Thomas A. sur Rm (1869) 45

Romains 9, 19 à 23: Pourquoi Dieu réprouve certains?

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Rm 9,19-23)



SOMMAIRE: Solution de la question des bons et des méchants, puisque tout est soumis à la volonté divine. Pourquoi Dieu prédestine les uns et réprouve les autres; pourquoi il sauve celui-ci et condamne celui-là.



19. Peut-être me direz-vous après cela, de quoi se plaint car qui résiste à sa volonté?

20. O homme! Qui es-tu pour contester avec Dieu? Le vase dit-il au potier: "pourquoi m’as-tu fait ainsi?"

21. N’a-t-il pas le pouvoir, le potier, de faire de la même masse d’argile un vase d’honneur et un vase d'honneur et un vase d'ignominie?

22. Que si Dieu, voulant montrer sa colère et signaler sa puissance, a supporté avec une patience extrême les vases de colère préparés pour la perdition,

23 Afin de manifester les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu’il a préparés pour la gloire...

Après avoir donné la réponse à la question proposée, l’Apôtre fait une objection contre la réponse même, et particulièrement contre la dernière conclusion, où il est dit (verset 18): "Il a donc pitié de qui il veut et il endurcit qui il veut." Il pose l’objection; II° il en donne la solution, à ces mots (verset 20): "O homme ! Qui es-tu pour contester avec Dieu?"

I° Il a été établi, dit-il, que Dieu fait miséricorde à qui il lui plaît et qu’il endurcit qui il lui plaît (verset 19): "Certainement vous me direz: de quoi se plaint-il encore?" c’est-à-dire attendu que tout doit être attribué à la volonté divine, qui est la cause efficiente de tout, puisque personne ne peut lui résister. Aussi l’Apôtre dit-il ensuite (verset 19): "Car qui résiste à sa volonté?" (Ecclésiastique I, 13): "J’ai mis en mon esprit de chercher et d’examiner avec sagesse tout ce qui se passe sous le soleil!" Autrement: Après cela, pourquoi se plaindre? C’est-à-dire pourquoi Dieu se plaint-il des hommes quand ils pèchent? Ainsi qu’il le fait en Isaïe (I, 2): "J’ai nourri des enfants, je les ai élevés, et ils se sont révoltés contre moi." Dieu paraît, en effet, n’avoir plus sujet de se plaindre justement, puisque tout procède de sa volonté, à laquelle rien ne saurait résister: "Car," ajoute S. Paul, "qui résiste à sa volonté?" Et encore: Après cela, pourquoi se plaindre? À savoir de l’homme, pour qu’il fasse le bien ou qu’il évite le mal (Michée, VI, 8): "O homme! Je te montrerai ce qui est bon et ce que le Seigneur demande de toi, etc." Car on exige à tort de quelqu’un ce qui n'est pas en son pouvoir; or, d’après ce qui a été dit, rien ne parait au pouvoir de l’homme, puisqu’il semble que l’on ait tout attribué à la volonté divine, à laquelle on ne peut résister, d’après les paroles qui suivent: "Car qui peut résister à sa volonté?" Comme si l’Apôtre disait: personne (Esther, X, 11): "Nul ne peut résister à Votre Majesté." Telle est, ce semble, la pensée de S. Paul.

II° Lorsqu’il continue (verset 20): "O homme qui êtes-vous, etc.?" l’Apôtre répond à la difficulté proposée. Pour entrer dans le sens de cette réponse, il faut remarquer qu’à l’égard de l’élection des bons et de la réprobation des méchants, on peut faire deux questions. La première, générale: pourquoi Dieu veut-il endurcir les uns et avoir pitié des autres? L’autre, particulière: pourquoi veut-il avoir pitié de celui-ci et endurcir celui-là? Or on peut donner une réponse à la première question; à la seconde il n’y en a pas d’autre que la volonté absolue de Dieu. On peut apporter ici un exemple tiré des choses humaines. Si quelqu’un, voulant bâtir, avait un grand nombre de pierres semblables et parfaitement égales, rassemblées en un monceau, on pourrait assigner la raison pour laquelle il place les unes en bas, les autres en haut: c’est que pour la perfection de l’édifice qu’il se propose d’élever, il faut des fondations, donc des pierres en bas, et un faîte, ce qui suppose des pierres en haut. Mais, lors qu’il met en bas telles pierres, il n’y a pas d’autre raison que la volonté de celui qui construit. L’Apôtre répond donc d’abord à la difficulté de la seconde question, à savoir: pourquoi Dieu fait miséricorde à celui-ci et endurcit celui-là; et ensuite à la première, à savoir: pourquoi il fait miséricorde aux uns et endurcit les autres, à ces mots (verset 22): "Que si Dieu, voulant manifester sa colère et signaler sa puissance..."

