifs

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Rm 3,9-20)





SOMMAIRE: Que les Gentils et les Juifs ne diffèrent en rien quant à l’état du péché- Explication admirable d’un passage de David - Comment parle la Loi à ceux qui sont sous la Loi.

9. Quoi donc? Sommes-nous préférables aux Gentils? Nullement; car nous avons convaincu les Juifs et les Grecs d’être tous sous le péché,

10. Selon qu’il est écrit: Il n’y a pas un seul juste

II. Il n’y a personne qui ait de l’intelligence, il n’y a personne qui cherche Dieu.

12. Tous se sont détournés, tous sont devenus inutiles; il n’en est pas qui fasse le bien, il n’en est pas un seul.

13. Leur gosier est un sépulcre ouvert, leur langue un instrument de fraude; un venin d’aspic est sous leurs lèvres.

14. Leur bouche est remplie de malédiction et d’amertume.

15. Leurs pieds sont agiles pour répandre le sang.

46. La destruction et le malheur sont dans leurs voies;

17. Et la voie de la paix, ils ne l’ont pas connue.

18. La crainte de Dieu n’est pas devant leurs yeux.

19. Or, nous savons que toutes les paroles de la Loi s’adressent à ceux qui sont sous la Loi; de sorte que toute bouche soit fermée et que tout le monde soit soumis à Dieu,

20. Parce que nul homme ne sera justifié devant lui par les oeuvres de la Loi; car la Loi ne donne que la connaissance du péché.

L’avantage des Juifs sur les Gentils, quant aux bienfaits divins, étant démontré, l’Apôtre réfute ici la vaine gloire par laquelle les Juifs se préféraient aux Gentils convertis à la foi. Et d’abord il énonce sa proposition, ensuite la prouve en disant: "Nous avons convaincu." Il dit donc: on a demandé quel était l’avantage des Juifs; le voici: "D’abord les oracles de Dieu ont été confiés à leur nation." "Que dirons-nous donc," nous Juifs convertis à la foi? "Leur sommes-nous préférables?" c’est-à-dire sommes-nous préférables aux Gentils également convertis? Tel était le sujet de la dispute (Luc, XXII, 24): "Et il s’éleva une contestation entre les disciples de Jésus, lequel d’entre eux était le plus grand?" L’Apôtre répond: Nullement.

Ceci paraît contredire ce qui précède, que l’avantage des Juifs était grand, et de toute manière. Mais on répond dans la Glose que la parole de saint Paul s’applique à l’état où se trouvaient les Juifs au temps de la Loi, tandis qu’il parle ici de l’état selon la grâce; car, comme il le dit aux Colossiens (III, 4): "En Jésus-Christ il n’y a plus ni Gentil, ni Juif, ni circoncis, ni incirconcis," c’est-à-dire il n’y a plus de différence quand il s’agit de l’état de la grâce. Cependant cette réponse ne paraît pas entièrement conforme à la pensée de l’Apôtre, parce qu’il fera voir plus loin que, même pendant que les Juifs étaient sous la Loi, ils étaient esclaves du péché, comme les Gentils, et peut-être davantage (Ezéch., V, 5): "Voici cette Jérusalem, je l’ai établie au milieu des nations, et ses terres l’environnent au loin; elle a méprisé mes jugements avec plus d’impiété que les nations étrangères". Il faut donc dire que saint Paul a établi dans ce qui précède la prérogative des bienfaits de Dieu; c’est pour cela qu’il n’a pas dit que le Juif était meilleur qu’un autre, mais qu’il avait été gratifié de quelque chose en plus que les autres peuples. Ici il s’attache à la prééminence des personnes, parce que ceux qui ont reçu les bienfaits de Dieu n’en ont pas fait l’usage qu’ils devaient, En disant: "Nous avons convaincu," il énonce sa proposition. Et d’abord il déclare que les Juifs ne l’emportent pas sur les Gentils sous le rapport de l’état de péché; ensuite, qu’ils ne l’emportent pas sous le rapport de la justice, à ces mots (verset 21): "Mais maintenant la justice sans la Loi."

Saint Paul démontre la première partie, c’est-à-dire que les Juifs ne l’emportent pas sur les Gentils sous le rapport de l’état de péché: par ce qui précède; II° par voie d’autorité: Comme il est écrit.

I° L’Apôtre dit donc: "Nous avons convaincu," c’est-à-dire par des raisons convaincantes nous avons montré "que les Juifs et les Grecs," ou "les Gentils, sont tous esclaves du péché." (Isaïe I, 5): "Des pieds à la tête son corps n’est qu’une plaie." En effet, il a démontré, premièrement, que les Gentils retenaient dans l’impiété et dans l’injustice la vérité de Dieu qu’ils avaient connue; secondement, que les Juifs, après avoir reçu la Loi, déshonoraient Dieu en prévariquant contre la Loi.

