Thomas A. sur Rm (1869) 39

Romains 8, 23 à 27: Patienter jusqu'à la gloire future

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Rm 8,23-27)





SOMMAIRE. Grandeur de la gloire future, démontrée par l’attente des apôtres, qui, l’attendant dans la patience, ne voient pas, mais espèrent.

23. Et non seulement elles, mais encore nous-mêmes qui possédons les prémices de l’Esprit; oui, nous-mêmes nous gémissons au-dedans de nous, attendant l’adoption des enfants de Dieu, la rédemption de notre corps.

24. Car c’est en espérance que nous avons été sauvés. Or l’espérance qui se voit n’est plus l’espérance; car ce que l’on voit, comment l’espérerait-on?

25. Que si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons avec patience.

26. De même l’Esprit aussi aide notre faiblesse, car nous ne savons ce que nous devons demander pour prier comme il faut; mais l’Esprit lui-même demande pour nous avec des gémissements ineffables.

27. Et Celui qui scrute les coeurs entend ce que désire l’Esprit, car c’est selon Dieu qu’il demande pour les saints.

L’Apôtre a fait ressortir l’excellence de la gloire future par l’attente de la créature; il tire maintenant la même preuve de l’attente des apôtres. En effet, ce qui est attendu par de tels hommes et avec tant d’anxiété ne saurait être de vil prix. Il expose ce qu’il veut établir; II° il prouve sa proposition, à ces mots (verset 24): "Car nous ne sommes sauvés..."

I° Sur le premier de ces points, il faut observer trois choses:

I. Il montre la dignité de ceux qui attendent, lorsqu’il dit (verset 23): "Non seulement elles," à savoir les créatures, "attendent la gloire des enfants de Dieu," mais aussi "nous-mêmes," c’est-à-dire nous autres apôtres, "qui avons les prémices de l’Esprit;" car les apôtres ont obtenu les premiers dans l’ordre du temps, et plus abondamment que tous les autres, l’Esprit Saint, comme, dans les fruits de la terre, celui qui parvient le premier à la maturité est le meilleur et le plus recherché (Jérémie II, 3): "Israël fut le saint de Jéhovah, les prémices de ses fruits;" et (Hébr., XII, 22 et 23): "Vous vous êtes approchés... de l’assemblée des premiers-nés qui sont écrits dans le ciel." Il est évident par là que de tous les saints, de quelque prérogative qu’ils brillent: virginité, doctrine, science ou martyre, toujours les apôtres sont les premiers, parce qu’ils ont reçu avec plus d’abondance l’Esprit Saint.

Cependant on peut objecter que quelques autres saints ont supporté pour Jésus-Christ de plus cruels tourments, de plus grandes austérités que les apôtres.

Mais il faut remarquer que la grandeur du mérite, dans sa condition principale et par rapport à la récompense essentielle, se mesure sur la charité. Car la récompense essentielle consiste dans la joie que l’élu ressent de la possession de Dieu. Or il est manifeste que ceux-là se réjouiront de Dieu davantage qui l’aiment davantage. Aussi le Sauveur promet à son bien-aimé cette vision béatifique, en disant (Jean, XIV, 21): "Celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et je l’aimerai aussi, et je me manifesterai à lui." Mais quant au nombre des oeuvres, l’élu mérite une récompense accidentelle, qui consiste dans la joie de ces oeuvres. Les apôtres donc firent les oeuvres qu’ils ont opérées avec une plus grande charité, laquelle disposait leur coeur à en produire beaucoup d’autres, s’il l’eût fallu.

L’on dira peut-être qu’un homme pourrait faire assez d’efforts pour s’élever à une charité équivalente à celle des apôtres.

A cela il faut répondre que dans l’homme la charité ne vient pas de lui, mais de la grâce de Dieu, "qui est départie à chacun selon la mesure du don du Christ" (Ephés., IV, 7). Or Dieu accorde à chaque homme une mesure de grâce proportionnée à la fin pour laquelle il est choisi. C’est ainsi qu’une grâce très excellente a été donnée à l’Homme-Dieu, parce que, dans la prédestination divine, sa nature devait être élevée à l’unité de la personne divine; après lui, la bienheureuse Marie a obtenu une grande plénitude de grâces, choisie qu’elle était pour être la mère de Jésus-Christ. Mais parmi les autres saints, les apôtres ont été choisis pour une dignité plus excellente, c’est-à-dire pour recevoir immédiatement de Jésus-Christ et transmettre aux autres ce qui concerne le salut, puisque l'Eglise repose en quelque sorte sur eux, suivant cette parole de l’Apocalypse (XXI, 14): "La muraille de la ville avait douze fondements, et sur eux les douze noms des apôtres de l’Agneau." Voilà pourquoi il est dit (I Corinthiens XII, 28): "Dieu a établi dans son Eglise premièrement des apôtres." C’est la raison aussi pour laquelle Dieu leur a donné, de préférence à tous les autres saints, une grâce plus abondante.

