Thomas A. sur Rm (1869) 20

Romains 4, 16 à 25: La foi d'Abraham

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075 (
Rm 4,16-25)





SOMMAIRE: Les promesses faites à Abraham doivent s’accomplir non par la Loi, mais par la foi. Grandeur de cette foi dans Abraham, digne surtout de louanges parce que, contre toute espérance, il a cru aux promesses que Dieu lui a faites à plusieurs reprises.

16. Ainsi c’est à la foi qu’est attachée la promesse, afin qu’elle soit gratuite et assurée à toute la postérité d’Abraham, non seulement à celle qui a reçu la Loi, mais encore à celle qui suit la foi de qui est le père de nous tous,

17. Selon qu’il est écrit: "Je t’ai établi père d’une multitude de nations" devant Dieu, de qui il a cru, qui vivifie les morts et appelle les choses qui ne sont pas, comme celles qui sont;

18. Qui, ayant espéré contre l’espérance même, a cru qu’il deviendrait le père d’un grand nombre de nations, selon ce qui lui fut dit: "Ainsi sera ta postérité."

19. Et sa foi ne faiblit pas, et il ne considéra ni son corps éteint, puisqu’il avait déjà environ cent ans, ni l’impuissance de Sara.

20. II n’hésita pas, en défiance de la promesse de Dieu; mais il se fortifia par la foi, rendant gloire de Dieu.

21. Pleinement assuré que tout ce qu’il a promis, il est puissant pour le faire.

22. Voilà pour sa foi lui fut imputée à justice.

23. Or ce n’est pas pour lui seul qu’il est écrit que sa foi lui fut imputée à justice,

24. Mais aussi pour nous, à qui elle sera imputée de même, si nous croyons en Celui qui a ressuscité d’entre les morts Jésus-Christ Notre Seigneur,

25. Qui a été livré pour nos péchés et qui est ressuscité pour notre justification.





I° Après avoir montré que la promesse faite à Abraham et à sa postérité ne doit pas s’accomplir par la Loi, l’Apôtre établit qu’elle doit être accomplie par la foi. Pour cela, I. il fait voir de quelle manière cette promesse doit être accomplie; II. en qui elle doit l’être, à ces mots (verset 16): "Pour tous les enfants;" III. Par qui, à ces autres (verset 17): "Qui rend la vie aux morts."

I. Il pose donc d’abord sa conclusion par une sorte de dilemme. On voit qu’il est nécessaire que la promesse soit accomplie par la foi ou par la Loi; elle ne l’est pas par la Loi, puisque alors elle serait anéantie; donc, conclut l’Apôtre (verset 16): "Voilà pourquoi elle l’est par la foi," c’est-à-dire voilà pourquoi nous obtenons ce qui a été promis, la possession du monde en héritage (I Jean, V, 4): "La victoire qui triomphe du monde, c’est notre foi." Saint Paul confirme sa déduction par la contradictoire de la raison qu’il avait alléguée. Il a été dit que si la justice venait de la Loi, la promesse serait anéantie; mais si elle procède de la foi, elle demeure stable par l’efficacité de la grâce divine qui justifie l’homme par la foi. Aussi dit-il (verset 16): "Afin que la promesse de Dieu demeure stable," non par les oeuvres de l’homme, qui peuvent faillir, mais (verset 16): "Selon la grâce qui est infaillible" (II Cor., X, 9): "Ma grâce te suffit; " et encore (I Cor., I, 20): "C’est en lui," à savoir, en Jésus-Christ, "que toutes les promesses subsistent," c’est-à-dire ont leur vérité.

II. En disant (verset 16): "Pour tous les enfants," l’Apôtre montre en qui a été accomplie la promesse

Il expose ce qu’il veut établir, et il dit que la promesse qui doit être ainsi accomplie par la foi demeure stable par la grâce: "Pour toute sa postérité," c’est-à-dire pour quiconque sera, de quelque manière que ce soit, de la race d’Abraham (Ecclésiastique XLIV, 41): "Les biens demeurent à leur race; leurs neveux sont un saint héritage."

