Thomas A. sur Rm (1869) 33

Romains 6, 14 à 20: La loi de la chair en nous

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075 (
Rm 7,14-20)





SOMMAIRE: L’Apôtre démontre la bonté de la Loi par la répugnance que l’homme éprouve pour le bien, répugnance que la Loi ne saurait enlever. Comment la loi ancienne peut-elle être appelée spirituelle, et l’homme charnel? Avons-nous de nous-mêmes le commencement des bonnes oeuvres?



14. Car nous savons que la Loi est spirituelle, et moi je suis charnel, vendu pour être assujetti au péché.

15. Aussi ce que je fais, je ne le comprends pas: car le bien que je veux, je ne le fais pas; mais le mal que je hais, je le fais.

16. Que si je fais ce que je ne veux pas, j’acquiesce à la Loi comme étant bonne.

17. Ainsi ce n’est plus moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi.

18. Car je sais que le bien ne se trouve pas en moi, c’est-à-dire dans ma chair. En effet, le vouloir réside en moi; mais accomplir le bien, je ne l'y trouve pas.

19. Ainsi le bien que je veux, je ne le fais pas; mais le mal que je ne veux pas, je le fais.

20. Que si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi.



Après avoir éliminé ce qui pouvait faire paraître la Loi mauvaise et produisant de mauvais effets, S. Paul prouve que la Loi est bonne. Dans ce but, il fait d’abord ressortir la bonté de la Loi par la répugnance même que l’homme éprouve pour le bien, répugnance que la Loi ne peut faire surmonter; il indique ensuite ce qui peut détruire cette répugnance que la Loi laisse subsister, à ces mots (verset 24): "Mal heureux homme que je suis!"

Pour établir la bonté de la Loi, il énonce sa proposition; II° il la prouve, à ces mots (verset 15): "Je ne comprends pas ce que je fais;" III° il tire la conclusion, à ces autres (verset 21): "Je trouve donc en moi une loi, etc."

En énonçant sa proposition que la Loi est bonne, I. il expose cette bonté; II. Il dépeint la condition de l’homme, à ces mots (verset 14): "Mais moi, je suis charnel."

I. Il dit donc: J’ai avancé que la Loi est sainte; et, si je l’ai avancé, "C’est que nous savons," nous qui avons la sagesse des choses di vines, "que la Loi," c’est-à-dire l’ancienne Loi, "est spirituelle," c’est-à-dire qu’elle est en harmonie avec l’esprit de l’homme (Ps., XV, 7): "La loi du Seigneur est sans tache, pure." Ou "spirituelle," c’est-à-dire donnée par l’Esprit Saint, qui, dans les Ecritures, est appelé le doigt de Dieu (Luc, XI, 20): "Si je chasse les démons par le doigt de Dieu." C’est pourquoi il est dit (Exode, XXXI, 18): "Le Seigneur donna à Moïse deux tables de pierre qui contenaient la loi écrite par le doigt de Dieu." Cependant la Loi nouvelle n’est pas appelée seulement spirituelle, mais loi de l’Esprit, comme on le voit (Rom., VIII, 2), parce que non seulement elle vient de l’Esprit Saint, mais a été gravée par cet Esprit même dans le coeur où il habite.

II. En ajoutant (verset 14): "Mais moi, je suis charnel," S. Paul dépeint la condition de l’homme. Ce qu’il dit peut être entendu de deux manières. D’abord l’Apôtre parlerait de lui comme d’un homme vivant dans le péché: c’est dans ce sens que S. Augustin l’a expliqué (Livre des 83 Questions); mais ensuite (dans le Livre contre Julien), il l’explique en faisant parler l’Apôtre dans sa propre personne, c'est-à-dire d’un homme constitué en état de grâce. Avançons donc en expliquant comment ces paroles et les suivantes peuvent être entendues diversement dans l’un et l’autre sens, bien que la seconde explication soit préférable.

