Bernard - St Malachie 13047

CHAPITRE XXI. Miracles opérés par Malachie, en faveur de moribonds et de femmes en couches.

13047 47. Malachie sortait un jour d'une église quand un homme se présenta à lui avec sa femme qui ne pouvait plus parler et le pria d'avoir pitié d'elle; le Saint s'arrêta sur le seuil même de l'église, au milieu de la foule, bénit cette femme et lui ordonna de réciter l'oraison dominicale, ce qu'elle fit et le peuple en bénit le Seigneur. Dans la ville d'OEnthreb, un homme riche était étendu malade sur son lit et privé, déjà depuis douze jours, de l'usage de la parole; le Saint vint le voir et lui ordonna de parler, ce qu'il fit; il reçut l'eucharistie ensuite, et, ainsi fortifié, il rendit le dernier soupir après avoir fait une bonne confession. Voilà un olivier qui n'était pas stérile dans la maison de Dieu, et qui donnait une huile agréable pour oindre et pour éclairer. En effet, par l'éclat du miracle, il éclaira les gens bien portants, et par la douceur de son bienfait il oignit un infirme en lui donnant, à l'heure de la mort, la faculté de se confesser et de communier. Un certain noble se présenta un jour à lui, pour lui dire quelque chose; pendant la conversation, cette homme plein de foi, commit le pieux larcin de trois brins de jonc qu'il déroba au coussin sur lequel le saint était assis et qu'il emporta avec lui. Dieu opéra bien des miracles par la vertu de ces pieux objets qu'un sentiment de piét4 avait fait dérober, pour récompenser la foi de cet homme et montrer la sainteté de Malachie. Il vint un jour, par hasard, dans une ville nommée Dunchal, et, comme il était à table, un noble habitant de la ville vint le prier pour sa femme qui était grosse et qui avait dépassé le temps naturel de sa délivrance, sans accoucher, ce qui étonnait beaucoup tout le monde. On croyait bien qu'il ne pouvait résulter pour elle que la mort d'un pareil état. Néémias, évêque de cette ville, qui se trouvait assis près de Malachie, unit ses instances à celles de cet homme et tous les assistants firent de même. Lui, alors: «de prends part, dit-il, à sa peine, attendu que c'est une femme de bien et pleine de modestie. Puis, remettant à son mari un verre de boisson qu'il avait bénite, il lui dit: Allez, faites-lui prendre cela, et soyez certain qu'elle n'aura pas plutôt bu ce breuvage béni; qu'elle sera délivrée sans aucun accident.» On fit ce qu'il avait prescrit et, la nuit suivante les choses se passèrent comme il l'avait promis. Une autre fois, il était assis dans un champ, avec le comte d'Ulydie pour traiter certaines affaires. Une foule nombreuse les entourait, quand une femme grosse et depuis quelque temps à terme, s'approche de lui et lui dit que, contre toutes les lois de la nature, il y avait déjà quinze mois et vingt jours qu'elle était enceinte. Malachie, touché de compassion en apprenant cet état aussi pénible pour elle que nouveau et inouï, se met en prière et obtient sa délivrance à l'instant même, en sorte qu'on put voir avec quelle facilité et quelle rapidité elle accoucha, et comment le péril d'une délivrance, qui se faisait depuis tant de temps si tristement attendre, fut conjuré par le plus heureux miracle.



CHAPITRE XXII. Malchie prédit une mort prochaine à un concubinaire endurci.

13048 48. Il se passa, au même endroit, quelque chose de non moins merveilleux, bien que tout différent comme résultat. Malachie vit un homme qui passait publiquement pour avoir chez lui la femme de son frère; c'était un chevalier, ministre du comte. Il aborde en public cet homme incestueux et, l'interpellant, comme un autre Jean Baptise, il lui dit «Il ne vous est pas permis d'avoir la femme de votre frère. «Mais lui, se conduisant de son côté en véritable Hérode, non-seulement ne l'écoute point, mais encore lui répond avec hauteur et déclare, avec serment en public, qu'il ne renverra point cette femme. Malachie indigné, car il était dévoré de l'amour de la justice, lui répartit d'un ton véhément: «Eh bien, c'est Dieu lui-même qui vous en séparera malgré vous.» Sans tenir compte de ces paroles, il s'en va la fureur dans l'âme, et, rencontrant une femme non loin de la foule qui était rassemblée à l'endroit ou était Malachie, il lui fait violence, car il était tout entier au pouvoir de Satan à qui il venait d'être livré. Une servante qui accompagnait sa maîtresse, étant revenue à la maison qui n'était pas fort éloignée de l'endroit où la chose se passait, raconta hors d'haleine ce qui venait d'arriver. A ces mots, les frères de cette femme qui se trouvaient alors chez elle, pressés de venger son déshonneur, volent en toute hâte à l'endroit indiqué, surprennent l'agresseur dans son abominable. action et l'étendent sur la place même, frappé de mille coups. L'assemblée ne s'était pas encore séparée, lorsque l'écuyer de cet homme vint annoncer ce qui était arrivé. Aussi tout le monde admira-t-il avec quelle rapidité la parole de Malachie s'était accomplie. Tout ce qu'il y avait de gens menant la même vie dans la contrée, or, il y en avait beaucoup, en apprenant cet événement, eurent peur pour eux-mêmes et se corrigèrent, lavant ainsi leurs mains dans le sang même du pécheur.




