Thomas A. sur Rm (1869) 60

Romains 13, 11 à 14: La grâce par rapport à soi à même

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Rm 13,11-14)



SOMMAIRE: Comment il faut user de la grâce par rapport à soi-même, et conserver la bienséance dans les oeuvres.



14. D’autant plus que nous savons par le temps, qu’il est déjà l’heure de nous réveiller de l’assoupissement. Car maintenant notre salut est plus proche que lorsque nous avons commencé à croire.

12. La nuit est fort avancée et le jour approche. Rejetons donc les oeuvres de ténèbres et revêtons-nous des armes de lumière.

13. Comme durant le jour, marchons avec honnêteté, non dans les excès de table et de vin, non dans l’abus du sommeil et les impudicités, non dans la contention et l’envie;

14. Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ, et ne contentez pas la chair dans ses convoitises.

Après avoir montré comment l’homme doit pratiquer la piété à l’égard de Dieu, en usant convenablement de ses dons et en rendant avec justice ce qui est dû au prochain, S. Paul fait voir ici comment l’homme doit conserver en lui-même l’honnêteté des moeurs. A cet effet, il montre que le temps est opportun; II° il exhorte à l’humilité des oeuvres, à ces mots (verset 12): "Rejetons donc les oeuvres."

I° Sur le premier de ces points, S. Paul rappelle: I. L’opportunité du temps; II. Il en assigne la raison, à ces mots (verset 11): "Car main tenant notre salut est plus proche;" III. Il emploie une similitude, à ces autres (verset 12): "La nuit est avancée."

I. Il dit donc: On vous a rappelé ce que vous avez à observer, et cela non seulement pour les raisons alléguées, mais encore parce qu’il faut "connaître le temps," c’est-à-dire parce que vous en devez considérer la condition; car, dit 1’Ecclésiaste (VIII, 6): "Chaque chose a son temps et son moment favorable;" (Jér., VIII, 7): "Le milan connaît dans le ciel son jour; la tourterelle, l’hirondelle et la cigogne gardent le temps de leur passage, mais mon peuple n'a pas connu le jugement du Seigneur." L’Apôtre explique à quoi doit servir cette opportunité du temps, en ajoutant (verset 11): "Car l’heure est déjà venue de nous éveiller de notre assoupissement," ce qu’il faut entendre non du sommeil naturel, qui prend quelquefois le nom de mort (I Thess., IV, 12): "Nous ne voulons pas que vous ignoriez ce qui regarde ceux qui donnent; et quelquefois exprime le repos des forces animales (Jean, XI, 12): "S’il dort, il sera guéri." Il ne faut pas l’entendre non plus du sommeil de la grâce, qui quelquefois se dit du repos de la gloire éternelle (Psaume IV, 9): "Là même je m’endormirai, je reposerai dans la paix 1;" quelque fois du repos de la contemplation, même dans cette vie (Cant., V, 2): "Je dors, et mon coeur veille;" mais du sommeil du péché (Ephés., V, 14): "Levez-vous, vous qui dormez, et sortez d’entre les morts;" ou même de la négligence (Proverbes VI, 9): "Jusques à quand, paresseux, dormirez-vous?" Il est donc temps de sortir du sommeil du péché par la pénitence (Psaume CXXVI, 3): "Levez-vous, après que vous vous serez reposés, etc.;" et du sommeil de la négligence, par la sollicitude pour les bonnes oeuvres (Is 21,5): "Princes, levez-vous, saisissez vos boucliers;" et (Ecclésiastique XXXII, 15): "Que l’heure de vous lever ne vous attriste pas."

II. En second lieu, lorsqu’il dit (verset 11): "Car maintenant notre salut est plus proche," S. Paul assigne la raison de ce qu’il a avancé, en ces termes (V. 11): "Car notre salut est plus proche que lorsque nous avons commencé à croire." Selon la pensée de l’Apôtre, ce verset doit s’entendre du salut de la vie éternelle, dont il est dit (Is 51,6): "Le salut que j’ai promis est éternel." Or l’homme est dirigé vers ce salut, d’abord par la foi (Marc, XVI, 16): "Celui qui croit et qui sera baptisé sera sauvé;" mais il s’en approche de plus en plus par les bonnes oeuvres et par l’accroissement de la charité; de là (Jacques IV, 8): "Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous." C’est aussi ce que dit S. Paul: "L’heure est venue de nous réveiller de notre assoupissement. Car maintenant," c’est-à-dire quand par les bonnes oeuvres et l’accroissement de la charité nous avons fait des progrès, "il est plus proche," c’est-à-dire plus rapproché de nous; "notre salut," c’est-à-dire celui le la vie éternelle, dont il est dit (Isaïe LI, 6): "Le salut que j'ai promis est éternel;" "que quand nous avons commencé à croire," c’est-à-dire que lorsqu’au commencement nous avons reçu la foi. Ce rapprochement peut être entendu de deux manières: d’abord du temps, quand les âmes saintes, avançant dans les oeuvres de la justice, approchent davantage du terme de cette vie et de la récompense; ensuite, d’un rapprochement de disposition ou de préparation, car, par l’accroissement de la charité et par la pratique de la justice, l'homme est préparé à ce salut (Matth., XXV, 10): "Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces." Mais, comme l’Eglise lit ces paroles au temps de l’Avent, elles paraissent s’appliquer au salut que Jésus-Christ nous a apporté à son premier avènement, en sorte qu’il faut entendre que l’Apôtre parle au nom de tous les fidèles qui ont existé depuis le commencement du monde. Car, à l'approche de l’Incarnation, lorsque les oracles des prophètes devenaient plus fréquents, temps que représente l’Eglise, on pouvait dire: "Maintenant notre salut est plus près que quand nous avons cru," c’est-à-dire quand les hommes ont commencé à croire que l’avènement de Jésus-Christ devait avoir lieu (Is 56,1): "Le salut qui vient de moi approche, et ma justice sera bientôt révélée." On pourrait aussi l’appliquer au temps de la miséricorde, quand chacun commence à vouloir sortir de ses péchés passés: alors le pécheur approche davantage de son salut qu’au commencement, lorsqu’il n’avait qu’une foi informe (Jacques IV, 7): "Résistez au démon, et il fuira loin de vous; approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous."

III. Lorsqu’il dit (verset 12): "La nuit est déjà avancée, et le jour s’approche," S. Paul emploie une similitude pour prouver sa proposition.

Ce passage, dans la pensée de l’Apôtre, doit s’entendre en ce sens que tout le temps de la vie présente ressemble à la nuit, à cause des ténèbres de l’ignorance qui s’appesantissent sur cette vie (Job, XXXVJI, 19): "Pour nous, nous sommes environnés de ténèbres." De cette nuit il est dit au prophète Isaïe (XXV, 9): "Mon âme vous a désiré pendant la nuit." Mais l’état de la béatitude future est semblable au jour, à cause des clartés divines dont sont illuminés les saints (Is 60,19): "Le soleil ne vous éclairera plus pendant le jour; la lune ne luira plus sur vous; le Seigneur sera votre lumière éternelle, et votre Dieu sera votre gloire." C’est à ce jour que se rapporte ce que dit le Psalmiste (CXVI, 24): "C’est ici le jour que le Seigneur a fait; réjouissons-nous et tressaillons d’allégresse."

