Jérôme - oeuvres morales 1100

CHAPITRE XI. Néant des plaisirs de la jeunesse.

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V. 1. " Répandez votre pain sur la face des eaux , parce que vous le trouverez après un long espace de temps. " L'Ecclésiaste nous exhorte ici à faire l'aumône, à donner à quiconque nous demande et à faire du bien à tous généralement; car celui qui sème sur une terre arrosée et bien préparée s'attend à recueillir beaucoup de fruit : de même aussi celui qui donne aux pauvres répand dans leur sein, non des grains de blé, mais des pains entiers, afin qu'ils se multiplient par une espèce d'usure, et qu'il reçoive au jour du jugement beaucoup plus qu'il n'avait donné.

Expliquons encore ceci d'une autre manière et disons: Partout où vous verrez des hommes arrosés de cette eau dont il est dit : " Il sortira des fleuves d'eau vive de son coeur, " semez sans crainte le pain de la sagesse, le pain de la raison et le pain de vos avertissements , parce que si vous le faites souvent , vous trouverez que vous n'avez pas jeté en vain la bonne semence de votre doctrine. Je crois que c'est de la même chose que parle Isaïe lorsqu'il dit: .. Heureux celui qui sème sur le bord de l'eau où l'on voit les vestiges des pieds du boeuf et de l'âne! " C'est-à-dire qu'on doit estimer heureux un docteur et un maître qui répand ses instructions salutaires sur des coeurs arrosés des eaux de la grâce, soit qu'il parle aux Juifs, soit qu'il enseigne les gentils.

V. 2. " Faites-en part à sept ou même à huit personnes, parce que vous ignorez le mal qui doit venir sur la terre. " Ézéchiel fait aussi mention de sept ou huit degrés par lesquels on montait au temple. Nous voyons encore dans l'ordre du psautier que le psaume cent dix-huitième, qui est tout de morale, est mis devant les quinze psaumes graduels qui nous donnent d'abord la connaissance de la loi et qui nous font arriver, après avoir monté sept degrés, à la connaissance de l'Evangile,dont l'octave est la figure. On nous ordonne donc de croire et de recevoir avec une égale vénération l'ancien et le nouveau Testament. Praecipitur ergo ut in utrumque Testamentum, tam velus scilicet quam novum, pari veneratione credamus.

Les Juifs ont donné " la part à sept " en croyant au jour du sabbat; mais ils ne l'ont pas donnée " à huit, " parce qu'ils ont refusé de croire en la résurrection glorieuse de notre seigneur Jésus-Christ, qui arriva le huitième jour et le lendemain du sabbat, que nous appelons le jour du Seigneur, ou "la Dominique. " Au contraire, les hérésiarques Marcion et Manès, et tous ceux qui déchirent avec fureur la loi ancienne, ont donné " la part à huit " en recevant l'Évangile, mais ils n'ont pas voulu la donner " à sept, " parce qu'ils ont rejeté l'Ancien-Testament. Pour nous qui sommes véritablement fidèles , nous sommes obligés de croire à l'un et à l'autre Testament , et nous ne saurions comprendre les tourments et les (200) justes peines que Dieu prépare dès à présent à ceux qui ne veulent pas s'élever au-dessus de leurs sentiments tout terrestres, je veux dire aux Juifs et aux hérétiques, qui rejettent l'un ou l'autre des deux Testaments. Au reste les Hébreux expliquent ainsi les paroles de l'Ecclésiaste : Soyez observateurs du sabbat et de la circoncision, de peur que, si vous y manquez, il ne vous survienne quelque malheur auquel vous ne vous attendez pas.

V. 3. " Lorsque les nuées se seront remplies, elles répandront la pluie sur la terre. Si l'arbre tombe du côté du midi ou du côté du septentrion, en quelque lieu qu'il sera tombé, il v demeurera. "Obéissez exactement aux commandements qu'on vous a faits ci-dessus, afin que les nuées répandent sur vous les eaux de leur pluie ; car vous devez vous attendre que vous demeurerez après votre mort au même lieu et à la même place que vous vous serez préparée pour l'avenir, soit au midi, soit au septentrion.

Voici une autre explication. Nous vous avons dit auparavant : " Répandez votre pain sur les eaux, " et donnez à tous ceux qui vous demandent; car dès que les nuées sont remplies, elles répandent abondamment leurs richesses sur les mortels; et vous qui êtes comparé à un arbre, quelque longue que soit la durée de vos jours , vous ne subsisterez pas éternellement; mais vous serez coupé par la violence de la mort , qui vous renversera et fera tomber à terre , de même que les arbres seront renversés par les orages et les tempêtes. Tombé que vous serez, vous demeurerez au même lieu où la mort vous laissera , soit qu'elle vous ait trouvé cruel et impitoyable envers vos frères, soit que vous soyez mort riche en bonnes oeuvres et plein de douceur et de miséricorde.

On peut encore, par allusion aux nuées, expliquer en cette troisième manière les paroles de l'Ecclésiaste. Le Psalmiste dit à Dieu: "Votre vérité s'élève jusqu'aux nuées; " et Dieu, dans Isaïe, menace les Juifs impies sous la figure d'une vigne qui produit de mauvais fruits : " Je commanderai aux nuées de ne pas répandre leur pluie sur cette vigne. " Par là nous sommes avertis que les prophètes sont comparés à des nuées, et que tous les saints qui se sont remplis peu à peu de bons enseignements et d'une céleste doctrine sont propres à les répandre sur le coeur de leurs auditeurs. C'est à eux qu'il appartient de dire: " Que mes discours soient reçus comme une douce pluie et comme les eaux du ciel qui se répandent sur la terre." C'est cette terre à qui Moïse a dit d'abord dans son cantique du Deutéronome : " Que la terre écoute mes paroles. " Quant à la dernière partie du même verset : " Et si l'arbre tombe au midi ou au septentrion , en quelque lieu qu'il sera tombé , il y demeurera, " il faut lui donner du jour par cet endroit du prophète Abacuc: " Dieu viendra de Theman; " ce que les autres interprètes ont traduit : " Dieu viendra du midi ; " et, autant que j'en puis juger, le côté du midi se prend toujours en bonne part. Ainsi nous lisons dans le Cantique des cantiques, " Levez-vous, aquilon, " c'est-à-dire : retirez-vous et vous en allez, et vous, midi, venez vers nous. "L'arbre donc qui sera tombé et qui aura été coupé par la nécessité de la mort, inévitable à tous les hommes, s'il a péché pendant qu'il était debout, qu'il était sur pied, il demeurera du côté du septentrion; mais s'il a porté de bons fruits et dignes de la ferveur de la charité, de la chaleur du midi, il demeurera éternellement du bon côté, du côté du midi. Il n'y a point d'arbre qui ne tombe et ne demeure ou du côté d'aquilon, ou du côté du midi. Isaïe nous a marqué la même chose en ces termes: " Je dirai à l'aquilon : Faites venir, et je dirai au midi : Ne vous y opposez pas; car on ne dit jamais au vent du midi ou au vent d'orient : " Faites venir, amenez-nous, " parce qu'il faudrait que ces vents soufflassent dans les autres régions et que ceux qu'on voudrait faire venir habitassent dans d'autres pays. L'aquilon mène donc vers le midi, et le vent du couchant d'hiver porte ses habitants du côté d'orient; car on est incapable d'aucun progrès et d'aucune perfection quand on est fixe dans un même endroit, et qu'on persévère toujours dans les mêmes fautes.

