Bernard - St Malachie 13011

CHAPITRE V. Il offre le sacrifice de la messe pour sa soeur défunte.

13011 11. Pendant que tout cela se passait, il perdit cette sueur dont nous avons parlé plus haut. Nous ne saurions passer sous silence les visions qu'il eut à son sujet. Il avait conçu une telle aversion pour son genre de vie toute charnelle, qu'il avait fait le voeu de ne plus la revoir jamais en ce monde. Mais quand elle fut morte, délié de son veau, il revit en esprit celle qu'il n'avait plus voulu voir dans sa chair. Une nuit il entendit en songe une voix qui lui disait que sa sueur était là, dans le vestibule, et n'avait rien pris depuis déjà trente jours entiers; il s'éveille à ces mots, et, comprenant de quel genre de nourriture elle était privée, il supputa le nombre de jours qu'il venait d'entendre nommer et il trouva qu'ils répondaient exactement au temps qui s'était écoulé depuis qu'il n'avait point offert pour elle le pain de vie descendu du ciel. Alors, comme il ne détestait que le péché, non point lame de sa sueur, il reprend sa bonne oeuvre, qu'il avait interrompue. Ce ne fut pas en vain; car peu de jours après, il lui sembla la voir arrivée à la porte de l'église, mais elle n'y pouvait point encore entrer, et la robe qu'elle portait était de couleur sombre. Il persévéra de son côté et ne passa point un jour sans lui faire l'aumône accoutumée; il la revit encore, sa robe était presque blanche, elle était entrée dans l'église, mais il ne lui était pas encore permis de toucher à l'autel. Enfin, il la revit une troisième fois; mais alors elle était mêlée à la troupe de ceux qui portaient des robes blanches et elle en avait une elle-même de la même couleur. Vous voyez cher lecteur ce que peut la prière assidue du juste. On peut donc bien dire en vérité que le royaume du ciel souffre violence et qu'il n'y a que les violents qui l'emportent. Ne vous semble-t-il pas, en effet, que la prière de Malachie brisa en quelque sorte, les portes du ciel, quand vous voyez une femme pécheresse obtenir, par la force des armes de son frère, ce qu'elle ne pouvait espérer de ses propres mérites? Mais c'est vous, ô bon Jésus, qui, par les souffrances de votre passion, faites violence an ciel; vous ôtes bon et puissant pour nous sauver, vous faites miséricorde, vous montrez la puissance de votre bras et en conservez la vertu dans votre sacrement pour les saints qui sont sur la terre jusqu'a la consommation des siècles. Car c'est bien ce sacrement qui a la force de consumer le péché, de terrasser les puissances ennemies et de porter aux cieux les âmes qui quittent la terre.




CHAPITRE VI. Malachie relève les ruines du monastère de Benchor.

13012 12. Voilà comment dans le pays de Lesmor, le Seigneur préparait son bien-aimé fils Malachie à travailler un jour à sa gloire; mais bientôt ceux qui l'avaient envoyé dans cette contrée, ne pouvant supporter plus longtemps son absence, lui écrivirent pour le rappeler parmi eux. Quand il fut retenu au milieu des siens, avec une connaissance plus approfondie de tout ce qu'il lui importait de savoir, voici quelle entreprise le Seigneur lui ménagea. Un homme riche et puissant , qui possédait Benchor et ses dépendances, fut inspiré de Dieu de remettre sa personne et tous ses biens entre les mains de Malachie; cet homme était son oncle. Mais pour Malachie, la parenté des âmes l'emportait de beaucoup sur celle du sang. Ce prince lui remit le lieu même appelé Benchor (a) dont il portait le nom, pour qu'il y construisit un monastère ou plutôt pour qu'il relevât de ses ruines celui qui y avait existé. En effet, sous le premier abbé Conge, il y avait eu en cet endroit un monastère très-célèbre, d'où étaient sortis des milliers de religieux et qui

a Ou Banchor, comme il est écrit dans les actes de saint Colomban. Ce monastère était situé dans une province d'Irlande, appelée Ultonie, et ne doit pas être confondu avec un autre monastère du même nom, dans le pays de Galles, en Angleterre.

