Thomas A. sur Rm (1999) 30

CHAPITRE 7


Leçon 1 [versets 1 à 6]

31
075 (
Rm 7,1-6)


[n° 519] 1 Ignorez-vous, frères (car je parle à ceux qui connaissent la Loi), que la Loi exerce sa domination sur l’homme aussi longtemps qu’il vit?

[n° 521] 2 Ainsi la femme, qui est soumise à un mari, est liée par la Loi tant que son mari est vivant; mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari.

[n° 525] 3 Donc son mari vivant, elle sera appelée adultère, si elle s’unit à un autre homme; mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari, de sorte qu’elle n’est pas adultère, si elle s’unit à un autre homme.

[n° 527] 4 Ainsi, mes frères, vous aussi vous êtes morts à la Loi par le corps du Christ, pour être à un autre qui est ressuscité d’entre les morts, [n° 529] afin que nous fructifiions pour Dieu.

[n° 530] 5 Car, lorsque nous étions dans la chair, les passions des péchés, qui étaient occa sionnées par la Loi, opéraient dans nos membres, de sorte que nous fructifiions pour la mort;

[n° 531] 6 mais maintenant nous sommes affranchis de la loi de mort dans laquelle nous étions retenus, pour qu’ainsi nous servions dans la nouveauté de l’esprit, et non dans la vétusté de la lettre.

518. Après avoir montré que nous sommes libérés du péché par la grâce du Christ [n° 406], <l’Apôtre> montre ici que nous sommes libérés par la même grâce de la servitude de la Loi. Et sur ce point, il commence par énoncer sa proposition puis il écarte une objection [n° 532]: Que dirons-nous donc?"

Il énonce sa proposition en montrant deux choses

I) D’abord, que par la grâce du Christ nous sommes libérés de la servitude de la Loi.

II) Puis, il montre la finalité de cette libération [n° 529]: afin que nous fructifiions pour Dieu.

I. Pour démontrer que nous sommes libérés de la servitude de la Loi par la grâce du Christ,

A) il commence par donner un exemple, dont il tire un argument en vue de démontrer sa proposition.

B) Puis, il l’explique [n° 5211: 2 la femme, qui est soumise à un mari, etc.

C) Enfin, il conclut [n° 527]: Ainsi, mes frères, etc.

519. — A. <L’Apôtre> leur donne un exemple quasi connu 1: Ignorez-vous, frères, autrement dit: vous ne devez pas ignorer cela: "Si quelqu’un l’ignore, il sera ignoré 1." Et la raison pour laquelle ils ne doivent pas l’ignorer, il la montre en ajoutant: car je parle à ceux qui connaissent la Loi.

1. 1 Co 14, 38.



520. Mais comme les Romains étaient des Gentils et ignoraient la Loi de Moïse, il semble que cet exemple <de l’Apôtre> ne les concerne pas. Aussi certains 1 ont-ils interprété ce passage en l’appliquant à la loi naturelle, qui n’était pas inconnue des nations païennes, selon ce qui a été dit plus haut: "Quand des nations païennes, qui n’ont pas de loi, pratiquent naturellement ce qui est de la loi, n’ayant pas de loi, ils se tiennent lieu de loi à eux-mêmes 2." Aussi est-il ajouté: que la loi exerce sa domination sur l’homme, à savoir la loi naturelle, aussi longtemps qu’il vit, c’est-à-dire que la loi vit dans l’homme. Or elle vit aussi longtemps que la raison naturelle exerce efficacement sa force dans l’homme. Mais la loi naturelle meurt dans l’homme aussi longtemps que la raison naturelle succombe aux passions "Ils ont rompu l’alliance éternelle 3", c’est-à-dire celle de la loi naturelle.

Mais cette interprétation ne semble pas conforme à l’intention de l’Apôtre qui, lorqu’il parle de la Loi dans un sens absolu et indéterminé, fait toujours allusion à la Loi de Moïse.

Il faut donc dire que les Romains croyants n’étaient pas seulement <origi naires> de nations païennes, mais que nombre d’entre eux étaient Juifs 4. Aussi lit-on dans les Actes que Paul trouva à Corinthe "un certain Juif, du nom d’Aquila, originaire du Pont, qui était depuis peu venu d’Italie avec Priscille, sa femme, parce que Claude avait ordonné à tous les Juifs de s’éloigner de Rome 5."

Donc dans ce sens, la Loi exerce sa domi nation sur l’homme, aussi longtemps que vit l’homme. Car la Loi a été donnée pour diriger les hommes sur la voie de cette vie, selon ce verset du psalmiste: "Il a établi pour lui une Loi dans la voie qu’il a choisie 6." L’obligation de la Loi est donc déliée par la mort.

521. — B. Quand <l’Apôtre> dit: 2 la femme, qui est soumise à son mari, etc., il explique ce qu’il avait dit par un exemple emprunté à la loi du mariage. Et:

1) Il commence par exposer cet exemple.

2) Il l’explique par une preuve [n° 525] Donc son mari vivant, etc.

522. 1. Par l’exemple qu’il cite il expose:

a. En premier lieu comment l’obli gation de la Loi dure tant que dure la vie: Ainsi la femme, qui est soumise à un mari, c’est-à-dire sous la puissance d’un mari, lui est soumise d’après la Loi divine, qui dit: "Tu seras sous la puis sance de ton mari et lui te dominera." — Est liée par la loi, c’est-à-dire par laquelle elle est tenue de vivre avec son mari, selon ce verset de Matthieu: "Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare point 8."

1. Voir AMBROSIASTER, Gommentaria in epistolam ad Romanos VII, 1 (CSEL 81/1, 210-213); Glosa in Rom. VII, 1 (GPL, col. 1413 D).

2. Rm 2, 14.

3. Is 24, 5.

4. C’est aussi ce que pensent les exégètes modernes: les destinataires [de l’épître] apparaissent comme constituant une commu nauté qui appartient au monde des Gentils, mais avec une part notable de juifs d’origine " (HuBY, Saint Paul. Epitre aux Romains, Paris, Ed. Beauchesne, 1957, p. 9).