V. 4. " Celui qui observe les vents ne sème point, et celui qui considère les nuées ne moissonnera jamais. " Celui qui fait attention sur les personnes auxquelles il donne, et qui ne donne pas à tous indifféremment, manque souvent à donner à ceux qui sont dignes d'être assistés. Disons encore dans un autre sens : Celui qui sème la parole de Dieu et qui ne prêche que dans un temps favorable, lorsque tout le monde l'écoute volontiers et lui applaudit par ses louanges, celui-là, dis-je, est un prédicateur (202) négligent et paresseux , un laboureur lâche et fainéant, parce qu'il arrive assez souvent, au milieu de la prospérité , que des vents contraires s'élèvent coutre nous lorsque nous n'y pensions point du tout. Il faut donc prêcher en tout temps la parole de Dieu et ne point discontinuer; il faut suivre la règle que saint Paul a donnée à son disciple Timothée en lui ordonnant de prêcher et d'annoncer la parole de l'Évangile, de presser les hommes à temps et à contre-temps , sans se lasser jamais de les tolérer et de les instruire. II ne faut pas dans te temps de la foi craindre les tempêtes, ni s'arrêter à la considération des nuées qui nous paraissent contraires, de peur que ces paroles des Proverbes ne s'accomplissent en nous : " Ceux qui abandonnent la sagesse et qui louent l'impiété sont semblables à une pluie violente qui n'apporte aucune utilité sur la terre. " Semons donc même au milieu des orages et des tempêtes, sans considérer de quel côté tournent les nuées et sans craindre les vents contraires. Ne disons pas: Ce temps est favorable, celui-ci est peu commode; puisque nous ignorons les voies et la volonté de l'esprit qui gouverne tout le monde.

V. 5. " Comme vous ignorez par où l'âme vient et de quelle manière les os se forment dans les entrailles d'une femme grosse, ainsi vous ne connaissez point les oeuvres de Dieu , qui est le créateur de toutes choses. " Comme vous n'avez point. de connaissance du chemin que prend l'âme et l'esprit quand il entre dans le corps d'un petit enfant pour lui donner la vie, de même vous n'avez point de connaissance des ouvrages du créateur de toutes choses. Vous n'oseriez pas dire que vous comprenez distinctement comment les veines si différentes des os se forment dans le sein d'une femme grosse; comment une même matière et le même élément fournit à tant de membres différents la substance dont ils sont composés. Quelque vile et méprisable que soit cette matière, elle ne laisse pas de prendre mille diverses formes :une partie fait des chairs molles et délicates; une autre partie se durcit jusqu'à se changer en os; une autre palpite dans les veilles, et une autre enfin se convertit en nerfs pour servir de ligatures à toute la structure du corps humain. Par toutes ces considérations l'Écriture nous apprend à ne pas craindre les adversités et les événements qui pourraient nous être contraires,

à ne pas juger témérairement des vents et des nuées dont nous avons parlé ci-dessus ; parce qu'un semeur doit aller sou chemin sans interrompre sa course, et en laisser l'évenement aux desseins de Dieu et à la volonté du Seigneur; car" l'événement et le succès ne dépend point de celui qui veut et de celui qui court, mais de Dieu qui l'ait miséricorde.

V. 6, 7 et 8. " Semez votre grain dès le matin, et que le soir votre main ne cesse point de semer, parce que vous ne savez lequel des deux lèvera plus tôt, celui-ci ou celui là ; que si l'un et l'autre. lèvent, ce sera encore mieux. La lumière est douce et l'oeil se plait à voir le soleil. Si un homme vit beaucoup d'années et. qu'il se réjouisse dans tout ce temps-là, il doit se souvenir de ce temps de ténèbres et de cette multitude de jours qui, étant venus, convaincront de vanité tout le passé. " Prenez garde de ne point faire de choix et de ne point avoir des égards quand vous faites du bien ; et quand vous avez commencé à bien faire, persévérez toujours dans la pratique des bonnes oeuvres; que le soir vous trouve plein des oeuvres de justice que vous aurez faites le matin, et que le soleil du lendemain ajoute à son lever beaucoup d'actes de vertu sur les oeuvres de miséricorde que vous aurez faites le soir du ,jour précédent ; car vous vivez dans l'incertitude du mérite de vos actions, et vous lie savez point quelles sont les plus agréables à Dieu et celles qu'il doit un jour récompenser. Il peut néanmoins arriver que les uns et les autres lui seront agréables; ce qui sera encore un plus grand avantage pour vous.

Expliquons ceci autrement. Travaillez également et dans votre jeunesse et dans votre vieillesse, et lie dites point : J'ai fait tout ce que j'ai pu pendant que j'étais jeune et robuste: maintenant que je suis vieux il est juste que je me repose; car vous ne. savez point si c'est dans vos premiers temps que vous avez été agréable à Dieu, ou si ce bonheur vous arrivera lorsque vous serez dans un âge fort avancé; et après tout, une jeunesse bien réglée et modérée ne sert de rien à un homme qui passe sa vieillesse dans le luxe et dans la volupté. Nec prodest adolescentiae frugalitas, si senecta ducatur in luxu. C'est pourquoi il est dit dans les Écritures que, si le juste vient à s'égarer des voies de la justice, en quelque jour qu'il s'en sera détourné, toutes ses premières bonnes oeuvres (203) ne sauraient le délivrer de la mort; mais si vous êtes constant à faire le bien en tout temps, et si vous marchez toujours d'un pied ferme et tout uni dans les voies de la vertu, vous verrez alors Dieu le Père, la source des lumières, la plus douce et la plus agréable de toutes les clartés. Vous jouirez aussi des rayons et de la lumière du soleil de justice, qui n'est autre que Jésus-Christ , selon le témoignage que lui rendent les prophètes et les autres écrivains sacrés. Au reste , si vous vivez une longue suite de jours, si vous jouissez pendant tout ce temps-là de toutes sortes de biens et de prospérités, et si vous l'ailes beaucoup de bonnes oeuvres, ayant toujours l'idée de la mort présente aux yeux de votre esprit et dans votre mémoire, vous regarderez toutes les choses présentes comme des biens périssables, fragiles, inconstants et méprisables.