avait été la maison mère d'une multitude d'autres monastères. C'était un endroit si saint et si fertile en saints qu'il en produisit à Dieu une admirable moisson; il y eut même un religieux de ce monastère nommé Luan, qui fonda à lui seul, dit-on, une centaine d'autres monastères de cette sainte congrégation. Tout cela peut faire comprendre au lecteur quelles ruines étaient à relever. Les rejetons de ce monastère remplirent si bien l'Irlande et l'Ecosse qu'il semble que David avait en vue ces temps admirables quand il disait: «Vous avez visité cette contrée, Seigneur, vous l'avez comme enivrée de vos grâces, et vous l'avez comblée de toutes sortes de richesses. Le grand fleuve qui l'arrose a été rempli d'eau et vous avez préparé à ses habitants de quoi les nourrir abondamment, car c'est ainsi que vous préparez cette terre pour fournir tout ce qui est nécessaire à leur nourriture. Faites couler une eau abondante dans ses sillons, et multipliez ses produits, elle se réjouira des pluies que vous lui enverrez et montrera sa joie par les fruits abondants qu'elle produira (
Ps 44,10 et seq.),» et le reste. Mais le flot de ses saints, non content de se répandre drus ce pays déborda aussi sur les contrées étrangères, car c'est de là qu'est venu dans les nôtres, saint Colomban, qui fonda le monastère de Luxeuil, où il devint le père de tout un peuple de moines. Le nombre de ses religieux était si considérable qu'on dit qu'ils formaient des choeurs qui se succédaient sans cesse pour célébrer le saint office, en sorte qu'on ne cessait ni le jour ni la nuit, de chanter les louanges de Dieu dans ce monastère.
13013 13. Mais toute cette gloire de l'ancien monastère de Benchor s'était éteinte; car il avait été détruit un jour par une troupe de pirates; ce qu'il en restait s'offrit à Malachie avec le prestige de son antique réputation, et des saints sans nombre qui dormaient sous ses ruines, comme un paradis terrestre à planter de nouveau. Sans parler de tous ceux qui s'étaient endormis en paix dans cette maison, on rapporte qu'il y périt, en un seul jour, neuf cents religieux. de la main des pirates. Les dépendances de ce monastère étaient considérables, mais Malachie se contenta du lieu saint où s'était élevé le monastère et donna le reste des terres et des propriétés à d'autres; car il n'avait pas manqué de gens pour s'en mettre en possession après la destruction du monastère. Ces nouveaux propriétaires étaient nommés à l'élection, et prenaient même le nom d'abbés, conservant ainsi le titre, mais non la chose, tel qu'il avait existé autrefois. On lui conseillait fort de ne point aliéner ces biens et de les conserver tous, mais il était trop amateur de la pauvreté pour goûter un semblable conseil; il fit donc procéder, selon l'usage, à l'élection d'un autre propriétaire, et ne conserva pour lui que l'emplacement même du monastère. Peut-être aurait-il mieux fait, comme la suite le prouva, de conserver toutes ces propriétés, s'il n'avait pris conseil en les abandonnant beaucoup plus de son humilité que du bien de la paix.
13014 14. Il partit donc, sur l'ordre de son père Imar, avec une dizaine de religieux et lorsqu'il fut arrivé sur les lieux où s'était élevé l'ancien monastère, il se mit à le reconstruire. Mais là, un jour que la hache à la main, il la brandissait en l'air pour frapper, un des ouvriers se plaça, par inadvertance, à l'endroit où le coup devait porter, et fut atteint à l'épine dorsale de toute la force qu'il avait imprimée à son instrument, et tomba sur le coup; on se précipite à lui dans la pensé qu'on va le relever mort ou mourant. Sa tunique se trouva en effet fendue depuis le haut jusqu'au bas, mais lui était sans blessure, c'est à peine si le coup avait laissé une marque imperceptible sur sa peau; il se releva sain et sauf au grand étonnement des assistants qui furent témoins de ce miracle; aussi en devinrent-ils tous plus ardents au travail et plus prompts à l'ouvrage. Ce fut le premier miracle de Malachie. En peu de jours, ils eurent construit une chapelle avec des poutres seulement équarries, mais néanmoins très-bien et très-solidement assemblées. C'était une construction toute écossaise, et assez belle. Dès lors, on y fit le service divin, comme aux anciens jours, et avec une égale piété, sinon avec un aussi grand nombre de religieux. Imar établit Malachie à la tête de ce monastère, dont il fut en même temps le supérieur et la règle vivante, aux yeux de ses frères. En effet, ceux-ci lisaient dans sa vie comme dans un livre, la manière dont ils devaient se conduire; et lui, sous les regards de Dieu, leur montrait le chemin de la justice et de la sainteté; non content des pratiques communes, il se livrait à des exercices particuliers dans lesquels il devançait tous les autres religieux; aucun d'eux ne pouvait le suivre ni atteindre à la hauteur où il s'élevait. A cette époque, il y avait un homme malade que le diable hantait et à qui il disait ouvertement de ne point se laisser séduire par les conseils de Malachie, de le recevoir même et de le tuer à coups de couteau s'il venait le voir. En apprenant cela de la bouche même du malade, ceux qui le soignaient en informèrent Malachie, pour qu'il se tînt sur ses gardes. Mais lui, sans autres armes que celles de la prière, les seules qu'il connût, va courageusement droit à l'ennemi et met le diable en fuite avec la maladie. Or, le malade s'appelle Malchus, il est frère selon la chair de notre bien-aimé Chrétien, abbé de Monaster-Mohr. Ils sont encore l'un et l'autre de ce monde, et plus unis de sentiment qu'ils ne le sont par le sang; car celui-là se vit à peine délivré que, pour témoigner sans retard sa reconnaissance à Dieu, il changea de sentiments et d'habits. Les religieux de Malachie virent donc par là que le démon en voulait à leur bonheur, mais ils n'en furent que plus solidement affermis et se tinrent plus que jamais, sur leurs gardes.



