Thomas A. sur Rm (1869) 17

Romains 3, 27-31: La foi, commencement de la justification

17
075 (
Rm 3,27-31)





SOMMAIRE: L’Apôtre met à néant la gloire que les Juifs tiraient de la Loi pour se préférer aux Gentils.- La justification par la foi appartient à tous, puisque le Dieu qui justifie est le Dieu des Gentils et des Juifs.- La Loi n'est pas détruite par la foi; elle en reçoit une nouvelle force.

27."h est donc le sujet de ta gloire? Il est exclu. Par quelle loi? Des oeuvres? Non, mais par la loi de la foi.

28. Car nous reconnaissons que l'homme est justifié par la foi sans les oeuvres de la Loi.

29. Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement? Ne n'est-il pas aussi des Gentils? Oui, certes, des Gentils également.

30. Puisqu'il n'y a que seul Dieu qui justifie par la foi les circoncis et par la foi les incirconcis.

31. Détruisons-nous donc la Loi par la foi? Loin de là, car nous établissons la Loi.



Saint Paul a montré que les Juifs ne l’emportent sur les Gentils, ni quant à l’état du péché, ni quant à l’état de la grâce; il tire ici la conclusion qu’il avait en vue, en réfutant la vaine gloire qui les faisait se préférer aux Gentils. Il rejette cette vaine gloire; II° il donne la raison de ce rejet: "Par quelle loi;" III° il expose la règle qu’il suit pour la rejeter, en disant: "Car nous devons reconnaître."

Quant à la vaine gloire des Juifs, l’Apôtre fait deux choses:

I. Il pose une question en disant: "Du moment que vous êtes également sous le péché, vous Juif et vous Gentil; du moment que le Gentil est justifié par la foi comme le Juif," où est donc le sujet de votre gloire?" je veux dire de cette gloire qui vous fait vous glorifier dans la Loi, comme il a été expliqué plus haut, au ch. II, et vous porte à vous élever au-dessus du Gentil (P Cor., VI, 6): "Il ne convient pas de vous glorifier;" et (Gal., VI, 26): "Ne soyons pas amateurs d’une vaine gloire."

II. Saint Paul répond à cette question, en disant: Il est exclu, c’est-à-dire détruit (I Rois, IV, 21): "La gloire d’Israël a été transférée;" (Osée, IV, 7): "Je changerai leur gloire en ignominie." ou encore: "Il est exclu," c’est-à-dire cette gloire est exprimée par sa manifestation, car les Juifs se glorifiaient de la gloire et du culte du Dieu unique. Or, suivant l’Apôtre, cette gloire qu’ils s’attribuaient est exclue, c’est-à-dire exprimée par le Christ, comme l’ouvrier qui exprime une figure sur l’argent est appelé excluseur (imprimeur), selon ce passage du Ps. (LXVII, 31): "Ils veulent exclure ceux qui ont été éprouvés comme l’argent." Mais le premier sens est plus littéral.

II° En disant: "Par quelle loi? l’Apôtre indique la cause de ce rejet. Dès lors que la glorification des Juifs était dans la Loi, ainsi qu’il a été dit, il semblait nécessaire qu’elle fût détruite par quelque chose d’analogue, c’est-à-dire par quelque loi. Aussi, après la question qu’il a posée, saint Paul demande: "Par quelle loi?" le sujet de leur gloire a été exclu. On aurait, en effet, pu s’imaginer que l’Apôtre disait leur glorification anéantie par quelques préceptes légaux, qui auraient commandé quelques oeuvres plus considérables. C’est pourquoi il fait une nouvelle interrogation: "Est-ce par celle des oeuvres?" comme s’il disait: est-ce que je prétends que le sujet de leur gloire a été exclu par quelque loi des oeuvres? Et il répond: "Non, mais par la loi de la foi." on voit ici que l’Apôtre admet deux lois, à savoir: celle des oeuvres et celle de la foi. Il est aisé de reconnaître que par la loi des oeuvres il entend la Loi ancienne, et par celle de la foi la Loi nouvelle, qui égale le Gentil au Juif.

Une difficulté s’élève sur cette distinction. La voici: dans la Loi ancienne, comme dans la Loi nouvelle, la foi était nécessaire (Ecclésiastique II, 8): "Vous qui craignez le Seigneur, croyez en lui;" et (Psaume CXV, 4): "J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé." Bien plus, dans la Loi nouvelle, on requiert aussi certaines oeuvres, le recours à certains sacrements (Luc, XXII, 19): "Faites ceci en mémoire de moi;" et même l’accomplissement des préceptes moraux (Jacques I, 22): "Ayez soin de mettre en pratique la parole, et ne vous contentez pas de l’écouter." Il faut donc dire que saint Paul appelle loi des oeuvres, la loi extérieurement proposée et écrite pour régler les oeuvres extérieures, celle qui prescrit ce qu’on doit pratiquer, et indique par ses défenses ce qu’on doit éviter, et loi de la foi, la loi écrite intérieurement, qui règle non seulement les oeuvres extérieures, mais les mouvements mêmes du coeur, parmi lesquels la foi est le premier, car "Il faut croire de coeur pour obtenir la justice," comme il est dit ici et ch. X, 10. L’Apôtre parle encore de cette loi au ch. VIII, 2: "La loi de l’esprit de vie qui est en Jésus-Christ."

III° Lorsque saint Paul ajoute "Nous devons reconnaître," il fait voir comment est exclu par la loi de la foi le sujet de gloire des Juifs. Il dit donc: "Nous reconnaissons," nous autres apôtres, instruits dans la vérité par Jésus-Christ, "que tout homme," soit Juif soit Gentil, "est justifié par la foi " (Act., XV, 9): "Ayant purifié son coeur par la foi," et cela "sans les oeuvres de la Loi," non seulement sans les oeuvres des préceptes cérémoniaux, qui ne conféraient pas la grâce et la figuraient seulement, mais encore sans les oeuvres des préceptes moraux, ainsi qu’il est dit (Tite, III, 5): "Non à cause des oeuvres de justice que nous avons faites, etc." Il faut toutefois entendre ces dernières paroles en ce sens: sans les oeuvres qui précèdent la justice, et non sans celles qui la suivent, parce que, comme dit l’apôtre saint Jacques (II, 17): "La foi qui n’a pas les oeuvres," à savoir les oeuvres subséquentes, "est une foi morte," et ne peut par conséquent nous justifier.