CHAPITRE XII. Etre et bonheur de l'homme au milieu du néant.

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V. 1 , 2 et 3. " Réjouissez vous donc, jeune homme , dans le temps de votre jeunesse; que votre coeur soit dans l'allégresse pendant votre premier âge ; marchez selon les voies de votre coeur et selon les regards de vos veux , et sachez que Dieu vous fera rendre compte en son jugement de toutes ces choses. Bannissez la colère de votre coeur, éloignez le mal de votre chair ; car la jeunesse et le plaisir ne sont que vanité. Souvenez-vous de votre Créateur pendant les jours de votre jeunesse, avant que le temps de l'affliction soit arrivé et que vous approchiez des années dont vous direz : Ce temps me déplait infiniment. " Il n'y a pas deux auteurs qui soient d'accord dans l'explication de ce chapitre, et l'on peut presque dire ici ce que l'on dit ordinairement: Autant de têtes que d'opinions. Et tot pene sententiae quot homines. Comme ce serait donc une chose trop longue et fort ennuyeuse de rapporter tous ces sentiments différents et les opinions particulières de chacun de ces auteurs, aussi bien que les raisons qu'ils emploient pour prouver ce qu'ils avancent, je prie les lecteurs sages et prudents de se contenter que je leur indique seulement les sentiments des uns et des autres et que je les leur montre dans un abrégé, de même que l'on fait voir dans une petite carte la vaste étendue de l'univers et la circonférence de l'Océan dont la terre est environnée.

Les Hébreux se persuadent que ce commandement de l'Ecclésiaste s'adresse à ceux de leur nation, et que l'Ecriture leur ordonne de jouir de leurs biens et de leurs richesses avant le temps de leur captivité, où ils doivent changer le temps agréable de la jeunesse avec les jours tristes de la vieillesse et de l'âge caduc. Qu'Israël donc jouisse de tout ce qu’il y a de plus agréable et de plus délicieux , de tout ce qui réjouit le coeur, de tout ce qui plait aux yeux ; qu'il ne laisse échapper aucun de ces plaisirs pendant qu'ils sont présents et qu'il est en son pouvoir d'en jouir tranquillement. Qu'il se souvienne pourtant, au milieu de ces divertissements, qu'il rendra compte de toutes ces choses et que Dieu en jugera; ce qui l'oblige à rejeter les mauvaises pensées et à fuir tous les attraits de la volupté, ne doutant point que l'imprudence et la précipitation n'accompagnent toujours l'âge de la jeunesse. Qu'il se souvienne aussi de son Créateur avant le temps de la captivité de Babylone et de celle des Romains, qui seront des jours qui lui déplairont infiniment. C'est l'explication que donnent les Juifs aux paroles de l'Ecclésiaste ; et depuis cet endroit où il est dit : " Avant que le soleil, la lune et les étoiles ne perdent leur lumière, " jusques à cet autre où nous lisons : " Et que la poussière ne retourne eu terre comme elle était , et que l'esprit ne retourne au Seigneur qui l'avait donné , " ils prétendent qu'on doit entendre tous ces passages de l'état où ils se trouvent aujourd'hui ; mais comme cette explication est forcée et qu'elle est faite de plusieurs parties séparées et découpées qui mènent trop loin, nous n'en parlerons qu'en peu de mots , nous contentant d'en luire ce petit extrait.

Réjouissez-vous donc , ô Israël , dans votre jeunesse, avant que d'être réduit à l'état misérable d'une honteuse captivité dont votre vieillesse sera accablée ; jouissez, pendant que vous êtes encore en liberté, de tous les plaisirs dont nous avons parlé ci-dessus; n'attendez pas d'être mené captif dans une terre étrangère , quand on vous dépouillera de toute votre gloire et qu'on vous enlèvera vos ,juges, vos saints et vos docteurs, qui brillent chez vous comme (204)

des astres, et qui vous éclairent de leur lumière comme le soleil et la lune éclairent la terre. N'attendez pas la venue de Nabuchodonosor ni celle de Titus, fils de Vespasien, qui seront invités et appelés par la voix des prophètes pour accomplir ce qu'ils ont prédit de votre ruine. Hâtez-vous de prévenir ce jour malheureux où les saints anges, protecteurs et habitants du temple, doivent l'abandonner et s'en retirer , lorsque vos braves dans les armées perdront leur valeur et leurs forces , que vos magistrats ne seront plus obéis et que vos prophètes, qui recevaient autrefois d'en haut la lumière de leurs visions, tomberont dans l'obscurité et dans les ténèbres. Alors les portes du temple seront fermées pour jamais, et Jérusalem sera humiliée sous les pieds des Chaldéens que la voix de Jérémie, comme celle d'un oiseau, fera venir de leur pays, quand on n'entendra plus ni le chant des Psaumes ni les voix des instruments de musique dont le temple avait retenti pendant tant de siècles. C'est en ce temps-là que vos ennemis mêmes; qui viendront à Jérusalem pour en faire le siège, auront un profond respect pour la majesté de Dieu, et qu'ils craindront en chemin, dans le doute où ils seront , ne sachant pas s'ils doivent périr devant votre ville, comme l'armée de Sennacherib qui fut exterminée par la main d'un ange. Les Hébreux disent que ce respect et cette crainte des Chaldéens sont marqués par ces paroles : " Ils auront une crainte respectueuse pour le Très-haut, et ils trembleront de peur dans le chemin. " En ces jours-là on verra " fleurir l'amandier, " c'est-à-dire : le bâton et la baguette que Jérémie vit dès le commencement de ses révélations et de ses prophéties ; " et la sauterelle s'engraissera, " laquelle est la figure de Nabuchodonosor et de ses soldats. Alors enfin " les câpres se dissiperont," ce qui signifie que l'amitié de Dieu et d'Israël sera détruite et anéantie. Nous expliquerons plus au long ce que veut dire le mot capparis," un câprier, " dans le commentaire particulier de chaque verset. Toutes ces choses arriveront un jour au peuple d'Israël, parce que l'homme doit s'en aller clans la maison de son éternité et retourner de l'héritage de Dieu vers le ciel. Lorsqu'il partira pour s'en aller en sa demeure , on verra des gens qui pleureront dans les rues et dans les places publiques , et qui se lamenteront à cause du siège de la ville, qui sera serrée de près. Réjouissez-vous donc, ô Israël, dans votre jeunesse, " avant que la chaîne d'argent soit rompue, " c'est-à-dire: pendant que vous êtes en honneur et en gloire; " avant que la bandelette d'or se retire, " avant que l'arche d'alliance vous soit enlevée; " avant que la cruche se brise sur la fontaine et que la roue se rompe sur la citerne, " pendant que vous avez présentés les tables de la loi dans le Saint des saints , et la grâce du Saint-Esprit; avant que vous retourniez au pays de Babylone d'où vous étiez sorti étant encore dans Abraham votre aïeul , et avant que d'être brisé dans la Mésopotamie d'où vous étiez autrefois venu; avant enfin que les grâces et les lumières de la prophétie dont vos saints étaient inspirés ne retournent à l'auteur de tous ces dons. Voilà l'explication que les Juifs même d'aujourd'hui donnent au dernier chapitre de l'Ecclésiaste, en appliquant le sens à toute leur nation comme s'ils ne faisaient tous qu'une seule personne.