On peut encore l’entendre autrement, et comparer l’état du péché à la nuit, à cause des ténèbres, dont il est dit (Psaume LXXXI, 5): "Ils n’ont pas compris; ils n’ont pas su; ils marchent dans les ténèbres." Il est écrit de cette nuit au livre de la Sagesse (XVI, 20): "Sur eux seuls s’étendait une épaisse nuit, image des ténèbres qui leur étaient réservées." Mais on appelle jour l’état de grâce, à cause de la lumière du sens spirituel qui brille dans les justes, laquelle manque aux pécheurs (Psaume XCVI, 14): "La lumière s’est levée sur le juste, etc.;" (Sag., V, 6): "Le soleil de l’intelligence ne s’est pas levé sur nous. “

Enfin on peut l’expliquer d’une troisième manière, en comparant à la nuit le temps qui a précédé l’incarnation de Jésus-Christ, parce qu’alors ce mystère n’était pas manifesté encore, mais placé dans une sorte d’obscurité (II Pierre, I, 19): "Vous avez les oracles des prophètes, sur lesquels vous faites bien d’arrêter les yeux, comme sur un flambeau qui luit dans un endroit obscur, jusqu’à ce que le jour commence à paraître;" (Is 21,11): "Sentinelle, qu’avez-vous vu cette nuit?" De même que pendant la nuit apparaissent les ombres, ainsi voyait-on pendant ce temps les choses de la Loi, qui sont l’ombre des choses futures, comme il est dit au ch. II, 17, de l’épître aux Colossiens. Mais le temps qui s’est écoulé depuis l’incarnation de Jésus-Christ est comparé au jour, à cause de la puissance du soleil spirituel sur le monde; ce qui a fait dire au prophète Malachie (IV, 2): "Pour vous qui craignez mon nom, se lèvera le soleil de justice." De là aussi cette parole du Sauveur lui-même (Jean, X, 4): "Il faut que je fasse les oeuvres de Celui qui m’a envoyé, tandis qu’il est jour;" et il ajoute (verset 5): "Tandis que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde." Ce que l’Apôtre dit (verset 12): "La nuit est déjà avancée," peut donc être pris indifféremment pour l’une de ces trois sortes de nuit; car, pour ceux à qui S. Paul écrivait, une grande partie du temps de cette vie s’était déjà écoulée, et, ce qui est plus vrai encore, la nuit du péché avait précédé, comme avait également précédé le temps de la Loi qui régna avant Jésus-Christ. Ce qu’il ajoute: "Et le jour s’approche," paraît devoir se rapporter dans sa pensée au jour de la gloire future, qui, bien que n’étant pas encore arrivé pour les fidèles de Jésus-Christ, aux quels s’adressait S. Paul, était cependant très proche pour eux. D’après ce qui précède, on pourrait encore l’entendre du temps de la grâce de Jésus-Christ, dont on peut dire que, bien qu’il soit arrivé déjà, selon la marche du temps, il s’approche cependant de nous par la loi et parla ferveur (Philippiens IV, 5): "Le Seigneur est proche;" et (Psaume CXLIV, 19): "Le Seigneur est proche de tous ceux qui l’invoquent." Ce sens peut aussi s’appliquer à ceux qui commencent à se repentir de leurs péchés: pour eux s’approche le jour de la grâce.

II° Lorsque S. Paul dit (verset 12): "Rejetons donc les oeuvres de ténèbres," il donne en conclusion une exhortation pour la décence de la vie. I. Il fait cette exhortation; II. Il l’explique, à ces mots (verset 13): "Non pas dans les excès de table, etc."

I. Sur la décence de la vie, il indique trois choses

L’éloignement du vice, qu condamne d’après ce qui précède: "Si la nuit est avancée," Rejetons donc les oeuvres de ténèbres;" car, dit l’Ecclésiastique (VIII, 6): "Chaque chose a son temps." Donc, la nuit se retirant, les oeuvres de la nuit doivent cesser. Or on appelle oeuvres de ténèbres les oeuvres des pécheurs,

A) d’abord parce qu’en elles-mêmes elles manquent des lumières de la raison, qui doit briller sur les oeuvres des hommes (Ecclésiastique II, 14): "Les yeux du sage le conduisent; l’insensé marche dans les ténèbres."

B) Ensuite elles sont faites dans les ténèbres (Job, XX, 15): "L’oeil de l’adultère épie les premières ténèbres."

C) Enfin elles conduisent l’homme aux ténèbres (Matth., XXI, 13): "Jetez-le dans les ténèbres extérieures."

S. Paul engage à acquérir les vertus; comme s’il disait: dès lors que le jour s’approche, munissons-nous de ce qui convient au jour (verset 13): "Revêtons-nous des armes de lumière" c’est-à-dire des vertus qui sont appelées des armes en tant qu’elles nous protégent (Ephés., VI, 11): "Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir résister aux embûches de Satan." On les appelle "armes de lumière," soit parce que la lumière de la raison les décore et les perfectionne (Proverbes IV, 18): "La voie des justes est comme une lumière brillante qui s’avance et qui croît," soit parce qu’elles ont besoin de l’éclat de la lumière (Jean, III, 21): "Celui qui accomplit la vérité vient à la lumière," soit, enfin, parce que les oeuvres des vertus se reflètent sur les autres (Math., V, 16): "Que votre lumière luise devant les hommes."

L’Apôtre exhorte à la pratique de ces vertus et à leur pratique parfaite, lorsqu’il dit (verset 13): "Marchons avec honnêteté, comme durant le jour," car l’un et l’autre paraissent convenir au jour.

A) La décence d’abord. En effet, pendant le jour, on s’applique à se bien tenir, afin de paraître avec décence devant les autres. Mais il n’en est pas ainsi durant la nuit; de là il est dit (I Thess., V, 7): "Ceux qui dorment, dorment durant la nuit, et ceux qui s’enivrent le font aussi durant la nuit; mais nous qui sommes enfants du jour, soyons sobres;" et encore (I Cor., XIV, 40): "Que parmi vous tout se passe avec décence et selon l’ordre."

B) Ensuite c’est pendant le jour que l’homme marche, et non pendant la nuit; de là ces paroles (Jean, XI, 10): "Si quelqu’un marche pendant la nuit, il chancelle. Ainsi donc, puisqu’il est jour, il faut que nous marchions," c’est-à-dire que nous avancions du bien au mieux; de là ces paroles (Jean, X, 13): "Marchez pendant que vous avez la lumière."

II. Lorsqu’il dit (verset 13): "Non pas dans les excès...," l’Apôtre développe ce qui précède.

Il expose comment il faut quitter les oeuvres de ténèbres, qui sont les oeuvres du péché, et il en énumère quelques-unes.