5. Act. 18, 2.

6. Ps 24, 12.

7. Gn3, 16.

8. Mt 19, 6.

9. "Ce sacrement est grand", ou, comme on traduit aujourd’hui: "ce mystère est grand." Dès les origines, le grec mysterion (mystère) a été soit transcrit littéralement en mysterium, décalque latin du grec (Mc 4, 11), soit, comme ici, rendu par sacramentum, terme qui désigne d’abord le serment d’engagement militaire. Jusqu’au x siècle sacramentum " signifié en latin tout ce que signifiait mysterion en grec. En parlant de sacramentum la Vulgate n’envisage donc pas directement ce que nous appelons ainsi aujourd’hui. Saint Thomas lui-même, on le voit ici (et bien qu’il ait plus que quiconque contribué à fixer sacramentum dans son sens technique), continue de l’employer au sens large et traditionnel où il désigne les mystères du Royaume. Car il est clair que ni l’union du Christ et de l’Eglise, ni celle du Verbe et de la nature humaine ne peuvent être considérées comme un mariage au sens strictement sacramentel du terme. En réalité, d’ailleurs, comme le suggère Paul lui-même, C’est le sacrement de mariage qui est considéré comme une image du mystère de l’Eglise unie au Christ, ou de la nature humaine unie à la nature divine.



Cette indissolubilité du mariage est due principalement au fait qu’il est le sacrement de l’union indissoluble du Christ et de l'Eglise, ou bien du Verbe et de la nature humaine dans la personne du Christ: "Ce sacrement est grand"; "je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Eglise 1."

5232. b. En second lieu, <en disant:> mais si son mari meurt, etc., <l’Apôtre> explique par cet exemple comment l’obligation de la loi est affranchie après la mort. Mais si le mari, c’est-à-dire le mari de cette femme, meurt, la femme, après la mort de son mari, est affranchie de la loi du mari, c’est-à-dire de la loi du mariage, par laquelle elle était liée à son mari. En effet, comme Augustin le dit dans son livre consacré au "Mariage" et à la "Concupiscence", les noces étant des biens humains, leur obligation ne s’étend pas au-delà de la vie mortelle. Et c’est pourquoi "à la résurrection", quand adviendra la vie immortelle, "les hommes n’auront-ils plus d’épouses ni les femmes de maris", comme il est dit dans <l’évangile de> Matthieu. De là il est évident que si quelqu’un meurt et ressuscite, comme il est arrivé à Lazare, il n’aura plus l’épouse qu’il avait auparavant, à moins qu’elle ne contracte un nouveau mariage avec lui.

524. En sens contraire on allègue ce qui est dit dans <l’épître aux> Hébreux: "Des femmes ont recouvré leurs morts ressuscités 6."

Il faut savoir que ces femmes n’ont pas recouvré leurs maris, mais leurs enfants, comme cette femme qui reçut le sien d’Elie, comme on le rapporte au troisième livre des Rois, et cette autre qui le reçut d’Elisée, comme on le lit au quatrième livre des Rois 8.

Mais il en est autrement dans les sacrements qui impriment un caractère, lequel est une sorte de consécration de l’âme immortelle. Or toute consécration demeure tant que dure la chose consacrée, comme on le voit dans la consécration d’une église ou d’un autel. C’est pourquoi, si un baptisé ou un confirmé, ou encore un sujet ordonné, meurt et ressuscite, il ne doit pas de nouveau recevoir ces mêmes sacrements 9.

525. 2. Lorsqu’il dit: 3 Donc son mari vivant, etc., <l’Apôtre> explique ce qu’il avait dit par une preuve.

Et d’abord quant à l’obligation du mariage, qui dure pour la femme tant que vit son mari. La preuve en est qu’elle est appelée adultère, si elle s’unit à un autre homme, c’est-à-dire si elle s’unit charnel lement à lui du vivant de son mari: "Si un homme renvoie sa femme et que, se

1. Ep 5, 32. — Lieux parallèles: Ad Ephes. 5, 32, lect. 10 (éd. Marietti, n 334); S. Th., Suppi., Q. 42, a. 1 et 2; Q. 59, a. 6, sol. 1 Q. 67, a. 2.

2. Lieu parallèle: S. Th., Suppi., Q. 63, a. 1.

3. SAINT AUGUSTIN, De nuptiis et concupiscentia I, X, 11 (BA 23, 78-79). — Lieu parallèle S. Th., Suppi., Q. 49, a. 3, sol. 3.

4. Mt 22, 30.

5. Lieux parallèles: Somme Théologique 3a, Q. 63, a. 5; Q. 66, a. 9; Q. 82, a. 8; 4 Sentences dist. 4, Q. 1, a. 3, Q. 4; Ad Hebr. 11, 35, lect. 7 (èd. Marietti, n° 641-642).

6. He 11, 35.

7. Voir 3 R (1 R) 17, 17s.

8. Voir 4 R (2 R) 4, 18."

9. Il y a, explique saint Thomas, une différence entre les sacrements qui n’impriment pas un caractère (mariage, pénitence, communion, extrême-onction) et qui peuvent être réitérés, et ceux qui impriment un caractère et qu’on ne peut renouveler: baptême, confirmation, ordre. Le terme caractère" désigne la marque, le sceau, le signe indélébile que ces trois sacrements impriment dans l’âme de qui les reçoit. La notion en a été élaborée, à la suite de saint Augustin, pour rendre compte du fait que, selon la pratique constante de l’Eglise, les hérétiques repentis n’étaient pas rebaptisés, bien que l’hérésie eût empêché les effets surnaturels de la grâce baptismale: qu’ont-ils donc reçu pour que cette même grâce puisse devenir opérante, une fois l’hérésie abjurée, sans réitération du sacrement pourtant nécessaire à ses opérations ? Il faut bien supposer dans leur être la permanence d’un "quelque chose" conféré par le rite et qui, les obstacles étant levés, pouvait devenir la cause instrumentale des effets de la grâce. C’est cela qu’on appelle le caractère. Quant à sa nature, beaucoup s’accordent à y voir le "sceau" (l’image) du Christ empreint dans l’âme du baptisé, sceau dont la fonction est de (députer" l’âme à devenir participante du sacerdoce du Christ. La grâce baptismale est ordonnée à la sancti fication personnelle de qui la reçoit; le caractère, lui, est une "consécration * qui nous fait ministre (actif ou passif) du sacerdoce christique au sein de son Eglise (Somme Théologique 3a, Q. 63, a 3).



séparant de lui, elle épouse un autre homme, la reprendra-t-il ensuite? Est-ce qu’elle ne sera pas impure et souillée, cette femme 1?"