II° En ajoutant: Comme il est écrit, saint Paul prouve sa proposition par l’autorité du Psalmiste. D’abord il cite le passage invoqué; ensuite il l’explique (verset 29): "Nous savons, etc."

I. Il tire du passage cité: les péchés d’omission, dont les Juifs sont coupables; ceux de commission. Leur gosier est comme un sépulcre ouvert."

Il présente les péchés d’omission sous deux formes: en écartant les principes qui constituent les bonnes oeuvres et les bonnes oeuvres elles-mêmes: "Tous ont dévié."

A) Or les principes des bonnes oeuvres sont au nombre de trois. a) Le premier tient à la rectitude de l’oeuvre même: c’est la justice. Saint Paul la montre absente, en disant "Comme il est écrit," à savoir, dans les psaumes (Psaume XIV, 40): "Il n’y a pas de juste sur la terre," et encore (Michée VII, 2): "Le saint a disparu de la terre et le juste d’entre les hommes," on peut entendre ces passages de deux manières: d’abord en ce sens que nul n’est juste de soi et en soi; mais que de soi tout homme est pécheur, et qu’en Dieu seul réside la justice (Exode, XXXIV, 6): "Dominateur, Seigneur, Dieu miséricordieux et clément, qui effacez l’iniquité et le péché, devant qui nul n’est innocent par lui-même." Ensuite, en ce sens que nul n'est juste, sur tous les points de la loi, de manière à être exempt de tout péché, ainsi qu’il est dit aux Proverbes (XX, 9): "Qui peut dire: mon coeur est pur?" et ailleurs (Ecclésiastique VI, 21): "Il n’y a pas d’homme juste sur la terre, qui fasse le bien et ne pèche pas." Enfin, on pourrait l’entendre encore en le rapportant à la multitude des méchants, parmi lesquels il n’y a aucun juste. Il est, en effet, assez fréquent dans l’Écriture de désigner tout un peuple tantôt par les méchants, tantôt par les bons. C’est ainsi que le prophète Jérémie (XXVI, 8) rapporte que, "après avoir prononcé tout ce que le Seigneur lui avait ordonné de dire à tout le peuple prêtres et les prophètes, et tout le peuple, se saisirent de lui en disant: "Qu’il meure de mort!" et à la suite (ibid., 16): "Les princes et tout le peuple dirent aux prêtres et aux prophètes: Le jugement de mort ne doit pas être sur cet homme." Les deux premières explications s'accordent mieux avec la pensée de l'Apôtre. Il en est de même de ce qui suit. b) Le second principe des bonnes oeuvres est le discernement de la raison. L’Apôtre le refuse aux Juifs en disant: "Il n’est pas un homme qui ait de l’intelligence." (Psaume LXXXI, 5): "Ils n’ont pas compris, ils n’ont pas su;" et le verset 3: "Il n’a pas voulu comprendre." c) Le troisième est. La rectitude de d'intention que l’Apôtre ne trouve pas en eux: "Il n’en est pas qui cherche Dieu," c’est-à-dire qui se dirige vers lui (Osée, X, 12): "Le temps de rechercher le Seigneur, lorsque sera venu celui enseigne la justice."

B) L’Apôtre montre ensuite qu'ils n’ont pas pratiqué les bonnes oeuvres, a) d'abord au point de vue de la Loi, qu'ils ont violée: "Ils ont tous dévié," à savoir, de la règle de la loi divine (Isaïe LVI, 11): "Tous ont erré dans leur voie." b) Ensuite au point de vue de leur fin, dont ils ne se sont pas occupés, ce qui lui fait dire: "Tous sont devenus inutiles;" car nous appelons inutile tout ce qui n'atteint pas sa fin: voilà pourquoi, lorsque les hommes se détournent de Dieu, pour lequel ils ont été créés, ils deviennent inutiles (Sagesse IV, 3): "La multitude des impies ne réussira pas." c) Enfin, il signale les oeuvres même qu’ils n’ont pas faites: "Il n’y en a pas un qui fasse le bien" (Jérémie IV, 2): "Ils sont habiles pour faire le mal, mais ils ne savent pas faire le bien." Il ajoute: "Il n’y en a pas un seul;" ce qui peut s’entendre soit exclusivement, comme s’il disait: excepté un seul, c’est-à-dire Celui qui seul a fait le bien en rachetant le genre humain (Ecclésiastique VII, 29): "J’ai rencontré un homme entre mille; je n’ai pas rencontré une femme entre toutes;" soit exclusivement comme s’il disait: il n’y en a pas même un qui, homme ordinaire, fasse le bien, à savoir le bien parfait (Jérémie, V, 6): "Cherchez dans les places publiques, si vous trouvez un homme qui accomplisse la justice et recherche la vérité."