CHAPITRE VII. Saint Malachie guérit un clerc malade de la dyssenterie.

13015 15. Un clerc, nommé Michel, malade de la dyssenterie, se trouvait dans un état désespéré, quand saint Malachie lui ayant envoyé quelque chose qui avait été servi sur sa table, le guérit sur le champ. Une autre fois, le même clerc tomba de nouveau très-dangereusement malade; Saint Malachie lui rendit, non-seulement la santé de l'âme, mais aussi celle du corps, car cet homme revint à Dieu et s'attacha à Malachie, son serviteur, dans la crainte qu'il ne lui arrivât quelque chose de pire, s'il se montrait encore une fois ingrat pour un si grand bienfait et un pareil miracle. Il se trouve maintenant, m'a-t-on dit, à la tête d'un monastère situé en Ecosse, le dernier qu'ait fondé notre Saint. Toutes ces merveilles firent croître tous les jours davantage la renommée et la congrégation de Malachie, mais si grande que fut sa réputation, non-seulement parmi les siens, mais encore au dehors, les faits sur lesquels elle s'appuyait, n'étaient pas moindres qu'elle. Devenu évêque, il continua à demeurer dans son monastère, qui se trouvait dans le voisinage de sa ville épiscopale.



CHAPITRE VIII. Il est ordonné malgré lui évêque de Connerth.

13016 16. A cette époque, le siège épiscopal de Connerth était vacant depuis assez longtemps, attendu que Malachie refusait toujours de s'y laisser asseoir; mais enfin, il céda aux instances persévérantes qui lui furent faites, ainsi qu'à l'ordre formel de son cher maître et de son métropolitain. Malachie était âgé de trente ans environ, quand il devint évêque de Connerth, c'était le nom de sa ville épiscopale. A peine fut-il entré en fonctions, que cet homme de Dieu comprit qu'il allait avoir affaire avec de véritables brutes, plutôt qu'avec des hommes; car il n'avait jamais rien vu de semblable dans les contrées les moins civilisées, pour le libertinage des moeurs, la brutalité des coutumes, l'impiété en matière de foi, la barbarie des lois, l'aversion de tout frein et le débordement des moeurs. C'étaient des chrétiens de nom et de véritables païens par la conduite. On ne payait plus la dîme et on n'offrait plus de prémices au temple; la célébration des mariages avait cessé, on ne voyait plus ni confession ni pénitence, personne ne demandait ou n'administrait ces sacrements, car les ministres des autels étaient en très-petit nombre. D'ailleurs pourquoi auraient-ils été plus nombreux là où le peu qui s'y trouvaient encore n'avaient pas même trouvé à vivre de leur ministère au milieu de ces populations mauvaises. On n'entendait plus, dans les églises, ni chant ni prédications. Quel parti va prendre l'athlète du Seigneur? Reculera-t-il? Il ne le peut sans honte. Engagera-t-il la lutte? C'est s'exposer aux plus grands dangers. Mais, comme il était un véritable pasteur, non point un mercenaire; au lieu de s'enfuir, il résolut de demeurer à son poste et de donner sa vie s'il le fallait pour le salut de ses brebis: il est vrai que ce n'étaient que des loups, non point des brebis. Il resta donc au milieu de ces loups avec un zèle intrépide, essayant avec ardeur de tous les moyens pour les changer en brebis. Il les instruisait en public, les reprenait en particulier, non sans verser des larmes sur chacun d'eux, et employait tour à tour les moyens de la douceur et ceux de la sévérité, selon que la prudence le lui dictait; puis lorsqu'il voyait que tout cela était inutile, il répandait des larmes pour eux devant Dieu avec un coeur contrit et humilié. Que de fois il passa des nuits entières à prier les mains étendues en croix! Il allait chercher dans les rues et dans les places publiques ceux que sa voix ne pouvait attirer à l'église; souvent on le voyait parcourir la ville en tous sens avec ardeur, pour trouver quelqu'un qu'il pût gagner à Jésus-Christ.
13017 17. Il courait avec le même zèle dans les campagnes et par les villages, accompagné de quelques disciples fidèles qui ne le quittaient jamais, pour distribuer le pain de vie à ces à mes ingrates; il faisait toutes ces courses,:non à cheval, mais à pied, comme un véritable apôtre. O bon Jésus, que n'eut pas à souffrir, de ces peuples barbares, votre généreux athlète, que n'eut-il point à endurer de toutes ces populations auxquelles il venait prêcher la bonne nouvelle et pour lesquelles aussi il vous adressait tant de voeux!Quelle plume pourrait retracer dignement les mauvais traitements qu'il endura, les mépris qu'il essuya, les injures dont il fut accablé, ses fatigues et ses privations, enfin tout ce qu'il eut à souffrir du froid et de la nudité? Mais au milieu de tant d'ennemis, il conserva toujours la paix du coeur et ne cessa de les presser à temps et à contre temps de se convertir; priant pour ceux qui le maudissaient et n'opposant à leur insolence que le bouclier de la patience, il ne se lassait point de rendre le bien pour le mal. Comment n'aurait-il pas fini par triompher? ne se fatiguant point de frapper à la porte des coeurs, il réussit enfin à s'en faire ouvrir quelques-uns; comment aurait-il pu en être autrement après l'assurance donnée par la vérité même? Le bras de Dieu montra sa puissance comme ses lèvres avaient dit la vérité. Ce peuple s'adoucit peu à peu et sa barbarie finit par céder. Ces populations emportées par les passions mauvaises, s'apaisèrent insensiblement, s'accoutumèrent à la fin à écouter les corrections de leur pasteur, et se soumirent au frein de la discipline. Les lois barbares disparurent et firent place aux coutumes de l'Eglise Romaine, dont les usages se substituent partout aux usages contraires. On releva les églises et on y plaça des clercs; les sacrements furent de nouveau administrés selon les rites, on recommença à se confesser et à fréquenter les églises et le concubinage fit place à l'état saint du mariage. Enfin, la face des choses changea si bien, qu'on peut aujourd'hui appliquer à ces populations ce que le Seigneur disait par son Prophète: «Ce peuple qui avait cessé d'être mon peuple, est redevenu mon peuple (Os 2,14).»




