Thomas A. sur Rm (1999) 57

Leçon 3 [versets 14 à 21]

57
075 (
Rm 12,14-21)


[n° 997] 14 Bénissez ceux qui vous persé cutent; bénissez et ne maudissez point;

[n° 1003] 15 réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, pleurez avec ceux qui pleurent;

[n° 1005] 16 ayez les mêmes sentiments les uns envers les autres; n’aspirant pas à ce qui est élevé, mais vous laissant attirer par ce qui est humble. Ne soyez pas prudents à vos propres yeux;

[n° 1007] 17 ne rendant à personne le mal pour le mal; vous préoccupant de ce qui est bien, non seulement devant Dieu, mais aussi devant tous les hommes.

[n° 1010] 18 S’il se peut, et autant qu’il dépend de vous, ayant la paix avec tous les hommes;

[n° 1011] 19 ne vous défendant point vous-mêmes, bien-aimés, mais faites place à la colère; [n° 1013] car il est écrit "A moi est la vengeance; c’est moi qui rétribuerai", dit le Seigneur.

[n° 1014] 20 Au contraire "si ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s’il a soif, donne-lui à boire; car, ce faisant, tu amasseras des charbons de feu sur sa tête."

[n° 1015] 21 Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien.

1. Lieux parallèles sur la bienveillance Somme Théologique 2 Q. 27, a. 2; 3 Sentences dist. 27, Q. 2, a. 1, obj. et sol. 3. ; Ethic. 9, lect. 5 [1166 b 30-1167 a 18]. —-Sur la concorde Somme Théologique 2 Q. 29, a. 1; 3 Sentences dist. 27, Q. 2, a. 1, sol. 6; Ethic. 9, lect. 6 [1167 a 22-l 167 b 9]. —. Sur la bienfaisance: Somme Théologique 2 Q. 31, a. 1; 3 Sentences dist. 27, Q. 2, a. 1, obj. et sol. 5; Ethic. 9, lect. 7 [1167 17-l168a21].



996. Plus haut 1 [n° 993] l’Apôtre a montré comment la charité doit être pratiquée à l’égard des indigents, il montre maintenant comment il faut aussi la pratiquer à l’égard de ses ennemis. Et

I) Il commence par donner une exhor tation.

II) Puis, il prouve ce qu’il a dit [n° 1013]: car il est écrit, etc.

I. Quant à l’exhortation, il faut consi dérer trois points qui se rapportent à la charité.

Le premier est la bienveillance, qui consiste à vouloir du bien à autrui sans <jamais> lui vouloir du mal; le deuxième est la concorde, qui consiste en un accord entre amis dans leurs vouloirs et leurs refus; le troisième est la bienfaisance, qui consiste à faire du bien à celui qu’on aime sans <jamais> le blesser.

A) <L’Apôtre> énumère donc d’abord ce qui a trait à la bienveillance.

B) Puis, ce qui a trait à la concorde [n° 10031 15 réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent.

C) Enfin, ce qui a trait à la bienfaisance [n° 1007] ne rendant, etc.

997. — A. Concernant le premier point, <l’Apôtre> fait deux choses

1. Il nous exhorte à une large bienveillance qui s’étende même aux ennemis, lorsqu’il dit: Bénissez ceux qui vous persécutent. Sur cela, il faut remarquer que bénir c’est dire du bien 1. Or dire du bien se fait de trois manières

a. D’abord en l’énonçant, par exemple lorsqu’on loue le bien d’autrui: "Les lèvres de la multitude béniront celui qui est splendide dans les repas <qu’il donne>; et le témoignage en faveur de sa vérité sera fidèle 2."

b. Puis en commandant. Bénir ainsi par autorité est le propre de Dieu, dont le commandement fait dériver le bien sur ses créatures. Or ce ministère appartient aux prêtres de Dieu qui invoquent sur le peuple le Nom du Seigneur: "Le Seigneur parla encore à Moïse, disant "Dis à Aaron et à ses fils C’est ainsi que vous bénirez les enfants d’Israël, et vous leur direz Que le Seigneur te bénisse et qu’il te garde ! Que le Seigneur te montre sa face et qu’il te prenne en pitié! Que le Seigneur tourne son visage vers toi et te donne la paix !"" Et ce qui suit: "Ils invoqueront ainsi mon Nom sur les enfants d’Israël, et moi je les bénirai 3."

c. Enfin on bénit en exprimant des souhaits "Ils n’ont pas dit, ceux qui passaient "La bénédiction du Seigneur soit sur vous 4." Dans ce sens, bénir c’est vouloir du bien à quelqu’un, et pour ainsi dire demander du bien pour lui. Et c’est de cette manière qu’on entend ce passage.

998. Ainsi, 5 dans ces paroles: Bénissez ceux qui vous persécutent, <l’Apôtre> donne à entendre que nous devons être bien veillants même à l’égard des ennemis et des persécuteurs, en leur souhaitant du bien et en priant pour eux: "Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient 6." Or ce que <l’Apôtre> dit ici est sous un certain rapport un précepte, et sous un certain autre rapport un conseil 7. Car en général on doit avoir l’affection de la charité pour ses ennemis, en ne les excluant point de la dilection commune due au prochain, ni de la prière commune en faveur des fidèles, ce qui regarde la nécessité du précepte. Sembla blement, le fait qu’on doive, en cas de nécessité, pratiquer en particulier l’acte de la dilection à l’égard d’un ennemi, cela regarde <aussi> la nécessité du précepte. D’où ces paroles de l’Exode "Si tu rencontres le boeuf de ton ennemi, ou son âne égaré, ramène-le-lui 8." Mais que, dans un cas particulier, on montre à son ennemi l’affection de la charité, le suffrage de la prière ou le bienfait d’un secours quel conque, parfois même en dehors d’un cas de nécessité évidente, cela relève de la perfection des conseils, parce que cette conduite montre que la charité de l’homme envers Dieu est si parfaite qu’elle l’emporte sur toute haine humaine. Quant à celui qui se repent et qui demande miséricorde, il ne doit plus être compté parmi les ennemis ou les persécuteurs. Il faut donc lui témoigner sans lui opposer la moindre difficulté des marques de la charité: "Pardonne ton prochain qui te nuit, et lorsque tu prieras, tes péchés seront effacés 9."

999. 2. <L’Apôtre> nous apprend ensuite que la bienveillance ou la béné diction est pure, c’est-à-dire sans mélange contradictoire. Ce qui lui fait dire bénissez et ne maudissez point, c’est-à-dire bénissez de telle sorte qu’en aucune manière vous ne maudissiez. Cette exhortation s’adresse

Lieux parallèles: Super Psalmos, in Pc. 20, 4; 40, 14.

2. Eccli (Si) 31, 28.

3. Nb 6, 23b-27.

4. Ps 128, 7.

5. Lieux parallèles Somme Théologique 2a-2 Q. 25, a. 8 et 9; Q. 83, a. 8; 3 Sentences dist. 30, Q. 1, a. 2; De virtut., Q. 2, a. 8; De perf. spir. vit., C. 14.

6. Mt 5, 44.

7. On distingue traditionnellement les préceptes qui obligent en conscience tous les fidèles, et les conseils évangéliques qui ne s’appliquent qu’à ceux qui s’efforcent de suivre une voie de perfection, c’est-à-dire, au premier chef, les religieux.

8. Ex 23, 4.

9. Eccli (Si) 28, 2.



à l’encontre de ceux qui bénissent des lèvres et maudissent de coeur, selon ce passage du psaume 27 "Eux qui parlent de paix avec leur prochain et qui ont le mal dans leurs coeurs 1." Et aussi à l’encontre de ceux qui tantôt bénissent, tantôt maudissent, ou bénissent les uns et maudissent les autres: "De la même bouche sortent la bénédiction et la malé diction. Il ne faut pas, mes frères, qu’il en soit ainsi 2." — "Ne <rendant> pas malédiction pour malédiction 3."

1000. En sens contraire 4, il semble qu’on trouve dans la sainte Ecriture plusieurs malédictions. En effet, le Deuté ronome dit: "Maudit soit celui qui ne persévère pas dans les paroles de cette Loi et ne les accomplit pas par ses oeuvres 5."

Il faut répondre que maudire, c’est dire du mal; or comme pour bénir, maudire se fait de trois manières: sous forme de décla ration, de commandement et de souhait; et chacune de ces manières peut être bonne ou mauvaise. En effet, proclamer mauvais — quelle que soit la manière susdite — ce qui est matériellement mauvais n’est pas licite du point de vue du bien, puisque alors on bénit <on "bien-dit"), plutôt qu’on ne maudit car c’est plutôt d’après sa forme que d’après sa matière qu’on juge de chaque chose." Mais proclamer le mal en ayant en vue le mal, c’est maudire formel lement: c’est donc absolument illicite.

Ces deux cas peuvent se présenter quand on profère le mal sous forme de décla ration. Car parfois, on déclare le mal de quelque chose pour faire connaître une vérité nécessaire: ainsi on dit le mal (on "mal-dit") eu égard au nécessairement vrai, ce qui est bien, et par conséquent licite. C’est de cette manière qu’on rapporte de Job qu’il "maudit le jour de sa naissance 7", déclarant ainsi le malheur de la vie présente, comme l’Apôtre le dit aux Ephésiens: "Rachetant le temps, parce que les jours sont mauvais 8." D’autres fois, c’est en vue du mal, c’est-à-dire avec l’intention de dénigrer, qu’on dénonce le mal d’autrui, et cela est illicite, car il est dit "Ni les médisants, ni les rapaces ne posséderont le Royaume de Dieu 9."