Mais si son mari meurt, etc. Ensuite, il se sert de cette preuve <pour établir> que l’obligation de la loi du mariage est déliée par la mort. Il dit: mais si son mari, c’est-à-dire de cette femme, meurt, elle est affranchie de la loi du mari, qui la liait à lui, de sorte qu'elle n'est pas adultère, si elle " ‘unit à un autre homme par un commerce charnel, et surtout si elle s’unit à lui par le mariage "Si son mari s’endort", à savoir celui de cette femme, "elle est affranchie; qu’elle se marie à qui elle voudra, mais seulement selon le Seigneur 2."

526. Par ces paroles il est manifeste que les deuxièmes noces, ou les troi sièmes, ou les quatrièmes, sont licites en elles-mêmes et pas seulement par dispense, comme semble l’insinuer Jean Chrysostome. Dans son commentaire sur Matthieu, il dit que de même que Moïse a permis l’acte de répudiation, ainsi l’Apôtre a permis les secondes noces 3.

Car si la loi du mariage est déliée par la mort, il n’y a aucune raison pour qu’il ne soit pas permis à l’époux survivant de passer à de secondes noces. Et quand l’Apôtre dit que "l’évêque doit être le mari d’une seule femme 4", cela ne signifie pas que les secondes noces sont illicites, mais qu’elles créent une imperfection à l’égard du sacrement 5, parce que l’évêque ne serait plus l’époux unique d’une seule épouse, comme le Christ est l’Epoux d’une seule Eglise.

527. — C. Lorsqu’il dit: 4 mes frères, etc., il conclut sa proposition principale. Ainsi, etc., c’est-à-dire par le fait que vous êtes devenus les membres du corps du Christ, que vous êtes à la fois morts et ensevelis avec lui, comme on l’a expliqué plus haut, vous aussi vous êtes morts à la Loi, c’est-à-dire quant à l’obligation de la Loi qui cesse par rapport à vous, pour être à présent à un autre, c’est-à-dire au Christ, soumis à la loi de Celui qui est ressuscité d’entre les morts, en qui, ressuscitant vous-mêmes, vous avez assumé une vie nouvelle. Ainsi donc vous n’êtes plus tenus par l’obligation de la loi de votre vie passée, mais par celle de la vie nouvelle.

528. Cependant il semble qu’il y ait dissimilitude sur un point parce que, dans l’exemple cité, le mari mort, la femme demeurait libre de l’obligation de la Loi; tandis qu’ici celui qui est délié de l’obli gation est dit être mort. Mais si nous consi dérons bien l’un et l’autre, on y trouve une identité de situation parce que, le mariage étant <contracté> entre deux <époux>, comme une sorte de relation, peu importe lequel des deux meurt, pour que la loi du mariage soit abolie. Car que cela échoie à l’un ou à l’autre des deux, il est évident que par la mort qui nous fait mourir avec le Christ, l’obligation de la Loi ancienne cesse.

1. Jr 3, 1.

2. 1 Corinthiens 7, 39.

3. PSEUDO-GHRYSOSTOME, Opus impe in Matthaeum 19, 7, homélie 32, 8 (PG 56, 801).

4. 1 Tm 3, 2. Lieu parallèle J Ad Tim. 3, 2, lect. 1 (éd. Marietti, n° 96).

5. Lieu parallèle: S. Th., Suppi., Q. 63, a. 2, sol. 2. En Orient, la conception du mariage étant plus mystique, c’est-à-dire davantage axée sur le mystère de l’union du Christ et de l’Eglise, elle ne peut concevoir que le lien soit rompu même après la mort. C’est pourquoi le remariage n’est que toléré par miséricorde en raison de la faiblesse humaine. Voir à ce sujet Jean MEYENDORFF, Le Mariage dans la perspective orthodoxe, p. 77-83.

6. Lieu parallèle: S. Th., Suppl., Q. 44, a. 1.

529. — II. En disant: afin que nous fructifiions, etc., <l’Apôtre> expose et montre la finalité de cette libération. Et à ce propos il fait trois choses:

A. Il expose en premier lieu la finalité, en disant: afin que nous fructifiions pour Dieu. Car par le fait que nous sommes devenus membres du Christ, en demeurant en lui, nous pouvons produire le fruit des bonnes oeuvres pour honorer Dieu: "Comme le sarment ne peut porter de fruit par lui-même, s’il ne demeure uni à la vigne; ainsi vous non plus, si vous ne demeurez en moi 1."

530. — B. <L’Apôtre> montre ensuite que ce fruit était entravé tandis que nous étions sous la servitude de la loi, en disant: 5 Car, lorsque nous étions dans la chair — c’est-à-dire assujettis aux convoitises de la chair: "Mais vous, vous n’êtes pas dans la chair, mais dans l’esprit — les passions et les affections des péchés, qui par la Loi étaient soit connues, soit accrues occasion nellement, comme on l’a vu plus haut, opéraient dans nos membres, c’est-à-dire agis saient dans nos membres "D’où viennent les guerres et les procès entre vous ? N’est-ce pas de là? de vos concupiscences qui combattent dans vos membres ?" Et cela, de sorte que nous fructifiions pour la mort, c’est-à-dire que nous produisions un fruit de mort: "Le péché, lorsqu’il a été consommé, engendre la mort 4."