A) Il nomme en première ligne ceux qui appartiennent à la corruption de l’appétit concupiscible. Or cette corruption est l’intempérance, qui porte aux délectations du toucher et de la bonne chère. a) Aussi condamne-t-il d’abord l’intempérance de la table, lorsqu’il dit (verset 13): "Non dans les excès de table." On appelle débauches les repas trop abondants et par trop soignés (Proverbes XXIII, 20): "Ne vous trouvez pas aux festins de ceux qui aiment à boire, ou dans les débauches de ceux qui se remplissent de viandes." Or cet excès peut aller jusqu’au péché mortel, puisque nous lisons dans la Loi que pour une faute de cette nature il y eut condamnation à mort. En effet, il est dit du fils débauché (Deut., XX, 20): "Il passe sa vie dans la débauche, dans la dissolution et dans les festins;" et (verset 21): "Alors le peuple le lapidera." On passe pour vivre dans les débauches et dans les festins, non quand on fait des festins magnifiques, selon son état et sa dignité, comme il est dit au livre d’Esther (II, 18), qu’Assuérus "fit préparer un magnifique festin pour son mariage avec Esther, avec des largesses dignes de la munificence d’un si grand prince;" mais quand on va au delà de la décence qui con vient à son état, et surtout quand on fait de ces festins l’objet principal de ses soucis, comme faisaient ceux dont il est dit au ch. XVI, 18, de cette épître: "De tels hommes ne servent pas le Christ le Seigneur, mais leur ventre;" et (Ph 3,19): "Ils font leur Dieu de leur ventre." b) L’Apôtre condamne en second lieu l’intempérance dans le boire, lorsqu’il ajoute: "Et du vin," excès qui appartiennent à l’ivrognerie et font franchir à l’homme les bornes de la raison (Ecclésiastique XXXI, 3): "Le vin a été créé au commencement pour la joie de l’homme et non pour l’ivresse." Il faut remarquer que l'ivresse de sa nature, est péché mortel, lorsque l’homme, de propos délibéré, s’enivre parce qu’il parait préférer la délectation qu’il tire du vin à l’intégrité de sa raison (Is 5,22): "Malheur à vous qui êtes puissants à boire du vin et vaillants pour exciter à l’ivresse!" Que si quelqu’un s’enivre contre son intention et non de propos délibéré, exemple, parce qu’il ignore la force du vin ou parce qu’il ne s’attend pas que cet excès sera suivi de l’ivresse, ce n'est pas un péché mortel; car ce n'est pas volontairement qu’il s’enivre, mais par accident, ce qui toutefois ne peut avoir lieu de la part de ceux chez qui l’ivresse est fréquente. Voilà pourquoi S. Augustin (Sermon sur le Purgatoire) dit que l’ivresse est péché mortel dès lors qu’elle est habituelle. C’est ce qui fait dire à S. Paul, en termes exprès, au pluriel: "Non dans les excès de table et du vin." c) Troisièmement il condamne l’intempérance quant à l’excès du repos corporel, lorsqu’il dit: "Non dans l’abus du sommeil," c’est-à-dire dans un sommeil prolongé, qu’il interdit avec raison après les débauches et les ivrogneries, parce qu’il en est la suite, ce qui peut donner matière à péché mortel, quand, pour ce repos corporel et ce sommeil, on omet ce qu’on est dans l’obligation de faire, ou qu’on se laisse aller à quelque autre mal (Michée, II, 1): "Malheur à vous qui vous laissez aller à de coupables pensées, et sur vos lits préparez l’iniquité!" Cette expression de S. Paul peut encore s’entendre de ce qui provoque la luxure; de là la courtisane dit (Proverbes vit, 17): "J’ai parfumé ma couche d’essence de myrrhe;" et (Gen., XLIX, 4): "Ruben, vous êtes monté sur le lit de votre père." d) Aussi, quatrièmement, l’Apôtre condamne avec raison l’intempérance quant à la volupté de la chair, quand il ajoute: "Ni dans les impudicités," c’est-à-dire tous les actes d’impureté qu’on appelle ainsi, parce qu’on y souille tout ce qui est digne de pudeur ou de confusion, que toutes les délectations du toucher, de la gourmandise et de la luxure nous sont communes avec les brutes, ce qui fait que celui qui s’y livre, au mépris de l’ordre, leur devient semblable (Psaume XXXI, 9): "Ne devenez pas semblables au cheval et au mulet, animaux sans intelligence, etc.;" soit encore, particulièrement, que dans ces actes la raison de l’homme est totalement absorbée par la délectation, de telle sorte qu’il ne peut plus rien comprendre, ainsi que l’a observé Aristote (Ethique, liv. I, ch XXII). Aussi est-il dit dans Osée (IV, 11): "La fornication, et l’ivresse, et le vin, ont emporté leur coeur;" et (Apoc., X, 21): "Ils n'ont pas fait pénitence de leurs impudicités et de leurs fornications, par lesquelles ils se sont souillés."

B) L’Apôtre condamne ensuite ce qui a rapport à la corruption de l’appétit irascible, lorsqu’il dit: "Non dans la contention." Or la contention, comme S. Ambroise l’a définie (sur l’épître XI aux Thessaloniciens), est l’attaque de la vérité avec des clameurs sans retenue. L’on peut regarder comme défendue par cette parole toute rixe non seulement en paroles, mais en actions qui, le plus souvent, commencent par des injures (Proverbes XX, 3): "C’est une gloire à l’homme d’éviter les contestations." Elles ont ordinairement pour origine l’envie; voilà pourquoi S. Paul ajoute: "Ni dans les jalousies " (Jacques III, 46): "Là où est la jalousie et la contention, là aussi est le trouble et toute espèce de mal."

En second lieu, S. Paul explique comment nous devons nous revêtir des armes de lumière, en disant (verset 14): "Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ, à savoir en qui ont fleuri très abondamment toutes les vertus, selon ce passage d’Isaïe (IV, 1): "En ce jour-là sept femmes prendront un seul homme." Or nous nous revêtons de Jésus-Christ:

A) d’abord, par la réception du baptême (Gal., III, 27): "Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous vous êtes revêtus de Jésus-Christ;

B) ensuite, par l’imitation (Colos., III, 9): "Dépouillez-vous du vieil homme et de ses oeuvres, et revêtez-vous de l’homme nouveau;" et (Ephés., XV, 24): "Revêtez-vous de l’homme nouveau qui a été créé à la ressemblance de Dieu dans la justice." Or on dit que celui-là se revêt de Jésus-Christ qui en est l’imitateur; car, ainsi que l’homme est renfermé dans le vêtement et en porte la couleur, ainsi paraissent les oeuvres de Jésus-Christ dans celui qui imite Jésus-Christ. Par cette raison, nous nous revêtons donc des armes de lumière quand nous nous revêtons de Jésus-Christ.

Enfin l’Apôtre développe ce qui précède: "Marchons avec décence comme dans le jour," en ajoutant (verset 14): "Et ne contentez pas la chair dans ses convoitises." Car la beauté de la décence consiste à ce que l’homme ne préfère pas la chair à l’esprit, mais l’esprit à la chair (ci-dessus, VIII, 12): "Nous ne sommes pas redevables à la chair, pour vivre selon la chair." Remarquons que l’Apôtre ne dit pas simplement: ne contentez pas la chair, parce que chacun est tenu d’en prendre soin pour soutenir la nature, selon cette parole de S. Paul (Ephés., II, 29): "Personne n’a haï sa propre chair; au contraire, il la nourrit et en a soin;" mais il ajoute: "Dans ses convoitises," c’est-à-dire dans les désirs déréglés de la chair, que nous ne devons pas suivre. C’est pour cela qu’il est dit aux Galates (verset 16): "Conduisez-vous selon l’Esprit, et vous n’accomplirez pas les désirs de la chair."