En disant: "Leur gosier est un sépulcre ouvert," saint Paul énumère les péchés de commission; et d’abord les péchés de parole, ensuite les péchés d’action, à ces mots: "Leurs pieds sont agiles." Les péchés de pensée viennent de ces deux sources.

A) Sur les péchés de parole il remarque: a) premièrement, leur rapidité et leur turpitude: "Leur gosier est un sépulcre ouvert." En effet, tout d’abord un sépulcre ouvert est disposé pour recevoir un mort; on ce sens le gosier du pécheur est appelé un sépulcre ouvert quand il est prêt à proférer des paroles qui donnent la mort. Jérémie a dit dans le même sens (V, 16): "Son carquois sera comme un sépulcre ouvert." Ensuite ce sépulcre exhale la puanteur (Matthieu, XXIII, 27): "Ils sont semblables à des sépulcres blanchis, qui, à l’extérieur, paraissent beaux, mais au dedans sont pleins d’ossements de morts et de corruption." Leur gosier est donc un sépulcre ouvert, quand de leur bouche s’exhale la puanteur des discours mauvais (Apoc., IX, 16): "Et de leurs yeux sortaient le feu, la fumée et le soufre." b) Secondement, parmi les péchés de parole, l’Apôtre place les fourberies: "Ils se sont servi de leur langue pour tromper avec adresse, c’est-à-dire ils ont une chose dans le coeur, une autre sur les lèvres (Jér., IX, 8): "Leur langue est comme une flèche qui blesse: elle ne parle que pour tromper." c) Troisièmement, il indique le dommage que les paroles peuvent produire: "Ils ont sur les lèvres un venin d’aspic," c’est-à-dire que ces paroles peuvent devenir telles qu’elles tuent sans remède le prochain, ou spirituellement ou corporellement (Deut., XXXII, 33): "Leur vin est le fiel des dragons et le venin mortel des aspics." d) Quatrièmement, il montre enfin la multiplicité de ces péchés: "Leur bouche est remplie de malédiction," c’est-à-dire la malédiction abonde toujours dans de semblables discours, parce qu’ils médisent du prochain par détraction, contrairement à ce que dit S. Paul ci-après (Rom., XI, 44): "Bénissez et ne maudissez jamais." - "Et d’amertume, parce qu’ils ne craignent pas de dire en face au prochain des paroles injurieuses qui provoquent en eux l’amertume," malgré ce mot (Ephés., IV, 3): "Que toute amertume soit bannie d’entre vous."

B) L’Apôtre passe ensuite aux péchés d’action: "Leurs pieds sont agiles." Il remarque a) premièrement l’empressement à mal agir; ce qui lui fait dire: "Leurs pieds sont rapides," ils sont prompts, à savoir dans leurs passions, "à répandre le sang," c’est-à-dire à commettre les péchés les plus graves, parce que parmi tous les crimes que nous pouvons commettre à l’égard du prochain, l’homicide vient en tête (Prou., I, 16): "Leurs pieds courent au mal; ils se hâtent de répandre le sang." b) Secondement, la multiplicité du dommage qu’ils causent aux autres: "Dans leurs voies," c’est-à-dire dans leurs oeuvres, "est la douleur," parce qu’ils brisent les autres en les opprimant (Is XXX,  14): "Il sera brisé comme l’on brise le vase du potier;" la ruine à la peine du dam, parce qu’ils seront privés de la félicité éternelle (Sag., XIII,  10): "Ils sont malheureux, et leur espérance est parmi les morts." c) Troisièmement, l’Apôtre indique leur obstination dans le mal. Quelques-uns en sortent, soit parce qu’ils veulent avoir la paix avec les hommes; mais de ceux qui agissent autrement il est dit: "Ils ne con naissent point le chemin de la paix;" c’est-à-dire ils ne l’ont point acceptée (Ps., CXIX,  6): "Avec ceux qui haïssent la paix;" soit par la crainte du jugement de Dieu. Mais ceux dont parle l’Apôtre "ne craignent pas Dieu et s’inquiètent peu des hommes," comme il est dit dans l'Evangile (Luc, XVIII,  2). Aussi l’Apôtre dit en les désignant: "La crainte du Seigneur n’est pas devant leurs yeux," c’est-à-dire ils n’y réfléchissent pas (Ecclésiastique I,  27): "La crainte du Seigneur dissipe le péché, et celui qui est sans crainte ne pourra parvenir k la justice." On peut aussi dire spécialement des Juifs, qui ne croyaient pas à Jésus-Christ, qu’ils n’ont pas connu la voie de la paix, c’est-à-dire le Christ, dont il est dit (Ephés., II,  14): "Il est notre paix."