Cette parole (verset 14): "Mais moi, je suis charnel," doit s’entendre de manière à ce que ce pronom "je" soit pris pour ce qui dans l’homme est le principal, c’est-à-dire la raison. On peut, en effet, prendre chaque homme pour sa raison ou son intelligence propre; ainsi le gouverneur d’une cité semble être la cité même, en sorte que la cité parait faire ce que fait son gouverneur. Or l’homme est appelé "charnel" parce que sa raison est charnelle. Deux motifs nous autorisent à le dire: d’abord la raison est sous la dépendance de la chair en consentant à ce que la chair propose (I Cor., III, 3): "Puisqu’il y a parmi vous des jalousies et des contentions, n’est-il pas visible que vous êtes charnels?" On l’entend ainsi de l’homme qui n’est pas encore relevé par la grâce. En second lieu, la raison est appelée charnelle en ce que la chair l’attaque et la combat (Ga 5,17): "La chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit." Dans ce sens, on comprend que la raison peut être charnelle, même dans l’homme établi en grâce, car l’une et l’autre de ces tendances charnelles proviennent du péché. De là S. Paul ajoute (verset 14): "Et vendu comme esclave au péché." Il faut toutefois remarquer que la tendance qui suppose la rébellion de la chair contre l’esprit provient du péché du premier homme, car elle appartient au foyer dont la corruption prend sa source dans le péché originel. Mais celle qui suppose l’assujettissement à la chair provient non seulement du péché originel, mais aussi du péché actuel, par lequel l’homme, obéissant aux convoitises de la chair, s’en constitue l’esclave. C’est pourquoi l’Apôtre dit (verset 14): "Vendu au péché," à savoir, à celui du premier père ou au sien propre. Il dit: "Vendu," parce que le pécheur se vend, pour être esclave du péché, au prix de la satisfaction de sa propre volonté (Is 50,1): "C’est à cause de vos péchés que vous avez été vendus."

II° Quand l’Apôtre ajoute (verset 15): "Aussi je ne comprends pas ce que je fais," il développe ce qu’il avait énoncé: I. que la Loi est spi rituelle; II. Que l’homme est charnel et vendu comme esclave au péché, à ces mots (verset 17): "Et maintenant ce n’est plus moi qui fais cela."

I. Or, pour établir que la Loi est spirituelle: il expose la preuve; il tire une conclusion, à ces mots (verset 16): "Si je fais ce que je ne veux pas."

La preuve que la Loi est spirituelle est tirée de la faiblesse de l’homme, A) que S. Paul expose d’abord; B) il en donne ensuite la démonstration, à ces mots (verset 15): "Car je ne fais pas le bien que je veux."

A) Or la faiblesse de l’homme est manifeste: elle se voit en cela même qu’il fait ce qu’il sait bien ne devoir pas être fait. C’est pour quoi S. Paul dit (verset 15): "Aussi je ne comprends pas ce que je fais," à savoir, comme devant être fait. On peut entendre ce mot de deux manières. Premièrement l’homme esclave du péché comprend, en général, qu’il ne faut pas commettre le péché; mais, vaincu par la suggestion du démon, par sa passion ou par l’inclination de l’habitude mauvaise, il le commet. Voilà pourquoi on dit qu’en agissant contre sa conscience, il fait ce qu’il sait bien ne devoir pas être fait (Luc, XII, 47): "Le serviteur qui a connu la volonté de son maître et ne l’a pas exécutée sera à bon droit frappé de plusieurs coups." Secondement on peut rapporter ce mot à l’homme établi en grâce qui fait le mal non pas, à la vérité, en l’exécutant par les oeuvres ou en y donnant un assentiment mental, mais simplement par convoitise de l’appétit sensible. Cette concupiscence se soulève, malgré la raison et l’intelligence; elle prévient le jugement, qui, en sur venant, met obstacle à l’exécution de l’oeuvre. Voilà pourquoi S. Paul ne dit pas expressément: Je comprends que cela ne doit pas être fait, mais: "Je ne comprends pas," parce que c’est avant toute délibération de l’intelligence, ou sans sa perception, que ce mouvement de la conscience s’est fait sentir (Galates V 17): "La chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit."