A ces mots (verset 16): "Non seulement pour ceux qui ont reçu la Loi," il explique ce qu’il avait dit: "A toute sa postérité." En effet, il y a une postérité charnelle, selon ce passage (Jean, VIII, 39): "Abraham est notre père;" et une postérité spirituelle, selon cet autre (Matth., III, 9): "Dieu peut susciter de ces pierres mêmes," c’est-à-dire d’entre les nations, "des enfants d’Abraham." Mais la seule postérité d’Abraham selon la chair a observé la Loi, tandis que sa postérité selon l’esprit imite aussi sa foi. Si donc la promesse ne subsistait que par la Loi, elle ne serait pas accomplie à l’égard de toute la postérité d’Abraham, mais seulement dans sa postérité selon la chair. Or, du moment qu’elle est accomplie par la foi, qui est commune à tous, il est évident qu’elle est accomplie pour toute sa postérité.

A ces autres (verset 16): "Qui est le père de nous tous," saint Paul prouve, par l’autorité de l’Ecriture, ce qu’il avait avancé, à savoir, que la postérité d’Abraham n’est pas seulement celle qui est par la Loi, mais aussi celle qui est par la foi.

A) D’abord il expose le sens de l’Ecriture, en disant (verset 16): "D’Abraham, qui est le père de nous tous," c’est-à-dire de tous ceux qui croient, soit Juifs, soit Gentils; comme il a dit plus haut (verset 11): "Afin qu’il soit le père de tous ceux qui croient;" et (Is 51,2): "Jetez les yeux sur Abraham, le père de votre race."

B) Il cite le passage (verset 17): "Comme il est écrit" (Genèse, XVII, 5): "Parce que je t’ai placé pour être le père d’une multitude de nations." Un autre texte porte: "Je t’ai établi, ce qui ne fait pas varier le sens (Ecclésiastique XLIV, 20): "Le grand Abraham est le père de la multitude des nations.

C) A ces mots (verset 17): "Devant Dieu," il explique ce qui précède. Car il a été dit: "Je t’ai placé," comme si ce qui ne devait s’accomplir que dans la suite des temps, et longtemps après, le fût déjà. Mais ce qui en soi n’est que dans l’avenir est présent à l’égard de la providence de Dieu, selon ce passage (Ecclésiastique XXIII, 29): "Toutes choses étaient connues du Seigneur Dieu, avant qu’il les eut créées; de même il les voit toutes, depuis qu’il les a faites." Voilà pourquoi l’Apôtre ajoute: "Ce qui a été dit: Je t’ai établi," doit être entendu (verset 17): "Devant Dieu," c’est-à-dire en présence de Celui "à qui vous avez cru." Car Abraham avait cru à Dieu, qui lui révélait les choses à venir, comme s’il les eût vues présentes, parce que, comme il est dit (Hébreux, XI, 1): "La foi est la substance des choses à espérer, la preuve de celles que nous ne voyons pas."

III. En disant (verset 17): "Qui rend la vie aux morts," l’Apôtre montre par qui doit être accomplie la promesse. Il dit donc: "Qui," c’est-à-dire Dieu "rend la vie aux morts," à savoir, aux Juifs qui étaient morts dans leurs péchés en agissant contre la Loi. Dieu les vivifie par la foi et par la grâce, afin qu’ils obtiennent l’accomplissement de la promesse faite à Abraham (Jean, V, 21): "Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie;" et (verset 17): "Appelle ce qui n'est pas," c’est-à-dire appelle, à savoir, à la grâce les Gentils," comme ce qui est, c’est-à-dire comme les Juifs (Rom., IX, 25): "J’appellerai mon peuple ceux qui n’étaient pas mon peuple." Saint Paul désigne les Gentils par ceux qui n’étaient pas, parce qu’ils étaient entièrement séparés de Dieu, comme il est dit (I Cor., XIII, 2): "Si je n’ai pas la charité, je ne suis rien." C’est par cette vocation que la promesse faite à Abraham s’accomplira, même à l’égard des Gentils. Ou autrement, ce que dit l’Apôtre: "Il appelle ce qui n'est pas," s’entend non de ta vocation selon le temps, mais de la vocation selon la prédestination éternelle, par la quelle sont choisis et appelés, comme s’ils étaient, ceux qui ne sont pas encore (Ephés., I, 4): "il nous a élus en lui avant la création du monde." De cette vocation il est dit (Rom., IX, 12): "Non à cause des oeuvres, mais par la volonté de Celui qui appelle, il fut dit: L’aîné sera assujetti au plus jeune." ou bien encore, il appelle ici vocation la simple notion ou connaissance de Dieu, par laquelle il voit les choses futures, celles qui n’existent pas actuellement, comme si elles étaient présentes. C’est en ce sens que la vocation est prise au Ps. (CXLVI, 4), où il est dit: "C’est lui qui sait le nombre des étoiles." D’après ce sens, ce qui est dit ici est cité à cause de ce qui a été dit plus haut (verset 17): "Devant Dieu, auquel il a cru."