II. L’Apôtre continue: "Nous savons que tout ce que dit la Loi..." Il développe ici le passage qu’il a cité; d’abord il en expose le sens, ensuite il en explique la portée, à ces mots: "Afin que toute bouche soit fermée;" enfin il donne la raison de ce qu’il exprime (verset 20): "Parce que nul homme ne sera justifié par les oeuvres de la Loi."

Sur le sens des paroles citées, il faut considérer que les Juif contre lesquels l’Apôtre argumentait ici, pouvaient détourner ce sens, en alléguant que ces paroles s’adressaient aux Gentils et non aux Juifs. L’Apôtre réfute donc cette interprétation, en disant: "Nous savons que tout ce que dit la Loi, elle le dit à ceux qui sont sous la Loi," c’est-à-dire à ceux à qui la Loi a été donnée et qui font profession de la Loi (Deutéron., XXXIII, 4): "Moïse nous a enseigné la Loi." Or les Gentils n’étaient pas sous la Loi; ainsi les passages cités s’appliquaient aux Juifs.

Ici se présente une double objection. La première, c’est que ces paroles ne sont pas tirées de la Loi, mais du Psalmiste. Il faut répondre que quelquefois le nom de Loi est pris pour tout l’Ancien Testament, et non pas seulement pour les cinq livres de Moïse; c’est ainsi qu’il est dit en saint Jean (XV, 25): "Afin que soit accomplie la parole qui est écrite dans leur Loi, ils m’ont haï sans raison;" passage qui est tiré de l’Ancien Testament et non des cinq livres de Moïse, qu’on appelle proprement la Loi. C’est dans ce sens que saint Paul prend ici le mot de Loi. D’autres fois, tout l’Ancien Testament est divisé en trois parties: la Loi, les psaumes et les prophètes. C’est ainsi qu’on lit dans saint Luc (XXIV, 44): "Il fallait que tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes fût accompli." Enfin l’Ancien Testament est aussi quelque fois divisé en deux parties: la Loi et les prophètes, comme il est dit en saint Matthieu (XXV, 10): "Ces deux commandements renferment toute la Loi et les prophètes." Alors le Psautier est compris sous le terme de prophètes.

La seconde objection est que dans la Loi beaucoup de choses appartiennent aux autres nations, comme on le voit dans plusieurs endroits d’Isaïe et de Jérémie; un grand nombre de menaces sont faites contre Babylone et d’autres peuples. Donc tout ce que dit la Loi, elle ne le dit pas à ceux et de ceux qui sont sous la Loi. On répond que tout ce qui est dit d’une manière indéterminée parait s’adresser à ceux à qui est donnée la Loi; mais quand l’Ecriture parle des autres, elle les désigne d’une manière spéciale, comme lorsqu’il est dit: "Menace contre Babylone, menace contre Tyr." De plus, ce qui dans l'Ancien Testament est dit contre les autres nations appartenait dans un certain sens aux Juifs, en tant que les calamités de ces nations étaient annoncées ou pour consoler ou pour effrayer la nation juive. Car un prédicateur ne doit dire que ce qui concerne ceux auxquels il parle, et non les autres (Is 58,1): "Annonce à mon peuple ses crimes," comme si le Seigneur disait: et non pas le crime des autres.

Quand l’Apôtre dit: "Afin que toute bouche soit fermée, il fait ressortir le but du passage qu’il a cité. Car en convainquant tous les hommes d’injustice, l’Ecriture se propose

A) de réprimer la jactance de ceux qui se regardaient comme justes, ainsi qu’il est dit en saint Luc (XVIII, 2): "Je jeûne deux fois la semaine." C’est pour cela que l’Apôtre dit: "Afin que toute bouche soit fermée," c’est-à-dire toute bouche qui s’attribuerait présomptueusement injustice (Psaume LXII, 14): "La bouche de l’iniquité a été fermée;" et au 1er livre des Rois (II, 3): "Ne multipliez pas les paroles orgueilleuses, en vous glorifiant vous-mêmes."