I. En disant: "Dieu est-il seulement le Dieu des Juifs?" l’Apôtre revient à un point qu’il avait supposé, à savoir, que la justice de la foi devenait commune à tous. Il s’était appuyé d’abord sur une raison prise de la cause matérielle, en disant: "Tous ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu," c’est-à-dire sont pécheurs et doivent être justifiés par la grâce de la foi; mais la preuve par la seule cause matérielle est incomplète, parce que la matière ne se meut pas d’elle-même vers la forme sans une cause active, saint Paul donne donc la raison tirée de la cause active, c’est-à-dire justifiante, qui est Dieu, comme il est dit plus loin (Rom., VIII, 29): "C’est Dieu qui justifie." Or, il est évident que notre Dieu, en les justifiant, sauve ceux dont il est le Dieu, comme dit le Psalmiste (LXVII, 21): "Notre Dieu est le Dieu qui a la puissance de sauver." Mais il n’est pas seulement le Dieu des Juifs, il est aussi le Dieu des Gentils; donc il justifie les uns et les autres.

Pour le démontrer, l’Apôtre

pose la question pour les Juifs, lorsqu’il dit: Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement? Peut-être le semblerait-il d’après ce que dit l’Exode (V, 3): "Le Dieu des Hébreux nous a appelés." Il faut donc dire qu’il était le Dieu des Hébreux seulement par le culte spécial qu’ils lui rendaient. C’est pourquoi le Psalmiste disait (LXXV, 4): "Dieu s’est fait connaître dans la Judée;" toutefois il était le Dieu de tous les hommes par son action providentielle et commune à tous, comme dit encore le Psalmiste (XLVI, 8): "Dieu est le roi de toute la terre."

saint Paul pose la question pour les Gentils, en disant: "Ne l’est-il pas aussi des Gentils?" c’est-à-dire n’est-il pas leur Dieu? Et il répond: "Oui, sans doute, il l’est aussi des Gentils;" en effet, il les gouverne et les régit, d’après ces paroles de Jérémie (X, 7): "Qui ne vous craindra, ô roi des nations?"

Enfin, à ces paroles: "Car c’est le même Dieu," l’Apôtre prouve par un signe ce qu’il avait avancé, comme s’il disait: il est évident qu’il n’est pas seulement le Dieu des Juifs, mais qu’il est aussi le Dieu des Gentils, parce que "c'est le même Dieu qui justifie les circoncis," c’est-à-dire les Juifs, "par la foi, et qui justifie par la même foi les incirconcis." Car, ainsi que l’Apôtre le dit aux Galates (V, 6): "En Jésus-Christ, ni la circoncision, ni l’incirconcision ne servent, etc. Ces expressions: "de la foi," et: "par la foi," indiquent, suivant la Glose, absolument la même chose. Toutefois on peut y trouver quelque différence: car la préposition de désigne quelquefois une cause éloignée, et la préposition par une cause prochaine. Saint Paul dit donc que les Juifs obtiennent de la foi leur justification, parce que la foi fut la cause première d’où vinrent la circoncision et les autres sacrements de la Loi, et ainsi la foi justifie les Juifs, comme commencement qui agit ensuite par des causes intermédiaires; au lieu que la foi justifie les Gentils immédiatement et par elle-même. (Noter: seule la foi vivante par la charité[3] fait entrer dans la justification, non à titre de commencement mais de réalité.

III. En disant: "Détruisons-nous donc la Loi?" l’Apôtre prévient une objection. On pouvait, en effet, dire qu’il détruisait cette Loi. Il demande donc par une interrogation: "Détruisons-nous donc la Loi par la foi?" c’est-à-dire en disant que l’homme est justifié sans les oeuvres de la Loi ? Il répond: "A Dieu ne plaise," car il est dit (Matth., V, 18): "Un seul iota ou un seul point de la Loi ne passera pas, etc." Et il ajoute: "Au contraire, nous l’établissons," c’est-à-dire nous la perfectionnons, nous l’accomplissons par la foi, selon cette autre parole de saint Matthieu (V, 17): "Je ne suis pas venu détruire la Loi, mais l’accomplir," et cela quant aux préceptes cérémoniaux, qui, n’étant que figuratifs, reçoivent leur entité et leur perfection de ce que la vérité qu’ils figuraient est manifestée dans la foi du Christ; et même quant aux préceptes moraux, parce que cette foi procure le secours de la grâce pour accomplir les prescriptions morales de la Loi, et ajoute même des conseils, au moyen desquels ces préceptes sont conservés avec plus de sûreté et de stabilité.





CHAPITRE IV: LA JUSTICE NOUVELLE





Romains 4, 1-9: La justification nouvelle

18
075 (
Rm 4,1-10)





SOMMAIRE: La gloire que les Juifs tiraient de la circoncision, et qu’ils croyaient leur donner la prééminence sur les Gentils, est mise à néant. - L’Apôtre explique comment la récompense peut être accordée et par grâce et d’après les mérites.

1. Que dirons-nous donc qu notre père a eu selon la chair?

2. Car si Abraham a été justifié par les oeuvres, il a de quoi se glorifier, mais non devant Dieu.

3. En effet, que dit l Abraham crut à Dieu, et ce lui fut imputé à justice.

4. Or, à celui qui travaille, le salaire n'est pas imputé comme une grâce, mais comme une dette.

5. Au contraire, à celui qui ne fait pas les oeuvres, mais qui croit en Celui qui justifie l'impie, sa foi est imputée à justice, selon le décret de la grâce de Dieu.

6. C'est ainsi que David dit heureux l'homme à qui Dieu impute la justice sans les oeuvres.

7. Heureux ceux dont les iniquités ont été pardonnées et dont les péchés ont été couverts.

8. Heureux l’homme à qui Dieu n'a pas imputé de péché.

9. Or, cette béatitude n'est-elle que pour les circoncis? N'est-elle pas aussi pour les incirconcis? Car nous venons de dire que la foi d'Abraham lui a été imputée à justice.

