Thomas A. sur Rm (1999) 37

Leçon 3 [versets 14 à 17]

37
075 (
Rm 8,14-17)


[n° 634] 14 Car tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu.

[n° 637] 15 Car vous n’avez pas reçu de nouveau un esprit de servitude selon la crainte, mais vous avez reçu l’esprit d’adoption des fils, en qui nous nous écrions: Abba, Père.

[n° 645] 16 En effet, l’Esprit en personne rend témoignage à notre esprit que nous sommes fils de Dieu.

[n° 646] 17 Fils, donc héritiers; et même héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, [n° 650] si toutefois nous souffrons avec lui, afin d’être aussi glorifiés avec lui.

634. Après avoir exposé que la vie glorieuse nous sera donnée par l’Esprit-Saint [n° 628], cette vie qui bannira de nos corps toute mortalité, l’Apôtre en apporte ici la preuve. Et

I) Il montre d’abord que cette vie glorieuse est donnée par l’Esprit-Saint.

II) Puis, il montre la raison pour laquelle cette vie est différée [n° 650] Si toutefois nous souffrons avec lui, etc.

I. Sur le premier point il fait le raison nement suivant: tous ceux qui sont fils de Dieu obtiennent l’éternité de la vie glorieuse; or tous ceux qui sont dirigés par l’Esprit-Saint sont fils de Dieu; donc tous ceux qui sont dirigés par l’Esprit-Saint obtiennent l’héritage de la vie glorieuse.

A) Il pose donc en premier lieu la mineure de ce raisonnement.

B) Puis, la majeure [n° 646]: Fils, donc héritiers, etc.

A. En exposant la mineure il fait deux choses

1) Il expose d’abord son intention.

2) Puis, il prouve sa proposition [n° 637]: 15 Car vous n’avez pas reçu, etc.

635. — 1. Sur le premier point 2 il faut considérer deux choses:

1. Rappelons (voir n 472, n. 4, p. 244) que la majeure est la proposition qui renferme le grand terme, et la mineure celle qui renferme le petit terme. Le grand terme est celui qui contient le moyen terme (parmi les mortels, il y a les hommes); It petit terme est celui qui est contenu dans le moyen terme (parmi les hommes, il y a 5ocrate). En général, on doit énoncer la majeure avant la mineure; et c’est ce que fait saint Thomas en I) lorsqu’il formule explicitement le syllogisme paulinien: à tout fila de Dieu (moyen terme) est attribuée la vie glorieuse (grand terme) — c’est la majeure; or les dirigés par l’Esprit (petit terme) sont fils de Dieu (moyen terme) — c’est la mineure; donc aux dirigés par l’Esprit est attnbuée la vie glorieuse. Mais ce n’est pas ce que fait saint Paul qui commence par exposer la mineure les dirigés par l’Esprit sont fils de Dieu. Saint Thomas le signale bien (voir A et B), mais sans dire que l’ordre suivi par saint Paul est différent de celui qu’il vient lui-même de suivre en formulant le syllogisme. On peut supposer que, si saint Paul énonce la mineure en premier lieu (ce qui n’est pas interdit en logique), c’est à cause de son extrême importance en théologie spirituelle puisqu’il ne s’agit de rien de moins que de notre déification et du rôle que joue le Saint-Esprit dans notre accession â la filiation divine. On le voit, sous la froide technicité de l’expression, saint Thomas touche aux questions les plus profondes de la vie mystique.

2. Lieux parallèles Somme Théologique 1a-2a, Q. 93, a. 6, sol. I; Q. 68, a. 1." 2a-2ae, Q. 52, a. 1, sol. 3.

a. D’abord comment certains sont conduits par l’Esprit de Dieu. Et on peut interpréter <ces mots>, 14 Tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, de la manière suivante: <sont conduits>, c’est-à-dire dirigés comme par un conducteur et un guide; <et c’est le rôle> que l’Esprit remplit à notre égard en tant qu’il nous illumine intérieurement en vue de ce que nous devons faire: "Ton Esprit qui est bon me conduira dans une terre droite 1." Mais parce que celui qui est conduit n’agit pas par lui-même, et que l’homme spirituel est non seulement instruit par l’Esprit-Saint sur ce qu’il doit faire, mais aussi mû quant à son coeur, ces paroles: tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, dépassent la simple compréhension des mots. En effet, cette expression "être conduit" (agi) veut dire être mû par un instinct supérieur. Aussi disons-nous des animaux sans raison qu’ils n’agissent pas, mais sont conduits, parce qu’ils sont mus par la nature et non par un mouvement propre en vue d’accomplir leurs actions. Et sembla blement, l’homme spirituel n’est pas incliné à accomplir une action principalement par un mouvement de sa propre volonté, mais par un instinct de l’Esprit-Saint, selon ce passage d’Isaïe: "Lorsqu’il viendra comme un fleuve impétueux que pousse le souffle de Dieu 2"; et c’est ainsi que Luc dit du Christ qu’"il était conduit par l’Esprit au désert 3." Cependant cela n’exclut pas le fait que les hommes spirituels agissent par leur volonté et leur libre arbitre, parce que l’Esprit-Saint cause en eux le mouvement même de leur volonté et de leur libre arbitre, selon ces paroles: "C’est Dieu qui opère en nous et le vouloir et le faire, selon sa bonne volonté 4."

636. b. Ensuite, il faut considérer comment ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, sont fils de Dieu. Cela se voit en les comparant aux enfants charnels, qui tirent de leur père leur génération par la semence charnelle. Mais la semence spirituelle qui procède du Père, c’est l’Esprit-Saint. Et c’est pourquoi par cette semence certains hommes sont engendrés comme fils de Dieu: "Quiconque est né de Dieu ne commet point le péché, parce que la semence divine demeure en lui, et il ne peut pécher, parce qu’il est né de Dieu."

637. 2. Lorsque <l’Apôtre> dit: Car vous n'avez pas reçu, etc., il prouve sa proposition, à savoir que ceux qui reçoivent l’Esprit-Saint soient fils de Dieu, et <il prouve> cela de trois manières:

a) Premièrement, par la distinction des dons de l’Esprit-Saint.

b) Deuxièmement, par notre confession [n° 644]: en qui nous nous écrions, etc.

c) Troisièmement, par le témoignage de l’Esprit [n° 645]: 16 En effet, l’Esprit, etc.

