Vie 25

25

Chapitres 25 à 29:

grâces mystiques

Chapitre 25

Je crois utile, mon père, d'exposer ici la nature de ces paroles que Dieu adresse à l'âme, et l'impression qu'elles produisent sur elle, afin que vous en ayez une idée nette. Car, comme vous le verrez par la suite de mon récit, depuis la première fois que le divin Maître me fit cette faveur, il a continué de me l'accorder très souvent jusqu'à ce jour.

Ces paroles sont parfaitement distinctes, mais on ne les entend pas des oreilles du corps; l'âme, néanmoins, les entend d'une manière beaucoup plus claire que si elles lui arrivaient par les sens. On a beau résister pour ne pas les entendre, tout effort est inutile. Pour la parole humaine, il dépend de nous de ne pas l'entendre, nous pouvons fermer nos oreilles; nous pouvons encore concentrer notre attention sur un autre objet, de manière à n'entendre qu'un son confus, sans saisir le sens de ce qui est dit. Mais pour les paroles que Dieu adresse à l'âme, il n'y a aucun moyen de ne pas les entendre. Malgré nous, elles nous forcent à écouter, et obtiennent de notre entendement une attention parfaite à tout ce que Dieu veut lui dire; il ne sert de rien ici de vouloir ou de ne pas vouloir. Par là, le Tout-Puissant nous fait entendre qu'il faut lui obéir, et il nous prouve qu'il est notre véritable Maître. J'ai sur ce sujet une grande expérience; car la crainte d'être trompée m'a fait résister près de deux ans à ces paroles intérieures (1); et maintenant encore j'essaie de temps en temps de résister, mais sans grand succès.

Je voudrais signaler les erreurs où l'on peut tomber en cette matière, bien qu'à mon avis le danger soit bien peu, ou même nullement à redouter, pour les personnes qui en ont une connaissance expérimentale, mais il faut que cette connaissance soit grande. Je souhaiterais aussi faire connaître en quoi les paroles du bon esprit diffèrent de celles du mauvais, et de celles que l'entendement forme intérieurement ou qu'il se dit à lui-même; car cela peut arriver. Je doutais d'abord si l'entendement pouvait ainsi se parler, mais aujourd'hui même il m'a semblé qu'il le pouvait.

J'ai reconnu par une très grande expérience que Dieu me parlait, en ce que plusieurs choses qui m'étaient annoncées deux et trois ans à l'avance se sont toutes accomplies, sans qu'aucune jusqu'à ce jour ait été démentie par les faits. J'ai encore reconnu, à d'autres caractères d'une clarté frappante, que ces paroles provenaient de l'esprit de Dieu, comme je me propose de le dire.

Selon moi, il peut arriver qu'une personne qui recommande à Dieu de tout son coeur une affaire dont elle est vivement préoccupée, se figure entendre une réponse; par exemple, que sa prière sera ou ne sera pas exaucée. Cela est, en effet, très possible. Toutefois, l'âme qui aura entendu des paroles divines verra clairement ce qu'il en est; car entre elles et les autres, il y a une grande différence. Quand c'est l'entendement qui forme ces paroles, quelque subtilité qu'il y mette, il voit que c'est lui qui les arrange et qui les profère. En un mot, lorsque l'entendement est l'auteur de ces paroles, il agit comme une personne qui ordonne un discours; et quand elles émanent de Dieu, il écoute ce qu'un autre dit. Dans le premier cas, il verra clairement qu'il n'écoute point, mais qu'il agit; et les paroles qu'il forme ont je ne sais quoi de sourd, de fantastique, et manquent de cette clarté qui est le caractère inséparable de celles de Dieu. Aussi pouvons-nous alors porter notre attention sur un autre objet, de même qu'une personne qui parle peut se taire; mais lorsque c'est Dieu qui nous parle, cela n'est plus en notre pouvoir.