B) Quand l’Apôtre dit (verset 15): "Car je ne fais pas le bien que je veux," il donne la preuve de ce qu’il avait avancé, par division et par l’effet. a) Par division d’abord. Il avait dit (verset 15): "Ce que je fais;" ce qui comprend deux termes: ne pas faire le bien, et faire le mal; car celui qui ne fait pas le bien est réputé faire le mal, en se rendant coupable d’omission, b) En disant ensuite (verset 15): "Je ne comprends pas," il donne la même preuve par l’effet; car, l’intelligence excitant la volonté, vouloir est l’effet de la cause qui connaît. Il dit donc premièrement, quant à l’omission du bien (verset 15): "Car je ne fais pas le bien que je veux." Ceci peut s’entendre d’abord de l’homme en l’état de péché. Dans ce cas, ce mot de S. Paul: "Je le fais," doit s’appliquer à la volonté complète, qui passe à l’acte extérieur par le consentement de la raison. "Je le veux," se rapporte non pas à la volonté complète, à laquelle il appartient de prescrire l’oeuvre, mais à une sorte de volonté incomplète, par laquelle on veut le bien d’une manière générale: de même qu’on porte en général un juge ment droit sur ce même bien, quoique par l’habitude ou la passion mauvaise le jugement se pervertisse et la bonne volonté se déprave quant à l’acte particulier, en sorte qu’on ne fait pas ce qu’en général on sait devoir être fait et qu’on voudrait faire. Que si l’on applique ce passage à l’homme réhabilité par la grâce, il faut, au contraire, entendre ce mot de S. Paul: "Je le veux," d’une volonté complète qui persévère dans l’élection de l’oeuvre particulière, en sorte que, par cette autre expression: "Je le fais," on désigne l’action incomplète, qui consiste seulement dans l’appétit sensible et n’arrive pas jusqu’au consentement de la raison. Car l’homme en état de grâce veut, à la vérité, préserver son âme des mauvaises convoitises; mais il ne fait pas le bien à cause des mouvements désordonnés de la concupiscence qui s’élève dans le sensible. C’est dans le même sens que S. Paul dit (Galates V, 17): "De sorte que vous ne faites pas les choses que vous voudriez." Quant à commettre le mal, l’Apôtre ajoute en second lieu (verset 15): "Mais je fais le mal que je hais." Si l’on entend ce passage de l’homme pécheur, il faut voir dans ce mot: "Je hais," une sorte de haine imparfaite, qui porte naturellement tout homme à haïr le mal; et par cette expression "Je le fais," l’action rendue complète par l’exécution de l’oeuvre, d’après le consentement de la raison. Car cette haine du mal en général disparaît, dans l’élection de l’acte particulier, par l'inclination de l’habitude ou de la passion. Si, au contraire, on entend ce passage de l’homme établi en grâce, cette expression de S. Paul: "Je le fais," nous montre l’action imparfaite, qui consiste dans la seule convoitise de l’appétit, et l’expression: "Je le hais," la haine parfaite, par laquelle on persévère dans la détermination du mal jusqu’à sa finale réprobation, dont il est dit (Ps., CXXXVIII, 20): "Seigneur, je les haïssais," à savoir les méchants, en tant que pécheurs, "d’une haine parfaite;" et ( Macchab., III, 1): "Quand les lois étaient encore fidèlement observées, à cause de la piété du grand prêtre Onias et de la haine qu’il avait dans le coeur pour le mal."

Lorsque S. Paul dit (verset 16): "Or si je fais ce que je ne veux pas," de la disposition de l’homme qu’il vient d’exposer il conclut que la Loi est comme en défaut: "Or si je fais ce que je ne veux pas." De quelque façon qu’on entende cette expression: le mal que je ne veux pas, "J’acquiesce à la Loi comme étant bonne," en ce sens qu’elle interdit le mal, que naturellement je ne veux pas. Il est évident, en effet, que l’inclination qui porte l’homme raisonnable à vouloir le bien et à fuir le mal, vient de la nature ou de la grâce, et que, dans l’un et l’autre cas, cette inclination est bonne. La Loi, qui, en prescrivant le bien et en défendant le mal, est d’accord avec cette inclination, est, par la même raison, également bonne (Prov., IV, 2): "Je vous ferai un don excellent; n’abandonnez pas ma Loi, etc."

II. En ajoutant (verset 17): "Ainsi ce n’est plus moi qui fais cela," l’Apôtre prouve ce qu’il avait dit de la condition de l’homme, à sa voir, qu est charnel et vendu au péché. Sur ce point, il énonce ce qu’il veut prouver; il prouve sa proposition, à ces mots (verset 18): "Car je sais que le bien n’habite pas en moi;" il déduit sa conclusion, à ces autres (verset 20): "Si donc je fais ce que je ne veux pas."

