Thomas A. sur Rm (1999) 51

Leçon 2 [versets 11 à 16]

51
075 (
Rm 11,11-16)


[n° 879] 11 Je dis donc Ont-ils trébuché jusqu’à tomber? Certes non ! Mais par leur faute, le salut est <venu> aux nations, de manière à exciter leur jalousie.

[n° 883] 12 Si leur faute est la richesse du monde, et leur diminution la richesse des nations, combien plus leur plénitude!

[n° 885] 13 Car je le dis à vous, nations: dans la mesure où je suis, moi, l’apôtre des nations, j’honorerai mon ministère,

[n° 888] 14 si de quelque manière j’incite à jalousie <ceux de> ma chair, et j’en sauve quelques-uns d’entre eux.

[n° 890] Car si leur perte est la réconci liation du monde, que sera leur admission sinon une vie d’entre les morts?

[n° 891] 16 Si les prémices sont saintes, la masse l’est aussi; et si la racine est sainte, les rameaux aussi.



878. Après avoir montré que la chute des Juifs n’est pas universelle [n° 859], <l’Apôtre> entreprend de montrer ici que leur chute n’est ni inutile ni irréparable. Et à ce propos il effectue deux choses:

Il montre d’abord que la chute des Juifs est utile et réparable.

Ensuite, il écarte la vantardise des nations qui insultaient les Juifs [n° 894]: "Mais si quelques-uns des rameaux, etc."

Sur le premier point:

I) Il commence par poser une question.

II) Puis, il la résout [n° 880] Certes non!

879. — I. Après avoir dit et prouvé que le reste des Juifs, les élus exceptés, a été frappé d’aveuglement, <l’Apôtre> soulève maintenant cette question: Ont-ils trébuché jusqu’à tomber? Paroles qui peuvent s’entendre de deux manières D’abord, ainsi Dieu a-t-il permis leur chute uniquement pour qu’ils tombent, c’est-à-dire sans en retirer d’autre utilité que de vouloir qu’ils tombent? Un tel propos irait à l’encontre de la bonté divine, qui est si grande, comme le remarque Augustin dans son Enchiridion 1, que jamais elle ne permettrait qu’arrive quelque chose de mal sinon en vue du bien qu’elle tire du mal. Aussi est-il dit au livre de Job: "Il en brisera une multitude innombrable, et il en établira d’autres à leur place 2." Et dans l’Apocalypse: "Tiens ferme ce que tu as, pour que nul ne ravisse ta couronne 3", à savoir parce que Dieu permet la chute de quelques-uns, de telle sorte que cette chute devienne pour d’autres une occasion de salut 4.

1. Voir SAINT AUGUSTIN, Enchiridion III, 11 (BA 9, 118-119).

2. Jb 34, 24.

3. Ap3, 11.

4. Comme on a pu le constater à mamtes reprises, le rapport entre l’idée exprimée par saint Thomas et le verset de l’Ecriture chargé de la confirmer peut souvent paraître surprenant. Il est cependant toujours pertinent et peut même, si l’on s’efforce de le saisir, ouvrir de nouvelles perspectives. Le passage de l’Apocalypse que le Maître nous propose parle de la venue sur le monde entier d’une épreuve pour "éprouver ceux qui habitent sur la terre " (3, 10). Or, l’épreuve du mal est révélatrice du bien en ceux qui restent fidèles au Christ ("tiens ferme ce que tu as") et qui reçoivent ainsi "la couronne de vies (2, 10), c’est-à-dire la vie éternelle "jamais la seconde mort ne nuira au vainqueur" (2, 1). Si le texte invoqué de Job ("il en brisera une multïtude...") montre comment du malheur collectif peut sortir un bien pour beaucoup, le verset de l’Apocalypse applique le même principe à l’homme individuel et à son salut éternel en même temps que le destin du peuple d’Israël devient la figure emblématique du destin de l’humanité.



On peut ensuite l’entendre ainsi: Ont-ils trébuché jusqu‘à tomber?, c’est-à-dire pour y demeurer tels perpétuellement? — "Est-ce que celui qui dort ne continuera pas à se relever 1 ?"

880. — II. Lorsqu’il dit: Certes non!, etc., il résout la question. Et:

A) D’abord, selon la première interprétation, en montrant que la chute des Juifs a été utile.

B) Ensuite, il résout la question quant à la seconde interprétation, en montrant que la chute des Juifs est réparable [n° 883] 12 Si leur faute, etc.

881. — A. <L’Apôtre> commence donc par dire: Certes non!, à savoir jusqu'à tomber inutilement. Mais, plutôt, par leur faute, c’est-à-dire celle des Juifs, le salut est venu occasionnellement aux nations. D’où ces paroles du Seigneur dans <l’évangile de> Jean "Le salut vient des Juifs 2."

Ces paroles peuvent se comprendre de trois manières:

1. Selon une première manière, en ce sens que par la faute qu’ils ont commise en tuant le Christ il en est résulté le salut des nations par la rédemption du sang du Christ "Sachant que ce n’est point avec des choses corruptibles, de l’or ou de l’argent, que vous avez été rachetés des vaines pratiques que vous teniez de vos pères; mais par le sang précieux du Christ, comme d’un agneau immaculé et sans souillure 3."

2. Selon une deuxième manière on peut les comprendre <en les rapportant> à la faute par laquelle ils ont rejeté la doctrine des apôtres, ce qui entraîna leur prédi cation aux nations, selon cette parole des Actes: "C’était à vous qu’il fallait d’abord annoncer la parole de Dieu; mais puisque vous la rejetez, et que vous vous jugez indignes de la vie éternelle, voilà que nous nous tournons vers les nations 4."