Deux obstacles, en effet, semblaient s’opposer à. ce qui a été dit: "Je t’ai établi pour être le père d’une multitude de nations." Le premier était que ce même Abraham était comme mort à cause de sa vieillesse, ainsi qu’on le dira plus loin. L’Apôtre répond à cela par ce mot: "Qui rend la vie aux morts." Le second obstacle était que cette multitude de nations n’existait pas encore; c’est pourquoi saint Paul ajoute: "Et il appelle ce qui n'est pas comme ce qui est."



II° Lorsque saint Paul dit (verset 18): "Ayant espéré contre toute espérance," il exalte la foi d’Abraham -I. Il en fait voir la grandeur; II. L’efficacité ou l’effet, à ces mots (verset 22): "C’est pour cette raison que sa foi lui fut imputée."

I. Sur le premier point, il montre la grandeur de la foi d’Abraham: quant à la promesse de la multiplication de sa postérité; quant à celle de l’exaltation de cette même postérité, à ces mots (verset 20): "Cette promesse de Dieu."

Sur la promesse de la multiplication de sa postérité, l’Apôtre montre A) que la foi d’Abraham a été grande, B) qu’elle a été ferme, à ces mots (verset 19): "Sa foi ne s’affaiblit pas."

A) Il propose donc d’abord la grandeur de la foi d’Abraham, en disant: a) "Cet Abraham éleva sa foi jusqu’à l’espérance de devenir le père d’une multitude de nations, et cela contre toute espérance." Sur ceci il faut considérer que l’espérance suppose une attente certaine d’un bien futur, certitude qui résulte quelquefois d’une cause humaine ou naturelle, suivant ce passage (I Corinthiens, IX, 10): "Celui qui laboure doit le faire dans l’espérance de recueillir." D’autres fois cette certitude de celui qui attend repose sur un motif divin, ainsi qu’il est dit (Psaume XXX, 1): "Seigneur, j’ai espéré en vous, etc." Ce bien donc, par lequel Abraham devait devenir le père d’une multitude de nations, avait sa certitude du côté de Dieu qui promettait; mais du côté de la cause humaine ou naturelle on voyait le contraire. C’est pourquoi saint Paul dit: "Abraham, contre toute espérance" du côté de la cause naturelle ou humaine, crut, "par l’espérance," dans la divine promesse. b) Il rapporte cette promesse en disant (verset 18): "Selon qu’il lui avait été prédit " (Genèse, XXII, 17): "Je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel et comme le sable des mers," comparaisons employées en raison de la similitude avec une innombrable multitude. En effet, des étoiles il est dit (Deut., I, 10): "Le Seigneur votre Dieu vous a multipliés, et vous êtes aussi nombreux que les étoiles du ciel." Du sable il est dit (I Rois, IV, 20): "Le peuple de Juda et d’Israël est innombrable comme le sable de la mer." Toutefois, entre ces deux termes, on peut remarquer quelque différence, si l’on compare aux étoiles les justes de la postérité d’Abraham (Daniel, XII, 3): "Ceux qui enseignent la justice à plusieurs brilleront comme des étoiles dans toute l’éternité;" et les pécheurs, au sable. Les pécheurs sont, en effet, roulés par les flots du monde, comme par les vagues de la mer (Jérémie, V, 22): "J’ai donné le sable pour borne à la mer."