B) L’Ecriture se propose ensuite de les porter à reconnaître leur faute, afin qu’ils se soumettent à Dieu, comme le malade au médecin. Aussi saint Paul ajoute-t-il: "Et que tout le monde se reconnaisse soumis à Dieu," c’est-à-dire que non seulement Gentils, mais encore Juifs, avouent leur faute (Psaume LXI, 1): "Mon Aine ne sera-t-elle pas soumise à Dieu?"

L’Apôtre, enfin, en disant: "Parce que nul homme ne sera justifié par les oeuvres de la Loi," donne la raison des paroles qu’il a citées. D’abord il énonce cette raison, secondement il la développe en disant: "par la Loi."

A) Il dit donc d’abord "Si personne n’est juste, c'est que toute chair," c’est-à-dire tout homme, n’est pas justifié devant Dieu, à savoir, selon son jugement, par les oeuvres de la Loi, parce que, comme il est dit aux Galates (II, 21): "Si la justice vient de la Loi, c’est donc en vain que Jésus-Christ est mort;" et à Tite (III, 5): "Il nous a sauvés, non à cause des oeuvres de justice que nous avons faites, mais par sa miséricorde." Or il y a deux sortes d’oeuvres de la Loi: les unes particulières à la loi mosaïque, comme l’observance des préceptes cérémoniaux; les autres, communes à la loi de nature, parce qu’elles appartiennent à la loi naturelle, comme; "vous ne tuerez pas, vous ne déroberez pas." Quelques-uns rapportent ce passage à la première espèce de ces oeuvres, c’est-à-dire aux préceptes cérémoniaux, qui ne conféraient pas la grâce justifiante. Mais cette interprétation ne paraît pas conforme à. la pensée de l’Apôtre; on le voit par ce qu’il ajoute aussitôt: "Car la Loi ne donne que la connaissance du péché." Or il est manifeste que la connaissance du péché est acquise par là même que des préceptes moraux le défendent. L’Apôtre entend donc que les oeuvres de la Loi, quelles qu’elles soient, même celles qui sont commandées par les préceptes moraux, ne justifient pas l’homme, en ce sens que ces oeuvres mêmes puissent produire en lui la justification; comme il sera dit plus loin (Rom., XI, 6): "Si c’est par grâce, ce n’est donc plus en vue des oeuvres."

B) En disant: "Car par la Loi," l'Apôtre donne la preuve de ce qu’il avait avancé, c’est-à-dire que les oeuvres de la Loi ne justifient pas. La Loi, en effet, est donnée à l'homme pour qu’il connaisse ce qu’il doit faire, ce qu’il doit éviter (Psaume CXLVII, 9): "Il n’a pas agi ainsi pour toutes les nations, et il ne leur a pas manifeste ses décrets;" (Prov., VI, 23): "Le précepte est un flambeau, la Loi est une lumière, la réprimande est le chemin de vie." Mais de ce que l’homme a la connaissance du péché, qu’il doit éviter parce qu’il est défendu, il ne s’ensuit pas immédiatement qu'il l’évite. C’est le propre de la justice, parce que la concupiscence pervertit le jugement lorsqu’il faut se déterminer à agir. Voilà pourquoi la Loi ne suffit pas pour la justification, et rend nécessaire un autre remède pour réprimer la concupiscence.



Romains 3, 21 à 26: En quel sens il faut entendre: "la foi justifie"

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Rm 3,21-26)





SOMMAIRE: Qu’il n’y a aucune différence entre les Gentils et les Juifs par rapport à la grâce qui leur est donnée; que la justification n’est accordée qu’à la foi en Jésus-Christ. Comment cette foi justifie.

21. Au lieu que maintenant, sans la Loi, la justice de Dieu a été manifestée, étant attestée par le témoignage de la Loi et des prophètes.

22. Or la justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ est pour tous et sur tous ceux qui croient en lui, car il n a pas de distinction;

23. Parce que tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu;

24. Etant justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est dans le Christ-Jésus,

25. Que Dieu a établi propitiation par la foi en son sang, pour manifester sa justice par la rémission des péchés précédents,

26. Que Dieu a supportés pour faire paraître sa justice en ce temps, et montrer qu'il est juste lui-même et qu'il justifie celui qui a la foi en Jésus-Christ.

Les Juifs et les Gentils sont donc égaux, d’après saint Paul, sous le rapport des péchés passés; il montre maintenant qu’ils sont encore égaux sous le rapport de la grâce subséquente. Pour le démontrer, premièrement il énonce sa proposition; secondement il prouve une vérité d’abord supposée, au verset 29: Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement? Troisièmement il répond à une objection, lorsqu’il dit, au verset 31: "Détruirons-nous donc la Loi?" L’énoncé de la proposition comprend: la proposition même; II° le développement de cette proposition, à ces mots: "Il n’y a pas de distinction;" III° sa déduction de la conclusion proposée, lorsqu’il dit: "Où est donc le sujet de votre gloire?

