Unitatis redintegratio 2




Décret sur l’oecuménisme



Introduction

1 Promouvoir la restauration de l’unité entre tous les chrétiens est l’un des principaux objectifs du saint Concile oecuménique Vatican II. En effet, une Eglise une et unique a été fondée par le Christ Seigneur, et pourtant plusieurs communions chrétiennes se présentent aux hommes comme représentant le véritable héritage de Jésus-Christ ; certes, tous confessent qu’ils sont les disciples du Seigneur, mais ils ont des opinions différentes et suivent des chemins différents, comme si le Christ lui-même était divisé 1. Assurément, une telle division contredit ouvertement la volonté du Christ, et est un sujet de scandale pour le monde et une source de préjudices pour la très sainte cause de la prédication de l’Évangile à toute créature.

Mais le Maître des siècles, qui poursuit, avec sagesse et patience, son dessein de grâce à l’égard des pécheurs que nous sommes, a commencé à une date récente à répandre plus abondamment sur les chrétiens divisés entre eux l’esprit de repentance et le désir de l’union. De très nombreux hommes ont partout été touchés par cette grâce, et chez nos frères séparés aussi est né, sous l’effet de la grâce de l’Esprit, un mouvement qui s’amplifie de jour en jour en vue de rétablir l’unité de tous les chrétiens. À ce mouvement qui vise à l’unité, et qui est appelé oecuménique, prennent part ceux qui invoquent le Dieu trine et confessent Jésus comme Seigneur et Sauveur, non seulement des chrétiens pris individuellement, mais encore des chrétiens réunis en communautés, dans lesquelles ils ont entendu l’Évangile et qu’ils appellent chacun son Église et Église de Dieu. Presque tous cependant aspirent, même si c’est de façon diverse, à une Église de Dieu, une et visible, qui soit vraiment universelle et envoyée au monde entier, pour que celui-ci se convertisse à l’Évangile et qu’il soit ainsi sauvé pour la gloire de Dieu. Ainsi donc le saint Concile, considérant tout cela avec joie, après avoir exposé la doctrine relative à l’Église, poussé par le désir de rétablir l’unité entre tous les disciples du Christ, veut présenter à tous les catholiques les moyens, les voies et les modes d’action qui leur permettront de répondre, eux aussi, à cet appel divin et à cette grâce.

1 Cf. 1 Co 1, 13.


Chapitre I. Principes catholiques de l’oecuménisme

2 En ceci est apparu l’amour de Dieu envers nous, que le Fils unique de Dieu a été envoyé dans le monde par le Père, pour que, s’étant fait homme, il régénérât tout le genre humain en le rachetant et qu’il le rassemblât pour qu’il devienne un 2. Lui-même, avant de s’offrir en offrande immaculée sur l’autel de la croix, adressa au Père cette prière pour ceux qui croiraient en lui : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, et que, eux aussi, soient un en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17,21), et il a institué dans son Église l’admirable sacrement de l’Eucharistie, qui signifie et réalise l’unité de l’Église. A ses disciples, il a donné le commandement nouveau de l’amour mutuel 3 et promis l’Esprit Paraclet 4 qui, Seigneur et vivificateur, resterait avec eux pour toujours.

Après avoir été exalté sur la croix et être entré dans la gloire, le Seigneur Jésus a répandu l’Esprit promis, par qui il appela et rassembla dans l’unité de la foi, de l’espérance et de la charité, le peuple de la Nouvelle Alliance, qui est l’Église, ainsi que l’enseigne l’apôtre : « Il n’y a qu’un seul Corps et un seul Esprit, de même que vous avez été appelés à une seule espérance au nom de votre vocation. Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême » (Ep 4,4-5). En effet, « vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ [...] Vous tous, vous êtes un dans le Christ Jésus » (Ga 3,27-28 gr). L’Esprit Saint, qui habite dans le coeur des croyants, qui remplit et régit toute l’Église, réalise cette admirable communion des fidèles et les unit tous dans le Christ de façon si intime qu’il est le Principe de l’unité de l’Église. Lui-même opère la diversité des grâces et des ministères 5, en dotant l’Église de Jésus-Christ de fonctions diverses, « organisant ainsi les saints pour l’oeuvre du ministère, en vue de l’édification du Corps du Christ » (Ep 4,12).