I. Sur la première de ces questions, S. Paul reprend la présomption de celui qui fait la question; cite un témoignage qui en donne la solution, à ces mots (verset 20): "Le vase d’argile dit-il au potier...?" Il explique ce passage, à ces autres (verset 21): "Le potier n’a-t-il pas le pouvoir...?"

L’Apôtre dit donc: "O homme!" toi qui es si fragile et si ignorant, "qui es-tu pour contester avec Dieu?" D’où tireras-tu de quoi lui répondre s’il veut entrer en discussion avec toi? (Job, IX, 3): "Si l’homme veut disputer avec lui, sur mille accusations répondrait-il à une seule?" et comme il est dit au même livre (Job, XXXIX, 32): "Quiconque ose reprendre Dieu doit lui répondre. On voit par là que l’homme ne doit pas scruter la raison des jugements divins avec l’intention de les pénétrer, parce qu excèdent la raison humaine (Ecclésiastique III, 22): "Ne cherchez pas ce qui est au-dessus de vous;" et encore (Proverbes XXV, 27): "Celui qui veut son der la majesté de Dieu sera accablé par sa gloire."

Quand l’Apôtre dit (verset 20): "Le vase dit-il au potier...?" il cite un passage du prophète Isaïe (XLV, 9): "L’argile dit-elle au potier: que faites-vous? Votre oeuvre annonce une main qui ne sait pas." Il faut ici remarquer que, si un ouvrier fait d’une matière vile un vase distingué par sa beauté et apte à de nobles usages, le tout est attribué à l’habileté de l’ouvrier, par exemple si avec de la terre il fait des plateaux et des aiguières qui paraissent avec honneur sur une table splendide. Mais si d’une vile matière, de terre par exemple, il fait un vase qui ne puisse servir qu’à des usages grossiers, comme à ceux de la cuisine ou à quelque autre emploi semblable, le vase, eût-il l’usage de la raison, ne pourrait pas se plaindre. Il le pourrait, au contraire, si d’une matière de prix mise à la disposition de l’ouvrier, de l’or, par exemple, ou des pierres précieuses, il faisait un vase qui ne servît qu’à de vils offices. Or l’humaine nature n’a pour matière première que la bassesse, parce que, comme il est dit dans la Genèse (II, 7): "Le Seigneur Dieu a formé l’homme du limon de la terre." Mais sa bassesse est plus grande encore par la corruption du péché, qui est entré dans le monde par un seul homme. Voilà pourquoi c’est avec raison qu’on compare l’homme au limon de la terre (Job XXX, 19): "Je suis devenu comme de la boue, je suis semblable à la poussière et à la cendre." Tout ce que l’homme a de bien, il le doit donc attribuer à la bonté divine, comme à l’agent principal (Is 64,8): "Cependant, Seigneur, vous êtes notre père, et nous sommes de l’argile; c’est vous qui nous avez formés; tous, nous sommes l’ouvrage de vos mains." Que si Dieu n’élève pas l’homme à de plus hautes destinées, et, le laissant dans son infirmité, le destine à un usage commun, il ne lui fait aucune injure dont l’homme puisse se plaindre légitimement.

Lorsque l’Apôtre ajoute (verset 21): "Le potier n’a-t-il pas le pou voir de tirer de la même masse...?" il développe le passage du Prophète; comme s’il disait: il a été dit: "Le vase," savoir le vase de terre, "ne pourrait pas dire au potier: pourquoi m’avez-vous fait ainsi?" parce que le potier est libre de faire avec la masse de terre qui est sa matière tel ouvrage qu’il juge à propos. Ce qui fait que S. Paul ajoute: "N’a-t-il pas le pouvoir," libre s’entend, "ce potier," c’est-à-dire celui qui travaille cette vile matière, "de faire de la même masse," à savoir, de cette matière vile elle-même, sans être injuste envers qui que ce soit "Un vase d’honneur," c’est-à-dire destiné à de nobles usages, "et un autre d’ignominie," c’est-à-dire destiné aux usages les plus vils? (II Tim., II, 2): "Dans une grande maison, il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, mais aussi de bois et de terre, et les uns sont pour l’ornement, et les autres pour l’ignominie." Pareillement Dieu a la libre puissance de faire, sans injure pour qui que ce soit, de la même masse corrompue du genre humain, masse de terre en quelque sorte, quelques hommes destinés à la gloire, en laissant les autres dans leur misère (Jér., XVIII, 6): "Comme l’argile es dans la main du potier, ainsi êtes-vous dans ma main, ô maison d’Israël!"