CHAPITRE IX. Saint Malachie construit le monastère d'Ibrack.

13018 18. Quelques années après, un roi du Nord de l'Irlande fondant des contrées de l'Aquilon, car tout mal vient de ce côté (Jr 1,14), sur la ville épiscopale de Malachie, la détruisit de fond en comble; mais peutêtre ce malheur fut-il un bien pour ceux qui surent en profiter. Qui sait, en effet, si Dieu n'a pas voulu par là, détruire les anciennes iniquités de son peuple? Forcé de s'éloigner par cet événement, Malachie partit avec ses disciples; mais son départ ne fut point sans porter des fruits, car avec ses cent trente disciples, il fonda le monastère d'Ibrack, où le roi Cormach, chassé de son royaume, avait aussi goûté autrefois, par les soins de Malachie, quelque consolation de la miséricorde de Dieu. En revoyant Malachie, le roi se sentit transporté de joie et il mit sa personne et ses biens à sa disposition et à celle de ses compagnons, montrant par là le bon souvenir que son coeur reconnaissant conservait du bien qui lui avait été fait autrefois. Il lui donna des animaux pour l'usage de ses religieux, sans compter de grandes sommes d'or et d'argent qu'il lui fournit, avec une libéralité toute royale, pour construire un monastère; et on le vit plus d'une fois venir partager le genre de vie des religieux, avec une assiduité et une régularité telles, que sous les vêtements royaux, il se conduisait en véritable disciple de Malachie. Le Seigneur bénit cet établissement à cause de son serviteur, et en peu de temps il devint aussi riche en biens et en possessions de toutes sortes, qu'en religieux. On vit, dans ce monastère, Malachie, tout évêque et supérieur qu'il était, donner en tout l'exemple de la soumission à la règle et à la discipline; comme un véritable novice. Ainsi, il servait à son tour à la cuisine et à table pendant le dîner des religieux, et, lorsqu'il fallait chanter ou lire à l'église, il tenait à remplir ces fonctions à son rang, et s'acquittait de ce devoir avec le plus grand soin comme le de dernier des religieux quand son tour venait de les remplir. Quant à la sainte pauvreté, non-seulement il la pratiquait comme tout son monde., mais même il en donnait l'exemple, car c'était une des vertus qu'il pratiquait avec le plus d'amour et de zèle.



CHAPITRE X. Saint Malachie devient archevêque ou primat d'Irlande.