B) En disant (verset 19): "Sa foi ne s’affaiblit pas," l’Apôtre montre la fermeté d’Abraham. a) Il l’indique d’abord, à ces mots: "Sa foi ne s’affaiblit pas." Car ainsi qu’on manifeste qu’on a une tempérance fortement établie, lorsqu’elle n’est pas vaincue par les désirs violents de la concupiscence, de même on prouve la fermeté de sa foi, quand elle n’est pas abattue par de grandes difficultés (I Pierre, V, 9): "Résistez-lui, demeurant fermes dans la foi, b) A ces mots (verset 19): "Il ne considéra pas," saint Paul expose les difficultés qui prouvèrent la fermeté de la foi d’Abraham. Premièrement, du côté d’Abraham lui-même: "Il ne considéra pas," à savoir, pour apprécier la divine promesse, "son corps déjà comme mort," c’est-à-dire que la force génératrice était déjà éteinte en lui à cause de sa vieillesse. C’est pourquoi l’Apôtre dit (verset 19): "Car il était déjà âgé de près de cent ans."

Abraham, en effet, était déjà centenaire quand naquit Isaac (Genèse, XXI, 5). Néanmoins un fils lui avait été promis une année auparavant, selon ce passage (Genèse, XVIII, 10): "Je reviendrai vers vous en ce même temps, et Sara aura un fils."

Cependant on voit que son corps n’était pas mort quant à la force génératrice, puisque, même après la mort de Sara, il prit pour épouse Céthura, qui lui donna des enfants (Genèse, XXV, 2).

Quelques commentateurs répondent que la force génératrice était éteinte en lui pour engendrer d’une femme âgée, et non d’une plus jeune. Souvent, en effet, on voit les vieillards avoir des enfants de femmes jeunes, mais non de femmes âgées, qui sont moins propres à concevoir. Il vaut mieux répondre qu’Abraham avait recouvré miraculeusement la force génératrice à l’égard de Sara et à l’égard d’autres femmes.

Secondement, l’Apôtre expose la difficulté du côté de l’épouse d’Abraham (verset 19): "Et que la vertu de concevoir était éteinte en Sara," il ne s’y arrêta pas pour ne pas croire. Saint Paul dit que cette vertu était éteinte dans Sara, tant à cause de sa stérilité qu’à cause de sa vieillesse; car, ainsi qu’il est dit dans la Genèse (XVII, 11): "Sara avait passé le temps de la maternité." Voilà pourquoi au prophète Isaïe (LI, 2) il est dit: "Jetez les yeux sur Abraham, votre père, et sur Sara qui vous a enfantés." Afin de montrer en eux la mort des sens, le prophète rappelle tout d’abord la glace de leur âge, en disant (ibid., 1): "Souvenez-vous de la pierre dont vous avez été taillés, et de la fosse profonde dont vous avez été tirés."

En ajoutant (verset 20): "A l’égard de la promesse de Dieu," saint Paul exalte la foi d’Abraham, quant à la promesse réitérée de l’exaltation de sa postérité. D’abord il montre la fermeté de sa foi, ensuite la cause de cette fermeté, à ces mots (verset 20): "Rendant gloire à Dieu.

A) Il dit donc d’abord: "A l’égard de la promesse de Dieu," c’est-à-dire de cette promesse réitérée, en d’autres termes, de la multiplication de sa postérité que Dieu lui avait promise, en premier lieu, par ces paroles (Genèse, XV, 5): "Regarde le ciel, et compte les étoiles si tu peux;" en second lieu (XVII, 4): "Tu seras le père d’une multitude de nations;" et enfin (XXII, 17): "Je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel." ou, comme on peut l’entendre encore, de l’exaltation de cette postérité; car, après avoir dit: "Je multiplierai ta postérité," Je Seigneur ajoute aussitôt (verset 6): "Ta postérité possédera les portes de tes ennemis, et toutes les nations de la terre seront bénies en Celui qui sortira de toi." Sur cette promesse de Dieu, dis-je (verset 20): "Il n’hésita pas," c’est-à-dire il n’eut pas de défiance, à savoir, il ne se défia pas de la promesse divine (Jacques I, 6): "Celui qui doute est semblable au flot de la mer." Mais (verset 20): "Il se fortifia par la foi," c’est-à-dire il adhéra à la promesse avec force (I Pierre, V, 9): "Résistez-lui, demeurant fermes dans la foi."