II. Lorsqu’il dit (verset 22): "Qui peut se plaindre de Dieu," si, voulant manifester sa colère...?" S. Paul résout la première question, à savoir pourquoi Dieu veut avoir pitié de quelques-uns et laisser les autres dans leur misère, ou, en d’autres termes, choisir les uns en rejetant les autres. Sur ce point il faut remarquer que la fin de toutes les oeuvres divines est la manifestation de la divine bonté (Proverbes XVI, 4): "Le Seigneur atout fait pour lui-même." Aussi est-il dit plus haut (I, 20), que "Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles par tout ce qui a été fait." Or telle est l’excellence de la bonté de Dieu, qu’elle ne peut être suffisamment manifestée ni d’une seule manière ni dans une seule créature. Voilà pourquoi Dieu a formé diverses créatures, dans lesquelles cette bonté est diversement manifestée; mais elle l’est principalement dans les créatures raisonnables. Là paraît sa justice en ceux qu’il punit selon leurs mérites, et sa miséricorde en ceux qu’il délivre au moyen de sa grâce. Ainsi, afin que l’un et l’autre de ces attributs fussent manifestés dans les hommes, Dieu en délivre miséricordieusement quelques-uns, sans délivrer la multitude. L’Apôtre expose donc d’abord la rai son de la réprobation des méchants, et ensuite celle de l’élection des bons, quand il dit (verset 23): "Afin de manifester les richesses." Or il y a dans les uns et les autres une triple différence à remarquer: l’égard de la fin; à l’égard de l’usage; à l’égard de l’acte divin.

La fin de la réprobation ou de l’endurcissement des méchants est la manifestation de la justice et de la puissance de Dieu.

A) L’Apôtre l’indique en disant: "Que (pour: que si) Dieu, voulant manifester sa colère," c’est-à-dire sa justice vindicative; car on ne dit pas que la colère soit en Dieu comme le trouble de la passion, mais comme un effet de la justice qui punit. C’est ainsi qu’il est dit plus haut (, 18): "Dans l’Evangile même est révélée la colère de Dieu." S. Paul ajoute: "Et signaler sa puissance," parce que Dieu ne fait pas sentir aux méchants sa colère seulement, c’est-à-dire sa vengeance, en punissant ceux qu’il a soumis, mais encore sa puissance, en se les assujettissant (Ph 3,21): "Par cette vertu efficace qui peut lui assujettir toutes choses;" (Exode, XIV, 30): "ils virent les Egyptiens morts sur le rivage de la mer, et la grande puissance que Dieu avait déployée contre eux."

B) L’usage des méchants, celui pour lequel Dieu se sert d’eux, c’est la colère, c’est-à-dire le châtiment. Voilà pourquoi S. Paul les appelle: "vases de colère," c’est-à-dire des instruments de justice, dont Dieu se sert pour manifester sa colère, ou justice vindicative (Ephés., II, 3): "Nous étions par nature enfants de colère."

C) Enfin l’acte que Dieu exerce à leur égard n’est pas qu’il les dispose au mal, car ils ont d’eux-mêmes cette disposition par la corruption du premier péché; ce qui fait dire à S. Paul: "Des vases de colère propres à être détruits," c’est-à-dire ayant en eux l’aptitude à la damnation éternelle (Gen., VI, 5): "Dieu, voyant que la malice des hommes se multipliait sur la terre, et que toutes les pensées du coeur humain étaient en tout temps tournées vers le mal..." Or Dieu ne fait à leur égard que de les laisser agir selon leurs convoitises, ce qui fait dire à S. Paul en termes exprès: "Il les a supportés." Ce qui démontre sa patience, c’est qu’il n’en tire pas immédiatement vengeance; aussi l’Apôtre ajoute: "Avec une patience extrême" (Ecclésiastique V, 4): "Le Très-Haut est patient pour rétribuer."

S. Paul procède à l’égard des bons de la même manière.

A) Il indique la fin, lorsqu’il dit (verset 23): "Afin de manifester les richesses de sa gloire." Car la fin de l’élection et de la miséricorde, à l’égard des bons, est de manifester en eux la grande abondance de la bonté divine, en les retirant du mal, en les attirant à la justice et finalement en les conduisant à la gloire. Voilà pourquoi l’Apôtre dit: "Afin de manifester les richesses de sa gloire," richesses dont il a parlé précédemment (Rom., II, 4): "Est-ce que vous méprisez les richesses de sa bonté?" et encore (Ephés., II, 4): "Dieu qui es riche en miséricorde." Aussi dit-il expressément: "Afin de manifester les richesses de sa gloire," parce que la condamnation même et la ré probation des méchants, qui est selon la justice de Dieu, manifeste et exalte la gloire des saints, qui sont délivrés d’une semblable misère.