II. L’Apôtre exprime l’ardeur de l’attente, lorsqu’il dit (verset 23): "Oui, nous aussi, nous gémissons au-dedans de nous..." Or ce gémissement désigne l’affliction causée par le retard de ce qu’on attend avec un vif désir, selon cette parole des Proverbes, déjà citée (XIII, 12): "L’espérance qu’on traîne après soi afflige l’âme; et encore (Psaume VI, 7): "Je me suis très fatigué dans mes gémissements."

Cependant ce gémissement est plus intérieur qu’extérieur, soit parce qu’il procède du sentiment intime du coeur, soit parce qu’il a pour objet les biens intérieurs. Aussi l’Apôtre dit-il (verset 23): "Au-dedans de nous;" (Lament. de Jérémie I, 22): "Mes gémissements sont nombreux."

III. S. Paul exprime l’objet de l’attente, en disant (verset 23): "En attendant l’adoption des enfants de Dieu," c’est-à-dire de l’effet complet de cette adoption. Car elle est commencée par l’Esprit Saint, qui justifie l’âme, comme il a été dit plus haut (verset 45): "Vous avez reçu l’Esprit d’adoption des enfants." Mais elle sera consommée quand le corps lui-même sera glorifié. C’est ce qui faisait dire à l’Apôtre, plus haut (Rom., V, 2): "Nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des enfants de Dieu. Voilà aussi pourquoi S. Paul ajoute (verset 23): "Qui sera la rédemption de nos corps," c’est-à-dire, de même que notre âme a été rachetée du péché, notre corps sera racheté de la corruption et de la mort (Osée, XIII, 14): "Je les arracherai des mains de la mort," et (Philipp., III, 21): "Il changera notre misérable corps en le rendant conforme à son corps glorifié."

II° Lorsqu’il dit (verset 24): "En effet, nous n’avons été sauvés qu’en espérance," S. Paul prouve par un raisonnement ce qu’il avait avancé. Il dit: L’espérance a pour objet des choses qui ne tombent pas présentement sous notre regard, mais qui sont attendues dans l’avenir; or nous ne sommes sauvés qu’en espérance: donc nous attendons dans l’avenir l’effet complet du salut.

I. L’Apôtre pose la mineure, en disant (verset 24): "Nous autres apôtres et les autres fidèles, nous n’avons été sauvés qu’en espérance," c’est-à-dire parce que nous avons l’espérance de notre salut (I Pierre, I, 3): "Il nous a régénérés dans une espérance vive, etc.; et (Psaume LXI, 9): "Espérez en lui, ô vous qui formez l’assemblée de son peuple."

II. Il pose la majeure, en disant (verset 24): "Or l’espérance," c’est-à-dire la chose espérée qui est vue et qui est maintenant en notre présence, n’est plus une espérance, c’est-à-dire la chose espérée, mais la chose possédée. Car l’espérance, c’est l’attente de l’avenir (Soph., III, 8): "Attendez-moi pour le jour à venir de ma résurrection."

III. S. Paul prouve la majeure, en disant (verset 24): "Car comment espérer ce qu’on voit déjà?" c’est-à-dire pourquoi l’espérer? Comme s’il disait: l’espérance suppose un mouvement de l’âme qui tend vers une chose qu’elle n'a pas; mais du moment qu’on possède déjà une chose, il n’est plus nécessaire de tendre vers elle. Il faut observer que, l’espérance ayant en quelque sorte sa racine dans la foi, S. Paul lui attribue comme objet ce qui appartient à la foi, c’est-à-dire les choses qu’on ne voit pas, ainsi qu’il le dit aux Hébreux (XI, 1): "La foi est la preuve des choses que nous ne voyons pas."

IV. L’Apôtre déduit sa conclusion, en disant (verset 2): "Or, si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore," il s’ensuit que "nous l’attendons par la patience." Il faut remarquer ici que la patience, dans son sens propre, suppose qu’on supporte les épreuves avec une certaine égalité d’âme (Rom., X, 12): "Soyez patients dans les maux." Mais, parce que le délai du bien a comme le caractère de la douleur, il s’ensuit que l’attente prolongée des biens absents, supportée avec tranquillité d’âme, est attribuée à la patience, bien qu’elle appartienne principalement à la longanimité, suivant ce que dit S. Jacques (verset 7): "Mes fières, persévérez dans la patience jusqu’à l’avènement du Seigneur." La patience est prise ici dans l’un et l’autre sens, parce que les apôtres attendaient la gloire sans s’impatienter ni du délai ni des épreuves.

III° Lorsqu’il dit (verset 26): "De même aussi l’Esprit Saint aide notre faiblesse," S. Paul fait voir comment nous sommes aidés par l’Esprit Saint au milieu des misères de cette vie: d’abord, quant à l’accomplissement des désirs; ensuite, quant à la marche des événements extérieurs, à ces mots (verset 28): "Nous savons que tout coopère au bien..." Sur le premier de ces points, I. Il énonce sa proposition. II. Il la développe, à ces mots (verset 26): "Car nous ne sayons ce que nous devons demander."