10. Quand donc lui a-t-elle été imputée? Est-ce après la circoncision ou avant la circoncision? Ce n'est pas après la circoncision, mais avant qu l'eut reçue.

L’Apôtre, après avoir mis à néant la gloire que les Juifs s’attribuaient à raison de la Loi, à l’occasion de laquelle ils se préféraient aux Gentils, renverse celle qu’ils tiraient; de la circoncision.

Dans ce but, premièrement il reprend la question qu’il a posée plus haut, lorsqu’il avait dit (ch. III, 4): "Quelle est l’utilité de la circoncision?" Et parce qu’Abraham reçut le premier le précepte de cette circoncision, ainsi qu’il est rapporté dans la Genèse (XVII, 10), il pose la question sur la personne même d’Abraham, en disant: "S’il en est ainsi, si Dieu justifie l’incirconcis comme le circoncis, A quel avantage reconnaîtrons-nous donc Abraham, notre père selon la chair," c’est-à-dire selon la circoncision et selon les autres observances charnelles? II y a, ce semble, inconvenance à dire qu’Abraham n’y a trouvé aucun avantage, puisqu’il est écrit (Is 48,17): "Je suis le Seigneur votre Dieu, qui vous enseigne ce qui est utile."

Secondement, à ces paroles: "Car si Abraham a été justifié par ses oeuvres," l’Apôtre répond à la question qu’il s’est proposée; et pour cela, d’abord il montre qu’Abraham n'a pas trouvé ces avantages par la circoncision, ou par les autres oeuvres de la Loi; qu’il n pas été justifié par là, mais plutôt par la foi; ensuite il exalte la foi d’Abraham (verset 18): "Ayant espéré contre toute espérance." Sa première proposition, il la développe: premièrement, par une raison prise du côté de Dieu qui accepte; secondement, par une autre prise du côté de Dieu qui promet, à ces mots (verset 13): "Car ce n'est pas par la Loi." A l’égard de l’acception divine, il avance une proposition conditionnelle; III° il prouve que le conséquent est à rejeter, à ces mots (verset 3): "En effet, que dit l’Écriture?" III° il prouve la proposition conditionnelle elle-même, à ces autres (verset 6): "C’est ainsi que David appelle heureux."

I° Sur le premier point, voici l’argumentation de l’Apôtre: si Abraham avait été justifié par les oeuvres de la Loi, il n’aurait pas à se glorifier devant Dieu; donc il n'a pas été justifié par les oeuvres. Saint Paul avance donc une proposition conditionnelle, en disant: on a demandé quels avantages Abraham avait trouvés dans la circoncision charnelle. Il est manifeste que ce qu’il a trouvé dans cette circoncision, ce n’est pas d’être justifié par les oeuvres de la Loi, en sorte que sa justice consistât dans ces oeuvres, car il aurait de la gloire, à la vérité, mais seulement devant les hommes, qui voient les oeuvres extérieures, et non devant Dieu, qui voit dans le secret, selon ce mot (I Rois, XVI, 7): "L’homme voit ce qui parait, mais Dieu regarde le coeur;" et (I Cor., III, 21): "Que personne ne mette sa gloire dans les hommes." Aussi est-il dit contre certains orgueilleux (Jean, XII, 43): "Ils aimèrent plus la gloire qui vient des hommes que la gloire qui vient de Dieu."

On peut objecter contre cette doctrine que de l’habitude des oeuvres extérieures naît l’habitude intérieure, qui a aussi pour effet de porter le coeur de l’homme à faire le bien, et à trouver son plaisir dans les bonnes oeuvres, comme l’enseigne Aristote (II° Ethique).

Il faut répondre qu’il peut en être ainsi à l’égard de la justice humaine, qui dispose l’homme au bien humain, car l’habitude de cette justice peut être acquise par les oeuvres humaines; mais la justice dont on peut se glorifier devant Dieu se rapporte au bien divin, c’est-à-dire à la gloire éternelle, qui dépasse la portée des facultés humaines, comme il est dit (I Cor., II, 9): "Le coeur de l’homme n'a pas compris ce que Dieu prépare à ceux qui l’aiment." Voilà pourquoi les oeuvres de l’homme ne sont pas suffisantes pour produire l’habitude de cette justice. Il faut que le coeur de l’homme soit d’abord justifié intérieurement par Dieu, avant qu’il puisse espérer des oeuvres proportionnées à la gloire divine.

II° Lorsque l’Apôtre ajoute (verset 3): "En effet, que dit l’Ecriture?" il détruit le conséquent qui a été négatif, en prouvant l’affirmation opposée, à savoir, qu’Abraham a eu de quoi se glorifier devant Dieu. Il établit cette assertion par l’autorité de l’Ecriture qu’il cite d’abord, et qu’il explique ensuite, à ces mots (verset 4): "Or la récompense qu’on donne à quelqu’un pour ses oeuvres."