B) Il marque la destination des bons, lorsqu’il dit: "Sur les vases de miséricorde," appelant de ce nom les bons parce que Dieu se sert d’eux comme d’autant d’instruments pour manifester sa miséricorde (Ecclésiastique XLIV, 10): "Ce sont des hommes de miséricorde."

C) Il expose l’acte que Dieu accomplit à leur égard. Car Dieu ne les supporte pas seulement, comme si d’eux-mêmes ils étaient aptes pour le bien, mais il les prépare et les dispose en les appelant à la gloire. De là: "Qu’il a préparés pour la gloire" (Psaume LXIV, 7): "Vous affermirez les montagnes dans votre puissance." La construction a été elliptique et suspensive jusqu'ici, en sorte que le sens est celui-ci: si Dieu, voulant agir ainsi, a pitié des uns et endurcit les autres, que pourra-t-on dire avec raison contre cette conduite? Comme si S. Paul disait: rien. Car il n’endurcit pas ceux qu’il veut endurcir, en les portant à commettre le mal, mais il les supporte, de telle sorte que selon leur inclination ils tendent vers le mal.



Romains 9, 24 à 33: Juifs et Païens appelés à la gloire

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Rm 9,24-33)



SOMMAIRE: Que la grâce de la vocation appartient non seulement aux Juifs, mais encore aux Gentils.



24. En nous qu’il a en outre appelés non seulement d’entre les Juifs, mais aussi d’entre les Gentils,

25 Comme il est dit dans Osée. J’appellerai celui qui n’est pas mon peuple, mon peuple; celle qui n’est pas bien-aimée, bien-aimée; celle qui n'a pas obtenu miséricorde, objet de miséricorde.

26. Et il arrivera que dans le lieu même où il leur fut dit. Vous n’êtes pas mon peuple, ils seront appelés enfants du Dieu vivant.

27. Et Isaïe s’écrie à l’égard d'Israël: Quand le nombre des enfants d’Israël serait comme le sable de la mer, il n’y aura qu’un reste de sauvé,

28. Car le Seigneur accomplira cette parole et l’abrégera avec équité; oui, le Seigneur abrégera cette parole sur la terre;

29. Et comme Isaïe a dit auparavant. Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome et semblables à Gomorrhe;

30. Que dirons-nous donc? Que les Gentils, qui ne cherchaient pas la justice, ont embrassé la justice, mais la justice qui vient de la foi;

31. Et qu au contraire, en recherchant la loi de la justice, n'est pas parvenu à la loi de la justice.

32. Et pourquoi? Parce que ce n'est pas par la foi, mais par les oeuvres qu’ils l’ont recherchée; car ils se Sont heurtés contre la pierre d’achoppement,

33. Comme il est écrit: Voici que je nets en Sion une pierre d’achoppement et une pierre de scandale; et quiconque croit en lui ne sera pas confondu.



L’Apôtre, après avoir prouvé que la grâce de Dieu est donnée aux hommes d’après la divine élection, par laquelle ils sont appelés à cette grâce, montre ici que cette même élection ou vocation n’appartient pas seulement aux Juifs, comme ils pouvaient s’en glorifier, d’après ce qui est dit (Deut., IV, 37): "Il a aimé vos pères, mais aussi aux Gentils. Il énonce ce qu’il veut établir; II° il prouve sa proposition, à ces mots (verset 25): "Comme il est dit dans Osée;" III° il déduit de ce qu’il a dit une conclusion, à ces autres (verset 30): "Que dirons-nous donc?"

I° Il dit donc d’abord: J’ai annoncé que Dieu a préparé ses saints pour la gloire et qu’il les a appelés, à savoir par la grâce, non seule ment d’entre les Juifs, mais encore d’entre les Gentils (ci-dessus, II, 29): "Dieu est-il seulement le Dieu des Juifs? Ne l’est-il pas aussi des Gentils?" (Soph., II, 11): "Il sera adoré par les hommes de toute la terre et par toutes les terres habitées."

II° En ajoutant (verset 25): "Comme il est dit dans Osée, etc.," il prouve sa proposition, I. quant aux Gentils; II. Quant aux Juifs, à ces mots (verset 27): "Isaïe s’écrie..."

I. À l’égard des Gentils, il cite deux passages d’Osée parlant en faveur des Gentils. Le premier leur promet les dons de Dieu, et le second l’adoption divine elle-même, à ces mots (verset 26): "Et il arrivera que dans le lieu même où il leur fut dit..."