Mais, pour moi, je vais tâcher de l'expliquer d'une autre manière, et de reprendre l'ordre et la liaison du discours comme j'ai déjà fait dans les chapitres précédents. " Réjouissez vous, jeune homme, dans votre jeunesse; que votre coeur soit dans l'allégresse pendant votre premier âge ; marchez selon les voies de votre coeur et selon les regards de vos yeux; et sachez que Dieu vous fera rendre compte en son jugement de toutes ces choses. " Il a dit auparavant que la lumière de cette vie est très douce et très agréable, et que l'homme doit se réjouir pendant qu'il jouit de la vie et de la lumière du soleil , ne laissant point échapper aucune occasion de se divertir et de prendre ses délices, parce que tout passe dans ce monde comme une ombre, et qu'il faut s'attendre à une nuit éternelle qui vient à grands pas vers nous , où il ne nous sera plus permis de jouir des biens que nous aurons pu amasser et mettre en réserve. C'est pourquoi il exhorte ici les hommes et leur dit : Réjouissez-vous , ô jeune homme , dans la fleur de votre âge, et n'attendez pas que la vieillesse et la mort, qui succéderont bientôt, vous ravissent vos plaisirs et les douceurs de la vie; jouissez de tout ce qui flatte davantage les inclinations de votre coeur et de tout ce qu'il y a de plus beau et de plus (205) agréable à la vue ; faites servir , en un mot, à vos plaisirs toutes les choses de ce monde , et usez-en comme bon vous semble. Mais parce qu'on pouvait lui reprocher que de tels discours sentaient l'impiété et le libertinage, et qu'ils n'étaient dignes que des enseignements d'un Epicure, il corrige par ce qu'il ajoute tout ce qui pouvait causer du scandale : " Et sachez," dit-il, " que Dieu vous fera rendre compte de toutes ces choses dans son jugement. " Usez en sorte des créatures et des choses de ce monde que vous ne perdiez pas le souvenir du jugement que vous devez subir à la fin des siècles " Bannissez la colère de votre coeur ; éloignez le mal de votre chair, parce que la jeunesse et l'imprudence ne sont que vanité. " Il comprend dans la colère toutes les passions de l'âme, et dans le mal ou la malice de la chair toutes les voluptés animales et corporelles. Jouissez à la bonne heure, dit-il, de tous les biens de ce monde ; mais jouissez-en de telle manière que vous ne péchiez point, ni par aucun mauvais désir ni par aucune action extérieure de votre corps. Renoncez à vos anciennes habitudes criminelles et aux vices qui vous ont dominé dans votre jeunesse, où vous étiez assujetti à toutes les vanités et aux folies du siècle; car la jeunesse est attachée avec l'imprudence et la folie. " Souvenez-vous donc de votre Créateur dans le temps de votre jeunesse, avant que ces jours d'affliction et de peine soient arrivés où vous direz : Ces jours et ces années me déplaisent extrêmement. " Conservez toujours la mémoire de celui qui vous a créé, et réglez si bien vos démarches dans votre jeunesse que vous ne perdiez jamais le souvenir de la mort, qui doit être le terme de votre vie et de toutes vos actions. Faites cela pendant que vous êtes en liberté de le faire, et prévenez ces temps fâcheux où vos joies se changeront en tristesse.

V. 4. " Avant que le soleil, la lumière, la lune et les étoiles s'obscurcissent, et que les nuées retournent après la pluie. " Si nous entendons ces paroles de la consommation des siècles et de la fin générale de toutes choses, nous trouverons qu'elles s'accordent avec ce que notre Seigneur a dit dans saint Mathieu : " L'affliction de ces jours sera grande , et telle qu'il n'y en a point eu de pareille depuis le commencement. du monde, et qu'il n'y en aura jamais; car le soleil s'obscurcira et la lune n'éclairera point; les étoiles tomberont du ciel, et ce qu'il y a de plus ferme dans le ciel sera ébranlé; " mais si l'on applique ce verset à latin et à la monde chaque particulier, il est aisé de comprendre que le soleil, la lune, les étoiles, les nuées et les pluies cessent entièrement pour un homme mort, et ne sont plus d'aucun usage pour lui.

On peut aussi l'appliquer aux fidèles et leur dire : Réjouissez-vous, ô jeune peuple, ô peuple chrétien , et jouissez de tous les dons spirituels que Dieu vous avait préparés; mais sachez que vous devez rendre compte de toutes ces grâces devant le tribunal du Seigneur. Ne vous flattez pas de vous voir enté sur l'olivier franc depuis que les premières branches en ont été rompues et séparées ; ne vous croyez pas en sûreté comme si tout était fait pour vous; travaillez au contraire avec plus de soin pour bannir la colère de votre coeur et pour mortifier dans votre corps tous les appétits de la chair; et après que vous serez mort à tous les vices ayez toujours présent dans l'esprit votre Créateur, afin que vous marchiez continuellement en la présence de votre Dieu. Prévenez par cette pratique de piété ces jours d'affliction que personne ne pourra détourner ni éviter, quand les peines préparées pour les impies viendront fondre sur eux et les accableront; car si vous venez à tomber dans le péché, le soleil de justice se couchera pour vous en plein midi ; la lumière de la science vous sera enlevée en même temps; et la splendeur de la lune, c'est-à-dire de l’Eglise de Jésus-Christ, vous sera entièrement ôtée. Les étoiles mêmes dont il est dit : " Vous brillez au milieu de la gentilité comme les étoiles du firmament; " et ailleurs : " Une étoile a plus de clarté qu'une autre étoile, " ces étoiles, dis-je, tomberont à votre égard et retireront toute leur clarté. Enfin les prophètes du Seigneur, destinés à répandre les pluies de leurs saints discours sur le coeur des fidèles, vous voyant indigne d'être arrosé de leurs eaux, retourneront au lieu de leur propre demeure, retourneront à celui qui les avait envoyés.