I. Il dit donc d’abord: J’avance qu’Abraham a été justifié de telle sorte qu’il peut se glorifier devant Dieu. "En effet, que dit l’Écriture?" (Genèse, XV, 6): "Abraham crut à la parole de Dieu," qui lui promettait de multiplier sa race (Ecclésiastique II, 6): "Confiez-vous à Dieu, et il vous tirera de vos maux." Et sa foi lui a été imputée, à savoir par Dieu, "à justice" (I Macch., II, 52): "Abraham n’a-t-il pas été fidèle dans sa tentation?" Ainsi il est évident que devant Dieu, qui lui a imputé à justice d’avoir cru, Abraham a de quoi se glorifier. Or il faut remarquer que cette justice que Dieu lui impute, le saint patriarche l’a montrée écrite, non dans quelque oeuvre extérieure, mais dans la foi intérieure du coeur, qui n’est vue que de Dieu. Car, l’acte de la foi pouvant se faire de trois manières, à savoir: croire Dieu, croire à Dieu et croire en Dieu, Abraham a accompli celui de ces actes qui consiste à croire à Dieu: c’est l’acte propre de la foi; il en caractérise l’espèce. En effet, croire en Dieu manifeste l’ordre de la foi relativement à la foi, qui s’obtient par la charité, puisque croire en Dieu c’est croire qu’on s’unira à lui: la charité l’opère. Par conséquent, cet acte suit la foi en tant que vertu spéciale. Croire Dieu, manifeste l’objet matériel de la foi, ce qui la constitue comme vertu théologique, ayant Dieu pour objet. Et voilà pourquoi ce dernier acte n’atteint pas complètement la spécialité de la foi, parce que celui qui croit l’existence de Dieu pour quelques raisons humaines, ou sur des témoignages naturels, n’est pas regardé encore comme ayant la foi dont nous parlons, laquelle n’existe que lorsqu’il croit à Dieu. On possède cette foi alors seulement qu’on croit parce que Dieu l’a dit c’est ce que signifie croire à Dieu. Ainsi la foi se spécifie, comme toute habitude de l’intelligence, et tire sa spécification du motif qui fait donner notre assentiment à telle ou telle vérité. Car autre est le motif qui détermine l’assentiment de l’homme qui a l’habitude de la science, à savoir, la démonstration; autre celui qui détermine l’homme qui n’a que l’habitude de l’opinion, à savoir, le syllogisme de la dialectique.

II. En disant (verset 4): "Or la récompense qu’on donne à quelqu’un pour ses oeuvres," saint Paul expose le sens du passage qu’il a cité (verset 3): "Et sa foi lui a été imputée à justice." Dans la Glose, on indique un double sens à ce passage:

Dans le premier on l’entend de la récompense finale, et l’on montre comment elle se rapporte A) aux oeuvres, B) à la foi, à ces mots (verset 5): "Et au contraire, lorsqu’un homme sans les oeuvres."

A) saint Paul dit donc d’abord qu’à celui qui fait les oeuvres de justice la récompense de l’éternelle rétribution, dont il est dit (Is 40,10): "Il porte avec lui sa récompense," n'est pas donnée seulement comme un présent gratuit, mais comme un dû, selon cette parole de saint Matthieu (XX, 13): "N’étiez-vous pas convenu avec moi d’un denier?"

On objecte ces passages du ch. VI, 23: "La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle," et du ch. VIII, 18: "Les souffrances de la vie présente n’ont aucune proportion avec la gloire qui nous attend." Cette rétribution ne se fait donc pas à raison d’un droit, mais selon la grâce.

Il faut répondre que les oeuvres de l’homme peuvent être envisagées de deux manières: d’abord selon leur substance, et sous ce rapport elles n’ont aucun mérite de condignité pour que la récompense de la gloire éternelle leur soit attribuée; ensuite selon leur principe, à savoir, en tant qu’elles sont faites par l’impulsion de Dieu, selon le décret de prédestination arrêté par lui. Sous ce rapport la récompense dont il s’agit leur appartient comme un dû, ainsi qu’il est dit plus loin (VIII, 14): "Ceux qui sont mus par l’Esprit de Dieu sont les enfants de Dieu; et s’ils sont ses enfants, ils sont aussi héritiers."

B) En ajoutant (verset 5): "Et au contraire, etc.," l’Apôtre montre comment la récompense éternelle est en rapport avec la foi. Il dit donc: "Et au contraire, lorsqu’un homme, sans faire des oeuvres," à savoir les oeuvres extérieures, parce qu’il n’a pas le temps de les opérer, par exemple un enfant baptisé qui meurt aussitôt après le baptême," croit en Celui qui justifie le pécheur," c’est-à-dire en Dieu, dont il est dit (Rom., VIII, 20): "C’est Dieu qui justifie," sa foi néanmoins, je veux dire sa foi seule sans les oeuvres extérieures, lui sera imputée à justice; en d’autres termes, par sa foi il sera appelé juste, et il recevra la récompense de sa justice, comme s’il eût fait les oeuvres de la justice, selon ce qu’on lit (Rom., X, 10): "Il faut croire de coeur pour la justice," et cette imputation se fait selon le décret de la grâce de Dieu, c’est-à-dire en tant que Dieu se propose de sauver les hommes par sa grâce (Rom., VIII, 28): "A ceux qui ont été appelés selon son décret pour être saints," et encore (Eph., I, 41): "Qui opère toutes choses selon le décret de sa volonté."

Dans le second sens, on rapporte ce passage à la justification. L’Apôtre dit donc (verset 4): "La récompense qu’on donne à quelqu’un pour ses oeuvres," c’est-à-dire si quelqu’un était justifié par les oeuvres, la justice elle-même lui serait imputée comme récompense, non gratuitement mais en tant que due (Rom., X, 6): "Si c’est par grâce, ce n’est donc pas en vue des oeuvres; autrement la grâce ne serait plus grâce." Et au contraire, "lorsqu’un homme, sans faire les oeuvres," à savoir, pour être justifié par ces oeuvres, "croit en Celui qui justifie le pécheur," cette foi lui sera imputée à justice, "selon le décret de la grâce de Dieu," mais non pas pourtant de telle sorte que par la foi il mérite la justice, parce que croire est pour lui le premier acte de cette justice, que Dieu opère en lui. En effet, de ce qu’il croit en Dieu qui justifie, il devient sujet de la justification, et en reçoit ainsi l’effet. Cette interprétation est littérale, et donne la pensée de l’Apôtre, qui fait ressortir avec énergie ce passage (Genèse, XV, 6): "Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice," expression dont on se sert ordinairement quand un acte incomplet de l’agent lui est impute gratuitement pour le tout. Voilà pourquoi l’Apôtre dit que cette imputation n’aurait pas lieu si lu justice était par les oeuvres, et qu’elle n’est faite qu’en tant qu’elle procède de la foi.

III° Lorsque l’Apôtre dit (verset 6): "C’est ainsi que David appelle heureux," il prouve sa proposition conditionnelle par l’autorité du Psalmiste. Il expose d’abord le sens des paroles; il les cite ensuite (verset 7): "Heureux ceux dont les iniquités sont pardonnées;" et enfin il repousse le sens erroné qu’on en pourrait tirer, à ces autres (verset 9): "Cette béatitude n’est-elle que pour les circoncis?"