1001. Il en va de même lorsque le mal se dit sous forme de commandement; ce qui arrive parfois quand on dit ce qui est matériellement mauvais eu égard au bien, par exemple quand à la suite d’un commandement le mal de la peine échoit à quelqu’un pour <satisfaire> la justice, ce qui est licite. C’est dans ce sens que les transgresseurs de la Loi sont maudits, c’est-à-dire sont voués à la peine selon la justice. Parfois aussi, en commandant, on dit du mal d’autrui injustement, par exemple par haine ou par vengeance. Une telle malé diction est illicite: "Que celui qui maudit son père ou sa mère, meure de mort 10."

1002. Il en est de même du mal qui est dit sous forme de souhait. Car si on le souhaite eu égard au bien, par exemple pour que l’adversité serve à un progrès spirituel, cela est licite "Moi, j’ai vu l’insensé fortement enraciné et j’ai maudit sa beauté aussitôt 11." Mais si l’homme fait cela pour un motif de haine ou de ven geance, cela est absolument illicite "Le philistin maudit David par ses dieux 12."

1. Ps 27, 3.

2. Jc 3, 10.
3. 1 P 3, 9.

4. Lieux parallèles: Somme Théologique 2 Q. 76, a. 1; 4 Sentences dist. 18, Q. 2, a. 1, Q. 2, sol. 1; De virtut., Q. 2, a. 8, sol. 15; Super lob 3, 1, lect. 1; Super Mati, lI, 21 (éd. Marietti, n° 946); Ad Rom. 11, 2, lect. 1 (éd. Marietti, n° 866).

5. Dt 27, 26.

6. Autrement dit, pour juger s’il est permis de déclarer le mal de quelque chose, il faut considérer, non la matérialité de la déclaration (qui est ce qu’elle est), mais la raison pour laquelle cette déclaration a été faite c’est cette raison qui en constitue la forme, et qui la fait bonne ou mauvaise.

7. Jb I, ls.

8. Ep 5, 16.

9. 1 Co 6, 10.

10. Ex 21, 17.

11. Jb 5, 3.
12. 1 R (1") 17, 43.



1003. — B. Quand <l’Apôtre> ajoute: 15 réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, etc., il expose ce qui a trait à la concorde.

Et:

1) Il expose d’abord des exemples de concorde.

2) Ensuite, il écarte ses obstacles [n° 1006]: n’aspirant pas à ce qui est élevé, etc.

1004. — 1. Or la concorde 1 peut être considérée de deux manières [n° 1005]:

a. D’abord, quant à ses effets dans les maux et dans les biens:

Dans les biens, lorsqu’on se réjouit du bien des autres; ce qui fait dire <à l’Apôtre>: réjouissez-vous, c’est-à-dire vous devez <vous réjouir>, avec ceux qui se réjouissent. — " Si je suis immolé sur le sacrifice et l’oblation de votre foi, je m’en réjouis et m’en félicite avec vous tous 2." Mais ces paroles doivent s’entendre de la joie du bien. Or il en est qui se réjouissent du mal, selon ce passage des Proverbes: "Ils se réjouissent lorsqu’ils ont mal fait et tressaillent de joie dans les choses les plus mauvaises 3." Mais ce n’est pas dans ces choses qu’il faut se réjouir. Il est dit de la charité qu’" elle ne se réjouit pas de l’iniquité, mais <qu’>elle met sa joie dans la vérité 4."

Au contraire dans les maux, lorsqu’on s’attriste des maux d’autrui; aussi <l’Apôtre> ajoute-t-il: pleurez, c’est-à-dire vous devez <pleurer>, avec ceux qui pleurent. — "Je pleurais autrefois sur celui qui était affligé 5." Et encore: "Ne manque pas de consoler ceux qui pleurent et marche avec ceux qui sont dans le deuil 6" En effet, la compassion d’un ami qui s’afflige avec nous apporte de la consolation dans les tristesses de deux manières:

Premièrement, parce qu’on y recueille une preuve efficace d’amitié: "Dans son malheur", c’est-à-dire dans l’infortune, "l’ami se fait connaître 7." Il est même doux de constater que l’on a un véritable ami.

Deuxièmement, par cela même qu’un ami s’afflige avec nous, il semble s’offrir à porter sa part du fardeau de l’adversité qui cause la tristesse. Et un fardeau porté par plusieurs est assurément plus léger que celui qui est porté par un seul.

1005. b. Ensuite, 8 la concorde consiste dans une unité de sentiments. A ce propos <l’Apôtre> dit: 16 ayez les mêmes sentiments les uns envers les autres, c’est— à-dire soyez unanimes afin de vous réunir dans le même sentiment: "<Soyez> affermis dans le même esprit et dans les mêmes sentiments 9." Et: "Comblez ma joie, étant dans les mêmes sentiments, ayant la même charité, la même âme, la même pensée 10." Il faut savoir cependant qu’il y a deux sortes de sentiments. L’un qui touche au jugement de l’intelligence dans ce qui est d’ordre spéculatif, par exemple dans les considérations relatives à la géométrie ou de la nature. Le dissen timent sur de tels sujets ne s’oppose pas à l’amitié ou à la charité, parce que la charité est dans la volonté. Or les jugements de cette nature ne procèdent pas de cette volonté, mais d’une nécessité de raison nement. L’autre sorte de sentiment touche au jugement de la raison concernant les choses à accomplir. Sur ces sujets, le dissentiment s’oppose à l’amitié, parce que

1. Lieux parallèles sur la joie comme effet de la charité et sa compatibilité avec la tristesse: Somme Théologique 2 Q. 28, a. 1 et 2 Q. 35, a. 2. —. -Sur le rôle de la compassion des amis Somme Théologique 1a Q. 38, a. 3 Super lob 2, 11, lect. 2 Ethic. 9, lect. 13 11171 a 21-1171 b 20).

2. Ph 2, 17.

3. Pr 2, 14.

4. 1 Corinthiens 13, 6.

5. Jb 30, 25.

6. Eccli (Si) 7, 38.

7. Eccli (Si) 12, 9.

8. Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 2 a. 3, sol. 2.

9. 1 Corinthiens 1, 10.

10. Ph 2, 2.



ce dissentiment met la volonté en opposition. Et comme la foi n’est pas seulement spéculative, mais aussi pratique, en tant qu’elle "opère par la charité", comme il est dit dans les Galates 1, pour cette même raison, être en désaccord avec la vraie foi c’est s’opposer à la charité.

1006 — 2.Lorsqu’il dit 2: n’aspirant pas à ce qui est élevé, etc., <l’Apôtre> écarte les obstacles à la concorde. Ces obstacles sont au nombre de deux:

a. Le premier est l’orgueil, qui fait qu’en recherchant d’une manière immo dérée sa propre excellence et en fuyant la soumission, on veut se soumettre autrui et empêcher son excellence. Et de là naît la discorde: "Entre les orgueilleux, il y a toujours des querelles 3." Dans le dessein d’écarter cet orgueil, <l’Apôtre> dit n’aspirant pas à ce qui est élevé, c’est-à-dire ne recherchez pas immodérément votre propre excellence: "Ne songe pas à t’élever, mais crains 4." Et: "Les choses qui sont au-dessus de toi, ne les cherche pas 5."

Mais vous laissant attirer par ce qui est humble, c’est-à-dire ne repoussez pas selon l’opportunité les choses humbles qui semblent abjectes: "J’ai choisi d’être abject dans la maison de mon Dieu 6." Et: "Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu, pour qu’il vous exalte au temps de sa visite 7."

b. Le second obstacle à la concorde est de se présumer sage ou même prudent; ce qui fait qu’on ne croit pas à l’opinion des autres. Pour écarter cet obstacle, <l’Apôtre> dit: Ne soyez pas prudents à vos propres yeux, à savoir de telle sorte que vous jugiez qu’il n’y a de prudent que ce qui vous semble tel: "Malheur à vous qui êtes sages à vos yeux, et qui êtes prudents vis-à-vis de vous-mêmes 8" <Et l’Apôtre disait> plus haut: "afin que vous ne soyez pas sages à vos propres yeux 9."

1007. — C. En ajoutant: 17 ne rendant à personne le mal pour le mal, etc., <l’Apôtre> montre ce qui appartient à la bienfaisance, en écartant ce qui lui est opposé. Et:

1) Il enseigne d’abord qu’on ne doit faire du mal à qui que ce soit sous prétexte de vengeance.

2) Puis, qu’on ne doit faire du mal à qui que ce soit sous prétexte de défense [n° 1011]: 19 ne vous défendant point vous-mêmes, etc.

1008. — 1. Sur le premier point il fait trois choses 10:

a. 1l défend d’abord la vengeance, en disant: ne rendant à personne le mal pour le mal, c’est-à-dire soyez <ainsi>: "Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en ont fait 11." Et: "Ne rendant point mal pour mal, ni malédiction pour malédiction; mais au contraire, bénissant parce que c’est à cela que vous avez été appelés, afin de posséder la bénédiction en héritage 12." Mais il faut entendre cela de manière formelle, comme on l’a dit plus haut de la malédiction: car il nous interdit de rendre, par un sentiment de haine ou de vengeance, le mal pour le mal, en ce sens que nous nous réjouissions du mal d’autrui. Toutefois, si pour le mal dû à une faute commise par un individu, le juge, selon la justice, inflige le mal de la peine proportionnellement à la malice <de la faute>, matériellement ce juge inflige un mal, mais formellement et en soi il fait le

1. Ga 5, 6.

2. Lieux parallèles: Somme Théologique 2-2 Q. 29, a. 1, sol. 3; Q. 132, a. 5; Q. 162, a. 1."

3. Pr 13, lOa.

4. Rm 11, 20.

5. Eccli (Si) 3, 22.

6. Ps 83, 11.
7. I P 5, 6.

8. Is 5, 21.

9. Rm 11, 25.

10. Lieux parallèles S. IaIi. 2a-2 Q. 64, a. 2; Q. 65, a. 1, 2 et 3; Q. l08, a. ls. ; Q. 158, a. 3; 3 15, a. 9; Demalo, Q. 12, a. 1; a. 3, sol. 5.

