Thomas A. sur Rm (1999) 65

Leçon 2 [versets 14 à 21]

65
075 (
Rm 15,14-21)


[n° 1164] 14 Je suis bien persuadé, mes frères, moi-même, en ce qui vous concerne, que vous êtes vous-mêmes pleins de charité, remplis de toute science, et qu’ainsi vous pouvez vous avertir les uns les autres.

[n° 1165] 15 Cependant je vous ai écrit, mes frères, assez audacieusement en partie, comme pour raviver vos souvenirs, selon la grâce qui m’a été donnée par Dieu,

[n° 1167] 16 pour être le ministre du Christ Jésus auprès des nations païennes, sanctifiant l’Evangile de Dieu, afin que l’oblation des nations païennes soit acceptée, et sanctifiée par l’Esprit-Saint.

[n° 1168] 17 donc sujet de me glorifier dans le Christ Jésus pour Dieu.

[n° 1169] 18 Car je n’oserais parler de choses que le Christ n’aurait pas faites par moi pour <amener> les nations païennes à l’obéissance, par la parole et par les oeuvres,

[n° 1171] 19 par la vertu des signes et des prodiges, par la vertu de l’Esprit-Saint; ainsi, depuis Jérusalem en rayonnant jusqu’à l’Illyrie, j’ai répandu l’Evangile du Christ.

[n° 1173] 20 Ainsi donc j’ai prêché cet Evangile là où le Christ n’avait pas été nommé, pour ne pas édifier sur le fondement d’autrui, mais selon qu’il est écrit:

[n° 1175] 21 "Ceux à qui on ne l’avait pas annoncé verront, et ceux qui n’en avaient pas entendu parler comprendront."

1163. Après avoir donné aux Romains des avertissements généraux, l’Apôtre leur adresse maintenant des avertissements familiers. Et:

D’abord, en ce qui le concerne lui-même.

Puis, en ce qui concerne les autres, et cela au chapitre 16 [n° 1193]: "Je vous recommande Phoébé, etc."

En ce qui le concerne il fait trois choses:

Il commence par s’excuser de sa présomption 1 à les avertir et à les re prendre.

Puis, il s’excuse de sa lenteur à leur rendre visite [n° 1178]: 22 "C’est pourquoi à plusieurs reprises."

Enfm, il demande le suffrage de leurs prières [n° 1188]: 30 "Je vous demande donc avec obsécration, frères, etc."

Sur le premier de ces points:

I) Il rejette d’abord la raison qu’on oppose à ses instructions et à ses blâmes <adressés aux Romains>.

II) Puis, il en donne la véritable raison [n° 1165] 15 Cependant je vous ai écrit, mes frères, assez audacieusement, etc.

1164. I. Sur le premier point 2, il faut considérer le fait qu’on pouvait croire que l’Apôtre avait écrit aux Romains en estimant que lui seul, parmi les Romains 3, pouvait les instruire et les corriger. Mais

1. Lieu parallèle: Somme Théologique 2 Q. 21.

2. Lieux parallèles Somme Théologique 2 Q. 33, a. 1; 4 Sentences dist. 19, Q. 2, a. 1, sol. 6.

3. N’oublions pas qu’en effet Paul est citoyen romain (Ac 22, 27).



lui-même écarte cette <supposition> en disant: 14 Je suis bien persuadé, mes frères, par ce que j’ai appris de vous, que vous êtes aptes à avertir ceux qui parmi vous ont besoin d’avertissement. Or, pour avertir avec rectitude, deux choses sont requises:

A. La première est que l’avertissement ne vienne ni de la haine ni de la colère, mais de la charité, selon ce verset du psaume 140: "Le juste me corrigera dans sa miséricorde. > Et <selon ce passage de l’épître> aux Galates: "Vous qui êtes spirituels, instruisez-le en esprit de douceur 2." Quant à cette disposition, <l’Apôtre> dit: que vous êtes vous-mêmes pleins de charité. — "Remplis tes mains de charbons ardents de feu qui sont entre les chérubins 3", ce qui signifie le feu de la charité.

B. La seconde chose requise pour avertir, c’est la science de la vérité. Car il en est qui ont le zèle de Dieu en corri geant, mais <ils ne le font> pas selon la science, comme on l’a dit plus haut 4. Et c’est pourquoi <l’Apôtre> ajoute: remplis de toute science, c’est-à-dire de la science humaine et de la science divine, de la Loi ancienne et de la nouvelle 5: "Vous avez été comblés de toutes les richesses en lui, toutes celles de la parole et toutes celles de la science 6."

<L’Apôtre> conclut de la manière suivante: et qu’ainsi vous pouvez, comme il convient en raison de votre charité et de votre science, vous avertir les uns les autres. Car, comme <gnous faisons tous beaucoup de fautes", selon Jacques 7, il faut que nous nous avertissions réciproquement, étant donné, dit l’Ecclésiastique, que Dieu "a ordonné à chacun d’eux <de veiller sur> son prochain 8."

1165. — II. Ensuite, lorsqu’il dit: 15 assez audacieusement, etc., <l’Apôtre> donne la vraie raison pour laquelle il les avait avertis et corrigés. A cet égard il montre deux choses:

A) Premièrement, que ce droit appar tenait à l’autorité apostolique qui lui a été confiée.

B) Deuxièmement, comment il a usé de ce pouvoir [n° 1168]: 17 donc sujet de me glorifier, etc.

1166. — A. <L’Apôtre> 9 dit donc assez audacieusement, c’est-à-dire avec assez d’assurance, je vous ai écrit, en reprenant vos erreurs et vos défauts; ce qu’on pourrait attribuer à une audace présomp tueuse, étant donné que je n’ai pas craint de vous offenser: "Il s’élance avec audace, il court au-devant des hommes armés 10." Mais cette présomption est excusable pour trois raisons:

1. En premier lieu, en raison de la condition de ceux à qui il écrivait, car, si parmi les Romains il y en avait quelques-uns pour qui un tel blâme semblait audacieux et présomptueux, cependant il en était d’autres qui avaient besoin d’un blâme sévère à cause de leurs disputes insolentes: "Réprimande-les durement 11." C’est ce que <l’Apôtre> dit en partie, autrement dit, ce que je vous écris ne semble pas audacieux pour vous tous, mais pour une partie d’entre vous. Ou bien en partie peut s’entendre de la partie de

1. Ps 140, 5.

2. Ga6, 1.

3. Ez 10, 2.

4. Voir Rm 10, 2.

5. Voir Glosa in Rom. XV, 14 (GPL, col. 1523 B).

6. 1 Co 1, 5.