CHAPITRE XXIII. Malachie guérit miraculeusement plusieurs personnes, de différentes maladies.

13049 49. Le comte Diarmitius, était alité depuis bien longtemps; Malachie, après lui avoir fait les plus vives réprimandes, parce qu'il était un homme méchant et adonné avec excès aux plaisirs de la table, l'aspergea d'eau bénite et le fit lever aussitôt avec une santé si bien rétablie qu'il monta sur le champ à cheval; ni lui ni les siens n'espéraient point qu'il pût être jamais en état de le faire. Comme il était à Calais, un homme vint le trouver avec son fils qui était paralytique en le priant de le guérir; Malachie, après une courte prière, dit à ce père. Allez, votre fils sera guéri. Cet homme s'en alla et le lendemain il revint trouver le Saint avec son fils, qui n'était point encore rendu à la santé. Alors Malachie se lève et se penchant sur l'enfant, il prie pour lui un peu plus longtemps et le guérit, puis se tournant vers son père il lui dit: Offrez-le à Dieu. Il lui promit de le faire, mais il ne tint pas sa promesse. Quelques années plus tard, son fils retomba dans le même état, sans doute à cause de la désobéissance et du manque de parole de son père. Un autre père vint trouver Malachie de fort loin, quand notre Saint se trouvait dans la province de Munster, et lui présenta son fils qui était perclus de ses jambes. Interrogé comment cela lui était arrivé, ce père répondit qu'il croyait fort que c'était par la malice du démon, et il ajouta: C'est lui, sans doute, si je ne me trompe, qui le fit tomber dans un profond sommeil pendant qu'il jouait dans un pré, car à son réveil il était en cet état. Et, en pariant ainsi il fondait en larmes et suppliait Malachie de lui venir en aide; le saint évêque, touché de compassion pria pour lui et ordonna au malade de retourner dormir au même endroit. Il le fit et se réveilla guéri. Comme il était venu de loin, Malachie le retint pendant quelque temps avec lui; il s'en faisait accompagner dans ses promenades.
13050 50. Dans le monastère de Benchor, il y avait un pauvre qui recevait sa nourriture de la charité des religieux: il en recevait tous les jours une aumône, pour quelques petits services qu'il leur rendait au four à pain. Il était perclus des jambes depuis douze ans et ne marchait plus que sur ses mains, traînant derrière lui ses jambes mortes. Le trouvant un jour tout triste et tout chagrin devant sa cellule, Malachie lui demanda la cause de sa tristesse: et lui, vous voyez, répond-il, depuis combien de temps je suis misérablement affligé et frappé de la main de Dieu, et voici maintenant, pour comble de malheur, que les hommes qui devraient, eux au moins, avoir pitié de moi, rient de mon triste état et me reprochent mon malheur. En l'entendant parler ainsi, le Saint se s sentit touché de compassion et leva les mains et les yeux au ciel, fit une courte prière et rentra dans sa cellule; cependant le pauvre perclus se lève et, se tenant sur ses pieds il se demande s'il est véritablement guéri, si ce n'est pas un songe: il essaie de faire quelques pas, car il n'osait croire qu'il pouvait marcher; mais enfin, comme s'il se fut éveillé d'un profond sommeil, il ne doute plus de la grâce que le Seigneur lui avait faite; il marche sans crainte et revient au four en sautant de joie et en rendant grâce à Dieu. En le voyant, ceux qui le connaissaient, pensèrent qu'ils avaient un fantôme devant les yeux et furent saisis d'étonnement et frappés de stupeur. Malachie guérit de même par une seule prière un homme hydropique qui se fixa dès lors au couvent où il garda les brebis.
