Thomas A. sur Rm (1869) 30

Romains 6, 19 à 23: (suite)

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Rm 6,19-23)

SOMMAIRE: Après avoir montré le châtiment du péché et découvert sa turpitude, qui force l’homme à rougir, il engage à faire comme une consécration de sa vie.

19. Je parle humainement, à cause de la faiblesse de votre chair: comme donc vous avez fait servir vos membres à l’impureté et à l'iniquité pour l’iniquité, ainsi maintenant faites servir vos membres à la justice pour votre sanctification.
20. Car, lorsque vous étiez esclaves du péché, vous étiez libres à l’égard de la justice.
21. Quel fruit tiriez-vous donc alors des choses dont vous rougissez maintenant? Car leur fin, c’est la mort.
22. Mais maintenant, affranchis du péché et devenus esclaves de Dieu, vous en avez pour fruit la sanctification, et pour fin la vie éternelle.
23. Car la solde du péché est la mort, mais la grâce de Dieu est la vie éternelle dans le Christ Jésus Notre Seigneur.

Après avoir prouvé, par une raison déduite du bienfait de Dieu, que nous ne devons pas demeurer dans le péché, mais qu’il faut servir Dieu, l’Apôtre établit le même devoir sur une autre raison tirée de l’habitude de notre vie passée. Il fait remarquer la nature de l’enseignement dont il va se servir; II° il l’exprime, à ces mots (verset 19): "Comme donc vous avez fait servir;" III° il en donne la raison, à ces autres (verset 20): "Lorsque vous étiez esclaves."

I° Il dit donc: "Je vous ai avertis de vous offrir à Dieu;" "Je vous dis" de plus "quelque chose d’humain," c’est-à-dire en rapport avec la nature humaine. Quelquefois, en effet, le mot homme est employé dans l'Ecriture pour exprimer la condition de la faiblesse humaine (Sg 9,5): "Je suis un homme infirme et de peu de jours, trop faible pour comprendre vos jugements et vos lois;" (1Co 3,3): "Puisqu’il y a parmi vous des jalousies et des contentions, n’est-il pas visible que vous êtes charnels et que vous vous conduisez selon l’homme?" Et l’Apôtre donne aussitôt la raison qui le fait parler de cette sorte (Rm 6,19): "A cause de la faiblesse." Car c’est aux parfaits qu’on enseigne les préceptes plus parfaits (1Co 2,6): "Nous prêchons la sagesse aux parfaits;" (Hébr., 14): "La nourriture solide est pour les parfaits." Il faut donner aux infirmes des préceptes plus faciles (I Cor., III, 2): "Comme à des enfants en Jésus-Christ, je ne vous ai nourris que de lait, et non pas de viandes solides;" (Hébr., 12): "Vous êtes devenus tels qu’il ne vous faut donner que du lait." Or cette infirmité vient non de l’esprit, mais de la chair, parce que " le corps qui se corrompt appesantit l’âme," comme il est dit au livre de la Sagesse (IX, 15). Voilà pourquoi l’Apôtre ajoute (Rm 6,19): "De votre chair " (Matth., XXVI, 41): "L’esprit est prompt, mais la chair est faible."

II° Lorsque S. Paul dit (Rm 6,19): "Comme donc vous avez fait servir," il donne cet enseignement en rapport avec la nature humaine: nous devons employer le corps à servir à la justice, comme nous l’avons donné pour servir au péché. Voilà pourquoi il dit (verset 19): "Comme donc vous avez fait servir vos membres," à savoir, par l’accomplissement des oeuvres mauvaises, "à l’impureté et à l’injustice" conçue dans le coeur; en sorte que l’impureté se rapporte aux péchés de la chair (Ephés., V, 3): "Qu’on n’entende parler parmi vous ni de fornication ni de quelque impureté que ce soit;" et l’iniquité aux péchés spirituels, surtout à ceux d’entre eux qui blessent le prochain (Ps., XXXV, 5): "Il a sur sa couche médité l’iniquité." Or, ces péchés une fois conçus dans le coeur, les membres servent pour l’iniquité, à savoir, en la produisant par les oeuvres. S. Paul désigne ici l’iniquité par l’impureté et l’injustice, en ce sens que tout péché est une iniquité (verset 13), en tant qu’il est en opposition avec l’équité de la loi divine. Ainsi, "maintenant" que vous êtes affranchis du péché, "faites servir vos membres" à l’exécution des bonnes oeuvres, "à la justice" qui nous est proposée dans la loi divine, "et cela pour votre satisfaction," c’est-à-dire pour acquérir et pour augmenter notre sainteté (Apoc., XXII, 11): "Que celui qui est saint se sanctifie encore." Or l’Apôtre dit que parler ainsi, c’est le faire "à la façon des hommes," parce que, suivant la droite raison, on exigerait que l’homme fit beaucoup plus pour la justice qu’il n’a fait auparavant pour le péché (Bar., IV, 28): "Comme votre esprit vous a fait errer loin de Dieu; en revenant à lui, vous le rechercherez avec dix fois plus d’ardeur."



III° En disant (verset 20): "Car lorsque vous étiez esclaves du péché," l’Apôtre assigne la raison de l’enseignement q vient de donner. A cet effet, I. il donne la raison de ce qu’il vient de dire; II. Il prouve ce qu’il avait supposé, à ces mots (verset 23): "La mort est la solde du péché."

I. Or, la raison de ce qu’il vient de dire, il la montre dans la prééminence qu’il fait ressortir de l’état de grâce sur l’état du péché. Si, en effet, il nous est venu plus de biens de la justice que du péché, nous devons nous appliquer à servir à la justice plus que nous ne l’aurions fait pour servir au péché. S. Paul montre donc: la condition de l’état de péché; la condition de l’état de justice, quand il dit (verset 22): "Mais maintenant affranchis."

A l’égard de l’état du péché, il en expose: A) la condition B) l’effet, à ces mots (verset 21): "Quel fruit avez-vous tiré?" C) la fin, à ces autres (verset 21): "Car leur fin, c’est la mort."