7. Jc 3, 2.

8. Eccli (Si) 17, 12.

9. Lieu parallèle Somme Théologique lj-2ae, Q 45, a. 1.

10. Jb 39, 21.

11. Tt 1, 13.



l’épître dans laquelle il les réprimande 1; ou encore de la part de L’Eglise 2 c’est-à-dire de celle qui est avec moi 3.

2. En deuxième lieu, cette audace est excusable en raison de l’intention de l’Apôtre. Car il ne leur a pas écrit comme si il les tenait pour ignorants, mais pour leur rappeler des choses connues. Aussi ajoute-t-il: comme pour raviver vos souvenirs, comme si vous aviez oublié les choses que vous saviez: "Mais vous étiez occupés 4." Et encore: "Souvenez-vous des anciens jours, où après avoir été éclairés, vous avez soutenu le grand combat des souf frances 5."

3. En troisième lieu, cette audace est excusable en raison de l’autorité de l’Apôtre qui exigeait cette réprimande. Aussi ajoute-t-il: selon la grâce, c’est-à-dire de l’apostolat qui m’a été confié: "C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis 6."

1167. — a. L’Apôtre commence par indiquer l’autorité de cette grâce, lorsqu’il dit: qui m’a été donnée par Dieu; comme s’il disait: Non par des hommes: "Paul, apôtre, non par des hommes, ni par un homme, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père, qui l’a ressuscité d’entre les morts 7."

b. Puis, il spécifie cette grâce, en disant: 16 pour être le ministre du Christ Jésus auprès des nations païennes, c’est-à-dire pour que je serve le Christ dans la conversion des nations païennes "Qu’on nous regarde donc comme des ministres du Christ 8." Et encore: "dans la mesure où je suis, moi, l’apôtre des nations, j’honorerai mon ministère 9."

c. Ensuite, il montre l’action de cette grâce, en disant: sanctifiant l’Evangile de Dieu, c’est-à-dire montrant qu’il est saint, et par la parole de vérité, et par les oeuvres d’une vie sainte, et par les miracles 10: "Par la parole de vérité de l’Evangile, qui vous est parvenu, comme il est aussi répandu dans le monde entier, où il fructifie et croît, ainsi qu’en vous, depuis le jour où vous l’avez entendu, et où vous avez connu la grâce de Dieu dans la vérité 11." — "<Toutes> mes paroles sont droites 12"

d. Enfin, il expose la fin de cette grâce, lorsqu’il dit: afin que l’oblation des nations païennes, c’est-à-dire les nations converties par mon ministère, dans lequel j’ai offert comme un sacrifice et une oblation à Dieu, selon ces paroles de l’épître aux Philippiens: "Et si je suis immolé sur le sacrifice et l’oblation de votre foi, je m’en réjouis et m’en félicite avec vous tous 13."

soit acceptée, c’est-à-dire par Dieu à cause de la rectitude de l’intention: "Alors tu accepteras un sacrifice de justice, des oblations et des holocaustes 14" — et sanc tifiée par l’Esprit-Saint, c’est-à-dire par la charité et les autres dons de l’Esprit-V Saint: "Mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, et par l’Esprit de notre Dieu 15"

1168. — B. Lorsqu’il dit ensuite: 17 J'ai donc sujet de me glorifier, etc., <l’Apôtre> montre comment il a usé de son autorité apostolique. Et

1. C’est le sens retenu par les exégètes modernes qui traduisent "Je vous ai écrit assez audacieusement par endroits.

2. En latin, ex parte peut en effet signifier de la part " (de l’Eglise).

3. Voir Glosa in Rom. XV, 15 (GPL, col. 1523 D).

4. Ph4, 10.

5. He 10, 32.

6. 1 Co 15, 10,

7. Ga 1, 1.

8. 1 Co 4, 1.

9. Rm 11, 13.

10. Voir Glosa in Rom. XV, 16 (GPL, col. 1524 A).

11. Col 1, 5-6.

12. Pr 8, 8.

13. Ph 2, 17.

14. Ps 50, 21.

15. 1 Co 6, 11.

1) Il expose d’abord le fruit qu’il a obtenu.

2) Puis, il montre la grandeur de ce fruit [n° 1172]: ainsi, depuis Jérusalem, etc.

3) Enfin, sa difficulté [n° 1173]: 20 donc j’ai prêché, etc.

1169. 1. Sur le premier de ces points, <l’Apôtre> fait trois choses:

a. 1l commence par rendre gloire à Dieu pour le fruit qu’il a obtenu, en disant: Donc, parce que j’ai reçu une telle grâce et que j’ai accompli avec soin ce ministère pour lequel cette grâce m’a été donnée, j’ai sujet de me glorifier, c’est-à-dire j’ai un mérite digne de gloire 1, comme ministre fidèle: "Mieux vaut pour moi mourir que de laisser quelqu’un m’enlever cette gloire 2." Mais je n’attribue pas cette gloire principalement à moi-même, je la tiens dans le Christ Jésus, c’est-à-dire par Jésus-Christ, par la puissance duquel j’ai pu produire du fruit: "Sans moi vous ne pouvez rien faire 3." Et puisque < toutes choses <lui> ont été données par <le> Père", comme il est dit dans <l’évangile de> Matthieu 4, et que "<le> Père demeurant en moi fait lui-même les oeuvres 5", <l’Apôtre> rapporte en dernier lieu cette gloire au Père, en disant: pour Dieu, â savoir le Père: "Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton Nom donne gloire 6." Il donne ensuite la raison de ce qu’il avait dit, en ajoutant: 18 Car je n'oserais parler de choses que le Christ n'aurait pas faites par moi; autrement dit: Je ne ferai pas mention du fruit obtenu par moi, puisqu’il n’a pas été produit par moi autrement je n’aurais pas sujet de me glorifier auprès de Dieu, mais bien auprès des hommes. Ce que je rapporte, ce n’est même pas en tant que produit principa lement par moi, mais <je le rapporte> en tant que le Christ l’a produit par moi. Et j’ai dit que je tiens cette gloire dans le Christ Jésus. — "Tu as opéré toutes nos oeuvres pour nous 7."