Que l'homme charnel soit vendu au péché, que sous certain rapport il soit devenu l du péché, on le voit en ce que ce n’est pas lui qui agit, mais qu’il est mu par le péché. Car celui qui est libre agit lui-même et par lui-même; il n’est pas mu par un autre. Voilà pourquoi S. Paul dit: J’ai avancé que par l’intelligence et par la volonté j’acquiesce à la Loi; "ainsi donc, lorsque j’agis contre la Loi," ce n’est plus moi qui fais "ce que je fais contre la Loi," mais le péché qui habite en moi. Il est donc évident que je suis l’esclave du pèche, en tant que le péché agit en moi avec une sorte de domination.

A) On peut appliquer avec vérité et avec facilité cette doctrine à l’homme en état de grâce; car le mal qu convoite par l’appétit sensible qui appartient à la chair ne procède pas de l’acte rationnel, mais de l’inclination qui provient du foyer du péché. Or l’homme est réputé faire ce que la raison opère, parce que l’homme c’est l’être raisonnable. Les mouvements de la concupiscence, qui ne procèdent pas de la raison, mais de l’inclination dont la racine est le foyer du péché, ne sont donc pas l’oeuvre de l’homme; ces mouvements sortent de ce foyer que l’Apôtre appelle ici péché (Jacques, IV, 1): "D’où viennent les guerres et les procès entre vous? N’est-ce pas de vos passions qui combattent dans vos membres?" Mais, dans le sens propre, on ne peut appliquer ce passage à l’homme sous le règne du péché, parce que, sa raison consentant à ce péché, conséquemment cet homme opère par lui-même. Ainsi S. Augustin a dit, et la Glose le cite: Il est dans une grande erreur celui qui, consentant à la convoitise de la chair, se détermine à faire ce qu’elle désire et s’y arrête, s’il pense pouvoir dire encore Je ne le fais pas!

B) On peut toutefois, mais en forçant le sens, entendre ce passage de l’homme pécheur; car un acte est attribué surtout à l’agent principal qui imprime le mouvement dans la sphère propre de sa puissance, et non à l’agent qui se meut et qui agit sous la puissance propre d’un autre dont il reçoit le mouvement. Or il est évident que la raison de l’homme, en tant qu’elle lui est propre, n’est pas inclinée vers le mal, mais seulement en tant qu’elle est mue par la convoitise. C’est pourquoi l’exécution du mal, que fait la raison vaincue par la convoitise, n’est pas attribuée principalement ‘a la rai son, qui est ici prise pour l’homme, mais plutôt à la convoitise même, ou à l’habitude qui incline la raison au mal. Que si l’on dit que le péché habite dans l’homme, ce n’est pas que le péché soit un être réel, puisqu’il n’est que la privation du bien; mais on désigne, en parlant ainsi, la permanence de cette privation dans l’homme.

Lorsque S. Paul dit (verset 18): "Car je sais," il prouve que le péché, habitant dans l’homme, opère le mal que fait l’homme. A) Il emploie un moyen terme pour prouver sa proposition; B) il développe ce moyen terme, à ces mots (verset 18): "En effet, le vouloir réside en moi, etc."

A) L’Apôtre prouve d’abord que le péché, habitant dans l’homme, opère le mal que fait l’homme. La preuve est manifeste si ces paroles se rapportent à l’homme établi en grâce, à l’homme délivré du péché par la grâce de Jésus-Christ, comme on l’a dit plus haut (Rom., VI, 18); que s’il s’agit de l’homme en qui la grâce de Jésus-Christ n’habite pas, cet homme n’est pas délivré du péché. Or la grâce de Jésus-Christ n’habite pas dans la chair, mais dans l’esprit; ce qui fait dire à S. Paul (Rom., VIII, 10): "Que si le Christ est en nous, quoique le corps soit mort à cause du péché, l’esprit est vivant à cause de la justice." Il domine donc encore dans la chair le péché que la convoitise de la chair opère; car l’Apôtre ne sépare pas la chair des facultés des sens. C’est ainsi, en effet, qu’on distingue la chair d’avec l’esprit: elle lui résiste, en tant que l’appétit sensible veut le contraire de ce que l’esprit demande, selon cette parole (Galates V, 17): "La chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit." S. Paul dit donc: J’ai avancé que (verset 17) ce qui est en moi, même après la réparation de la grâce, "c’est le péché qui l’opère, lui qui habite en moi." Or il faut entendre par "En moi" la chair jointe à l’appétit sensible. "Car je sais," par la raison et par l’expérience, "que le bien," à savoir, celui de la grâce par laquelle j’ai été racheté, "n’habite pas en moi." Mais de peur que l’on n’entende par "En moi" la raison, l’Apôtre indique le second sens donné plus haut: "C’est-à-dire dans ma chair." Car en moi, c’est-à-dire dans mon coeur, le bien habite, selon cette parole (Ephés., III, 17): "Que le Christ habite dans vos coeurs par la foi."