11. Ps7, 5.
12. 1 P 3, 9.



bien. Par conséquent, lorsque le juge fait pendre au gibet un bandit convaincu d’homicide, il ne rend pas le mal pour le mal, mais plutôt le bien pour le mal. C’est ainsi que l’Apôtre livra à Satan un fidèle coupable d’inceste "pour la mort de sa chair, afin que son esprit soit sauvé au jour de Notre Seigneur Jésus-Christ, comme il le rapporte dans sa première épître aux Corinthiens 1.

1009. b. Puis, <l’Apôtre> enseigne qu’il faut encore faire le bien au prochain, en disant: vous préoccupant, c’est-à-dire soyez préoccupés, de ce qui est bien, non seulement devant Dieu, c’est-à-dire pour que vous ayez soin de satisfaire votre conscience devant Dieu, mais aussi devant tous les hommes, c’est-à-dire pour que vous accom plissiez ce qui plaît aux hommes "Ne soyez une occasion de scandale ni pour les Juifs, ni pour les Gentils, ni pour l’Eglise de Dieu; comme moi-même je m’efforce de plaire à tous en toutes choses, ne cher chant pas mon propre intérêt, mais celui du plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés 2." Et encore "Nous nous préoc cupons de ce qui est bien, non seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes 3." Or cela peut se faire ou en bien ou en mal. En effet, si cela se fait en vue de gagner la faveur des hommes, cette action n’est pas bonne, <selon ce verset de Matthieu> "Prenez garde à ne pas faire votre justice devant les hommes pour être vus d’eux; autrement vous n’auriez pas de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux 4." Mais si cela se fait en vue de la gloire de Dieu, c’est une bonne action, selon cet autre verset de Matthieu "Qu’ainsi donc luise votre lumière devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux 5."

1010. c. Enfin, 6 <l’Apôtre> donne la raison de ces deux exhortations. En effet, nous devons nous abstenir de rendre le mal aux méchants et nous préoccuper de ce qui est bien devant les hommes, afin d’avoir la paix avec <tous>; et c’est pourquoi <l’Apôtre> continue <en disant:>: 18 ayant la paix avec tous les hommes. — "Recherchez la paix avec tous 7." Mais il y ajoute deux choses, dont la première est: S’il se peut. Car la malice d’autrui empêche parfois que nous puissions avoir la paix avec lui, à savoir parce qu’on ne peut avoir la paix avec lui sans donner son assentiment à sa malice. Cette paix est évidemment illicite, aussi le Seigneur dit-il: "Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive 8." Il ajoute l’autre chose, en disant: autant qu’il dépend de vous, c’est-à-dire que si eux-mêmes agissent contre la paix, nous devons faire ce qui est en notre mesure pour chercher à leur obtenir la paix: "Avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique 9." Et encore: "Cherche la paix et poursuis-la 10."

1011. 2.En disant 11 ensuite: 19 ne vous défendant point vous-mêmes, etc., <l’Apôtre> montre qu’il ne faut pas faire du mal au prochain sous prétexte de défense.

a. 1l commence par donner un modèle, en disant: ne vous défendez point vous-mêmes, <mes> bien-aimés, comme il écrit à propos du Christ: "J’ai abandonné mon corps à ceux qui <me> frappaient, mes joues à ceux qui arrachaient ma barbe 12." Et encore: "Comme une brebis, il sera

1. 1 Co 5, 5.

2. Corinthiens 10, 32-33.

3. 2 Corinthiens 8, 21.

4. Mt 6, 1.

5. Mt 5, 16.

6. Lieux parallèles Somme Théologique 2 Q. 29, a. 1; 3 Sentences dist. 27, Q. 2, a. 1, sol. 6.

7. He 12, 14.

8. Mt 10, 34.

9. Ps 119, 7.

10. Ps 33, 15.

11. Lieu parallèle t Somme Théologique 2 Q. 40, a. 1, sol. 2.

12. Is 50, 6.



conduit à la tuerie, et comme un agneau devant celui qui le tond, il sera muet, et il n’ouvrira pas sa bouche 1." D’où ce commandement du Seigneur lui-même "Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui encore l’autre 2." Mais, comme le dit Augustin dans son livre Sur le mensonge, les actes des saints dans le Nouveau Testament […] servent d’exemples pour l’intelligence des Ecritures, exemples qui <nous> ont été donnés comme préceptes. Quant au Seigneur lui-même, ayant reçu un soufflet, il ne dit pas Voici l’autre joue, mais: "Si j’ai mal parlé, rends témoignage du mal; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu 4 ?" Il montre par là que cette disposition <à présenter> l’autre joue doit se faire dans le coeur. Car le Seigneur ne fut pas seulement disposé à être frappé sur l’autre <joue> pour le salut des hommes, mais encore à être crucifié dans tout son corps. Et comme le dit Augustin <dans sa lettre> A Marcellin, < met ce comman dement en pratique avec rectitude lorsqu’on croit que <son accomplis sement> sera utile à celui pour lequel on l’accomplit, <c’est-à-dire> pour opérer en lui la correction et la concorde, même s’il s’ensuit un autre résultat. […] Par consé quent, ces préceptes de patience doivent toujours être retenus dans la disposition du coeur, comme la bienveillance elle-même doit toujours être exécutée dans la volonté, afin de ne pas rendre le mal pour le mal. Mais il faut également faire beaucoup de choses contre le gré de personnes qu’on doit frapper avec une sorte de bienveillante sévérité 5."

1012 — b. Puis 6 <l’Apôtre> en donne la raison, lorsqu’il dit: mais faites place à la colère, c’est-à-dire au jugement divin Comme s’il disait: Confiez-vous à Dieu qui, par son jugement, peut vous défendre et vous venger, selon ce verset de la première épître de Pierre: "Rejetant en lui toute votre sollicitude, parce qu’il a lui-même soin de vous 8." Il faut comprendre ces paroles dans le cas où nous ne pouvons faire autrement selon la justice; mais parce que, selon le Deutéronome, "c’est le jugement de Dieu 9", lorsqu’on recourt à l’autorité d’un juge, soit pour demander la vengeance en vue de réprimer la malice, sans agir par motif de haine, soit encore lorsqu’on se met à couvert sous l’autorité d’un supérieur. Tel est le sens de faites place à la colère, c’est-à-dire au jugement de Dieu, dont les princes sont les ministres, comme le dit <l’Apôtre> au chapitre 13, 6. Ainsi Paul eut-il soin de se défendre par des soldats contre les embûches des Juifs, comme on le voit au chapitre 23 des Actes des Apôtres 10.

1013. — II. Lorsque <l’Apôtre> dit car il est écrit, etc., il prouve ce qu’il avait avancé. Et

A) D’abord, par l’autorité <scriptu raire>.

B) Puis, par le raisonnement [n° 101 5] 21 Ne te laisse pas vaincre par le mal, etc.

1014. — A. Sur le premier point il fait deux choses:

1. Il prouve d’abord ce qu’il a dit sur l’interdiction de la vengeance faites place à la colère, c’est-à-dire au jugement divin, car il est écrit: A moi est la vengeance, c’est-à-dire réservez-la-moi, et c’est moi qui

1. Is 53, 7.

2. Mt 5, 39.

3. Voir SAINT AUGUSTIN, De mendacio, XV, 26—27 (PL 40, 506-507).

4. Jn 18, 23.

5. Voir SAINT AUGUSTIN, Lettre CXXXVIII, 11, 11 et 14 (PL 33, 529-531; CSEL 44, 136-137 et 139-141).

6. Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 64, a. 7, s9 5.

7. Voir Glosa in Rom. XII, 19 (GPL, col. 1502 C).
8. 1 P 5, 7.

9. Dt 1, 17.

10. Ac 23, 12, .



rétribuerai 1, dit le Seigneur. Notre version lit ainsi: "A moi est la vengeance, et c’est moi qui > les "rétribuerai en son temps 2" Il est écrit au psaume 93: "Le Seigneur est le Dieu des vengeances 3." Et au livre de Nahum: "C’est un Dieu jaloux et qui se venge, le Seigneur 4."

2. Ensuite il prouve par l’autorité <scripturaire> ce qui a été dit de la bienveillance qu’on doit témoigner à ses ennemis. En s’appuyant sur cette autorité il commence par donner un enseigne ment, à savoir qu’il faut secourir ses ennemis en cas de nécessité, parce que c’est une nécessité de précepte, ainsi qu’on l’a dit plus haut. C’est ce que <l’Apôtre> dit ici: 20 Au con traire si ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s’il a soif; donne-lui à boire. "Faites du bien à ceux qui vous haïssent 5." Puis il en donne la raison, en disant: car, ce faisant, tu amasseras des charbons de feu sur sa tête. Or cela peut être interprété en mal; en voici le sens: Si toi, tu lui fais du bien, ton bien se tournera pour lui en mal, puisque ce bien <lui> fera encourir le châtiment du feu éternel en punition de son ingratitude. Mais cette interprétation répugne à la charité, contre laquelle agirait celui qui viendrait au secours de son prochain pour qu’il lui en arrive du mal. Par conséquent il faut inter préter ce passage en bien; en voici le sens car, ce faisant, c’est-à-dire en le secourant dans la nécessité, tu amasseras, à savoir tu rassembleras, sur sa tête, c’est-à-dire sur son esprit, des charbons de feu, à savoir l’amour de charité 6, dont il est dit: "Ses lampes sont des lampes de feu et de flammes 7."