638. a. À propos 6 de la distinction des dons de l’Esprit-Saint, il faut considérer qu’il produit en nous deux effets. L’un de crainte: "L’Esprit de crainte du Seigneur le remplira"; l’autre d’amour: "la charité de Dieu a été répandue en nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 8." Or la crainte fait les esclaves, mais non l’amour. Pour rendre cela évident, il faut consi dérer que la crainte a deux objets: le mal que l’on fuit en craignant et ce qui semble nous menacer dans ce mal. Ainsi dit-on de l’homme qu’il craint et la mort et le roi qui peut tuer. Or il arrive quelquefois au mal que l’on fuit d’être opposé au bien corporel ou temporel, que l’on aime parfois d’une manière désordonnée, et qu’on répugne à souffrir <ce mal> de la part d’un homme mondain. Et telle est la crainte humaine ou mondaine qui ne vient pas de l’Esprit-Saint et que le Seigneur condamne: "Ne

1. Ps 142, 10.

2. Is 59, 19.

3. Le4, 1.

4. Ph2, 13.

5. 1 Jn 3, 9.

6. Lieux parallèles Somme Théologique 2 Q. 19, a. 2 à 6; 3 Sentences dist. 34, Q. 2, a. 1, Q. 2 et 3; a. 2, Q. 1 et 3; a. 3; De veritate, Q. 14, a. 7, sol. 2; Q. 28, a. 4, sol. 3.

7. Is 11, 3.

8. Rm 5, 5.



craignez point ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l’âme; mais craignez plutôt celui qui peut précipiter l’âme et le corps dans la géhenne 1."

639. Cependant autre est la crainte qui fuit le mal parce qu’il s’oppose à la nature créée, à savoir le mal de la peine, et qu’on répugne toutefois à souffrir de la part d’une cause spirituelle, c’est-à-dire de Dieu; et cette crainte-là est louable en ce qu’elle craint au moins Dieu: "Qui leur donne d’avoir un esprit tel, qu’ils me craignent, et qu’ils gardent tous mes commandements en tout temps, afin que bien leur arrive, â eux et à leurs enfants pour jamais 2?" Et quand elle est telle, elle vient de l’Esprit-Saint. Mais dans la mesure où cette crainte ne fuit pas le mal qui s’oppose au bien spirituel, à savoir le péché, mais seulement la peine, elle n’est pas louable. Et elle ne tient pas ce défaut de l’Esprit-Saint mais de la faute de l’homme. C’est ainsi que la foi informe, en tant qu’elle appartient à la foi, vient de l’Esprit-Saint, mais non son état informe. Si donc <mû> par cette crainte quelqu’un fait le bien, il n’agit cependant pas bien, car il ne le fait pas sponta nément, mais contraint par la crainte de la peine, ce qui est le propre des esclaves. Voilà pourquoi cette crainte est justement appelée servile, car elle fait agir l’homme servilement.

640. Il est une troisième crainte qui fuit le mal qui est opposé au bien spirituel, à savoir les péchés ou la séparation de Dieu, mal que cette crainte redoute d’encourir par une juste vengeance de Dieu. Ainsi, dans ce double objet, elle considère une chose spirituelle, mais garde cependant l’oeil sur la peine. Et cette crainte est appelée initiale, parce qu’elle se trouve habituellement chez les hommes au début de leur conversion. En effet, ils craignent à cause de leurs péchés passés, et ils craignent d’être séparés de Dieu par le péché, en raison de la grâce infuse de la charité. Et c’est à propos de cette crainte qu’il est dit: "Le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur 3."

641. Il est enfin une quatrième crainte, qui des deux côtés ne garde l’oeil que sur le bien spirituel, parce qu’elle ne redoute que la séparation de Dieu. Cette "crainte est sainte", et "elle subsiste dans les siècles des siècles", ainsi qu’il est dit dans un psaume 4. Or de même que la crainte initiale est causée par la charité impar faite, cette dernière crainte est causée par la charité parfaite: "La charité parfaite chasse la crainte 5." Voilà pourquoi la crainte initiale et la crainte chaste ne se distinguent pas de l’amour de charité, qui est la cause de l’une et de l’autre, mais seulement de la crainte de la peine; car de même que cette dernière crainte produit la servitude, ainsi l’amour de charité produit la liberté des enfants; en effet, elle détermine l’homme â travailler volontairement pour l’honneur de Dieu, ce qui est le propre des enfants.

642. — Ainsi la Loi ancienne 6 a été donnée dans la crainte, que signifiaient les coups de tonnerre et autres manifestations du même genre qui se produisirent au moment où elle fut donnée, comme on le rapporte dans l’Exode 7. Et voilà pourquoi il est écrit dans <l’épître aux> Hébreux: "Ce qu’on voyait était si terrible que Moïse s’écria: "Je suis effrayé et tremblant 8." Et c’est ainsi que la Loi ancienne par l’infliction des peines conduisait à l’observance des commandements de Dieu, et qu’elle a été donnée dans un esprit de servitude. D’où ces paroles <de l’Apôtre> aux Galates:



1. Ms 10, 28.

2. Dt 5, 29.

3. Ps 110, 10.

4. Ps 18, 10. Lieux parallèles: Super Psalmos, in Ps. 18, 10; 21,

24; 34, 26.

5. lin 4, 18.

6. Lieux parallèles: 5. Th. Ia-2 Q. 91, a. 5; Q. 99, a. 6; Q. 107, a. 1, sol. 2; 3 Sentences dist. 40, Q. 1, a. 2; a. 4, Q. 1.

7. Voir Ex 19, 16s.

8. He 12, 21.



"La première <de ces femmes> se rattache au mont Sinaï et engendre pour la servitude 1."