13019 19. Cependant l'archevêque Celse, qui avait ordonné Malachie diacre et prêtre, et l'avait sacré évêque, se voyant malade à l'extrémité, déclara, par une espèce de testament, qu'il n'y avait que Malachie qui dût lui succéder, et qu'il n'en connaissait point de plus digne de monter sur le premier siège archiépiscopal d'Irlande. Il le dit à tous ceux qui étaient présents à ses derniers moments, le fit savoir aux absents et recommanda, en particulier ce choix aux deux rois de Munster, et à tout ce qu'il y avait de gens influents dans le pays, au nom même de saint Patrice. Par un sentiment de vénération et de respect pour ce saint qui est regardé comme l'apôtre de toute sa nation, car c'est lui qui a converti toute l'Irlande à la foi, l'église d'Armagh qu'il a gouvernée pendant sa vie et où il repose depuis sa mort, a été, dès le principe, en tel honneur aux yeux de tous les Irlandais, que, non-seulement les évêques, les prêtres, et généralement tout le clergé du pays, mais aussi les princes et les rois de cette île sont soumis en toute obéissance au métropolitain d'Armagh, et le considèrent comme étant placé au-dessus d'eux tous. Mais par suite d'une détestable coutume introduite par l'ambition diabolique de certains seigneurs, et depuis longtemps invétérée, ce siège était devenu héréditaire dans une tribu et une famille particulière dont les seuls membres pouvaient l'occuper. Ce mal datait même de si loin qu'il s'était écoulé quinze générations depuis que les choses se passaient ainsi. Ce droit pervers ou plutôt cette iniquité digne de tout genre de mort, avait poussé de telles racines par les soins de cette famille corrompue et adultère qu'il est arrivé plusieurs fois que, n'ayant pas même un seul clerc de son sang, elle n'en donnât pas moins un évêque à l'église d'Armagh, en sorte qu'avant l'épiscopat de Celse, il y avait eu huit évêques de cette maison qui étaient mariés et n'avaient point reçu les ordres; il est vrai qu'ils étaient versés dans la connaissance des belles lettres. Cet abus avait causé dans toute l'Irlande la ruine de la discipline ecclésiastique dont nous avons parlé plus haut, et l'anéantissement de toute morale et de toute religion. C'est aussi ce qui fut cause qu'on vit succéder partout à la douceur des moeurs chrétiennes, la plus cruelle barbarie et le paganisme même renaître au milieu de populations qui n'étaient chrétiennes que de nom. Les archevêques de ces pays, par une entreprise inouïe à toute l'église, s'attribuaient le. pouvoir de changer comme bon leur semblait, et même de multiplier les évêques sans sujet, en sorte qu'un évêché au lieu d'un seul évêque qu'il devait avoir, en avait quelquefois presque autant qu'il se trouvait de paroisses. Il ne faut pas s'en étonner; car comment les membres d'un corps dont la tête était si malade, se seraient-ils bien portés?
13020 20. C'était parce qu'il gémissait profondément sur de pareils abus que Celse, qui était un homme de bien et craignant Dieu, fit tout ce qu'il put pour que Malachie lui succédât; il espérait qu'il remédierait au mal qui était depuis si longtemps enraciné dans la succession qu'il lui laissait; car il savait que non-seulement tout le monde le chérissait et le prenait pour modèle, mais encore que le Seigneur était avec lui. Ses espérances ne furent point trompées; à sa mort Malachie lui fut donné comme successeur, mais non pas de suite et sans difficulté; car un nommé Maurice, de la race perverse de ceux dont nous avons parlé plus haut, s'empara de la succession de Celse, et put se maintenir à sa place plutôt en tyran qu'en évêque pendant cinq ans entiers, grâce à l'appui qu'il trouva dans la puissance séculière. Mais les gens de bien se déclarèrent pour Malachie et le pressèrent d'accepter le fardeau que Celse lui avait légué. Quant à lui, dans son humilité, il regardait toute élévation comme une précipice, et s'excusait d'occuper un poste dont il ne pouvait, dans ces temps mauvais, se mettre en possession sans lutte. Son refus leur fit redoubler leurs instances avec plus d'ardeur encore. Parmi ceux qui le sollicitaient le plus vivement, étaient deux évêques, l'un de Lesmor, qui était Malch, dont nous avons déjà parlé, et l'autre était Gilbert, qui fut le premier légat du Saint Siège en Irlande. Il y avait déjà trois ans que Maurice profitait de son usurpation, et que Malachie refusait le titre d'archevêque d'Armagh, lorsque ces deux prélats, ne pouvant voir plus longtemps l'église d'Armagh ainsi déshonorée et le Christ méprisé, réunirent les évêques et les grands du pays et allèrent tous ensemble trouver Malachie pour lui faire violence. Mais celui-ci commença par refuser la proposition qui lui était faite, et leur représenta les difficultés de l'entreprise, la grandeur, la puissance et l'ambition de la famille qu'il s'agissait de déposséder; il disait que c'était beaucoup oser, pour un pauvre évêque comme lui, que de s'élever contre des adversaires si nombreux, si puissants, si décidés et si fortement enracinés dans la position qu'il fallait leur enlever; car ils avaient possédé depuis près de deux siècles, comme un héritage, le sanctuaire de Dieu, et ils l'occupaient encore maintenant par un des leurs. Il ajoutait qu'il lui faudrait certainement en venir aux mains et sacrifier des hommes pour les chasser; or il ne voulait point faire couler le sang pour lui; d'ailleurs il était lié lui-même à une autre épouse qu'il ne lui était pas permis de quitter.
13021 21. Mais eux, insistant d'autant plus de leur côté, disaient que telle était la volonté de Dieu et le sommaient, en vertu de leur autorité, et même sons peine d'anathème, d'accepter le fardeau qu'ils lui offraient. «C'est à la mort que vous me menez, dit-il, mais je me soumets dans l'espérance du martyre; j'y mets pourtant une condition, c'est que, si l'entreprise réussit au gré de vos espérances, si Dieu recouvre son héritage des mains de ceux qui le dévorent, il me sera permis de retourner à ma première épouse et amie, je veux dire à la pauvreté, des bras de laquelle vous venez m'arracher, et de mettre à ma place sur le siège d'Armagh, le premier évêque que vous jugerez capable de l'occuper.» Le lecteur remarquera la vertu de cet homme et sa pureté d'intention; il ne craignait pas plus la mort pour Jésus-Christ, qu'il ne recherchait les honneurs. Où trouver pureté d'intention plus grande, et une plus grande force d'âme? Il accepte le travail et le péril, et veut en laisser à un autre les fruits, c'est-à-dire la possession sûre et paisible de l'archevêché. On lui promit qu'il serait fait suivant ses désirs, il céda donc à la volonté de ceux qui lui faisaient violence, ou plutôt à la volonté de Dieu même, quelque pénible qu'elle lui semblât; il se rappela d'ailleurs qu'elle lui avait été révélée autrefois. En effet, pendant la maladie de Celse, Malachie qui était alors fort loin d'Armagh et ignorait qu'il fût malade, eut une vision dans laquelle lui apparut une femme à la stature élevée et à l'air vénérable. Lui ayant demandé qui elle était, elle avait répondu qu'elle était l'épouse de Celse et lui avait remis le bâton pastoral de ce dernier qu'elle tenait à la main puis disparut. Peu de jours après, Celse se trouvant à la dernière extrémité lui envoya sa crosse comme à son futur successeur; en la recevant, Malachie reconnut que c'était celle qu'il avait vue dans sa vision. Ce souvenir l'ébranla, et lui fit appréhender, s'il continuait, comme il ne le faisait déjà que depuis trop longtemps, à repousser la proposition qui lui était faite, il ne parût résister à la volonté de Dieu même. Toutefois il ne voulut point entrer dans sa ville épiscopale tant que vécut son compétiteur, de peur que son arrivée ne fût une occasion de troubles, qui auraient pu coûter la vie à quelques-uns de ceux à qui il venait au contraire apporter la vie. Ainsi pendant les deux années que vécut encore Maurice,, Malachie n'exerça les fonctions épiscopales que dans les autres lieux de la province et non point dans la ville même d'Armagh.