Mais pour établir son Église sainte de façon ferme partout sur terre jusqu’à la consommation des siècles, le Christ a confié la charge d’enseigner, de gouverner et de sanctifier au collège des Douze6. Parmi eux, il choisit Pierre, sur lequel, après sa profession de foi, il décida d’édifier son Église; il lui promit les clés du Royaume des cieux 7 et, après sa profession d’amour, il lui confia toutes les brebis, pour qu’il les confirmât dans la foi8 et les fît paître dans l’unité parfaite9, le Christ Jésus lui-même demeurant pour l’éternité la pierre angulaire suprême 10 et le Pasteur suprême de nos âmes 11.

Jésus-Christ veut que son peuple s’accroisse, sous l’action du Saint-Esprit, par la fidèle prédication de l’Évangile, par l’administration des sacrements et le gouvernement dans la charité, accomplis par les apôtres et leurs successeurs, à savoir les évêques ayant à leur tête le successeur de Pierre, et il en parachève la communion dans l’unité : dans la profession d’une seule foi, dans la célébration commune du culte divin, et dans la concorde fraternelle de la famille de Dieu. Ainsi l’Église, unique troupeau de Dieu, comme un signe levé à la vue des nations 12, mettant au service de tout le genre humain l’Évangile de la paix 13, accomplit dans l’espérance son pèlerinage vers le terme qui est la patrie céleste 14.

Tel est le mystère sacré de l’unité de l’Église, dans le Christ et par le Christ, l’Esprit Saint opérant la variété des dons. De ce mystère, le modèle suprême et le principe, c’est, dans la trinité des personnes, l’unité d’un seul Dieu, Père et Fils dans l’Esprit Saint.

2 Cf. 1 Jn4, 9; Col 1, 18-20 ; Jn 11,52.
3 Cf. Jn 13, 34.
4 Cf. Jn 16, 7.
5 Cf. 1 Co 12, 4-11.
6 Cf. Mt 28, 18-20, cf. Jn 20, 21-23.
7 Cf. Mt 16, 19, cf. Mt 18, 18.
8 Cf. Lc 22, 32.
9 Cf. Jn 21, 15, 17.
10 Cf. Ep 2, 20.
11 Cf. 1 P 2, 25 ; Concile du Vatican I, 4e Sess. (1870), constitution Pastor Aeternus : coll. Lac. 7, 482 a.
12 Cf. Is 11, 10-12.
13 Cf. Ep 2, 17-18, cf. Mc 16, 15.
14 Cf. 1P 1, 3-9.



3 Dans cette Église de Dieu, une et unique, sont apparues dès l’origine certaines scissions 15, que l’apôtre désavoue sévèrement comme condamnables 16 ; au cours des siècles suivants naquirent des dissensions revêtant plus d’ampleur, et des communautés considérables furent séparées de la pleine communion de l’Eglise catholique, parfois non sans la faute des hommes de l’une et l’autre partie. Mais ceux qui naissent actuellement dans de telles communautés et qui sont imprégnés de la foi au Christ, ne peuvent être accusés du péché de division et l’Église catholique les entoure de son respect et de son amour fraternels. En effet, ceux qui croient au Christ et ont reçu validement le baptême sont établis dans une certaine communion, même si elle n’est pas parfaite, avec l’Eglise catholique. Assurément, en raison des désaccords de nature diverse qui existent entre eux et l’Église catholique aussi bien en matière de doctrine et parfois de discipline qu’à propos de la structure de l’Église, d’assez nombreux obstacles, parfois très graves, s’opposent à la pleine communion ecclésiale, et le mouvement oecuménique tend à les surmonter. Néanmoins, justifiés par la foi dans le baptême, ils sont incorporés au Christ 17, ont à bon droit l’honneur de porter le nom de chrétiens et sont reconnus avec raison comme frères dans le Christ par les fils de l’Église catholique ls.