13051 51. La ville de Cork n'avait point d'évêque, on se mit en devoir d'en élire un, mais les électeurs se divisèrent, chacun voulant un évêque de son choix, non pas du choix de Dieu. A la nouvelle de ces dissensions Malachie se rend dans cette ville, rassemble le peuple et le clergé et fait tous ses efforts pour mettre tout le monde d'accord. Ayant persuadé aux électeurs de s'en remettre à lui pour le choix de leur évêque puisque leur église ainsi que toutes celles de l'Irlande, était plus particulièrement confiée à sa sollicitude, il leur donna aussitôt, non pas un noble du pays mais un étranger, un homme pauvre, mais saint et instruit. On va le chercher, mais on répond qu'il est couché malade dans son lit et si faible qu'il lui est impossible de sortir à moins qu'on ne le porte. Alors Malachie s'écrie: qu'il se lève, je le lui ordonne au nom du Seigneur, l'obéissance le sauvera. Que faire? il voulait obéir, mais il ne se sentait point en état de le faire; d'ailleurs, quand même il aurait pu se rendre à l'appel de Malachie, il se sentait effrayé à la pensée de devenir évêque. Ainsi, pendant que voulant obéir il en était retenu par un double ennemi de l'obéissance, le poids du mal et la crainte de l'épiscopat, l'obéissance l'emporta pourtant quand elle se sentit aidée par l'espérance de la santé. Il fait donc un effort, se bouge un peu, essaie ses forces et trouve qu'il en a plus que de coutume. La confiance lui revient alors avec les forces, et en s'accroissant, elle augmente à son tour les forces du corps. Enfin il peut se lever seul, il marche un peu plus facilement, il n'éprouve même plus de fatigue à marcher, bref il se trouve ingambe et plein de vie et se rend, sans le secours de personne, auprès de Malachie qui le prend par la main et le conduit dans la chaire de son église aux applaudissements du peuple fidèle et du clergé. Tout cela se fit sans difficulté aucune, parce qu'on vit le miracle que le Saint venait de faire, et celui-là ne fit aucune difficulté d'obéir quand il connut d'une manière si évidente que telle était la volonté même de Dieu.
13052 52. Il y avait une femme qui avait une perte de sang, c'était une personne de distinction que Malachie affectionnait tout particulièrement, non pas tant toutefois à cause de sa noblesse qu'à cause de ses moeurs. Comme elle s'affaiblissait de plus en plus par la perte de son sang et se trouvait à la dernière extrémité, elle envoya dire à l'homme de Dieu de prier pour l'âme de celle qu'il ne devait plus revoir en cette vie; c'était le seul service qu'il pût désormais lui rendre. A cette nouvelle, Malachie se sentit vivement peiné; car c'était une femme de bien et sa vie était féconde en bonnes oeuvres et en bons exemples. Comme il ne pouvait se rendre auprès d'elle assez vite, il appelle le jeune Malch, dont nous avons parlé plus haut, frère de l'abbé Chrétien, et, comme il était plus alerte que lui à cause de son âge il lui dit: «Hâtez-vous d'aller lui porter ces trois pommes sur lesquelles j'ai invoqué le nom du Seigneur; j'espère que si elle en goûte elle ne mourra point sans m'avoir vu , bien que je ne puisse pas aller aussi vite que vous.» Le jeune Malch accourt en toute hâte, selon la recommandation du Saint et arrive auprès de la mourante, comme le serviteur d'un second Elisée, mais pour être plus heureux que lui dans sa mission (1S 4,29). Il lui dit de faire tout son possible pour recevoir et pour goûter la bénédiction que Malachie lui envoie. Pleine de bonheur, en entendant prononcer le nom de Malachie, elle fait signe, car elle ne pouvait plus s'exprimer autrement, qu'on la lève un peu afin qu'elle puisse faire ce que le Saint lui ordonne. On la lève en effet, elle goûte du finit bénit et aussitôt elle se sent fortifiée, la parole lui revient et elle rend grâces à Dieu. Le Seigneur lui envoya un sommeil dont elle était privée depuis aussi longtemps que de nourriture et elle reposa doucement. Cependant le sang s'arrêta et, lorsqu'elle se réveilla peu de temps après, elle était guérie, mais se trouvait encore bien faible à cause du sang qu'elle avait perdu et du temps considérable qu'elle avait été privée de nourriture. Mais, le lendemain, l'arrivée tant désirée de Malachie et sa vue complétèrent sa guérison.




CHAPITRE XXIV. Malachie ressuscite une femme qui était morte sans avoir reçu le sacrement de l'Extrême-Onction.