On voit par là que cette parole de S. Paul ne peut favoriser l’erreur des Manichéens, qui prétendent que, de sa nature, la chair n’est pas bonne, et qu’ainsi cette créature de Dieu n’est pas bonne, bien qu’il soit écrit (I Tim., I, 4): "Ce que Dieu a créé est bon." L’Apôtre, en effet, ne traite pas ici du bien de la nature, mais du bien de la grâce, par laquelle nous sommes délivrés du péché.

Que si ce passage se rapporte à l’homme vivant dans le péché, l’Apôtre paraîtrait ajouter sans nécessité ce qui suit (verset 18): "c'est-à-dire dans ma chair;" parce que dans l’homme pécheur le bien de la grâce n’habite pas, ni quant à la chair ni quant à l’esprit; à moins peut-être qu’en forçant le sens, on ne veuille entendre, d’après les explications précédentes, que le péché, qui est la privation de la grâce, s’étend en quelque sorte de la chair à l’esprit.

B) En disant (verset 18): "Le vouloir réside en moi," S. Paul explique ce qui précède: d’abord, d’après la faculté qui appartient à l’homme; ensuite, d’après l’action de l’homme qui manifeste l’existence de cette faculté, à ces mots (verset 19): "Ainsi je ne fais pas le bien que je veux." a) Il dépeint la faculté de l’homme premièrement quant à la volonté qui paraît être sous sa puissance, ce qui lui fait dire: "En effet, le vouloir réside en moi," c’est-à-dire est proche de moi et comme sous ma puissance; car, comme dit S. Augustin, rien n’est tant sous le vouloir de l’homme que sa volonté même. Secondement il fait voir la puissance de l’homme, ou plutôt son impuissance, quant à la consommation de l’acte, lorsqu’il ajoute (verset 18): "Mais je ne trouve pas en moi le moyen d’accomplir le bien," à savoir, je ne trouve pas ce moyen comme existant en ma puissance, selon ce passage (Prov., XVI, I ): "C’est à l’homme à. préparer son âme;" et plus loin (ibid., 9): "Le coeur de l’homme dispose sa voie, mais c’est au Seigneur à conduire ses pas." Cependant ce pas sage parait favoriser les Pélagiens, qui prétendaient que le commencement de la bonne oeuvre venait de nous-mêmes, en tant que nous voulons le bien. Il semble que telle est la pensée de l’Apôtre "Je ne trouve pas le moyen de l’accomplir." Mais S. Paul rejette cette interprétation, lorsqu’il dit aux Philippiens (II, 3): "C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire."