I. Il dit donc d’abord: J’ai avancé que l’Esprit Saint vivifiera nos corps mortels quand nous serons délivrés de nos infirmités Pareillement même dans la condition de cette vie présente, où nous sommes encore soumis à l’infirmité, "l’Esprit aide notre faiblesse," bien qu’il ne l’enlève pas totalement (Ezéch., III, 14): "L’Esprit me souleva et m’emporta; et je m’en allai plein d’amertume dans l’indignation de mon âme, comme si l’infirmité n’eût pas entièrement cessé; "car la main du Seigneur était avec moi, me fortifiant." C’est en cela que l’Esprit m’a enlevé (Matthieu XXVI, 41): "L’esprit est prompt, mais la chair est faible.

II. Lorsque S. Paul dit (verset 2): "Car nous ne savons ce que nous devons demander, "il explique ce qui précède et fait voir: la nécessité du secours de l’Esprit Saint, ce qui se rapporte à la faiblesse de la vie présente; le mode de ce secours, à ces mots (verset 26): "Mais l’Esprit lui-même demande pour nous;" son efficacité, à ces autres (verset 27): "Et celui qui scrute les coeurs..."

Il dit donc (verset 26): "Je dis avec vérité que "l’Esprit aide notre faiblesse," car cette faiblesse, nous la sentons en ce que "nous ne savons pas ce que nous devons demander" (Job, III, 23): "Les voies de l’homme lui sont cachées, et Dieu l’enveloppe de ténèbres." Remarquez que l’Apôtre dit que nous ne savons pas deux choses: ce qu’il faut demander, et comment il faut le demander.

Ne semble-t-il pas cependant que ni l’un ni l’autre ne soit vrai? Car d’abord ce que nous devons demander, nous le savons, puisque Notre Seigneur nous l’a appris (Matth., VI, 9): "Que votre nom soit sanctifié, etc." Il faut répondre qu’à la vérité nous savons ce qu’il est convenable de demander, mais nous le savons en général, et non pour les cas particuliers. Nous ne le pouvons pas savoir, premièrement parce que, si nous désirons faire quelque acte de vertu, ce qui est accomplir la volonté de Dieu sur la terre comme dans le ciel, il peut arriver que cet acte ne soit pas convenable pour telle ou telle personne. Par exemple, à qui pourrait avancer utilement dans la voie active, le repos de la contemplation ne convient pas, et réciproquement, comme l’a remarqué S. Grégoire sur celte parole de Job (verset 26): "Vous entrerez dans le tombeau après avoir achevé les années de votre vie." C’est de là qu’il est dit (Proverbes XIV, 12): "Il est aux yeux de l’homme une voie droite, dont l’extrémité touche à la mort." Secondement on peut désirer un bien temporel pour sustenter sa vie: c’est demander son pain de chaque jour; ce bien, cependant, peut devenir un danger de mort. Beaucoup, en effet, ont péri à cause de leurs richesses (Ecclésiastique V, 12): "Des richesses conservées pour le mal heur de leur possesseur." Troisièmement on peut demander d’être délivré de l’incommodité de la tentation, laquelle vient cependant en aide pour conserver l’humilité. C’est ainsi que S. Paul demande d’être délivré de "l’aiguillon," qui cependant lui avait été donné "de peur que la grandeur de ses révélations ne lui donnât de l’orgueil." (II Cor., XII, 17).

Il semble aussi que nous sachions comment il faut prier, d’après cette parole de S. Jacques (I, 6): "Qu’il demande avec un senti ment de foi, sans aucune hésitation." Il faut répondre que nous pouvons le savoir en général, mais nous ne pouvons toujours discerner quel sentiment particulier de notre coeur nous fait demander, par exemple si nous demandons quelque chose par un mouvement d’humeur ou par zèle pour la justice. C’est ainsi que la demande des enfants de Zébédée (Matth., XX, 22) fut rejetée, parce que, bien qu’ils parussent demander d’entrer en participation de la gloire divine, cette demande, cependant, procédait de je ne sais quel sentiment d’amour-propre ou de vaine gloire.

Lorsqu’il dit (verset 26): "Mais l’Esprit lui-même," l’Apôtre indique le mode d’action de l’Esprit Saint, en disant (verset 26): "L’Esprit lui-même demande pour nous avec des gémissements inénarrables."

Ne semblerait-il pas que ce passage favorise l’erreur d’Arius et de Macédonius (1), qui prétendaient que l’Esprit Saint était une créature inférieure au Père et au Fils? C’est, en effet, à l’inférieur à demander.

(1) Macédonius, évêque de Constantinople, en opposition contre les Ariens, protégés par Constance, reconnut la divinité du Verbe, que les Ariens niaient, et nia la divinité du Saint Esprit, que les catholiques reconnaissaient aussi bien que la divinité du Verbe.

Les Ariens combattaient également la divinité du Verbe et la divinité du Saint Esprit, sans combattre formellement celle-ci. Macédonius trouva sans force les principes des Ariens contre la divinité de Jésus-Christ; il rejeta le terme de consubstantiel, mais reconnut toujours la divinité de Jésus-Christ, et, ne voyant pas la divinité du Saint Esprit aussi clairement exprimée dans les Ecritures, il se servit des principes mêmes des Ariens pour prouver, à sa manière, que le Saint Esprit n’était qu’une créature.