1170. b. Puis il mentionne ce fruit, en disant: pour <amener> les nations païennes à l’obéissance, autrement dit, ma gloire la voici: c’est d’avoir fait obéir les nations à la foi: < <prêcher> l’obéissance à la foi à toutes les nations 8." Et encore: "Dès que son oreille a entendu, il m’a obéi 9."

1171. c. Enfin il montre comment il a amené les nations à cette obéissance. Etant donné ce qui a été dit plus haut: "la foi provient de l’audition, et on entend par la Parole du Christ 10", <l’Apôtre> dit <ici>: par la parole, c’est-à-dire par la parole de la prédication de la foi. Mais la preuve de la foi prêchée, c’est la vie sainte de celui qui prêche; aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: et par les oeuvres; autrement dit Je vous ai attirés à la foi par mes oeuvres saintes: "Qu’ils voient vos bonnes oeuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux 11", et par les oeuvres miracu leuses, par lesquelles Dieu rend témoi gnage à la doctrine qui est prêchée, selon ces paroles de Marc: "Le Seigneur coopérant avec eux, et confirmant leur parole par les signes qui l’accompa gnaient 12" Aussi ajoute-t-il: la vertu des signes, à savoir par la vertu des miracles moins éclatants, par exemple les guérisons des maladies, et des prodiges, c’est-à-dire des miracles plus éclatants, qui par leur grandeur présagent, c’est-à-dire montrent quelque chose de grand. Mais tout cela ne suffirait pas si l’Esprit-Saint ne touchait pas intérieurement les coeurs des auditeurs <pour les disposer> à la foi.

1. Voir Glosa in Rom. XV, 17 (GPL, col. 1524 B).

2. 1 Corinthiens 9, 15.

3. Jn 15, 5.

4. Mt 11, 27.

5. Jn 14, 10.

6. Ps 113, 9.

7. Is 26, 12.

8. Rm 1, 5.

9. Ps 17, 45b.

10. Rm 10, 17.

11. Mt 5, 16.

12. Mc 16, 20.



D’où ce passage des Actes où il est dit que "tandis que Pierre provoquait encore ces paroles" de foi, "l’Esprit-Saint descendit sur tous ceux qui écoutaient la parole 1." Et c’est pourquoi <l’Apôtre> ajoute: par la vertu de l’Esprit-Saint. Il est écrit dans l’épître aux Hébreux: "Dieu attestant leur témoi gnage par des signes, par des prodiges, par différents effets de sa puissance, et par les dons de l’Esprit-Saint, qu’il a distribués selon sa volonté 2."

1172. 2. Ensuite, lorsqu’il dit: ainsi, depuis Jérusalem, <l’Apôtre> montre la grandeur du fruit dû à la multitude des lieux dans lesquels il a prêché. Il dit: ainsi, en commençant depuis Jérusalem, où au début de sa conversion il a prêché dans les synagogues des Juifs, comme le disent les Actes, afin d’accomplir ce que dit Isaïe "De Sion sortira la Loi, et la Parole du Seigneur de Jérusalem" — Jusqu’à l’Illy rie, située au bord de la mer Adria tique, du côté opposé à l’Italie, j’ai répandu l’Evangile du Christ, c’est-à-dire j’ai ré pandu en tous ces lieux la prédication de l’Evangile. Et de crainte que l’on comprenne qu’il n’a prêché l’Evangile qu’en parcourant seulement le chemin qui va directement de Jérusalem à l’Illyrie, il ajoute: en rayonnant, c’est-à-dire parce qu’il a prêché aux nations tout à l’entour et qu’il les a converties à la foi C’est ainsi qu’on peut lui appliquer cette parole de Job: "Qui a donné cours à l’ondée la plus impétueuse 6."

1173. 3. En ajoutant: 20 donc j’ai prêché, etc., <l’Apôtre> montre la diffi culté de produire ce fruit. Il est en effet particulièrement difficile de convertir à la foi les ignorants.

a. 1l montre donc en premier lieu qu’il a éprouvé cette difficulté, en disant: Ainsi donc j’ai prêché cet Evangile là où en vérité le Christ n’avait pas été nommé, c’est-à-dire non auprès de ceux qui avaient entendu nommer le Christ: "Un peuple que je ne connaissais pas m’a servi 7." Et: "Voici que tu appelleras une nation que tu ne connaissais pas; et des nations, qui ne t’ont pas connu, accourront vers toi à cause du Seigneur ton Dieu, et du Saint d’Israel qui t’a glorifié 8."

1174. <L’Apôtre> en donne la raison, en disant: pour ne pas édifier sur le fondement d’autrui.Or cette expression: "sur le fondement d’autrui" peut s’entendre de deux manières 9: selon une première manière, de la doctrine hérétique, qui est étrangère au fondement de la véritable foi; et ainsi en disant: pour ne pas on indique la cause. Avec cette intention, en effet, l’Apôtre a voulu prêcher à ceux qui n’avaient pas entendu nommer le Christ, de crainte que s’ils eussent été prévenus par les doctrines des faux apôtres, il n’eût été plus difficile de les ramener à la vérité. D’où ce qui est écrit dans <l’évangile de> Matthieu: "<Celui-là est> insensé qui <bâtit> sa maison sur le sable 10", auquel on compare la fausse doctrine. Selon une autre manière, par sur le fondement d’autrui on peut entendre la doctrine de la foi

1. Ac 10, 44.

2. He 2, 4.

3. Voir Ac 9, 28.

4. Is 2, 3.

5. La formule "en rayonnant" (per circulum) a été diversement interprétée il s’agit, pour certains, des environs de Jérusalem. L’exégése de saint Thomas est celle de beaucoup d’interprétes actuels: Paul n’a pas suivi un itinéraire rectiligne, mais il a circulé, allant et venant entre les points extrêmes de son apostolat, de Jéru salem à l’lllyrie, terme qui désigne alors la nve onentale de la mer Adriatique, "du côté opposé", c’est-à-dire " qui fait face " à la nve italienne (la Bosnie actuelle).