13053 53. Dans le voisinage du monastère de Benchor habitait un noble dont la femme était malade à la mort. Prié de venir pour lui administrer le sacrement de l'Extrême-Onction avant qu'elle mourût, Malachie se rendit auprès d'elle: en le voyant, la malade fut transportée de joie, et se sentit ranimée par l'espérance du salut. Mais comme le Saint se préparait à lui donner les saintes huiles, tout le monde jugea qu'on pouvait remettre la cérémonie au lendemain, car on était au soir. Malachie y consentit et se retira avec ceux qui l'accompagnaient après avoir donné sa bénédiction à la malade. Mais bientôt après un grand cri se fait entendre, toute la maison est pleine de gémissements et de tumulte, on annonce qu'elle vient de mourir. Au bruit qu'il avait entendu, Malachie revient sur ses pas avec tous ses disciples, s'approche du lit et voyant que Bette femme avait rendu le dernier soupir, il se sentit l'Aine nacrée de chagrin et se reprochait de ne lui avoir point administré le sacrement avant qu'elle mourût. Levant alors les mains au ciel il s'écria: «Seigneur, j'ai été bien imprudent, c'est moi, moi seul qui suis coupable, c'est moi qui ai différé de l'administrer, car, pour elle, ce n'était point son avis qu'on tardât davantage.» Après cela il protesta devant tout le monde qu'il ne se consolerait jamais et qu'il ne prendrait point de repos qu'il n'eût restitué à cet âme la grâce dont il l'avait frustrée: alors se penchant sur la défunte, il ne cessa de gémir pendant toute la nuit et de l'arroser de ses larmes à défaut de l'huile sainte, c'était la seule onction qu'il pouvait lui faire. Mais pendant qu'il se livrait à sa douleur, il dit à ceux qui l'avaient accompagné «Pour vous veillez et priez.» Ils passèrent donc la nuit entière, lui dans les larmes, et ceux-ci dans là récitation des Psaumes. Au matin, le Seigneur exauça son serviteur parce que l'esprit même de Dieu qui intercède pour les saints avec des gémissements inénarrables, intercédait aussi pour lui. Bref, la morte ouvre les yeux, et comme une personne qui sort d'un long sommeil, se frottant le front et les temps de ses mains, elle s'assied sur son lit, puis reconnaissant Malachie elle le salue profondément. La douleur fait aussitôt place à la joie, tout le monde est saisi d'étonnement à la vue ou même seulement à la nouvelle de cet événement. Malachie ne lui en donne pas moins le sacrement de l'Extrême-Onction, sachant bien qu'il a la vertu de remettre les péchés et que la prière de la foi peut sauver le malade (Jc 5,15). Après cela, il se retira. La malade se rétablit et vécut encore quelque temps en bonne santé pour que Dieu fût glorifié à son occasion; elle fit la pénitence que Malachie lui avait imposée, puis s'endormit dans le Seigneur, après avoir fait une bonne confession de ses péchés, et s'envola dans le sein de Dieu.



CHAPITRE XXV. Divers autres miracles de Malachie opérés en faveur de différentes personnes.