643. C’est pourquoi <l’Apôtre> dit ici 2: On a avancé à juste titre que ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu, car il n’en va point dans la Loi nouvelle comme dans la Loi ancienne: vous n'avez pas reçu un esprit de servitude selon la crainte, à savoir la crainte des peines, crainte que causait l’Esprit-Saint; mais vous avez reçu l’esprit de charité, qui est l’esprit d’adoption des fils, c’est-à-dire par lequel nous sommes adoptés comme fils de Dieu: "Afin de nous conférer l’adoption filiale 3." Cependant cette manière de parler n’implique pas qu’il y ait des esprits différents, mais qu’il y a un même esprit, qui chez les uns produit la crainte servile pour ainsi dire imparfaite, chez d’autres un amour filial pour ainsi dire parfait.

644. b. En disant 4 ensuite: en qui nous nous écrions, etc., <l’Apôtre> prouve la même chose par notre confession.

En effet, nous confessons, instruits que nous sommes par le Seigneur, que nous avons Dieu pour Père, lorsque nous disons en priant: "Notre Père qui es dans les cieux 5." Or il convient non seulement aux Juifs, mais aussi aux nations païennes de s’exprimer ainsi. Et c’est pourquoi <l’Apôtre> se sert de deux expressions qui ont la même signification, à savoir Abba, qui est <un mot> hébreu, et Père, qui est <un mot> latin ou grec, afin de montrer que ce titre convient à l’un comme à l’autre peuple. Et c’est ainsi que le Seigneur <a dit>: "Abba, Père, toutes choses te sont possibles 6." — "Tu m’appelleras Père 7." Or nous nous exprimons ainsi non point seulement avec le son de la voix, mais plus encore avec l’attention du coeur, attention qui pour son intensité est appelée cri, comme il fut dit à Moïse qui se taisait "Pourquoi cries-tu vers moi 8", c’est-à-dire avec l’attention du coeur? Mais cette intensité de l’attention procède du sentiment de l’amour filial que <l’Esprit-Saint> produit en nous. Et c’est pourquoi <l’Apôtre> dit: en qui, c’est-à-dire en l’Esprit-Saint, nous nous écrions Abba, Père. C’est ainsi que <dans le livre d’> Isaïe il est dit que des séraphins, dont le nom veut dire ardent et comme embrasé par le feu de l’Esprit-Saint, "se criaient l’un à l’autre, et disaient: Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu des armées, toute la terre est pleine de sa gloire 9."

645. c. Lorsqu’il dit: 16 En effet, l’Esprit en personne, etc., <l’Apôtre> prouve la même chose par le témoignage de l’Esprit-Saint, à moins que l’on ne prétende que dans notre confession nous nous sommes trompés; aussi dit-il: J’affirme que nous nous écrions dans l’Esprit-Saint Abba, Père, car l’Esprit en personne rend témoignage [...] que nous sommes fils de Dieu. Or ce dernier rend témoignage non par une voix extérieure <qui parvient> aux oreilles des hommes, comme le Père déclare au sujet de son Fils: "<Celui-ci est mon fils bien-aimé en qui j’ai mis mes complaisances> 10", mais bien par l’effet de l’amour filial qu’il produit en nous. Voilà pourquoi <l’Apôtre> dit que l’Esprit en personne rend témoignage non à nos oreilles mais à notre esprit que nous sommes fils de Dieu. — "Nous sommes témoins de ces choses, nous et

1. Ga 4, 24.

2. Lieu parallèle: Somme Théologique 3a, Q. 3, a. 5, sol. 2.

3. Ga 4, 5.

4. Lieu parallèle Somme Théologique 3a, Q. 23, a. 2; 3 Sentences dist. 10, Q. 2, a. 1, Q. 2 et 3.

5. Mt 6, 9.

6. Mc 14, 36.

7. Jr3, 19.

8. Ex 14, 15.

9. la 6, 3.

10. Mt 3, 17.



l’Esprit-Saint que Dieu a donné à tous ceux qui lui obéissent 1."

646. — B. En disant ensuite 17 Fils, donc héritiers, <l’Apôtre> pose la majeure <de son raisonnement>.

Et il commence par montrer que l’héritage est dû à des fils, en disant: Si nous sommes des fils, à savoir par l’Esprit, il s’ensuit que nous sommes héritiers, parce que l’héritage est dû non seulement au fils naturel, mais aussi <au fils> adoptif: "<Dieu> nous a régénérés pour une vive espérance, par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts, pour un héritage incorruptible, qui n’est pas souillé, qui ne peut se flétrir, réservé dans les cieux pour vous, qui par la vertu de Dieu êtes gardés au moyen de la foi pour le salut qui doit être révélé à la fin des temps 2" — "Mon héritage est magnifique pour moi 3."

647. Puis <l’Apôtre> montre en quoi consiste cet héritage.

1. Il le décrit en premier lieu quant à Dieu le Père, en disant: et même héritiers de Dieu. On dit de quelqu’un qu’il est l’héritier d’un autre, lorsqu’il reçoit ou obtient ses biens principaux, mais non point quelques médiocres présents. Ainsi lit-on dans la Genèse qu’"Abraham donna tout ce qu’il possédait à Isaac", mais qu’< aux fils de ses concubines, il fit des présents 4." Or le bien principal qui fait la richesse de Dieu, c’est lui-même. En effet, <Dieu> est riche de lui-même, et non pas par quelque autre trésor, car il n’a aucu nement besoin de biens étrangers, comme le dit le psalmiste <: "Tu es mon Dieu, car tu n’as pas besoin de mes biens 5."> Les fils de Dieu obtiennent donc pour héritage Dieu lui-même. Aussi <le psalmiste dit-il encore>: "Le Seigneur est la part de mon héritage et de ma coupe"; <et le prophète Jérémie>: "Mon partage est le Seigneur, a dit mon âme."

648. Cependant, étant donné qu’un fils n’obtient l’héritage qu’après la mort de son père, il semble que l’homme ne puisse pas être l’héritier de Dieu, qui ne meurt jamais 8.