Car, comme le dit Augustin dans son ouvrage La catéchèse des débutants, "il n’est pas, en effet, d’appel plus grand à l’amour que de le prévenir en aimant; et trop dur serait le coeur qui, s’étant refusé à débourser de l’amour, se refuserait à le rembourser 8."

1015. — B. En disant: 21 Ne te laisse pas vaincre par le mal, etc., <l’Apôtre> prouve ce qu’il a dit par le raisonnement. Car il est naturel à l’homme de vouloir vaincre son adversaire et de ne pas se laisser vaincre par lui. Or celui-là est vaincu par son adversaire qui est entraîné vers lui, comme l’eau est vaincue par le feu lorsqu’elle est attirée vers la chaleur du feu. Si donc un homme de bien, en raison du mal que quelqu’un lui inflige, est entraîné à lui faire du mal <à son tour>, le bon est vaincu par le méchant 9. Mais si au contraire, en raison du bien qu’un homme bon fait à son persé cuteur, il l’attire à son amour, le bon vainc le méchant. <L’Apôtre> dit donc: Ne te laisse pas vaincre par le mal, à savoir celui que te fait celui qui te persécute, jusqu’à le persécuter toi-même, mais sois vainqueur de son mal par ton bien, à savoir de telle sorte qu’en lui faisant du bien tu le tires du mal "La victoire qui triomphe du monde, c’est notre foi 10" Et: "Eux-mêmes se tour neront vers toi, et toi, tu ne te retourneras pas vers eux 11."

1. Dt 32, 35 "Mihi vindictam" version de la Vetus latina, voir DOM SABATIER, Bibi. sacr., t. III (Textus et notae ad versionem antiquam), p. 642. Voir aussi He 10, 30 (DOM SABATIER, p. 924).

2. Selon la Vulgate.

3. Ps93, 1.

4. Na 1, 2.

5. Mt 5, 44.

6. Voir Glosa in Rom. XII, 20 (GPL, col. 1503 B).
7. Q 8, 6.

8. SAINT AUGUSTIN, De catechizandis rudibus IV, 7 (BA 11/1, 64-65).

9. Il est certainement possible de rapprocher cet enseignement de celui de Gandhi et de Lanza del Vasto sur la non-violence, laquelle consiste à dire non à la violence, non à lui céder passivement répondre au mal par le mal, c’est entrer dans le cercle du mal et se laisser vaincre par lui. Mais on ne saurait trouver chez saint Thomas une condamnation de l’usage de la force lorsqu’il s’agit de maintenir la paix â l’intérieur comme à l’extérieur: la peine de mort dûment appliquée (voir le paragraphe 1008; Somme Théologique 1 Q. 100, a. 8, sol. 3; 2 Q. 25, a. 6, sol. 2; Q. 64, a. 2; Q. 108, a. 3; 3 Contra Gentiles c. 146; De virtut., Q. 2, a. 8, sol. 10; Col!, in decem praec., cap. de quint. praecept. ) ou la guerre légitime (Somme Théologique 2 Q. 40, a. 1) sont oeuvre de justice.

10. l Jn 5, 4.

11. Jr 15, 19.



CHAPITRE 13


Leçon 1 [versets 1 à 7]

58
075 (
Rm 13,1-7)


[n° 1016] 1 Que toute âme soit soumise aux pouvoirs supérieurs, car il n’y a point de pouvoir qui ne vienne de Dieu; et ceux qui sont ont été établis par Dieu.

[n° 1025] 2 C’est pourquoi celui qui résiste au pouvoir résiste à l’ordre <voulu> de Dieu; or ceux qui résistent attirent sur eux-mêmes une condamnation.

[n° 1029] 3 Car les princes ne sont pas un sujet de crainte quant aux bonnes oeuvres, mais quant aux mauvaises. Or veux-tu ne pas craindre le pouvoir? Fais le bien, et il te louera.

[n° 1034] 4 Car il est pour toi le ministre de Dieu en vue du bien. Que si tu fais le mal, crains; car ce n’est pas en vain qu’il porte le glaive, puisqu’il est le ministre de Dieu, vengeur pour la colère envers celui qui fait le mal.

[n° 1036] 5 C’est pourquoi soyez soumis par nécessité, non seulement à cause de la colère, mais encore à cause de la conscience.

[n° 1037] 6 C’est aussi pourquoi vous payez des tributs; car il s’agit de ministres de Dieu pour cela même qu’ils le servent.

[n° 1042] Rendez donc à tous ce qui leur est dû, à qui le tribut, le tribut; à qui la taxe, la taxe; à qui la crainte, la crainte; à qui l’honneur, l’honneur.

1016. Après avoir montré comment l’homme doit se comporter à l’égard de Dieu, en usant des dons de sa grâce [n° 953], l’Apôtre montre ici comment il doit se comporter à l’égard du prochain; et

D’abord, à l’égard de ses supérieurs.

Puis, à l’égard de tous [n° 1044] 8 Ne devez rien à personne, etc.

Sur le premier point il fait deux choses

I) Il exhorte les hommes à la soumission qu’ils doivent à leurs supérieurs.

II) Puis, à donner un signe de cette soumission [n° 1037]: 6 C’est aussi pourquoi vous payez des tributs, etc.

I. À propos de son exhortation à la soumission

A) Il commence par proposer un ensei gnement.

B) Puis, il en donne la raison [n° 1020] car il n’y a point de pouvoir, etc.

C) Enfin, il en tire la conclusion qu’il s’était proposée [n° 1036]: 5 C’est pourquoi soyez soumis, etc.

1017. — A. Touchant 1 son ensei gnement sur la soumission, il faut remarquer que dans l’Eglise primitive certains fidèles prétendaient ne pas devoir se soumettre aux pouvoirs terrestres, en vertu de la liberté qu’ils avaient acquise par le Christ 2, selon ce verset de Jean: "Si le Fils vous libère, vous serez vraiment libres 3." Mais la liberté accordée par le Christ, c’est la liberté de l’esprit, par laquelle nous sommes libérés du péché et de la mort 1", comme on l’a dit plus haut "La Loi de l’esprit de vie dans le Christ Jésus m’a libéré de la Loi du péché et de la mort." Toutefois la chair demeure encore soumise à la servitude, comme on l’a dit ci-dessus [n° 563s]. Par conséquent il y aura un temps où, libéré par le Christ, l’homme ne sera plus soumis à aucune servitude, qu’elle soit spirituelle ou charnelle. C’est pourquoi il est dit: "Puis ce sera la fin, quand <le Christ> remettra la royauté à Dieu le Père, après avoir détruit toute principauté, tout pouvoir et toute puissance 2." Mais cependant, tant que nous portons cette chair corruptible, il nous faut être soumis aux maîtres selon la chair. Aussi est-il dit: "Esclaves, obéissez à vos maîtres selon la chair, avec crainte et tremblement, dans la simplicité de votre coeur, comme au Christ même 3." Tel est bien ce que dit ici l’Apôtre: 1 Que toute âme soit soumise aux pouvoirs supérieurs. Or on appelle ici pouvoirs supérieurs les hommes qui ont été établis dans ces pouvoirs, pouvoirs auxquels, suivant l’ordre de la justice, nous devons être soumis: "Soyez soumis à toute créature humaine à cause de Dieu; soit au roi, comme étant au-dessus des autres, soit aux gouverneurs, comme envoyés par lui pour la punition de ceux qui font le mal et la louange des bons 4."

1018. <L’Apôtre> dit d’une manière indéfinie: aux pouvoirs supérieurs, pour qu’en raison de la supériorité de leur fonction nous leur soyons soumis, fussent-ils même mauvais. C’est pourquoi <l’Apôtre> Pierre ajoute: "Esclaves, soyez soumis à vos maîtres en toute crainte, non seulement aux bons et aux modérés, mais aussi aux difficiles 5."

1019. L’expression: "toute âme" signifie, par synecdoque 6 tout homme, comme il est dit dans la Genèse: "Cette âme sera exterminée du milieu de son peuple 7."

<L’Apôtre> se sert de cette expression parce que nous devons aux supérieurs une soumission de coeur, c’est-à-dire <une soumission qui procède> d’une volonté sans condition selon ce passage <de l’Apôtre aux> Ephésiens: "obéissez à vos maîtres [...], les servant, non à l’oeil, comme pour plaire aux hommes, mais comme des esclaves du Christ, accom plissant de coeur la volonté de Dieu; faisant votre service de bon gré, comme pour le Seigneur et non pour les hommes 9."

1020. — B. Lorsqu’il dit: car il n’y a point de pouvoir, etc., <l’Apôtre> donne la raison de son exhortation. Cette raison se fonde:

1) Premièrement, sur l’honneur.

2) Deuxièmement, sur la nécessité [n° 1026]: or ceux qui résistent, etc.

1. À propos de l’honneur:

a) Il commence par mentionner deux principes.

b) Puis, il en tire une conclusion [n° 1025]: 2 C’est pourquoi, etc.

1021. a. <L’Apôtre> 10 commence par mentionner l’origine du pouvoir, en disant: car il n‘y a point de pouvoir qui ne vienne de Dieu 11. En effet, tout ce qui se dit communément de Dieu et des créatures dérive de Dieu vers les créatures, comme on le voit pour la sagesse:

1. Rm 8, 2.

2. 1 Co 15, 24.

3. Ep 6, 5.

4. 11a 2, 13.
5. 1 P 2, 18.