6. Jb 38, 25.

7. Ps 17, 45a.

8. Is 55, 5.

9. Voir Glosa in Rom. XV, 20 (GPL, col. 1524 C-D).

10. Mt 7, 26.



véritable prêchée par d’autres; et dans ce sens, l’expression pour ne pas peut être prise comme indiquant la conséquence. Car l’Apôtre n’a pas évité de prêcher à ceux à qui d’autres avaient prêché d’abord, par exemple il prêcha spécialement aux Romains eux-mêmes que Pierre avait déjà instruits auparavant. Mais par sa prédication à ceux qui n’avaient pas entendu parler du Christ, il s’en est suivi qu’il n’a pas édifié sur le fondement d’autrui, mais que lui-même a jeté les premiers fonde ments de la foi 1, selon ce passage de la première épître aux Corinthiens: "Comme un sage architecte j’ai posé le fondement 2."

1175. b. En second lieu, pour appuyer ce qu’il avait dit, il cite l’autorité <scripturaire>, en disant: selon qu’il est écrit: 21 "Ceux à qui on ne l’avait pas annoncé verront, et ceux qui n‘en avaient pas entendu parler comprendront 3." Dans ces paroles, le Prophète semble annoncer que les Gentils parviendraient à la connaissance de Dieu d’une manière plus excellente que les Juifs qui l’avaient connu auparavant.

1176. <L’Apôtre> montre donc d’abord cette excellence quant à la cause de la connaissance, laquelle est double: ce qu’on a entendu et ce qu’on a vu. Or ces deux sens sont susceptibles de se laisser former. Les Juifs donc sont parvenus à la connaissance des mystères du Christ par les paroles annoncées par les prophètes: "C’est ce salut qu’ont recherché et scruté les prophètes qui ont prédit la grâce que vous deviez recevoir; et comme ils cher chaient quel temps et quelles circonstances l’Esprit du Christ qui était en eux indi quait, en prédisant les souffrances du Christ et les gloires qui devaient les suivre, il leur fut révélé que ce n’était pas pour eux-mêmes, mais pour vous, qu’ils étaient dispensateurs des choses qui vous sont annoncées maintenant par ceux qui vous ont évangélisés par l’Esprit-Saint envoyé du ciel, et que les anges désirent contem pler" Mais les Gentils virent ces mystères du Christ déjà réellement accomplis, voilà pourquoi il est dit que les nations auxquelles les prophètes ne l’avaient pas annoncé, c’est-à-dire <n’avaient pas annoncé> le Christ, comme il l’avait été aux Juifs, verront les mystères déjà accomplis: "Beaucoup de prophètes et de rois ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont point vu 5."

1177. Puis, il montre l’excellence de la connaissance de Dieu quant à son moyen d’y parvenir, parce que les Juifs n’en avaient entendu parler que par l’annonce des prophètes "Nous avons entendu une nouvelle venant du Seigneur, et il a envoyé <des messagers> vers les nations 6" Mais les Gentils en ont pris connaissance

1. Sur le fondement d’autrui" (en latin super alienum funda mensum), peut se traduire également "sur un fondement étranger." L’interprétation de saint Thomas joue sur ces deux sens: un " fondement étranger " à la vraie foi, c’est le premier sens, un "fondement étranger" à moi, Paul, c’est-à-dire le "fondement d’autrui", second sens. Le premier sens est clair: l’extrême difliculté de ramener des fidèles imbus d’une doctrine hérétique à la vraie foi, telle est l’intention qui a déterminé causalement (causaliter) la volonté de saint Paul de ne pas prêcher à ceux qui avaient déjà entendu parler du Christ. Mais le second sens pose un problème. Si l’on interprète super alienumfundamentum comme signifiant non plus sur un fondement étranger " à la vraie foi, mais "sur le fondement d’autrui", c’est-à-dire "posé par un prédicateur de la vraie foi autre que moi-même", on ne peut comprendre qu’il s’agit là de la raison qui a determine le choix des lieux de l’évangélisation paulinienne, puisque saint Paul a effectivement prêché là où d’autres apôtres (saint Pierre à Rome) avaient déjà parlé du Chnst. Il faut donc mter préter la conjonction " ne" qui introduit la proposition (ne super fundamentum alienum aedificarem) comme signifiant non plus la cause mentale (l’intention, ce que traduit "de crainte que"), mais la conséquence qui a résulté de sa pratique évangélisatrice: j’ai prêché "de telle sorte que je n’ai pas édifié sur le fondement d’autrui"; cette construction est grammaticalement possible en latin. Notons que le grec contient une précision qui fait défaut dans la Vulgate; saint Paul déclare, non pas "je n’ai pas prêché", mais "tenant à honneur (philotimotmenon) de ne pas prêcher." Cette précision indique, chez l’Apôtre, une intention ferme, un "programme d’apostolat", et présuppose qu’il ne considère pas Rome comme relevant de son propre domaine d’évangélisation, même s’il y séjourne: il n’est pas le fondateur de l’Eglise de Rome.

2. 1 Co 3. 10.

3. Is 52, 15.
4. 1 P 1, 10-12.

5. Lc 10, 24.

6. Ab 1, 1.



visuellement 1. Aussi est-il dit: et ceux, c’est-à-dire les nations, qui, auparavant, n’avaient pas entendu les prophètes annoncer le Christ, comprendront, à savoir la vérité de la foi "Et maintenant, rois, comprenez, laissez-vous enseigner, vous qui jugez la terre 2."

1. Cela ne veut pas dire qu’ils ont eu des visions du Christ, mais qu’ils ont pu voir, de leurs yeux, l’édification et le développement de ce Corps du Christ qu’est l’Eglise répandue par toute la terre, ce que les Juifs n’avaient connu que par la voix des prophètes.