B) Quand l’Apôtre dit: Rendant gloire à Dieu," il donne la raison de la fermeté de la foi d’Abraham. "Il se fortifia," ai-je dit, "dans la foi, rendant gloire à Dieu," à savoir, en considérant sa toute-puissance (Psaume CXLVI, 5): "Sa force est infinie." Aussi saint Paul ajoute-t-il (verset 2): "Pleinement persuadé que Dieu est tout-puissant pour faire tout ce qu’il a promis." En effet (Sagesse, XII, 18): "Pouvoir, pour vous, c’est vouloir." Il est donc évident par là que celui qui n’est pas ferme dans la foi fait insulte à la gloire divine, soit quant à sa vérité, soit quant à sa puissance.

II. Quand l’Apôtre dit (verset 29): "C’est pour cette raison que sa foi lui a été imputée à justice," il relève la foi d’Abraham, quant à son effet.

Il montre cet effet dans Abraham lui-même, en disant: "C’est pour cela," c’est-à-dire parce que ce patriarche a cru avec des dispositions si parfaites, "que sa foi lui a été imputée à justice" (I Mach., II, 52): "Abraham a été trouvé fidèle, et cela lui a été imputé en justice."

Il montre ce même effet dans les autres. Dans ce but,

A) il exprime la similitude d’effet, en disant (verset 23): "Ce n'est pas pour lui seul qu’il est écrit que sa foi lui a été imputée à justice," c’est-à-dire ne pensez pas que la foi a été imputée à justice au seul Abraham; mais cela a été écrit "aussi pour nous, à qui la foi sera imputée également" (Rom., XV, 4): "Tout ce qui est écrit l’a été pour notre instruction." Cela a donc été écrit pour lui, afin qu’il nous soit un exemple, mais aussi pour nous, afin que nous en tirions l’espérance de notre justification.

B) A ces mots (verset 24): "Si nous croyons en celui, etc.," saint Paul montre la similitude de la foi. En effet, la foi a été imputée à justice à Abraham, parce qu’il a cru que son corps déjà mort et la vertu de concevoir éteinte dans Sara, son épouse, pouvaient être vivifiés pour donner naissance à des enfants. Or cette foi nous sera aussi imputée, "si nous croyons en Celui qui a ressuscité Notre Seigneur Jésus-Christ," et en Dieu le Père, auquel le Messie dit lui-même (Psaume XL, 14): "Vous, Seigneur, ayez pitié de moi et réssuscitez-moi." Mais, comme la puissance du Père et celle du Fils sont la même puissance, le Fils s’est lui-même ressuscité par sa propre vertu. Or, que cette foi justifie (la foi vivante par la charité[5]), nous le voyons ci-après (Rom., X, 9): "Si vous confessez de bouche que Jésus-Christ est le Seigneur, et si vous croyez de coeur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, vous serez sauvé."

C) A ces autres (verset 25): "Qui a été livré à la mort," l’Apôtre assigne la cause pour laquelle la foi à la résurrection de Jésus-Christ justifie, en disant: "Celui qui," à savoir, Jésus-Christ, "a été livré à la mort" par Dieu le Père (Rom., VIII, 32): "II n’a pas épargné son propre fils, et il l’a livré à la mort pour nous tous;" et de lui-même (Ephés., V, 2): "Il s’est livré lui-même pour nous;" et par Judas (Jean, XIX, 14): "Celui qui m’a livré entre vos mains est coupable d’un plus grand péché;" et par les Juifs (Matth., XX, 49): "Ils le livreront aux Gentils pour être leur jouet." (verset 25): "Qui est ressuscité pour notre justification," c’est-à-dire qu’en ressuscitant il nous a justifiés (Rom., VI, 4): "Comme Jésus-Christ ressuscité d’entre les morts par la gloire de son Père, nous marchions aussi dans une vie nouvelle." - "Qu’il ait été livré pour nos péchés" à la mort, cela paraît évident, de ce que par sa mort il nous a mérité la destruction du péché; mais en ressuscitant il n'a pas mérité, parce que dans l’état de la résurrection il n’était plus dans la voie, mais au terme. Voilà pourquoi il faut dire que la mort de Jésus-Christ nous a été profitable non seulement comme cause méritoire, mais comme cause efficiente; car, l’humanité du Christ étant en quelque sorte l’instrument de sa divinité, comme l’a dit saint Jean Damascène, toutes les souffrances et toutes les actions de cette humanité en Jésus-Christ ont été pour nous une cause de salut, en tant qu’elles procédaient de la vertu de la divinité. Mais, comme l’effet a toujours de quelque manière un caractère de similitude avec la cause, l’Apôtre dit que la mort du Christ, par laquelle a été éteinte en lui sa vie mortelle, est la cause de la destruction de nos péchés, et que sa résurrection, par laquelle il est revenu à une vie nouvelle, est la cause de notre justification par laquelle nous aussi nous revenons au renouvellement de la justice.