6. La synecdoque est une figure de rhétorique par laquelle on prend la partie pour le tout.

7. Gn 17, 14.

8. Voir Glosa in Rom. XIII, 1 (GPL, col. 1504 A).

9. Ep 6, 5a et 6, 6-7.

10. Lieux parallèles Somme Théologique I Q. 93, a. 3, sol. 2; Q. 96, a. 4, sol. 1.

11. Aucun verset de saint Paul n’a eu, pour l’histoire politique de l’Occident, des conséquences plus importantes que celui-là. Avec le verset de Marc ("Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu", 12, 17), il constitue le fondement de la doctrine poli tique chrétienne. S’adressant à des chrétiens romains saint Paul a en vue le pouvoir de l’empereur (Néron) et celui de ses magistrats. Il s’agit d’un pouvoir païen. Cependant, affirme saint Paul, "les pouvoirs qui existent ont été établis (ordinatae) par Dieu s; bien que païens, ils obligent les chrétiens en conscience, de sorte qu’il y a faute à leur désobéir. Comment cela est-il possible ? Saint Thomas s’efforce de répondre à la question. Il commence par affirmer (n° 1017) que certains chrétiens, dans la primitive Eglise, s’esti maient affranchis des obligations légales. Puis il articule sa réponse, laquelle touche à l’origine du pouvoir politique et à son mode de désignation. Etant donné l’importance de son auteur, la doctnne thomasienne a été l’objet d’innombrables commentaires et de vives discussions les partis les plus opposés s’en sont réclamés, pour justifier parfois des préoccupations politiques assez étrangères aux données historiques du xu’ siècle. — Depuis Rousseau, la question de l’origine du pouvoir a pris une signification qu’elle n’avait pas avant lui qu’un homme puisse avoir légitimement autorité sur un autre, voilà ce qui, pour un modeme, pose problème et réclame un fondement. Alors que, pour saint Thomas (et pour saint Paul), cela va de soi la société est une réalité naturelle ordonnée au bien commun et nécessairement dotée pour cela d’une autonté politique s’exerçant sur les sujets qui la composent. Le pouvoir politique est aussi naturel que la société. L’interrogation porte donc, non sur l’ongine radicale du pouvoir, mais sur sa légitimité eu égard à la Loi nouvelle le Christ ne nous a-t-il pas affranchis de toute servitude? La solution thomasienne est simple dans son principe dans la mesure même où l’autorité politique est d’une nécessité de nature, elle est voulue par Dieu et vient de lui, puisque la loi naturelle est l’expression de la Loi éternelle (Somme Théologique 1a-2ae, Q. 93, a. 3). Le pouvoir du prince et de ses officiers et magistrats est, par lui-même et en lui-même, c’est-à-dire en dehors de ses conditions d’acqui sition et d’exercice, pouvoir de Dieu. C’est ce que saint Thomas déclare ici même (n° 1022) en soi, le pouvoir est de Dieu et institué par Dieu. Telle est son essence. Evidemment, considéré dans son existence, un pouvoir déterminé n’est légitime qu’à la mesure de sa conformité à son essence, c’est-à-dire qu’à la mesure où il réalise sa fin, le bien commun, et où il recueille le consentement de ses sujets; ces conditions étant remplies, les chrétiens doivent obéissance de plein gré au prince non chrétien préalablement établi "Il faut ici considérer que la souveraineté (dominium) et le directorat (praelatio) sont de droit humain, alors que la distinction des fidèles et des infidèles est de droit divin. Or, le droit divin, qui vient de la grêce, ne supprime pas le droit humain qui vient de la raison naturelle. C’est pourquoi la distinction des fidèles et des infidèles, prise en elle-même, ne supprime pas la souveraineté et le directorat des infidèles sur les fidèles" (Somme Théologique 2a-2 Q. 10, a. 10). Assurément, en régime de "chrétienté sacrale "(voir Charles JOURNET, L’Eglise du Verbe incarné, t. I, p. 304." ), l’Eglise peut suspendre le devoir d’obéissance au prince hérétique ou apostat, encore qu’elle ne le fasse pas toujours par crainte du scandale ou par impuissance; mais dans le cas du prince non chrétien, il ne saurait en être ainsi " Il n’appar tient pas à l’Eglise de punir l’infidélité en ceux qui n’ont ‘amais reçu la foi> (Somme Théologique 2 Q. 12, n. 2). On ne voit pas comment, dans ces conditions, on pourrait tirer la pensée thomasienne du côté de ce qu’on a appelé I’ augustinisme politique’> pour lequel l’Eglise seule peut fonder un pouvoir légitime, le pape étant l’intermédiaire obligé entre Dieu et l’empereur (dont le nom est parfois mentionné par saint Thomas, du moins celui de Rome. Voir E. GILSON, Les Méta morphoses de la Cité de Dieu, p. 77) ou le prince à qui est déléguée la souveraineté temporelle. La preuve en est que le sacre des rois ne leur communique pas le pouvoir de commander — pouvoir qu’ils possèdent, selon les divers modes légitimes de sa dévolution, avant le sacre — mais " il institue ecclésialement " le pnnce et lui confère les vertus nécessaires à sa charge " L’onction ne consacre les rois dans aucun ordre sacré, mais elle signifie seulement que l’excellence de leur pouvoir descend du Christ, en sorte que, étant eux-mêmes soumis au Christ, ils règnent sur le peuple chrétiens (S. Th., Suppl., Q. 19, a. 3, sol. 2). Cette souveraineté du pouvoir temporel est affirmée constamment par saint Thomas, même dans le De regimine(ou De regno ad regem Cypri) "On appelle roi celui à qui est dévolu le pouvoir suprême (summa regiminis) dans tes choses humaines (II, c. 3 [n° 14], éd. Léonine, t. XLII, p. 466, 1. 84-85); sur les réserves à observer dans l’usage théologique de ce traité inachevé, voir Jean-Pierre T0RRELL, Initiation à saint Thomas d’Aquin. Sa personne et son oeuvre, p. 247-249. — Cependant, la fin ultime de l’existence humaine étant la Jouissance de Dieu, et non seulement la vie vertueuse qui n’en est que le moyen, l’agent du bien vivre en société, à savoir le roi, est soumis à Celui là seul par la gràce de qui cette fin peut être attemte, à savoir Jésus—Christ, " ce pourquoi Jésus-Christ est appelé dans l’Ecriture, non seulement prêtre, mais aussi roi "Un roi règnera et il sera sage" (Jr 23, 5) d’où vient que de lui découle un sacerdoce royal. Et qui mieux est, tous les fidèles du Christ, en tant qu’ils sont ses membres, sont appelés rois et prêtres. C’est pourquoi, afin que l’ordre des réalités spirituelles soit distinct de l’ordre des réalités terrestres, l’administration de ce royaume des fidèles a été dévolue non aux rois terrestres mais aux prêtres, et prin cipalement au grand prêtre successeur de Pierre, le pontife romain vicaire du Christ, à qui tous les rois du peuple chrétien doivent être soumis comme à Notre Seigneur Jésus-Christ" (De regno ad regem Cypri, 1. 103-109). Ce qui ne veut pas dire que les rois terrestres tiendraient la réalité de leur pouvoir temporel de l’autorité spirituelle du pape: ils la tiennent de Dieu, parce que, intrinsèquement, tout pouvoir vient de Dieu. Quant au mode de dévolution, on sait que saint Thomas est partisan de l’élection du roi par le peuple "C’est au peuple que revient l’élection des princes" (Somme Théologique 1a Q. 105, a. 1); Thomas expose ici que le meilleur régime doit être monar chique dans son principe, aristocratique dans son exercice et démo cratique dans son mode de désignation du monarque, lequel peut être choisi dans le peuple). Evidemment, dans la pratique, il arrive que l’indépendance naturelle du pouvoir temporel à l’égard de l’autorité spirituelle soit difficilement conciliable avec la soumission religieuse qu’il doit à l’incontestable suprématie du pape. D’où les nuances de la pensée thomasienne. Mais elle demeure dans son ensemble ferme et équilibrée (comme le montre Jacques CHEVALIER, Histoire de la pensée, t. II, p. 544-548 et p. 808-8 10).



"Toute sagesse vient du Seigneur Dieu 1." Or le pouvoir est attribué à Dieu et aux hommes: "Dieu ne rejette point les pouvoirs, puisqu’il est lui-même puissant 2." D’où il suit que tout pouvoir humain vient de Dieu "Le Très-Haut dominera sur le royaume des hommes et il le donnera à qui il voudra 3." — "Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut 4."

1022 — Mais 5 cette doctrine semble être contredite par ce verset d’Osée: "Ils ont régné par eux-mêmes et non par moi des princes se sont élevés et je ne les ai pas connus 6." Il faut répondre que le pouvoir royal, ou le pouvoir de quelque autre dignité, peut être considéré sous trois rapports:

1. Eccli (Si) 1, 1.

2. Jb 36, 5.

3. Dn 4, 14.

4m 19, 11.

5. Lieu parallèle: Somme Théologique 1a Q. 93, a. 3.

6. Os 8, 4.

D’abord, quant au pouvoir lui-même, et sous ce rapport il vient de Dieu, "par moi règnent les rois", comme le dit le livre des Proverbes 1.

Puis, quant au mode d’acquisition de ce pouvoir; sous ce rapport, parfois il vient de Dieu, c’est-à-dire quand on acquiert ce pouvoir de manière ordonnée, selon ce verset de l’épître aux Hébreux "Personne ne s’attribue à lui-même cet honneur, sinon celui qui est appelé par Dieu, comme Aaron 2." Parfois aussi il ne vient pas de Dieu, mais de la convoitise perverse de l’homme, qui acquiert un pouvoir par ambition, ou par quelque autre moyen illicite: "N’est-ce point par notre propre force que nous avons établi nos cornes 3?"

Enfin, quant à son usage; sous ce rapport il vient parfois de Dieu, par exemple quand celui qui en est dépositaire en use suivant les préceptes de la justice divine, selon ce verset des Proverbes: "Par moi les rois règnent, et les législateurs décrètent des choses justes 4." Mais parfois il ne vient pas de Dieu, par exemple lorsqu’on use de ce pouvoir concédé contre la justice divine, selon cette parole <du psalmiste>: "Les rois de la terre se sont levés, et les princes se sont ligués contre le Seigneur et contre son Christ 5."