CHAPITRE XI. Saint Malachie échappe sain et sauf aux embûches qu'on lui tend et ceux qui les dressent périssent misérablement.

13022 22. La mort de Maurice ne s'était pas fait attendre; mais un certain Nigel, ou plutôt un véritable nègre, s'empara de son siège. D'ailleurs Maurice avant de mourir l'avait désigné pour son successeur, continuant ainsi, même après sa mort, son oeuvre de damnation. C'était un membre de la race maudite de Maurice et son proche parent. Mais le roi du pays, les évêques et les fidèles ne s'en concertèrent pas moins pour placer Malachie dans la chaire épiscopale. Le parti contraire entreprit de s'y opposer. Un vrai fils de Bélial, un homme prompt au mal, puissant pour l'iniquité qui connaissait parfaitement la disposition des lieux où les partisans de Malachie devaient se réunir, se fait suivre d'une nombreuse troupe de gens et se porte secrètement sur une colline située dans le voisinage et en face de l'endroit où on devait se réunir, pour fondre de là à l'improviste, sur l'assemblée occupée à tout autre chose qu'à se préparer à la lutte et en massacrer les membres innocents. Ils avaient en effet résolu de tuer le roi lui-même en même temps que Malachie, afin qu'il ne pût venger le meurtre de ce saint évêque. celui-ci informé de ce qui se tramait, entre dans l'église qui était près de là, et, levant les mains au ciel; il adresse une prière à Dieu. A l'instant le ciel se couvre d'une nuée épaisse et l'obscurité devient si profonde roue la clarté du jour fit place aux ténèbres de la nuit: la foudre et te tonnerre éclatent dans les airs, le souffle de la tempête se déchaîne; on se serait cru au dernier jour du monde, tant les éléments conjurés semblaient menacer tout d'une destruction prochaine.
13023 23. On ne peut douter, en lisant ces choses, que ce ne fut à la prière de Malachie que les éléments se soulevèrent ainsi; la tempête n'atteignit en effet que ceux qui en voulaient à ses jours, la foudre et les ténèbres n'enveloppèrent que ceux qui avaient machiné, dans leur âme, des oeuvres de ténèbres. En effet, celui qui s'était mis à la tête d'une si noire entreprise, mourut foudroyé avec trois des siens, en sorte que ceux qui avaient pris part à son crime partagèrent son sort. Le lendemain, on trouva leurs corps à demi consumés par la foudre, et déjà tombant en lambeaux, suspendus aux branches des arbres contre lesquels le souffle de la tempête les avait lancés. On en retrouva aussi trois autres à demi-morts, le reste s'était dispersé. Quant à ceux qui étaient avec Malachie, bien que se trouvant tout près de l'endroit où sévissait la tempête,ils n'en furent ni atteints ni-même incommodés. Dans ce miracle nous reconnaissons l'accomplissement de cette parole de l'Écriture: «La prière du juste pénètre les Cieux (Si 35,21).» C'est le renouvellement de l'antique miracle qui plongea toute l'Égypte dans des ténèbres épaisses, tandis que le peuple d'Israël, on jouissait de la lumière du jour (Ex 10,23).» Ce fait me rappelle ce qui se passa du temps du prophète Elie, qui tantôt rassemblait les nuées du bout du monde, et les faisait tomber en pluies abondantes sur la terre, et tantôt appelait feu du ciel sur les blasphémateurs (2R 1,10 et seq.). C'est de la même manière que le Seigneur fit éclater sa gloire, en cette circonstance, dans son serviteur Malachie.