531. — C. <L’Apôtre> montre enfin que cette finalité est acquise par ceux qui sont libérés de la servitude de la loi, en disant: 6 mais maintenant nous sommes affranchis par la grâce du Christ de la loi de mort, c’est-à-dire de la servitude de la Loi de Moïse, qui est appelée loi de mort, soit parce qu’elle tuait corporellement sans miséricorde: "Celui qui viole la Loi de Moïse meurt sans aucune miséricorde"; soit parce qu’à l’occasion elle tuait spirituellement, selon ces paroles <de l’Apôtre> aux Corinthiens: "La lettre tue, tandis que l’Esprit vivifie 6" Dans cette loi, nous, nous étions retenus comme des esclaves sous la Loi: "Avant que la foi vînt, nous étions sous la garde de la Loi." Pour qu’ainsi, affranchis, nous servions dans la nouveauté de l’esprit, renouvelés dans l’esprit par la grâce du Christ — "Je vous donnerai un coeur nouveau, et je mettrai un esprit nouveau au milieu de vous — et non dans la vétusté de la lettre, c’est-à-dire non selon la Loi ancienne. Ou bien, non dans la vétusté du péché, que la lettre de la Loi n’a pu supprimer: "J’ai vieilli au milieu de tous mes ennemis 9."

1. Jn 15, 4.

2. Rm 8, 9.

3. Jc 4, 1.

4. Jc 1, 15.

5. He 10, 28.

6. 2 Corinthiens 3, 6.

7. Ga 3, 23.

8. Ez 36, 26.

9. Ps 6, 8. — Lieu paraikle Super Psalmos, in Ps. 6, 8 le pécheur a vieilli en s’éloignant de la nouveauté du Ghrist à propos de laquelle l’Apôtre dit: "Que nous marchions dans une nouveauté de vie" (Rm 6, 4). <Et encore> "Afin que nous servions dans la nouveauté de l’esprit" (Rm 7, 6). Selon la Glose "Nous accom plissons le service des oeuvres du nouvel homme, c’est-â-dire du Ghrist, oeuvres auxquelles nous nous appliquons non pas par nos propres forces ou par la loi, mais par la grâce de l’Esprit-Saint."

"Sachant que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché soit détruit, <et> que nous ne soyons plus esclaves du péché" (Rm 6, 6). Par cet esclavage l’homme est amené au vieil lissement dû au péché, et devient membre du vieil homme c’est pourquoi l’Apôtre avertit et convainc "Réformez-vous par le renou vellement de votre sentiment" (Rm 12, 2), ou de votre esprit. Réformez-vous, dit la Glose, vous qui avez été déformés en Adam, parce que l’image de Dieu a été en partie perdue en lui, réformez-vous par le renouvellement, en imitant le nouvel homme, c’est-à-dire le Ghrist" (trad. par J-E. Stroobant de Saint-Eloy, p. 85).


Leçon 2 [versets 7 à 13]

32
075 (
Rm 7,7-13)


[n° 533] Que dirons-nous donc? La Loi est-elle péché? Loin de là! Mais je n’ai connu le péché que par la Loi; car je ne connaîtrais pas la concupiscence si la Loi n’eût dit: "Tu ne convoiteras pas."

[n° 540] 8 Mais le péché, saisissant l’occasion, a produit en moi par le commandement toute concupiscence; [n° 544] car sans la Loi le péché était mort.

[n° 546] Et moi je vivais autrefois sans loi. [n° 547] Mais quand est venu le comman dement, le péché a repris vie.

[n° 548] 10 Et moi je suis mort; [n° 549] et il s’est trouvé que le commandement qui m’était <donné> pour la vie, l’a été pour la mort.

[n° 550] "Car le péché, prenant l’occasion, m’a séduit à travers le commandement, et par lui m’a tué.

[n° 5511 12 Ainsi donc la Loi est sainte, et le commandement est saint, et juste et bon.

[n° 552] 13 Ce qui est bon est-il donc devenu pour moi la mort? Loin de là ! Mais le péché, afin de paraître péché, a opéré en moi la mort par le bien, de sorte que par le commandement le péché devienne pécheur à l’excès.



532. Après avoir montré que par la grâce du Christ nous sommes libérés de la servitude de la Loi [n° 518], et que cette libération est profitable, l’Apôtre répond ici à une objection dont le motif est allégué par ce qui précède. Selon ce motif, il semblerait que la Loi ancienne ne soit pas bonne. A ce propos <l’Apôtre> fait deux choses:

Il résout d’abord l’objection selon laquelle il semblerait que la Loi n’est pas bonne.

Ensuite, il montre que la Loi est bonne [n° 556]: 14 Nous savons en effet que la Loi est spirituelle, etc.

Touchant l’objection:

I) Il commence par l’exposer quant à la Loi elle-même.

II) Ensuite, il la résout [n° 551]: 12 Ainsi donc la Loi est sainte, etc.

533. — I. Il dit donc d’abord: On a avancé que les passions des péchés étaient occasionnées par la Loi, et qu’elle est une loi de mort: 7 Que dirons-nous donc à la suite de cela? Est-ce que nous dirons que la Loi est péché? On peut entendre cela de deux manières. Selon une première manière, que la Loi enseignerait le péché, comme on le dit dans Jérémie: "Les lois des peuples sont vaines 1", c’est-à-dire parce qu’elles enseignent la vanité; selon une autre manière, la Loi est dite péché, parce que celui qui a donné la Loi aurait péché en portant une telle Loi. Et ces deux interprétations se rejoignent, parce que si la Loi enseigne le péché, le législateur pèche en la portant: "Malheur à ceux qui établissent des lois iniques 2." Or la Loi semble enseigner le péché, si les passions des péchés sont occasionnées par la Loi, et si la Loi conduit à la mort.