Il faut répondre qu’il en est ainsi quand il s’agit des biens temporels, lesquels ne peuvent être possédés en même temps par plusieurs personnes, aussi est-il nécessaire que l’un meure pour que l’autre lui succède. Mais les biens spirituels peuvent être possédés en même temps par plusieurs, voilà pourquoi il n’est pas nécessaire qu’un père meure pour que ses fils deviennent héritiers. Toutefois on peut dire que, pour nous, Dieu meurt en tant qu’il est en nous par la foi 9; mais son héritage nous sera donné quand nous le verrons dans la claire vision

649. 2. En second lieu, il décrit cet héritage par rapport au Christ, en disant: et cohéritiers du Christ, car comme lui-même est son Fils principal, et que par lui nous participons à sa filiation, ainsi il est l’héritier principal auquel nous sommes associés dans l’héritage: < Celui-ci est l’héritier, venez, tuons-le, et nous aurons l’héritage" — "Je t’amènerai encore l’héritier, à toi qui habites à Marésha, jusqu’à Adullam, la gloire d’Israël viendra 12."

1. Ac 3, 15.
2. 1 P 1, 3-5.

3. Ps 15, 6b.

4. Corinthiens 25, 5.

5. Ps 15, 2. — Lieu parallèle Super Psalmos, in Ps. 15, 2: Le propre de Dieu, c’est qu’il est d’une bonté infinie, et que rien ne peut lui être ajouté, car il est le bien substantiel étendant sa bonté â toutes choses" (trad. par Jean-Eric Stroobant de Saint-Eloy, p. 168).

6. Ps 15, 5.

7. Lm 3, 24.

8. Voir Glosa in Rom. VIII, 17 (GPL, col. 1441 B-C).

9. Saint Thomas veut dire, semble-t-il, que la connaissance de Ibi, par son obscurité, constitue pour Dieu, ainsi présent en nous, une sorte de mort.

10. Voir 1 Jn 3, 2.

11. Mt 21, 38.

12. Mil, 15.



650. — II. Lorsqu’il dit: si toutefois nous souffrons avec lui, etc., <l’Apôtre> montre la raison du délai de cette vie glorieuse. Et:

Il donne premièrement une raison du côté des souffrances.

Puis, <il montre> la prééminence de la gloire sur les souffrances [n° 652]: 18 Or j’estime, etc.

651. Sur le premier point 1, il faut consi dérer que le Christ, qui est l’héritier prin cipal, est parvenu à l’héritage de la gloire par ses souffrances: "Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses et entrât ainsi dans sa gloire 2 ?" Quant à nous, nous ne

devons pas obtenir cet héritage d’une manière plus facile. Voilà pourquoi il nous faut aussi parvenir à cet héritage à travers des souffrances: "C’est par beaucoup de tribulations qu’il nous faut entrer dans le Royaume de Dieu 3." En effet, nous ne recevons pas tout de suite un corps immortel et impassible, afin que nous puissions souffrir avec le Christ. C’est pourquoi <l’Apôtre> dit: si toutefois nous souffrons avec lui, c’est-à-dire si en même temps nous supportons patiemment avec le Christ les tribulations de ce monde, afin d’être aussi glorifiés avec le Christ: "Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons. Si nous souffrons <avec lui>, avec lui nous régnerons 4."

1. Lieu parallèle: Somme Théologique 1a-2ae Q. 85, a. 5, sol. 2.

2. Lc 24, 26.

3. Ac 14, 21.

4. 2 Tm2, 11-12a.


Leçon 4 [versets 18 à 22]

38
075 (
Rm 8,18-22)


[n° 652] 18 Or j’estime que les souffrances de cette vie sont sans proportion avec la gloire future qui sera révélée en nous.

[n° 656] 19 Car l’attente de la création attend la révélation des fils de Dieu.

[n° 661] 20 La création, en effet, fut assu jettie à la vanité, non pas volontairement, mais à cause de Celui qui l’y a assujettie dans l’espérance.

[n° 666] 21 Parce que la création, elle aussi, sera libérée de la servitude de la corruption en vue de la liberté de la gloire des fils de Dieu.

[n° 670] 22 Car nous savons que la création tout entière gémit et est en travail d’enfan tement jusqu’à ce jour.

653. — I. <L’Apôtre> commence donc par dire: On a établi qu’il nous faut souffrir afin d’être aussi glorifiés; par conséquent nous ne devons pas fuir les souffrances pour obtenir la gloire. Or j’estime, moi qui ai expérimenté l’une et l’autre. "Un homme expérimenté en beaucoup de choses en pensera beaucoup, et celui qui a beaucoup appris parlera avec intelligence." <L’Apôtre> lui-même a enduré de nombreuses souffrances, selon ce qu’il dit: "Ayant enduré plus de labeurs, plus de prisons, une infinité de coups, et ayant été fréquemment exposé à divers genres de mort" Lui-même fut aussi le contemplateur de la gloire future, selon ces paroles: "Il fut ravi dans le paradis et entendit des paroles mystérieuses qu’il n’est pas permis à un homme de dire." — j’estime, dis-je, que les souffrances de cette vie sont sans proportion avec la gloire future qui sera révélée en nous.

652. Après avoir dit et démontré que nous sommes libérés par la grâce du Christ [n° 650], l’Apôtre donne ici la cause du délai de la vie immortelle, qui est l’héritage des fils de Dieu: c’est qu’il nous faut souffrir avec le Christ pour parvenir â la société de sa gloire. Et parce qu’on pourrait dire qu’un tel héritage est onéreux, héritage auquel on ne peut parvenir qu’en supportant des souffrances, <l’Apôtre> montre ici l’excellence de la gloire future comparativement aux souffrances du temps présent. Et

I) Il expose en premier lieu son intention.

II) Puis, il prouve sa proposition [n° 656]: 19 Car l’attente de la création, etc.

1. Eccli (Si) 34, 9.

2. 2 Co 11, 23.

3. 2 Co 12, 4.

654. <L’Apôtre> expose ici quatre raisons pour montrer l’excellence de cette gloire

A. Il désigne premièrement son éternité, lorsqu’il dit: future, à savoir après ce temps présent or après ce temps présent il n’y a que l’éternité. Aussi cette gloire surpasse-t-elle les souffrances de ce temps présent, comme ce qui est éternel <surpasse> ce qui est temporel: "La légère tribulation d’un moment produit en nous au-delà de toute mesure un poids éternel de gloire 1."