3. Selon une troisième manière, on peut les comprendre en ce sens qu’en raison de leur impénitence ils ont été dispersés parmi toutes les nations païennes. Ainsi le Christ et l’Eglise ont reçu en tout lieu des livres des Juifs la preuve de la foi chrétienne, pour convertir les nations, eux qui auraient pu penser que les prophéties touchant le Christ, et que les prédicateurs de la foi citaient, étaient fictives, si elles n’avaient été reconnues par le témoignage des Juifs; c’est ce qui fait dire au psal miste: "Dieu m’a montré <ce qui doit arriver> à mes ennemis", à savoir les Juifs, "ne les tue pas, de peur que mes peuples n’oublient; <mais> disperse-les par ta puissance 5."

882. <L’Apôtre> ajoute de manière à exciter leur jalousie. Comme il ne dit pas qui ou contre qui <ils auront de la jalousie>, et de plus qu’il y a une double émulation, à savoir l’une d’indignation et l’autre d’imitation, on peut expliquer ce passage de quatre manières

a. Selon une première manière 6", le sens serait: Que les nations soient leurs émules, à savoir des Juifs, c’est-à-dire qu’elles les imitent dans leur culte du Dieu unique

1. Ps 40, 9.

2. Jn 4, 22.
3. 1 P 1, 18-19.

4. Ac 13, 46.

5. Pi 58, 12.

6. Voir Glosa in Rom. XI, 11 (GPL, col. 1484 D).

7. On voit ici s’esquisser une sorte de théologie chrétienne du judaïsme. Faut-il souligner qu’elle ignore tout antisémitisme Certes elle condamne, avec saint Paul, le judaïsme auquel a succédé le nouvel Israël de la nouvelle Alliance de Jésus-Christ. Mais, en même temps, le salut venant des Juifs, elle les associe insépara blement à l’oeuvre de Rédemption. Les tuer, les faire disparaitre, c’est faire disparaître les témoins irrécusables de la première Alliance et effacer la mémoire du Dieu unique parmi les nations. Ainsi la diaspora universelle du peuple élu devient le véhicule providentiel de la diffusion du message chrétien parce qu’elle en fait connaitre partout l’origine sémite, c’est-è-dire abrahamique et moïsiaque, et atteste par là même l’histoire du salut. Comme le dit Jacques Maritain " Israël est tout le long des temps une vivante et indes tructible archive des promesses de Dieu" (texte de 1937, dans Pierre VIDAL-NAQUET, L ‘Impossible Antisémitisme, précédé de Jacques Maritain et les Juifs, p. 80).



"Vous étiez en ce temps-là sans Christ, séparés de la cité d’Israël"; et il ajoute ensuite: "Mais maintenant que vous êtes dans le Christ Jésus, vous qui étiez autrefois éloignés, vous êtes devenus proches par le sang du Christ 1." — "Vous êtes devenus les imitateurs des Eglises de Dieu qui sont en Judée 2."

b. <Selon une deuxième manière, le sens serait> que les nations se mettent en colère (aemulentur) contre les Juifs, c’est-à-dire soient indignées contre eux à cause de leur incrédulité: <J’ai vu les prévari cateurs et je séchais <de douleur>, parce qu’ils n’ont pas gardé ta parole 3."

c. Selon une troisième manière on peut l’entendre ainsi: Que les Juifs soient les émules (aemulantur) des nations, c’est-à-dire les imitent; car de toutes parts, aujourd’hui, il est des Juifs qui se conver tissent particulièrement à la foi, en imitant la foi des nations; et finalement tout Israel sera sauvé, lorsque la plénitude des nations sera entrée, en sorte qu’on voie s’accomplir ce qui est écrit dans le Deutéronome: "Lui sera la tête, et toi, tu seras la queue 4."

d. Selon une quatrième manière on peut l’expliquer comme suit: Que les Juifs soient les émules (aemulantur) des nations, c’est-à-dire qu’ils soient excités par l’envie contre eux, en voyant que leur propre gloire est transférée à ces peuples: "Moi je les provoquerai par ce qui n’est pas un peuple 5."

883. — B. Lorsqu’il dit: 12 Si leur faute, etc., <l’Apôtre> résout la question quant à la seconde interprétation, en montrant que la chute des Juifs est réparable; et cela de trois manières

1) Premièrement par l’utilité.

2) Deuxièmement par sa propre intention [n° 885]: 13 Car je le dis à vous, etc.

3) Troisièmement par la condition de ce peuple [n° 891]: 16 Si les prémices sont saintes, etc.

884. 1. Sur la première manière, <l’Apôtre> fait le raisonnement suivant Pour produire quelque chose d’utile, le bien est plus puissant que le mal; or le mal des Juifs a procuré un grand avantage aux nations; donc leur bien en procure un beaucoup plus grand dans le monde. Tel est donc son raisonnement: On a établi que leur faute est devenue le salut pour les nations; Si, c’est-à-dire mais si, leur faute, à savoir des Juifs, est la richesse du monde, c’est-à-dire des nations, en ce sens que la faute des Juifs a fait abonder les richesses spirituelles des nations, dont il est dit: "La sagesse et la science sont des richesses de salut 6", ce qui se rapporte précisément à la faute <des Juifs>; et leur diminution, à savoir de la hauteur de la gloire dont ils jouissaient, ce qui regarde leur peine "Nous avons été diminués plus que toutes les nations, et nous sommes humiliés sur toute la terre aujourd’hui, à cause de nos péchés 7." Telles sont occasionnellement les richesses des nations, comme on l’a dit. Ou bien 8: leur diminution, c’est-à-dire quelques-uns d’entre les plus petits et les plus méprisés des Juifs ont enrichi spirituel lement les nations, à savoir les apôtres, dont il est dit: "Dieu a choisi ce qui est faible selon le monde, pour confondre ce qui est fort" — Combien plus leur plénitude, c’est-à-dire leur abondance spiri tuelle, ou leur multitude convertie à Dieu, fera-t-elle abonder les richesses des nations: "Dans la plénitude des saints est ma demeure 10" Donc si Dieu, en vue du

1. Ep2, 12.

2. 1 Th 2, 14.