CHAPITRE XII. Saint Malachie à force de courage et de confiance en Dieu, finit par adoucir ses ennemis et ses envieux, qui avaient pris les armes contre lui et par se les attacher.

13024 24. L'humble Malachie avait environ trente-huit ans lorsqu'il entra, en qualité de pontife et de métropolitain de toute l'Irlande, dans sa ville épiscopale d'Armagh, d'où l'usurpateur venait d'être expulsé. Lorsque le roi et ceux qui avaient contribué avec lui à l'établir dans sa chaire, furent retournés chacun chez eux, il resta seul entre les mains de Dieu, mais il resta avec des luttes au dehors et des craintes continuelles au dedans. En effet, la race de vipères qui grinçait des dents et criait à haute voix qu'on lui avait enlevé son héritage, se souleva tout entière tant au dedans qu'au dehors contre le Seigneur et contre son Christ. Nigel, au moment où il vit qu'il allait être contraint de prendre la fuite, emporta avec lui plusieurs objets insignes de l'évêché, à savoir, le texte des Évangiles qui avait appartenu à saint Patrice, une crosse chargée d'or et de pierres du plus grand prix, qu'on appelait le bâton de Jésus, parce qu'on croyait vulgairement que le Seigneur l'avait tenu et même façonné de ses propres mains. Or, ces objets passaient pour les signes de l'archiépiscopat et de la première dignité de l'église, parmi le peuple de ce pays. Ils étaient en effet bien connus et très-célèbres dans la contrée tout entière, et dans une telle vénération qu'aux yeux de ces populations sottes et insensées, il n'y avait de véritable évêque que celui qui en était en possession. Nigel, semblable à Satan, errait de tous côtés et parcourait le pays emportant avec lui, ces objets précieux qu'ils montrait partout où il allait, et à la faveur desquels il se trouvait bien accueilli en tous lieux, et gagnait facilement tous les esprits à sa cause, en même temps qu'il enlevait le plus qu'il pouvait de partisans à la cause de Malachie. Mais en voilà assez sur son compte.
13025 25. Il y avait un grand seigneur de la race impie de Maurice, que le roi de la contrée avait forcé, avant de s'éloigner de la ville, de s'engager par serment, à vivre en paix avec son nouvel évêque et dont il avait même reçu quelques Mages, comme gage de sa fidélité. Mais à peine le roi se fut-il éloigné, que, en dépit de son serment, cet homme entre dans la ville épiscopale et trame avec quelques-uns de ses proches et de ses amis, le complot de s'emparer adroitement du saint évêque et de le mettre à mort; mais ils redoutaient le peuple. Les conjurés fixèrent donc le jour et le lieu où il mettraient leur dessein à exécution, et un traître convint avec eux d'un signe pour se saisir de Malachie. Le jour venu, comme le saint évêque célébrait à l'église, l'office solennel du soir, cet impie seigneur lui envoya porter de trompeuses paroles de paix en le priant de vouloir bien lui faire l'honneur de descendre chez lui pour consommer leur réconciliation. Les assistants ayant répondu qu'il était plus convenable qu'il vint lui-même trouver son évêque et que l'église était un lieu parfaitement choisi pour cimenter la paix entre eux, (car ils soupçonnaient quelque piège caché sous ces avances), les envoyés reprirent que le prince ne serait point en sûreté en faisant cette démarche, qu'il craignait pour sa vie, s'il se présentait, et qu'il ne pouvait se fier au peuple qui, peu de jours auparavant, avait voulu le massacrer à cause de son évêque. Mais pendant que les uns faisaient des instances pour que Malachie se rendit auprès du prince et que les autres prétendaient qu'il ne devait point y aller, le saint évêque, bien plus poussé par le désir de la paix, que retenu par la crainte de la mort, s'écrie: «Laissez-moi, mes frères, laissez-moi suivre l'exemple de notre Maître; à quoi me servirait-il d'être chrétien si je n'imite pas le Christ? Peut-être me sera-t-il donné de fléchir ce tyran par mon humilité; si je n'y réussis point, je n'en triompherai pas moins en prévenant une brebis, tout pasteur que je suis et en faisant les premiers pas vers un laïc, malgré mon titre d'évêque. tu même temps j'espère, en ce qui dépend de moi, ne pas être pour vous une cause de médiocre édification, en vous donnant un pareil exemple. Après tout, que peut-il m'arriver? La mort; mais je suis loin de refuser de mourir, si, à ce prix, je puis vous donner un exemple de vie. L'évêque des évêques n'a-t-il pas dit: «Il faut qu'un évêque, au lieu de dominer sur l'héritage du Seigneur, se montre le modèle de son troupeau ()?» Or, quel exemple avons-nous appris à laisser aux autres de la part de Celui qui s'est humilié au point de se rendre obéissant jusqu'à la mort? Qui m'obtiendra la grâce de laisser à nos neveux, une pareille leçon tracée de mon sang? Je veux que vous voyiez si votre évêque a profité des leçons du Christ, et s'il a bien appris à ne pas redouter de mourir pour Lui.» Se levant donc, il se mit en marche, laissant tous les assistants verser des larmes, et le prier de ne point pousser l'amour de la mort pour Jésus-Christ, au point de laisser un si grand troupeau dans la désolation.