B. Il désigne deuxièmement sa dignité, lorsqu’il dit: la gloire, ce qui laisse entendre un certain éclat de dignité: "Les saints exulteront dans la gloire 2."

C. Il désigne troisièmement sa manifes tation, lorsqu’il dit: qui sera révélée.Car dès à présent les saints ont la gloire, mais elle est cachée dans leur conscience: "Ce qui fait notre gloire, c’est ce témoignage de notre conscience: nous nous sommes conduits dans ce monde, et plus particuliè rement envers vous, avec la simplicité du coeur et la sincérité de Dieu, et non point selon la sagesse charnelle, mais selon la grâce de Dieu 3." Mais alors cette gloire sera révélée en présence de tous, et des bons et des méchants, dont il est dit: "Ils s’étonneront de ce salut soudain et inespéré 4."

D. Il désigne quatrièmement sa vérité, lorsqu’il dit: en nous. Car la gloire de ce monde est vaine, parce qu’elle réside dans des choses qui sont extérieures à l’homme, par exemple dans l’apparat des richesses et dans l’opinion des hommes: "Ils se glori fient dans la multitude de leurs richesses 5." Mais cette gloire <dont parle l’Apôtre> consiste en ce qui est intérieur à l’homme, selon ces paroles de Luc: "Le Royaume de Dieu est au dedans de vous 6"

655. Ainsi donc les souffrances 7 de ce temps présent, considérées en elles-mêmes, sont sans proportion au regard de la grandeur de cette gloire: "Pour un instant je t’ai un peu délaissée, mais dans mes grandes miséricordes je te rassemblerai 8." Mais si l’on considère ces souffrances en tant qu’on les endure volontairement pour Dieu, par la charité que l’Esprit-Saint produit en nous, alors par ces souffrances l’homme peut mériter en stricte justice (ex condigno) la vie éternelle. Car l’Esprit-Saint est la source dont les eaux, c’est-à-dire les effets, "jaillissent en vie éternelle", comme il est dit dans <l’évangile de> Jean 10.

656. — II. En disant: 19 Car l’attente de la création, etc., <l’Apôtre> prouve sa proposition par l’excellence de cette gloire.

Et:

D’abord, par l’attente de la création.

Puis, par l’attente des apôtres [n° 675]: 23 Et non seulement elle, etc.

Sur le premier point il fait deux choses:

A) Il expose en premier lieu l’attente de la création.

B) Puis, il l’explique [n° 661]: 20 La création, en effet, etc.

657. — A. <L’Apôtre> commence donc par dire: On a aussi établi que la gloire future surpasse les souffrances

1. 2 Corinthiens 4, 17.

2. Ps 149, 5.

3. 2 Corinthiens 1, 12.

4. Sg 5, 2.

5. Ps 48, 7.

6. Lc 17, 21.

7. Lieux parallèles: Somme Théologique Ia-2 Q. 2, a. 3, sol. 1; Q. 114, a. 3;

2 Sentences dist. 27, a. 3; 3 Sentences dist. 18, a. 2; AdRom. 4, 4, lect. 1 (éd. Marietti, n° 329); 6, 23, Iect. 4 (éd. Marietti, n° 517).

8. Is 54, 7.

9. Le verset 18 du chapitre 8, que saint Thomas paraphrase au début de ce paragraphe 655 (les souffrances de ce temps présent, considérées en elles-mêmes, sont sans proportion au regard de la grandeur de cette gloire), contient, en latin, l’adjectif condignae (epassiones hujus temporis non sunt condignae"); mot â mot: les souf frances de ce temps ne sont pas " condignes " en comparaison de la gloire future. Autrement dit, il n’y a pas condignité entre la gloire future et les souffrances présentes, si on les envisage en elles-mêmes, dans leur nature propre. Mais si on les envisage dans la personne de celui qui les endure pour l’amour de Dieu, alors il y a condignité, car cet amour est lui-même l’oeuvre du Saint-Esprit. D’où l’idée de mérite " en stricte justice (ex condigno).

10. Jn4, 14.



présentes; or cela est manifeste, car l’attente de la création, c’est-à-dire la création elle-même, attend la révélation des fils de Dieu, parce que, selon ces paroles: "Mes bien-aimés, nous sommes maintenant fils de Dieu, mais ce que nous serons ne paraît pas encore 1." Car la dignité de la divine filiation est cachée dans les saints, à cause des souffrances extérieures, mais dans la suite cette dignité sera révélée, quand ils recevront la vie immortelle et glorieuse, en sorte que <le Sage> dit au nom des impies: "Voilà qu’ils sont comptés parmi les fils de Dieu et que leur sort est au milieu des saints 2" Et <l’Apôtre> dit: l’attente [...] attend, pour désigner par cette répétition l’intensité de l’attente 3, comme dans ces paroles <du psalmiste>: "Attendant, j’ai attendu le Seigneur 4."

658. Il faut savoir que le mot "création" (creatura) peut revêtir une triple acception.

1. Selon un premier sens, les hommes justes 5 sont appelés spécialement créatures de Dieu, soit parce qu’ils persévèrent dans le bien dans lequel ils ont été créés, soit à cause de leur excellence, parce que toute la création, dans un certain sens, est à leur service: "C’est volontairement qu’il nous a engendrés par la parole de vérité, afin que nous fussions comme les prémices de ses créatures 6" Or cette création, c’est-à-dire l’homme juste, attend la révélation de la gloire des fils de Dieu, comme une récompense qui lui a été promise: "Attendant la bienheureuse espérance et l’avènement de la gloire du grand Dieu et de Notre Sauveur Jésus-Christ 7."

659. 2. Selon un deuxième sens, le mot "création" peut être appelé la nature humaine elle-même, qui est dépendante des biens de la grâce et qui chez les hommes injustes n’a pas encore été justifiée, mais est comme informe [n° 664 et 667].

Chez les hommes déjà justifiés, <la nature humaine> est en partie formée par la grâce, mais elle est cependant encore informe en comparaison de cette forme qu’elle doit recevoir par la gloire. Ainsi donc la création elle-même, c’est-à-dire nous-mêmes, en tant qu’on nous considère relativement aux biens de la nature, attend la révélation de la gloire des fils de Dieu. Pour nous, cela se fait aussi par la grâce, comme lorsque nous disons que la matière attend la forme, ou que les couleurs attendent l’image pour se compléter, selon le commentaire de la Glose 8: <Et il est écrit dans le livre de> Job: "Durant tous les jours, où maintenant je combats, j’attends que mon changement vienne 9."