3. Ps 118, 158.

4, Dt 28, 44.

5. Dt 32, 21.

6. Is 33, 6.

7. Dn 3, 37.

8. Voir Glosa in Rom. XI, 12 (GPL, col. 1485 A).

9. 1 Co 1, 27.

10. Eccli (Si) 24, 16.



bien (utiitatem) du monde entier, a permis que les Juifs tombent et soient amoindris, à plus forte raison multipliera-t-il leurs ruines 1 pour cette même fin.

885. 2. Ensuite lorsqu’il dit: 13 Car je le dis à vous, etc., il montre la même chose par son intention

a) qu’il commence par exposer.

b) Puis dont il assigne la raison [n° 890]: 15 Car si leur perte, etc.

886. a. Sur le premier point, il faut considérer que, comme dans les parties précédentes de cette épître, <l’Apôtre> avait parlé à tous les fidèles de Rome, qu’ils soient issus des nations ou des Juifs; main tenant sa parole s’adresse spécialement aux nations converties.

887. Il dit donc: J’ai avancé que leur plénitude a fait la richesse du monde. Or, pour le prouver, je le dis à vous, nations, c’est-à-dire aux nations converties à la foi "J’ai dit: Me voici, me voici, à une nation qui n’invoquait pas mon Nom 2." Cela, dis-je, je le dis à vous, dans la mesure où je suis, moi, l’apôtre des nations, dont le soin m’incombe spécialement en raison du ministère qui m’a été imposé: "Ils nous donnèrent la main, à moi et à Barnabé, en signe de communion: nous irions, nous, aux nations païennes, eux à la circoncision 3." — "C’est pourquoi j’ai été établi moi-même prédicateur et apôtre — je dis la vérité" dans le Christ Jésus, " je ne mens pas — docteur des nations dans la foi et la vérité 4." — J’honorerai mon ministère, non certes pour l’honneur du siècle, mais d’abord en ornant par une bonne conduite ce ministère lui-même: "Montrons-nous en toutes choses comme des ministres de Dieu, par une grande patience dans les tribulations, dans les nécessités, dans les angoisses, etc. 5" Ensuite, en se dépensant plus qu’il n’était tenu de le faire: "Quelle est donc ma récompense ? C’est que, prêchant l’Evangile, je le prêche gratui tement, pour ne pas abuser de mon pouvoir dans l’Evangile 6." Enfin, en étendant sa sollicitude au salut de tous: "Outre ces choses, qui sont du dehors, il y a ma préoc cupation quotidienne: la sollicitude de toutes les Eglises 7."

888. C’est ce qui lui fait ajouter ici: 14 Si de quelque manière j’incite à jalousie <ceux de> ma chair, c’est-à-dire les Juifs, qui sont de ma parenté selon la chair, comme on l’a dit plus haut 8 <Et il est écrit dans le livre d’Isaïe>: "Ne méprise point ta chair 9." Et cela afin d’inciter à une bonne jalousie 10, selon ce passage de la première épître aux Corinthiens: "Aspirez (aemulamini) aux dons supérieurs 11" Et de cette manière j’en sauve quelques-uns d’entre eux, c’est-à-dire d’entre les Juifs: "Ne cherchant pas ce qui m’est utile, mais ce qui l’est au grand nombre, afm qu’ils soient sauvés 12."

889. Mais en sens contraire <l’Apôtre> dit lui-même: "Nous ne nous glorifierons point démesurément, mais selon la mesure de la règle que Dieu nous a mesurée, mesure qui consiste à être parvenus jusqu’à vous 13." Or la charge de son ministère ne se limitait qu’aux nations; donc il ne devait pas se mêler de ce qui regardait les Juifs. Mais certains disent que les Juifs qui habi taient en Judée n’appartenaient pas à l’apostolat de <l’Apôtre>, mais à celui de Pierre, de Jacques et de Jean, comme il est

1. Saint Thomas reprend ici l’expression du psaume 109, 6 (implebiz ruinas), et applique au peuple juif ce que le psalmiste prophétisait au sujet des nations "L. . . ) leurs ruines", c’est-à-dire leurs chutes ou leurs péchés. — Lieu parallèle Somme Théologique Ia, Q. 2. 3, ah., sol. 1.

2. Is 65, 1.

3. Ga 2, 9.

4. 1 Tm 2, 7.

5. 2 Co 6, 4.

6. 1 Co 9, 18.

7. 2 Co 11, 28.

8. voir Rm 9, 3.

9h 58, 7.

10. Lieu parallèle: 1 Ad Cor. 14, 1, lect. 1 (éd. Marietti, n° 810).

11. 1 Co 12, 31.

12. 1 Co 10, 33.

13. 2 Co 10, 13.



dit <dans l’épître> aux Galates: "<Au contraire, ayant vu que l’Evangile de l’incir concision m’avait été confié, comme à Pierre celui de la circoncision 1>"; tandis que les Juifs qui habitaient parmi les nations appartenaient à son apostolat, et il s’appliquait <à travailler> à leur salut.

Mais cette explication semble contraire à l’intention de la lettre. En effet, si ces Juifs appartenaient à son apostolat, lequel avait pour objet leur conversion, il n’aurait pas honoré son ministère 2.