CHAPITRE XIV: LES INTERDITS ALIMENTAIRES DE L'ANCIENNE LOI





Romains 14, 1 à 13: L'attention aux faibles dans la foi

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Rm 14,1-14)


SOMMAIRE: Les faibles et les imparfaits dans la foi ne doivent pas être méprisés par ceux qui sont forts et parfaits. Il faut éviter les jugements téméraires et le scandale des faibles.



1. Recevez celui qui est faible dans la foi, sans disputer sur ses opinions,

2. Car l’un croit qu’il peut manger de tout, et l’autre, qui est faible, mange des légumes.

3. Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange pas, et que celui qui ne mange pas ne juge pas celui qui mange, car Dieu l’a accueilli.

4. Qui es-tu pour juger le serviteur d’autrui? C'est pour son maître qu’il tombe ou qu'il demeure debout; mais il demeurera ferme, car Dieu est puissant pour l’affermir.

5. L'un met de la différence entre un jour et un jour; l’autre, au contraire, les juge tous semblables: que chacun abonde en son sens.

6. Celui qui distingue les jours le fait pour plaire au Seigneur. Et celui qui mange, mange pour plaire au Seigneur, car il rend grâces à Dieu; et celui qui ne mange pas, ne mange pas en vue du Seigneur, et il rend grâces d Dieu.

7. Car aucun de nous ne vit pour soi-même, et personne ne meurt pour soi-même.

8. Mais, soit que nous vivions, c’est pour le Seigneur que nous vivons; soit que nous mourions, c pour le Seigneur que nous mourons. Soit donc que nous vivions, soit que nous mourions, nous appartenons au Seigneur.

9. C'est pour cela même que le Christ est mort et qu est ressuscité, afin de dominer les morts et les vivants.

10. Mais toi, pourquoi juges-tu ton frère? Ou pourquoi méprises-tu ton frère? Car tous nous comparaîtrons devant le tribunal du Christ.

14. En effet, il est écrit: Je vis, moi, dit le Seigneur; oui, tout genou fléchira devant moi, et toute langue confessera Dieu.

12. Ainsi chacun de nous rendra compte à Dieu pour soi.

13. Ne nous jugeons donc plus mutuellement désormais



L’Apôtre, après avoir enseigné qu’on doit chercher à devenir par fait, montre ici comment les parfaits doivent se conduire à l’égard des gens imparfaits. Et d’abord il fait voir qu’ils ne doivent ni les scandaliser ni les juger, ensuite qu’ils doivent les soulager, au X chapitre, à ces mots (verset 1): "Nous devons donc, nous qui sommes plus forts." Sur le premier de ces devoirs, il défend d’abord les jugements téméraires, et ensuite les scandales des faibles, à ces mots (verset 13): "Songez plutôt que vous ne devez pas être pour votre frère une pierre d’achoppement, etc." A l’égard des jugements téméraires, il donne un avertissement; II° il le développe, à ces mots (verset 2): "Car l’un croit pouvoir, etc.;" III° il en donne la raison, à ces autres (verset 3): "Car Dieu l’a accueilli."

I° Sur l’avertissement que donne S. Paul, il faut remarquer que, dans la primitive Eglise, quelques Juifs convertis au christianisme croyaient que l’on était tenu d’observer les prescriptions de la loi mosaïque simultanément avec celle de l’Evangile, ainsi qu’on le voit au ch. XV, 4, des Actes. Ces fidèles, l’Apôtre les appelle faibles dans la foi, comme ne croyant pas encore parfaitement que la foi de Jésus-Christ suffit pour le salut; il appelle parfaits, au contraire, ou fermes dans la foi, ceux qui croyaient qu’il fallait garder la foi de Jésus-Christ, en laissant de côté les observances légales. Or à Rome il se trouvait des fidèles de l’une et l’autre opinion. S. Paul s’adresse donc aux parfaits dans la foi, en disant: Il a été dit que vous devez vous revêtir de Jésus-Christ: "Recevez donc," c’est-à-dire unissez-vous par l’affection de la charité pour supporter, "celui qui est faible dans la foi," ainsi qu’il a été expliqué. On peut entendre dans ce sens ce qu’on lit (Sag., IX, 45): "Un homme infirme et de peu de jours, trop faible pour comprendre les jugements de Dieu et les lois;" (ci-après, XV, 7): "Accueillez-vous les uns les autres, comme le Christ vous a accueillis;" et (Ecclésiastique XXIX, 42): "A cause du commandement, assistez le pauvre. Et cela Sans disputer sur ses opinions," à savoir, parce que l’un pense d’une manière, l’autre d’une autre, ceux-ci observant les cérémonies légales et regardant comme transgresseurs ceux qui ne les observaient pas, ceux-là, au contraire, ne les observant pas et méprisant comme ignorants et abusés ceux qui les observaient (ci-dessus, II, 45): "Leurs différentes pensées tantôt les accusant, tantôt les défendant.

II° Lorsqu’il ajoute (verset 2): "Car l’un croit pouvoir, etc.," l’Apôtre développe ce qui précède. I. Il fait voir quels sont les infirmes dans la foi; II. Comment il faut éviter les vaines disputes, à ces mots (verset 3): "Que celui qui mange."

I. Sur le premier de ces points, il faut remarquer qu’au nombre des observances légales était compris le discernement des aliments; car certains aliments étaient défendus par la Loi, comme on le voit au ch. XI du Lévitique, et chaque jour il fallait appliquer ou n’appliquer pas cette observance. Voilà pourquoi l’Apôtre le rappelle spécialement, en disant (verset 2): "Car, parmi vous, "l’un," à savoir celui qui est parfait dans la foi, "croit qu’il peut manger de tout," sans faire aucun mal, par la raison qu’il ne se croit pas astreint aux observances légales (Matth., XV, 11): "Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme;" et (I Tim., IV, 4): "Tout ce que eu a créé est bon, et l’on ne doit rien rejeter de ce qui se mange avec action de grâces." Que si, dans la loi ancienne, certains aliments aient défendus, ce n'est pas qu’ils fussent de leur nature immondes; car de même que, dans le langage, cette expression: insensé, indique quelque défaut, bien qu’en elle-même cette expression soit bonne, ainsi, dans les choses, tel animal est bon par sa nature, qui par sa signification est mauvais, par exemple le porc, qui rappelle quelque chose immonde. Voilà pourquoi dans les temps anciens l’usage de cette chair fut interdit, afin de marquer, par l’obligation de s’en abstenir, qu'il fallait éviter toute impureté. Car toute la vie de ce peuple était une figure, comme l’a remarqué S. Augustin (Contre Fauste liv. VI, ch. II); mais à la venue de Jésus-Christ, qui est la vérité, les figures cessèrent. S. Paul ajoute pour celui qui est faible (verset 2): "Et l’autre, qui est faible, mange des légumes;" comme s’il disait: qu’il fasse usage des aliments dans lesquels ne se rencontre pas quelque chose d'immonde, défendu par la Loi. Car dans chaque espèce d’animaux, par exemple parmi ceux qui vivent sur la terre, dans les airs ou dans les eaux, certaines espèces étaient permises et d’autres défendues; Mais dans les légumes et dans les fruits, rien n’était interdit, ainsi qu'on le voit au ch. XI, 1-47, du Lévitique. Il peut y avoir de ceci deux raisons: la première, c’est que les produits de la terre furent dès le commencement abandonnés à l’homme pour s’en nourrir, suivant ce passage de la Genèse (I, 29): "Je vous ai donné toutes les plantes répandues sur la surface de la terre et portant leur semence, et tous les arbres, qui ont leur germe en eux-mêmes, pour servir à votre nourriture." Mais on lit que ce ne fut qu’après le déluge seulement que l’usage de la chair des animaux fut accordé à l’homme pour la première fois. De là il est dit au livre de la Genèse (IX, 3): "Je vous ai abandonné toutes choses," à savoir les différentes espèces d’animaux, "comme les herbes et les plantes de la campagne." La seconde raison, c’est que, la première défense de s’abstenir de certaines productions de la terre ayant été violée par l’homme dans le paradis terrestre, comme il est rapporté au ch. III, 6, de la Genèse, n’était un motif de ne pas réitérer la même défense.