660. 3. Selon un troisième sens, le mot "création" peut s’entendre de la créature sensible elle-même, comme le sont les éléments du monde, selon ces paroles de la Sagesse: "Par la grandeur de la beauté de la créature, le créateur de ces choses pourra être vu de manière à être connu 10" [n° 666 et 668]. Or cette créature attend quelque chose de deux manières: en effet, l’attente de la créature sensible, selon qu’elle est <l’oeuvre> de Dieu, est ordonnée à une fin, ce qui a lieu de deux manières.

a. Premièrement, en tant que Dieu imprime à cette créature une certaine forme et une vertu naturelle, par laquelle elle est inclinée vers une fin naturelle, comme si nous disions que l’arbre attend sa

1. 1 Jn 3, 2.

2. Sg 5, 5.

3. Voir Glosa in Rom. VIII, 19 (GPL, col. 1442 C).

4. Ps 39, 1.

5. Voir Glosa in Rom. VIII, 19 (GPL, col. 1442 D).

6. Jc 1, 18.

7. Tt2, 13.

8. Voir Glosa in Rom. VIII, 19 (GPL, 1442 D).

9. Jb 14, 14.

10. Sg 13, 5.



fructification, et le feu le lieu vers lequel il s’élève 1.

b. Secondement, la créature sensible est ordonnée par Dieu vers une fin qui excède sa forme naturelle. Car de même que le corps humain sera revêtu d’une forme glorieuse et surnaturelle, ainsi, dans cette gloire des fils de Dieu, toute la création sensible recevra comme une nouveauté de gloire, selon ces paroles de l’Apocalypse: "Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle 2." Et dans ce sens, la création sensible attend la révélation de la gloire des fils de Dieu.

661. — B. Lorsque <l’Apôtre> dit assujettie à la vanité, etc., il explique cette attente.

1) Et il commence par exposer la nécessité d’attendre.

2) Ensuite, le terme de l’attente [n° 666]: 21 Parce que la création, elle aussi, etc.

3) Enfin, son signe [n° 670]: 22 Car nous savons que la création tout entière, etc.

662. 1. La nécessité d’attendre est due à l’imperfection à laquelle la création est assujettie. Car celui à qui rien ne manque ne se trouve pas dans la nécessité d’attendre quelque chose. Or <l’Apôtre> montre l’imperfection de la création, en disant: La création, en effet, fut assujettie.

663. Si toutefois par créature on entend l’homme juste, alors ces mots "assujettir à la vanité" signifient que <l’homme juste> est assujetti à ces choses corporelles qui sont changeantes et périssables. D’où le mot "vaine", selon ce verset de l’Ecclésiaste: "Vanité des vanités, et tout est vanité." Il y est assujetti à cause de la nécessité de la vie présente, se préoc cupant d’elle, sans cependant le vouloir, parce qu’il n’aime pas ces choses tempo relles, à la différence de ceux à l’encontre desquels il est dit dans un psaume: "Pourquoi aimez-vous la vanité et cherchez-vous le mensonge 4?" Mais cependant cette créature est assujettie à cette vanité à cause de Celui, c’est-à-dire à cause de l’ordonnance de Dieu, qui l’y a assujettie, c’est-à-dire <qui a assujetti> l’homme juste à ces créatures sensibles, toutefois dans l’espérance qu’un jour l’homme serait libéré d’une telle préoccu pation, à savoir à la résurrection, lorsque "les hommes ne prendront point de femmes, ni les femmes de maris, mais qu’ils seront comme les anges dans le ciel 5."

664. Que si l’on entend par créature la nature humaine [n° 659], le sens est le suivant fut assujettie à la vanité, c’est-à-dire à la passibilité, selon ce verset d’un psaume: "En vérité tout homme vivant est une vanité universelle 6." Cependant, non pas volontairement, parce que cette vanité est infligée comme une peine à la nature humaine. Or la peine est involontaire, comme la faute, elle, est volontaire. Toutefois la nature humaine est assujettie à ces passions à cause de Celui, c’est-à-dire de la sentence de Dieu, qui l’y a assujettie, à savoir la nature humaine aux imperfections, mais toutefois dans l’espérance d’échapper un jour à ces souffrances: "Celui qui triture le pain ne le triturera pas à perpétuité 7."

1. Pour la physique galiléenne tous les corps sont soumis à la même loi de la pesanteur si le feu monte, c’est parce que les gaz qui brûlent sont plus légers que l’air qui exerce sur eux sa pression. Pour la physique aristotélicienne, les corps sont légers ou lourds (les graves) par nature. Tout mouvement naturel est l’effet d’un principe inhérent au corps par lequel il tend vers son lieu naturel (le bas ou le haut) et réalise ainsi sa fin naturelle (quant à sa position dans l’espace). Une telle cosmologie est parfaitement compatible avec la vision paulinienne d’un univers en attente de sa pleine réalisation.

2. Ap 21, 1.

3. Ecci (Qo) 1, 2.

4. Ps 4, 3.

5. Mt 22, 30. La citation suit ici la Vews iatina qui omet le mot Dei (de Dieu). Voir DOM S Bibi. sacr., t. III, p. 135. Le manuscrit de Saint-Germain n 2 lit cette variante à propos de Mc 12, 25; voir DOM SABATIER, Bibi. sacr., t. III (Noto. e ad versionem antiquam), p. 232.

6. Ps 38, 6.

7. Is 28, 28.



665. Si au contraire on l’entend de la créature sensible [n° 660], alors cette créature fut assujettie à la vanité, c’est-à-dire à la mutabilité, non pas volontai rement. Car ces imperfections, qui sont la conséquence de la mutabilité, comme la corruption, la vieillesse ou autres choses semblables, sont contraires à la nature de tel ou tel être particulier, dont les désirs se portent vers sa conservation, quoiqu’il suive l’ordre de la nature en général. Néanmoins la créature sensible est assu jettie à cette vanité à cause de Celui, c’est-à-dire à cause de l’ordonnance de Dieu, qui l’y a assujettie dans l’espérance, c’est-à-dire dans l’attente de la nouveauté glorieuse, comme on l’a dit plus haut.