A) Sur la condition du péché, il faut remarquer que l’homme jouit naturellement de son libre arbitre, parce que la raison et la volonté ne peuvent jamais être forcées; toutefois elles peuvent, par quelques causes, être inclinées. Toujours donc, quant à l’usage de la raison, l’homme demeure libre de coaction, mais il n’est pas libre d’inclination. Quelquefois, en effet, le libre arbitre est incliné au bien par l’habitude de la grâce ou de la justice: alors il est sous la servitude de la justice et affranchi du péché; mais quelquefois aussi il est incliné au mal par l’habitude du péché: alors il est sous la domination du péché et affranchi de la justice. Sous la servitude du péché, dis-je, par laquelle il est entraîné à consentir au péché contre le jugement de la raison (Jean, VIII, 34): "Celui qui commet le péché est esclave du péché." C’est pourquoi S. Paul dit (verset 20): "Lorsque vous étiez esclaves du péché." Affranchis de la justice en tant que n’ayant plus le frein de la justice, l’homme se précipite dans le péché. C’est pourquoi S. Paul ajoute (verset 20): "Vous étiez libres à l’égard de la justice;" ce qui arrive surtout à ceux qui pèchent de propos délibéré; car ceux qui le font par faiblesse ou par passion sont encore retenus, jusqu’à un certain point, par le frein de la justice, en sorte qu’ils ne paraissent pas s’en affranchir entière ment (Jér., II, 20): "Dès le commencement, tu as brisé mon joug, secoué mes liens, et tu as dit: Je n’obéirai pas;" (Job, XI, 12): "L’homme vain s’élève en des sentiments d’orgueil et se croit libre comme le petit de l’âne sauvage." Pourtant il faut savoir que cet état est une vraie servitude, liberté apparente, mais non véritable; car, l’homme n’étant que ce qui est selon la raison, il est véritablement esclave dès qu’une cause étrangère le détourne de ce qui est selon la raison. Mais pour celui qui doit au frein de la raison de n’être pas entraîné par les suites de la convoitise, c’est une liberté, relativement à la manière de voir de celui qui regarde comme le souverain bien de s’abandonner à la violence de ses convoitises.

B) Quand S. Paul dit (verset 21): "Quel fruit avez-vous donc tiré?" il montre l’effet du péché. Il en repousse un, à savoir, l’effet profitable, lorsqu’il dit (verset 21): "Quel fruit avez-vous donc tiré de ces choses?" à savoir, lorsque vous faisiez le mal. Car les oeuvres du péché sont infructueuses, parce qu’elles n’aident pas l’homme à acquérir la béatitude (Is I, 29): "Vous rougissez vous-mêmes des jardins " de volupté que vous avez élevés.

C) Lorsqu’il dit (verset 22): "Car leur fin," l’Apôtre fait voir la fin du péché. "Car leur fin " (la fin de ces péchés), "c’est la mort," laquelle, bien qu’elle ne soit pas la fin que se propose celui qui commet le péché, parce qu’en péchant il ne croit pas s’exposer à la mort, est cependant la fin des pécheurs eux-mêmes, puisque de sa nature le péché amène la mort même temporelle. En effet, lorsque l’âme se sépare de Dieu, il est juste que le corps se sépare d’elle. Les péchés donnent aussi la mort éternelle, car il est juste que celui qui veut être séparé de Dieu pour un temps afin de satisfaire la convoitise, en soit séparé pour l’éternité, ce qui est la mort éternelle (Rom., I, 32): "Ceux qui agissent ainsi méritent la mort."

Lorsqu’il dit (verset 22): "Mais maintenant," il fait voir la prééminence de l’état de justice. Il en expose: A) la condition; B) l’effet, à ces mots (verset 22): "Le fruit que vous en tirez;" C) la fin, à ces autres (verset 22): "La fin sera la vie éternelle."

A) Sur la condition de l’état de justice, il faut remarquer que, comme celui qui se laisse entraîner par le péché vers le mal est affranchi de la justice, ainsi celui qui par l’habitude de la justice et de la grâce est porté vers le bien est affranchi du péché; en sorte qu’il n’est pas dominé par lui jusqu’à y consentir. C’est ce qui fait dire à S. Paul (verset 22): "Mais maintenant," c’est-à-dire dans l’état de justice, "vous êtes affranchis du péché;" (Jean, VIII, 36): "Si le Fils vous affranchit, vous serez vraiment libres." De même, mais par opposition, que dans l’état du péché on est esclave du péché auquel on obéit, dans l’état de justice on est esclave de Dieu en lui obéissant volontairement, suivant ce passage (Ps., XCIX, 2): "Servez le Seigneur avec joie." C’est pourquoi S. Paul ajoute (verset 22): "Faits esclaves de Dieu" (Ps., XV, 6): "Seigneur, c’est parce que je suis votre serviteur." Or, cette liberté est la liberté véritable et la meilleure servitude, parce que par la justice l’homme est incliné à ce qui convient à sa nature, à ce qui est le propre de l’homme; de plus, il est détourné des effets de la concupiscence, ce qui appartient surtout à l’homme charnel.

B) Lorsque S. Paul dit (verset 22): "Vous en avez pour fruit," il ex prime l’effet de la justice, en disant (verset 22): "Vous en avez pour fruit la sanctification," c’est-à-dire la sanctification elle-même, ou l’acquisition de la sainteté par les bonnes oeuvres est le fruit que vous obtenez, en tant qu’elle vous réjouit saintement et spirituelle ment (Ecclésiastique XXIV, 23): "Mes fleurs sont des fruits de grâce et d’abondance;" (Gal., 22): "Les fruits de l’Esprit sont la joie, la paix, etc."

C) En ajoutant (verset 22): "Et pour fin la vie éternelle," il indique la fia de la sanctification. La vie éternelle, c’est la fin des justes, qui font tout pour obtenir cette vie (Matth., VI, 23): "Cherchez d’abord le royaume de Dieu et la justice." C’est aussi la fin des oeuvres, qui, ayant été produites dans des vues d’obéissance à Dieu et à son imitation, méritent la vie éternelle (Jean, X, 27): "Mes brebis entendent ma voix et elles me suivent; et moi je leur donne la vie éternelle."

II. Lorsque S. Paul dit ensuite (verset 23): "Car la mort est la solde du péché," il explique ce qu’il avait dit de la fin du bien et du mal.