Mais les observances légales ayant cessé au moment de la mort de Jésus-Christ, ne semble-t-il pas qu’il y ait quelque inconvenance de la part de l’Apôtre à permettre aux faibles dans la foi de s’abstenir des aliments défendus par la Loi, ce que maintenant l’Eglise ne souffre pas?

Il faut distinguer, avec S. Augustin (ép. XIX), trois époques quant aux prescriptions légales. La première, c’est le temps qui précède la mort de Jésus-Christ, où ces prescriptions avaient leur force et étaient encore vivantes. La seconde époque est celle qui s’est écoulée depuis la mort de Jésus-Christ jusqu’à la promulgation de l’Evangile: pendant cette époque les prescriptions légales étaient frappées de mort, personne n’y était tenu, et ces observances ne pouvaient profiter à personne; toutefois elles ne donnaient pas encore la mort, car les Juifs convertis à Jésus-Christ pouvaient les observer sans péché. C’est de ce temps que parle S. Paul. La troisième époque comprend le temps écoulé depuis la promulgation de l’Evangile: pendant cette période, les prescriptions légales non seulement sont mortes, mais donnent la mort; en sorte que les observer, c’est pécher mortellement.

La Glose donne une autre explication. Elle dit: "Le faible, c’est celui qui est enclin à succomber aux vices de la chair; à celui-là il faut conseiller de manger des légumes, c’est-à-dire des aliments légers et sans beaucoup de sucs, qui ne soient pas un aiguillon pour le vice, et de s’abstenir de ceux qui excitent la passion. Mais un autre, qui est plus fort, croit qu’il peut manger de tout sans danger." Cette différence se remarque en S. Matthieu (IX, 41), entre les disciples de Jésus-Christ qui ne jeûnaient pas, fortifiés qu’ils étaient par la présence du Sauveur, et les disciples de Jean-Baptiste qui jeûnaient. C’est ainsi que ceux qui font pénitence s’abstiennent de certains aliments non à cause de l’impureté de ces aliments, mais pour réprimer les mauvais penchants.

II. En ajoutant (verset 3): "Que celui qui mange, etc.," il explique comment il faut éviter les contestations:

quant aux parfaits, par ces paroles mêmes (verset 3): "Que celui qui mange," avec une conscience tranquille, de toutes choses, ou encore sans danger d’exciter la passion, "ne méprise pas," à savoir, comme faible dans la foi ou comme enclin aux vices, "celui qui ne mange pas," à savoir, indifféremment de toutes choses (Is 33,1): "Malheur à vous qui méprisez! Ne serez-vous pas méprisés à votre tour?" et (Luc, X, 16): "Celui qui vous méprise, me méprise."

Quant aux faibles, en disant (verset 3): "Et que celui qui ne mange pas," à savoir, avec indifférence de toutes choses, ou parce qu’il est faible dans la foi, comme celui dont parle l’Apôtre, ou parce qu’il est enclin à la passion, "ne condamne pas celui qui mange," à avoir de toutes choses, comme transgresseur de la Loi ou comme esclave des passions (Matth., VI, 1): "Ne jugez pas, afin que vous ne soyez pas jugés;" et (ci-dessus, II, 1): "Vous êtes inexcusable, qui que vous soyez, vous qui condamnez les autres."

III° Quand l’Apôtre dit (verset 3): "Car Dieu l’a accueilli," il donne trois raisons pour lesquelles nous devons nous abstenir de faire de faux jugements. La seconde est exposée à ces mots (verset 4): "C’est pour son Maître qu’il demeure, etc.;" la troisième, à ces autres (verset 4): "Mais vous qui jugez."

I. La première est prise de l’autorité qui juge. S. Paul montre donc: que la charité qu’il prêche est a Dieu; il conclut qu’il n’appartient pas à l’homme de juger, à ces mots (verset 4): "Qui êtes-vous?"

Il a été dit, poursuit-il, et avec raison, que celui qui ne mange pas ne condamne pas celui qui mange, "Car Dieu l’a accueilli," à savoir comme l’un de ses serviteurs qu’il jugera lui-même (Zach., XI, 6): "J'ai pris deux houlettes," c’est-à-dire deux peuples (Psaume XVII, 19): "Il m’a retiré des eaux de l’abîme." Or celui qui est réservé au jugement d’un supérieur ne doit pas être jugé par l’inférieur.

Voilà pourquoi S. Paul conclut (verset 4): "Qui êtes-vous donc?" c’est-à-dire de quelle autorité ou de quelle puissance êtes-vous revêtu, vous qui jugez le serviteur d’autrui? En d’autres termes, votre prochain qui est le serviteur de Dieu? On requiert, en effet, dans celui qui juge, l’autorité, suivant ces paroles de l’Exode (II, 14): "Qui vous a établi prince et juge au-dessus de nous?" et en S. Luc (XII, 14): "O homme, qui m’a constitué juge et arbitre entre nous?"

Mais ne suivrait-il pas de cette raison que le jugement d’un homme par un autre homme serait illicite? Il faut répondre que le jugement de l’homme est licite en tant qu’il est exercé en vertu de l’autorité accordée par Dieu. C’est de là qu’il est dit au Deutéronome (I, 16): "Ecoutez ceux qui viendront à vous, et jugez selon la justice;" et on lit à la suite: "Parce que c’est le jugement de Dieu," c’est-à-dire parce qu’il est exercé en vertu de l’autorité divine. Que si quelqu’un veut s’arroger le jugement sur ce qui n'a pas été soumis par Dieu à son appréciation, comme si un juge délégué par le Pontife suprême voulait d une décision dépasser la portée de son mandat, c’est un jugement téméraire. Or Dieu s’est réservé à lui seul le droit de juger des choses cachées, comme sont en particulier les pensées des coeurs et les choses futures. Voilà pourquoi celui qui s’arroge le droit de juger de ces choses fait un jugement téméraire. C’est ce qui a fait dire à S. Augustin (Traité du Sermon sur la montagne): "Le jugement est téméraire en deux points," à savoir: quand l’intention qui a déterminé l’action est incertaine, ou quand il est incertain comment sera dans la suite celui qui main tenant apparaît ou bon ou mauvais.