Quand donc S. Paul dit (verset 18): "Réside en moi," c’est-à-dire en moi guéri par la grâce,"le vouloir de faire le bien," cela vient de l’opération de la grâce divine, par laquelle non seulement je veux le bien, mais de plus je fais quelque chose de bien en résistant à la convoitise et en agissant contre elle, conduit que je suis par l’Esprit; mais je ne trouve pas en mon pouvoir le moyen de mener le bien à perfection, c’est-à-dire de détruire entièrement la concupiscence. Et, en cela, on a la preuve que le bien de la grâce n’habite pas dans ma chair, parce que s’il y habitait, de même que je peux vouloir le bien par la grâce qui habite dans mon esprit, je pourrais l’accomplir par cette grâce qui habiterait dans ma chair. Que si l’on rapporte ce passage à l’homme vivant dans le péché, on peut l’entendre en prenant le vouloir pour une volition incomplète, qui, par l’instinct de la nature, excite au bien tous ceux qui pèchent; mais ce vouloir est près de l’homme, c'est-à-dire gisant près de lui, comme dans un état d’infirmité, jusqu’à ce que la grâce donne à la volonté l’efficacité pour accomplir le bien. b) Lorsque l’Apôtre dit (verset 19): "Et je ne fais pas le bien que je veux," il explique ce qu’il a dit par l’action de l’homme, signe et effet de la faculté humaine. On voit, en effet, que l’homme ne trouve pas le moyen d’accomplir le bien, en ce qu’il ne fait pas le bien qu’il veut, tandis qu’il fait le mal qu’il ne veut pas. Ce sens a déjà été exposé.

Lorsque ensuite il dit (verset 20): "Si donc je fais ce que je neveux pas," S. Paul tire la conclusion annoncée plus haut, quand il a dit (verset 17): "Or, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais, mais c’est le péché qui habite en moi." Nous l’avons expliqué. Il faut toutefois remarquer que d’un seul moyen terme, à savoir: "Je fais ce que je ne veux pas," l’Apôtre aboutit aux deux conclusions qu’il avait posées, à savoir: la bonté de la Loi, lorsqu’il dit (verset 16): "Or, si je fais ce que je ne veux pas, j’acquiesce à la Loi comme étant bonne;" et, en second lieu, le règne du péché dans l’homme, lors qu’il dit (verset 20): "Si donc je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi." De ces deux conclusions, la première se rapporte à ce qu’il avait dit (verset 14): "Nous savons que la Loi est spirituelle;" la seconde, à ce qu’il avait dit encore (verset 14): "Mais moi je suis charnel, et vendu comme esclave au péché." Mais la première conclusion sur la bonté de la Loi, S. Paul la tire de ce moyen terme, à raison de cette parole: "Je ne veux pas," parce que sa raison ne veut pas ce que la Loi défend; d’où il est évident que la Loi est bonne. Et de cette parole: "Je le fais," il conclut que le péché domine dans l’homme, parce qu’il agit contre la volonté de la raison.



Romains 7, 21 à 25: Le foyer du péché

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075 (
Rm 7,21-25)





SOMMAIRE: L’Apôtre traite de la loi du foyer. Elle parait originairement placée dans l’appétit sensitif; mais, en se dilatant, elle atteint tous les membres, qui apportent leur concours à la concupiscence pour pécher.



21. Je trouve donc, quand je veux faire le bien, cette loi, que le mal réside en moi.

22. Car je me complais dans la loi de Dieu, selon l’homme intérieur,

23. Mais je sens dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit et me captive sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres.

24. Malheureux homme que je suis! Qui me délivrera de ce corps de mort?

25. La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur. Ainsi j’obéis moi-même par l’esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché.



Après avoir montré que la Loi est bonne en ce qu’elle concorde avec la raison, S. Paul déduit ici deux conclusions correspondant aux deux points qu’il a établis; la seconde, à ces mots (verset 23): "Je sens dans mes membres une autre loi."



I° A l’égard de la première, I. il la déduit de ce qui précède; II. Il emploie un signe pour que sa preuve soit plus claire, à ces mots (verset 22): "Je me complais dans la loi de Dieu."

I. S. Paul avait avancé plus haut, premièrement, que la Loi est spirituelle; ce point prouvé, il conclut en disant: "Je trouve donc," à savoir, par l’expérience, que la loi de Moïse s’accorde avec moi "quand je veux faire le bien" par ma raison, au moyen de laquelle j’approuve le bien et déteste le mal, de même que la Loi ordonne le bien et détend le mal (Deut., XXX, 14): "Ce commandement est près de vous, dans votre bouche et dans votre coeur, afin que vous l’accomplissiez." Il a été nécessaire qu’il en fût ainsi, "parce que le mal," c’est-à-dire le péché ou le foyer du péché," réside en moi," en d’autres termes est près de ma raison, habitant en quelque sorte dans ma chair (Michée, VII, 5): "A celle qui dort sur votre sein," c’est-à-dire à la chair, "fermez les secrets de votre bouche."