Quant au mal, il dit: J’ai avancé que la fin du péché est la mort, car la mort est la solde du péché. On appelle, en effet, solde la paye du soldat, de la pièce de monnaie qui devait lui être payée, c’est-à-dire pesée, car on pesait l’argent qu’on devait donner au soldat. Si donc les pécheurs combattent pour le péché en faisant servir leurs membres comme des armes pour son règne, ainsi qu’il a été dit plus haut, la mort est regardée comme la solde du péché, c'est-à-dire la rétribution que le péché donne à ceux qui le servent. Par là il est manifeste que la mort est la fin des pécheurs; ce n’est pas, il est vrai, celle qu’ils cherchent, mais celle qui leur est donnée (Ps., X, 7): "Le feu, le soufre, l’esprit de tempête, c’est le calice qu’il leur prépare."

Quant au bien, l’Apôtre dit (verset 23): "La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle." Car, ayant dit que les justes auraient la vie éternelle, qu’indubitablement l’on ne peut obtenir que par la grâce; par là même la faculté d’opérer le bien et le mérite de nos oeuvres, qui les rend dignes de la vie éternelle, viennent aussi de la grâce. Aussi est-il dit (Ps., LXXXIII, 12): "Dieu nous donnera la grâce et la gloire." Si donc on considère nos oeuvres dans leur nature, en tant qu’elles procèdent du libre arbitre, elle ne méritent pas d’un mérite de condignité la vie éternelle, mais seulement en tant qu’elles procèdent de la grâce de l’Esprit Saint. Voilà pourquoi il est dit (Jean, IV, 14): "L’eau que je lui donnerai deviendra en lui une fontaine qui jaillira jusqu’à la vie éternelle." Tout cela "en Notre Seigneur Jésus-Christ," c’est-à-dire par lui; ou encore, en tant que nous sommes en lui par la foi et par la charité (Jean, VI, 40): "Quiconque voit le Fils et croit en lui aura la vie éternelle."





CHAPITRE VII: LES ANCIENNES LOIS MORALES





Romains 7, 1 à 6: Délivrés de la Loi de Moïse

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Rm 7,1-6)






SOMMAIRE. Que nous avons été délivrés de la servitude de la loi mosaïque par la grâce de Jésus-Christ. Explications sur les obligations du mariage.



1. Ignorez-vous, mes frères (je parle à ceux qui connaissent la Loi), que la Loi ne domine sur l’homme qu’aussi longtemps qu’elle vit?

2. Car la femme, qui est soumise à un mari, est liée par la Loi du vivant de son mari; mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari.

3. Donc, son mari vivant, elle sera appelée adultère si elle s’unit à un autre homme; mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari, de sorte qu’elle n’est pas adultère si elle épouse un autre homme.

4. Ainsi, mes frères, vous aussi vous êtes morts à la Loi par le corps du Christ, pour être à un autre qui est ressuscité d’entre les morts, afin que nous produisions des fruits pour Dieu.

5. Car, lorsque nous étions dans la chair, les passions du péché, qui étaient occasionnées par la Loi, agissaient dans nos membres, en sorte qu’elles leur faisaient produire des fruits pour la mort.

6. Mais maintenant nous sommes affranchis de la loi de mort, dans laquelle nous étions retenus, afin que nous servions dans la nouveauté de l’Esprit, et non dans la vétusté de la lettre.



Après avoir établi que nous sommes délivrés du péché par la grâce de Dieu, l’Apôtre fait voir que nous sommes délivrés par la même grâce de la servitude de la Loi. Sur ce point, premièrement il énonce sa proposition; secondement il prévient une objection, à ces mots (verset 7): "Que dirons-nous donc?"

Or il établit sa proposition: en montrant que nous sommes délivrés par la grâce de Jésus-Christ de la servitude de la Loi; II° il montre les avantages de cette délivrance, à ces mots (verset 4): "Afin que nous portions du fruit pour Dieu."



I° Pour démontrer que nous sommes délivrés de la Loi, I. il emploie une comparaison dont il tire un argument pour établir sa proposition; II. Il l’explique, à ces mots (verset 2): "Car la femme mariée;" III. Il conclut, à ces autres (verset 4): "Ainsi, mes frères."

I. S. Paul propose donc sa comparaison comme une chose connue des Romains; ce qui lui fait dire (verset 1): "Ignorez-vous, mes frères?" comme s’il disait: vous ne devez pas ignorer ce que je vais dire (I Corinth., XIV, 38): "Si quelqu’un l’ignore, il sera lui-même ignoré." Il donne aussi le motif pour lequel ils ne doivent pas ignorer, en ajoutant (verset 1): "Je parle à des hommes qui connais sent la Loi." Cependant, comme les Romains étaient Gentils et ignoraient la loi de Moïse, ne semble-t-il pas que ce mot de l’Apôtre ne peut leur convenir? Aussi quelques-uns ont entendu ce passage de la loi naturelle, qui n’était pas inconnue aux Gentils, selon ce qui a été dit plus haut (Rom., II, 14): "Lorsque les Gentils, qui n’ont pas de Loi, font naturellement ce que la Loi commande, etc.," ce qui lui ferait ajouter: "Que la loi," à savoir, la loi naturelle, "ne domine dans l’homme qu’autant de temps qu’elle vit en lui." Or, elle vit aussi longtemps que la raison naturelle vit efficacement dans l’homme. Mais cette loi meurt dans l’homme quand il succombe aux passions (Is 24,5): "Ils ont détruit l’alliance éternelle," à savoir, celle de la loi naturelle.

Mais cette interprétation ne paraît pas donner la pensée de l’Apôtre, qui, toutes les fois qu’il parle de la Loi dans un sens absolu et indéterminé, l’entend toujours de la loi de Moïse.

II. faut donc dire que les Romains convertis à la foi n’étaient pas seulement Gentils, mais qu’un grand nombre d’entre eux étaient Juifs. Aussi voit-on (Actes XVIII, 2) que Paul trouva à Corinthe "un Juif nommé Aquila, venu depuis peu d’Italie, avec Priscille sa femme, parce que l’empereur Claude avait prescrit à tous les Juifs de quitter Rome." Donc la Loi, entendue dans ce sens, domine dans l’homme aussi longtemps qu’il vit; car cette Loi lui a été donnée pour le diriger dans le chemin de cette vie, selon ce passage du Psalmiste (Ps., XXIV, 12: "Il lui a prescrit une Loi pour la voie qu’il a choisie." L’obligation de la Loi est donc déliée par la mort.