II. En disant (verset 4): "C’est pour son Maître qu’il demeure ferme ou qu’il tombe," l’Apôtre donne la seconde raison, tirée du mérite ou du démérite. En effet, on pouvait dire que, bien que l’homme n’ait pas l’autorité pour juger, cependant il doit intervenir dans le juge ment du prochain, à. raison du dommage ou de l’avantage qui en provient. Mais S. Paul montre que cela appartient à Dieu plutôt qu’aux hommes. C’est pourquoi nous devons laisser à Dieu le jugement du prochain, à moins que nous n’ayons à nous acquitter à la place de Dieu des devoirs de juge, à raison de l’autorité à nous commise. Sur ce point, l’Apôtre énonce ce qu’il veut établir; il l’appuie d’un exemple, à ces mots (verset 5): "Car l’un met de la différence;" il prouve sa proposition, à ces autres (verset 5): "Entre les jours."

Sur le premier de ces points, S. Paul établit deux choses:

A) D’abord, que tout ce qui arrive à l’homme est du ressort de Dieu, lorsqu’il dit (verset 4): "C’est pour son Maître qu’il demeure ferme," c’est-à-dire s’il fait le bien (Psaume CXXI, 2): "Nos pieds se sont arrêtés dans tes parvis, ô Jérusalem!" - "ou qu’il tombe," c’est-à-dire s’il pèche (Amos, V, 4): "La maison d’Israël est tombée, et elle ne pourra plus se rétablir." Or l’Apôtre se sert d’une disjonctive: "Qu’il demeure ferme ou qu’il tombe," à cause du manque de certitude; car beaucoup paraissent tomber qui sont debout, et réciproquement, suivant cette parole de l’Ecclésiaste (VIII, 40): "J’ai vu les impies ensevelis avec honneur; lorsqu’ils vivaient encore, ils habitaient dans le lieu saint, et leurs oeuvres étaient louées comme les oeuvres des justes." L’Apôtre emploie ici la comparaison d’un serviteur et d’un maître: le maître a droit sur tout ce qui con cerne son serviteur. Cependant il ne faut pas entendre que, lorsque l’homme demeure ferme ou qu’il tombe, Dieu en tire quelque profit ou quelque dommage; car il est dit au livre de Job (XXXV, 6): "Si vous commettez l’iniquité, en quoi nuirez-vous à Dieu? Et si vous êtes juste, que lui donnerez-vous?" Mais le bien que nous faisons aux hommes se rapporte à la gloire de Dieu (Matth., V, 18): "Afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux." Mais lorsque nous tombons par le péché, nous donnons aux hommes une occasion de blasphémer contre Dieu (ci-dessus, II, 24): "Vous êtes cause que le nom de Dieu est blasphémé par les Gentils; " ou bien encore ce que dit S. Paul: "C’est pour son Maître qu’il demeure ferme ou qu tombe," peut s’expliquer par: c’est l’objet du jugement de son Maître (I Cor., IV, 4): "C’est le Seigneur qui est mon juge."

B) S. Paul montre ensuite qu’il appartient à Dieu de juger de l’état de l’homme, en disant (verset 4): "Mais il demeurera ferme;" comme s’il disait: si quelqu’un tombe maintenant par le péché, il peut arriver cependant qu’il se relève; ce qui s’accomplit entièrement s’il est prédestiné (Psaume XL, 9): "Celui qui dort ne se réveillera-t-il plus?" et au prophète Michée (VII, 8): "O mon ennemie, ne te réjouis pas sur moi parce que suis tombé, je me relèverai..." Si donc nous voyons notre frère tomber manifestement, nous ne devons pas le mépriser en jugeant témérairement à son égard qu’il ne se relèvera plus, mais plutôt espérer qu’il se relèvera, non en comptant sur sa condition humaine, mais en nous appuyant sur la considération de la puissance divine. Ainsi, lorsque S. Paul dit (verset 4): "Dieu est puissant pour l’affermir, " nous devons présumer, à raison de la bonté de Dieu, qu’il se relèvera (Ezéch., III, 24).: "L’Esprit entra en moi, et il m’affermit;" et encore, ainsi qu’il a été dit plus haut (XI, 23): "Eux-mêmes, s’ils ne persistent pas dans leur incrédulité, seront entés sur leur tige, car Dieu est puissant pour les enter de nouveau."

Quand l’Apôtre ajoute (verset 5): "De même, l’un met de la différence," il appuie par un exemple ce qu’il a dit.

A) Et d’abord il fait ressortir la diversité des jugements humains, en disant: Je dis donc que "C’est l’affaire de son Maître s’il demeure ferme ou s’il tombe; car l’un met de la différence entre les jours," c’est-à-dire juge entre un jour et un autre jour, à savoir pour s’abstenir dans l’un et ne pas s’abstenir dans l’autre. Ceci paraît s’appliquer à celui qui, étant faible dans la foi, croit qu’on doit encore observer les prescriptions de la Loi. Car il est écrit au Lévitique (XXIII, 21): "Le dixième jour de ce septième mois sera le jour des expiations; vous affligerez votre âme en ce jour;" et (Judith VIII, 6): "Elle jeûnait tous les jours de sa vie, excepté les sabbats, et les nouvelles lunes, et les fêtes de la maison d’Israël " Mais l’autre juge qu’il faut être à l’égard des jours dans une complète indifférence, quant aux cérémonies de la Loi, qui ont cessé d’obliger. Ceci semble s’appliquer à celui qui est parfait dans la foi (Psaume CXLIV, 2): "Je vous bénirai chaque jour, etc." On peut aussi rapporter ce passage aux abstinences qui se pratiquent pour réprimer la passion, abstinences auxquelles plusieurs vaquent tous les jours, par exemple ceux qui jeûnent ou s’abstiennent perpétuellement de viande et de vin, tandis que d’autres ne le font qu’avec certains intervalles, et ensuite cessent l’abstinence, suivant ce passage de l’Ecclésiaste (III, 4): "Tout a son temps."

B) S. Paul montre en second lieu que ces diverses pratiques peu vent être rapportées à la gloire de Dieu, quand il dit (verset 5): "Que chacun abonde en son sens," c’est-à-dire soit laissé à son propre sentiment; car abonder en son sens, c’est suivre son sens particulier (Ecclésiastique XV, 14): "Dieu, dès le commencement, a créé l’homme, et il l’a laissé dans la main de son propre conseil;" ou encore: "Dans son sens," c’est-à-dire que chacun, suivant son sentiment particulier, s’applique à s’enrichir spirituellement pour la gloire de Dieu, suivant cette parole (I Cor., XIV, 12): "Désirez être enrichis des dons spirituels pour l’édification de l'Eglise."

Cependant cette règle paraît applicable seulement à ce qui n’est pas mauvais en soi; dans ce qui est mauvais, l’homme ne peut être abandonné à son propre sens. Or mettre de la différence entre un jour et un autre paraît mal en soi, suivant la première explication; car il est dit (Gal., IV, 10): "Vous observez les jours et les mois, les semaines et les années: je crains pour vous que je n’aie travaillé en vain parmi vous." Dans ce passage, S. Paul parle à la lettre de ceux qui soutiennent qu’on doit mettre de la différence entre les jours, à raison des observances de la Loi. Il faut répondre que ce que dit S. Paul en cet endroit se rapporte au temps pendant lequel il était licite aux Juifs convertis à la foi d’observer les prescriptions légales, comme il a été dit.