2. Ps 2, 10.


Leçon 3 [versets 22 à 33]

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075 (
Rm 15,22-33)


[n° 1178] 22 C’est pourquoi j’ai été empêché à plusieurs reprises de venir vers vous, et j’ai été retenu jusqu’à présent.

[n° 1180] 23 Mais maintenant puisqu’il n’y a pas lieu de rester davantage dans ces régions, et que j’éprouve un vif désir de venir vers vous depuis bien des années déjà;

[n° 1181] 24 lorsque je me mettrai en route pour l’Espagne, j’espère vous voir en passant et que vous m’y conduirez, une fois que j’aurai un peu joui de vous.

[n° 1183] 25 Mais maintenant je m’en vais à Jérusalem pour le service des saints.

[n° 1184] 26 Car la Macédoine et l’Achaïe ont jugé bon de faire une mise en commun pour les pauvres d’entre les saints qui sont à Jérusalem.

[n° 1185] 27 Or il leur a plu aussi, et elles leur sont redevables. Car si les Gentils ont eu part à leurs biens spirituels, ils doivent aussi les servir de leurs biens temporels.

[n° 1186] 28 Lors donc que j’aurai terminé cette affaire et que je leur aurai remis ce fruit, je partirai pour l’Espagne <en passant> par chez vous.

[n° 1187] 29 Or je sais qu’en venant à vous, c’est dans l’abondance de la bénédiction de l’Evangile du Christ que j’y viendrai.

[n° 1188] 30 vous demande donc avec obsé cration, frères, par Notre Seigneur Jésus-Christ et par la charité de l’Esprit-Saint, de m’aider dans les prières <que vous adresserez> à Dieu pour moi,

[n° 1191] 31 afin que je sois libéré des infidèles qui sont en Judée et que l’offrande que je me fais un devoir de porter à Jérusalem soit agréée des saints;

32 en sorte que je vienne vers vous avec joie par la volonté de Dieu et que je me repose avec vous.

[n° 1192] 33 Que le Dieu de la paix soit avec vous tous! Amen.

1178. — I. Après s’être excusé de la présomption qu’on pouvait lui imputer pour avoir instruit et corrigé les Romains [n° 1163], l’Apôtre s’excuse à présent de son retard à les visiter.

Et sur ce point il fait trois choses:

A) Il expose en premier lieu l’empê chement qu’il a eu.

B) En deuxième lieu, son propos de les visiter [n° 1180]: 23 Mais maintenant, etc.

C) En troisième lieu, le fruit de sa visite [n° 1187]: 29 Or je sais, etc.

1179. — A. Il est dit: j’ai prêché l’Evangile en beaucoup de lieux où le nom du Christ n’avait pas été proclamé, c’est pourquoi, pour le moment, j’ai été empêché à plusieurs reprises, à cause de cette occupation, de venir vers vous. Et cet empê chement a duré jusqu’à maintenant, aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: et j’ai été retenu jusqu’à présent. Paroles qui peuvent s’appliquer à la multitude des occupations qu’il avait eues en d’autres lieux, ou même à la divine Providence qui empêchait les Apôtres de parvenir chez certains et qui les dirigeait en vue du salut des autres, selon ce passage des Actes: < Comme ils traver saient la Phrygie et le pays de Galatie, il leur fut défendu par l’Esprit-Saint d’annoncer la Parole de Dieu en Asie 1." Et d’où ce qui a été dit plus haut <par l’Apôtre>: "Je me suis souvent proposé de venir chez vous, mais j’en ai été empêché jusqu’à maintenant 2." Il est écrit au livre de Job à propos des nuées, qui signifient les prédicateurs 3: "Elles répandent leur lumière; elles éclairent de toutes parts, partout où les conduit la volonté de celui qui les gouverne 4."

1180. — B. Lorsqu’il dit: 23 Mais maintenant, etc., <l’Apôtre> manifeste son propos de les visiter. Et

1) Il leur promet d’abord sa visite.

2) Puis, il donne la raison pour laquelle il fallait qu’il la retarde [n° 1183]: 25 Mais maintenant je m ‘en vais, etc.

3) Enfin, il leur fixe le moment de sa visite [n° 1186]: 28 Lors donc que j’aurai terminé, etc.

1181. 1. Il dit donc: J’ai été ainsi empêché jusqu’à ce jour, mais maintenant, ayant parcouru toutes ces contrées, puisqu’il n’y a pas lieu, c’est-à-dire puisqu’il n’y a pas de nécessité de rester dans ces régions, où la foi a été implantée par <mon ministère>, et que j’éprouve un v désir de venir vers vous depuis bien des années déjà — <l’Apôtre le disait déjà au début de son épître>: "Car je désire vous voir, pour vous faire part de quelque grâce spirituelle 5" —, 24 lorsque je me mettrai en route pour l’Espagne, c’est-à-dire où il se proposait d’aller afin d’établir, même aux extrémités de la terre, les fondements de la foi — selon cette parole d’Isaïe: "Voici que je t’ai donné comme lumière des nations, afin que tu sois mon salut jusqu’à l’extrémité de la terre 6" —, j’espère vous voir en passant. <L’Apôtre> donne à entendre par là qu’il n’avait pas l’intention d’aller principa lement chez eux, parce qu’il estimait que la doctrine de Pierre, lui qui fut le premier des Apôtres à avoir prêché aux Romains, leur suffisait. Et, parce que les Romains dominaient alors sur tout l’Occident, il espérait que grâce à leur concours et sous leur conduite, il partirait pour l’Espagne, aussi ajoute-t-il: et que vous m’y conduirez. Il avait cependant l’intention de s’arrêter quelque temps chez eux, aussi ajoute-t-il une fois que j’aurai joui de vous, c’est-à-dire après avoir été consolé — selon ce qui a été dit plus haut: "de nous consoler mutuel lement chez vous 7" — un peu (ex parte), c’est-à-dire quant au temps, parce qu’il avait l’intention <de s’arrêter> quelque temps pour se consoler avec eux.

1182. Objection. 8 Augustin dit, dans son ouvrage De la doctrine chrétienne, qu’il ne faut jouir seulement que de ce qui nous rend bienheureux, à savoir du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint 9. <L’Apôtre> parle donc mal à propos <en exprimant son intention> de jouir des Romains.