III. Quand l’Apôtre dit (verset 2): "Car la femme qui est soumise à un mari, etc.," il explique ce qui précède par un exemple tiré de la loi du mariage: Il cite cet exemple; il l’explique par une preuve, à ces mots (verset 3): "Donc, son mari vivant."

Par l’exemple qu’il cite, il fait voir:

A) comment l’obligation de la loi dure tant que dure la vie, en disant (verset 2): "Car la femme qui est soumise à un mari," c’est-à-dire qui est sous la puissance d’un mari, lui est soumise d’après la loi divine, qui dit (Gen., III, 16): "Tu seras sous la puissance de ton mari;" - "est liée par la Loi," à savoir, la Loi l’oblige à vivre avec son mari, selon ce passage (Matth., XIX, 6): "Que l’homme ne sépare donc pas ceux que Dieu a unis." Cette indissolubilité du mariage a sa cause principale en ce que le mariage est le signe de l’union inséparable de Jésus-Christ et de son Église, ou du Verbe et de la nature humaine dans la personne de Jésus-Christ (Ephés., V, 32): "Ce sacrement est grand, je dis dans le Christ et dans l’Église."

B) A ces mots (verset 2): "Mais si son mari vient à mourir," S. Paul fait voir dans l’exemple cité comment l’obligation de la Loi est dissoute après la mort, en disant: "Mais si son mari," c’est-à-dire le mari de cette femme, vient à mourir, la femme, "après la mort de son mari," est affranchie de la loi du mari, I c’est-à-dire de la loi du mariage, qui l’avait placée sous la domination du mari. En effet, comme S. Augustin l’a remarqué (Liv. des Noces et de la Concupiscence, liv. I, ch. XVII), les noces étant un avantage des mortels, leur obligation ne s’étend pas au delà de la vie mortelle. C’est pourquoi: "Dans la résurrection," quand le règne de la vie immortelle sera venu, "les hommes," dit S. Matthieu (XXII, 30), "ne prendront pas de femmes, ni les femmes de mari." De là il est évident que si quel qu’un venait à mourir et à ressusciter, comme cela est arrivé à Lazare, la femme qui avait été son épouse ne le serait plus, à moins qu’elle ne contractât mariage de nouveau.

On allègue contre cette doctrine ce passage de l’épître aux Hébreux (XI, 35): "Par la foi, les femmes ont reçu de la résurrection leurs morts." Il faut dire que ces femmes " pas reçu leurs maris," mais leurs enfants, comme cette mère qui reçut le sien d’Élie (III Rois, XVII, 23), et cette autre qui le reçut d’Élisée (IV Rois, IV, 37).

Mais il en est autrement dans les sacrements, qui impriment caractère, sorte de consécration de l’âme immortelle; car toute consécration demeure tant que dure la chose consacrée, comme on le voit dans la consécration d’une église ou d’un autel. C’est pourquoi, si un fidèle baptisé, ou confirmé, ou qui aurait reçu l’ordre, meurt et ressuscite, il ne doit pas de nouveau recevoir ces sacrements.

Lorsque l’Apôtre dit (verset 3): "Donc, son mari vivant...," il explique par une preuve ce qui précède. Et d’abord:

A) quant à l’obligation du mariage, qui dure pour la femme tant que vit son mari: la preuve en est ce qu’elle est appelée adultère si elle vit avec un autre, c’est-à-dire si elle s’unit charnellement à un autre homme du vivant de son mari (Jérémie, III, 4): "Lorsqu’un mari a répudié sa femme, si cette femme, en le quittant, s’attache à un autre, est-ce qu’elle n’est pas impure et déshonorée?"

B) A ces paroles (verset 3): "Mais si son mari meurt...," S. Paul se sert de sa preuve pour établir que l’obligation de la loi du mariage est dissoute par la mort. Il dit: "Mais si le mari de cette femme meurt, elle est déliée de la loi" qui l’attachait à lui, "de sorte qu’elle n’est plus adultère" si elle vient à avoir un commerce charnel avec un autre homme, surtout si elle lui est unie par le mariage (I Cor., VII, 39): "Si le mari, à savoir, celui de cette femme," vient à mourir, elle est libre: qu’elle se marie à qui elle voudra. Il est évident par ces paroles que les secondes, les troisièmes et même les quatrièmes noces sont en elles-mêmes licites, comme paraît l’insinuer S. Jean Chrysostome, qui (dans son Commentaire sur S. Matthieu) dit: De même que Moïse a permis la libelle de répudiation, S. Paul a permis les secondes noces. Car, si la loi du mariage est dissoute par la mort, il n’y a plus de raison pour qu’il ne soit pas permis à l’époux survivant de passer à une seconde alliance. Quant à ce que l’Apôtre dit (I Tim., III, 2): "Qu’il faut que l’évêque n’ait été marié qu’une fois," cela ne doit pas s’entendre dans le sens que les secondes noces sont illicites, mais en ce sens qu’il y a là une espèce d’imperfection à l’égard du sacrement, parce que l’évêque ne serait plus l’époux unique d’une seule épouse, comme Jésus-Christ est l’Époux d’une seule Église.

III. Lorsque S. Paul dit (verset 4): "Ainsi, mes frères, etc.," il conclut sa proposition principale, en disant: "Ainsi," c’est-à-dire par cela même que vous êtes devenus les membres du corps de Jésus-Christ, que vous êtes morts et que vous avez été ensevelis avec lui, comme il a été expliqué: "Vous aussi, vous êtes morts à la Loi;" en d’autres termes, quant à l’obligation de la Loi qui cesse par rapport à vous; "pour, à partir de ce moment, "être à un autre," c’est-à-dire "à Jésus-Christ," et être soumis à la loi de Celui "qui est ressuscité d’entre les morts," et en qui, ressuscitant vous-mêmes, vous avez pris une vie nouvelle. Ainsi donc, vous êtes tenus et liés, non par la loi de votre première vie, mais par la loi de votre vie nouvelle.

Cependant il semble qu’il y ait dissimilitude sur un point; car, dans l’exemple cité, le mari mort, la femme demeure libre de l’obligation de la Loi; tandis qu’ici celui qui est délié de l’obligation est réputé mourir.