Néanmoins, quant à la seconde explication, il semble, ainsi qu’il le dit, qu’on doive mettre de la différence entre les jours, puisqu’il en est certains dans lesquels il n’est pas permis de jeûner; car S. Augustin dit (Ep. à Casulanus, LXXXVI): "Quiconque penserait qu’il faut jeûner le dimanche ne donnerait pas qu’un léger scandale à l’Eglise." Ce n’est pas sans raison; car à l’égard de ces jours, au sujet desquels ni l’Eglise ni la sainte Ecriture n’ont rien statué de certain, la coutume du peuple de Dieu et les institutions de ceux qui nous ont précédés doivent être regardées comme une loi. Et dans le Décret il est dit (dist. XXX): "Si un prêtre, à raison de la pénitence publique imposée par un prêtre, a, sans autre nécessité, jeûné le dimanche, en vue d’une pratique pieuse, comme font les Manichéens, qu’il soit anathème." Il faut répondre que S. Paul parle ici de ces abstinences qui peuvent se pratiquer tous les jours, licitement et sans rompre avec la pratique commune ou avec les institutions des Pères.

Lorsque S. Paul dit (verset 6): "Celui qui distingue les jours," il prouve sa proposition, à savoir que chacun demeure ferme et tombe pour son Maître. Il le prouve de trois manières: par la conduite des fidèles; par leur intention, à ces mots (verset 7): "Aucun de nous;" par leur condition, à ces autres (verset 8): "Soit que nous vivions, soit que nous mourions, etc."

A) Il prouve donc en premier lieu: a) comment chaque fidèle demeure ferme ou tombe pour son Maître: "C’est qu’il rend grâces à Dieu " de tout ce qu’il a fait selon sa conscience. Aussi S. Paul dit-il (verset 6): "Celui qui distingue les jours," c’est-à-dire celui qui un jour s’abstient et un autre jour cesse de s’abstenir, "les distingue pour plaire au Seigneur," c’est-à-dire c’est par respect pour Dieu qu’il distingue les aliments, de même que nous discernons les veilles des fêtes, en y pratiquant le jeûne, des jours de fêtes dans lesquels nous ne jeûnons pas, par respect pour Dieu (Ecclésiastique XXXIII, 7): "D’où vient qu’un jour est préféré à un jour, et encore un temps à un autre temps?" b) Il passe ensuite à ceux qui ne mettent aucune différence entre les jours: parmi ceux-ci quelques-uns ne réservaient aucun jour au jeûne, ainsi qu’il est dit en S. Matthieu (IX, 14), que les disciples de Jésus-Christ ne jeûnaient pas; ce qui lui fait dire (verset 6): "Et celui qui mange," à savoir, tous les jours, le fait "pour le Seigneur;" ce qui paraît en ceci (verset 6): "Qu’il rend grâces à Dieu" de la nourriture qu’il a prise (I Tim., IV, 2): "Ils interdiront l’usage des viandes que Dieu a créées pour être mangées avec des actions de grâces par les fidèles;" et (Psaume XXI, 18): "Les pauvres mangeront et seront rassasiés." c) Enfin il parle de celui qui ne met aucune différence entre les jours, c’est-à-dire qui s’abstient chaque jour (verset 6): "Et celui qui s’abstient," c’est-à-dire tous les jours, le fait "pour le Seigneur," en d’autres termes pour la gloire du Seigneur; et cela est évident, "puisqu'il rend grâces à Dieu," qui lui a donné la volonté et la force de s’abstenir (I Thess., V, 18): "Rendez grâces à Dieu en toutes choses." Cependant ce que l’Apôtre dit ici de ceux qui tous les jours ou pratiquaient l’abstinence ou ne la pratiquaient pas, doit s’entendre quant au temps, pendant lequel cette conduite n’avait rien de contraire aux institutions traditionnelles et à la coutume du peuple de Dieu.

B) Lorsqu’il ajoute (verset 7): "Aucun de nous ne vit pour soi," il prouve sa proposition par l’intention des fidèles. a) Et d’abord il rejette l’intention contraire à l’ordre, en disant: Je dis que chacun de nous demeure ferme ou tombe pour son Maître, "Car aucun de nous ne vit," ni de la vie naturelle ni de la vie spirituelle, dont il est dit (Habacuc, II, 4): "Le juste vit de la foi;" - "pour soi," c’est-à-dire en se prenant pour fin, parce que ce serait jouir de soi-même (I Cor., X, 33): "Ne cherchant pas ce qui m’est particulièrement avantageux;" (Psaume CXIII, 9): "Faites éclater votre gloire non pour nous, mais pour votre nom." Ou "Pour soi," c’est-à-dire selon sa propre règle, comme ceux qui disent, au livre de la Sagesse (II, 11): "Que notre force soit la règle de notre justice." Ou "Pour soi," c’est-à-dire selon son jugement (I Cor., IV, 3): "Je ne me juge pas moi-même" (verset 7): "Et personne ne meurt pour soi," c’est-à-dire de la mort corporelle, ou de la mort spirituelle par le péché, ou même encore de la mort spirituelle par laquelle on meurt aux vices, par exemple dans le baptême, selon ce qui a été dit plus haut (VI, 7): "Celui qui est mort est délivré du péché." Ou "Pour soi," c’est-à-dire à son jugement; ou "Pour soi," et à son exemple; mais c’est à l’exemple de Jésus-Christ que chacun meurt à ses vices (Rom., VI, 10): "En ce qu’il est mort au péché, il est mort seule ment une fois;" et peu après: "Considérez-vous vous-mêmes comme étant morts au péché, etc." b) L’Apôtre montre ensuite quelle doit être la droite intention du fidèle, en ajoutant: "Soit donc que nous vivions" de la vie corporelle, "nous vivons pour le Seigneur," c’est-à-dire pour la gloire du Seigneur; "soit que nous mourions" de la mort corporelle, "nous mourons pour le Seigneur," c’est-à-dire pour la gloire du Seigneur (): "Jésus-Christ sera glorifié dans mon corps soit par ma vie, soit par ma mort." Ou encore, si l’on entend ce que dit S. Paul: "Nous vivons et nous mourons," de la vie et de la mort spirituelle, on expliquera ces mots: "Pour le Seigneur," par: "au jugement du Seigneur," qui a été établi de Dieu "le juge des vivants et des morts " (Actes X, 42).

C) En disant (verset 8): "Soit donc que nous vivions," il prouve sa proposition par la condition des fidèles. a) Et d’abord il déduit de ce qui précède que leur condition est telle qu’ils ne s’appartiennent plus, mais qu’ils sont à un autre; car ceux qui s’appartiennent, comme sont les hommes libres, vivent et meurent pour eux-mêmes. Or de l’assertion précédente: "Que les fidèles ne vivent et ne meurent pas pour eux, mais pour le Seigneur," S. Paul conclut ainsi: "Soit donc que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur," comme les serviteurs de celui qui a puissance de vie et de mort (I Corinthiens VII, 23): "Vous avez été achetés à un grand prix, ne vous rendez pas esclaves; et (VI, 20): "Vous avez été achetés d’un grand prix;" et encore (I Chroniques XII, 18): "Nous sommes à vous, ô David, et nous ne nous séparons pas du fils d’Isaïe." L’Apôtre indique ensuite la cause de cette condition, en disant (verset 9): "C’est pour cela que le Christ est mort et qu’il est ressuscité," c’est-à-dire qu’il a acquis par sa mort et par sa résurrection "d’être le dominateur des vivants," attendu qu’il est ressuscité à une vie nouvelle et qu’il a commencé une vie qui ne doit pas finir; et des morts, "parce qu’en mourant il a détruit notre mort" (II Cor., V, 15): "Le Christ est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour Celui qui est mort et qui est ressuscité pour eux." Ainsi donc, par tout ce qui précède, l’Apôtre a prouvé que chacun demeure ferme ou tombe pour son Maître, à sa voir par la raison que les fidèles rendent grâces à Dieu, vivent ou meurent pour Dieu, et parce qu’ils sont au Seigneur, soit dans la vie, soit dans la mort.