Il dit donc: "Comme il est dit dans Osée," parce que c’était le Seigneur lui-même qui parlait dans les prophètes (III Rois, XXIII, 2): "L’Esprit du Seigneur s’est fait entendre par moi; sa parole est sur mes lèvres." Aussi est-il dit dans Osée même (I, 2): "Lorsque le Seigneur commença à parler à Osée. Il est à remarquer que les Gentils étaient étrangers aux trois privilèges accordés aux Juifs. Le premier était le culte de Dieu, à raison duquel les Juifs étaient appelés son peuple, comme le servant et obéissant à ses préceptes; d’où il est dit au Psalmiste (XCIV, 6): "Nous sommes son peuple et les brebis de son troupeau." Mais les Gentils étaient séparés de la société de ce peuple, selon ce passage de l’épître aux Ephésiens (II, 12): "Entièrement séparés de la société d’Israël..., étrangers aux alliances." Mais par Jésus-Christ ils sont devenus le peuple de Dieu (Tite, II, 14): "Il s’est livré lui-même pour nous, afin de nous purifier et de faire de nous un peuple consacré à son service." C’est ce que dit S. Paul (verset 25): "Celui qui n’était pas mon peuple," c’est-à-dire la Gentilité, "je l’appellerai mon peuple," c’est-à-dire je l’appellerai afin qu’il devienne mon peuple. Le second privilège est celui de l’amour (Osée, III, 1): "Le Seigneur chérit les enfants d’Israël" en ceci, qu’il leur accordait un grand nombre de bien faits pour les conduire à une grâce spéciale. Or les Gentils étaient autrefois exclus de cet amour (Ephés., IV, 18): "Eloignés de la vérité de Dieu à cause de l’ignorance qui est en eux." Voilà pour quoi S. Paul dit: "Celle qui n’est pas bien-aimée," c’est-à-dire la Gentilité, "je l’appellerai ma bien-aimée" (Ephés., II, 13): "Vous qui étiez autrefois éloignés, vous êtes plus rapprochés par le sang du Christ;" (ci-dessus, V, 10): "Lorsque nous étions ses ennemis, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils." Le troisième privilège est la rémission du péché originel accordée aux Juifs par la Circoncision Isaïe, XIV, 1): "Le Seigneur aura pitié de Jacob." Or les Gentils ne participaient pas à cette miséricorde (Ezéchiel XVI, 4): "Quand tu es venue au monde, au jour de ta naissance on n'a pas coupé le cordon par où tu étais nouée au sein de ta mère;" et plus bas: "Nul oeil ne s’était abaissé sur toi pour avoir pitié de toi: moi seul j’ai eu compassion de toi." Mais ensuite les Gentils ont obtenu miséricorde par Jésus-Christ. Voilà pourquoi S. Paul dit: "Et celle qui n'a pas obtenu miséricorde, je l’ai appelée ma miséricorde" (Tite, III, 5): "II nous a sauvés par sa miséricorde." Ce passage se trouve au ch. II du prophète Osée, selon les Septante; en cet endroit notre Vulgate porte (Osée, II, 23-24): "J’aurai pitié de celle qui fut nommée sans miséricorde; et je dirai à celui qui fut appelé, non mon peuple: vous êtes mon peuple."

Lorsque S. Paul ajoute (verset 26): "Et il arrivera que dans le lieu même où il leur fut dit," il cite un autre passage du même prophète Osée (I, 9), dans lequel Dieu promet aux Gentils la dignité de ses enfants, dignité dont les Juifs se glorifiaient sur ce mot d’Isaïe (I, 2): "J’ai nourri des enfants, je les ai élevés, et ils se sont révoltés contre moi;" et au Deutéronome (XXXII, 6): "N’est-ce pas lui qui est votre Père?" De plus, non seulement les Gentils ne portaient pas le nom d’enfants, lequel appartient à ceux qui servent Dieu par amour et sont conduits par son Esprit (Rom., VIII, 14), mais ils n’étaient pas même regardés comme dignes d’être appelés le peuple de Dieu, nom qui pouvait appartenir même à ceux qui avaient reçu l’Esprit de servitude dans la crainte. Aussi S. Paul dit-il: "Il arrivera que dans le lieu même," c’est-à-dire en Judée, "où il leur fut dit," c’est-à-dire aux Gentils, par les Juifs comme parlant au nom de Dieu: "Vous n’êtes pas mon peuple, parce qu’ils ne les regardaient pas comme le peuple de Dieu; "là," c’est-à-dire parmi les Juifs vivant de la foi, ils seront appelés enfants de Dieu; ou encore: Dans ce lieu, c’est-à-dire dans l’univers entier, dans lequel ils seront convertis à la foi, afin de faire entendre qu’ils ne seront; pas convertis comme les prosélytes que faisaient les Juifs, lesquels, après avoir abandonné leur pays, venaient en Judée. On voit que cela ne devait pas arriver à ceux qui devaient se convertir à Jésus-Christ, par ces paroles de Sophonie (XI, 11): "Ils l’adoreront dans leur propre pays. Donc "Là même""il a été dit," dans le temps passé et par l’ordre divin, à tous, habitant le lieu de leur naissance: "Vous n’êtes pas mon peuple, là ils seront appelés les enfants de Dieu par la divine adoption (Jean, I, 12): "Il a donné le droit d’être faits enfants de Dieu à ceux qui croient en son nom."