V. 5. " Lorsque les gardes de la maison seront ébranlés et qu'il n'y aura plus d'hommes forts et robustes. " On peut entendre par "les gardes de la maison, " le soleil, la lune, et tout le reste des astres ; ou, si l'on veut: les (206) anges qui veillent à la conservation de ce monde. " Les hommes forts " qui doivent périr, ou qui doivent s'égarer, selon la version d'Aquila, sont les démons, qui tirent ce nom de " forts" du diable, leur prince, qui est appelé " fort dans l'Evangile , et que notre seigneur Jésus-Christ a terrassé et enchaîné pour piller et ravager sa maison, suivant l'idée que la parabole des évangélistes nous en a donnée. Ceux qui expliquent à la lettre ce passage de l’Ecclésiaste, et qui en rapportent le sens au corps humain, disent qu'il faut entendre par " les gardes de la maison, " les côtes du corps, qui servent de défense aux intestins , et qui mettent à couvert les parties molles et délicates qui composent les entrailles. Ils entendent encore par "les hommes forts " les jambes, parce qu'elles soutiennent et qu'elles portent tout le reste du corps. Le soleil , la lune et les étoiles signifient aussi dans leur sentiment : les yeux, les oreilles, les narines et tous les autres sens qui résident dans la tête. Ils parlent de cette manière parce que la suite du texte les oblige à quitter l’opinion de ceux qui prétendent que le soleil, la lune et les autres astres marquent les anges et les démons; ce qui ne peut avoir aucune liaison avec les membres du corps, dont l'Ecclésiaste va parler dans les versets suivants.

V. 6. " Lorsque celles qui avaient coutume de moudre seront réduites en petit nombre et ne seront plus d'usage, et que ceux qui regardaient par les trous seront couverts de ténèbres. " Cela doit arriver vers la fin du monde, quand la charité de plusieurs sera refroidie, et que les personnes établies pour enseigner les autres et pour leur préparer une nourriture céleste auront quitté la terre et seront montées au ciel ; car alors ceux qui avaient quelque connaissance de la vérité, et qui la voyaient comme par des trous, tomberont dans l'aveuglement et se trouveront environnés de ténèbres. On reconnaît manifestement l'imperfection des connaissances que nous avons dans ce monde par ces paroles que Dieu dit à Moïse : " Je vous placerai dans le trou du rocher, et vous nie verrez seulement par-derrière. " Si ce grand ami de Dieu n'a pu le voir qu'imparfaitement et comme par-derrière, combien plus les autres mines seront-elles sujettes à ne regarder la vérité que comme par des trous et dans l'obscurité des cavernes et

des rochers ! Quanto magis unaquaeque anima per foramen et quasdam tenebrosas casernas aspicit veritatem!

Il y en a qui croient qu'il faut entendre ceci des dents, parce que ce sont elles qui ont coutume de moudre des viandes dans la bouche, et d'amollir le pain pour le préparer à être digéré. Les dents sont réduites en petit nombre dans le temps d'une extrême vieillesse, ou tombent même les unes après les autres. Les yeux aussi se couvrent de ténèbres après avoir perla leur vivacité et la force de leur lumière, qui se répandait au dehors comme des éclairs.

V. 7. " Quand on fermera les portes de la rue, quand la voix de celle qui avait coutume de moudre sera basse, qu'on se lèvera au citant de l'oiseau et que les filles de l'harmonie deviendront sourdes. " Tout cesse dans l’Eglise quand la doctrine et les bonnes instructions viennent à manquer, quand il ne sort plus de la bouche des maîtres et des prédicateurs, qui sont les vieillards et les anciens, qu'une voix faible et peu articulée, parce qu'ils ont peu de dents pour faire bien entendre la distinction des sons et peu de force pour hausser la voix. Alors aussi l'on trouve fermées les portes dans les rues, car la porte de la vérité et de la saine doctrine est fermée dans les rues et dans les places publiques quand la charité de plusieurs se trouve refroidie dans l'Eglise et parmi les chrétiens.

" Et qu'on se lèvera au chant de l'oiseau ",ou "du passereau. " Nous pouvons appliquer à propos ces paroles quand nous voyons que de grands pécheurs font pénitence, et qu'ils se relèvent. du lit de leurs crimes et de leurs mauvaises habitudes, y étant exhortés par la voix des prêtres ou des évêques. Remarquez en passant que le mot " passereau " ne se prend jamais en mauvaise part dans l'Ecriture ; au moins, je ne me souviens pas d'avoir jamais lu de passage où ce terme n'eût un sens favorable et avantageux. Je prends pour exemples ces passages suivants du livre des Psaumes. Le juste, parlant dans le dixième psaume, dit ces premiers mots : "J'ai mis ma confiance au Seigneur: pourquoi donc me dites-vous : Gagnez comme un passereau les montagnes pour vous dérober à la poursuite de vos ennemis; " et ailleurs : " J'ai passé les nuits sans dormir, et je suis devenu semblable à un passereau qui se (207) tient seul sur un toit ; " et encore dans un autre psaume : " Le passereau trouve une demeure pour s'y loger. "

Ceux qui prennent ce verset dans un sens propre et littéral prétendent qu'il faut l'expliquer de la sorte. " Quand on fermera les portes de la rue, " c'est-à-dire: lorsque l'extrême vieillesse nous réduira à demeurer toujours assis et à ne point sortir de la maison.