Or, pour établir sa proposition, l’Apôtre marque le rapport de la justice à la Loi; II. Il indique la cause de la justice en disant: "La justice de Dieu;" III. Il marque la participation à cette justice, lors qu’il ajoute: "Pour tous."

I. Il fait une double comparaison ou un double rapprochement entre la justice et la Loi:

Il dit que la justice n’a pas sa cause dans la Loi. Il le montre en disant: "Il a été avancé qu’autrefois la justice de Dieu ne pouvait s’obtenir par les oeuvres de la Loi," soit parce que Lui seul est juste et accomplit la promesse de la justification des hommes (Rom., XV, 8): "Je vous déclare que Jésus-Christ a été le ministre de la circoncision pour justifier la véracité de Dieu." ou plutôt la justice de Dieu, par laquelle Dieu justifie l’homme, et dont il est dit plus loin (Rom., X, 3): "Ne connaissant pas la justice de Dieu;" cette "justice de Dieu," dis-je, nous a été manifestée maintenant, c’est-à-dire au temps de la grâce, soit par la doctrine du Christ, soit par les miracles qu’il a opérés, soit même par l’évidence de fait, en tant qu’il est évident qu’un grand nombre d’hommes ont été divinement justifiés, et cela "sans la Loi," qui n'a pas été cause productrice de la justice (Galat., V, 4): "Vous qui voulez être justifiés par la Loi, vous êtes étrangers au Christ, vous êtes déchus de la grâce;" et encore (Is 56,2): "Le salut que je dois envoyer est proche, et ma justice sera bientôt révélée."



Et de peur que l’on ne croie que cette justice est opposée à la Loi, l’Apôtre établit un autre rapport de la justice à cette Loi en disant: "Elle a été attestée par la Loi et par les prophètes." La Loi a témoigné de la justice du Christ par ses enseignements, par ses figures (Jean, V, 46): "Si vous croyez à Moïse, vous croirez à ma parole, car c’est de moi qu’il a écrit." Elle en a même témoigné par ses effets, parce que, ne pouvant justifier par elle-même, elle rendait témoignage qu’il fallait chercher ailleurs la justice. Quant aux prophètes, ils en ont témoigné par leurs prédictions (Act., X, 43): "Tous les prophètes lui rendent témoignage."

II. L’Apôtre indique, en second lieu, la cause de la justice en disant: "Or, la justice de Dieu est par la foi en Jésus-Christ," c’est-à-dire par la foi qu’il a transmise (Hébr., XII, 2): "Regardant Jésus, l’auteur de la foi, etc." ou même celle dont il est l’objet (Rom., X, 9): "Si vous confessez de bouche que Jésus est le Seigneur, et si vous croyez de coeur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, vous serez sauvés." Saint Paul dit que la justice de Dieu est par la foi en Jésus-Christ, non pas que nous méritions par la foi d’être justifiés, comme si la foi pouvait exister par nous-mêmes et que par elle nous méritions la justice de Dieu, ainsi que l’ont prétendu les Pélagiens, mais parce que, dans la justification même, où Dieu nous justifie, le premier mouvement de l'âme vers Dieu se fait par la foi (Hébr., XI, 6): "Car pour s’approcher de Dieu, il faut croire d’abord." De là il faut dire que la foi elle-même, qui est comme la première partie de la justice, nous vient de Dieu (Éphés., II, 8): "C’est la grâce qui vous a sauvés." Or, cette foi d’où procède la justice n’est pas la foi informe dont il est parlé (Jacques, II, 17): "La foi qui n’a pas les oeuvres est morte;" mais c’est la foi vivante par la charité[1], dont il est dit (Galat., V, 6): "Car en Jésus-Christ la circoncision ne sert de rien sans la foi, par laquelle le Christ habite en nous" (Ephés., III, 17): "Que Jésus-Christ habite dans vos coeurs par la foi," ce qui ne peut se faire sans la charité (I Jean, IV, 16): "Quiconque demeure dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui." C’est aussi cette foi dont il est dit aux Actes (XV, 9): "Ayant purifié leurs coeurs par la foi, ce qui suppose la charité (Prov., X, 12): "La charité couvre toutes les fautes."