De plus, parmi les éléments ou les biens par l’ensemble desquels l’Église est édifiée et vivifiée, certains, et même un grand nombre et de grande valeur, peuvent exister en dehors des limites visibles de l’Église catholique : la Parole de Dieu écrite, la vie de grâce, la foi, l’espérance et la charité, ainsi que d’autres dons intérieurs du Saint-Esprit et d’autres éléments visibles : tout cela, provenant du Christ et conduisant à lui, appartient de droit à l’unique Église du Christ.

Chez nos frères séparés s’accomplissent aussi de nombreuses actions sacrées de la religion chrétienne qui, de diverses manières selon les différentes conditions de chacune des Églises ou communautés, peuvent sans nul doute produire effectivement la vie de grâce, et il faut dire qu’elles sont aptes à donner accès à la communion du salut.

Par conséquent, ces Églises 19 et ces communautés séparées elles-mêmes, même si nous croyons qu’elles souffrent de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. En effet, l’Esprit du Christ ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut, dont la vertu dérive de la plénitude même de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Église catholique.

Cependant les frères séparés, qu’il s’agisse des individus ou des communautés et Églises, ne jouissent pas de cette unité que Jésus-Christ a voulu accorder généreusement à tous ceux qu’il a régénérés et vivifiés afin qu’ils forment un seul Corps et accèdent à la nouveauté de vie, unité que professent les saintes Écritures et la vénérable tradition de l’Église. En effet, c’est par la seule Église catholique du Christ, qui est le moyen général de salut, que toute la plénitude des moyens de salut peut être atteinte. Car nous croyons que c’est au seul collège apostolique, présidé par Pierre, que le Seigneur a confié tous les biens de la Nouvelle Alliance, en vue de constituer sur terre un seul Corps du Christ, auquel doivent être pleinement incorporés tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, appartiennent déjà au Peuple de Dieu. Tant que dure son pèlerinage terrestre, ce peuple, tout en restant dans ses membres exposé au péché, connaît la croissance dans le Christ et est doucement conduit par Dieu selon ses desseins cachés, jusqu’à ce qu’il parvienne joyeux à la totale plénitude de la gloire éternelle dans la Jérusalem céleste.

15 Cf. 1 Co 11, 18-19 ; Ga 1, 6-9 ; 1 Jn 2, 18-19.
16 Cf. 1 Co 1, 11 s. ; 11, 22.
17 Cf. Concile de Florence, 8e Sess. (1439), décret Exultate Deo (Mansi 31, 1055 A).
18 Cf. Augustin, in Ps. 32, Enarratio II, 29, PL 36, 299.
19 Cf. IVe Concile du Latran (1215), Constitution 4 (Mansi 22, 990) (voir plus haut p. 235-236) ; IIe Concile de Lyon (1274), profession de foi de Michel Paléologue (Mansi 24, 71 E) ; Concile de Florence, 6e Sess. (1439), définition Laetentur caeli (Mansi 31, 1026 E).


4 Puisque aujourd’hui, en plusieurs parties du monde, sous le souffle de la grâce de l’Esprit Saint, beaucoup d’efforts sont faits par la prière, la parole et l’action en vue de parvenir à la plénitude de l’unité voulue par Jésus-Christ, ce saint Concile exhorte tous les fidèles catholiques à reconnaître les signes des temps et à prendre une part active à l’action oecuménique.

Par « mouvement oecuménique », on entend les activités et les initiatives qui ont vu lel jour et ont été organisées, en fonction des besoins variés de l’Église et de l’opportunité des temps, en vue de promouvoir l’unité des chrétiens. Tels sont, en premier lieu, tous les efforts pour éliminer les paroles, les jugements et les actes qui ne correspondent ni en justice ni en vérité à la situation de nos frères séparés et qui, à cause de cela, rendent plus difficiles les relations avec eux ; ensuite, dans le cadre des réunions de chrétiens de diverses Églises ou communautés, organisées dans un esprit de piété religieuse, le « dialogue » entre experts convenablement informés, qui permet à chacun d’expliquer plus à fond la doctrine de sa communauté et d’en présenter de façon claire les traits caractéristiques. Par ce dialogue, tous acquièrent une connaissance plus conforme à la vérité et une estime plus juste de la doctrine et de la vie de chacune des communautés ; ces communions en viennent aussi à une collaboration plus large dans toutes les tâches visant le bien commun selon les exigences de toute conscience chrétienne, et se rassemblent pour la prière commune, là où c’est permis. Enfin tous examinent leur fidélité à la volonté du Christ au sujet de l'Église, et entreprennent avec empressement, comme il le faut, l’oeuvre de rénovation et de réforme.