Réponse. Comme Augustin le dit dans ce même ouvrage 10, l’homme ne doit pas mettre sa jouissance en lui-même, mais en Dieu, selon cette parole: "Oui, mon frère, que moi j’obtienne cette jouissance de toi dans le Seigneur 11", ce qui veut dire mettre sa jouissance dans l’homme à cause de Dieu. Ainsi faut-il entendre ce qu’il dit ici: quand j’aurai un peu joui de vous, c’est-à-dire en Dieu.

Ou bien ces mots: en partie (ex parte) peuvent s’appliquer aux bons, qui pouvaient lui donner de la jouissance en Dieu.

1. Ac 16, 6. 2. Rm 1, 13.

3. Voir Glosa ordinaria in Job XXXVII, 1 lb (GOS, t. II, p. 44 lb). — Lieux parallèles Ad Rom. 1, 13; Lect. 5 (éd. Marietti, n°91); Super Psalmos, in Ps. 17, 16.

4. Jb 37, llb-12a.

5. Rm 1, 11.

6. Is 49, 6.

7. Rm 1, 12.

8. Lieux parallèles: Somme Théologique 1a-2ae Q. 11, a. 3, obi. 1 et sol. 1; Ad Philem. 1, 20, lect. 2 (éd. Marietti, n° 28).

9. Voir SAINT AUGUSTIN, De doctrina christiana I, V, 5 (BA 11, 184-185; HA 11/2, 82-83).

10. Voir ibid., xxii, 20-21 (BA 11, 202-207; BA 11/2, 100-103); xxxii 36-37 (HA 11, 224-227; HA 11/2, 122-125).

11. Phm 20.



Car de l’autre côté, c’est-à-dire du côté des méchants, il ne pouvait pas jouir, mais plutôt s’affliger à leur égard, selon ce qui est dit: "Que venant de nouveau, Dieu ne m’humilie parmi vous, et que je n’aie à pleurer beaucoup de ceux qui, ayant déjà péché, n’ont point fait pénitence des impuretés, des fornications et des impu dicités qu’ils ont commises 1."

1183. 2. En disant: 25 main tenant je m’en vais, etc., <l’Apôtre> donne la raison pour laquelle il différait sa visite. Et à ce propos

a. 1l commence par en exposer la raison, en disant: Mais maintenant je m’en vais, c’est-à-dire la raison pour laquelle je ne viens pas aussitôt vers vous, c’est que je m’en vais à Jérusalem pour le service des saints. La lecture des Actes 2 nous enseigne ici que ceux d’entre les Juifs qui s’étaient convertis à la foi dès le début, ayant vendu leurs possessions, vivaient en commun avec le prix <de leurs ventes>; mais cette ressource venant à manquer, surtout à cause d’une grande famine qui menaçait, lit-on aussi dans les Actes 3, "les disciples", c’est-à-dire les chrétiens des diverses parties du monde, "chacun selon ses moyens, décidèrent d’envoyer des secours aux frères qui habitaient en Judée; ce qu’ils firent, en les envoyant aux anciens par les mains de Barnabé et de Saul." <L’Apôtre> appelle donc ici service des saints l’aumône qu’il a apportée à Jérusalem aux fidèles du Christ, selon ce passage de la première épître aux Corinthiens: "Ceux que vous aurez jugés dignes, je les enverrai avec des lettres, pour porter votre charité à Jéru salem. Que si la chose mérite que j’y aille moi-même, ils iront avec moi 4"

1184. b. <L’Apôtre> développe ensuite ce qu’il avait dit du service des saints, en disant: 26 Car la Macédoine et l’Achaïe, c’est-à-dire les fidèles de ces deux régions, converties par <l’Apôtre> lui-même, ont jugé bon, c’est-à-dire ont approuvé, de faire une mise en commun, c’est-à-dire une collecte, pour les pauvres du Christ, c’est-à-dire pour l’usage des pauvres qui sont au nombre des saints selon ce passage de l’Ecclésiastique: "Donne à celui qui est juste et n’accueille point le pécheur 5" — qui sont à Jérusalem, vivant dans la pauvreté: "Quant à ce service en faveur des saints, il est superflu pour moi de vous en écrire. Je sais en effet votre bonne volonté, pour laquelle je me glorifie de vous auprès des Macédoniens 6."

1185. c. Il donne enfin les raisons de ce qu’il a dit:

La première de ces raisons est le bon plaisir. Aussi <l’Apôtre> dit-il: 27 Or il leur a plu ainsi. — "Que chacun donne comme il l’a résolu en son coeur, non avec tristesse ou par nécessité; car Dieu aime celui qui donne avec joie 8."

La seconde raison est la dette. Aussi ajoute-t-il: et elles leur sont redevables.

"Rendez à tous ce qui leur est dû 9." Et <l’Apôtre> donne le motif de cette dette, en disant: Car si les Gentils ont eu part à leurs biens spirituels, qui leur appartenaient spécialement, c’est-à-dire aux Juifs, à savoir la connaissance de Dieu, de ses promesses et de sa grâce, selon ce qui est écrit plus haut: "à qui appartiennent l’adoption des fils, et la gloire, et l’alliance, et la légis lation, et le culte et les promesses 10." Et

1. 2 Co 12, 21.

2. Voir Ac 2, 44-45; 4, 34-35.

3. Ac 11, 29-30.

4. 1 Corinthiens 16, 3.

5. Eccli (Si) 12, 4. Pour la version citée Ici, voir Vetus latina, Sirach (Ecciesiasticus) 2, 8, éd. W. Thiele, vol. X112, fasc. 6, p. 404-405.

6. 2 Corinthiens 9, 1.

7. Lieux parallèles: Contra impugn. Dei cuit, et reiig., c. VII Somme Théologique 2 Q. 187, a. 4 sol. 2; II Ad Cor. 11, 12, lect. 3 (éd. Marietti, n 401); II Ad TIses. 3, 8-9, lect. 1 (éd. Marietti, n° 73-74).

8. 2 Corinthiens 9, 7.