Il y a encore une autre marque, la plus évidente de toutes: c'est que les paroles qui viennent de l'entendement ne produisent aucun effet, tandis que celles qui viennent de Dieu sont paroles et oeuvres tout ensemble. C'est pourquoi, lors même qu'il les profère non pour enflammer notre amour, mais simplement pour nous reprendre de nos fautes, dès la première, il dispose l'âme et la rend capable de tout entreprendre pour son service; il l'attendrit, il l'illumine, il répand en elle la joie et la paix. La trouve-t-il dans la sécheresse, le trouble et l'inquiétude, en lui parlant il lui enlève ces peines comme avec la main et fait plus encore. Le Seigneur semble vouloir lui donner ainsi à comprendre qu'il est tout-puissant, et que ses paroles sont des oeuvres. Il y a donc, à mon avis entre les paroles venant de nous et celles qui viennent de Dieu, la différence qui se trouve entre parler et écouter, ni plus ni moins. Lorsque je parle, comme je l'ai dit, j'arrange moi-même avec l'entendement ce que je dis; mais si l'on me parle, je n'ai qu'à écouter, ce qui ne me donne aucune peine. Dans le premier cas il y a dans les paroles quelque chose d'indécis, comme il arrive lorsqu'une personne se trouve dans un demi-sommeil. Mais dans le second, les paroles sont prononcées par une voix si claire, qu'on ne perd pas une syllabe de ce qui est dit; et quelquefois elles se font entendre dans un temps où l'âme est si troublée, et a l'entendement si distrait, qu'elle ne pourrait former une seule pensée raisonnable. Malgré cela, elle entend ces paroles, dont la première suffit pour la changer, et elle y trouve exprimées des pensées élevées, que, même au sein du plus profond recueillement, elle n'aurait jamais été capable de concevoir. Cela est plus vrai encore dans le ravissement; car ses puissances étant alors suspendues, comment pourrait-elle entendre des vérités qui jamais ne se seraient présentées à sa mémoire? Et comment ces vérités se présenteraientelles, alors que cette puissance n'agit plus, et que l'imagination est comme liée?

Il y a ici une observation à faire: si l'âme a des visions ou entend des paroles divines pendant qu'elle est ravie, ce n'est jamais pendant que l'âme est unie à Dieu dans le plus haut degré du ravissement: car alors, comme je l'ai expliqué en parlant, je crois, de la seconde eau, toutes les puissances de l'âme étant entièrement perdues en Dieu, elle ne peut ni voir, ni écouter, ni entendre. Elle est complètement au pouvoir d'un autre, et pendant ce temps, qui est de peu de durée, le Seigneur, me semble-t-il, ne lui laisse de liberté pour rien. Mais une fois que ce temps si court est passé, l'âme persévère encore dans le ravissement; ses puissances, sans être entièrement perdues en Dieu, demeurent néanmoins presque sans action; elles sont comme absorbées et incapables de raisonner; et c'est alors qu'elle entend les paroles divines.

Il y a tant de moyens de discerner ces deux genres de paroles, qu'il est difficile que l'on s'y trompe souvent; j'ajoute même qu'une âme exercée et prudente en verra très clairement la différence. Sans montrer sous combien de rapports elles diffèrent, je me contenterai de signaler celui-ci. Les paroles qui viennent de nous ne produisent aucun effet, et l'âme ne les admet pas, tandis qu'elle est forcée, malgré elle, d'admettre les paroles divines. En outre, elle ne leur accorde aucune foi, elle les considère plutôt comme des rêveries de l'entendement, et n'en tient pas plus compte que des paroles d'un frénétique. Mais Dieu se fait-il entendre, nous écoutons ses paroles comme si elles sortaient de la bouche d'une personne très sainte, très savante, de grande autorité, que nous savons être incapable de mentir; ce qui est même une comparaison trop basse. Ces paroles, en effet, sont parfois accompagnées de tant de majesté, que, sans considérer de qui elles procèdent nous ne saurions ne pas trembler quand elles nous reprennent de nos fautes, et ne pas nous fondre d'amour quand elles nous témoignent de l'amour. De plus, comme je l'ai dit, elles présentent à notre esprit des vérités bien éloignées de la mémoire, et elles expriment si rapidement des pensées si admirables, qu'il nous faudrait beaucoup de temps seulement pour les mettre en ordre: à mon avis, il nous est impossible de ne pas voir alors que de telles paroles ne sont pas notre oeuvre Il serait donc superflu de m'arrêter davantage sur ce sujet; une personne qui en a l'expérience ne saurait, selon moi, s'y tromper et tomber dans l'illusion à moins qu'elle ne veuille, de propos délibéré, se tromper elle-même.