Quand tout cela est accompli avec prudence et patience par les fidèles de l’Église catholique sous la vigilance de leurs pasteurs, cela se fait au bénéfice de l’équité et de la vérité, de la concorde et de la collaboration, de l’esprit fraternel et de l’union ; en empruntant cette voie, peu à peu, tous les chrétiens, après avoir surmonté les obstacles qui empêchent la parfaite communion ecclésiale, seront rassemblés dans une seule et même célébration eucharistique, dans l’unité de l’Église une et unique, unité dont le Christ a doté son Église dès le commencement, qui, nous le croyons, subsiste de façon inamissible dans l'Église catholique et qui, nous l’espérons, s’accroîtra de jour en jour jusqu’à la consommation des siècles. Mais il est clair que l’oeuvre de préparation et de réconciliation des personnes individuelles, qui désirent la pleine communion avec l’Église catholique, se distingue, par sa nature, de l’entreprise oecuménique ; cependant, il n’y a aucune opposition entre elles, puisque l’une et l’autre procèdent d’une disposition admirable de Dieu. Dans l’action oecuménique, les fidèles de l’Église catholique devront être, sans aucun doute, pleins de sollicitude envers les frères séparés, en priant pour eux, en parlant avec eux des choses de l’Église, en faisant en leur direction les premiers pas. Mais, tout d’abord, eux-mêmes doivent examiner avec sincérité et attention ce qui dans leur propre famille catholique a besoin d’être rénové et d’être réalisé, de façon à ce que la vie de celle-ci donne un témoignage plus fidèle et plus clair au sujet de la doctrine et des institutions que le Christ lui a transmises par ses apôtres.

En effet, bien que l’Église catholique ait été dotée de toute la vérité révélée par Dieu ainsi que de tous les moyens de grâce, ses membres toutefois ne vivent pas de ces dons avec la ferveur qui y correspond, de sorte que le visage de l’Église apparaît moins resplendissant aux yeux de nos frères séparés et du monde entier, et que la croissance du Royaume de Dieu en est entravée. C’est pourquoi tous les catholiques doivent tendre à la perfection chrétienne20 et faire effort, chacun en fonction de sa situation, pour que l’Église, portant dans son corps l’humilité et la mortification de Jésus 21, soit purifiée et renouvelée de jour en jour, jusqu’à ce que le Christ se la présente à lui-même glorieuse, sans tache ni ride 22.

Conservant l’unité dans ce qui est nécessaire, tous dans l’Église, chacun selon la charge qui lui est confiée, garderont la liberté qui leur est due, aussi bien dans les différentes formes de vie spirituelle et de discipline que dans les différents rites liturgiques, et même dans l’élaboration théologique de la vérité révélée ; en tout cependant ils pratiqueront la charité. En effet, par cette manière d’agir, ils manifesteront toujours plus pleinement l’authentique catholicité et apostolicité de l’Église.

D’un autre côté, il est nécessaire que les catholiques reconnaissent avec joie et apprécient les valeurs réellement chrétiennes, qui proviennent du patrimoine commun et qui se trouvent chez nos frères séparés. Il est juste et salutaire de reconnaître les richesses du Christ et les effets de sa puissance dans la vie d’autres qui portent témoignage au Christ, parfois jusqu’à l’effusion de sang ; car Dieu est toujours admirable et il doit être admiré dans ses oeuvres.

Il ne faut pas non plus passer sous silence que tout ce qui est accompli par la grâce du Saint-Esprit dans nos frères séparés peut contribuer aussi à notre édification. Rien de ce qui est vraiment chrétien ne s’oppose jamais aux vraies valeurs de la foi, bien au contraire, tout cela peut toujours permettre de pénétrer plus pleinement le mystère du Christ et de l’Église.