9. Rm 13, 7.

10. Rm 9, 4.



encore: "Tu as été fait participant à la racine et à la grasse sève de l’olivier 1." Ils ont aussi eu part à leurs biens spirituels, parce qu’ils leur ont envoyé des prédi cateurs. — Ils doivent aussi les servir de leurs biens temporels, selon ces paroles de l’Ecclé siastique: "Dans le partage du sort, donne et reçois 2" et du psaume 80: "Recevez un psaume", c’est-à-dire <recevez> les choses spirituelles, "et donnez du tambourin 3", c’est-à-dire <donnez> les choses temporelles 4. Et c’est sur cela que repose la preuve que l’on doit une rétribution non seulement à ceux qui prêchent, mais aussi à ceux qui envoient les prédicateurs.

1186. — B. Lorsqu’il dit: 28 Lors donc que j’aurai terminé cette affaire, <l’Apôtre> fixe le moment où il viendra vers eux. Lors donc, dit-il, que j’aurai terminé cette affaire, c’est-à-dire le service des saints, et que je leur aurai remis ce fruit, c’est-à-dire l’aumône des Gentils, qui est en quelque sorte un fruit de leur conversion — "Israël était une vigne couverte de feuilles, le fruit l’égalait 5" —, je partirai pour l’Espagne <en passant> par chez vous.

Mais l’Apôtre semble s’exprimer ici de manière erronée, car on ne lit nulle part qu’il ait été en Espagne. En effet, il fut pris à Jérusalem, et de là, enchaîné, il fut transporté jusqu’à Rome, comme le rapportent les Actes 6, et c’est en ce lieu qu’il fut mis à mort en même temps que Pierre.

En se fondant sur ces mêmes Actes, à savoir que Paul étant venu "à Rome, on lui permit de demeurer seul avec le soldat qui le gardait 7"; et plus loin, qu’" il demeura deux ans entiers dans le logis qu’il avait loué 8", d’aucuns 9 prétendent que ce serait pendant ce laps de temps qu’il alla en Espagne. Mais parce que cela n’est pas certain, il vaut peut-être mieux dire que l’Apôtre ne s’est pas exprimé de manière erronée, parce qu’il se proposait de faire ce qu’il disait; et dans ce sens ses paroles doivent être comprises comme une insi nuation de son propos, mais non <comme se rapportant à> un événement futur, qui pour lui était incertain; aussi ne pouvait-il prévoir cela autrement que sous la condition que <l’Apôtre> Jacques <nous> enseigne à appliquer: "Que ne dites-vous au contraire "Si le Seigneur le veut", et "Si nous vivons nous ferons ceci ou cela" 10." Et c’est encore ainsi que l’Apôtre <Paul> s’excuse de ce qu’il n’était pas allé chez eux, comme il l’avait promis, en disant: "Ayant donc eu ce dessein, aurais-je fait preuve de légèreté? ou bien, ce que je projette, le projetai-je selon la chair, de sorte qu’en moi il y ait le oui et le non 11?" Et ainsi du fait qu’il a omis, pour une juste cause, de faire ce qu’il avait promis, il se dit exempt de légèreté, de vues selon la chair et de fausseté. C’est aussi de cette manière que le pape Gélase résout cette difficulté, et on lit dans ses Décrets "Doit-on croire, dit-il, que Dieu nous en préserve!, que le bienheureux Apôtre Paul ait voulu tromper, ou qu’il ait été en contradiction avec lui-même, parce que, bien qu’il ait promis d’aller en Espagne, occupé à des affaires plus importantes par une disposition divine, il ne put accomplir

1. Rm 11, 17.

2. Eccli (Si) 14, 15.

3. Ps 80, 3.

4. Voir SAINT AUGUSTIN, Enarr. in Ps. 80, 3, 4 (CCL 39, 1122).

5. Os 10, 1.

6. Voir Ac 28.

7. Ac 28, 16.

8. Ac 28, 30.

9. Il s’agit principalement de saint Clément de Rome, pape vers 90-100. Dans sa Lettre aux Corinthiens (vers 95), il affirme que saint Paul a enseigné la justice au monde " jusqu’aux bornes du couchant", ce qui signifie effectivement, pour un Romain, " jusqu’en Espagne " (V, 7; voir dans Les Ecrits des Pères apostoliques, p. 64; SC 167, 109). De même " l’auteur du fragment de Muratori rapporte (vers 180) que Paul y est allé " (1. 39; voir dans l’Enchi ridionfontium historiae ecclesiasticae antiquae, B. Herder, 1914, p. 90). On ne sait rien de certain sur ce voyage, comme le dit saint Thomas, mais il n’est pas impossible que l’Apôtre l’ait accompli.

10. Jc 4, 18.

11. 2 Co 1, 17.



ce qu’il avait promis. Pour autant que cela dépendait de sa propre volonté, il a exprimé ce qu’il aurait, en réalité, voulu accomplir. Mais quant aux secrets du divin conseil (que l’homme n’a pu connaître, bien qu’il ait été rempli de l’Esprit de Dieu), il les négligea après avoir été prévenu par une disposition divine 1." Car, bien qu’il ait eu l’esprit prophétique, cependant toutes choses ne sont pas révélées aux prophètes 2, comme on le voit au quatrième livre des Rois, où Elisée dit: "Son âme est dans l’amertume, et le Seigneur me l’a caché et ne me l’a point fait connaître 3."

1187. — C. Lorsqu’il dit ensuite: 29 Or je sais, etc., <l’Apôtre> leur annonce le fruit de sa visite. Or je sais, à savoir par la confiance dans la grâce divine, qu’en venant à vous, c’est dans l’abondance de la bénédiction du Christ que j’y viendrai, c’est-à-dire que le Christ vous donnera plus abondamment, à mon arrivée, sa béné diction, dont il est dit au psaume 83: "Car le législateur donnera sa bénédiction, ils iront de vertu en vertu 4." Et c’est dans ce sens que Laban dit à Jacob: "J’ai connu par mon expérience que le Dieu m’a béni à cause de toi 5."

1188. — III. Lorsqu’il dit: 30 vous demande donc avec obsécration, etc., <l’Apôtre> demande le suffrage de leurs prières. Et

A) Il commence par demander leurs prières.

B) Puis, il prie lui-même pour eux [n° 11921: Que le Dieu de la paix, etc.