I. Il dit donc: "C’est ainsi que David appelle heureux;" en d’autres termes, il affirme que "la béatitude appartient à celui à qui Dieu l’accorde," c’est-à-dire "donne la justice.""Parce qu’il l’a agréé," c’est-à-dire gratuitement et sans oeuvres antécédentes (Tite, III, 5): "Car il nous a sauvés non par les oeuvres de la justice que nous avons faites." Or la béatitude de l’homme vient de Dieu, d’après le Psalmiste (XXX, 5): "Heureux celui qui a fait le Seigneur Dieu son espérance." Il est donc manifeste que celui qui peut se glorifier devant Dieu, c’est celui qui n'est pas justifié par les oeuvres de la Loi.

II. Quand l’Apôtre ajoute (verset 7: "Heureux celui dont les iniquités ont été pardonnées " (Psaume XXXI, 1), il cite les paroles de David, qui renferment la pensée qu’il a exprimée, et il dit que "ceux-là sont heureux dont les péchés sont remis;" d’où il est évident qu’ils n’avaient pas auparavant les bonnes oeuvres, pour acquérir par elles la justice ou la béatitude.

Or, il y a trois sortes de péchés: le péché originel, le péché actuel mortel et le péché actuel véniel.

Quant au péché originel, l’Apôtre dit (verset 7): "Heureux ceux dont les iniquités ont été pardonnées." il faut ici remarquer que le péché originel est appelé iniquité, parce qu’il est la privation de la justice originelle, par laquelle, selon les règles de l’équité, la raison de l’homme était soumise à Dieu, les puissances inférieures à la raison, et le corps à l’âme. Or, par le péché originel, cette équité a été brisée; car, du moment que la raison cesse d’être soumise à Dieu, les puissances inférieures se mettent en révolte contre la raison, et le corps, par la corruption et par la mort, se soustrait à l’obéissance qu’il doit rendre à l’âme. Voilà pourquoi (Psaume L, 6) il est dit: "J’ai été conçu dans l’iniquité." Cependant on trouve quelquefois le péché originel exprimé par le nombre pluriel, soit à cause de la pluralité des hommes, dans lesquels le péché se multiplie, ou, mieux encore, parce que tous les autres péchés, en un certain sens, y sont mutuellement contenus. Ce péché originel, ainsi entendu, est dit "remis," parce que la tache en disparaît par l’effet de la grâce; mais il demeure quant à sa puissance active, car son foyer ou la concupiscence demeure, et cette concupiscence n’est pas entièrement détruite pendant la vie, mais seulement relâchée ou adoucie.

Quant au péché actuel mortel, l’Apôtre dit: "Et dont les péchés ont été couverts " (Psaume XXXI, 1). On dit que les péchés sont couverts devant les regards de Dieu, lorsque Dieu ne les regarde pas pour les punir (Psaume LXXXIV, 3): "Vous avez couvert tous leurs péchés."

Quant au péché véniel, l’Apôtre ajoute avec le Psalmiste (Psaume XXX, 2): "Heureux l’homme à qui le Seigneur n’a imputé aucun péché;" en sorte que, par cette expression péché, on doive entendre les péchés véniels, qui, bien qu’ils soient légers, nous séparent et nous éloignent de Dieu sous beaucoup de rapports (II Chroniques III, 36): "Le Seigneur est bon; il fera miséricorde à tous ceux qui le recherchent, et il ne leur imputera pas d’être moins saints."

On peut encore établir sur ces passages une autre distinction. On trouve en effet, dans le péché, trois caractères:

A) D’abord, l’offense contre Dieu. Quant à cette offense, l’Apôtre dit: "Heureux ceux dont les iniquités ont été pardonnées," dans le sens où l’on dit que l’offensé remet l’offense qui lui a été faite (Is 40,2): "Son iniquité a été punie."

B) Ensuite, l’acte même désordonné de la faute, qui ne peut plus n’avoir pas existé du moment qu’il est commis, mais qui est couvert par la main de la miséricorde divine, en sorte qu’il est comme n’ayant jamais existé.

C) Enfin, la culpabilité même. C’est d’elle que l’Apôtre dit: "Heureux celui à qui le Seigneur n’a imputé aucun péché," à savoir: pour le punir.

III. Saint Paul ajoute (verset 9): "Cette béatitude n’est-elle que pour les circoncis?" Il prévient, par ces paroles, la fausse interprétation du passage cité; car un Juif aurait pu entendre que la grâce précitée de la rémission des péchés n’était pas donnée sans la circoncision.

L’Apôtre, donc, pour prévenir cette interprétation, pose

une question, en disant: "Cette béatitude," par laquelle Dieu donne la justice sans les oeuvres, "ne se trouve-t-elle que dans la Circoncision?" c’est-à-dire est-elle donnée seulement aux circoncis, ou bien aussi "aux incirconcis," c’est-à-dire aux Gentils? Il est manifeste qu’elle a lieu à l’égard des uns et des autres, selon ce qui est dit plus bas (X, 12): "Tous n’ont qu’un même Seigneur, riche pour tous ceux qui l’invoquent."

A ces mots (verset 9): "Nous venons de dire." Pour prouver ce qu’il avance, saint Paul se sert de l’autorité de l’Écriture, comme s’il disait: je fais cette question parce que nous avons avancé que "la foi d’Abraham lui fut imputée à justice" (Genèse, XV, 6).

Il déduit de ce passage la solution de la question proposée (verset 9), en se servant cependant de la forme interrogative (verset 10): "Comment donc cette foi a-t-elle été imputée à justice à Abraham? Dans la circoncision?" c’est-à-dire après qu’il eut été circoncis, "ou auparavant?" c’est-à-dire quand il ne l’était pas encore. Et il répond (verset 10): "Ce ne fut pas après qu’il fut circoncis, mais auparavant." Cela est, en effet, évident par la suite du récit de l’Écriture; car on lit (Genèse, XV, 6) que "la foi a été imputée à justice à Abraham," et (Genèse, XVII, 10): "qu’il reçut le précepte de la circoncision." Si donc Abraham, étant encore incirconcis, a été justifié par la foi, il est évident que la justice de la foi, par laquelle les péchés sont gratuitement remis, se trouve non seulement chez les circoncis, mais encore chez ceux qui ne le sont pas, c’est-à-dire dans la Gentilité.