Clausus in plateis januas, in fermes senis gressus accipi volunt; quod semper sedeat , et ambulare non possit. La voix basse de celle qui avait coutume de moudre marque les mâchoires d'un vieillard, parce qu'elles n'ont plus la fore d'amollir les viandes dans la bouche et d'en faire la première digestion. D'ailleurs la respiration est si faible et si pressée dans les gens vieux qu'à peine peut-on les entendre quand ils parlent. Ils ont aussi beaucoup de peine à dormir et le moindre bruit les éveille, ce qui est marqué par ces paroles : " On se lèvera au chant de l'oiseau; " car le corps étant desséché par l'âge, on a peine à dormir et on s'éveille non-seulement au chant du coq, mais au moindre bruit mène des plus petits oiseaux. Le sang étant devenu froid, et les autres matières qui servent comme d'aliment au sommeil étant desséchées, il est difficile que les vieilles gens puissent reposer et dormir longtemps : c'est pourquoi ils aiment mieux se lever dès qu'ils entendent chanter les coqs que de demeurer dans un lit sans dormir et n'y faire autre chose que de se retourner tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Nequaquam valens strato saepius membra convertere. Ce qui suit : "Lorsque les filles de l'harmonie se tairont " ou, comme il y a dans l’original hébreu : "deviendront sourdes, " signifie : les oreilles. L'ouïe est le sens qui s'affaiblit le plus dans les vieillards et qui devient plus posant dans ses fonctions : à cet âge on ne distingue presque point les divers sons, et la musique n'a plus de charmes pour un vieillard. Berzellaï, dans le livre des Bois, s'excusa auprès de David de le suivre au-delà du Jourdain et d'aller vivre à la cour de ce prince, parce qu'il se sentait accablé des incommodités de la vieillesse. " Berzellaï dit au roi : " Suis-je maintenant en âge d'aller avec le roi à Jérusalem? Ayant comme j'ai quatre-vingts ans, peut-il me rester quelque vigueur dans les sens pour discerner ce qui est doux d'avec ce qui est amer?

puis-je trouver quelque plaisir à boire et à manger, ou à entendre la voix et les sons des instruments de musique?"

V. 8. "Ils auront même peur des lieux élevés, et ils craindront dans le chemin. " C'est-à-dire que la faiblesse de leurs jambes ne leur permettra pas de monter sur les lieux élevés, et qu'ils craindront de se lasser et de broncher en marchant dans les chemins les plus unis.

V. 9. " Et l'amandier fleurira, et la sauterelle s'engraissera, et les câpres se dissiperont, parce que l'homme s'en ira dans la maison de son éternité et qu'on marchera en pleurant autour des rues. " L'Ecclésiaste continue à parler encore métaphoriquement des membres du corps humain. Il dit donc que quand l'homme sera devenu fort vieux ses cheveux seront tout planes; que ses pieds chancelleront et seront tout tremblants; que le feu de la concupiscence n'aura plus en lui aucune force, et qu'enfin l'âme sera séparée tin corps par la violence de la mort ; que ce corps sera mis dans sa demeure éternelle, et qu'il retournera en terre d'où il avait été pris; que cela se fera après qu'on lui aura rendu les honneurs des funérailles, et qu'on aura vu une grande multitude de peuple marcher devant lui vers le lieu de sa sépulture.

Quelques-uns prétendent que l'amandier avec ses fleurs, que nous croyons signifier : les cheveux blancs, se doit entendre de l'épine sacrée du dos, parce que les chairs de derrière étant toutes desséchées dans les vieillards, cette épine parait élevée comme les fleurs qui sortent du bois des arbres.

Pour ce qui est de ces mots figurés : " la sauterelle s'engraissera," ils souffrent diverses explications; car il ne faut pas ignorer que le mot hébreu qu'on a traduit par locusta, " sauterelle," peut aussi signifier le " talon ; " ce qui vient de l'ambiguïté des mots hébreux, dont la signification dépend souvent de la variété des accents. Nous en voyons un bel exemple dans le premier chapitre de Jérémie, où le mot hébreu sored peut signifier : une noix, ou bien : les veilles de la nuit, selon la différence des accents qu'on donne à ce mot en le prononçant. Dieu donc, dit à Jérémie : "Que voyez-vous, Jérémie? " Le prophète répond : "Je vois une baguette de noyer. " Le Seigneur répliqua : " Vous avez, dit vrai, car je veillerai sur ma parole afin que telle ou telle chose ait son accomplissement. "

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D'abord le mot soced signifie, selon son étymologie : un noyer; mais Dieu prend occasion de ce terme pour dire qu'il " veillera, " et qu'il punira le peuple juif comme il le mérite; parce que le même mot dont Jérémie s'était servi signifie non-seulement : noix, ou : noyer, mais aussi : veille, ou: veiller. Il en est de même du mot hébreu aagab, qui est ambigu dans sa signification, et qui en cet endroit marque : les jambes des vieillards, qui sont ordinairement enflées et accablées de gouttes, grosses et pesantes. Ce n'est pas qu'if n'y ait des personnes âgées qui ne ressentent pas ces incommodités, mais l'Écriture parle en général de la vieillesse et de ce qui arrive à plusieurs vieillards.

" Les câpres se dissiperont;" c'est-à-dire, selon notre traduction du mot hébreu abiona, qui est aussi ambigu comme les précédents, que les désirs de l'intempérance, figurés par cet arbrisseau, se dissiperont et se refroidiront dans un corps usé de vieillesse et qui n'a plus l'usage de ses membres ; car abiona chez les Hébreux signifie : amour, désir, concupiscence, ou : câpres et câprier. C'est pourquoi on a traduit tous ces termes ambigus dont nous avons parlé par: " amandier, sauterelle" et " câprier", quoique, les rapportant à d'autres sujets, ils puissent avoir un autre sens. Ici on les emploie figurément pour marquer la faiblesse des membres dans les corps des personnes les plus âgées. Et per figuram ad sensus qui seni conveniunt, derivantur.

Il faut enfin remarquer que le mot hébreu soced de ce verset est le même qui se lit dans le commencement de la prophétie de Jérémie, mais qu'on la traduit au commencement de Jérémie par : noyer, au lieu qu'ici les Septante l'ont tourné par : amandier. Symmaque nous a donné une version fort différente des autres, et je ne sais à quoi il pensait quand il a dit

" Outre cela l'on regardera même d'en haut, et il y aura des égarements dans le chemin : ceux qui veillent s'endormiront, et la force de l'esprit sera dissipée; car l'homme s'en ira dans la maison de son éternité, et l'on marchera en pleurant autour des rues. " Apollinaire de Laodicée a suivi cette interprétation, et cela est cause qu'il n'a pu être approuvé ni des Juifs ni des chrétiens; car en s'éloignant du texte hébreu il a déplu aux Juifs, et en témoignant du mépris pour la version des Septante il a perdu l'estime des Eglises de Jésus-Christ.