III. Et pour qu’on ne dise pas que les Juifs seuls étaient justifiés par cette foi, saint Paul montre que tous participent à cette justice, lorsqu’il ajoute: "Pour tous," c’est-à-dire cette justice est dans le coeur et non dans les observances charnelles, dont il est dit (Hébr., XX, 10) qu’elles étaient pour la justification de la chair, et imposées jusqu’au temps où la Loi serait corrigée. Et: "Sur tous," parce qu’elle dépasse et la puissance et les mérites de l’homme (II Cor., III, 5): "Non que nous soyons capables de nous-mêmes d’avoir une, bonne pensée." L’Apôtre ajoute: "Ceux qui croient en lui;" ce qui appartient à la foi vivante, par laquelle l’homme est justifié, comme nous l’avons dit. (La foi vivante par la charité[2])

II° En disant: "Il n’y a pas de distinction," saint Paul développe ce qu’il a avancé: I. quant à la participation à la justice; II. Quant à sa cause, à ces mots: "Ils sont justifiés gratuitement;" III. Quant à sa manifestation, lorsqu’il ajoute: "Pour la manifestation de sa justice."

I. II dit donc: J’ai avancé que la justice de Dieu est pour tous ceux et sur tous ceux qui croient en Jésus-Christ; car, en ce point, il n’y a pas de distinction entre le Juif et le Gentil ni, II): "En Jésus-Christ il n’y a ni Gentil ni Juif," c’est-à-dire nul n’est distingué, comme si le Juif n’avait pas besoin d’être justifié par Dieu comme le Gentil. Tous, en effet, ont péché," ainsi qu’on l’a fait voir précédemment (Is LII, 3): "Vous avez été vendus pour rien, et vous serez rachetés sans rançon," et cela par la grâce de Dieu lui-même, à qui doit en revenir la gloire (I Cor., XV, 10): "C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis."

II. Saint Paul fait connaître la cause de cette justification.

Il désigne cette cause même: "Par la Rédemption." Car, suivant la parole de saint Jean (VII, 34): "Quiconque commet le péché est esclave du péché." C’est de cette servitude que l’homme est racheté quand il satisfait pour le péché. Ainsi dirait-on d’un coupable, condamné par un roi à payer une somme d’argent à raison de quelque crime commis, qu’il a été racheté de sa faute par celui qui aurait versé cet argent. Or, cette faute était celle du genre humain tout entier, souillé par la prévarication du premier père. Nul autre donc ne pouvait satisfaire pour ce péché, si ce n’est le Christ, qui était pur de tout péché. Aussi saint Paul ajoute-t-il: "Qui vient du Christ Jésus," comme s’il disait: Nous ne pouvions, dans un autre que lui, trouver la rédemption (I Pierre, I, 8): "Ce n'est pas par des objets corruptibles, comme l’or ou l’argent, que vous avez été rachetés."

L’Apôtre montre comment cette rédemption a tiré son efficacité, lorsqu’il dit: "Le Christ Jésus que Dieu a proposé pour être la victime de propitiation." En effet, la satisfaction du Christ obtint son efficacité pour justifier et pour racheter, de ce que Dieu a arrêté par un décret de sa volonté. C’est ce que l’Apôtre donne à entendre, lorsqu’il ajoute: "Que Dieu a proposé " (Ephés., I, 11): "Lui qui opère toutes choses selon le décret de sa volonté." ou encore: "A proposé," c’est-à-dire a mis pour tous, parce que le genre humain n’avait pas de quoi satisfaire, si Dieu lui-même ne lui eût donné un rédempteur et un libérateur (Psaume CX, 8): "Dieu a envoyé la rédemption à son peuple." Et ainsi, en même temps que par sa satisfaction il nous a rachetés de la dette du péché, il rend Dieu propice à nos péchés, comme le demandait le Psalmiste: "Soyez propice à nos péchés." Voilà aussi pourquoi saint Paul l’appelle: "Propitiation" (I Jean, II, 2): "Lui-même est la victime de propitiation." C’était pour figurer ce mystère qu’il était ordonné dans l’Exode (XXV, 17) de faire un propitiatoire, à savoir, de placer le Christ sur l’arche, c’est-à-dire sur son Église.

L’Apôtre montre comment l’effet de la rédemption vient jusqu’à nous, lorsqu’il dit: "Par la foi en son sang," c’est-à-dire par la foi à son sang versé pour nous. En effet, afin de satisfaire pour nous, Jésus-Christ devait, par une sorte de convenance, souffrir la peine de la mort, que l’homme avait encourue à cause du péché, selon cette parole de la Genèse (II, 17): "Au jour où tu en mangeras, tu mourras de mort." C’est pourquoi saint Pierre dit (I Pierre, III, 18): "Jésus-Christ a souffert la mort une fois pour nos péchés." Or, cette mort du Christ nous est appliquée au moyen de la foi, par laquelle nous croyons que par sa mort il a racheté le monde (Galat., II, 20): "Je vis en la foi du Fils de Dieu qui m’a aimé, etc." Car, même devant les hommes, la satisfaction offerte à un autre n’aurait de valeur qu’autant que le coupable l’aurait acceptée. Par là, on voit comment la justice procède de la foi en Jésus-Christ, ainsi qu’il a été dit.