CHAPITRE V: LA LOI NOUVELLE VAINC LE PÉCHÉ





Romains V, 1 à 5: La foi, la charité

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075 (
Rm 5,1-5)


SOMMAIRE: L’Apôtre loue la puissance de la grâce et celle de la foi. -Grandeur des biens qui nous sont venus par la foi. -Comment l’épreuve produit la patience, et comment la charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs.

1. Etant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur,
2. Par qui au nous avons accès par la foi à cette grâce en laquelle nous sommes établis, et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des enfants de Dieu.
3. Mais, de plus, nous nous glorifions encore dans les tribulations, sachant que la tribulation produit la patience;
4. La patience, l’épreuve; et l’épreuve, l’espérance.
5. Or, l’espérance ne confond pas, parce que la charité de Dieu est répandue dans nos coeurs par l’Esprit Saint, qui nous a été donné.

Après avoir montré la nécessité de la grâce de Jésus-Christ, parce que sans elle ni la connaissance de la vérité pour les Gentils, ni la Circoncision et la Loi pour les Juifs, n’ont été d’aucune utilité pour le salut, S. Paul commence, à partir de ce chapitre, à exalter l’efficacité de la grâce. Dans ce dessein il montre: quels biens nous obtenons par elle; de quels maux elle nous délivre, à ces mots (verset 12): "C’est pourquoi, ainsi que par un seul homme, etc." Sur l’efficacité de la grâce: il indique le moyen d’arriver, en d’autres termes la voie par laquelle nous parvenons à la grâce; II° il fuit voir les biens qu’elle nous procure, à ces mots (verset 2): "Et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des enfants de Dieu."



I° Sur le mode de parvenir à la gloire: I. il nous exhorte à en profiter comme il convient; II. Il nous en montre l’accès, à ces mots (verset 2): "Jésus-Christ qui par la foi nous a donné accès, etc."

I. L’Apôtre dit: J’ai avancé que la foi sera imputée à justice à ceux qui croiront la résurrection de Jésus-Christ, laquelle est la cause de notre justification. Donc (verset 1): "Justifiés par la foi," à savoir, en tant que par la foi de la résurrection nous participons à son effet, "Ayons la paix avec Dieu," en nous soumettant à lui et en lui obéissant (Job, XXII, 21): "Soumettez-vous donc à Dieu, et vous aurez la paix;" (Job, IX, 4): "Qui lui a résisté et a trouvé la paix?" Et cela "Par Jésus-Christ Notre Seigneur," qui nous a conduits à cette paix (Eph., II, 44): "C’est lui qui est notre paix."

II. C’est pourquoi S. Paul ajoute (verset 2): "Jésus-Christ qui nous a donné accès," à savoir, comme notre médiateur (I Tim., II, 5): "Il n’y a qu’un médiateur entre Dieu et les hommes, etc.;" (Eph., II, 18): "Par lui nous avons accès les uns et les autres auprès du Père, dans un seul esprit." Accès, dis-je, pour cette grâce, c’est-à-dire pour cet état de grâce (Jean, I, 17): "La grâce et la vérité sont venues de Jésus-Christ." - "En laquelle," c’est-à-dire par laquelle grâce, non seulement nous sommes ressuscités de nos péchés, mais encore nous demeurons "fermes" et attirés par affection pour les biens célestes (Ps., CXXI, 3): "Nos pieds se sont arrêtés dans tes parvis, ô Jérusalem;" et encore (Ps., XIX, 9): "Pour nous, nous nous sommes relevés et nous avons été affermis," et cela par la foi, au moyen de laquelle nous obtenons la grâce; non pas toutefois que la foi précède la grâce, puisqu’au contraire la grâce produit la foi (Eph., I, 8): "C’est la grâce qui nous a sauvés par la foi," à savoir, parce que le premier fruit de la grâce en nous, c’est la foi.