Mais si de ce mot de S. Paul: "L’Esprit Saint demande," nous concluons qu’il est créature passible et inférieur au Père, il s’ensuit également de cette autre parole de l’Apôtre: "Il demande avec des gémissements," que nous devons conclure que le Saint Esprit est une créature passible et privée de la béatitude. Or aucun hérétique n’a osé le dire jusqu’ici; car le gémissement procède de la douleur qui se rapporte à la faiblesse. Il faut donc expliquer: "Il demande," par: il nous fait demander, dans le même sens qu’a ce mot de la Genèse (XXII, 42): "Maintenant je connais que tu crains le Seigneur," pour: j’ai fait connaître.

L’Esprit Saint nous fait demander, en tant qu’il excite en nous de justes désirs; car la demande est une sorte d’application des désirs. Or les désirs conformes à l’ordre procèdent de l’amour de charité que l’Esprit Saint produit en nous (Rom., V, 5): "L’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné." Or, lorsque l’Esprit Saint nous dirige et excite des sentiments dans nos coeurs, nos désirs ne peuvent que nous être profitables (Is 48,17): "Je suis le Seigneur votre Dieu, qui vous enseigne ce qui est bon." Voilà pourquoi S. Paul ajoute (verset 26): "Pour nous." Or le délai de ce que nous désirons vivement, de ce que nous de mandons avec de tels désirs, nous le souffrons avec douleur, avec des gémissements aussi l’Apôtre dit-il (verset 26): "Avec des gémissements," à savoir, ceux que l’Esprit Saint produit dans notre âme, c’est-à-dire en tant qu’il nous fait désirer les choses Célestes qui sont différées pour notre âme. C’est ce gémissement de la colombe que l’Esprit Saint excite en nous (Nahum, II, 7): "Les femmes étaient emmenées soupirant comme la colombe." S. Paul dit: "Des gémissements inénarrables" parce qu’ils ont pour objet des biens inénarrables à savoir, la gloire céleste (II Cor., X, 4): "Il a entendu des paroles mystérieuses, qu’il n'est pas permis à l’homme de répéter;" ou parce que les sentiments du coeur, en tant qu’ils procèdent de l’Esprit Saint, ne peuvent être suffisamment expliqués (Job, XXXV, 37): "Qui racontera l’ordre des cieux ?"

Quand S. Paul dit (verset 27): "Et Celui qui scrute les coeurs," il fait voir l’efficacité du Secours par lequel l’Esprit Saint nous aide, en disant (verset 27): "Et Celui qui scrute les coeurs," c’est-à-dire Dieu à qui il appartient de sonder les coeurs (Psaume VII, 10): "O Dieu qui sondez les coeurs et les reins!" Quand on dit que Dieu scrute les coeurs, ce n’est pas qu’il ait à chercher les secrets des coeurs pour les connaître, mais parce qu’il connaît clairement ce qui est caché dans les coeurs (Soph., I, 12): "Je scruterai Jérusalem, la lampe à la main." Dieu, dis-je, en sondant les coeurs, "sait," c’est-à-dire approuve, selon ce que S. Paul écrit à Timothée (II Tim., II, 19): "Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui (verset 27), "ce que désire l’Esprit," c’est-à-dire ce qu’il nous fait désirer (Psaume XXXVII, 9): "Seigneur, tous mes désirs sont en votre présence. Le motif pour lequel les désirs que l’Esprit Saint produit dans le coeur des saints sont agréables à Dieu, "c’est qu’il demande pour les saints," autrement, qu’il les porte à demander "ce qui est selon Dieu," en d’autres termes ce qui est selon le vouloir divin (Proverbes X, 23): "Le désir des justes se porte à tout bien." Le Sauveur nous en donnait l’exemple quand il disait à son Père (Matth., XXV, 39): "Mon Père, qu’il soit fait non pas comme je veux, mais comme vous voulez."





Romains 8, 28 à 32: Le secours du Saint Esprit

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Rm 8,28-32)




SOMMAIRE: L’Apôtre prouve que le Saint Esprit nous aide et nous dirige dans les biens extérieurs, afin de les faire concourir à notre bien spirituel.

. 28. Or nous savons que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui, selon son décret, sont appelés à être saints.

29. Car ceux qu’il a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés à être conformes l’image de son Fils afin qu’il fût lui-même l'aîné entre beaucoup de frères.

30. Et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés, et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés

31. Que dirons-nous donc après cela? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?

32. S’il n’a pas épargné même son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous, comment ne nous aura t-il pas donné toutes choses avec lui?

L’Apôtre a montré que l’Esprit nous aide au milieu des infirmités de la vie présente à obtenir l'objet de nos désirs; il fait voir ici comment il nous aide dans les événements extérieurs, en les dirigeant pour notre bien. Il énonce ce qu’il veut établir; II° il le prouve, à ces mots (verset 29): "Car ceux qu’il a connus dans sa prescience;" III° de ce qu’il a dit il déduit une conclusion, à ces autres (verset 35): "Qui donc nous séparera?"