13054 54. Il y eut aussi une femme qui était dominée par un tel esprit d'emportement et de fureur que non-seulement ses amis et ses proches fuyaient sa société; mais que ses propres enfants pouvaient à peine demeurer avec elle. Ce n'était chez elle que cris, emportements et tempêtes. D'un esprit audacieux, ardent, précipité, elle n'était pas moins redoutable à cause de la violence de sa langue que pour celle de ses mains; enfin c'était une femme insupportable, odieuse même à tout le monde. Ses enfants, non moins affligés pour elle que pour eux-mêmes, la conduisent à Malachie et lui exposent leur triste situation avec un torrent de larmes. Le Saint, touché de compassion à la vue du danger que courait l'âme de cette femme et de la triste position de ses enfants, la prend à l'écart et lui demande si elle s'est quelquefois confessée de ses péchés. Elle lui répond qu'elle ne l'a jamais fait. faites-le, dit-il. Elle lui obéit à l'instant, et lui, après avoir reçu sa confession, lui impose une pénitence et prie le Seigneur tout-puissant, de lui donner un esprit de douceur, et lui défend, au nom de Jésus-Christ, de se mettre désormais en colère. Elle devint si douce depuis ce moment, qu'il était évident qu'un changement si admirable, ne pouvait être que l'oeuvre de la main du Très-Haut. On dit que cette femme est encore du monde, et qu'elle est d'une douceur et d'une patience telles que rien de ce qui est capable d'exaspérer les autres, comme les pertes, les avanies et les afflictions de toutes sortes, ne peuvent même l'émouvoir. Pour moi, s'il m'est permis, comme à l'Apôtre (Rm 14,5) d'abonder dans mon propre sens, quelque sentiment contraire qu'on puisse avoir, il me semble que ce miracle est bien plus grand que celui de la résurrection d'une morte; attendu que, dans le premier cas, c'est l'homme intérieur qui est rappelé à la vie, tandis que dans le second, ce n'est que l'homme extérieur. Mais passons à d'autres miracles.
13055 55. Un homme dans une position honorable selon le monde et d'une conscience timorée , selon Dieu, vint trouver Malachie et se plaignit à lui de l'état de sécheresse où se trouvait son âme et le supplia d'obtenir de Dieu pour lui le don des larmes. Malachie souriant à la pensée qu'un homme du monde goûtait ainsi un don tout spirituel, approcha sa joue de la sienne comme pour le caresser et lui dit: «Qu'il vous soit fait selon votre demande.» A partir de ce moment, ses yeux versèrent une telle quantité de larmes qu'on aurait pu lui appliquer ces paroles de l'Ecriture:» C'est la fontaine d'un jardin, c'est un puits d'eaux vives (Ct 4,15).» Il se trouve dans la mer d'Irlande une île dont les côtes étaient autrefois très-poissonneuses, mais les péchés de ses habitants, à ce qu'on croit, lui firent perdre cette propriété, en sorte que, de très-peuplée qu'elle était, elle perdit une grande partie de ses habitants et finit par voir sa population presque réduite à rien par la privation de cet avantage. Les habitants en étaient dans l'affliction et se lamentaient du tort que l'éloignement du poisson leur causait, quand une femme, connut par une révélation, que Malachie pouvait remédier au mal par ses prières. Elle en fit part à plusieurs personnes à qui cette pensée sourit. Dieu permit que Malachie se trouvât dans cette île; car au milieu de ses courses, pour prêcher l'Evangile dans tout le pays, il s'était rendu en cet endroit, afin d'y annoncer la bonne nouvelle aux habitants du lieu. Mais ces hommes, encore barbares, qui se mettaient bien plus en peine du poisson que du reste, firent au Saint les plus vives instances pour qu'il daignât jeter un regard de compassion sur la stérilité de leur île. Malachie leur répondit d'abord qu'il n'était pas venu dans cette pensée et que, s'il avait un désir, c'était moins de prendre du poisson que des hommes; mais, voyant la foi de ces gens, il se mit à genoux sur le rivage et pria le Seigneur de ne pas leur refuser, tout indignes qu'ils en étaient, le bienfait dont ils avaient joui autrefois et qu'ils lui redemandaient avec une foi si vive. La prière du Juste monta vers le Ciel qui envoya dans ces parages une abondance de poissons, peut-être même plus grande qu'autrefois, et cette abondance dure encore à présent. Faut-il s'étonner que la prière du juste, qui est capable de pénétrer dans les cieux, ait pu pénétrer dans l'abîme et appeler du fond de la mer une si grande quantité de poissons?
13056 56. Un jour, trois évêques arrivèrent dans une ville appelée Fachart, qui est, dit-on, le pays natal de la vierge Brigide; Malachie vint faire le quatrième. Le prêtre qui les recevait, lui dit: «Que ferai-je? je n'ai point de poisson.» Malachie lui dit d'en demander aux pêcheurs de l'endroit. «Mais, reprit-il, il y a deux ans qu'ils n'en ont vu dans la rivière; aussi les pêcheurs ont-ils quitté ce canton pour aller se fixer ailleurs, quelques-uns même, ont renoncé à leur état.» Malachie lui répondit: «Faites jeter les filets au nom du Seigneur.» On le fit et on prit douze saumons, un second coup de filet en tira douze autres. Cette pêche inespérée et miraculeuse fut servie aux évêques. On ne peut douter qu'elle ne soit due aux mérites de Malachie, car, pendant deux ans encore, on continua, même après ce miracle, à ne point trouver de poisson en cet endroit.




CHAPITRE XXVI. Malachie soutient la vérité de la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie.