II. En disant (verset 22): "Car je me complais," il donne un signe qui fait voir que la Loi concorde avec la raison. Car nous ne trouvons du plaisir que dans ce qui nous convient; or l’homme agissant selon la raison trouve du plaisir dans la loi de Dieu: la loi de Dieu s’accorde donc avec la raison. C’est ce que dit S. Paul (verset 22): "Car je me complais dans la loi de Dieu, selon l’homme intérieur," c’est-à-dire selon la raison et l’intelligence, qui prennent le nom d’homme intérieur, non parce que l’âme a été faite selon la forme de l’homme, comme Tertullien l’a dit, ou parce qu’elle seule est l’homme, comme Platon l’a prétendu, car l’homme est une âme servie par un corps, mais parce qu’on appelle homme, comme on l’a dit, l’être principal qu’on trouve en lui. Or, dans l’homme, le principal, en apparence, c’est ce qui est extérieur, à savoir: le corps, tellement configuré qu’il est appelé l’homme extérieur; mais, selon la vérité, c’est ce qui est intérieur, à savoir l’intelligence ou la raison, qu’on appelle ici l’homme intérieur (Ps., CXVIII, 103): "Que vos paroles sont douces à ma bouche!" et (I Macchab., XII, 9): "Trouvant notre consolation dans les saints livres qui sont dans nos mains."

II° Lorsque S. Paul dit (verset 23): "Mais je sens dans mes membres une autre loi," il pose une seconde conclusion, qui répond à celle qu’il avait établie plus haut en second lieu (verset 14): "Et moi je suis charnel." En disant ici (verset 23): "Je sens dans mes membres une autre loi," il indique le foyer du péché, qu’on peut regarder comme une loi de deux manières: d’abord, en raison de la similitude des effets: de même que la Loi porte à faire le bien, de même le foyer porte à faire le mal; ensuite, par comparaison à la cause, car le foyer, étant en quelque sorte la peine du péché, vient d’une double cause. L’une est le péché même, qui, dans le pécheur, a pris la domination et lui a imposé une loi qui est le foyer même, comme un maître impose ses lois à un esclave vaincu. La seconde cause du foyer, c’est Dieu lui-même, qui a infligé à l’homme, comme châtiment, que ses puissances inférieures ne fussent plus soumises à sa raison. Dans ce sens, la désobéissance de ces forces inférieures, qu’on appelle foyer, prend le nom de loi, en tant qu’elle a été introduite par la divine justice comme la sentence d’un juge légitime, laquelle a force de loi, selon ce passage (I Rois, XXX, 15): "Et cela a été, dès ce jour et dans la suite, ordonné et établi, et observé comme loi en Israël jusqu’aujourd’hui." Or cette loi consiste originairement dans l’appétit sensible, mais on la trouve répandue dans tous les membres qui servent à la convoitise pour enfanter le péché, ainsi qu’il a été dit (Rom., VI, 19): "Comme vous avez fait servir vos membres à l’iniquité et à l’injustice pour l’iniquité, etc." Voilà pourquoi S. Paul dit: "Dans mes membres." Or cette loi a deux effets dans l’homme d’abord elle résiste à la raison. Quant à cet effet, S. Paul dit (verset 23): "Qui combat la loi de mon esprit," c’est-à-dire la loi de Moïse, appelée loi de l’esprit en tant qu’elle est conforme à l’esprit; ou qui combat la loi naturelle, appelée aussi loi de l’esprit, parce qu’elle est donnée naturellement à l’homme (Rom., II, 15): "Montrant ainsi l’oeuvre de la Loi écrite dans leurs coeurs." C’est de ce combat qu’il est dit (Gal., V, 17): "La chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit." Le second effet de la loi du foyer est de réduire l’homme en servitude. S. Paul l’indique en ajoutant (verset 23): "Qui me captive," selon une autre version: qui me mène captif, "sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres," c’est-à-dire en moi-même, locution hébraïque par laquelle on emploie le nom au lieu du pronom. Or la loi du péché captive l’homme de deux manières: d’abord l’homme pécheur, par le consentement et par l’acte du péché; ensuite l’homme en état de grâce, par le mouvement de la concupiscence. Le Psalmiste parle de cette captivité (CXXV, 4): "Lorsque le Seigneur délivrera Sion de sa captivité."