Romains 4, 11-15: La circoncision, signe de la justification à venir

19
075 (
Rm 4,11-15)





SOMMAIRE. -L’Apôtre établit que la circoncision n’est que le signe et non la cause effective de la justification. Il fait comprendre la nature de ce signe, et comment non seulement la loi de nature, mais celle de Moïse même, ne peuvent que provoquer la colère.

11. Et il reçut la marque de la circoncision, comme sceau de la justice qui avait déjà acquise par la foi, étant encore incirconcis, et pour être le père de tous les croyants incirconcis afin que la foi leur fût aussi imputée à justice,

12. Et pour être père de la circoncision non seulement des circoncis, mais aussi de ceux qui suivent les traces de la foi qu'eut notre père Abraham encore incirconcis.

13. Car ce n'est pas en vertu de la Loi qu'a été faite à Abraham ou à sa race la promesse d'avoir le monde pour héritage, mais c'est en vertu de la justice de la foi.

14. Et si ceux qui ont reçu la Loi sont héritiers, la foi devient vaine et la promesse est sans effet,

15. Attendu que la Loi opère la colère; car où il n'a pas de Loi, il n'y a pas de prévarication.

Après avoir montré, par l’exemple d’Abraham qui fut justifié alors qu’il n’était pas encore circoncis, que la béatitude, qui consiste dans la rémission des péchés, est donnée non seulement à ceux qui sont circoncis, mais encore à ceux qui ne le sont pas, saint Paul répond à une objection. En effet, on pouvait dire: Si Abraham a été justifié avant d’être circoncis, c’est donc en vain et sans motif aucun qu’il a reçu la circoncision?

Pour répondre cette objection, l’Apôtre avance premièrement que la circoncision n’était pas la cause de la justice, mais qu’elle en était le sceau; secondement il montre quelles en étaient les conséquences, à ces mots (verset 11): "Pour être le père;" troisièmement il indique la manière dont cela s’est accompli (verset 12): "Et de ceux qui ont reçu la circoncision."

Il établit sa proposition sur deux raisons: I. Il avance que la circoncision est un signe (Gen., XVII, 10): "Vous circoncirez votre chair, afin qu’elle soit la marque de l’alliance que je fais avec vous." II. Il montre de quoi la circoncision est le signe, en disant (verset 14): "Qu’elle est le sceau de la justice de la foi," c’est-à-dire de la justice qui est par la foi, laquelle foi se trouve clans l’incirconcis, puisqu’elle était dans Abraham alors qu’il était encore incirconcis.

Un sceau peut être tel de deux manières:

lorsqu’il exprime et porte la similitude de ce qu’il désigne, selon ce passage (Ezéch., XXVIII, 42): "Toi, le sceau de la ressemblance." Or, la Circoncision a une similitude expresse avec la foi d’Abraham:

A) quant à l’objet de la foi; car Abraham crut à la multiplication de sa race, et voilà pourquoi il était convenable qu’il reçût ce signe dans l’organe de la génération.

B) Quant à l’effet de cette même foi, qui est de s’éloigner du péché, ce qui est marqué par le retranchement d’une membrane superflue.

on appelle encore sceau un signe qui cache une chose qu’on ne révèle qu’à des amis. Il en est ainsi d’un cachet; et c’est dans ce sens qu’il est dit clans l’Apocalypse (V, 9): "L’agneau qui a été immolé est digne de recevoir le livre et d’en lever les sceaux." Le secret de l’incarnation du Christ, de la race d’Abraham, était donc caché sous le sceau de la circoncision.

II° L’Apôtre énumère ensuite les conséquences de ce qui précède. Il suit, en effet, de ce qu’Abraham encore incirconcis a été justifié par la foi et a reçu ensuite la circoncision, qu’il est le père non seulement de tous ceux qui ont été circoncis, mais de tous ceux qui croiront sans être circoncis; et c’est ce qu’a dit l’Apôtre (verset 14): "Pour qu’il soit le père," c’est-à-dire il suit de ce qui précède qu’Abraham est le père de tous ceux qui croient sans la circoncision, en d’autres termes, qui sont dans l’état d’incirconcision. Ou qu’Abraham est le père, "quoique étant incirconcis," c’est-à-dire par les dispositions qu’il a eues étant incirconcis, "afin que cela leur soit aussi imputé à justice," à savoir, leur foi, ainsi que cela fut imputé à Abraham. C’est donc cette paternité dont il est dit en saint Matthieu (III, 9): "Je vous dis que Dieu peut susciter de ces pierres mêmes des enfants d’Abraham." -" Et qu’il soit aussi le père des circoncis, qui tirent de lui leur origine." De là ce mot (Jean, VIII, 19): "Notre père est Abraham."

III° L’Apôtre montre de quelle manière Abraham est le père même des incirconcis, à savoir, par imitation. Voilà pourquoi il dit (verset 12): "Pour qu’il soit, dis-je, le père non seulement de ceux qui ont reçu la circoncision," c’est-à-dire de tous ceux qui sont circoncis, mais encore "de ceux qui suivent les traces de la foi de notre père Abraham, lorsqu’il était encore incirconcis" (Jean, VIII, 30): "Si vous êtes enfants d’Abraham, faites les oeuvres d’Abraham."

Comme saint Paul fait ici mention de la circoncision, il faut considérer pourquoi elle a été instituée, quelle a été son efficacité, et pour quoi elle a été changée.

I. Sur la première de ces questions, on peut dire que la circoncision, comme les autres cérémonies de la Loi, a été établie pour deux raisons:

pour le culte divin, auquel les hommes étaient portés par ces sortes de cérémonies. A ce point de vue, cette cérémonie avait un triple motif.