13057 57. Il y eut un clerc de Lesmor, d'une vie assez édifiante, à ce qu'on assure, mais d'une. foi beaucoup moins bonne. Plein de confiance dans son mince savoir, il se permit de dire que, dans l'Eucharistie, il ne se trouvait que le sacrement, non la chose sacramentelle: c'est-à-dire, une simple bénédiction, non point la vérité du corps de Jésus-Christ. Malachie l'entreprit plusieurs fois secrètement sur ce point mais sans succès (a); il le cita donc enfin à comparaître devant lui en ayant soin toutefois de ne pas admettre de laïcs à l'entretien, afin de le guérir de son erreur si faire se pouvait, non de le couvrir de confusion. Il lui fut donc permis d'exposer sa pensée en présence de clercs seulement. Après qu'il se fut évertué à établir et à défendre son erreur, avec toutes les ressources de son esprit qui n'en manquait pas, Malachie lui répondit et le réfuta victorieusement de l'avis de tous les assistants; il quitta l'assemblée couvert de confusion, mais non point converti, en disant qu'il ne cédait qu'à l'autorité de son évêque, non point à la force de la raison. Puis, s'adressant à Malachie lui-même, il lui dit: «Vous m'avez confondu sans cause car vous avez certainement parlé contre la vérité et même contre votre propre conscience.» Le Saint, affligé de voir un coeur si endurci, mais plus affligé encore du coup porté à la foi et craignant les suites qui pouvaient en résulter, assemble l'Église entière, reprend publiquement ce clerc et le presse de se convertir. Les autres évêques et le reste du clergé lui donnaient le même conseil; comme il refusait de se rendre à leurs instances, il fut déclaré hérétique et anathématisé. Au lieu de se réveiller à ce coup, il s'écrie: «Vous sacrifiez tout à un homme plutôt qu'à la vérité; mais moi je me donnerai bien de garde de sacrifier la vérité à personne.» Transporté d'une sainte colère, Malachie répond à ces mots: «Le Seigneur saura bien te contraindre à confesser la vérité a L'autre ayant répondu: «Ainsi soit-il:» l'assemblée fut levée. Mais brûlé comme par un fer chaud, il songe à fuir, car il ne peut supporter plus longtemps de vivre ainsi frappé d'infamie et déshonoré. Après avoir réuni tout ce qui lui appartenait, il se préparait à sortir, quand, atteint d'une infirmité soudaine, il s'arrête tout à coup et, privé de forces, il tombe à terre à l'endroit même, accablé de fatigues et respirant à peine. Un fou, conduit par le hasard, venant à passer par là, l'aperçoit et lui demande ce qu'il fait là. Il lui répond qu'il est atteint d'un mal très-grave, qui ne lui permet ni d'avancer ni de recaler. Et le fou de lui répondre alors . «Quand on en est là ce n'est pas d'un mal quelconque c'est de la mort même qu'on est frappé.» Or il ne parlait pas ainsi de lui-même, mais Dieu voulait punir ce clerc par la vois d'un insensé de n'avoir point voulu acquiescer à l'avis des sages; il ajouta ensuite: «Retournez chez vous je vous aiderai à le faire;» en effet il rentre en ville appuyé sur le bras de ce fou, mais en même temps il rentre en lui-même et se jette dans les bras de la miséricorde de Dieu. En même temps il fait appeler l'évêque, reconnaît la vérité et abjure son erreur. Il se confesse et reçoit l'absolution de sa faute, il demande ensuite le saint viatique et il se trouve réconcilié avec l'Eglise. Voilà comment presque au même moment sa perfide erreur fut reniée par sa propre bouche et effacée par sa mort, et comment aussi au grand étonnement de tout le monde, s'accomplit sans retard la parole de Malachie et celle de l'Ecriture qui a dit: «L'affliction vous donnera de l'intelligence.»

a On voit quelque chose de semblable dans la vie de saint Bernard, livre 8, ch. 6.



CHAPITRE XXVII. Malachie rétablit la paix et l'union entre des populations qui étaient divisées.