II. Quand il dit (verset 27): "Isaïe s’écrie...," l’Apôtre prouve sa proposition, quant aux Juifs, par l’autorité d’Isaïe, dont il cite deux passages. Le premier paraît avoir rapport à tous ceux d’entre les Juifs qui croyaient; le second, spécialement aux apôtres, à ces mots (verset 29): "Et comme Isaïe l’a prédit."

Il dit donc: Osée a prophétisé pour les Gentils, mais "Isaïe s’écrie", c’est-à-dire parle ouvertement pour la conversion d’Israël (LVIII, 1): "Criez avec force, ne vous lassez pas; faites retentir votre voix comme les éclats de la trompette."

A) Dans le premier passage, S. Paul exprime d’abord:

a) le petit nombre des convertis dans Israël en disant (verset 27): "Le nombre des enfants d’Israël fût-il comme le sable de la mer," c’est-à-dire fussent-ils plus innombrables que la multitude des nations (Gen., XXII, 17): "Je multiplierai ta postérité comme le sable qui est sur le rivage de la mer;" et encore (Rom. IV, 29): "Le peuple de Juda et d’Israël était innombrable comme le sable de la mer;" - "il n’y aura qu’un reste de sauvé," c’est-à-dire non pas tous, non pas même la plus grande partie, mais quelques-uns en petit nombre seront conservés au milieu de la perte des autres (Michée, VII, 1): "Je suis devenu comme un homme qui cherche en automne des raisins après les vendanges;" et; (ci-après, XX, 5): "Un reste, par l’élection de la grâce, a été sauvé."

b) A ces mots (verset 28): "Or le Seigneur accomplira et abrégera avec équité...," l’Apôtre assigne la cause de leur salut. D’abord il expose l’efficacité de la parole évangélique, en disant: "Or ce que Dieu a dit dans son équité, il l’abrégera," indiquant par là une double efficacité de cette parole: premièrement, parce qu’elle accomplit, c’est-à-dire perfectionne; car (Hébr., VII, 19): "La Loi n’a rien conduit à la perfection;" et le Sauveur dit lui-même (Matth., V, 17): "Je ne suis pas venu détruire la Loi, mais l’accomplir;" soit parce qu’il a donné la vérité aux figures de la Loi, soit parce qu’il a exposé, comme ils devaient l’être, les préceptes moraux de la Loi, fait disparaître les occasions de la transgresser, et même y a ajouté des conseils de perfection. Ainsi, au jeune homme qui avait observé tous les préceptes de la Loi, il disait (Matth., X, 7): "Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez." Ce qui lui faisait dire encore à ses apôtres (Matth., V, 48): "Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait." Seconde efficacité: cette parole abrége. Cette qualité s’adjoint convenablement à la première, parce que plus une parole est parfaite, plus elle est relevée, et par conséquent plus courte et plus simple. Or la parole évangélique abrège les paroles de la Loi, en ce sens qu’elle renferme tous les sacrifices figuratifs de la Loi en un seul sacrifice, par lequel Jésus-Christ s’est offert pour nous comme victime, ainsi qu’il est dit (Ephés., V, 25). De plus, elle renferme tous les préceptes moraux de la Loi dans les deux préceptes de la charité (Matth., XXII, 40): "Ces deux commandements renferment toute la Loi et les prophètes. C’est pourquoi S. Paul dit "Il abrégera selon l’équité; soit que parmi la multitude des figures et des préceptes de la Loi rien n’a été omis, mais que tout a été compris dans la brièveté de l’Evangile;" soit qu’aucun précepte qui paraît équitable selon le dictamen de la raison naturelle ne reste à observer en dehors de l’Evangile (Psaume CXVIII, 172): "Tous vos commandements sont équité." Il faut; cependant sous-entendre: sera, en sorte que le sens soit: la parole évangélique sera comme l’abrégé et le complément, selon l’équité.