1. Jr 10, 3.

2. Is 10, 1.



534. Lorsque <l’Apôtre> dit: Loin de là!, il résout cette objection. Il faut savoir ici que si la Loi causait par elle-même et directement les passions des péchés ou la mort, il s’ensuivrait qu’elle serait péché, selon l’une ou l’autre des interprétations données plus haut; mais il n’en serait pas ainsi si la Loi n’était que l’occasion du péché et de la mort. A ce propos <l’Apôtre> montre deux choses:

A) Ce que la Loi fait par elle-même.

B) Ce qui résulte occasionnellement d’elle [n° 540]: 8 Mais le péché, saisissant l’occasion, etc.

535. — A. Sur ce que la Loi fait par elle-même <l’Apôtre> donne trois explications

1. Il répond d’abord à la question en disant: Loin de là!, à savoir que la Loi est péché. Car elle-même n’enseigne pas le péché, selon ce verset du psalmiste: "La Loi du Seigneur est sans tache’"; et le législateur n’a pas péché en la portant, comme si c’était une Loi inique, selon cette parole: "Par moi les rois règnent, et les législateurs décrètent des choses justes 2."

536. 2. Ensuite, <en disant:>: Mais je n‘ai connu le péché, etc., il expose ce qui en soi appartient à la Loi, à savoir donner la connaissance du péché sans le supprimer. Et tel est ce qu’il dit: Mais je n’ai connu le péché que par la Loi. — "Car par la Loi <vient> la connaissance du péché 3." Si toutefois ce verset est appliqué à la loi naturelle, il signifie clairement que par la loi naturelle l’homme juge en discernant le bien et le mal: "Il a rempli leur coeur de sens, et il leur a montré les biens et les maux 4." Mais l’Apôtre semble parler ici de la Loi ancienne, qu’il a indiquée plus haut, en disant: "Et non dans la vétusté de la lettre." Il faut donc dire que sans la Loi on pouvait avoir la connaissance du péché, en tant qu’il porte un caractère d’ignominie, c’est-à-dire en tant qu’il est contre la raison, mais non en tant qu’il implique une offense contre Dieu; car par la Loi divi nement donnée, il est révélé à l’homme que ses péchés déplaisent à Dieu, en ce sens qu’il les défend et qu’il ordonne de les punir.

537. 3. Enfin, il prouve ce qu’il avait dit, en disant: Car je ne connaîtrais pas la concupiscence si la Loi n’eût dit "Tu ne convoiteras pas." Il faut considérer à ce propos que ce mot de l’Apôtre: la connais sance du péché ne vient que par la Loi, pourrait être mis en rapport avec l’acte même du péché, que la Loi fait connaître à l’homme en le défendant. Cette interpré tation est vraie pour certains péchés; car il est dit dans le Lévitique: "Une femme ne s’offrira pas à un animal pour s’accoupler à lui, parce que c’est un crime 5." Mais que telle ne soit pas la pensée de l’Apôtre, on le voit clairement d’après ce qu’il dit ici. Car nul n’ignore l’acte même de la concupiscence, puisque tous l’éprouvent. Il faut donc comprendre, comme on l’a dit plus haut, que par la Loi seulement <vient> la connaissance du péché, quant à l’obli gation à la peine 6 et à l’offense à Dieu 7. L’Apôtre prouve cela par la concupiscence, parce que la concupiscence dépravée 8 est généralement à l’origine de tous les péchés. Aussi la Glose 9 dit, et avec elle Augustin, que "l’Apôtre a choisi ici un péché qui a

1. Ps 18, 8. — Lieu parallèle Super Psalmos, in. Ps. 18, 8.

2. Pr8, 15.

3. Rm 3, 20.

4. Ecci (Si) 17, 6.

5. Lv 18, 23.

6. Lieu parallèle: Somme Théologique 1a-2ae, Q. 87.

7. Lieu parallèle De malo, Q. 12, a. 1, sol. 14.

8. Lieux parallèles Somme Théologique Ia-2 Q. 34, a. 1, conci. ; Q. 82, a. 3; Ad Col. 3, 5, lect. 1 (éd. Marietti, n° 146).

9. Voir Glosa in Rom. VII, 7 (GPL, col. 1416 C; GOS, t. IV, p. 288a).



une sorte d’universalité, à savoir la concupiscence. Bonne est donc la Loi qui, tout en défendant les convoitises, défend tous les maux 1."

538. 2 — Toutefois on peut entendre que la concupiscence est un péché général, en tant qu’elle est prise pour la convoitise d’une chose illicite, ce qui appartient à l’essence de tout péché. Cependant ce n’est pas dans ce sens qu’Augustin a appelé la concupis cence péché général, mais parce qu’il y a, à la racine et à la cause de tout péché, quelque concupiscence spéciale. C’est pourquoi la Glose dit aussi que la concupiscence est un péché général, d’où procèdent tous les maux. L’Apôtre, en effet, cite un précepte de la Loi où la convoitise est spécialement défendue: "Tu ne convoiteras pas <le bien> de ton prochain", ce qui est la convoitise de l’avarice dont l’Apôtre parle dans sa première épître à Timothée: "La racine de tous les maux est la cupidité 6." Et cela parce que "toutes choses obéissent à l’argent", comme le dit IaEcclésiaste. Et c’est pourquoi la concu piscence, dont on parle ici, est un mal universel, non sous le rapport du genre ou de l’espèce, mais de la causalité. Et cette doctrine n’est pas contredite par ce verset de l’Ecclésiastique: "Le commencement de tout péché est l’orgueil 8" Car l’orgueil est le commencement du péché sous le rapport de l’aversion, tandis que la cupidité est le principe des péchés sous le rapport de la conversion au bien périssable 10.

539. On peut dire encore que l’Apôtre met spécialement le mot "concupiscence" pour prouver sa proposition, parce qu’il veut montrer que sans la Loi on n’avait pas la connaissance du péché, à savoir en tant qu’il est en rapport avec l’offense à Dieu; ce qui apparaît surtout en ce que la Loi de Dieu défend la concupiscence et que l’homme ne la défend pas. Car Dieu seul répute l’homme coupable à cause de la concupiscence du coeur, selon cette parole "Les hommes voient ce qui paraît, mais Dieu regarde le coeur 11." Or la Loi de Dieu a défendu la concupiscence du bien d’autrui qu’on enlève par le vol, et la concupiscence de l’épouse d’autrui que souille l’adultère, plutôt que la concupis cence des autres péchés, parce que ces péchés ont dans la concupiscence elle-même une sorte de délectation qu’on ne trouve point dans les autres péchés.