13058 58. Une grande mésitelligence s'était élevée entre les habitants de certaines contrées; Malachie fut appelé pour rétablir la paix entre eux, mais, comme il était occupé ailleurs il chargea un autre évêque de cette entreprise. Celui-ci s'en excusa en disant que c'était à Malachie, non pas à lui qu'on s'était adressé, qu'il ne serait certainement pas même écouté, et qu'il était inutile par conséquent qu'il se mêlât de cette affaire. Malachie lui dit: «Allez toujours et le Seigneur sera avec vous.» Il obéit en disant: «si on ne m'écoute point, j'en appellerai à votre Paternité.» Malachie sourit un peu et dit . «Eh bien soit.» Alors l'évêque qu'il avait envoyé rassemble le peuple et lui parle de paix; on l'écoute et la réconciliation a lieu; on se donne parole de part et d'autre, la paix est conclue, l'évêque lève l'assemblée. Mais l'un des deux partis voyant que l'autre sans défiance depuis que la paix était faite n'était plus sur ses gardes se mit à conspirer contre lui en disant «qu'avons-nous voulu faire? La victoire est à nous, la victoire est dans nos mains.» Il fond aussitôt sur le parti contraire. L'évêque, informé de ce qui se passait accourt en toute hâte, va trouver le chef des agresseurs et lui reproche l'injustice et la mauvaise foi de ses partisans, mais il voit ses paroles méprisées. Alors il invoque le nom de Malachie, mais sans plus de succès, car ce chef, se moquant de lui, lui répond: «Croyez-vous que pour vous être agréables, nous allons laisser échapper ceux qui nous ont fait du mal, quand Dieu même les fait tomber entre nos mains?» L'évêque, se rappelant l'entretien qu'il avait eu avec Malachie, retourne à son monastère les larmes aux yeux et le chagrin dans l'âme et s'écrie: «Où êtes-vous, ô homme de Dieu, où êtes-vous? Les choses ne se sont-elles point passées comme je vous l'avais prédit, ô mon père? Hélas, malheureux homme que je suis, j'étais allé pour le bien et il en est résulté un mal et je suis cause que les uns perdent la vie du corps et les autres celle de l'âme?» Il disait encore beaucoup d'autres choses semblables au milieu de son chagrin et de ses larmes, en s'adressant à Malachie, comme s'il eût été présent, et en faisant appel à lui contre ces malfaiteurs, Cependant les impies avec lesquels la paix avait été conclue ne cessaient point de poursuivre leurs adversaires afin de les anéantir, mais un esprit de mensonge inspira à quelques hommes la pensée de les tromper; ils vinrent les trouver, pendant qu'ils étaient en marche, et leur dirent que leurs ennemis avaient fait irruption dans leur propre pays, qu'ils mettaient tout à feu et à sang, pillaient leurs biens, s'emparaient de leurs femmes et de leurs enfants et les traînaient à leur suite. A ces mots, ils font volte face et reviennent en hâte sur leurs pas; les derniers suivent les premiers sans savoir ni où ils allaient ni ce qui était arrivé; car ils n'avaient pas tous entendu ce qui s'était dit; mais lorsque en arrivant, ils ne trouvèrent rien de ce qu'on leur avait annoncé, ils furent saisis de confusion et se trouvèrent pris dans les filets de leur propre malice. Ils reconnurent alors qu'ils avaient été victimes d'un esprit de mensonge, parce qu'ils avaient trompé eux-mêmes un envoyé de Malachie et méprisé son nom. Quant à l'évêque en apprenant que ces traîtres avaient été déçus dans leurs coupables espérances, il revint plein de joie vers Malachie à qui il rendit un compte exact de tout ce qui s'était passé.
13059 59. Malachie informé que la paix avait été rompue de la sorte, choisit une occasion favorable pour la rétablir de nouveau par lui-même entre ces différentes populations et la leur fit sceller par des promesses et des serments réciproques. Alors ceux qui avaient eu à souffrir de la première violation de la paix, pleins de ressentiment de ce qui leur était arrivé, ne tinrent compte ni des conventions faites, ni de la recommandation de Malachie, et complotèrent de rendre la pareille à leurs ennemis. S'étant donc réunis, ils marchaient tous ensemble comme un seul homme pour tomber à l'improviste sur leurs adversaires et leur faire éprouver le même sort qu'ils avaient eux-mêmes essuyé. Après avoir traversé sans obstacle un grand fleuve qui les séparait des ennemis, ils se virent arrêtés par un tout petit ruisseau qu'ils rencontrèrent un peu plus loin. Ce petit ruisseau leur parut en effet un grand fleuve qui s'opposait partout à leur passage. Etonnés de le trouver si large et si profond, quand ils l'avaient vu jusqu'alors si petit, ils se disent les uns aux autres: «D'où vient qu'il est débordé? Le temps est beau, il ne pleut point, personne ne se rappelle qu'il ait plu