B) Lorsque l'Apôtre dit (verset 28): "Oui, le Soigneur abrégera...," il assigne la raison de l’efficacité qu’il vient d’exposer, en disant "Oui, le Seigneur abrégera sur la terre," c’est-à-dire pendant son séjour sur la terre, quand il sera comme l’un d’entre les hommes, selon cette parole du prophète Baruch (III, 28): "Après cela, il a été vu sur la terre, et il a conversé parmi les hommes;" il abrégera sa parole. Car la parole du Seigneur doit être plus parfaite et d’une plus grande vertu quand c’est le Seigneur Dieu, revêtu de chair, qui parle lui-même, que lorsqu’il parle par le prophètes, suivant ces paroles de S. Paul aux Hébreux (I, 1): "Dieu qui avait parlé autrefois à nos pères, en diverses occasions et de différentes manières, par les prophètes, nous a parlé dans ces derniers temps par son Fils." Ou encore: car le Seigneur, à savoir Dieu le Père, fera paraître sur la terre son Verbe en l’amoindrissant et en voilant sa grandeur dans l’incarnation, par laquelle le Fils de Dieu s’est anéanti lui-même jusqu’à prendre la forme d’esclave. Or, si l’on dit qu’il est anéanti ou amoindri, ce n’est pas qu’on ait enlevé quelque chose à la plénitude ou à la grandeur de sa divinité, mais parce qu’il s’est uni notre exiguïté et notre bassesse. Ce passage d’Isaïe se trouve au ch. X, 22; en cet endroit notre Vulgate dit: "Quand votre peuple, ô Israël, aurait été multiplié à l’égal du sable de la mer, les restes se convertiront; la justice se répandra comme un fleuve sur le petit nombre qui s’est sauvé. Car le Seigneur, Dieu des armées, réduira son peuple à quelques hommes restés au milieu de la terre."

Quand S. Paul dit ensuite (verset 29): "Et comme l’a prédit Isaïe," il cite un passage qui a particulièrement rapport aux apôtres, en disant: "Et comme l’a prédit Isaïe: Si le Seigneur Sabaoth," c’est-à-dire le Seigneur des armées ou des Vertus, "ne nous avait réservé," à savoir par miséricorde, "une semence," c’est-à-dire la parole évangélique (Luc, VIII, 11): "La semence est la parole de Dieu;" ou: une semence, c’est-à-dire Jésus-Christ (Gal., III, 46): "Celui qui naîtra de vous, c’est-à-dire Jésus-Christ; ou: une semence, c’est-à-dire les apôtres (Is 6,13): "Les rejetons qui resteront formeront une race sainte;" - "nous serions devenus comme Sodome et Gomorrhe." Car le péché des Juifs fut plus grand que le péché de Sodome (Lament., IV, 6): "L’iniquité de la fille de mon peuple est devenue plus grande que les crimes de Sodome;" et encore (Ezéch., XVI, 48): "Ce qu’ont fait Sodome et ses filles est moins criminel que ce que vous avez fait, vous et vos enfants." Si donc les Juifs n’ont pas été entièrement exterminés, comme les habitants de Sodome, il faut l’imputer à la divine miséricorde (Lament., lu, 22): "Si nous n’avons pas été entièrement perdus, c’est l’effet des miséricordes du Seigneur."

III° Lorsque S. Paul ajoute (verset 30): "Que dirons-nous donc?" il déduit la conclusion de ce qui a été dit; et d’abord, quant aux Gentils; ensuite, quant aux Juifs, à ces mots (verset 31): "Israël, au contraire."

I. A l’égard des Gentils,

il pose en conclusion ce qu’il s’est proposé, en disant: "Que dirons-nous donc" après avoir considéré ce qui précède ? Nous dirons ceci: "Que les Gentils ont embrassé," c’est-à-dire ont obtenu, "la justice," à savoir celle par laquelle ils portent le nom d’enfants (I Cor., VI, 11): "Vous étiez tels à la vérité, mais vous avez été justifiés" par la vocation de la divine élection, et non d’après vos oeuvres; ce qui devient évident par ce que l’Apôtre ajoute: "La justice qu’ils ne cherchaient pas," selon ce passage (Ephès., II, 12): "Vous étiez alors sans Christ, entière ment séparés de la société d’Israël "

S. Paul développe ce qui précède: "Mais la justice qui vient de la foi," et non celle qui consiste dans les oeuvres. Les Gentils, en effet se sont pas convertis pour pratiquer la justice légale, mais pour être justifiés par la foi de Jésus-Christ (ci-dessus, III, 22): "Mais la justice de Dieu par la foi de Jésus-Christ."