Mais si nous considérons attentivement l’un et l’autre, nous trou-vous identité de situation, parce que, le mariage supposant comme une sorte de corrélation, c’est-à-dire l’union des deux époux, peu importe lequel des deux meure, pour que le résultat soit la dissolution du lien du mariage. Que l’un ou l’autre meure, il est toujours évident que la mort qui nous fait mourir avec Jésus-Christ détruit l’obligation de la Loi ancienne.



II° En disant (verset 4): "Afin que vous portiez des fruits," l’Apôtre montre les avantages de notre affranchissement.

Sur ce point,

I. il énonce ces avantages en disant (verset 4): "Afin que vous portiez des fruits pour Dieu." Car par là même que nous sommes devenus les membres de Jésus-Christ, et que nous demeurons en lui, nous pouvons porter le fruit des bonnes oeuvres pour honorer Dieu (Jean, XV, 4): "Comme la branche de la vigne ne peut porter de fruit par elle-même, ainsi, etc."

II. A ces paroles (verset 5): "Lorsque nous étions assujettis à la chair," il fait voir que ces fruits ne pouvaient être produits pendant que nous étions sous la servitude de la Loi, en disant: "Car, lorsque nous étions assujettis à la chair," c’est-à-dire esclaves de ses convoitises (Rom., VIII, 9): "Pour vous, vous ne vivez pas selon la chair, mais selon l’Esprit," - "les passions" et les affections "du péché, qui par la Loi étaient" ou connues ou exécutées à l’occasion, comma il a été expliqué plus haut, "agissaient dans nos membres," c’est-à-dire les provoquaient (Jacq., IV, I): "D’où viennent les guerres et les procès entre vous? N’est-ce pas de vos passions?" Et cela "afin de les faire fructifier pour la mort," c’est-à-dire de leur faire porter des fruits de mort (Jacq., I, 15): "Le péché consommé engendre la mort."

III. A ces mots (verset 6): "Mais maintenant nous sommes affranchis," il montre que ces avantages sont acquis à tous ceux qui sont délivrés de la servitude de la Loi, en disant (verset 6): "Maintenant, par la grâce du Christ," nous sommes affranchis de la loi de mort, c’est-à-dire de la servitude de la loi de Moïse, qui est appelée la loi de mort, ou parce qu’elle frappait sans miséricorde de la mort corporelle (Hébr., X, 28): "Celui qui viole la loi de Moïse est mis à mort sans miséricorde;" ou plutôt parce qu’à l’occasion elle donnait la mort spirituelle, selon ce que dit S. Paul ( Cor., III, 6): "La lettre tue, mais l’Esprit vivifie." Or, nous étions soumis à cette Loi comme des esclaves sous la Loi (Ga 3,23): "Avant que la foi fût venue, nous étions sous la garde de la Loi." - "Mais nous sommes affranchis, afin que nous servions Dieu dans la nouveauté de l’Esprit," renouvelés que nous sommes dans l’Esprit par la grâce du Christ (Ezéch., XXXVI, 26): "Je vous donnerai un coeur nouveau, et je mettrai un Esprit nouveau au milieu de vous;" - "et non dans la vétusté de la lettre," c’est-à-dire non pas selon l’ancienne Loi, ou non pas dans la vétusté du péché, que la lettre de la Loi n’a pu détruire (Ps., VI, 7): "J’ai vieilli au milieu de tous mes ennemis."



Romains 7, 7 à 13: La Loi de Moïse faisait connaître le péché et le provoquait

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Rm 7,7-13)





SOMMAIRE. L’Apôtre donne la solution d’une difficulté sur la bonté de la Loi. Comment cette Loi a fait connaître le péché: parce que ses préceptes ont excité dans l’homme la concupiscence.



7. Que dirons-nous donc? La Loi est-elle péché? Pas du tout. Mais je n'ai connu le péché que par la Loi; car je ne connaîtrais pas la concupiscence si la Loi n'eût dit. Tu ne convoiteras pas.

8. Or, prenant occasion du commandement, le péché a produit en moi toute concupiscence. Car sans la Loi, le péché était mort.

9. Et moi je vivais autrefois sans la Loi. Mais quand est venu le commandement, le péché a revécu.

10. Et moi je suis mort; et il s’est trouvé que ce commandement qui devait me donner la vie a causé ma mort.

11. Ainsi le péché, prenant occasion du commandement, ma séduit, et par lui m tué.

12. Ainsi la Loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon.

13. Ce qui est bon m donc causé la mort? Loin de là; mais le péché, pour paraître péché, a, par une chose bonne, opéré pour moi la mort, de sorte qu est devenu pur le commandement une source extrême ment abondante de péché.



Après avoir montré que par la grâce du Christ nous sommes affranchis de la servitude de la Loi, et que cet affranchissement a de grands avantages, S. Paul répond ici à une objection qui peut sortir de ce qui précède. On pourrait prétendre que la Loi n’est pas bonne. Il détruit d’abord l’objection qui attaque ainsi la Loi; il prouve ensuite que la Loi est bonne, à ces mots (verset 14): "Car nous savons."

Sur l'objection, il la pose quant à la Loi elle-même; II° il y répond, à ces mots (verset 12): "Et cependant la Loi est bonne."



I° Il dit donc d’abord: J’ai avancé que les passions du péché existaient par la Loi, et qu’elle est une loi de mort:" Que comprendrons-nous "qu’il suit de là?" "Dirons-nous que la Loi est péché?" On peut entendre ceci de deux manières: d’abord, que la Loi enseigne rait le péché, comme dit le prophète Jérémie (X, 3): "Les lois des peuples sont vaines," c’est-à-dire enseignent la vanité; ensuite, que celui qui l’aurait donnée aurait péché en donnant une telle Loi. Ces deux interprétations se touchent, puisque, si la Loi enseigne le péché, le législateur pèche en portant la Loi (Is 10,1): "Malheur à ceux qui établissent des lois iniques!" Or, la Loi paraît enseigner le péché, si les passions qui enfantent le péché sont provoquées par la Loi, et si la Loi conduit à la mort.

II° Lorsque l’Apôtre dit (verset 7): "A Dieu ne plaise!" il répond à l’objection qu’il s’est proposée. Il faut remarquer ici que, si la Loi produisait par elle-même et directement les passions, qui donnent naissance au péché ou à la mort, il s’ensuivrait qu’elle serait péché, d’après l’une ou l’autre des interprétations données plus haut; mais il n’en serait pas ainsi si la Loi n’était que l’occasion du péché et de la mort.