I° Sur sa proposition, il faut considérer deux choses:

I. La grandeur du don qui nous est fait par l’Esprit Saint à savoir (verset 28), que pour nous tout coopère au bien. Pour rendre ceci évident, remarquez que tout ce qui se fait dans le monde, même le mal, concourt au bien général, parce que, comme S. Augustin (Enchiridion, XI) le remarque, Dieu est tellement bon, qu’il ne permettrait aucun mal, s’il n’était assez puissant pour tirer du bien de quelque mal que ce soit. Mais le mal ne tourne pas toujours au bien de celui en qui il se trouve car, de même que la corruption d’un animal concourt au bien général, en ce que la corruption de l’un sert à la reproduction de l’autre, sans toutefois qu’elle serve au bien de celui qui se corrompt, Dieu voulant en lui-même le bien du tout, dont toutes les parties se rapportent à lui-même, la même raison paraît déterminer la relation des plus nobles parties aux autres, parce que le mal de ces dernières est dirigé pour le bien des plus nobles. Mais tout ce qui se fait à l’égard de celles-ci ne se rapporte qu’à elles-mêmes, parce que c’est pour elles-mêmes qu’on en prend soin, et pour elles encore qu’on prend soin des autres. C’est ainsi que le médecin tolère la maladie du pied, afin de guérir la tête. Or, entre toutes les parties du tout, les saints de Dieu tiennent le premier rang, et à chacun d’eux appartient ce qui est dit en S. Matthieu (XXXV, 47): "Il l’établira sur tous ses biens." C’est la raison pour laquelle tout ce qui arrive, soit à leur égard, soit à l’égard de tout le reste, contribue en tout à leur bien. Ainsi se vérifie ce qui est dit au livre des Proverbes (XI, 29): "Le riche dénué de sens sera l’esclave du sage," à savoir, parce que le mal même du pécheur tourne au bien des justes. Ce qui fait dire que Dieu a un soin particulier des justes, selon ce mot du Psalmiste (XXXI, 15): "Les yeux du Seigneur sont ouverts sur les justes," c’est-à-dire il veille sur eux de telle sorte qu’il ne leur arrive par sa permission aucun mal qui ne tourne à leur bien. Ceci est manifeste quant au mal de peine qu’ils ont à souffrir. Aussi la Glose dit-elle qu’en eux la faiblesse sert d’exercice à l’humilité, l’affliction à la patience, la contradiction à la sagesse, la haine à la bonté. Ce qui fait dire à S. Pierre (I Pierre II, l): "Si vous souffriez pour la justice, vous seriez heureux,"

Cependant les péchés tourneraient-ils aussi à leur bien? Quelques-uns répondent que les péchés ne sont pas compris dans ce mot de l’Apôtre: "Tout," parce que, selon S. Augustin (sur le Ps., LXVIII): "Le péché n’est qu’une négation, et pécher, pour l’homme, c’est ne pas être." Toutefois ce qui suit dans la Glose contredit cette explication: "Tout contribue tellement, par l’ordre de Dieu, au bien de ceux qui sont justes, que, si quelques-uns d’entre eux s’égarent et sortent de la voie, Dieu le fait servir même à leur bien." Ce qui fait dire aussi au Psalmiste (XXXVI, 24): "Si le juste tombe, il ne se brisera pas, car le Seigneur lui tend la main."

Mais, si cela est véritable, il s’ensuit que ceux qui sont tels se relèvent toujours avec une charité plus grande, puisque le bien de l’homme consiste dans la charité, dont l’Apôtre a dit (I Cor., XI, 2): "Sans la charité je ne suis rien." Il faut répondre que le bien de l’homme ne consiste pas seulement dans l’étendue de la charité, mais principalement en ce qu’elle persévère jusqu’à la mort, selon cette parole de S. Matthieu (XXIV, 13): "Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin sera sauvé." Or, quand le juste tombe, il se relève et plus prudent et plus humble. Aussi la Glose, après avoir dit que ces chutes font avancer les justes dans le bien, ajoute: C’est qu’ils en reviennent plus humbles et plus expérimentés. Car ils apprennent qu’ils doivent se réjouir avec crainte et sans s’arroger, en s’appuyant sur leur propre vertu, l’assurance de persévérer.

II. Il faut considérer à qui est accordé ce bienfait de l’Esprit Saint. Sur ce point, remarquez premièrement que l’Apôtre exige quelque chose du côté de l’homme, lorsqu’il dit (verset 28): "Pour ceux qui ai ment Dieu." En effet, l’amour de Dieu est produit dans les justes par l’Esprit Saint, qui fait en eux sa demeure, comme il a été dit sur le verset 2 de ce chapitre. Or c’est l’Esprit Saint lui-même qui nous dirige "dans la voie droite," comme dit le Psalmiste (XXVI, 11), et S. Pierre (I Pierre III, 13): "Qui aura la puissance de vous nuire si vous ne songez qu’à faire du bien?" et encore (Psaume CXVIII, 165): "Paix abondante à ceux qui aiment votre loi: il n’y a pas pour eux de scandale." Ceci est très raisonnable, parce que, selon cette parole (Proverbes VIII, 17): "J’aime ceux qui m’aiment," aimer c’est vouloir du bien à l’objet aimé; or, pour Dieu, vouloir c’est faire: "Car tout ce que Dieu a voulu, il l’a fait" (Psaume CXXXIV, 6). Voilà pourquoi Dieu tourne tout au bien de ceux dont il est aimé. Secondement il faut remarquer ce que Dieu fait pour les justes. D’abord il a prédestiné de toute éternité les fidèles; ensuite il les appelle dans le temps; enfin il les sanctifie. L'Apôtre indique ces trois bienfaits, lorsqu’il dit (verset 28): "Au bien de ceux qui sont appelés, selon son décret, à être saints," c'est-à-dire au bien de ceux qui ont été prédestinés, appelés et sanctifiés; en sorte que le terme "décret" se rapporte à la prédestination, laquelle, selon S. Augustin (de la Prédestination, VI), est la résolution de faire miséricorde (Eph., I, 41): "Nous qui sommes prédestinés," selon le décret de Celui qui opère toutes choses. L’expression "appelés" se rapporte à. la vocation (Is XLVI, 10): "Toutes mes volontés s’accompliront et mes résolutions seront immuables."