Cependant les divisions entre chrétiens empêchent l’Église de rendre effective la plénitude de catholicité qui lui est propre dans ceux de ses fils qui certes lui sont adjoints par le baptême, mais sont séparés de la pleine communion avec elle. Bien plus, pour l’Église elle-même, il devient plus difficile d’exprimer sous tous ses aspects la plénitude de la catholicité dans la réalité même de la vie. Le saint Concile constate avec joie que la participation des fidèles catholiques à l’action oecuménique s’accroît de jour en jour, et il recommande aux évêques du monde entier de chercher à la promouvoir de façon avisée et de la diriger avec prudence.

20 Cf. Jc 1,4; Rm 12, 12.
21 Cf. 2 Co 4, 10 ; Ph 2, 5-8.
22 Cf. Ep 5, 27.


Chapitre II. L’exercice de l’oecuménisme

5 Le souci de restaurer l’unité concerne toute l’Église, tant les fidèles que les pasteurs, et touche chacun selon ses capacités propres soit dans la vie chrétienne quotidienne, soit dans les recherches théologiques et historiques. Ce souci manifeste, d’une certaine manière, les liens fraternels qui existent déjà entre tous les chrétiens et conduit vers l’unité pleine et parfaite selon la volonté bienveillante de Dieu.


6 Comme toute rénovation de l’Église 1 consiste essentiellement dans une fidélité accrue à sa vocation, c’est là sans aucun doute la raison qui explique le mouvement vers l’unité. Au cours de son pèlerinage, l’Église est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a continuellement besoin, en tant qu’institution humaine et terrestre ; si donc, par suite des circonstances de faits et de temps, il est arrivé que dans les moeurs ou dans la discipline ecclésiastique ou même dans la manière de formuler la doctrine - qu’il faut distinguer avec soin du dépôt de la foi - certaines choses aient été conservées avec moins de soin, il faut procéder en temps opportun au redressement qui s’impose.

Cette rénovation revêt donc une insigne importance oecuménique. Les différentes formes de la vie de l’Église par lesquelles se réalise déjà une rénovation - comme le mouvement biblique et liturgique, la proclamation de la Parole de Dieu et la catéchèse, l’apostolat des laïcs, les nouvelles formes de vie religieuse, la spiritualité du mariage, la doctrine et l’activité de l’Église dans le domaine social - sont à considérer comme des gages et des signes, qui laissent bien augurer des futurs progrès de l’oecuménisme.

1 Cf. Ve Concile du Latran, 12e Scss. (1517), constitution Constituti (Mansi 32, 988 B-C).


7 Il n’y a pas d’oecuménisme au sens authentique du terme sans conversion intérieure. En effet, c’est à partir du renouveau de l’esprit1 2, du renoncement à soi-même et de la libre effusion de la charité que naissent et mûrissent les désirs de l’unité. Par conséquent, il nous faut invoquer l’Esprit divin pour lui demander la grâce d’une sincère abnégation, celle de l’humilité et de la bienveillance dans le service, celle d’une générosité fraternelle à l’égard des autres. « Je vous conjure, dit l’apôtre des nations, moi qui suis enchaîné dans le Seigneur, de marcher d’une façon digne de l’appel que vous avez reçu, en toute humilité et douceur, vous supportant les uns les autres avec patience dans la charité, attentifs à garder l’unité de l’Esprit dans le lien de la paix » (Ep 4,1-3). Cette exhortation s’adresse surtout à ceux qui ont été élevés à un ordre sacré afin que se continue la mission du Christ, qui est venu parmi nous « non pour être servi, mais pour servir » (Mt 20,28).

Pour les fautes contre l’unité vaut aussi le témoignage de saint Jean : « Si nous disons que nous n’avons pas péché, nous faisons de lui un menteur et sa parole n’est pas en nous » (1Jn 1,10). Par une humble prière nous demandons donc pardon à Dieu et à nos frères séparés, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.

Que tous les fidèles se souviennent donc qu’ils feront progresser l’union des chrétiens, bien mieux qu’ils s’y exerceront d’autant mieux qu’ils s’efforceront de vivre plus purement selon l’Évangile. Plus étroite, en effet, sera leur communion avec le Père, le Verbe et l’Esprit Saint, plus intime et plus facile ils pourront rendre le développement de la fraternité mutuelle.