dernièrement. D'ailleurs aucun de nous n'a vu ce ruisseau gonflé à ce point, même après les plus grandes pluies, ni déborder de la, sorte et couvrir ainsi les terres cultivées et les prairies même dans les plus mauvais temps. Il y a là le doigt de Dieu qui a voulu nous couper le chemin à cause de Malachie, son saint serviteur, dont nous avons violé le pacte et transgressé les ordres.» Voilà comment ceux-ci s'en retournèrent aussi chez eux, couverts de honte et de confusion et sans avoir pu rien faire. Le fruit de ce miracle se répandit dans toute la contrée, et on bénissait Dieu qui sait ainsi surprendre les sages mêmes de ce monde dans leurs propres ruses, briser la puissance des méchants et manifester avec gloire celle de son Christ.
13060 60. Il y avait un grand de la contrée qui s'était brouillé avec le roi; ce fut Malachie qui les réconcilia ensemble; car ce grand ne voulait point s'en rapporter au roi pour la paix qu'il voulait faire avec lui, si elle ne se concluait sous les auspices de Malachie ou de tout autre personnage pour qui il eût une égale vénération. Il n'avait pas tort, comme l'événement ne tarda point à le montrer. En effet, le roi, toujours animé des mêmes sentiments de haine qu'il avait eus contre ce seigneur, tomba sur lui à l'improviste; car, dans sa sécurité, celui-ci ne se tenait point sur ses gardes, et il le jeta dans les fers. Ses gens vinrent le réclamer à celui qui avait été le médiateur de la paix, ils ne s'attendaient plus à rien moins qu'à se voir mettre à mort. Malachie ne, , savait quel parti prendre; d'ailleurs il ne pouvait faire autre chose que de re courir à son moyen ordinaire; il rassemble tous ses amis et tous ses disciples qui étaient en grand nombre, et va droit trouver le roi et le prier de relâcher son prisonnier; mais il essuie un refus. Alors Malachie s'écrie: «Vous avez mal agi contre le Seigneur, contre moi et même contre vous en violant votre parole; si vous n'en tenez pas compte, il n'en est pas de même de moi; cet homme s'est fié à moi, et s'il meurt, c'est moi qui vous l'aurai livré; je répondrai de son sang. Qui donc a pu vous inspirer la pensée de faire de moi un traître et de vous un parjure? Sachez donc que ni moi ni ceux-ci ne goûterons de nourriture que ce seigneur n'ait recouvré la liberté.» Après avoir ainsi parlé, il se rend à l'église et invoque le Tout-Puissant, et tous ceux qui l'avaient suivi font de même, lui demandant avec des gémissements et des larmes qu'il veuille bien délivrer l'innocent des mains d'un injuste prévaricateur. Ils passèrent tous ensemble le jour et la nuit suivante dans le jeûne et la prière. On rapporta au roi ce qui se passait, mais il ne s'en montra que plus endurci quand il aurait dû se laisser toucher; il s'enfuit, cet homme vraiment charnel, craignant que s'il restait trop près de Malachie, il ne pût échapper à la vertu de sa prière, comme si elle ne pouvait se faire sentir dans le secret et ne fût pas possible d'atteindre au loin. O malheureux prince, tu veux poser des limites au pouvoir de la prière des saints! Mais la prière n'est pas comme la flèche qu'on lance, pour lui échapper comme on échappe au trait que l'on a décoché. Où iras-tu te cacher de l'Esprit de Dieu qui la porte, et en quel endroit pourras-tu fuir pour échapper à ses regards? Si tu fuis, elle te poursuit; si tu te caches, elle te trouve; tu vas devenir aveugle, tu seras privé de la vue du jour, afin que ta voies et comprennes mieux qu'il est dur de regimber contre l'aiguillon (Ac 9,5). Eh bien, reconnais maintenant par ta propre expérience combien sont perçantes les flèches que le Tout-Puissant a décochées contre toi; si elles se sont émoussées sur ton coeur de pierre, elles ont pu du moins pénétrer bien avant dans tes yeux. Plût au Ciel que par ces ténèbres de l'âme, elles eussent pu pénétrer jusqu'à ton coeur, et que l'affliction eût aveuglé ton intelligence. Il fallait voir ce nouveau Saul, conduit aussi par la main et amené vers son Ananie; ce loup dévorant conduit aux pieds d'une brebis pour lui rendre sa proie. Il la lui rendit et recouvra la vue, car Malachie était une si douce brebis qu'il eut pitié-même de ce loup. A ce sujet, le lecteur remarquera au milieu de quels gens se trouvait Malachie, quels princes l'entouraient, au sein de quelles populations il vivait. N'était-il pas à la lettre le frère des dragons et le compagnon des autruches (Jb 30,23) 7 Aussi le Seigneur lui donna-t-il le pouvoir de marcher sur les serpents et sur les scorpions, de lier les rois mêmes en leur enchaînant les pieds, et les princes de la terre, en leur mettant des fers aux mains. Mais écoutez la suite.




Bernard - St Malachie 13047