S. Paul montre donc: I. ce que la Loi fait par elle-même; II. Ce que par occasion elle peut faire, à ces mots (verset 8): "Or l’occasion..."

I. Sur ce que fait la Loi par elle-même, l’Apôtre donne trois explications

Il répond à la question en disant (verset 7): "A Dieu ne plaise!" À savoir, que la Loi soit péché; car elle n’enseigne pas le péché, suivant ce mot du Psalmiste (XVIII, 8): "La loi du Seigneur est sans tache;" et le législateur n’a pas péché en la portant, comme si c’était une loi inique, selon cette parole (Prov., VIII, 15): "C’est par moi que les rois règnent et que les législateurs ordonnent ce qui est juste."

A ces mots (verset 7): "Mais je n’ai connu le péché que par la Loi," S. Paul expose ce qui en soi appartient à la Loi, à savoir, donner la connaissance du péché sans pouvoir le détruire. C’est ce qu’il dit (verset 7): "Mais je n’ai connu le péché que par la Loi," comme il a dit plus haut (III, 20): "Car la Loi donne seulement la connaissance du péché." Si l’on applique ce verset à la loi naturelle, le sens est de toute évidence: c’est, en effet, par la loi naturelle que l’homme pro nonce entre le bien et le mal (Ecclésiastique XVII, 6): "Il a rempli leurs coeurs de sagesse, et il leur a montré les biens et les maux." Mais l’Apôtre paraît parler de la Loi ancienne, qu’il indiquait plus haut (verset 6), lorsqu’il dit: "Non dans la vétusté de la lettre." Il faut donc dire que sans la Loi on pouvait avoir la connaissance du péché, en tant qu’il porte un caractère d’ignominie, c’est-à-dire en tant qu’il est contre la raison, mais non en tant qu’il implique l’offense contre Dieu; car nous savons par la loi de Dieu que les péchés des hommes déplaisent à Dieu qui les défend, et qu’il en ordonne le châtiment.

A ces mots (verset 7): "Car je ne connaîtrais pas la concupiscence," S. Paul prouve ce qu’il avait avancé, en disant (verset 7): "Car je ne connaîtrais pas la concupiscence si la Loi n’eût dit: Tu ne convoiteras pas." Sur ceci il faut remarquer que ce mot de S. Paul: la connaissance du péché n’est venue que par la Loi, pouvait être en tendu par quelques personnes de l’acte même du péché, que la Loi fait connaître à l’homme en le défendant. Ce sens est vrai quant à certains péchés; car il est dit (Lévit., XVIII, 8): "La femme ne se prosternera pas devant la bête." Mais il est évident, par ce qui est dit ici, que telle n’est pas la pensée de l’Apôtre. Car il n’est personne qui ne connaisse l’acte même de la concupiscence, puisque tout le monde l’éprouve. Il faut donc entendre, comme il a été expliqué plus haut, que la Loi donne la connaissance du péché quant à la culpabilité, qui rend punissable, et quant à l’offense de Dieu. L’Apôtre prouve ce point de doctrine par la concupiscence, parce que la connaissance mauvaise est comme la source commune de tous les péchés. Aussi la Glose remarque, et avec elle S. Augustin, que S. Paul a choisi ici un péché qui a une sorte d’universalité, à savoir, la concupiscence. La Loi est donc bonne: en défendant les convoitises, elle défend tout ce qui est mal.

Toutefois on peut entendre que la concupiscence ou convoitise est un péché universel, en ce sens qu’elle est le désir d’une chose illicite, ce qui est de l’essence de tout péché. Cependant ce n’est pas en ce sens que S. Augustin a appelé la convoitise péché universel, mais parce que la racine et la cause de tout péché se trouvent dans une convoitise spéciale. De là la Glose dit que la convoitise est un péché universel, d’oh procède tout ce qui est mal. L’Apôtre, en effet, cite un précepte de la Loi (Exode, XX, 17) où la convoitise est spécialement défendue: "Tune convoiteras pas le bien de ton prochain." S. Paul parle de la convoitise de l’avarice (I Tim., VI, 10): "La cupidité est la racine de tous les maux;" et cela parce que "Tout," dit l’Ecclésiaste (X, 19), obéit à l’argent." Sous ce rapport, la convoitise dont parle ici S. Paul est un mal universel, non parce qu’elle participe à tous les genres et à toutes les espèces de maux, mais parce qu’elle est la cause commune de tous.

Cette doctrine n’est pas contredite par ce mot de l’Ecclésiastique (X, 15): "Le commencement de tout péché est l’orgueil." En effet, l’orgueil est le commencement du péché sous le rapport de la séparation, et la cupidité le principe du péché sous le rapport de l’inclination vers le bien périssable. On peut dire encore que l’Apôtre choisit spécialement la convoitise pour développer sa proposition, parce qu’il veut faire voir que sans la Loi on n’avait pas la connaissance du péché, à savoir, en tant qu’il est l’offense de Dieu; ce qui paraît surtout en ce que la loi de Dieu défend la convoitise, et que l’homme ne la défend pas. Car Dieu seul répute l’homme coupable d’après les convoitises du coeur. Selon cette parole (I Rois, XVI, 17): "L’homme voit ce qui paraît, mais le Seigneur regarde le coeur." Or la loi de Dieu a défendu la convoitise du bien d’autrui qu’on enlève par le vol, et la convoitise de la femme du prochain que souille l’adultère, plutôt que la convoitise des autres péchés, parce que ces fautes ont dans la convoitise même une sorte de délectation qu’on ne trouve pas dans les autres péchés.

II. Lorsque S. Paul dit (verset 8): "Or à l’occasion du commandement," il montre ce que produit occasionnellement la Loi. Il énonce sa proposition; il la développe, à ces mots (verset 8): "Sans la Loi."