A) Le premier était de marquer la foi et l’obéissance par lesquelles Abraham s’est soumis à Dieu, afin que ceux qui recevraient la circoncision de ce saint patriarche imitassent la foi qu’il leur aurait transmise et son obéissance; car il est dit dans l’épître aux hébreux (XI): "C’est par la foi qu’Abraham, etc." Voilà pourquoi la circoncision a été placée dans l’organe de la génération, pour marquer sa foi à la multiplication de sa postérité, ainsi que je l’ai déjà dit.

B) Le second motif était d’exprimer par un signe corporel ce qui devait se faire spirituellement, à savoir, qu’ainsi qu’on retranchait de l’organe de la génération, qui est principalement l’esclave de la concupiscence, une superfluité, de même on enlevât du coeur de l’homme toute convoitise inutile, selon ces paroles de Jérémie (IV, 4): "Recevez la circoncision du Seigneur, la circoncision du coeur."

C) Le troisième était afin que ce signe distinguât de tous les autres peuples le peuple qui servait le vrai Dieu. Voilà pourquoi, au livre de Josué (V, 3), le Seigneur ordonna de circoncire les enfants d’Israël qui devaient habiter parmi les nations étrangères; car ils n’avaient pas été circoncis, tant qu’ils avaient vécu séparés du monde dans le désert.

On trouve une autre raison de la circoncision et de toutes les cérémonies légales, en les rapprochant de Jésus-Christ, auquel la circoncision se rapporte, comme la figure à la vérité et les membres au corps, selon ce passage de l’épître aux Colossiens (II, 17): "Toutes ces choses n’ont été que l’ombre de celles qui devaient arriver, et Jésus-Christ en est le corps." La circoncision corporelle figure donc la circoncision spirituelle, qui devait avoir lieu par Jésus-Christ.

A) D’abord dans l’âme, en tant que par lui la coulpe du péché et les convoitises sont détruites (Col 2,14): "En lui," c’est-à-dire en Jésus-Christ, "vous avez été circoncis non d’une circoncision faite de la main de l’homme sur votre corps, mais de la circoncision de Jésus-Christ."

B) Ensuite dans le corps, c’est-à-dire quand, au jour de la résurrection, tout ce qui rend les corps passibles et mortels sera enlevé de ceux des élus. Aussi la circoncision se pratiquait le huitième jour, ce qui signifie le huitième âge de ceux qui ressuscitent; car le septième jour est le jour de ceux qui reposent en Jésus-Christ, et les six autres âges forment le cours des siècles. C’est pour cela qu’on opérait la circoncision "avec des couteaux de pierre" (Josué, V, 2, et Exode, IV, 25), afin de marquer que la circoncision se ferait avec la pierre, qui est le Christ, comme il est dit (I Cor., X, 4). Cependant on ne regardait pas généralement comme un point essentiel que la circoncision se fît avec la pierre.

II. Sur la seconde question, il faut remarquer que, comme le dit ici la Glose, après Bède, la circoncision, sous la Loi, donnait contre la blessure du péché originel le même remède salutaire et la même guérison que le baptême produit, depuis le temps où la grâce s’est révélée. Par où l’on voit que l’efficacité de la circoncision s’étendait à la destruction du péché originel. Cependant, au sentiment de quelques-uns, la circoncision ne conférait pas la grâce, car la grâce de Dieu ne peut être sans la justice. Voici, en effet, l’argumentation de l’Apôtre (Galat., II, 21): "Si la justice vient de la Loi, Jésus-Christ est donc mort en vain?" c’est-à-dire sans but. On peut donc raisonner de la même manière: si la circoncision produit la grâce sanctifiante, Jésus-Christ est mort en vain; mais il ne peut en être ainsi, car la rémission du péché n’a jamais lieu sans la grâce, comme il sera dit ci-après (ch. V, 1): "Justifiés donc par la foi de Jésus Christ." (Foi vivante par la charité[4]). Aussi d’autres auteurs prétendent que, dans la circoncision, la grâce était donnée quant à ses effet privatifs, c’est-à-dire quant à l’éloignement du péché, et non quant à ses effets positifs, comme l’opération de la justice. Mais il y a en cela contradiction, car les effets positifs d’une forme quelconque précisent, dans l’ordre naturel, ses effets privatifs; ainsi la lumière ne chasse les ténèbres que parce que d’abord elle éclaire. Or, en niant l’antécédent, on détruit le conséquent. On dit donc, avec plus de justesse, que la circoncision, par elle-même n’avait pas de vertu efficace, ni quant à l’éloignement du péché, ni quant à l’opération de la justice, mais qu’elle était le sceau de la justice, comme dit ici l’Apôtre, que c’était par la foi du Christ, dont cette circoncision était le signe, que le péché originel était remis et qu’on recevait le secours de la grâce pour opérer le bien.

III. Sur la troisième question, on peut déjà voir par ce qui précède pourquoi il a été nécessaire de changer la circoncision. Elle était, en effet, le signe de choses qui devaient s’accomplir. Or, le même signe ne peut convenir aux choses présentes et aux choses passées ou futures: aussi le baptême est le signe de la grâce présente, qui produit par lui des effet plus abondants et plus salutaires, parce qu’un agent opère d’autant plus efficacement qu’il est présent davantage et plus proche.

III° L’Apôtre, en disant (verset 13): "Car ce n'est pas par la Loi...," énonce sa proposition, à savoir, que la circoncision, ou toute autre oeuvre de la Loi, ne justifie pas à raison de la promesse divine. Il expose donc premièrement ce qu’il veut établir; secondement il le prouve (verset 14): "si ceux qui appartiennent à la Loi."