1023. On 6 se demande encore si le pouvoir de pécher vient de Dieu.

Il faut répondre que la puissance même par laquelle on pèche vient de Dieu. Car cette puissance par laquelle on pèche et on agit avec droiture est une même puissance.

Quand elle est ordonnée au bien, elle vient de Dieu; mais lorsqu’elle est ordonnée au péché, elle vient de l’imperfection de la créature, en tant qu’elle est issue du néant. 1024. Puis, <l’Apôtre> expose <ce principe, à savoir> que <les pouvoirs> qui sont ont été établis par Dieu. La raison en est que Dieu a fait toutes choses par sa sagesse, suivant ce passage du psaume 103 "Tu as fait toutes choses avec sagesse." Or le propre de la sagesse est de disposer toutes choses avec ordre 8: "<La sagesse>, au contraire, atteint avec force d’une extrémité à une <autre> extrémité, et elle dispose toutes choses avec douceur 9." Voilà pourquoi il faut que les effets divins soient ordonnés "Est-ce que tu connais l’ordre du ciel, et en rendras-tu raison sur la terre 10?" Mais Dieu a établi deux sortes d’ordres dans ses effets. Le premier, selon lequel toutes choses sont ordonnées à lui-même: "Dieu a opéré toutes choses pour lui-même 11." L’autre, selon lequel les effets divins sont ordonnés entre eux, comme il est dit au Deutéronome à propos du soleil, de la lune et des étoiles: < Le Seigneur ton Dieu les a créés pour servir à toutes les nations qui sont sous le ciel 12"

1. Pr 8, 15.

2. He 5, 4.

3. Am 6, 14.

4. Pr 8, 15.

5. Ps 2, 2.

6. Lieux parallèles: I Sentences dist. 42, Q. 2, a. 1; 2 Sentences dist. 44, Q. l, a. 1; 3Sentences dist. 12, Q. 2; Somme Théologique 1a let2; l Q. 79, a. 1; 2 Q. 6, a. 2, sol. 2; 3 Contra Gentiles c. 162; De malo, Q. 3, a. 1.

7. Ps 103, 24.

8. Comme le fait remarquer le père R-A. Gauthier, o. p. (voir dans son Introduction à la Somme contre les Gentils, p. 97-98), l’adage e Sapientis est ordinare. est habituellement réfèré â la Méta physique d’Aristote (I, 29 [982 a 28]; AL XXV, 1, p. 8), alors qu’en réalité il n’y figure pas tel quel. Saint Thomas le cite d’après saint Albert le Grand (voir son cours sur les Noms divins de Denys l’Aréo pagite, Opera omnia, t. XXXVII-1; et la reportation de ce cours faite par saint Thomas lui-même, ms. Napoli Naz. I B 54), lequel a dû l’emprunter à une tradition plus ancienne. — Lieux parallèles 1 Contra Gentiles c. 1; 2 Contra Gentiles c. 24; 3 Contra Gentiles c. 77; 3 Sentences dist. 4, Q. 1, a. 1, sol. 3; dist. 34, Q. 1, a. 2; Super Boet. de Trin., Q. 2, a. 2 (éd. Léonine, 1992, t. L, p. 96, col. 1, 1. 98) Ethic. 1, Iect. 1 (éd. Léonine, 1969, t. XLVII, vol. I, p, 3, col. 1 [ a 1] Super Metaph. 1, lect. 2.

9. Sg 8, 1.

10. Jb 38, 33.

11. Pr 16, 4. Deus (Dieu) au lieu de Dominus (le Seigneur), proba blement cité de mémoire.

12. Dt 4, 19.



1025. b. Lorsqu’il ajoute: 2 C’est pourquoi celui qui résiste, etc., <l’Apôtre> déduit sa proposition à partir des deux prémisses. Si en effet le pouvoir des princes, en tant que pouvoir, vient de Dieu, et si rien ne vient de Dieu sans ordre, il s’ensuit que même l’ordre, suivant lequel les inférieurs sont soumis aux pouvoirs supérieurs, vient de Dieu. C’est pourquoi celui qui résiste au pouvoir contre cet ordre, résiste à l’ordre <voulu> de Dieu. — "Ce n’est pas toi qu’ils ont rejeté, mais moi, afin que je ne règne pas sur eux 1." <Et encore>: "Celui qui vous méprise me méprise 2." Or résister à l’ordre divin c’est s’opposer à l’honneur 3 <qui s’identifie à> la vertu. Par conséquent quiconque agit contre la vertu résiste au pouvoir, en ce qui appartient à l’ordre de ce pouvoir.

1026. 2. En disant: or ceux qui résistent, etc., <l’Apôtre> montre que cette soumission est non seulement honorable 4," mais nécessaire. Et:

a) Il commence par exposer son intention.

b) Ensuite, il prouve sa proposition [n° 1029]: Car les princes ne sont pas un sujet de crainte, etc.

1027. a. 5 <L’Apôtre> dit donc d’abord: On a avancé que celui qui résiste au pouvoir résiste à l’ordre <voulu> de Dieu, or il faut éviter cette résistance en soi, en tant qu’elle s’oppose à la vertu. Cependant un grand nombre, qui n’ont point l’amour de la vertu, ne détestent point ce qui lui est opposé. De telles personnes doivent être contraintes à éviter le mal par des peines, et <l’Apôtre> ajoute à ce propos: or ceux qui résistent, à savoir à l’ordre divin, attirent sur eux-mêmes une condamnation, en agissant contre l’ordre du pouvoir. Paroles qui peuvent s’entendre ou bien de la condamnation éternelle que méritent ceux qui ne veulent pas être soumis aux pouvoirs, comme ils le doivent. Sur ce point, nous avons l’exemple de Dathan et d’Abiron qui, pour avoir résisté à Moïse et à Aaron, furent engloutis par la terre, comme le rapporte le livre des Nombres 6. Ou bien ces paroles peuvent s’entendre de la condamnation à la peine qui est infligée par les princes eux-mêmes: "Comme le rugissement du lion, ainsi est la terreur du roi; ceux qui le provoquent pèchent contre leur âme 7."

1028. Mais en sens contraire 8, il semble que la résistance que les apôtres et les martyrs ont opposée aux princes et aux pouvoirs n’a pas attiré <sur eux> la condamnation divine mais la récompense.

Il faut répondre que l’Apôtre parle ici de celui qui résiste au pouvoir inférieur, en tant qu’il a été établi par Dieu. Or l’ordre divin a ceci de particulier qu’on n’obéit pas à un pouvoir inférieur contre un pouvoir supérieur, comme, dans les choses humaines, on n’obéit pas à un proconsul contre l’empereur, ou bien au bailli contre le roi. Tout pouvoir humain est ordonné au pouvoir divin et l’on ne doit obéir à aucun pouvoir humain contre Dieu, selon ce passage des Actes: "Il faut plutôt obéir à Dieu qu’aux hommes 9."

1029. b. En disant: Car les princes, etc., <l’Apôtre> donne la raison de ce qu’il avait dit. Et

Il commence par énoncer cette raison.

Puis, à partir de la raison alléguée, il en tire un précepte utile [n° 1031]: Or veux-tu ne pas craindre le pouvoir, etc.


1. 1 R (1") 8, 7.

2. Lc 10, 16.

3. Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 145, a. 1.

4. Voir à ce propos chap. 9, y. 2; leçon 1, n. 13, p. 338 (éd. Marietti, n° 738).

5. Lieux parallèles: Somme Théologique 2 Q. 104, a. 4; Super Ioan. 2, 5 lect. 1 (éd. Marietti n° 354); Ad Tit. 3, 1, leçt. I (éd. Marietti, n° 77-79).

6. Voir Nb 16, 20s.

7. Pr 20, 2 (citation non littérale pour la seconde partie du verset qui est mise au pluriel).

8. Lieux parallèles: Somme Théologique 2a-2ae, Q. 104, a. 5 et 6; 2 Sentences dist. 44, Q. 2, a. 2; De quodlibet 12, Q. 17, a. 2.

9. Ac 5, 29.

Enfin, il montre la nécessité de ce précepte [n° 1035]: Que si tu fais le mal, etc.

1030. Il dit 1 donc d’abord: On a avancé que ceux qui résistent au pouvoir attirent sur eux-mêmes une condamnation, car les princes, qu’on appelle ici pouvoirs, ne sont pas un sujet de crainte, c’est-à-dire n’inspirent pas la crainte, quant aux bonnes oeuvres, à savoir en raison des bonnes oeuvres, mais quant aux mauvaises, c’est-à-dire en raison du mal. Il semble qu’il faille entendre ces paroles selon le motif pour lequel les princes ont été institués. Or ils ont été institués pour contraindre par la crainte de la peine ceux que l’amour de la vertu ne détermine pas à éviter le mal et à faire le bien: "Le roi qui est assis sur le trône de la justice dissipe tout le mal par son regard 2." C’est dans ce sens que l’on dit que les princes ne sont pas un sujet de crainte quant aux bonnes oeuvres, mais quant aux mauvaises, en raison de la fonction qui échoit au prince, comme on le dit aussi dans <le livre d’> Isaïe: "Un prince pensera des choses qui sont dignes d’un prince 3." D’autre part, ces paroles peuvent aussi s’entendre des mauvais princes, qui ne sont pas un sujet de crainte quant aux bonnes oeuvres, mais quant aux mauvaises parce que, si parfois ils persécutent injustement ceux qui font le bien, ces derniers cependant n’ont aucun motif de craindre, attendu que cette épreuve, s’ils la supportent avec patience, tournera à leur bien, selon ce verset de la première épître de Pierre: "Si même vous souffrez pour la justice, bien heureux serez-vous. N’ayez d’eux aucune crainte et ne vous en troublez point 4." Par ce qui précède on peut voir la raison pour laquelle ceux qui résistent au pouvoir attirent sur eux-mêmes une condamnation, soit qu’on l’entende de la condam nation qui consiste en la punition infligée contre les rebelles par les princes, soit de la condamnation qui consiste en la punition des hommes par Dieu. En effet, si les princes sont un sujet de crainte quant aux oeuvres mauvaises, il s’ensuit que celui qui résiste au pouvoir fait le mal, et qu’ainsi l’homme lui-même, en agissant mal, devient la propre cause de sa punition temporelle et éternelle.