II° Lorsque l’Apôtre dit (verset 29): "Car ceux qu’il a connus dans sa prescience," il prouve ce qui précède par ce raisonnement: Rien ne peut nuire à ceux que Dieu protége; or Dieu protège les prédestinés qui l’aiment: donc rien ne peut leur nuire et tout leur tourne à bien. Il prouve: I. la mineure, à savoir, que Dieu protège les prédestinés; II. la majeure, à savoir, qu’à ceux qui sont ainsi protégés par Dieu, rien ne peut être nuisible, à ces mots (verset 31): "Après cela que dirons-nous?"

I. Sur le premier point: Dieu protége les prédestinés, S. Paul indique ce qui est préparé de toute éternité pour le salut des saints; ce qui leur est accordé dans le temps, à ces mots (verset 30): "Et ceux qu’il a prédestinés...

Sur ce qui est préparé de toute éternité pour le salut des saints, l’Apôtre indique: 1. la prescience; 2. la prédestination (verset 29): "Car ceux qu’il a connus dans sa prescience, il les a prédestinés."

A) Quelques commentateurs ont avancé que la prédestination est prise ici pour la préparation, qui se fait dans le temps, c’est-à-dire celle par laquelle Dieu prépare les saints à la grâce; ils parlent ainsi pour distinguer la prescience de la prédestination. Mais à considérer les choses de près, la prédestination et la prescience sont éternelles. Toutefois elles diffèrent en raison; car, ainsi qu’il a été dit plus haut (I, verset 4) sur ces mots: "Qui a été prédestiné," la prédestination suppose comme une disposition antécédente de ce que l’on doit faire. Or Dieu a prédestiné de toute éternité les dons qu’il devait faire à ses saints. La prédestination est donc éternelle. Elle diffère de la prescience en raison, parce que la prescience suppose seulement la connaissance des choses futures, tandis que la prédestination implique comme une sorte de causalité relativement à ces choses futures. Voilà pourquoi Dieu a la prescience des péchés mêmes; mais la pré destination a pour objet les biens du salut. De là S. Paul dit aux Ephésiens (I, 5): "Il nous a prédestinés, selon le décret de sa volonté, pour la louange et la gloire de sa grâce."

Sur l’ordre de la prédestination et de la prescience, quelques auteurs ont dit que la prescience des mérites des bons et des méchants était la raison de la prédestination et de la réprobation, laissant en tendre que Dieu prédestine quelques hommes parce qu’il prévoit qu’ils feront le bien et qu’ils croiront en Jésus-Christ. Dans ce sens on entend ainsi la lettre: "Ceux qu’il a connus dans sa prescience devoir être conformes à l’image de son Fils, il les a prédestinés." Cette explication ne manquerait pas de justesse si la prédestination regardait seulement la vie éternelle, qui est accordée aux mérites; mais elle comprend tout bienfait dans l’ordre du salut, préparé par Dieu pour l’homme, de toute éternité: par la même raison, tous les bienfaits que Dieu nous accorde dans le temps, il les a préparés de toute éternité. Donc avancer que nos mérites interviennent en ceci, et que leur prescience est la raison de la prédestination, c’est supposer que la grâce est donnée d’après nos mérites; que le principe des bonnes oeuvres vient de nous-mêmes, et leur perfection de Dieu. Il est donc plus convenable d’entendre le texte ainsi: "Ceux qu’il a connus dans sa prescience, il les a prédestinés à devenir conformes à l’image de son Fils," en sorte que cette conformité ne suit pas la raison de la prédestination, mais son terme et son effet. Car S. Paul dit aux Ephésiens (I, 5): "Il nous a prédestinés pour devenir ses enfants adoptifs." En effet, l’adoption des enfants n’est pas autre chose que cette conformité; car celui qui est adopté comme fils de vient conforme au fils véritable, d’abord par le droit de participer à l’héritage, comme il a été dit au verset 17 de ce chapitre même: "Si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers, et cohéritiers de Jésus-Christ;" ensuite par la participation de la splendeur du Fils, car il est engendré du Père comme "la splendeur de la gloire" (Hébreux I, 3). Aussi, en illuminant les saints de la lumière de la sagesse et de la grâce, il les fait devenir conformes à lui-même (Psaume CIX, 4): "Au milieu de la splendeur de vos saints, je vous ai engendré," c’est-à-dire vous qui êtes la source d’où découle toute la splendeur des saints. Ce que dit S. Paul: "A l’image de son Fils," peut être entendu de deux manières: d’abord, en regardant la construction de la phrase comme faite par apposition, en sorte que le sens serait: "Conformes à l’image de son Fils," lequel est l’image... (Col 1,15): "L’image du Dieu invisible." On peut ensuite l’envisager comme transitive; le sens serait: "Il les a prédestinés pour être conformes à son Fils," c’est-à-dire pour que nous portions son image (I Corinthiens XV, 49): "De même donc que nous avons porté l’image de l’homme terrestre, nous porterons aussi l’image de l’homme céleste." L’Apôtre ajoute: "Ceux qu’il a connus dans sa prescience, il les a aussi prédestinés; non pas qu’il prédestine tous ceux qu’il a connus dans sa prescience, mais parce qu’il ne pouvait les prédestiner à moins de les connaître ainsi (Jér., I, 5): "Avant de t’avoir formé dans les entrailles de ta mère, je t’ai connu."