Il faut donc dire que la prédication des nations lui était tellement confiée qu’il y était tenu par nécessité, comme il le dit lui-même "Malheur à moi si je n’évangélise! car la nécessité m’incombe 3"; cependant il ne lui était pas interdit de prêcher aux Juifs, bien qu’il n’y fût pas tenu. Et dans ce sens, en s’appliquant <à travailler> à leur salut, il honorait son ministère — ministère qu’il n’aurait point entrepris, s’il avait regardé leur chute comme irréparable. Donc le zèle apostolique qu’il déployait en vue de la conversion des Juifs, il l’indique comme une preuve que la chute des Juifs est répa rable.

890. b. Lorsqu’il dit: 15 Car si leur perte, etc., <l’Apôtre> assigne la raison de son intention, à savoir qu’il voyait que la conversion des Juifs entraînait le salut des nations. Ce qui lui fait dire Car si leur perte, c’est-à-dire leur incrédulité et leur désobéissance, comme on dit d’un esclave qu’il est perdu quand il se soustrait au devoir et à l’obéissance de son maître

"Mon peuple est devenu un troupeau perdu 4"; si, dis-je, <cette> perte <des Juifs> est occasionnellement la réconciliation du monde, en tant que par la mort du Christ nous sommes réconciliés avec Dieu, que sera leur admission sinon une vie d’entre les morts? En d’autres termes, les Juifs seront repris par Dieu, selon ce passage de Zacharie: "J’ai pris pour moi deux houlettes 5." Que fera, dis-je, une telle admission, sinon de ressusciter les nations à la vie? Car les nations sont des fidèles qui s’attiédissent: "Parce que l’iniquité aura abondé, la charité d’un grand nombre se refroidira 6." Ou encore, parce que ceux qui tomberont entièrement, trompés par l’Anti-christ, seront, après la conversion des Juifs, rétablis dans leur première ferveur. Et encore, de même qu’après la chute des Juifs, les nations seront réconciliées de leurs anciennes inimitiés, ainsi, après la conver sion des Juifs, la fin du monde étant alors imminente, la résurrection générale aura lieu, et par elle les hommes, de morts qu’ils étaient, reviendront à la vie immortelle 7.

891. 3. Lorsqu’il dit" Si les prémices, etc., <l’Apôtre> montre la même chose par la condition de la nation juive proprement dite. Et il le fait de deux manières:

a. Premièrement, du côté des Apôtres, lorsqu’il dit: Si les prémices sont saintes, la masse l’est aussi. Or on appelle prémices ce qui est pris d’une masse de pâte, comme pour l’essayer Ainsi les apôtres sont pris

1. Ga 2, 7.

2. C’est—à-dire: si les Juifs de la diaspora, par décision collégiale des Douze, avaient été compris dans le ministère ordinaire dévolu à saint Paul, il n’aurait pas honoré son ministère de manière particu lière en allant leur prêcher l’Evangile; il n’eût fait qu’accomplir son devoir de missionnaire. Mais, puisque l’Apôtre nous dit qu’il a ainsi honoré son ministère, c’est que la tâche d’évangéliser les commu nautés juives présentes parmi les païens (celle de Rome était impor tante) ne lui avait pas été ordinairement confiée.

3. 1 Co 9, 16 (citation non littérale).

4. Jr 50, 6.

5. Za 11, 7.

6. Mt 24, 12.

7. On voit ici se préciser et s’amplifier le rôle dévolu aux Juifs dans l’oeuvre de Rédemption. Premier témoin de la connaissance du vrai Dieu, le peuple juif en sera aussi le dernier par sa conversion à Jésus Christ. Le témoignage de cette conversion brillera dans le monde entier d’un tel éclat qu’il réveillera les nations endormies dans l’incrédulité et les ressuscitera à la foi et à la vie éternelle.

8. Le terme latin que traduit " prémices est delibatw; il signifie proprement l’action de prélever une part sur quelque chose, et correspond au grec aparkhè dont la signification est analogue il désigne en particulier la part des fruits prélevée sur la récolte et offerte aux dieux, ce qu’on nomme les prémices. Comme l’a bien vu saint Thomas, saint Paul fait ici allusion à une coutume juive dont la prescription est donnée à Moïse, suivant Nb 15, 17-21 le Seigneur demande qu’on préléve, sur la masse de la farine pétrie et transformée en pète, une part, les prémices (Septante, aparkhê Vulgate, primitiac), qui sera consacrée à Dieu. Devenue chose sainte, la part offerte communique sa sainteté à toute la masse. De même, selon Lv 19, 23-25, les fruits sont considérés comme incirconcis tant que les prémices n’en ont pas été offertes à Dieu.



par Dieu de la nation juive, comme les prémices de la masse. Et par conséquent, si les apôtres sont saints, la nation juive est également sainte: "Vous êtes une nation sainte, un peuple acquis, pour annoncer les prodiges de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière 1.

892. b. Il prouve deuxièmement la même chose, du côté des patriarches, qui sont comparés aux Juifs comme la racine aux rameaux; et d’où ces paroles d’Isaïe éll sortira un rejeton de la racine de Jessé 2" Si donc les patriarches, qui sont la racine, sont saints, les Juifs, qui sont sortis d’eux comme des rameaux, sont également saints: "Il poussera ses racines comme le Liban, ses rameaux s’étendront"

893. Mais en sens contraire il est dit dans <le livre d’>Ezéchiel: "Si un homme est juste, et pratique l’équité et la justice; s’il ne mange point sur les montagnes, et ne lève point ses yeux vers les idoles de la maison d’Israël; et s’il ne viole point la femme de son prochain, et ne s’approche point d’une femme qui est dans ses mois; et s’il ne contriste personne; s’il rend le gage à <son> débiteur; si par violence il ne ravit rien; s’il donne de son pain à celui qui a faim, et couvre d’un vêtement celui qui est nu; s’il ne prête point à usure et ne reçoit pas plus <qu’il n’a prêté>; s’il détourne sa main de l’iniquité, et rend un jugement équitable entre un homme et un homme; s’il marche dans mes préceptes, et garde mes ordonnances, afin d’accomplir la vérité; celui-là est juste, il vivra de la vie, dit le Seigneur Dieu 4. Il ne s’ensuit donc pas que si la racine est sainte, les rameaux le sont aussi. D’ailleurs <le prophète> ajoute au même endroit que si "<cet homme> engendre un fils qui, voyant les péchés de son père, craint de les commettre pareillement, [ il ne mourra pas dans l’iniquité de son père, mais il vivra de la vie 5"; il semble donc encore que si les prémices sont saintes, la masse ne l’est pas pour autant.