540. — B. Lorsqu’il dit: 8 Mais le péché, saisissant l’occasion, etc., <l’Apôtre> montre ce qui résulte occasionnellement de la Loi. Et:

1) Il commence par exposer ce qu’il se propose.

2) Puis, il explique sa proposition [n° 544]: car sans la Loi, etc.

1. SAINT AUGIJSTIN, De spiritu et lutera IV, 6 (CSEL 60, 157-159); Sermo CLV, t, I (PL 38, 840-841).

2. Lieux parallèles Somme Théologique 1a-2ae Q. 73, a. 6, arg. 2; Q. 77, a. 5; Q. 84, a. 1 et 2; 2 Q. 162, a. 7.

3. Voir SAINT AUGUSTIN, De spo-itu et littera IV, 6 (CSEL 60,

157-159).

4. Voir Glosa in Rom. VII, 7 (GPL, col. 1416G).

5. Ex 20, 17. La variante rem (bien) au lieu de domum (maison) figure dans certains manuscrits. Voir DOM SABATIER, Bibi. sacr., t. I, p. 175 (Notae ad versionem antiquam); Biblia sacra iuxta latinam vuigatam versionem, Libros Exodi et Leviuci, éd. D. Henricus Quentm, p. 182 en note: "rem vel domum."

6. 1 Tm 6, 10.

7. Eccl (Qo) 10, 19.

8. Eccli (Si) 10, 15.

9. Autrement dit, si l’on parle de la concupiscence comme d’un péché général, ce n’est pas qu’elle soit le genre dont les différentes sortes de péchés seraient les espèces, mais parce que, à l’origine de tout péché, il y a une convoitise, comme le montre d’ailleurs le récit biblique du péché originel. Cette convoitise est une conversion aux biens périssables, c’est-à-dire, consiste à se toumer vers (convertere) les biens éphémères. A la conversion s’oppose l’aversion, au mouvement d’ouverture à l’extériorité dispersante s’oppose le mouvement de repli sur soi, de retrait, de retranchement, de rejet du commandement divin; aversion à l’égard de Dieu, conversion à l’égard du monde; voilà le péché.

10. Voir ici chap. 1, y. 30; leçon 8, n 163.

11. 1 R (1") 16, 7. Deus selon la Vetus iatina, Dominus selon la Vulgate. Voir DOM SABATIER, Bibi. sacr., t. II, p. 498 (Textus et notae ad versionem antiquam).



541. 1. Il dit donc d’abord que le péché, saisissant l’occasion, a produit en moi par le commandement, à savoir de la Loi qui défendait le péché, toute concupiscence. Par le mot "péché" on peut entendre ici le diable 1, selon une expression emphatique, parce qu’il est le commencement du péché. Et en ce sens le diable produit dans l’homme toute concupiscence du péché: "Celui qui commet le péché est du diable, parce que le diable pèche dès le commencement 2." Mais parce que l’Apôtre n’a pas fait mention ici du diable, on peut dire que le péché actuel, quel qu’il soit, en tant qu’il est conçu par la pensée, produit dans l’homme sa propre concupiscence, selon ce verset de Jacques: "Chacun est tenté par sa concupiscence, qui l’entraîne et le séduit. Puis la concupiscence, lorsqu’elle a conçu, enfante le péché, et le péché, quand il a été consommé, engendre la mort 3."

542. Mais, puisque l’Apôtre avait dit plus haut "par un seul homme il est entré dans ce monde 4", il vaut mieux rapporter cela au péché originel, parce que avant la grâce du Christ ce péché est dans l’homme quant à la coulpe et quant à la peine, tandis que dès la venue de la grâce l’obligation â la peine est effacée, mais ce péché demeure en acte quant à son foyer, ou quant à la concupiscence habituelle, qui produit dans l’homme toute espèce de concupiscence actuelle. Ou bien ce passage se rapporte aux concupiscences des divers péchés; car autre est la concupiscence du vol, autre celle de l’adultère, et ainsi des autres; ou encore aux divers degrés de la concupiscence, selon qu’elle consiste dans la pensée, la délectation, le consentement et l’oeuvre. Or pour produire cet effet dans l’homme, le péché saisit l’occasion de la Loi. Et c’est ce que dit <l’Apôtre>: saisissant l’occasion. Ou bien, parce que le commandement étant survenu, le péché revêt en plus un caractère de prévarication, car "là où il n’y a pas de Loi, il n’y a pas non plus de prévarication", comme on l’a dit plus haut; ou bien, parce que le désir du péché défendu croît, pour les raisons émises plus haut [n° 453s].

543. — 6 — Il faut noter qu’il ne dit pas que la Loi a donné l’occasion de pécher, mais que le péché lui-même a pris l’occasion de la Loi. Car celui qui donne occasion scan dalise, et par conséquent pèche: ce qui arrive lorsqu’on accomplit une oeuvre qui manque de rectitude, et dont le prochain est offensé ou scandalisé, par exemple si l’on fréquente des lieux malséants, même sans mauvaise intention. C’est pour cela qu’il est dit plus loin: "Jugez plutôt qu’il ne faut pas mettre devant votre frère un obstacle ou <lui donner une occasion de> scandale 7." Mais si l’on fait une oeuvre bonne, par exemple si l’on donne l’aumône et que le prochain en soit scandalisé, on ne donne pas occasion de scandale; par conséquent on ne scandalise ni ne pèche, mais le prochain prend lui-même occasion de se scandaliser et pèche. Ainsi donc la Loi a fait quelque chose de bien, puisqu’elle a défendu le péché; par consé quent elle n’a pas pas donné occasion de pécher, mais l’homme a pris occasion de la Loi. Il s’ensuit que la Loi n’est pas un péché, mais que le péché vient de l’homme. Il faut donc comprendre que les passions des péchés, qui appartiennent à la concu piscence du péché, ne sont pas dues à la Loi, comme si la Loi les produisait, mais que le péché les produit en prenant occasion de la Loi. Et c’est pour la même raison qu’elle est appelée loi de mort, non parce que la Loi produit la mort, mais parce que le péché produit la mort en prenant occasion de la Loi. <En gardant> le même sens on peut encore disposer

1. Voir Glosa zn Rom. VII, 8 (GPL, col. 1416 D).

2. 1 Jn 3, 8.