V. 10, 11 et 12. "Avant que la chaîne d'argent soit rompue, que la bandelette d'or se retire, que la cruche se brise sur la fontaine et que la roue se rompe sur la citerne; que la poussière rentre en la terre d'où elle avait été tiré( et que l'esprit retourne à Dieu qui l'avait donné. Vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste, tout est vanité. " Il remonte à ce qu'il avait dit auparavant, et après une grande transposition qu'il a l'ait commencer à ce verset : " Souvenez-vous de votre Créateur pendant les jours de votre jeunesse, avant que le temps de l'affliction soit arrivé et avant que le soleil et la lune s'obscurcissent," et le reste jusqu'à ces mots: " Lorsque les gardes de la maison commenceront à trembler," il reprend le fil de son discours et; l'achève par les mêmes expressions: "Avant que la chaîne d'argent soit rompue, " et qu'il arrive telle et telle chose. Or "la chaîne d'argent. est la figure de la vie dont nous jouissons sur la terre, parce que c'est une chose précieuse et toute éclatante comme le pur argent. " La bandelette d'or" qui " se retire " marque l'action de notre âme qui se sépare du corps et qui s'en retourne à Dieu, d'où elle était descendue. Ce qui suit : " Avant que la cruche se brise sur la fontaine et que la roue se rompe sur la citerne, " sont deux expressions figurées et des images de la mort; car comme, la cruche étant brisée sur la fontaine et la roue sur la citerne ou sur le puits, l'une et l'autre demeurent inutiles et ne peuvent plus tirer d'eau, ainsi, lorsque cette chaîne d'argent dont il a été parlé auparavant vient à se rompre, l'homme cesse d'être et de vivre sur la terre, par la séparation de l'âme d'avec le corps; ce qui devient encore plus clair par. ces paroles suivantes : " Avant que la poussière rentre en la terre d'où elle avait été tirée, et que l'esprit retourne à Dieu qui l'avait donné. " Sur quoi nous devons remarquer les opinions ridicules de ceux qui s'imaginent que l'âme n'a point d'autre principe que le corps, et que ce n'est pas Dieu qui l'a créée, mais les parents qui l'engendrent; car puisqu'il est vrai, par le témoignage de l'Écriture, que la chair rentre en la terre d'où elle avait été tirée et que l'esprit retourne à Dieu qui l'avait donné, il résulte manifestement que Dieu est le père des âmes et des esprits, et non pas les hommes, qui sont les pères du corps.

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Après la peinture qu'il a faite de la mort de tous les hommes en général, il reprend les premières paroles de son livre, et finit par où il avait commencé, en disant : " Vanité des vanités; tout est vanité. " En effet, rien n'est plus vain et plus inutile que de travailler tous les jours de sa vie pour des choses périssables et passagères, et de négliger les biens éternels, qui sont les seuls véritables et propres à faire pour jamais le bonheur et la félicité des hommes, qui ne peuvent pas ignorer que le jour de la mort est le terme de toutes choses, et le commencement des récompenses de l'homme juste ou des châtiments et des peines des impies. Magnae vanitatis est in hoc saeculo laborare, et nihil profutura conquirere.

V. 13 et 14. " L'Ecclésiaste donc, étant très sage, enseigna le peuple et leur fit connaître ce qu'il avait fait ; et dans ce dessein il composa plusieurs paraboles. Il rechercha des paroles utiles et il écrivit des discours pleins de droiture et de vérité. " Salomon parle encore à la fin de son discours de la profonde sagesse qui l'élevait au-dessus de tous les sages et de tous les savants. Il ne se contenta pas d'avoir été bien instruit dans toutes les pratiques de la loi de Moïse ni de savoir à fond l'histoire de sa nation. Il voulut encore aller plus loin, et s'affairer ( ?) (texte illisible) à la recherche d'une plus grande sagesse, et approfondir les matières et les questions les plus difficiles. C'est pour cela qu'il composa des proverbes et des paraboles, afin d'enseigner le peuple par des recueils de plusieurs belles sentences énigmatiques dont la superficie nous présente un sens simple et naturel, pendant que l'esprit caché sous la lettre nous en conserve un autre, comme une moelle divine, pour la nourriture de nos âmes. Aliud habentes in medulla, aliud in superficie pollicentes. C'est ce que nous persuadent les paraboles que nous trouvons dans les livres des Evangiles, où Jésus-Christ parlait si souvent en paraboles quand il annonçait au peuple le mystère du royaume de Dieu, et qu'il en réservait l'intelligence à ses disciples et à ses apôtres, qui le priaient, lorsqu'ils étaient seuls avec lui, de leur expliquer tout ce qu'il avait dit d'obscur en public. Par là il est clair que le livre des Proverbes ne contient pas des préceptes aisés et faciles à comprendre, comme on le croit d'ordinaire parmi les personnes simples; mais qu'il renferme des sens divins, mystérieux, et cachés comme la terre cache l'or dans son sein, et qu'il faut les tirer de dessous l'écorce de la lettre, comme on tire de la coque de la noix et de la châtaigne le fruit qui est bon à manger.

Après cela Salomon nous dit encore qu'il avait voulu connaître la cause et la nature de toutes les choses de ce inonde ; qu'il avait eu assez de présomption pour examiner la sagesse de la conduite de Dieu, et qu'il voulait savoir la raison de l'existence de chaque créature, pourquoi et comment elles avaient été créées. Il avait fait tous ses efforts pour connaître dès à présent ce que David n'espérait de voir qu'après sa mort, et lorsqu'il serait retourné au ciel après la résurrection , comme il s'en explique lui-même en disant : " Je verrai les cieux, qui sont les ouvrages de vos mains. " Enfin Salomon voulut connaître des vérités dont Dieu s'est réservé la connaissance, et qui ne sont pas à la portée des hommes mortels pendant que leurs âmes sont environnées des faiblesses d'un corps tout terrestre . Ut veritatem soli Deo cognitam, corporis vallata septo mens humana comprehenderet.