Il faut <répondre à cette objection> en disant: que l’Apôtre ne parle pas ici de la sainteté actuelle, car il ne prétend pas montrer que les Juifs incrédules sont saints, mais <il parle> de la sainteté potentielle. Rien ne s’oppose, en effet, à ce que ceux-là soient rétablis dans la sainteté, dont les pères et les fils sont saints. Ou bien, on peut dire que ceux-là sont spécialement les rameaux des patriarches, qui les imitent, selon ce passage de Jean: ê Si vous êtes les fils d’Abraham, faites les oeuvres d'Abraham 6."


1. 1 P 2, 9.

2. Is 11, 1.

3. Os 14, 6-7.

4. Ez 18, 5-9.

5. Ez 18, 14 et 17.

6. Jn 8, 39.


Leçon 3 [versets 17 à 24]

52
075 (
Rm 11,17-24)


[n° 895] 17 Mais si quelques-uns des rameaux ont été brisés, tandis que toi qui étais un olivier sauvage, tu as été enté en eux, et fait participant à la racine et à la grasse sève de l’olivier,

[n° 896] 18 ne te glorifie pas aux dépens des rameaux. Que si tu te glorifies, <sache que> ce n’est pas toi qui portes la racine, mais la racine <qui> te <porte>.

[n° 898] 19 Alors tu diras: Les rameaux ont été brisés pour que moi je sois enté.

[n° 900] 20 Bien! c’est à cause de leur incré dulité qu’ils ont été brisés. Mais toi tu tiens par la foi. Ne songe pas à t’élever, mais crains.

[n° 902] 21 Car si Dieu n’a pas épargné les rameaux naturels, il ne t’épargnera peut-être pas non plus.

[n° 903] 22 Vois donc la bonté et la sévérité de Dieu: sa sévérité envers ceux qui sont tombés; mais envers toi la bonté de Dieu, [n° 906] si tu demeures dans cette bonté; autrement tu seras retranché, toi aussi.

[n° 908] 23 Mais eux de même, s’ils ne demeurent pas dans l’incrédulité, ils seront entés; car Dieu est puissant pour les enter de nouveau.

[n° 910] 24 En effet, si toi tu as été coupé de l’olivier sauvage, <auquel tu appartenais> par nature, et enté, contre nature, sur un bon olivier, à combien plus forte raison ceux qui <lui appartiennent> par nature seront-ils entés sur leur propre olivier!

894. L’Apôtre, après avoir montré que la chute des Juifs a été utile et qu’elle est réparable [n° 878], réfute ici la vantardise des Gentils à l’égard des Juifs. A cet effet:

I) Il commence par montrer aux Gentils convertis qu’ils n’ont pas à se glorifier à l’égard des Juifs.

II) Puis, il répond à l’objection des Gentils [n° 898] 19 Alors tu diras: Les rameaux ont été brisés, etc.

I. Sur le premier point:

A) <L’Apôtre> défend aux Gentils de se glorifier à l’égard des Juifs.

B) Puis, il donne la raison de sa défense [n° 897]: Que si tu te glorifies, etc.

895. — A. Deux motifs procuraient, semblait-il, l’occasion prochaine pour les Gentils de se glorifier à l’égard des Juifs

1. Premièrement leur chute. On a dit que si la racine est sainte, les rameaux le sont aussi, 17 mais si quelques-uns, non pas tous cependant, des rameaux, c’est-à-dire des Juifs, ont été brisés, c’est-à-dire séparés de la foi de leurs pères, lesquels sont comparés à la racine, toutefois ne te glorifie pas. — <Il est écrit dans le livre de> Job

"Une flamme desséchera ses rameaux 1." <Et dans> la Sagesse "Les rameaux seront brisés avant de s’être développés 2"

1. Jb 15, 30.

2. Sg 4, 5.



2. Deuxièmement leur élévation: Or l’élévation d’une personne la porte ordinairement d’autant plus à la vaine gloire, qu’elle est élevée à partir d’une condition plus humble, selon ce passage des Proverbes: "Par trois choses est troublée la terre, et la quatrième elle ne peut la supporter: par un esclave lorsqu’il règne; par un insensé, lorsqu’il est rassasié de nourriture; par une femme odieuse, lorsqu’elle a été prise en mariage; et par une servante, lorsqu’elle est devenue héri tière de sa maîtresse 1." Voilà pourquoi <l’Apôtre> mentionne d’abord la condition d’abjection d’où les Gentils avaient été tirés, en disant: tandis que toi, dans la condition de gentilité, qui étais un olivier sauvage, c’est-à-dire un arbre infructueux: "Ils seront comme le tamaris dans le désert 2." — "Tout arbre qui ne produit pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu 3."