666. 2. Lorsqu’il ajoute 21 que la création, elle aussi, etc., <l’Apôtre> montre le terme de cette attente. Car cette attente ou cette espérance n’est pas vaine, parce que la création, elle aussi, sera libérée de la servitude de la corruption en vue de la liberté de la gloire des fils de Dieu — si par créature on entend l’homme juste, par servitude de la corruption on entend le soin de se procurer vivre, vêtement et autres nécessités du même genre, qui nous assu jettissent à notre mortalité, espèce de servitude dont seront libérés les saints qui aspirent à la liberté de la gloire des fils de Dieu. Eux qui, bien qu’ils aient dès à présent la liberté de la justice, qui affranchit de la servitude du péché, n’ont cependant pas encore la liberté de la gloire, qui affranchit de la servitude de la peine: "Qui a laissé aller l’onagre libre? Qui a rompu ses liens 1?"

667. Mais si par créature on entend la nature humaine, elle aussi sera libérée de la servitude de la corruption, c’est-à-dire

selon la lettre — de la passibilité et de la corruption, et cela en aspirant à la liberté de la gloire des fils de Dieu, qui libérera non seulement de la faute, mais aussi de la mort, selon ces paroles <de l’Apôtre> dans la première épître aux Corinthiens "La mort a été absorbée dans la victoire 2."

668. Que si l’on entend ce passage de la créature sensible, alors la créature elle-même sera libérée de la servitude de la corruption, c’est-à-dire de la mutabilité, parce que dans tout changement il y a corruption, comme le dit Augustin, et même le Philosophe. Et cela en vue de la liberté de la gloire des fils de Dieu, car il convient aussi à la liberté de la gloire des fils de Dieu que, de même qu’ils sont renouvelés, leur habitation soit aussi rénovée: "Voici que moi je crée des cieux nouveaux et une terre nouvelle; les choses passées [ la première mutabilité de la créature] ne seront plus dans la mémoire"

669. Et <l’Apôtre> ajoute: Parce qu’elle aussi, etc. Selon le premier sens [n° 658, 663; 659, 667; 665, 668], c’est comme s’il disait: non seulement nous les Apôtres, mais aussi les autres justes; selon le deuxième sens: non seulement les justes, mais aussi la nature humaine elle-même, qui chez quelques-uns n’a pas encore été renouvelée par la grâce; selon le troisième sens, il faut comprendre comme s’il disait non seulement les hommes, mais le reste des créatures.

1. Jb 39, 5.

2. 1 Corinthiens 15, 54. — Lieu parallèle 1 Ad Cor. 15, 54, lect. 9 (éd. Marietti, n 1017).

3. Lieux parallèles S. Th., SuppL, Q. 91, a. 3 et 4; Responsio ad magistrum loannem de Vercellis de 43 articulis, a. 36; Responsiones ad lectorem Venetum de 30 et 36 articulis, a. 27.

4. Voir SAINT AUGUSTIN, Contra Maximinum II, XII, 2 (PL 42, 768) " En toute nature sujette au changement, le changement lui-même est une certaine mort."

5. Voir AItISTOTE, Physique VIII, 1 [ a]; AL VII, fasc. 1. 2, p. 281-282).

6. Is 65, 17.



670. 3. En disant: 22 Car nous savons, etc., <l’Apôtre> expose le signe de l’attente. Car nous savons, nous les Apôtres, instruits par l’Esprit-Saint et aussi par l’expérience, que la création tout entière gémit et est en travail d’enfantement jusqu‘à ce jour.

671. Si l’on entend ce passage de la créature sensible, il présente une difficulté. D’abord quant à <l’usage des verbes> gémit et est en travail d’enfantement, car cela ne paraît convenir qu’à la créature raison nable. Mais on peut expliquer cela comme suit: gémit a le même sens que ce que <l’Apôtre> a dit auparavant: non pas volon tairement. Car nous gémissons <de subir> des choses qui répugnent à notre volonté. Ainsi donc, en tant que les imperfections de la créature sensible sont contraires au désir naturel de la nature particulière, on dit de la créature sensible elle-même qu’elle gémit. Et en disant: est en travail d’enfantement, <ce verbe> a le même sens que celui qu’il a utilisé plus haut: attend. Car l’enfantement est le moyen de la reproduction.

672. Une seconde difficulté se trouve dans ces mots: la création tout entière, car ils incluraient aussi les corps célestes. Aussi la Glose 1 dit-elle que le soleil et la lune occupent non sans travail les espaces qui leur sont assignés. Mais il faut expliquer ce passage en prenant le travail pour le mouvement, comme le repos est pris quel quefois pour la cessation du travail, au sens où il est dit que "Dieu se reposa le septième jour de tous les ouvrages qu’il avait faits 2" Et dans ce sens, par gemis sement on entend la corruption qui se mêle au mouvement local, c’est-à-dire selon qu’il cesse d’exister en tel lieu et commence à exister en un autre endroit. Mais par enfan tement on entend l’ordonnance des corps célestes par rapport à leur rénovation.

673. Si l’on applique ce passage aux hommes, alors la nature humaine est appelée la création tout entière, parce qu’elle est associée à la création tout entière: elle est associée à la création spirituelle par l’intelligence, à la création animale par l’animation du corps, à la création maté rielle par le corps 4. Donc cette créature, c’est-à-dire l’homme, gémit, en partie à cause des maux qu’elle endure, en partie à cause des biens espérés qui sont différés

"Mes gémissements sont nombreux et mon coeur est triste 5." Mais elle est en travail d’enfantement, parce qu’elle supporte avec une certaine affliction de l’âme le délai de la gloire attendue: "L’espérance qui est

1. Glosa in Rom. VIII, 22 (GPL, col. 1445 C), sous le nom d’Ambroise, c’est-à-dire Ambrosiaster (PL 17, 125 B; CSEL 81/1, 281-282). — Lieux parallèles: S. Th., Suppl., Q. 91, a. 2; 4 Sentences dist. 48, Q. 2, a. 2, sol. 6.