1189. — A. Sur le premier point il procède de trois manières

1. Il les engage premièrement à prier pour lui pour trois raisons

a. D’abord en raison de la charité céleste, lorsqu’il dit: Je vous demande donc avec obsécration, frères. <Et l’Apôtre écrit> à Philémon: "Cependant j’aime mieux te demander avec obsécration par charité 6."

b. Ensuite par respect pour le Christ, dont il était lui-même le ministre, en disant: par Notre Seigneur Jésus-Christ, en qui nous sommes tous un <seul corps>, comme on l’a dit plus haut 7.

c. Enfin en raison du don de l’Esprit-Saint, qui était transmis par son ministère, aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: par la charité de l’Esprit-Saint, charité que l’Esprit-Saint répand dans nos coeurs, comme on l’a dit plus haut 8.

1190. 2. Puis il demande le secours de leur prière, en disant: de m’aider dans les prières <que vous adresserez> à Dieu pour moi, c’est-à-dire répandues à mon intention: "Un frère qui est aidé par son frère est comme une cité forte 9." Or, remarque la Glose "si l’Apôtre parle ainsi, ce n’est pas qu’il mérite moins que ceux qui lui sont inférieurs, mais il se conforme à un ordre":

a. En premier lieu, "que la prière soit faite par l’Eglise pour celui qui dirige", selon ces paroles de <l’Apôtre> à Timothée "Je demande donc instamment, avant tout, qu’on fasse des obsécrations, des prières, des demandes, des actions de grâces pour tous les hommes, pour les rois et tous ceux qui sont élevés en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tran quille, en toute piété et chasteté 11."

1. PSEUDO-GÉLASE, Décrets II, cause 22, Q. 2, can. 5 (PL 59, 154 C) voir aussi GRATIEN, Décrets, deuxième partie, cause XXII, Q. II, can. V, éd. E. Friedberg, coI. 868.

2. Lieux parallèles Somme Théologique 2 Q. 171, a. 4; De veritate, Q. 12, a. 1, sol. 5 et 6.
3. 4 R (2 R) 4, 27.

4. Ps 83, 8.

5. Gn 30, 27.

6. Phm 9.

7. Voir Rm 12, 5.

8. Voir Rm 5, 5.

9. Pr 18, 19.

10. Glosa in Rom. XV, 30 (GPL, col. 1526 D).

11. 1 Tm 2, 1-2. — Lieu parallèle 1 Ad Tim. 2, 1-2, lect. 1 (éd. Marietti, n° 55-59).



b. En deuxième lieu, parce qu’"une multitude de simples fidèles, quand ils se rassemblent d’un coeur unanime" méritent davantage, et voilà pourquoi "il est impos sible que les prières d’une multitude ne soient pas exaucées 1." <Il est écrit dans l’évangile de> Matthieu: "Que si deux d’entre vous s’accordent sur la terre pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux 2."

c. En troisième lieu, quand une multitude prie, plusieurs, ayant été exaucés, rendent grâces, selon ce passage de la seconde épître aux Corinthiens: "Vous-mêmes nous aiderez par la prière, afin que ce bienfait, qu’un grand nombre de personnes nous auront obtenu, soit pour un grand nombre un motif d’action de grâces" à Dieu "pour nous 3."

1191. 3. Enfin, <l’Apôtre> expose ce qu’il veut qu’on demande pour lui.

a. La première de ces demandes concerne les ennemis qu’il avait en Judée, aussi dit-il: 31 afin que je sois libéré des infidèles qui sont en Judée, lesquels combattaient principalement Paul et le haïssaient, parce qu’il prêchait avec hardiesse la suppression des observances légales: "Ils ont entendu dire de toi que tu enseignes aux Juifs, qui sont parmi les Gentils, d’abandonner Moïse, disant qu’ils ne doivent point circoncire leur fils, ni marcher selon les coutumes 4."

b. La deuxième demande concernait ceux auxquels il allait porter des aumônes, d’où ce qu’il ajoute: et que l’offrande de mon service, c’est-à-dire que l’Eglise dans laquelle je sers pour eux, soit agréée des saints qui sont à Jérusalem, en sorte que par là ils soient provoqués à rendre grâces à Dieu et à prier pour les nations elles-mêmes, dont ils reçoivent ces aumônes: "Des lèvres de la multitude béniront celui qui est splendide dans les repas <qu’il donne> 5."

c. La troisième demande concerne ceux-là mêmes auxquels il écrivait, aussi ajoute-t-il: 32 en sorte que je vienne vers vous dans la joie, et cela par la volonté de Dieu, contre laquelle il ne voulait rien faire "demandant avec obsécration, si en quelque manière c’est la volonté de Dieu, de m’accorder enfin un heureux voyage pour venir jusqu’à vous 6" — Et que je me repose avec vous, c’est-à-dire que par votre présence je reçoive un soulagement à mes tribulations.

1192. — B. Lorsque <l’Apôtre> dit: 33 Que le Dieu de la paix soit avec vous tous, etc., il montre qu’il prie pour eux. Que le Dieu de la paix, le donateur de la paix, soit avec vous tous, c’est-à-dire pour que vous, vous ayez la paix mutuellement "N’ayez qu’un sentiment, conservez la paix, et le Dieu de paix et de dilection sera avec vous 7." Il ajoute: Amen, c’est-à-dire fiat, ainsi soit-il 8. <Comme> le psalmiste <l’écrit> au psaume 105: "Et tout le peuple dira: "Ainsi soit-il, ainsi soit-il 9."

1. Voir Glosa in Rom. XV, 30 (GPL, col. 1526 D; GOS, t. IV, p. 305a).

2. Mt 18, 19.

3. 2 Co 1, 11 Lieu parallèle IIAd Cor. 1. 11, lect. 3 (éd. Marietti, n 28).

4. Ac 21, 21.

5. Eccli (Si) 31, 28.

6. Rm 1, 10.

7. 2 Corinthiens 13, 11.

8. Lieux parallèles Super Psalmos, in Prol. (in fine); in Ps. 40, 14.

9. Ps 105, 48.




Thomas A. sur Rm (1999) 65