II. Lorsqu’il ajoute (verset 31): "Israël, au contraire," il tire la conclusion quant aux Juifs.

Et d’abord il conclut comme il se l’était proposé, en disant: "Israël au contraire," c’est-à-dire les Israélites, "en recherchant la loi de justice, n'est pas parvenu à la loi de justice." Ce que l’Apôtre appelle ici la justice est la loi de l’Esprit de vie, par laquelle les hommes sont justifiés, et à laquelle le peuple juif n'est pas parvenu, quoiqu’il la poursuivît cependant, en suivant l’ombre de cette loi de l’Esprit, c’est-à-dire l’ensemble des observances légales (Hébr., X, 1): "La Loi n’ayant que l’ombre des biens à venir;" ou encore en suivant la loi de la justice, c’est-à-dire la loi de Moïse, qui, bien comprise, est loi de justice, parce qu’elle enseigne la justice. Ou encore on appelle la loi mosaïque loi de justice, parce qu’elle donne aux hommes non pas la justice véritable, mais une justice extérieure, en leur faisant éviter le péché non par amour, mais par la crainte des châtiments qu’inflige cette loi (Is 51,4): "Ecoutez-moi, vous qui suivez la justice et qui cherchez le Seigneur;" et au même chapitre (verset 7): "Ecoutez-moi, vous qui connaissez ce qui est juste; vous, mon peuple, qui avez ma Loi gravée dans votre coeur."

Il en assigne la cause, en disant (verset 32): "Et pourquoi," tandis qu’ils suivaient la Loi, ne sont-ils pas parvenus à la loi de justice? C’est qu’ils ne marchaient pas dans la voie véritable. Aussi l’Apôtre ajoute (verset 32): "Parce qu’ils n’ont pas cherché par la foi," à savoir "du Christ," à être justifiés, "mais par les oeuvres de la Loi." Car ils suivaient la figure et ont rejeté la vérité (ci-dessus, III, 20): "Nul ne sera justifié devant lui par les oeuvres de la Loi."

S. Paul explique la cause qu’il a indiquée; et d’abord,

A) il donne le mot de cette explication, en disant (verset 32): "Car ils se sont heurtés contre la pierre d'achoppement" c’est-à-dire contre le Christ, qui est comparé à une pierre d’achoppement, en ce sens que, comme on n’évite pas, à raison même de sa petitesse, une pierre contre laquelle pourtant on vient se heurter, de même les Juifs, voyant Jésus-Christ comme enveloppé dans notre infirmité, ne prirent pas garde de ne pas se heurter contre lui (Is 50,3): "Son visage était comme obscurci; il paraissait méprisable, et nous ne l’avons pas reconnu;" et encore (Jér., XXII, 16): "Avant que vos pieds heurtent contre les montagnes couvertes de ténèbres," c’est-à-dire contre Jésus-Christ et ses apôtres, qui sont appelés montagnes ténébreuses, parce que leur dignité et leur grandeur étaient cachées.

B) Il ajoute à son explication un témoignage, en disant (verset 33): "Ainsi qu’il est écrit," à savoir, dans Isaïe. S. Paul réunit ici plu sieurs passages de ce prophète, pris dans des endroits différents. Car, au ch. XXVIII, 16, Isaïe dit: "J’établirai pour fondement dans Sion une pierre, une pierre angulaire, solide, précieuse, inébranlable à l’endroit où je l’ai placée. Que celui qui croit ne se hâte pas." C’est de cet endroit qu’est tiré le commencement du verset 33: "Voici que je mets en Sion une pierre" comme fondement, expression qui indique que Jésus-Christ, par le décret divin, était établi comme le fondement de l’Eglise (I Corinthiens III 11): "Personne ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été établi," à savoir, "Jésus-Christ." On lit encore dans Isaïe (VIII, 14): "Mais il sera une pierre d’achoppement et une pierre de scandale pour les deux maisons d’Israël l." C’est de ce passage qu’est pris le milieu du verset 33, où l’Apôtre dit: "Une pierre d’achoppement et une pierre de scandale," en sorte que l’achoppement se rapporte à l’ignorance, parce que, comme il est dit (I Cor., II, 8): "S’ils l’avaient connu, jamais ils n’eussent crucifié le Seigneur de la gloire;" et le scandale, au choc et à la chute que les Juifs ont éprouvés par leur infidélité, en persécutant Jésus-Christ et ses apôtres (I Corinthiens I, 23): "Pour nous, nous prêchons le Christ crucifié, qui est un scandale pour les Juifs;" et (Luc, II, 34): "Celui-ci est établi pour la ruine," La fin du verset est prise d’Isaïe (XXVIII, 16): "Celui qui croira n'a pas à se hâter;" au lieu de ces paroles, l’Apôtre dit: "Tous ceux qui croiront en lui ne seront pas confondus," à savoir, parce qu’ils obtiendront de lui leur récompense (Ecclésiastique II, 8): "Vous qui craignez le Seigneur, croyez en lui, et votre récompense ne sera pas perdue." L’Apôtre cite ces paroles d’après la traduction des Septante; ce sens est le même que celui que présente notre Vulgate: "Que celui qui croit ne se hâte pas;" car celui-là paraît se hâter qui se regarde comme trompé, parce qu’il n’obtient pas assez vite ce qu’il espérait.






Thomas A. sur Rm (1869) 45