B) L’Apôtre dit ensuite quel est l’effet de cette prédestination, en ajoutant (verset 29): "Afin qu’il fût lui-même le premier-né entre plusieurs frères." Car de même que Dieu a voulu communiquer à d’autres sa bonté naturelle, en les faisant participer à la ressemblance de cette bonté, en sorte que non seulement il fût bon, mais qu’il fût aussi le principe actif de tout ce qui se fait de bien, de même le Fils de Dieu a voulu communiquer la conformité avec sa filiation pour être non seulement fils, mais encore le premier d’entre les fils. Ainsi Celui qui par sa génération éternelle est Fils unique, selon cette parole de S. Jean (I, 18): "Le Fils unique qui est dans le sein du Père," est devenu, selon le don de la grâce, le premier-né d’entre plusieurs frères (Apoc., I, 5): "Qui est le premier-né d’entre les morts et le prince des rois de la terre." Jésus-Christ nous a donc pour frères, soit parce qu’il nous a communiqué la ressemblance de sa filiation, comme il a été dit, soit parce qu’il a pris une nature semblable à la nôtre, suivant ces paroles (Hébr., II, 17): "Il a été en tout semblable à ses frères."

Lorsque S. Paul dit (verset 30): "Et ceux qu’il a prédestinés," il expose ce que Dieu a déjà donné en partie aux saints.

A) Et d’abord la vocation (verset 30): "Ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés." La prédestination ne peut demeurer sans effet, suivant cette parole d’Isaïe (XIV, 2): "Le Seigneur des armées a fait ce serment: Je le jure, a-t-il dit: ce que j’ai pensé arrivera; ce que j’ai résolu doit s’accomplir..." Or la prédestination commence à s’accomplir par la vocation de l’homme, laquelle se fait de deux manières. D’abord extérieurement, par la bouche de ceux qui annoncent la parole (Proverbes IX, 3): "La Sagesse a envoyé ses servantes pour appeler à la forteresse et aux murailles de la ville." Dieu a appelé de cette manière Pierre et André, comme il est rapporté en S. Matthieu (IV, 18). La seconde espèce de vocation est intérieure; elle n’est autre chose qu’une sorte d’instinct de l’âme par lequel Dieu incline le coeur à donner son assentiment à ce qui concerne la foi ou la vertu (Is 41,2): "Qui a suscité de l’Orient le juste? Qui l’a appelé à sa suite?" Cette vocation est nécessaire, parce que notre coeur ne se tournerait pas vers Dieu si Dieu lui-même ne nous attirait à lui (Jean, VI, 44): "Personne ne peut venir à moi si mon Père, qui m’a envoyé, ne l’attire;" (Lamentations V, 21): "Convertissez-nous à vous, Seigneur, et nous serons convertis." Elle est en même temps efficace à l’égard des prédestinés, parce qu’ils y donnent leur assentiment (Jean, VI, 45): "Quiconque a ouï mon Père, et a eu l’intelligence, vient à moi.

B) S. Paul met en second lieu la justification, lorsqu’il dit: "Et ceux qu’il a appelés il les a justifiés," à savoir, en leur donnant la grâce (ci-dessus, III, 24): "Justifiés gratuitement par la grâce." Or, bien que dans quelques-uns cette justification n’obtienne pas son effet, parce qu’ils ne persévèrent pas jusqu’à la fin, jamais cependant elle n’est sans effet dans les prédestinés.

C) L’Apôtre met en troisième lieu la glorification, lors qu’il dit: Et ceux qu’il a justifiés, il les a glorifiés." C’est ce qui se réalise d’abord par le progrès dans la vertu et clans la grâce, ensuite par l’exaltation de la gloire (Sag., XIX, 20): "En toutes choses, Seigneur, vous avez honoré et glorifié votre peuple." S. Paul emploie le passé au lieu du futur, si l’on entend cette parole de la splendeur de la gloire, soit à cause de la certitude de cet avenir, soit parce que ce qui n’est que futur pour quelques-uns est déjà réalisé pour d’autres.

II. Quand S. Paul ajoute (verset 31): "Après cela, que dirons-nous donc?" il développe la majeure, à savoir, que nul ne peut nuire à ceux qui sont protégés par Dieu. D’abord il montre qu’ils ne peuvent souffrir de dommage par le mal de la peine; ensuite, par le mal de la coulpe, à ces mots (verset 33): "Qui accusera les élus de Dieu?" Le mal de peine est de deux espèces: le premier consiste dans les maux dont ou est frappé; le second, dans les biens dont on est privé.