II° Quand l’Apôtre dit (verset 3): "Nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire," il indique les biens qui nous arrivent par la grâce. Il dit donc que par la grâce nous avons d’abord la gloire de l’espérance, puis la gloire de Dieu, à ces mots (verset 41): "Et non pas seulement dans cette espérance." Sur le premier de ces biens, il montre: I. la grandeur de l’espérance, dans laquelle nous nous glorifions; II. Sa force, à ces mots (verset 3): "Et non seulement;" III. Sa solidité, à ces autres (verset 5): "Et cette espérance n’est pas vaine."

I. La grandeur de l’espérance se mesure sur la grandeur de ce qu’on espère. S. Paul l’indique, en disant (verset 2): "Et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des enfants de Dieu," c’est-à-dire de ce que nous espérons obtenir la gloire des enfants de Dieu; car par la grâce de Jésus-Christ nous avons eu l’esprit d’adoption des enfants de Dieu, comme il sera dit (Rom., VIII, 17, et Sag., V, 5): "Les voilà comptés parmi les enfants de Dieu." Or l’héritage du père est le droit des enfants (Rom., VIII, 17): "Nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers." Cet héritage, c’est la gloire que Dieu possède en lui-même (Job, XL, 4): "Votre bras est-il comme celui de Dieu, etc.?" Telle est l’espérance qui nous est donnée par Jésus-Christ (I S. Pierre, I, 3): "Il nous a régénérés par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts, dans la vive espérance de cet héritage incorruptible, etc. Cette gloire, qui sera complétée un jour en nous, y est, en attendant, commencée maintenant par l’espérance (Rom., VIII, 24): "Nous ne sommes encore sauvés qu’en espérance;" (Ps., V, 12): "Tous ceux qui aiment votre nom se glorifieront en vous."

II. Lorsque l’Apôtre dit (verset 3): "Et non seulement, etc.," il montre la force de cette espérance. Car celui qui désire vivement une chose supporte volontiers pour l’obtenir des épreuves difficiles et pleines d’amertume: c’est ainsi qu’un malade, s’il désire vivement la santé, boit avec courage une potion amère, afin d’arriver par elle à la guérison. Le signe, donc, de la vive espérance que nous avons à cause de Jésus-Christ, est que non seulement "nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire future, mais encore des afflictions que nous souffrons pour elle. Ce qui fait dire à S. Paul (verset 3): "Et non seulement nous nous glorifions," à savoir, dans l’espérance de la gloire, mais nous nous glorifions même dans les tribulations par lesquelles nous parvenons à cette gloire (Actes X, 21): "C’est par beaucoup de tribulations qu’il nous faut entrer dans le royaume de Dieu;" (Jacq., I, 2): "Mes frères, considérez comme une extrême joie les diverses afflictions qui vous arrivent." S. Paul en donne aussitôt le motif, en disant (verset 3): "Sachant que l’affliction produit la patience." Il indique alors successivement ces afflictions:

la tribulation: "La tribulation produit la patience;" non que la tribulation en soit la cause effective, mais parce que la tribulation est la matière et l’occasion de pratiquer l’acte de patience (Rom., XII, 12): "Soyez patients dans les maux."

L’effet de la patience (verset 4):   "La patience, l’épreuve" (Ecclésiastique II, 5): "L’or et l’argent s’épurent par la flamme, mais les hommes que Dieu accepte passent par le feu de l’humiliation." Chacun sait, en effet, que nous supportons facilement la perte d’une chose pour une autre que nous aimons davantage. Si donc quelqu’un, dans les choses corporelles et temporelles, souffre patiemment pour acquérir les biens éternels, il est suffisamment prouvé par là qu’il préfère les biens de l’éternité à ceux du temps.

On objecte contre cette doctrine ce passage de l’apôtre S. Jacques (verset 3): "L’épreuve de votre foi produit la patience." Il faut dire que le mot épreuve peut être entendu de deux manières: d’abord, en tant qu’elle est dans celui qui est éprouvé. Dans ce sens, l’épreuve est la tribulation même, par laquelle l’homme est éprouvé. Ainsi c’est une seule et même chose de dire que la tribulation produit la patience, et que la tribulation éprouve la patience. On peut encore l’entendre d’une autre manière: épreuve s’emploie pour ce qui est éprouvé. C’est dans ce sens qu’il faut ici prendre ce mot, que la patience produit l’épreuve; parce que celui qui supporte patiemment l’affliction se montre déjà par là même éprouvé.