2 Cf. Ep 4, 23.


8 Cette conversion du coeur et cette sainteté de vie, ensemble avec les prières privées et publiques pour l’unité des chrétiens, sont à regarder comme l’âme de tout le mouvement oecuménique et peuvent être à bon droit appelées oecuménisme spirituel.

C’est déjà un usage pour les catholiques de se réunir souvent pour cette prière pour l’unité de l’Église, que le Sauveur lui-même, la veille de sa mort, a adressée de façon suppliante à son Père : « Que tous soient un » (
Jn 17,21). Dans certaines circonstances particulières, par exemple à l’occasion de réunions de prières prévues « pour l’unité » et lors des réunions oecuméniques, il est permis, bien plus il est souhaitable, que les catholiques s’associent avec les frères séparés pour prier. Des prières communes de ce genre sont assurément un moyen très efficace pour demander la grâce de l’unité et constituent une expression authentique des liens par lesquels les catholiques demeurent unis avec les frères séparés : « Là, en effet, où deux sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18,20).

Cependant, il n’est pas permis de considérer la communicatio in sacris comme un moyen à utiliser sans discernement pour restaurer l’unité entre chrétiens. Une telle communicatio est régie surtout par deux principes : l’unité de l’Église à exprimer, la participation aux moyens de grâce à assurer. L’expression de l’unité interdit le plus souvent la communicatio ; la grâce à procurer la recommande quelquefois. Quant à la façon dont il convient d’agir concrètement, en considération de toutes les circonstances de temps, de lieux et de personnes, c’est l’autorité épiscopale locale qui doit prudemment en décider, à moins qu’il n’y ait d’autres dispositions de la conférence épiscopale, selon les normes de ses propres statuts, ou du Saint-Siège.


9 Il faut connaître la mentalité des frères séparés. À cette fin, s’impose nécessairement l’étude qu’il faut mener selon l’esprit de vérité et de bienveillance. Des catholiques dûment préparés devront acquérir une meilleure connaissance de la doctrine et de l’histoire, de la vie spirituelle et cultuelle, de la psychologie religieuse et de la culture propres à leurs frères.

Ce qui est très utile pour arriver à ce résultat, ce sont des réunions entre les deux parties pour traiter de questions surtout théologiques, au cours desquelles tous interviennent d’égal à égal, pourvu que ceux qui y prennent part, sous la vigilance de leurs supérieurs, soient vraiment compétents. Ce genre de dialogue fait aussi apparaître plus clairement quelle est la véritable position de l’Église catholique. De cette manière, la pensée des frères séparés sera mieux connue et notre foi leur sera présentée de façon plus convenable.


10 L’enseignement de la sainte théologie et des autres disciplines, surtout de l’histoire, doit être aussi donné en tenant compte de l’aspect oecuménique, pour qu’il corresponde toujours plus exactement à la réalité des choses.

En effet, il importe beaucoup que les futurs pasteurs et prêtres possèdent une théologie soigneusement élaborée en ce sens et non dans le sens de la polémique, surtout pour les questions qui concernent les relations des frères séparés avec l’Église catholique.

En effet, c’est de la formation des prêtres que dépendent au plus haut point la nécessaire éducation et la nécessaire formation spirituelle des fidèles et des religieux.

De même, les catholiques qui sont engagés dans l’oeuvre missionnaire dans les mêmes pays que d’autres chrétiens doivent connaître, surtout aujourd’hui, les questions et les fruits qui résultent de l’oecuménisme pour leur apostolat.


11 La méthode et la manière d’exprimer la foi catholique ne doivent en aucun cas devenir un obstacle pour le dialogue avec les frères. Il faut absolument que la doctrine tout entière soit exposée clairement. Rien n’est plus étranger à l’oecuménisme que ce faux irénisme, qui porte préjudice à la pureté de la doctrine catholique et obscurcit son sens authentique et assuré.

En même temps, la foi catholique doit être expliquée plus à fond et d’une façon plus juste, selon une démarche et dans un langage qui puissent être réellement compris même par les frères séparés.