Il dit donc:

"Le péché, ayant pris occasion du commandement," à savoir, de la Loi qui défendait le péché, "a produit en moi toute concupiscence." Par péché on peut, selon une sorte de locution figurée, entendre le démon, parce qu’il est le principe du péché. En ce sens le péché produit dans l’homme toute espèce de convoitise du péché (I Jean, III, 8): "Celui qui commet le péché est enfant du démon, parce que le démon pèche dès le commencement." Ce pendant, l’Apôtre n’ayant pas fait ici mention du démon, on peut dire que le péché actuel, quel qu’il soit, en tant qu’il est l’objet de la pensée, produit dans l’homme sa propre convoitise, comme dit S. Jacques (I, 4): "Chacun est tenté par sa propre concupiscence, qui l'emporte et l’attire; et ensuite la concupiscence enfante le péché." Mais il vaut mieux rapporter ce que dit S. Paul au péché (Rom., V, 12): "qui était entré dans le monde par un seul homme," c’est-à-dire au péché originel, parce (m’ayant la grâce du Christ ce péché est dans l’homme quant à la coulpe et quant à la peine; mais, lorsque la grâce est reçue, ce péché originel est effacé quant à la coulpe, quoiqu’il reste quant au foyer du péché, c’est-à-dire quant à la convoitise habituelle, qui produit dans l’homme toute espèce de concupiscence actuelle. Ou bien il faut rapporter ce passage aux convoitises des divers péchés; car autre est la convoitise du vol, autre celle de l’adultère, et ainsi des autres. On peut encore appliquer ce mot aux divers degrés de la convoitise, en tant qu’elle consiste dans la pensée, la délectation, le consentement et l’oeuvre. Or, pour opérer ces effets dans l’homme, le péché prend occasion de la Loi. C’est ce qui fait dire à S. Paul: "A l’occasion du commandement, ou parce que, le commandement ayant été fait, le péché revêt en plus le caractère de prévarication" (Rom., IV, 15): "Car où n’est pas la Loi il n’y a pas de prévarication de la Loi;" ou parce que le désir de l’objet défendu devient plus violent en raison de la défense, d’après les motifs déjà exposés.

Il faut remarquer que S. Paul ne dit pas que la Loi a fourni occasion au péché, mais que le péché a pris lui-même occasion de la Loi. Car celui qui donne occasion scandalise, et par conséquent pèche; ce qui arrive lorsqu’on fait une oeuvre qui manque de rectitude en un point, et dont le prochain est offensé ou scandalisé, par exemple si l’on fréquente des lieux suspects, même sans mauvaise intention. C’est pour cela qu’il est dit plus loin (XIV, 13): "Songez plutôt que vous ne devez pas être pour vos frères une occasion de chute ou de scandale." Mais si l’on fait une oeuvre bonne, par exemple si l’on donne l’aumône, et que le prochain prenne de là occasion de se scandaliser, on ne donne pas là occasion au scandale, mais le prochain prend lui-même occasion de se scandaliser, et pèche. Ainsi donc la Loi a fait quelque chose de bien, puisqu’elle a dé fendu le péché: elle n’a donc pas donné occasion de pécher; c’est l’homme qui a pris occasion de la Loi, Il suit de là que la Loi n’est pas un péché, mais que le péché vient de l’homme. Il faut donc dire que les passions mauvaises, qui appartiennent à la convoitise du péché, ne viennent pas de la Loi, comme si la Loi les produisait, mais que le péché les excite, en prenant occasion de la Loi. C’est par cette même raison qu’elle est appelée loi de mort, non pas qu’elle produise la mort, mais parce que le péché produit la mort en prenant occasion de la Loi. Sans changer le sens, on peut encore disposer la lettre de manière à lui faire dire que le péché a produit par le précepte de la Loi toute espèce de convoitise, et cela en prenant occasion du précepte même; mais la première explication est la plus simple et la meilleure.

Lorsque l’Apôtre dit (verset 8): "Car sans la Loi," il développe ce qui précède, en énumérant les effets produits à l’occasion de la Loi. Et d’abord il indique ces effets; ensuite il en rappelle la cause, à ces mots (verset 10): "Il s’est trouvé que le commandement étant survenu."

A) Pour exprimer les effets, il décrit d’abord l’état qui a précédé la Loi; ensuite, cet état sous la Loi, à ces mots: "Le commandement étant survenu;" enfin de la comparaison de l’un et de l’autre état il déduit l’effet de la Loi, à ces mots (verset 10): "Il s’est trouvé que le commandement, etc." a) Il dit donc d’abord: "Le péché, prenant occasion du commandement, a opéré en moi toute concupiscence;" ce qui est évident par ce qui suit: "Car sans la Loi le péché était mort," non comme s’il n’eût pas existé, puisque par un seul homme le péché était entré dans le monde, ainsi qu’il a été expliqué (Rom., 12). Mais il faut entendre qu’il était mort ou quant à la connaissance de l’homme, qui ne savait pas que certains points défendus par la Loi étaient des péchés, par exemple la convoitise; ou quant à la puissance de donner la mort, par comparaison avec ce qu’il a fait depuis, car il avait moins de pouvoir pour conduire l’homme à la mort qu’il n’en a eu depuis qu’il a pris occasion de la Loi. On regarde, en effet, comme mort ce dont la puissance est affaiblie (Col., III, 5): "Faites mourir vos membres qui sont sur la terre." Tel était donc, quant au péché, l’état qui a précédé la Loi. S. Paul fait voir ensuite quel était cet état quant à l’homme, en ajoutant (verset 9): "Et moi, je vivais autrefois sans la Loi." Paroles qui peuvent également être entendues de deux manières: d’abord, en ce sens que l’homme paraissait vivre de lui-même, ignorant que le péché lui avait apporté la mort (Apoc., III, 1): "Vous avez le nom de vivant, et vous êtes mort;" ensuite, par comparaison avec la mort qui est venue à l’occasion de la Loi. Car ceux qui pèchent moins sont réputés vivre, en comparaison de ceux qui pèchent davantage. b) Lorsque S. Paul dit (verset 9): "Mais le commandement étant sur venu," il décrit l’état qui a existé sous la Loi. D’abord, quant au péché: "Le commandement étant survenu," à savoir, quand la Loi eut été donnée, "le péché a revécu." Or on peut entendre ceci (le deux manières: premièrement, par rapport à la connaissance de l’homme, qui a commencé à reconnaître que le péché était en lui, ce qu ne savait pas auparavant (Jér., XXXI, 19): "Après que vous m’avez ouvert les yeux, je me suis frappé la cuisse de douleur, j’ai été couvert de confusion et j’ai rougi." L’Apôtre dit expressément: "Il a revécu," parce que dans le paradis l’homme avait eu une notion complète du péché, bien qu’il n’en eût pas fait l’expérience; ou encore: "Le péché a revécu," quant à sa puissance, parce que, la Loi étant donnée, le pouvoir du péché a été occasionnellement augmenté (I Cor., XV, 56): "La force du péché, c’est la Loi." Secondement, quant à l’homme lui-même (verset 10): "Et moi, je suis mort." Passage qu’on peut entendre aussi de deux manières: d’abord, quant à la connaissance, en sorte que le sens serait: "Je suis mort," c’est-à-dire j’ai connu que j'étais mort; ensuite, par comparaison avec l’état antécédent, en sorte que le sens serait: "Je suis mort," c’est-à-dire je suis dévoué à la mort beaucoup plus que je ne l’étais auparavant. En sorte que ce qui a été dit à Moïse et à Aaron n’est pas sans vérité (Nomb., XVI, 41): "Vous avez fait mourir le peuple du Seigneur." c) Lorsque l’Apôtre dit ensuite (verset 10): "Et il s’est trouvé que le commandement...," il déduit de la comparaison de l’un et de l’autre état l’effet de la Loi, en disant: "Et il s’est trouvé," dans le sens de ce qui précède, "que le commandement qui devait me donner la vie," d’abord dans l’intention du législateur, ensuite par la rectitude même du commandement et par la soumission de celui qui devait obéir (Ezéch., XX, 11): "Je leur ai donné mes lois et mes ordonnances, afin que celui qui les garde y trouve la vie," a servi à me donner la mort occasionnellement, à savoir, par le péché qui était en moi (Job, XX, 14): "Le pain qu’il mange s’altère dans son estomac et se change dans ses entrailles en un fiel d’aspic, etc."