896. <L’Apôtre> expose ensuite leur élévation:

a. Et d’abord quant au fait qu’ils ont été élevés à la dignité du peuple juif, ce qui lui fait dire: tu as été enté sur eux, c’est-à-dire à leur place 4." Il en brisera une multitude innombrable et il en établira d’autres à leur place 5."

b. Ensuite, en ce qu’ils ont été associés aux patriarches, qu’il avait comparés plus haut [n° 892] à la racine; aussi dit-il: et fait participant à la racine, c’est-à-dire associé aux patriarches et aux prophètes: < Beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident et prendront place au festin dans le Royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob 6."

c. Enfin, en comparant leur gloire à celle des apôtres, lorsqu’il dit: et à la grasse sève de l’olivier. Ce nom d’olivier est donné à la nation juive à cause de l’abondance des fruits spirituels qu’elle a portée: "Olivier fertile, beau, chargé de fruits, superbe, le Seigneur t’a appelé de ce nom 7." — "Pour moi, comme un olivier verdoyant dans la maison de Dieu, j’ai espéré dans la miséri corde de Dieu pour l’éternité, et pour les siècles des siècles 8." De même donc que les patriarches et les prophètes sont la racine de cet olivier, ainsi sa grasse sève est l’abondance de la grâce du Saint-Esprit, que les apôtres ont reçue avant tous les autres, comme le dit la Glose 9. Aussi fait-on dire à l’olivier dans le livre des Juges: "Est-ce que je peux abandonner mon huile dont les dieux et les hommes se servent, et venir pour être promu, parmi les arbres 10?" Et il est écrit dans un psaume "Comme de moelle et de graisse mon âme soit remplie 11." Ainsi donc les Gentils ont été élevés à la société de ce peuple, à savoir des patriarches, des Apôtres et des prophètes: "Vous êtes concitoyens des saints et de la maison de Dieu, bâtis sur le fondement des Apôtres et des prophètes 12" Et cependant, ô Gentil, bien que tu paraisses avoir ces occasions de te glorifier, 18 ne te glorifie pas aux dépens des rameaux, c’est-à-dire à l’égard des Juifs: "Il n’est pas beau ton sujet de te glorifier 13 !"

897. — B. Lorsqu’il dit: Que si tu te glorifies, etc., <l’Apôtre> donne la raison de son avertissement. Que si, dit-il, nonobstant cet avertissement, tu te glorifies, en insultant les Juifs qui sont debout ou qui sont séparés, <sache> pour réprimer ta vantardise, que ce n'est pas toi qui portes la racine, mais la racine <qui> te <porte>, c’est-à-dire que la Judée n’a pas reçu de la gentilité le salut, mais plutôt le contraire "Le salut vient des Juifs 14"

1. Pr 30, 21-23.

2. Jr 17, 6.

3. Mt3, 10.

4. Voir Glosa in Rom. XI, 17 (GPL, col. 1486 C).

5. Jb 34, 24.

6. Mt8, 11.

7. Jr 11, 16.

8. Ps 51, 10.

9. Voir Glosa in Rom. XI, 23 (GPL, 1488 A).

10. Jg 9, 9.

11. Ps62, 6.

12. Ep 2, 19-20.

13. 1 Co 5, 6.

14. Jn 4, 22.



C’est de là aussi qu’il a été promis à Abraham qu’en lui seront bénies toutes les familles de la terre 1.

898. — II. Lorsqu’il dit: 19 Alors tu diras, etc., <l’Apôtre> écarte l’objection des Gentils. Et

A) Il commence par la formuler.

B) Puis, il la réfute par la considération du jugement divin [n° 900]: etc.

C) Enfin, il les porte à une considération attentive des jugements divins [n° 903] 23 Vois donc la bonté, etc.

899. A. Il commence donc par dire:

Donc, toi, Gentil, qui te glorifies à l’égard des Juifs, tu diras peut-être: Les rameaux ont été brisés pour que moi je sois enté, c’est-à-dire Dieu a permis que les Juifs soient coupés de la foi afin que moi j’y entre. Or nul ne supporte la perte d’une chose, si ce n’est en vue d’<acquérir> un bien plus précieux et plus aimé, comme le médecin laisse une infirmité dans un pied afin de guérir un oeil. Ainsi donc il semble que la gentilité soit plus précieuse et davantage agréée par Dieu que la Judée. D’où ces paroles de Malachie: "Mon bon vouloir n’est pas en vous, dit le Seigneur <Dieu>, et je ne recevrai pas de présent de votre main. Car depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, grand est mon Nom parmi les nations 2." Et celles d’Isaïe: "C’est peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob et convertir les restes d’Israel. Voici que je t’ai donné comme lumière des nations 3."

900. — B. Lorsqu’il ajoute: 20 Bien! etc., <l’Apôtre> réfute l’objection.

1. Et en premier lieu, il donne la raison de la chute des Juifs et de l’élévation des Gentils, en disant: Bien! Tu dis bien que Dieu a permis que les rameaux soient brisés afin que toi, tu sois enté; mais considère la cause du brisement des rameaux: c’est à cause de leur incrédulité, dis-je, qu’ils ont été brisés, c’est-à-dire parce qu’ils n’ont pas voulu croire dans le Christ 4: "Des incrédules et des destructeurs sont avec toi 5." — "Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas 6 ?" — Mais toi, Gentil, tu tiens par la foi, c’est-à-dire en croyant dans le Christ, en qui tu as obtenu la grâce: "Car vous êtes fermes dans la foi 7." — "Je vous rappelle, mes frères, l’Evangile que je vous ai prêché, que vous avez reçu, dans lequel vous demeurez fermes, et par lequel vous êtes sauvés 8."

901. 2. Puis, il donne son avertissement, en disant: Ne songe pas à t’élever, c’est-à-dire ne te laisse pas aller à présumer de toi au-delà de tes limites: "n’aspirant pas à ce qui est élevé, mais vous lais sant attirer par ce qui est humble 9."

"Seigneur mon coeur ne s’est pas exalté et mes yeux ne se sont pas élevés 10."