3. Jc 1, 14-15.

4. Rm 5, 12.

5. Rm 4, 15.

6. Lieux parallèles Somme Théologique 2 Q. 43, a. 1 et a. 3.

7. Rm 14, 13.



différemment le texte 1 de manière à lui faire dire que le péché a produit par le commandement de la Loi toute concupis cence, et cela en prenant occasion du commandement lui-même; mais la première explication est la plus simple et la meilleure.

544. 2. Lorsque <l’Apôtre> dit: car sans la Loi, il explique ce qu’il avait dit, et cela par l’expérience de l’effet. Et:

a) Il expose en premier lieu l’effet.

b) Puis, il récapitule la cause [n° 550] 11 Car le péché, etc.

a. En exposant l’effet il décrit trois choses:

D’abord, l’état antérieur à la Loi.

Puis, l’état sous la Loi [n° 547]: Mais quand est venu, etc.

Enfin, en comparant les deux états, il déduit l’effet de la Loi [n° 549]: et il s’est trouvé, etc.

545. Il dit donc d’abord: le péché, saisissant l’occasion, a produit en moi par le commandement toute concupiscence; ce qui est évident par ce qui suit: car sans la Loi le péché était mort, non comme s’il n’avait pas existé, puisque "par un seul homme le péché est entré dans ce monde" avant la Loi, comme on l’a dit plus haut Mais il faut comprendre qu’il était mort, soit quant à la connaissance de l’homme, qui ne savait pas que certains points défendus par la Loi étaient des péchés, par exemple la concu piscence; soit parce qu’il était mort quant à son pouvoir de donner la mort, en compa raison avec ce qu’il fut par la suite. Car il n’avait pas une telle puissance de conduire l’homme à la mort qu’il ne l’a eue par la suite en prenant occasion de la Loi. On regarde en effet comme mort ce dont la puissance est affaiblie: "Mortifiez vos membres qui sont sur la terre: la fornication, l’impureté, la luxure, la concu piscence mauvaise, et l’avarice, qui est une idôlatne 3." "Tel était donc l’état antérieur à la Loi quant au péché."

546. Mais quel était cet état par rapport à l’homme, <l’Apôtre> le montre en ajoutant: Et moi je vivais autrefois sans la Loi. Paroles qui peuvent également être entendues de deux manières: d’abord, en ce sens que l’homme semblait vivre de lui-même, ignorant que sa mort était due au péché: "Tu as le nom de vivant, mais tu es mort 4." Ou bien, ces paroles sont dites par comparaison avec la mort, qui est venue à l’occasion de la Loi. Car ceux qui pèchent moins sont réputés vivre, en comparaison de ceux qui pèchent davantage 5.

547. Puis lorsqu’il dit: Mais quand est venu le commandement, etc., il décrit l’état sous la Loi.

Et d’abord quant au péché: Mais quand est venu le commandement, c’est-à-dire quand la Loi a été donnée, le péché a repris vie. Ce qui peut se comprendre de deux manières: soit par rapport à la connais sance de l’homme, qui a commencé à reconnaître que le péché était en lui, ce qu’il ne savait pas auparavant: "Après que tu m’as montré <mon état>, j’ai frappé ma cuisse, j’ai été confondu, et j’ai rougi 6." Et <l’Apôtre> a dit expressément: a repris vie, parce qu’au paradis l’homme avait eu pleine connaissance du péché, bien que sans en avoir l’expérience. Ou bien: a repris vie, quant à sa puissance, parce que, la Loi ayant été donnée, la puissance du péché a été occasionnellement augmentée: "La puissance du péché, c’est la Loi 7."

1. Voir Glosa in Rom. VII, 8 (GPL, col. 1417 B).

2. Rm 5, 12.

3. Col 3, 5.

4. Ap 3, 1.

5. Autrement dit (et selon la traduction d’Emile Osty) "Ah! je vivais jadis, quand j’étais sans la Loi; mais une fois venu le commandement, le péché a pris vie, et moi je suis mort.

6. Jr31, 19.

7. 1 Co 15, 56.



548. Soit par rapport à l’homme lui-même, lorsqu’il dit: 10 Et moi je suis mort. Ce qui peut également se comprendre de deux manières 1: d’abord, selon la connaissance, de telle sorte que le sens serait: je suis mort, c’est-à-dire j’ai connu que j’étais mort; ensuite, par comparaison avec l’état antérieur, de telle sorte que le sens serait: je suis mort, c’est-à-dire je suis voué à la mort plus qu’auparavant. Aussi la parole qui a été dite à Moïse et à Aaron n’est pas sans vérité: "C’est vous qui avez tué le peuple du Seigneur 2."

549. Enfin, <l’Apôtre> déduit de la comparaison de l’un et l’autre état l’effet de la Loi, en disant: il s’est trouvé, suivant ce qui précède, que le commandement qui m’était donné pour la vie, tout d’abord selon l’intention de celui qui donne la Loi, ensuite quant à la noblesse elle-même du commandement et la soumission de celui qui obéit — "Je leur ai donné mes préceptes, je leur ai fait connaître mes ordonnances, dans lesquelles l’homme qui les accomplira trouvera la vie 3" — ce commandement <l’a été, c’est-à-dire> m’est <donné> occasionnellement pour la mort, à savoir, par le péché qui était dans l’homme "Son pain dans ses entrailles se changera en fiel d’aspic au-dedans de lui 4."