1031. Lorsqu’il dit: Or veux-tu ne pas craindre, etc., <l’Apôtre> tire de ce qu’il avait dit un précepte utile, à savoir d’éviter la crainte des princes.

Et premièrement, par son interro gation il insinue que cela est désirable, en disant: Veux-tu ne pas craindre le pouvoir? Comme s’il disait: Cela doit plaire à l’homme: "Comme le rugissement du lion, ainsi est la terreur du roi 5."

1032. En deuxième lieu, il enseigne le moyen d’y parvenir, en disant: Fais le bien, parce que, comme il est dit: "Les rois veulent des lèvres justes: celui qui parle avec droiture sera aimé <d’eux> 6." Et encore: "Celui qui marchait dans une voie immaculée était celui qui me servait 7."

1033. Troisièmement, il en montre l’effet, en disant: Et si tu fais le bien, non seulement tu éviteras la crainte, mais il, c’est-à-dire le pouvoir, te louera aussi.Ce passage est clair si on l’entend de la fin pour laquelle les pouvoirs ont été institués. Car ils l’ont été non seulement pour détourner du mal par la crainte des peines, mais aussi pour attirer au bien par les récompenses, selon ce passage de la première épître de Pierre: "Soyez soumis à toute créature humaine à cause de Dieu;

1. Lieux parallèles Somme Théologique 1a Q. 95, a. 1, sol. I; a. 4; 3 Sentences dist. 40, Q. 1, a. 2; Ethic., 5, lect. Il (éd. Léonine, 1969, t. XLVII, vol. II, p. 301, col. 2 [ a 35-1134 b 6]); De regno II, c. 4.

2. Pr 20, 8.

3. Is 32, 8.
4. 1 P 3, 14.

5. Pr 20, 2.

6. Pr 16, 13.

7. Ps 100, 6.



soit au roi, comme étant au-dessus des autres, soit aux gouverneurs, comme envoyés par lui pour la punition de ceux qui font le mal, et la louange des bons 1." Cela est aussi vrai à l’égard des mauvais princes, dont la persécution injuste, supportée avec patience par les bons, est pour ces derniers un sujet de louange: "Voyez, nous proclamons bienheureux ceux qui ont souffert"

1034. En quatrième lieu, l’Apôtre en donne la raison, en disant: Car il est pour toi le ministre de Dieu en vue du bien. Ce qui est de toute évidence d’après l’ordre légitime des princes. Car ils sont sous le gouvernement de Dieu, comme sous celui du Prince suprême, en tant que ministres constitués: "Lorsque vous étiez les ministres de son royaume, vous n’avez pas jugé équitablement 4." Or le ministre et le maître tendent au même but: "Tel le juge du peuple, tels ses ministres 5." Et c’est pourquoi, de même que Dieu opère le bien dans ceux qui le font, ainsi en est-il aussi des princes s’ils remplissent avec rectitude leur ministère. Quant aux mauvais princes, ils sont ministres de Dieu, pour infliger selon l’ordre divin des peines, bien que ce soit sans intention de leur part, selon ce passage d’Isaïe: "Malheur à Assur ! la verge et le bâton de ma fureur, c’est lui; dans sa main est mon indignation. […] Mais lui-même ne pensera pas ainsi, et son coeur n’aura pas un pareil sentiment; mais son coeur sera porté à la destruction et à la ruine totale d’un grand nombre de nations. Car il dira: Est-ce que mes princes ne sont pas autant de rois 6?" Et selon un verset de Jérémie: "Je prendrai toutes les familles de l’aquilon, dit le Seigneur, et Nabuchodo nosor, roi de Babylone, mon serviteur; et je les amènerai sur cette terre et sur ses habitants, et sur toutes les nations qui sont autour d’elle; et je les perdrai, et j’en ferai un objet de stupeur et de sifflement, et <je les réduirai> à des solitudes éternelles 7." Et bien que ces mauvais princes affligent parfois les bons avec la permission de Dieu, <leurs persécutions> tournent au bien <des bons>, comme on l’a dit plus haut "Or nous savons que tout coopère au bien pour ceux qui aiment Dieu 8"

1035. En ajoutant: Que si tu fais le mal, etc., <l’Apôtre> montre la nécessité de ce précepte. En effet, on a dit qu’en faisant le bien tu ne craindras point les pouvoirs; au contraire si tu fais le mal, tu as un motif de craindre: "<Le Seigneur> est un effroi pour ceux qui opèrent le mal" Et: "Comme la méchanceté est timide, elle est livrée à la condamnation de tous 10."

Puis, il en assigne la raison, en disant: car ce n’est pas en vain qu’il porte le glaive.

Il parle ici suivant l’usage qu’avaient les princes de porter, comme insignes de leur pouvoir, des instruments de punition, par exemple les faisceaux pour frapper, et les haches ou les glaives pour tuer: "Fuyez la face du glaive, parce qu’il y a un glaive vengeur des iniquités 11."

Enfin, il explique cette raison, en disant: il porte, dis-le, le glaive, puisqu’il est le ministre de Dieu, vengeur, à savoir l’exécuteur de sa vengeance, pour la colère, c’est-à-dire pour exécuter <l’ordre de> la colère de Dieu, en d’autres termes son juste jugement, envers celui qui fait le mal, c’est-à-dire à l’égard du malfaiteur: "Voilà que moi j’assemblerai tous tes amants, auxquels tu t’es prostituée, et tous ceux que tu as aimés avec tous ceux que tu haïssais; et je


1. 1 P 2, 13-14.

21e 5, 11.

3. Lieu parallèle Somme Théologique 2 Q. 19, a. 3, sol. 2.

4. Sg 6, 5.

5. Ecdli (Si) 10, 2.

6. Is 10, 5 et 7.

7. Jr 25, 9.

8. Rm 8, 28.

9. Pr 10, 29.

10. Sg 17, 10.

11. Jb 19, 29.



les assemblerai contre toi de toutes parts, et je mettrai à nu ton ignominie devant eux, et ils verront toute ta turpitude. Et je te jugerai comme on juge les femmes adultères et qui ont répandu le sang; et je livrerai ton sang à la fureur et à la jalousie 1. > Et encore: "Abominables au roi sont ceux qui agissent en impies, parce que c’est par la justice que s’affermit un trône 2" Par conséquent et de toute évidence il est non seulement licite mais aussi méritoire pour des princes d’exécuter, par zèle de la justice, la vengeance contre les méchants. D’où ces paroles d’Ezéchiel "Ce sera une récompense pour son armée et pour le service qu’il m’a rendu contre Tyr 3."

1036. — C. En ajoutant: 5 C’est pourquoi soyez soumis par nécessité, etc., <l’Apôtre> déduit la conclusion qu’il avait principalement en vue, en disant: C’est pourquoi, pour les raisons alléguées, soyez soumis aux princes par nécessité, c’est-à-dire parce que cette soumission est de nécessité de salut; ou bien, soyez soumis volontairement à la nécessité que le pouvoir des princes fait peser sur vous, afin que vous fassiez de la nécessité une vertu, non seulement à cause de la colère, c’est-à-dire de la vengeance à éviter, ce qui se rapporte à la seconde raison, mais encore à cause de la conscience, c’est-à-dire en vertu d’une bonne conscience, ce qui regarde la première raison, puisque celui qui résiste au pouvoir de Dieu résiste à son ordre: "Avertis-les d’être soumis aux princes et aux pouvoirs, d’obéir au commandement, d’être prêts à toute bonne oeuvre 4."

1037. — II. En ajoutant: 6 C’est aussi pourquoi vous payez des tributs, etc., <l’Apôtre> exhorte les hommes à donner un signe de soumission à leurs supérieurs.

Et:

A) Il commence par indiquer le signe de cette soumission.

B) Puis, il exhorte <les hommes> à le donner [n° 1042]: Rendez donc à tous, etc.

1038. — A. Sur le premier point:

1. Il commence par indiquer le signe de cette soumission, en disant: C’est aussi pourquoi, c’est-à-dire parce que vous devez être soumis, vous payez des tributs, en d’autres termes vous devez les payer, à savoir comme signe de votre soumission. Voilà pourquoi <le prophète Jérémie> dit sous forme de plainte: "La reine des provinces a été assujettie au tribut 5." Or les tributs sont ainsi appelés parce qu’ils sont la rétribution des sujets à l’égard de leurs maîtres.

1039. 2. Ensuite il en donne la raison, en disant: car il s’agit de ministres de Dieu pour cela même qu’ils le servent, c’est-à-dire par le fait même qu’ils perçoivent des tributs ils sont au service de Dieu et du peuple. Comme s’il disait: Chacun doit vivre de son ministère, selon cette parole de la première épître aux Corinthiens: "Qui paît un troupeau et ne mange point de son lait 6?" Par conséquent, puisque nos princes dans leur gouvernement servent Dieu, ils doivent percevoir le tribut du peuple, comme une sorte de salaire de leur ministère. Ils ne doivent cependant pas le regarder comme leur récompense, car leur récompense consiste essentiellement en louanges et en honneurs, comme le dit le Philosophe dans l’Ethique à Nicomaque 7. Et s’ils ne s’en contentent pas, ils deviennent des tyrans. Mais cette interprétation ne doit

1. Ez 16, 37-38.

2. Pr 16, 12.

3. Ez 29, 19-20a.

4. Tt3, 1.

5. Lm 1, 1.

6. 1 Co 9, 7.