Mais crains, à savoir que toi, tu ne sois également brisé par ton incrédulité; ce qui relève de la crainte chaste 11: "Bien heureux l’homme qui est toujours craintif; mais celui qui est dur de coeur se précipitera dans le mal 12" — "La crainte du Seigneur chasse le péché 13"

1. Voir Corinthiens 22, 18.

2. Ml 1, lOb-11.

3. Is 49, 6.

4. Voir chap. 4; leçon 1, n 327, n. 4 et 6, p. 187.

5. Ez 2, 6.

6. Jn 8, 46.

7. 2 Co 1, 23.

8. 1 Co 15, 1.

9. Rm 12, 16.

10. Ps 130, 1.

11. La crainte chaste et la crainte filiale sont une même réalité", écrit saint Thomas (Somme Théologique 2 Q. 19, a. 2, sol. 3). Voir aussi 3Sentences dist. 34, Q. 2, a. l, q 2; a. 3, q 1.

12. Pr 28, 14.

13. Eccli (Si) 1, 27.



902. 3. Enfin, il donne la raison de son avertissement, en disant: 21 Car si Dieu n’a pas épargné les rameaux naturels, c’est-à-dire les Juifs, qui sont descendus des patriarches par leur origine naturelle, s’il les a laissés se briser, crains qu’il ne t’épargne peut-être pas non plus, c’est-à-dire qu’il ne permette que tu tombes par ton incrédulité: "La jalousie et la fureur du mari ne pardonneront pas au jour de la vengeance 1." — "Je n’épargnerai pas, et je n’accorderai <rien>, je n’aurai pas de pitié, mais je les détruirai 2"

La solution de l’Apôtre consiste donc en ce que, voyant qu’on est en possession de la grâce et que son prochain est tombé, on ne doit pas s’élever au-dessus de celui qui tombe, mais plutôt craindre pour soi-même 3, parce que l’orgueil est la cause de la chute, et la crainte la cause de la vigi lance et de la prudence.

903. — C. Lorsque <l’Apôtre> dit: 22 Vois donc la bonté et la sévérité, etc., il porte <les Gentils> à une considération attentive des jugements divins. Et:

Il les amène d’abord à cette considé ration [n° 904s].

Puis, il les instruit, comme si d’eux-mêmes ils n’étaient pas capables de le faire [n° 913]: 25 "Car je ne veux pas, frères, que vous ignoriez, etc."

Enfin, comme si lui-même ne pouvait pas les scruter parfaitement, il s’écrie, en admirant la sagesse divine [n° 934]: "O abîme des richesses de la sagesse, etc."

904. 1. Sur le premier point, <l’Apôtre> montre premièrement ce qu’il faut considérer, en disant: Vois donc, c’est-à-dire considère diligemment, la bonté de Dieu, qui fait miséricorde "Que Dieu est bon pour Israël, pour ceux qui ont le coeur droit 4." Et encore: "Méprises-tu les richesses de sa bonté ? 5" — Et la sévérité de celui qui punit "Le Seigneur est le Dieu des vengeances 6" Et encore: "C’est un Dieu jaloux et qui se venge, le Seigneur 7." Ainsi donc, la première considération produit l’espérance; la seconde la crainte, afin d’éviter le désespoir et la présomption.

905. 2. Il montre en deuxième lieu sur qui doivent porter ces considérations, en disant: envers ceux qui sont tombés, c’est-à-dire les Juifs, <sa> sévérité. — "Le Seigneur a <tout> renversé, il n’a épargné aucune des magnificences de Jacob; il a détruit dans sa fureur les fortifications de la vierge de Juda 8" — Mais envers toi, à savoir envers toi, Gentil, qui as été enté, la bonté. — "Tu as usé de bonté envers ton serviteur; ô Seigneur 9."

906. 3. En troisième lieu, il montre avec quelle continuité <on doit> pouvoir considérer ce qui vient d’être mentionné, non comme quelque chose d’immuable, mais comme pouvant se modifier dans l’avenir.

907. a. Et il le montre d’abord quant aux Gentils, en disant: Vois la bonté de Dieu agissant envers toi, toutefois de manière continue, si tu demeures dans cette bonté. "Demeurez dans mon amour 10 > — Autrement, si tu ne prends pas soin d’y demeurer par la crainte et l’humilité, tu seras retranché, toi aussi. — "Tout arbre qui ne produit pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu 11."

908. b. Puis il montre la même chose quant aux Juifs, et il commence par exposer son intention, en disant: 23 Mais eux de même, à savoir les Juifs, s’ils ne demeurent pas dans l’incrédulité, ils seront entés, c’est-à-dire seront rétablis dans leur

1. Pr 6, 34.

2. Jr 13, 14.

3. Lieux parallèles I Ad Cor. 10, 12, lect. 3 (éd. Marietti, n° 536) 11 Cor. 12, 7, lect. 3 (éd. Marietti, n°472).

4. Ps72, 1.

5. Rm 2, 4.

6. Ps93, 1.

7. Na 1, 2.

8. Lm 2, 2.

9. Ps 118, 65.

10. Jn 15, 9.

11. Mt 3, 10,



condition "Tu as forniqué avec beaucoup d’amants, cependant reviens à moi, dit le Seigneur, et moi je te recevrai 1."

909. Ensuite il prouve ce qu’il avait dit, et premièrement par la puissance divine, en disant: car Dieu est puissant pour les enter de nouveau; par conséquent il n’y a pas à désespérer de leur salut: "Voici que la main du Seigneur n’est point raccourcie pour ne pouvoir sauver 2."