III. Mais comme saint Paul a dit aussi plus haut que la justice de Dieu était maintenant manifestée, il traite conséquemment de cette manifestation.

D’abord il en indique le mode en disant: "Pour la manifestation," comme s’il disait: il en a été ainsi, je le répète; nous avons été justifiés par la rédemption de Jésus-Christ et par la foi en son sang, "Pour la manifestation de sa justice," c’est-à-dire pour que Dieu manifestât cette justice "par la rémission des péchés passés." Car de ce que Dieu a remis les péchés passés, que la Loi ne pouvait remettre, et dont les hommes ne pouvaient se préserver par leurs propres forces, l’Apôtre fait comprendre que l’homme a besoin de la justice que Dieu lui communique. Or, ce n’est que par le sang du Christ qu’ont pu être remis les péchés, non seulement présents, mais passés, parce que la vertu de ce sang opère par la foi de l’homme, foi qu’eurent ceux qui ont vécu avant la passion de Jésus-Christ, comme nous l’avons nous-mêmes (II Cor., IV, 13): "Parce que nous avons le même esprit de foi, nous croyons." Aussi peut-on encore entendre ce passage, de la rémission des péchés commis par ceux qui vécurent avant la passion de Jésus-Christ. C’est pour cela quo le Prophète dit (Mich., VII, 19): "II déposera nos iniquités, et il précipitera nos péchés au fond de l’abîme."

Saint Paul montre ensuite le temps de la manifestation de la justice, lorsqu’il dit: "Des péchés que Dieu a supportés avec patience pour faire paraître sa justice en ce temps;" comme s’il disait: les péchés antécédents à la passion du Christ étaient supportés par Dieu avec une patience toute divine, parce que Dieu n’en faisait pas, pour ceux qui croyaient et qui se repentaient, un sujet de condamnation, et qu’il n’en accordait pas non plus une rémission tellement complète que, ce nonobstant, les pécheurs pussent entrer dans la gloire. On peut encore entendre, selon une autre version, que les saints patriarches étaient eux-mêmes comme supportés par Dieu, puisqu’ils étaient retenus dans les limbes, sans souffrir à la vérité une peine du sens, mais attendant leur introduction dans la gloire par la passion de Jésus-Christ (Ecclésiastique II, 2): "Supportez les retardements de Dieu."

C’est pour cela, dis-je, que les fautes précédentes, ou les anciens patriarches, étaient comme supportés par Dieu, afin de manifester sa justice dans le temps, c’est-à-dire afin que dans ce temps de grâce Dieu montrât la perfection de sa justice, en accordant la rémission entière des péchés (Psaume CI, 14): "Il est venu le temps de la clémence, etc.;" et (II Cor., VI, 2): "Voici maintenant le temps favorable, etc." C’est dans ce sens que l’Apôtre avait dit plus haut que la justice de Dieu était maintenant manifestée. Il a donc fallu que les fautes précédentes fussent jusqu’à ce temps l’objet de la patience de Dieu, afin que l’homme fût d’abord convaincu de son défaut de science, puisqu’au temps de la loi de nature il est tombé dans des erreurs et dans des péchés honteux, et ensuite de son impuissance, puisqu’après la loi écrite, qui a donné la connaissance du péché, il est encore tombé par faiblesse.

Enfin saint Paul montre que par la rémission des péchés se manifeste la justice de Dieu, soit qu’on l’entende de la justice par laquelle il est juste, ou de celle par laquelle il justifie les hommes. C’est pourquoi l’Apôtre ajoute: "Afin de montrer qu’il est lui-même juste," soit parce qu’il remet les péchés, comme il l’avait promis, soit parce qu’il est de sa justice de détruire le péché en ramenant les hommes à cette même justice (Psaume X, 8): "Le Seigneur est juste, et il aime la justice;" et "de justifier celui qui a la foi en Jésus-Christ," c’est-à-dire celui qui par la foi en Jésus-Christ s’approche de Dieu (Hébr., X, 6): "Pour s’approcher de Dieu il faut croire."




Thomas A. sur Rm (1869) 15