III° Lorsque l’Apôtre dit (verset 24): "Malheureux homme que je suis!" il parle de la délivrance de la loi du péché. Sur ce point, I. il pose la question; II. Il donne la réponse, à ces mots (verset 5): "La grâce de Dieu, etc.;" III. Il tire la conclusion, à ces autres (verset 25): "Ainsi j’obéis moi-même."

I. Sur la question, il fait

un aveu, celui de sa misère, lorsqu’il dit (verset 24): "Malheureux homme, etc.," et cela à cause du péché qui habite dans l’homme, soit quant à la chair seulement, comme dans l’homme juste, soit même quant à l’esprit, comme dans l’homme pécheur (Prov., XIV, 34): "Le péché rend les peuples malheureux;" et (Ps., XXXVII, 7): "Je suis devenu misérable et tout courbé."

Il exprime une autre demande, en disant (verset 24): "Qui donc me délivrera de ce corps de mort?" Forme interrogative qui est celle du désir. Ainsi s’exprime le Psalmiste (CXLI, 8): "Tirez mon âme de cette prison." Il faut toutefois remarquer que dans le corps de l’homme on peut considérer, d’abord, la nature même de ce corps, qui est en rapport avec l’âme; aussi ne veut-il pas se séparer d’elle (II Cor., V, 4): "Nous désirons non pas être dépouillés, mais être revêtus par dessus." Ensuite, la corruption du corps, qui appesantit l’âme, comme il est dit (Sag., IX, 15): "Le corps qui se corrompt appesantit l’âme, etc." Voilà pourquoi S. Paul dit expressément: "De ce corps de mort."

II. Lorsqu’il ajoute (verset 25): "La grâce de Dieu," il répond à la question. Car l’homme ne peut par ses propres forces se délivrer de la corruption du corps, ni même de celle de l’âme, bien que l’âme donne son assentiment à la raison contre le péché, mais uniquement par la grâce de Jésus-Christ, selon ces paroles de S. Jean (VIII, 36): "Si le Fils vous affranchit, vous serez vraiment libres." Voilà pour quoi S. Paul continue (verset 25): "La grâce de Dieu, à savoir, me délivrera, laquelle grâce est donnée par Jésus-Christ (Jean, I, 17): "La grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ." Or la grâce affranchit l’homme de ce corps de mort de deux manières: première ment, en faisant que la corruption du corps ne domine plus l’esprit et ne l’entraîne plus au péché; secondement, en détruisant entièrement la corruption du corps. Quant au premier de ces effets, le pécheur peut dire: "La grâce m’a délivré de ce corps de mort," c’est-à-dire m’a délivré du péché vers lequel l’âme est poussée par la corruption du corps. Mais le juste est déjà affranchi de ce premier effet. Il peut donc dire quant au second: "La grâce m’a délivré de ce corps de mort," en sorte que la corruption du péché, ou de la mort, ne se trouve plus dans mon corps; ce qui aura lieu dans la résurrection.

III. Lorsqu’il ajoute (verset 25): "Ainsi j’obéis moi-même," l’Apôtre tire la conclusion. Elle est diversement déduite selon la diversité des précédentes explications. En effet, si ce qui précède s’applique à la personne du pécheur, voici la conclusion: il a été dit que la grâce de Dieu m’a affranchi de ce corps de mort afin qu’il ne m’entraîne plus au péché; donc, étant affranchi, "j’obéis moi-même à la loi de Dieu par l’esprit, et par la chair j’obéis à la loi du péché," qui vit encore dans la chair quant au foyer, par lequel la chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit. Si l’on applique ce qui précède à la personne du juste, il faut ainsi conclure: la grâce de Dieu donnée par Jésus-Christ m’a délivré de ce corps de mort, en sorte que la corruption du péché et de la mort ne vive plus en moi; donc, pour ce qui est de moi, à savoir, avant mon affranchissement, "j’obéis par l’esprit à la loi de Dieu," en y donnant mon assentiment, "et par la chair j’obéis à la loi du péché," en tant que ma propre chair, selon la loi de la chair elle-même, est surexcitée aux désirs de la convoitise.




Thomas A. sur Rm (1869) 33