910 — Deuxièmement 3 il prouve la même chose par un argument a minori 4, en disant: 24 En effet, si toi, Gentil, tu as été coupé de l’olivier sauvage <auquel tu appartenais> par nature, c’est-à-dire de la gentilité, qui était stérile par nature, non assurément en tant que Dieu a fait cette nature, mais en tant qu’elle est corrompue par le péché: "Leur nation est méchante et leur malice naturelle 5." Et encore: "Nous étions par nature fils de la colère 6." — Et enté sur un bon olivier, c’est-à-dire sur la foi des Juifs, contre nature, c’est-à-dire contre le cours ordinaire de la nature. En effet, il n’est pas habituel qu’un rameau d’un arbre mauvais soit enté sur un arbre bon, mais plutôt le contraire. Or ce que Dieu fait n’est pas contre nature, mais tout simplement naturel. En effet, nous appelons naturel ce qui est produit par un agent auquel le patient (ce qui subit l’action) est naturel lement soumis, même si ce qui est produit n’est pas conforme à la nature du patient. C’est ainsi que le flux et le reflux de la mer sont naturels, puisqu’ils ont pour cause le mouvement de la lune, auquel l’eau est naturellement soumise, bien qu’ils ne soient pas naturels selon la forme de l’eau. De même, toute créature étant naturel lement soumise à Dieu, tout ce que Dieu fait dans la créature est naturel abso lument parlant, bien que cela ne soit peut-être pas naturel eu égard à la nature propre et particulière de la créature sur laquelle son action s’accomplit: par exemple un aveugle qui recouvre la lumière ou un mort qui ressuscite 7.

1. Jr 3, 1.

2. Is 59, 1.

3. Lieux parallèles t Somme Théologique P, Q. 105, a. 6; Q. 106, a. 3; Suppl., Q. 75, a. 3; 2 Sentences dist. 14, Q. 1, a. 5, sol. 4; dist. 30, Q. 1, a. 1, sol. 4; 3 Cons. Cens., c. 98, 99, 100; De poSentences Q. 1, a. 3, sol. 3; Q. 5, a. 4; Q. 6, a. 1; De veritate, Q. 13, a. 1, sol. 2 et 3; Compend. theol., c. 136.

4. L’argument a minoré ("à partir du moins") consiste à conclure du moins au plus; il représente l’une des deux formes possibles du raisonnement afortiori. En Mt 6, 26 (Dieu nourrit les oiseaux, à plus forte raison les hommes qui valent plus), Jésus argumente a minons (3 Contra Gentiles c. 135).

5. Sg 12, 10.

6. Ep 2, 3.

7. Le texte de l’épître invite saint Thomas à soulever la question métaphysique du rapport entre la causalité naturelle et la causalité surnaturelle. En comparant le peuple juif à l’olivier franc, c’est-à-dire à un arbre déjà amélioré par la culture, et les peuples païens au sauvageon qui sera greffé sur le tronc du premier (les patriarches), saint Paul inverse l’ordre naturel des choses. C’est en effet le rameau franc " qui, normalement, est greffé (ou enté) sur le tronc du sauvageon afin de le transformer et de lui communiquer sa nature d’olivier cultivé. Cette inversion du sens normal de la greffe correspond à l’ anomalie que présente l’histoire du salut le peuple élu (et qui le demeure c’est sa nature voulue par Dieu) n’ayant pas accompli, dans l’ensemble, ce â quoi le destinait cette nature, ce sont les peuples païens qui ont été greffés sur un tronc auquel leur nature païenne ne les destinait pas. Or, c’est en principe la providence qui détermine la nature des êtres en fonction de la fin qu’ils doivent remplir Dieu serait-il en contradiction avec lui-même? La réponse de saint Paul est théologique: d’une part, Dieu a tiré du mal un plus grand bien puisque en rejetant le salut dans le Christ, les chefs du peuple élu ont rendu possible sa communication à toutes les nations; d’autre part, ce rejet est provisoire le peuple élu réalisera un jour la vocation à laquelle sa nature le destine. Mais nous sommes là dans l’ordre de la grâce. Comment peut-il contre venir à l’ordre de la nature dont Dieu est pourtant l’auteur? Comment saint Paul peut-il parler d’une opération i contre nature s? Une réponse philosophique est requise. Elle consiste, selon saint Thomas, à distinguer deux types de naturel: est naturel ce qui relève de la nature d’un être (ou d’une chose), considéré en lui-même et séparément; mais est naturel également l’ordre universel dans lequel cet être est inséré, avec toutes les relations qui en résultent pour lui. Ces deux types peuvent présenter des natu ralités différentes. Ainsi, en vertu de sa nature propre, l’eau reste immobile ou s’écoule vers le bas. Mais, en vertu de l’ordre naturel du monde qui la soumet au pouvoir de la lune (en cosmologie médiévale il y a affinité entre la lune et l’élément humide), la mer peut se soulever et se mouvoir vers le haut. D’une manière générale, il y a dans toute créature une capacité naturelle d’obéir aux opérations des agents auxquels elle est subordonnée, même si elles excèdent sa nature propre l’ordre hiérarchique universel prévaut sur celui des natures propres. Or, l’Agent premier et suprême, c’est Dieu. Les opérations qu’Il effectue dans les êtres, quels qu’ils soient, présupposent cette puissance d’obéissance, ou puissance obédien tielle par laquelle la créature est mise en rapport avec l’Agent premier, lequel "peut faire passer toute créature à un acte plus élevé que celui auquel le fait parvenir l’agent naturel" (Somme Théologique 3 Q. 11, a. 1). Ainsi les miracles eux-mêmes rentrent-ils, d’une certaine manière, dans l’ordre naturel universel tel que Dieu le veut.



911. Si, dis-je, cela s’est fait contre nature, à combien plus forte raison ceux qui <lui appartiennent> par nature, c’est-à-dire ceux qui par leur origine naturelle appar- tiennent à la nation juive, seront-ils entés sur leur propre olivier, c’est-à-dire seront-ils ramenés à la dignité de leur nation: "Il ramènera le coeur des pères aux fils, et le coeur des fils à leurs pères 1."

1. Ml 4, 6.



Thomas A. sur Rm (1999) 51