550. b. En ajoutant: 11 Car le péché, etc., <l’Apôtre> récapitule la cause et la fait en quelque sorte connaître à travers l’effet mentionné, en disant: Il arrive que le commandement mentionné qui était donné pour la vie se trouve être donné pour la mort, car le péché, prenant l’occasion, m’a séduit à travers le commandement, c’est-à-dire par la concupiscence qu’il a produite en moi, comme il est dit dans <le livre de> Daniel "La beauté t’a séduit et la concu piscence a perverti ton coeur. 5 — Et par lui, c’est-à-dire par le commandement, le péché m’a tué occasionnellement: "La lettre tue"

551. II. 7 En disant: 12 donc la Loi, etc., l’Apôtre tire la conclusion qu’il s’était proposée, à savoir que non seulement la Loi n’est pas péché, mais de plus qu’elle est bonne, puisqu’elle fait connaître le péché et le défend.

Et il conclut d’abord quant à toute la Loi, en disant: Comme on le voit d’après ce qui précède, donc la Loi est sainte. — "La Loi du Seigneur est sans tache 8." — "Nous savons que la Loi est bonne si l’on en use légitimement 9."

Puis, quant au commandement parti culier de la Loi, <l’Apôtre conclut> en disant: et le commandement de la Loi est saint, quant aux préceptes cérémoniels, qui règlent les hommes dans leur rapport au culte divin: "Soyez saints, parce que je suis saint, moi, le Seigneur 10" — Et juste, quant aux préceptes judiciaires qui règlent dûment l’homme dans son rapport avec le prochain: "Les jugements du Seigneur sont vrais, ils se justifient par eux-mêmes 11." — Et bon, c’est-à-dire honnête, quant aux préceptes moraux: "Un bien pour moi, que la Loi de ta bouche, plus que millions d’or et d’argent 12" Enfin, puisque tous les préceptes nous ordonnent à Dieu, <l’Apôtre> a appelé sainte toute la Loi.

1. Ces deux interprétations sont données par saint Augustm. La première interprétation figure dans son De diversis quaestw nibus LXXXIII, Q. LXVI (BA 10, 244-245), et la seconde dans son Sermo CLIII, vm, 10 (PL 38, 830-831).

2. Nb 16, 41.

3. Ez20, 11.

4. Jb 20, 14.

5. Dn 13, 56.

6. 2 Corinthiens 3, 6. — Lieu parallèle II ad Cor. 3, 6, Iect. 2 (éd. Marietti, n° 91).

7. Lieux parallèles 5. Th. 1a-2ae Q. 98, a. 1 et 2; Ad Gal. 3, 19, lect. 7 (éd. Marietti, n° 165) 3, 22, lect. 8 (éd. Marietti, n° 174) l Ad Tim. 1, 8, Iect. 3 (éd. Marietti, n° 21).

8. Ps 18, 8.

9. 1 Tm 1, 8.

10. Lv 19, 2.

11. Ps 18, 10.

12. Ps 118, 72.



552. Lorsqu’il dit: 13 Ce qui est bon est-il donc, etc., il soulève une question quant à l’effet de la Loi.

Il commence par soulever une question, en disant: Ce qui est bon, en soi, est-il donc devenu pour moi la mort, c’est-à-dire par soi cause de mort? C’est une fausse interprétation qu’on pouvait faire à partir de ce qui a été dit plus haut: Il s’est trouvé que le commandement qui m’était <donné> pour la vie l’a été pour la mort.

553. Puis il résout <cette question> par une <interjection> négative, en disant: Loin de là! Ce qui en soi est bon et vivifiant ne peut être cause de mal et de mort, selon ce verset de Matthieu: "Un arbre bon ne peut produire de mauvais fruits, ni un arbre mauvais produire de bons fruits 1."

554. Enfin, <en disant:>: Mais le péché, etc., <l’Apôtre> fait concorder ce qu’il dit maintenant avec ce qui a été dit plus haut [n° 540]. En effet, il s’est trouvé que le commandement <donné> l’a été pour la mort, non parce que lui-même produit la mort, mais parce que, le péché lui-même saisissant l’occasion, il produit la mort. C’est ce que dit <l’Apôtre par l’expression> Mais le péché, afin de paraître péché, ce qui veut dire: afin que ce qui est péché apparaisse comme péché par le bien de la Loi, autrement dit par son commandement, car <la Loi> produit le bien lui-même, qui donne la connaissance du péché. Et cela en tant qu’elle offre au péché l’occasion de se manifester.

555. Cependant il ne faut pas comprendre que par la Loi le péché ait produit la mort, comme si sans la Loi la mort n’eût point existé. Car il a été dit plus haut que "la mort a régné depuis Adam jusqu’à Moïse 2", c’est-à-dire alors que la Loi n’existait pas. Mais il faut comprendre que le péché a produit la mort par la Loi, en ce sens que la condamnation de la mort s’est accrue dès l’avènement de la Loi. C’est ce qu’ajoute <l’Apôtre>: Je dis que le péché a produit la mort par le bien, en sorte que le péché devienne pécheur, c’est-à-dire qu’il fait pécher par le commandement de la Loi, profitant de l’occasion. Et cela à l’excès, par rapport à <ceux qui> péchaient auparavant, soit parce que est survenue la faute de la prévarication, soit parce que la concupiscence du péché s’est accrue, comme on l’a dit plus haut [n° 540], par l’interdiction de la Loi qui est survenue. Et, par péché on doit comprendre ici, selon ce qui vient d’être dit [n° 541s], qu’il s’agit ou du diable 3 ou plutôt du foyer du péché 4.

1. Mt 7, 18.

2. Rm 5, 14.

3. Cette application du péché au diable figure déjà dans Origène (Super epistolam ad Romanos VII, 11 (PG 14, 1083 CJ).

4. Voir Glosa in Rom. VII, 13 (GPL, col. 1420 D).



Thomas A. sur Rm (1999) 30