L’Apôtre dit en troisième lieu (verset 4): "Et l’épreuve, l’espérance," sous-entendu: produit. En effet, de ce qu’un homme est déjà passé par l’épreuve, il peut concevoir de lui-même, et les autres de lui, l’espérance qu’il sera admis à l’héritage de Dieu (Sagesse, III, 5): "Dieu les a éprouvés, et les a trouvés dignes de lui." Ainsi, du premier au dernier degré, il est évident que l’affliction prépare les voies à l’espérance. Si donc l’on se glorifie grandement de l’espérance, il s’ensuit qu’on doit aussi se glorifier des afflictions.

III. S. Paul ajoute (verset 5): "Or cette espérance n’est pas vaine, montrant par là la solidité de cette espérance.

Il l’exprime en disant: "Or cette espérance," c’est-à-dire l’espérance par laquelle nous attendons la gloire des enfants de Dieu, n’est pas vaine, en d’autres termes "ne confond pas," à moins que l’homme ne lui manque lui-même. Car on dit que celui-là n’a qu’une vaine espérance, qui ne peut atteindre ce qu’il espère (Ps 30,1): "Seigneur, j’ai mis en vous mon espérance, que je ne sois pas con fondu à jamais;" et (Si 2,2): "Quiconque a espéré dans le Seigneur n’a jamais été confondu." A ces mots (verset 5): "Parce que l’amour de Dieu," l’Apôtre donne une double preuve de la certitude de l’espérance: la première, tirée du don de l’Esprit Saint; la seconde, de la mort de Jésus-Christ, à ces mots (verset 6): "Pourquoi, en effet, Jésus-Christ est-il mort? Il dit donc d’abord: Nous pouvons savoir que cette espérance n’est pas vaine, en ce que (verset 5): "L’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint, qui nous a été donné." Or l’amour de Dieu peut être pris de deux manières: d’abord, pour l’amour que Dieu nous porte (Jr 31,3): "Je t’ai aimé d’un amour éternel." Ensuite, pour l’amour que nous portons à Dieu (Rm 8,39): "Je suis assuré que ni la mort ni la vie.., ne pourront jamais nous séparer de l’amour de Dieu." Or l’un et l’autre de ces amours sont répandus dans nos âmes par le Saint Esprit, qui nous a été donné. Car nous donner le Saint Esprit, qui est l’amour du Père et du Fils, c’est nous faire entrer en participation de l’amour, qui est l’Esprit Saint: c’est cette participation qui nous fait aimer Dieu. Et même de ce que nous l’aimons, c’est un signe qu’il nous aime de son côté (Pr 8,11): "J’aime ceux qui m’aiment. Non pas toutefois que nous l’ayons aimé d’abord, mais parce que lui-même nous a aimés le premier," ainsi qu’il est dit en S. Jean (1Jn 4,10). Or il est dit que l’amour que Dieu nous porte est répandu dans nos coeurs, parce qu’il s’y montre ostensiblement par le don de l’Esprit Saint imprimé dans nos âmes (Jn 3,14): "C’est par l’Esprit qu’il nous a donné que nous connaissons qu’il demeure en nous." S. Paul dit que l’amour que nous portons à Dieu est répandu dans nos coeurs, c’est-à-dire qu’il s’étend à toutes les habitudes et à tous les actes de l’âme pour les perfectionner: car, est-il dit (1Co 13,4): "La charité est patiente, elle est bienveillante."

Ainsi, de l’un et de l’autre sens donné à ces paroles on conclut que notre espérance n’est pas vaine. En effet, si l’on entend par amour de Dieu celui que Dieu nous porte, il est manifeste qu’il ne se refusera pas à ceux qu’il aime (Dt 33,3): "Il a aimé les tribus de son peuple; tous les saints sont dans sa main." De même, si l’on entend par amour de Dieu celui que nous lui portons, il est évident que Dieu a préparé des biens éternels pour ceux qui l’aiment (Jn 14,21): "Celui qui m’aime sera aimé de mon Père, etc."




Thomas A. sur Rm (1869) 20