I. Saint Paul suppose donc la promesse faite à Abraham et à sa race d’avoir le monde pour héritage, c’est-à-dire que toutes les nations de la terre seraient bénies en lui, selon ce passage (Gen., X, 3): "En toi seront bénies, etc." Et il dit: "Et à sa race," parce que, bien que cette grande promesse n’ait pas été accomplie en la personne d’Abraham, elle devait l’être cependant dans sa postérité, puisqu’il est dit (Gen., XXII, 18): "Toutes les nations de la terre seront bénies dans Celui qui sortira de vous." Or, par ces expressions on entend principalement Jésus-Christ, d’après ce passage (Galat., III, 16): "Les promesses ont été faites à Abraham et à Celui qui devait naître de lui." L’Écriture ne dit pas: ceux qui naîtront de lui, comme si elle eût voulu marquer plusieurs; mais elle dit, comme parlant d’un seul, etc., à savoir, parce que, à l’égard d’un seul en qui la promesse est accomplie, il est démontré qu’il a le monde pour héritage, selon cette parole du Psalmiste (II, 8): "Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage." Secondairement, cette promesse est aussi accomplie dans ceux qui, par la grâce de Jésus-Christ, sont spirituellement les enfants d’Abraham, comme il sera dit (Rom., IX, 8): "Ceux-là sont les enfants de la promesse qui sont réputés de la race d’Abraham;" ils ont aussi le monde pour héritage, en tant que tout est pour la gloire des élus (I Cor., III, 22): "Tout est à vous, soit Paul, soit Apollon, etc." A l’égard de cette promesse, l’Apôtre nie un point et en affirme un autre. Il nie qu’elle ait été faite par la Loi, ce qui ne s’entend pas de la promesse même, puisqu’au temps où elle a été faite, la Loi n’était pas encore donnée, mais de l’accomplissement de la promesse; en sorte que le sens est que cette promesse a été faite à Abraham non comme devant être accomplie par la Loi, puisque, comme il est dit (Hébr., VII, 19): "La Loi n’a rien conduit à la perfection." Mais il affirme un autre point, à savoir, que cette même promesse devait être accomplie par la justice de la foi, parce que (Hébr., XI, 33): "C’est par la foi que les saints ont conquis les royaumes,"

II. En disant (verset 14): "Car si ceux qui appartiennent à la Loi," saint Paul développe sa proposition: en disant que la promesse ne devait pas être accomplie par la Loi; qu’elle devait l’être par la justice de la foi, à ces mots (verset 16): "Ainsi c’est par la foi."

Sur la première partie, il fait ce raisonnement: Si la promesse faite à Abraham devait être accomplie par la Loi, la foi de ce patriarche, "qui crut à la promesse, serait vaine," car la promesse qui lui a été faite se réduirait à rien: "cela est insoutenable;" donc la promesse n'a pas dû être accomplie par la Loi. Sur ce point, saint Paul pose d’abord une conditionnelle; puis il la prouve, à ces mots (verset 15): "Car la Loi produit la colère," et le rejet du conséquent est manifeste.

A) Il dit donc d’abord que la promesse n'a pas été faite par la Loi. Car, si ceux qui appartiennent à la Loi sont héritiers, c’est-à-dire si, pour participer à l’héritage promis, il est requis de l’obtenir par l’observance de la Loi, la foi est vaine; en d’autres termes, elle n'a pas d’effet cette foi par laquelle Abraham a cru à la promesse de Dieu, comme il est rapporté (Gen., XV, 6). "C’est inadmissible." C’est ainsi qu’il est dit (I Cor., XV, 44): "Si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, etc." L’Apôtre montre ensuite pourquoi elle est vaine, en ajoutant (verset 14): "Elle est abolie, cette promesse, puisqu’elle n’obtient pas son effet," quoiqu’il soit dit (Hébreux, XI, 11): "Elle crut (Sara) à la fidélité de Celui qui avait promis;" et dans le chapitre même que nous expliquons (verset 21): "Dieu est tout-puissant pour faire tout ce qu’il a promis."

B) Lorsque l’Apôtre dit (verset 15): "Car la Loi," il prouve, par l’effet ou le résultat de la Loi, la proposition conditionnelle qu’il avait avancée. Et d’abord il énonce cet effet ou résultat; puis il le prouve, à ces mots (verset 15): "Où n’est pas la Loi." a) saint Paul prouve ainsi sa proposition conditionnelle: Si une promesse doit être accomplie par ce qui s’oppose à l’accomplissement même de cette promesse, une telle promesse est anéantie, et la loi de celui qui croit est sans effet. Or la Loi empêche d’obtenir l’héritage, "Car la Loi produit la colère." Si donc la promesse doit être accomplie par la Loi, "La foi est devenue vaine et la promesse est abolie." L’Apôtre dit que la Loi produit la colère, c’est-à-dire la vengeance, parce que par la Loi les hommes sont devenus dignes de la vengeance de Dieu (IV Rois, XXII, 43): "La colère du Seigneur s’est embrasée contre nous, parce que nos pères n’ont pas écouté les paroles de ce livre," c’est-à-dire de la Loi. On aurait pu entendre que la Loi produit la colère quant aux"observances légales pratiquées dans le temps de la grâce, selon ce que dit saint Paul (Ga 5,2): "Si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien." Mais ce qui est dit ici doit être entendu même des préceptes moraux, non pas qu’ils ordonnent des choses qui rendent dignes de la colère de Dieu ceux qui les observent, mais occasionnellement, parce que, si la Loi commande, elle ne donne pas la grâce d’accomplir, comme l’enseigne saint Paul (II Cor., III, 6): "La lettre tue, mais l’esprit vivifie," parce qu’il aide intérieurement notre faiblesse, comme le même apôtre l’enseigne au ch. VIII de cette épître. b) Lorsqu’il dit (verset 15): "où n’est pas la Loi," il montre de quelle manière cette Loi produit la colère, en disant: "Là où n’est pas la Loi, il n’y a pas de prévarication," parce que, si l’on peut sans la Loi pécher en agissant contre ce qui est naturellement juste, on ne peut appeler quelqu’un prévaricateur qu’autant qu’il transgresse une loi (Psaume CXVIII, 158): "J’ai vu les prévaricateurs de votre Loi, et je séchais de douleur." Toutefois on peut appeler tout pécheur prévaricateur, en tant qu’il a transgressé la loi naturelle (Psaume CXVIII, 119): "J’ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre." Néanmoins c’est quelque chose de plus grave de transgresser en même temps et la loi naturelle et la loi écrite, que la loi naturelle seulement. Voilà pourquoi, la Loi étant donnée sans la grâce pour l’accomplir, la prévarication a grandi et mérite une plus grande vengeance.




Thomas A. sur Rm (1869) 17