7. Voir ARISTOTE, Ethique à Nicoma que V, 6 [ bI; AL XXVI, fasc. 3, p. 241. Lieux parallèles: Ethic., 5, lect. 11 (éd Léonine, 1969, t. XLVII, vol. II, p. 301, col. 2 [ b6J); De regno I, c. 7, 8, 9 et II, C. 4.



pas s’entendre uniquement de la louange et de l’honneur selon le monde, parce qu’une telle récompense serait vaine, mais de la louange et de l’honneur selon Dieu que l’on témoigne aux princes qui gouvernent bien: "O rois des peuples, aimez la sagesse, afin de régner éternellement 1." Or <les princes> reçoivent le tribut pour leur entretien, mais ils travaillent pour la paix de tous. D’où ces paroles de l’Apôtre: "Je demande donc instamment avant tout qu’on fasse des obsécrations, des prières, des demandes, des actions de grâces pour tous les hommes, pour les rois et pour tous ceux qui sont élevés en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et chasteté 2" Et de Baruch "Priez pour la vie de Nabuchodonosor, roi de Babylone, et pour la vie de Baltazar, son fils, afin que leurs jours sur la terre soient comme les jours du ciel; et afin que Dieu nous donne la force, et qu’il éclaire nos yeux, pour que nous vivions sous l’ombre de Nabuchodonosor, roi de Babylone, et sous l’ombre de Baltazar, son fils, et que nous les servions durant de longs jours, et que nous trouvions grâce en leur présence 3."

1040. Cependant les clercs, par un privilège des princes, sont exemptés de cette dette, ce qui relève de l’équité natu relle. Aussi, chez les Gentils eux-mêmes, ceux qui vaquaient aux choses divines étaient-ils exempts des tributs. On lit en effet dans la Genèse 4 que Joseph soumit à Pharaon toute la terre d’Egypte, â l’exception de la terre des prêtres qui leur avait été donnée par le roi, <prêtres> auxquels une quantité déterminée de vivres des greniers publics était fournie. Et plus loin, on lit que dans toute la terre d’Égypte on devra payer le cinquième, â l’exception de la terre des prêtres, qui était exempte de cette sujétion. Or cette disposition est équitable pour cette raison que, tout comme les rois ont la sollicitude du bien public dans les choses temporelles, ainsi les ministres de Dieu, en servant Dieu dans les choses spirituelles, donnent une compensation au roi pour le soin qu’il met à leur <garantir> la paix.

1041. Toutefois, il faut remarquer que lorsque <l’Apôtre> dit que les tributs sont dus aux rois comme le salaire de leur travail, ces derniers peuvent doublement pécher en percevant ces tributs

a. Premièrement, s’ils ne procurent pas le bien au peuple, mais n’ont que pour seule intention de lui rayir ses biens. D’où ce qui est dit dans Ezéchiel: "Vous mangiez le lait, et vous vous couvriez des laines, et ce qui était gras, vous l’égorgiez; mais mon troupeau, vous ne le paissiez pas 6."

b. Deuxièmement, s’ils lui ravissent son bien avec violence, en transgressant la Loi instituée, qui est une sorte de pacte entre

1. Sg 6, 22.

2. 1 Tm 2, l-2.

3. Ba 1, 11-12.

4. Voir Gn 47, 20-22.

5. Voir Gn 47, 26.

6. Ez 34, 3.

7. Nous percevons mal, aujourd’hui, tout ce qu’impliquait, pour un homme de l’Antiquité ou du Moyen Age, le paiement de l’impôt la charge symbolique de cet acte est trés forte et signifie une soumission intime a l’autorité du prince et le consentement plénier â sa légitimité, puisqU’" il convient à l’homme d’user de signes sensibles pour exprimer ses sentiments’, (Somme Théologique 2a-2 Q. 85, a. 1). Cette valeur symbolique du tnbut comme signe de reconnaissance du pouvoir du prince exige que, de son côté, le prince n’impose pas au-delà de ce que les sujets peuvent lui offrir. On voit ici l’impor tance du consentement du peuple dans la conception thomasienne de l’Etat, ainsi que nous l’avons signalé à la note il, p. 446. Assu rément, en tant qu’elle est naturelle, la loi s’impose à toute raison humaine et dérive directement de la Loi étemelle dont elle est une participation. Mais le gouvernement d’un Etat particulier requiert une pareiculansation de la loi naturelle en fonction des temps et des lieux; d’où résulte une troisiéme Sorte de loi, la loi humaine (Somme Théologique Ia-2 Q. 91, a. 3), ou loi positive promulguée par le pouvoir légitime (de même qu’il existe une Loi divine positive promulguée pat Dieu dans sa Révélation). La loi positive humaine, c’est la loi politique au sens propre du terme. Saint Thomas la nomme ici (ex statuta, c’est-à-dire " loi instituée." Dès lors qu’elle est instituée, cette loi ne jouit plus de l’universalité et de la nécessité de la loi naturelle, elle ne s’impose plus d’elle-même à la raison humaine. Promulguée par la volonté du prince, elle demande en outre un accord de la volonté de ses sujets. Elle constitue donc un véritable pacte, pacte exprès (et non seulement tacite) par la prestation du tribut. Il y a donc bien, chez saint Thomas, un contrat social, ou plutôt sociopo litique. Ce contrat, toutefois, ne relève pas, comme chez Rousseau, d’une construction rationaliste a priori de la Société politique, mais de la prise en compte de la situation politique concrète des commu nautés historiquement constituées. Ces remarques permettront de saisir, sur un point déterminé de philosophie politique, la puissante cohérence de la pensée thomasienne. Sur la " forme thomiste du contrat social", voir Philippe VEYSSET, Situation de la politique dans la pensée de saint Thomas d’Aquin, p. 83-84.



le roi et le peuple, ou <en l’imposant> au-delà de ses moyens. D’où ce qui est dit dans Michée: "Ecoutez, princes de Jacob et chefs de la maison d’Israel 1." Et au verset suivant, iI ajoute "Vous qui enlevez violemment leur peau de dessus eux, et leur chair de dessus leurs os 2."

1042. B. Ensuite lorsqu’il dit: Rendez donc, etc., <l’Apôtre> exhorte <les hommes> à donner ce signe de soumission. Et premièrement, en général, en disant: Du moment que l’impôt est dû aux princes, comme ministres de Dieu, rendez donc à tous ce qui leur est dû. Ces paroles montrent qu’il y a une nécessité de justice pour les sujets de rendre aux princes ce qui leur est dû: "On présenta <au roi> un <de ses serviteurs> qui lui devait dix mille talents." Et encore: "Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu 4."

1043. Puis 5, <l’Apôtre exhorte les hommes à donner ce signe de soumission> en indiquant de manière précise, premiè rement les devoirs extérieurs, par ces mots à qui le tribut, c’est-à-dire à qui vous devez, rendez le tribut, à savoir parce qu’il est attribué au prince pour son gouvernement général, par lequel il gouverne la patrie dans la paix et la tranquillité "<Issachar> a vu que le repos était bon, il a soumis son épaule aux fardeaux et il s’est assujetti aux tributs 6." — A qui la taxe, à savoir à qui vous la devez, payez la taxe, c’est-à-dire <les droits> que l’on paie au prince en certains lieux sur les marchandises qui sont transportées pour la réparation et l’entretien des voies. Ou bien, on appelle taxe, ce qu’on donne au prince pour le transport qui s’effectue sur son territoire, tels les droits d’intendance et autres choses semblables. En second lieu, <l’Apôtre> mentionne les devoirs intérieurs. Il faut considérer que l’on doit au prince et la crainte et l’honneur; la crainte, en tant qu’il est maître, empêchant par son pouvoir les méchants de commettre le mal "Si moi je suis maître, où est ma crainte 7 ?" Et c’est pourquoi il dit à qui la crainte, c’est-à-dire à qui vous la devez, rendez la crainte.

"Mon fils, crains Dieu 8" Mais en tant que semblable à un père il procure aux bons ce qui sert à leur louange, l’honneur lui est dû "Si donc moi je suis père, où est mon honneur ?" Et c’est pourquoi <l’Apôtre> ajoute à qui l’honneur, c’est-à-dire à qui vous le devez, rendez l’honneur.

"Honorez le roi 10"

En sens contraire, il est dit au Lévitique: "N’honore point le visage d’un puissant 11."

Mais il faut entendre ce passage dans ce sens qu’on ne doit point, pour le puissant, s’écarter de la justice. Aussi lit-on ce qui suit: "Juge justement ton prochain 12."

1. Mi 3, la.

2. Mi 3, 2h.

3. Mt 18, 24.

4. Mt 22, 21.

5. Lieux parallèles Somme Théologique 2a-2 Q. 102, a. 2; Q. 103, a. 3; 3 Sentences dist. 9, Q. 2, a. 1; Super Psalmos, in Pi. 40, t4; Coil. indecem praec., c. 4.

6. Gn 49, 15.

7. Ml 1, 6.

8. Pr 24, 21. Deum ne figure pas dans la Vulgate, mais dans la Septante. Voir éd. Alfred Rahifs, vol. II, p. 224 ephoboi2 ton theon. t
9. M1 1, 6.
10. 1 P 2, 17.

11. Lv 19, 15h.

12. Lv 19, 15c.



Thomas A. sur Rm (1999) 57