Dans le dialogue oecuménique, les théologiens catholiques, attachés à la doctrine de l’Église, doivent en outre procéder avec amour de la vérité, charité et humilité, en menant, ensemble avec les frères séparés, leurs recherches sur les divins mystères. En comparant les doctrines entre elles, ils se souviendront qu’il existe un ordre ou une « hiérarchie » des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport différent avec le fondement de la foi chrétienne. Ainsi sera frayée la voie qui les incitera tous, dans une émulation fraternelle, à une connaissance plus profonde et une présentation plus claire des insondables richesses du Christ 5.

5 Cf. Ep 3, 8.



12 Que tous les chrétiens, devant toutes les nations, confessent leur foi dans le Dieu un et trine, dans le Fils de Dieu incarné, notre Rédempteur et Seigneur, et que par des efforts communs, dans l’estime mutuelle, ils rendent témoignage de notre espérance, qui ne déçoit pas. Comme de nos jours la collaboration dans le domaine social est largement pratiquée, tous les hommes sans exception sont appelés à l’action commune, de façon plus spéciale ceux qui croient en Dieu, mais avant tout tous les chrétiens, parés qu’ils sont du nom du Christ. La collaboration de tous les chrétiens entre eux exprime de façon vivante l’union qui existe déjà entre eux, et fait paraître le visage du Christ Serviteur dans une lumière plus pleine. Cette collaboration, déjà instaurée dans de nombreux pays, doit devenir sans cesse plus parfaite, surtout dans les pays où l’évolution sociale et technique est en cours, soit en faisant estimer à sa juste valeur la personne humaine, soit en promouvant le bien de la paix, soit en poursuivant l’application sociale de l’Évangile, soit en faisant progresser les sciences et les arts dans un esprit chrétien, soit même en apportant des remèdes de toutes sortes contre les misères de notre temps, telles la faim et les calamités, l’analphabétisme et la pauvreté, la crise du logement et l’inégale distribution des richesses. Par cette collaboration, tous ceux qui croient au Christ peuvent facilement apprendre comment on peut mieux se connaître les uns les autres, s’estimer davantage et préparer la voie à l’unité des chrétiens.


Chapitre III. Églises et communautés ecclésiales séparées du Siège apostolique romain

13 Nous tournons maintenant notre regard vers deux catégories principales de scissions qui ont porté atteinte à la tunique sans couture du Christ.

Les premières de ces scissions eurent lieu en Orient, soit du fait de la contestation des formules dogmatiques des conciles d’Éphèse et de Chalcédoine, soit, plus tard, du fait de la rupture de la communion ecclésiale entre les patriarcats orientaux et le Siège romain.

D’autres scissions, plus de quatre siècles plus tard, intervinrent en Occident à la suite d’événements qui sont communément appelés la Réforme. Depuis lors, plusieurs communions, soit nationales, soit confessionnelles, sont séparées du Siège romain. Parmi celles chez lesquelles les traditions et les structures catholiques continuent de subsister en partie, la communion anglicane occupe une place spéciale.

Cependant, ces diverses séparations diffèrent fortement entre elles, non seulement en raison de l’origine, du lieu et du temps, mais surtout en raison de la nature et de la gravité des questions relatives à la foi et à la structure ecclésiale. C’est pourquoi le saint Concile, qui ne sous-estime pas la diversité des situations des différentes communautés chrétiennes et qui ne passe pas non plus sous silence les liens qui subsistent entre elles malgré les divisions, juge bon de proposer les considérations suivantes, en vue d’une action oecuménique qui doit être menée avec discernement.


I. Considérations particulières relatives aux Eglises orientales

14 Pendant de nombreux siècles, les Eglises d’Orient et d’Occident ont suivi chacune sa propre voie, tout en étant unies par la communion fraternelle dans la foi et la vie sacramentelle, le Siège romain intervenant d’un commun accord si des différends au sujet de la foi ou de la discipline s’élevaient entre elles. Le saint Concile se plaît à rappeler à tous, entre autres faits de grande importance, qu’en Orient brillent plusieurs Églises particulières ou locales, parmi lesquelles les Églises patriarcales occupent la première place et dont un certain nombre ont la gloire d’avoir été fondées par les apôtres eux-mêmes. C’est pourquoi prévalut et prévaut encore, parmi les Orientaux, le souci attentif de conserver dans une communion de foi et de charité les relations fraternelles qui doivent être en honneur entre les Églises locales, comme entre des soeurs.