III. Lorsqu’il ajoute (verset 10): "Toi donc, pourquoi juges-tu ton frère?" il donne la troisième raison, tirée du jugement à venir. A cet effet, il rappelle trois choses:

D’abord, l’inutilité du jugement présent, en disant (verset 10): "Toi donc, pourquoi juges-tu ton frère? C’est-à-dire quelle utilité ou quelle nécessité y a-t-il pour toi de juger ton frère témérairement sur des choses cachées, qui ne sont pas laissées à ton jugement?" Et toi, "qui seras jugé, pourquoi méprises-tu ton frère, regardant comme rien d’être jugé par lui?" (Malachie, II, 10): "Pourquoi chacun de vous méprise-t-il son frère?"

Ensuite il annonce le futur jugement de Jésus-Christ comme s’il disait: je dis avec raison: pourquoi juges-tu, puisque tu ne dois pas craindre que ton frère ne soit pas jugé? (verset 10): "Car tous nous paraîtrons devant le tribunal du Christ." On appelle tribunal du Christ sa puissance judiciaire, ainsi qu’il est dit en S. Matthieu (XXV, 31): "Quand le Fils de l’homme viendra dans sa majesté, il s’assoira sur le trône de sa gloire." S. Paul dit: "Tous, nous paraîtrons," comme pour être jugés, bons ou méchants, et recevoir la récompense ou la punition (II Corinthiens V, 10): "Tous, il nous faut être mis à découvert devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive dans son propre corps ce qui est dû à ses bonnes ou mauvaises actions." Toutefois, quant à la discussion, tous ne paraîtront pas pour être jugés, car quelques-uns siégeront comme juges (Matth., XXX, 28): "Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël "

Enfin à ces mots (verset 11): "Il est écrit, en effet," S. Paul prouve ce qu’il avait avancé. Et d’abord il cite une autorité; il dé duit ensuite la conclusion, à ces mots (verset 12): "Ainsi chacun."

A) Il dit donc d’abord: Il a été dit que tous nous paraîtrons devant le tribunal du Christ, et cela est manifeste par l’autorité de la sainte Ecriture; car on y lit (Is 45,23): "Moi, je vis, dit le Seigneur; tout genou fléchira devant moi, et toute langue confessera Dieu." Notre Vulgate porte: "J’ai juré par moi-même..., tout genou fléchira devant moi, toute langue jurera par mon nom." Nous avons à remarquer dans ces paroles: a) premièrement le serment, que le Seigneur emploie quelquefois, lorsqu’il parle, pour montrer que ce qu’on appelle certain est l’immutabilité du divin conseil, et n’est pas sujet au changement, à la différence des oracles, qui se rapportent aux causes inférieures, comme sont les menaces des prophètes. De là il est dit (Psaume C, 5): "Le Seigneur l’a juré, et il ne révoquera pas sa promesse." C’est que les hommes, comme le dit S. Paul (Hébr., VI, 16): "Jurent par Celui qui est plus grand qu’eux; mais Dieu, n’ayant rien de plus grand que Lui pour donner de la consistance à la vérité, jure par lui-même." Or il est la vie même et la source de la vie, selon ces paroles du Deutéronome (XXX, 21): "Car il est lui-même votre vie et l’étendue de vos jours;" et (Psaume XXXV, 10): "En vous est la source de la vie." Voilà pourquoi la forme du jugement de Dieu est: "Je vis, moi;" comme s’il disait je jure par la vie, parce que moi seul ai la véritable existence, b) Secondement ces paroles proclament la soumission de toute créature à Jésus-Christ (verset 11): "Tout genou fléchira devant moi." Ces expressions désignent la soumission parfaite de toute créature raisonnable à Jésus-Christ; car c’est une coutume parmi les hommes de fléchir le genou devant les grands, en signe de dépendance; de là ce passage (Ph 2,40): "Afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers." c) Enfin ces paroles annoncent à l’avance la confession de la foi, par laquelle tous rendront gloire à Jésus-Christ: "Et toute langue confessera Dieu," c’est-à-dire confessera que Jésus-Christ est le Seigneur, selon cette parole aux Philippiens(II, 1): "Que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de son Père." Par cette manière de parler: "Toute langue," on peut entendre l’expression de toute connaissance soit des hommes, soit des anges, selon ce passage (I Cor., XIII, 1): "Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges même, etc." Or cette soumission existe maintenant et dans cette vie même, non en chaque individu en particulier, mais dans les nations auxquelles les hommes appartiennent; car de chacune quelques individus, dès maintenant, sont soumis à Jésus-Christ, et lui rendent gloire par la foi, mais, au jugement à venir, tous et chacun en particulier lui seront soumis, les bons volontairement, les méchants malgré eux. De là cette parole (Hébr., II, 8): "Puisque Dieu lui a tout soumis, il n’a rien laissé qui ne lui soit assujetti; mais nous ne voyons pas maintenant que tout lui soit encore soumis."

B) En ajoutant (verset 12): "Ainsi chacun de nous, etc.," il déduit de ce qui précède sa conclusion, a) Et d’abord celle qui est renfermée dans les dernières paroles: "Ainsi donc," puisque "devant le Christ, tout genou doit fléchir," chacun de nous rendra par lui-même son compte à Dieu, c’est-à-dire devant le tribunal de Jésus-Christ (Matth., X, 36): "Les hommes rendront compte, au jour du jugement, de toute parole inutile qu’ils auront dite;" et (XVI, 23): "Le royaume des cieux est comparé à un roi qui voulut entrer en compte avec ses serviteurs."

Cependant il semble que chacun ne rendra pas compte pour lui-même, mais l’un pour l’autre (Hébr., X, 17): "Obéissez à vos conducteurs, et soyez-leur soumis, car ils veillent pour le bien-être des âmes, comme devant en rendre compte." Il faut répondre qu’en cela même que les hommes constitués en dignité rendront compte pour les autres, ils rendront raison des actes qu’ils ont dû remplir à l’égard de leurs inférieurs. Car s’ils ont fait ce qui était de leur ministère, la perte de ces inférieurs ne leur sera pas imputée; au contraire, elle leur serait s’ils ont négligé de faire ce que requiert leur office. De là il est dit (Ezéch., III, 18): "Si quand je dis à l’impie: vous mourrez de mort, vous ne l’avertissez pas, il mourra dans son iniquité, et je redemanderai son sang à votre main; mais si vous l’avez annoncé à l’impie et qu’il ne se soit pas converti, il mourra lui-même dans son iniquité, et vous, vous aurez sauvé votre âme." b) Enfin l’Apôtre déduit la conclusion qu’il s’était principalement proposée dans toute cette partie, en disant (verset 43): "Ne nous jugeons donc pas les uns les autres," à savoir témérairement, conséquence contenue dans les raisons précédentes (I Corinthiens IV, 5): "Ne jugez donc pas avant le temps."




Thomas A. sur Rm (1869) 60