V.15. " Les paroles des sages sont comme des aiguillons et comme des clous enfoncés profondément, que le Pasteur unique nous a donnés par le conseil et la sagesse des maîtres. " L'Ecclésiaste, craignant qu'on ne l'accusât d'être un docteur téméraire qui s'ingérait de lui-même et affectait d'enseigner à son peuple la doctrine que Moïse avait reçue d'abord avec tant de. répugnance que Dieu témoigna en être mal satisfait, quoiqu'il la reçût ensuite avec une parfaite soumission aux mouvements du Saint-Esprit, dont il était inspiré, l'Ecclésiaste, dis-je, nous assure en cet endroit que ses paroles ne sont point différentes de celles des sages, puisqu'elles ont la même portée et les mêmes avantages. Elles sont comme des aiguillons dont la pointe se l'ait sentir pour corriger et redresser ceux qui s'égarent, et pour presser et faire avancer les personnes lentes et paresseuses qui ont besoin d'être excitées à faire leur devoir. Elles s'enfoncent si profondément dans le coeur de ceux qui les écoutent qu'on peut les comparer à des clous enfoncés et attachés fermement dans une matière épaisse et solide. Mais pour être telles, il ne suffit pas de les prêcher de sa propre autorité : il faut qu'elles soient autorisées par l'avis (210) et le consentement de tous les docteurs. Nec auctoritate unius, sed consilio atque consensu magistrorum omnium proferantur. Nais de peur qu'on ne méprisât la sagesse des particuliers, il avertit qu'elle a été donnée par le Pasteur unique, c'est-à-dire que bien qu'il y ait plusieurs maîtres qui enseignent la même doctrine, il n'y a toutefois que Dieu seul qui en soit l'auteur.

Ce passage est d'un grand poids pour combattre les hérétiques qui prétendent que le Dieu de l'ancienne loi est différent du Dieu du Nouveau-Testament, puisqu'il parait manifestement qu'il n'y a qu'un seul pasteur qui donne à tous les maîtres la sagesse et la prudence. Or il est clair que les prophètes ont été remplis de sagesse aussi bien que les apôtres, et qu'ils ont tous parlé par le même esprit.

Une autre remarque qu'on doit faire, c'est que les paroles des sages tic sont pas flatteuses; elles sont au contraire piquantes comme des pointes et des aiguillons, et elles font des blessures salutaires qui portent les pécheurs à quitter le vice et à faire pénitence. Elles ne flattent point les gens du monde qui sont engagés dans le péché ; elles ne les entretiennent point dans leurs dérèglements et dans la mollesse; au contraire elles leur inspirent le désir d'une sincère conversion, et leur causent la douleur d'une pénitence qui est selon Dieu et qui les blesse pour les guérir. Nec molli manu attrectare lasciviam ; sed errantibus et tardis, paenitentiae dolores et vulnus infigere. Si donc la parole d'un ministre de l'Eglise ne pique pas le coeur en cette manière, il ne mérite pas d'être mis au rang des sages. Ne parler que pour plaire et divertir les auditeurs n'est pas une chose digne de la parole de Dieu et des vérités qu'on annonce parmi les fidèles; car les paroles des vrais sages doivent avoir de la pointe comme des aiguillons, et s'enfoncer profondément dans le coeur pour le percer de la crainte des jugements de Dieu. C'est ainsi que Saul, avant que d'être nommé Paul, fut saintement percé lorsqu'il allait à Damas; du moins je crois que le sens des paroles suivantes semble nous le persuader : "ll vous est dur de regimber contre l'aiguillon. "

V. 16. " Ne recherchez rien de plus, mon fils, et tenez-vous sur vos gardes; car il n'y a point de fin à multiplier les livres, et la continuelle méditation d'esprit afflige le corps. " Ne faites rien qui ne soit réglé sur les paroles que le Pasteur unique nous a données, et que l'assemblée des sages a reçues et approuvées d'un consentement unanime. Ne dites jamais rien de vous-même ; suivez les traces de ceux qui vous ont précédé, et que vos sentiments soient toujours fondés sur les sentiments de ces divine maîtres. Si vous agissez autrement, vous trou venez une infinité de livres qui se présenteront comme d'eux-mêmes pour satisfaire votre curiosité, mais qui vous feront tomber dans l'erreur et qui vous feront perdre beaucoup de temps et travailler inutilement.

V. 17 et 18. "La fin de tout ce discours est très facile pour ceux qui veulent l'entendre. Craignez Dieu, observez ses commandements ; car c'est là le vrai bonheur de l’homme; et Dieu fera rendre compte lorsqu'il jugera de tout ce qui est caché et secret, soit du bien ou du mal qu'on aura fait. " Les Hébreux disent sur ces paroles que leurs ancêtres, ayant délibéré s'ils ne rejetteraient point ce livre du canon des Ecritures saintes, comme beaucoup d'autres ouvrages de Salomon qui n'existent plus et que l'antiquité ne nous a point conservés, le jugèrent digne d'être mis parmi les livres sacrés à cause de la conclusion qu'il a mise à la fin de tout son discours; car, comme. il semble d'abord que l'auteur de ce livre a parlé avec mépris des ouvrages du Créateur et qu'il a regardé toutes les créatures comme un pur néant, que d'as leurs il a préféré les plaisirs passagers des sen à tout le reste, les Hébreux, scandalisés de ce langage, l'auraient volontiers retranché du nombre des écritures canoniques, s'ils n'avaient vu dans les dernières paroles une espèce de récapitulation où il témoigne que son dessein et son intention, en composant tout cet ouvrage, a été d'inspirer aux hommes la crainte de Dieu et l'observation de ses commandements. En rapportant donc à cette fin ce que l'Ecclésiaste a dit dans tout son livre, il a eu raison de nous assurer que ses discours sont faciles à comprendre, et qu'il n'y a point de passage obscur qui ne devienne clair et fort aisé quand on se souvient que tous sans exception tendent à la même fin, c'est-à-dire à nous apprendre à craindre Dieu et à redouter ses jugements; que l'homme ne vient au monde pour vivre sur la terre qu'afin de connaître son créateur, et de l'honorer tous les jours de sa vie par la crainte de sa grandeur et de sa puissance et par le culte qu'il demande qu'on lui rende en gardant ses saintes lois et ses préceptes. Il ajoute que nous avons une nouvelle obligation de pratiquer les commandements de Dieu, parce qu'il viendra un temps où nous serons cités à son jugement pour y rendre compte de toutes nos actions bonnes et mauvaises, et pour y recevoir ce que nous aurons mérité; que la sentence du juge demeure longtemps incertaine ou suspendue, et que ce délai nous engage à travailler sérieusement pour nous la rendre favorable, afin de n'être pas enveloppés dans la condamnation des pécheurs et des impies.

Ad hoc enim natum esse hominem, ut creatorem suum intelligens, veneratur eum metu, et honore, et opere mandatorum.



Jérôme - oeuvres morales 1100