Il ne faut pas non plus passer sous silence que les Églises d’Orient possèdent depuis leur origine un trésor duquel l’Église d’Occident a puisé de nombreux éléments dans les domaines de la liturgie, de la tradition spirituelle, de l’ordre juridique. On ne doit pas non plus sous-estimer le fait que les dogmes fondamentaux de la foi chrétienne sur la Trinité et le Verbe de Dieu qui a pris chair de la Vierge Marie, ont été définis dans des conciles oecuméniques tenus en Orient. Pour conserver leur foi, ces Églises ont beaucoup souffert et souffrent encore beaucoup.

L’héritage transmis par les apôtres a été reçu sous des formes diverses et selon des manières diverses et, depuis les origines mêmes de l’Église, il a été expliqué ici et là de façon différente en fonction aussi de la diversité des mentalités et des conditions de vie. Ce sont toutes ces raisons, en plus des motifs d’ordre extérieur, par suite aussi du manque de compréhension et de charité mutuelles, qui donnèrent occasion aux séparations.

C’est pourquoi, le saint Concile exhorte tout le monde, mais surtout ceux qui ont l’intention de travailler à l’instauration de la pleine communion souhaitée entre les Églises orientales et l’Église catholique, à bien considérer cette condition particulière des Églises d’Orient à leur naissance et dans leur croissance, ainsi que la nature des relations qui étaient en vigueur entre elles et le Siège romain avant la séparation, et à se former sur tous ces points un jugement droit. Si cette règle est soigneusement observée, ce sera extrêmement profitable pour le dialogue recherché.


15 Tous savent aussi avec quel amour les chrétiens orientaux célèbrent la sainte liturgie, surtout l’Eucharistie, source de vie pour l’Église et gage de la gloire future, par laquelle les fidèles, unis à leur évêque, ont accès auprès de Dieu le Père par son Fils, le Verbe incarné, qui a souffert et a été glorifié, dans l’effusion du Saint-Esprit et obtiennent ainsi la communion avec la très sainte Trinité, étant devenus « participants de la nature divine» (2P 1,4). Ainsi donc, par la célébration de l’Eucharistie du Seigneur en chacune de ces Églises, l’Église de Dieu s’édifie et s’accroît1 et la communion entre elles se manifeste par la concélébration. Dans ce culte liturgique, Marie toujours Vierge, que le concile oecuménique d’Éphèse a proclamée solennellement très sainte Mère de Dieu, pour que le Christ fût reconnu vraiment et proprement Fils de Dieu et Fils de l’homme, selon les Ecritures, est magnifiée par les Orientaux en des hymnes d’une très grande beauté et beaucoup de saints, parmi lesquels figurent des Pères de l’Église universelle, sont également objet de la vénération.

Mais comme ces Églises, tout en étant séparées, ont de véritables sacrements, et avant tout, en vertu de la succession apostolique, le sacerdoce et l’Eucharistie, par lesquels ils sont encore unis à nous par des liens très étroits, une certaine communicatio in sacris, dans des circonstances opportunes et avec l’approbation de l’autorité ecclésiastique, est non seulement possible, mais même recommandée.

En Orient, on trouve aussi les richesses de ces traditions spirituelles dont le monachisme surtout est l’expression. C’est là que, depuis les temps glorieux des saints Pères, a fleuri la spiritualité monastique qui s’est répandue ensuite dans les pays d’Occident, d’où l’institution monastique des Latins découle comme de sa source et où elle a puisé par la suite une vigueur toujours nouvelle. C’est pourquoi il est vivement recommandé aux catholiques d’accéder plus souvent à ces richesses spirituelles des Pères orientaux, qui élèvent l’homme tout entier à la contemplation des mystères divins.

Que tous sachent que connaître, vénérer, conserver, développer le patrimoine liturgique et spirituel si riche des Orientaux est de la plus haute importance pour conserver fidèlement la plénitude de la tradition chrétienne et pour réaliser la réconciliation des chrétiens d’Orient et d’Occident.

1 Cf. S Jean Chrysostome, In Io. homelia XLVI, PG 59, 260-262.


Unitatis redintegratio 2