B) En ajoutant (verset 11): "Ainsi le péché," S. Paul remonte à la cause, et la montre par l’effet qu’il vient d’expliquer, lorsqu’il dit: "Il est arrivé," à savoir, "que le commandement qui était donné pour procurer la vie n’a plus servi qu’à produire la mort." Ainsi le péché, prenant occasion du commandement, m’a séduit" par la convoitise qu’il a excitée en moi, comme il est dit (Daniel, X, 56): "La beauté t’a séduit, et la concupiscence a perverti ton coeur. Ainsi par le commandement le péché m’a donné occasionnellement la mort (II0 Cor., III, 6): "La lettre tue."

III° Quant il dit (verset 12): "Et cependant...," l’Apôtre tire la conclusion proposée à savoir, que non seulement la Loi n’est pas péché, mais de plus qu’elle est bonne, puisqu’elle fait connaître le péché et qu’elle le défend.

I. S. Paul conclut quant à toute la Loi, en disant: "Il est donc évident," d’après ce qui précède, "que la loi" du Seigneur "est sainte" (Ps., XVIII, 9): "La loi du Seigneur est sans tache;" (I Timoth., I, 8): "Quant à la Loi, nous savons qu’elle est bonne."

II. Quant aux divers commandements de la Loi, S. Paul conclut en disant: "Et le commandement saint;" il s’agit des préceptes cérémoniaux qui fixent pour les hommes le culte de Dieu (Lév., XX, 26): "Soyez saints, parce que je suis saint." - "Et juste," il s’agit des préceptes judiciaires qui règlent ce que l’homme doit légitimement au prochain (Ps., XVIII, 29): "Les jugements de Dieu sont véritables; ils se justifient par eux-mêmes." - "Et bon," c’est-à-dire irréprochable; il s’agit des préceptes moraux (Ps., CXVII, 72): "La loi sortie de votre bouche est bonne, et préférable pour moi à des millions d’or et d’argent." Comme tous les commandements nous dirigent vers Dieu, l’Apôtre a appelé sainte toute la Loi.

III. Lorsqu’il dit (verset 13): "Ce qui est bon est donc...," S. Paul reprend la difficulté au point de vue des effets de la Loi.

Il énonce la difficulté même, en disant: "Ce qui est bon," à savoir en soi, "est devenu pour moi la mort," c’est-à-dire par soi une cause de mort? Fausse interprétation qu’on pouvait donner à ce qu’il avait dit plus haut: "il s’est trouvé que le commandement qui devait me donner la vie n’a plus servi qu’à me donner la mort."

Il répond à cette difficulté par une formule imprécatoire (verset 13): "Loin de là!" Ce qui en soi est bon et vivifiant ne peut devenir une cause de mal et de mort, selon ce mot de S. Matthieu (VII, 18): "Un arbre bon ne peut porter de mauvais fruits."

A ces mots (verset 13): "Car le péché, etc.," il fait concorder ce qu’il dit avec ce qui précède. En effet, on ne peut regarder le commandement comme une cause de mort en ce sens qu’il la donne lui-même, mais en ce sens que, l’occasion étant donnée par le commandement, le péché même produit la mort. C’est ce que dit l’Apôtre (verset 13): "Car le péché, pour paraître péché..." en d’autres termes, on connaît ce qui est péché par le bien de la Loi, c’est-à-dire par le commandement qu’elle donne, car la Loi produit le bien, en ce sens qu’elle donne la connaissance du péché occasionnellement, en tant qu’elle fait voir ce qui est péché. Cependant on ne doit pas entendre que par la Loi le péché ait produit la mort, comme si, sans la Loi, la mort n’eût pas existé; car il a été dit plus haut que la mort a régné depuis Adam jusqu’à Moïse, c’est-à-dire alors que la Loi n’existait pas. Il faut donc comprendre que par la Loi le péché a produit la mort, en ce sens que la condamnation de la mort s’est accrue après que la Loi fut survenue. C’est ce qu’ajoute S. Paul (verset 13): "Je dis que le péché m’a donné la mort par une chose bonne, en sorte que le péché a fait pécher encore," c’est-à-dire a fait pécher occasionnellement par le commandement même de la Loi; "et cela sans mesure," par rapport à ce qui avait lieu auparavant, soit que la faute a pris le caractère de prévarication, soit que la convoitise du péché est devenue plus violente, comme il a été expliqué, par la prohibition de la Loi qui est survenue. Or par le péché il faut entendre ici, d’après une interprétation précédente, ou le démon, ou mieux le foyer du péché.




Thomas A. sur Rm (1869) 30