2. Gn 2, 2.

3. Cette difficulté est inhérente à la cosmologie aristotélicienne. Pour bien la comprendre, il faut savoir que cette cosmologie divise le monde (sphérique) en deux régions concentriques de nature diffé rente la région sublunaire qui va de la terre à la lune, et la région supralunaire qui va de la lune au ciel empyrée. Le monde étant sphérique, son centre est le point le plus bas. La terre pesante ne peut pas tomber plus bas et occupe ce centre elle est, dit saint Thomas, o le plus ignoble de tous les corps" (commentaire du De caelo es munclo d’Aristote, 11, lect. 20, éd. Léonine, 1886, t. 111, p. 202, col. 2, in fine). La sphère sublunaire et la sphère supralunaire ne sont pas de meme matiere. Dsns la première les corps sont constitués des quatre élements (terre, eau, air, feu) qui ne cessent de se corrompre et de se transformer les uns dans les autres. C’est te monde du devenir (pltusit, nature, en grec, vient de phuô qui signifie devenir", de nième que nattera en latin vient de nascor, "naître", et signifie ce qui est en train dc naître", d’où l’idée d’enfantement dont parle saint Paul). Ce devenir — dont les diverses sortes de mouvemenr sont la manifestation — atteste l’imperfection du sublu flaire: étant imparfaira (inachevés), les êtres sublunaires tendent vers la réalisation de leur nature. Même le mouvement local est un effet de cette imperfection: les corps sublunaires se déplacent naturel lement (vers le haut ou vers le bas) parce qu’ils n’occupent pas le lieu de leur repos naturel. La sphère supralunaire qui englobe les sphères concentriques de tous les astres mobiles (les planètes et le soleil) et la sphère des fixes (les étoiles sont toutes fixées sur cette sphère), n’est pas constituée des quatre éléments, mais d’un cinquième élément (la quinte essence) appelé l’éther: matière pure, cristalline, parfaite, c’est-à-dire entièrement actuée par la forme reçue et qui donc ne peut devenir autre chose: elle est incorruptible (Galilée scandalise parce qu’il affirme que la matière de la lune, des planètes et des astres est la même que celle de la terre). Mais si la matière éthérique des corps supralunaires est incorruptible, comment lui appliquer le verset de saint Paul sur la création gémissant dans les douleurs de l’enfantement? Saint Thomas répond: en voyant dans le mouvement local (le seul dont les corps supralunaires soient affectés) une sorte d’imperfection; bien que ce mouvement soit circulaire et donc se rapproche le plus de l’immu tabilité du Moteur premier et par là soit le plus parfait des mouvements, il implique cependant cette imperfection minimale qu’est le changement de lieu. (Sur la cosmologie anstotélico thomiste et les problèmes qu’elle pose, voir Jean 8oitEU La Crise du symbolisme religieux, p. 25-132.) —Quant à l’enfantement, il faut y voir l’attente des " cieux nouveaux " dont parlent Isate (65, 17; 66, 22), la seconde épître de saint Pierre (3, 13) et l’Apocalypse (21, 1).

4. Il s’agit du thème déjà rencontré (voir chap. 1, y. 20a, leçon 6, n° 120, n. 7, p. 109) de l’homme-microcosme, OU miroir de l’univers, qui résume en lui tous les règnes de la création.

5. Lm 1, 22.



différée afflige l’âme 1." — "La femme, lorsqu’elle enfante, a de la tristesse 2." — "Là <ils ont ressenti> comme les douleurs de celle qui enfante 3."

674. <L’Apôtre> ajoute: jusqu’à ce jour, parce que ce gémissement n’est pas supprimé par notre justification, mais il demeure jusqu’à ce jour, c’est-à-dire jusqu’à la mort. Ou bien: jusqu'à ce jour, parce que si quelques-uns déjà libérés sont dans la gloire, nous cependant nous restons encore. Ou bien 4: jusqu’à ce jour, parce que non seulement les patriarches qui vécurent avant le Christ, mais même jusqu’à ce temps de la grâce nous subissons les mêmes épreuves. Aussi Pierre dit-il au nom des impies: "Où est la promesse de son avènement? Car depuis que nos pères se sont endormis, tout demeure comme au commencement de la création 5." Il faut savoir encore qu’on peut appeler créature de Dieu tout ce qui est soumis à Dieu. Certains 6 ont voulu appliquer ces paroles â n’importe quelle créature, y compris aux saints anges; mais il ne convient pas du tout de dire de ces derniers qu’ils sont assu jettis à la vanité, ou qu’ils gémissent et qu’ils sont en travail d’enfantement, étant donné qu’eux-mêmes possèdent déjà la gloire de Celui dont nous attendons une gloire semblable, selon ces paroles de Matthieu: "Ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel 7." Et c’est pourquoi il vaut mieux expliquer ce passage comme nous l’avons fait <plus haut>.

1. Pr 13, 12.

2. Jn 16, 21.

3. Ps 47, 7b.

4. Voir Glosa in Rom. VIII, 22 (GPL, coI. 1444 C).
5. 2 P 3, 4.

6. Par exemple Origêne (Super epzstulam ad Romanos VIII, 22, livre VII [n° 14, 1111-1112]), comme le rapporte Pierre Lombard (Glosa in Rom. VIII, 22 [ col. 1445 B]). — Dans son expli cation de la proposition LIII de l’épître aux Romains 8, 22 (PL 35, 2074; CSEL 84, 25-29), saint Augustin commente ce verset en disant: "Il ne faut point entendre ce passage dans le sens qui attri buerait le sentiment de la douleur et de l’affliction aux arbres, aux légumes, aux pierres et aux autres créatures de ce genre; telle est en effet l’erreur des manichéens. Et ne pensons pas que les saints anges soient assujettis la vanité, ne croyons pas qu’ils seront libérés de la servitude de la mort, puisque la mort ne <les atteint> pas. Pensons au contraire que <les mots> "toute créature" s’entendent à juste titre de l’homme lui-même.

7. Mt 22, 30.



Thomas A. sur Rm (1999) 37