L’Apôtre montre que ceux qui sont protégés par Dieu ne reçoivent pas de dommage des efforts de ceux qui les persécutent, en disant (verset 31): "Après cela, que dirons-nous donc?" Comme s’il disait: du moment que Dieu accorde tant de bienfaits à ses élus, que peut-on dire à cela, à savoir, que ces bienfaits demeurent sans résultat? Comme s’il sous-entendait: rien! (Proverbes XXI, 30): "Il n’y a pas de sagesse, et il n’y a pas de prudence, et il n’y a pas de conseil contre le Seigneur." Ou "Que dirons-nous donc après cela?" c’est-à-dire: en considérant les bienfaits de Dieu, ne faut-il pas rester dans l’étonnement? (Hab., III, 4, selon les Septante): "J’ai considéré vos oeuvres, et je suis demeuré dans la stupeur." Ou encore: "Que dirons-nous à cela?" c’est-à-dire que pourrons-nous rendre à Dieu convenablement pour tant de bienfaits? (Psaume CXV, 3): "Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens dont il m’a comblé?" S. Paul ajoute (verset 31): "Si Dieu est pour nous," à savoir, en nous prédestinant, en nous appelant, en nous justifiant, en nous glorifiant, "qui sera contre nous?" c’est-à-dire qui pourra être efficacement contre nous?" (Is 50,8): "Arrêtons-nous: quel est mon adversaire?" (Job, XVII, 3): "Mettez-moi auprès de vous, et que la main de qui que ce soit combatte contre moi!"

L’Apôtre fait voir que les saints de Dieu ne peuvent subir de dommage par la soustraction des grâces, en disant (verset 32): "Lui qui n’a pas même épargné son propre Fils." Comme il venait de faire mention de plusieurs fils, en disant (verset 15): "Vous avez reçu l’adoption des enfants, il distingue entre tous ce fils, et dit: Son propre Fils," c’est-à-dire son Fils non pas adoptif, comme les hérétiques le disent dans leurs mensonges, mais son Fils naturel et co-éternel (I Jean, V, 20): "Afin que nous vivions en son vrai Fils, Jésus-Christ," dont son Père a dit (Matth., III, 47): "Celui-ci est mon Fils bien-aimé." Ces paroles: "Il n’a pas épargné," doivent être entendues en ce sens que Dieu ne l’a pas exempté de la peine. Car la tache du péché n'a pas été en lui de façon que le péché lui fût pardonné (Proverbes XII, 24): "Epargner la verge, c’est haïr son fils." Si cependant Dieu n'a pas épargné son Fils, ce n'est pas qu’il lui en revînt quelque avantage, puisqu’il est Dieu parfait en tout; mais il a voulu qu’il souffrît pour notre utilité. Voilà pourquoi S. Paul ajoute (verset 32): "Et il l’a livré à la mort pour nous tous," c’est-à-dire il l’a livré aux souffrances pour l’expiation de nos péchés (ci-dessus, IV, 25): "Il a été livré à la mort pour nos péchés;" (Is 53,6): "Le Seigneur a fait tomber sur lui l’iniquité de nous tous." Dieu l’a livré à la mort en portant le décret de son incarnation et de sa passion, et en inspirant à sa volonté humaine l’affection de la charité, qui l’a porté à endurer spontanément sa passion. C’est de là qu’il est dit qu’il s’est livré lui-même (Ephés., V, 2): "Il s’est livré lui-même pour nous," bien que Judas et les Juifs, quant aux actes extérieurs, l’aient aussi livré, comme il a été dit au ch., Il faut remarquer ces paroles de S. Paul: "Qui n’a pas même épargné...;" comme s’il disait: non seulement il a livré les autres saints à la tribulation pour le salut des hommes, suivant ce que dit Osée (VI, 6): "C’est pour cela que je les ai châtiés dans la personne de mes prophètes;" et encore (II Cor., I, 6): "Nous sommes dans la tribulation pour votre instruction et votre salut;" mais il a encore livré son propre Fils. Or, toutes choses existant dans le Fils de Dieu, comme dans leur cause primordiale et pré efficiente (Col., I, 17): "Il est avant tout, et tout subsiste par lui;" du moment qu’il nous est donné, tout nous est donné avec lui. Aussi S. Paul ajoute-t-il: "Comment avec lui," c’est-à-dire lorsqu’il nous est donné, "Dieu ne nous a-t-il pas donné toutes choses?" à savoir, afin que toutes choses tournent à notre bien: les choses supérieures, c’est-à-dire les personnes divines, pour en jouir; les intelligences raisonnables, pour vivre avec nous; toutes les choses inférieures, soit prospères, soit défavorables, pour en user (I Cor., III, 23): "Tout est à vous...; vous au Christ, et le Christ à Dieu." D’où il ressort avec évidence la vérité de ce mot de David (Psaume XXXIII, 20): "Rien ne manque à ceux qui le craignent."




Thomas A. sur Rm (1869) 39