13026 26. Alors, mettant toute sa confiance en Dieu, il part d'un pas précipité, suivi de. trois de ses disciples seulement, qui était résolus à périr avec lui. A peine eut-il mis le pied dans la maison de son ennemi, qu'il se trouva entouré de gens armés à qui il ne pouvait opposer que le bouclier de la foi. Mais à sa vue, tous les fronts s'inclinent, une sorte de terreur s'est emparée de tous ces hommes, et Malachie aurait pu dire en parlant d'eux: «Ceux qui me persécutent le plus, se sont trouvés sans force, toute leur ardeur s'est éteinte (Ps 26,3);» car il en était ainsi, à la lettre. Il fallait voir cette victime destinée à la mort, debout au milieu de ses bourreaux le fer à la main, et personne n'oser l'immoler. On aurait dit que les bras étaient glacés (a) car pas un ne se leva pour donner le coup fatal. Quant à celui qui était l'âme du complot, il s'élance, à l'approche de Malachie, avec toute sorte de respect plutôt qu'avec de la colère. Eh bien, malheureux, où donc est le signal convenu auquel le pontife du Seigneur doit tomber percé de coups? Les signes qui t'échappent sont des marques d'honneur plutôt que des signes de mort; des preuves de déférence, non des procédés de violence. 0 miracle! ces hommes, qui avaient comploté le meurtre, n'ont plus que des offres de paix à mettre en avant. Il n'y a pas à craindre que celui qui était venu, au péril de ses jours, chercher la paix en ces lieux, la repousse quand elle lui est offerte, aussi se conclut-elle à l'instant, et le Prêtre du Seigneur trouva dès ce jour dans son ancien ennemi, un sujet aussi pacifique que soumis et dévoué. A cette nouvelle tous les fidèles se sentirent transportés d'allégresse non-seulement parce que le sang innocent fut sauvé ce jour là, mais encore parce que les âmes de bien des méchants furent ramenées dans les voies du salut par la vertu de Malachie. Une sorte de crainte se répandit dans tous les pays d'alentour, quand on sut comment Dieu avait si subitement terrassé par sa puissance, les deux plus redoutables et plus féroces ennemis de Malachie; l'un, celui dont j'ai parlé plus haut, en le frappant d'une manière terrible dans son corps, et l'autre, celui même dont je viens de raconter l'histoire, en changeant miséricordieusement les dispositions de son mur, et tous les deux d'une manière aussi merveilleuse, en les frappant au milieu même de leurs détestables complots.
13027 27. Après cet événement, le saint évêque commença à régler et à disposer dans la ville d'Armagh tout ce qui concernait son ministère avec la plus entière liberté, non point pourtant sans courir encore des dangers pour sa vie; car s'il ne se trouvait plus personne pour essayer de lui nuire ouvertement, il n'en manquait point qui lui tendissent des embûches, et contre ceux-là il n'y avait pas d'endroit où Malachie pût être en sûreté; car tous les temps leur étaient propices; aussi lui donna-t-on une garde armée pour le protéger jour et nuit; mais lui avait bien plus de confiance en Dieu qu'en elle. Il résolut de poursuivre le schismatique Nigel, dont il a été parlé plus haut, attendu qu'il séduisait une foule de gens en leur montrant les objets insignes qu'il avait emportés avec lui, et en leur persuadant à tous qu'il n'y avait que lui qui fût leur véritable évêque; il soulevait ainsi les peuples contre Malachie et contre l'unité de l'Eglise. Notre saint évêque se mit donc à l'oeuvre comme il l'avait décidé, et il ne tarda point à se voir si bien maître de toutes les voies de Nigel, ce que la grâce de Dieu, qui lui donnait une influence très-grande sur tout le monde, lui rendit facile, que cet ennemi acharné se vit contraint de faire des propositions de paix et de rendre tous les objets précieux qu'il avait enlevés; il vécut ensuite dans le calme et la soumission la plus complète. Voilà comment Malachie prospérait tous les jours davantage en dépit des périls et des fatigues, et comment il fortifiait de plus en plus sa position, plein d'espérance en Dieu et rempli de la vertu du Saint-Esprit.

a Il arriva quelque chose de semblable à Maximien, en présence de saint Ambroise; à Valentinien, devant saint Basile; à Attila, en face de saint Léon le Grand; et à Gaïnas, à la vue de saint Jean Chrysostome.





Bernard - St Malachie 13011