Voici ce qui m'est souvent arrivé: le doute s'élevait en mon âme sur la vérité de ce qui m'avait été dit, non pas au moment où les paroles m'étaient adressées, cela étant impossible, mais lorsque ce moment était déjà loin de moi, en sorte queje craignais alors d'avoir été victime de l'illusion; et longtemps après, je voyais s'accomplir ce qui m'avait été annoncé. Le Seigneur, en effet, imprime ses paroles de telle sorte dans la mémoire qu'elles ne peuvent s'en effacer, tandis que les paroles venues de notre esprit, semblables à un premier mouvement de la pensée, passent et s'oublient. Les paroles divines sont quelque chose de réel et de subsistant; et si parfois, avec le temps, on en oublie quelque détail, du moins on n'en perd pas totalement la mémoire, à moins qu'il ne se soit écoulé un intervalle fort considérable, ou qu'il s'agisse de paroles de tendresse ou d'instruction; car pour celles qui renferment une prophétie, je ne crois pas qu'elles puissent s'oublier, et il ne m'est jamais arrivé d'en perdre le souvenir, quoique j'aie fort peu de mémoire.

Ainsi, je le répète, à moins qu'une âme ne soit assez misérable pour feindre de plein gré, et dire qu'elle entend quand elle n'entend pas, ce qui serait fort mal, elle verra clairement quand c'est elle-même qui forme le discours et profère des paroles; ne pas le voir me semble impossible, surtout si elle a entendu Dieu lui parler une seule fois. Que si elle ne l'a pas entendu, elle pourra rester toute sa vie dans l'illusion, se figurant qu'on lui parle. J'avoue néanmoins que je ne conçois pas une pareille erreur. Car enfin, ou cette âme veut entendre, ou elle ne le veut pas. Si ce qu'elle entend la tourmente, si réellement elle ne veut rien entendre, soit pour échapper à mille craintes, soit pour beaucoup d'autres motifs qui lui font désirer la tranquillité dans l'oraison, pourquoi laisse-t-elle à son entendement la liberté de coordonner des raisonnements? Car il faut du temps pour cela. Quand c'est Dieu qui parle, en un instant sa parole nous instruit, et nous fait comprendre des choses que nous ne pourrions coordonner en un mois; quelques-unes sont telles que l'âme et l'entendement en demeurent tout étonnés. Voilà la vérité; et quiconque aura de ceci une connaissance expérimentale, verra que tout ce que j'ai dit est d'une exactitude parfaite. Je bénis Dieu de ce que j'ai su l'expliquer.

Je termine par ce dernier trait de différence: il dépend de nous d'entendre, quand il nous plaît, les paroles de notre esprit; chaque fois que nous sommes en oraison, nous pouvons nous figurer qu'on nous parle. Il n'en est pas ainsi des paroles de Dieu: en vain, pendant plusieurs jours, j'aurai le désir de les entendre, Dieu ne me parle pas; tandis qu'en d'autres temps, malgré mes résistances, il me force à les entendre. Que si quelqu'un, pour tromper le monde, affirmait avoir appris de la bouche de Dieu ce qu'il se serait dit à lui-même, il ne lui coûterait guère d'ajouter qu'il l'a entendu des oreilles du corps. Et j'avoue franchement qu'il ne m'était jamais venu à l'esprit qu'il y eût une autre manière d'entendre, jusqu'à ce que je l'eusse éprouvé; mais, comme je l'ai dit, l'expérience m'a coûté cher.

Quand c'est le démon qui nous parle, non seulement ses paroles ne produisent pas de bons effets, mais elles en produisent de mauvais. Cela ne m'est arrivé que deux ou trois fois, et le Seigneur m'a aussitôt avertie de l'illusion. Outre que l'âme demeure dans une extrême sécheresse, elle se trouve en proie à je ne sais quelle inquiétude, pareille à celle que j'ai bien des fois ressentie au milieu des grandes peines d'esprit et des diverses tentations, dont Dieu a permis que je fusse assaillie; c'est un tourment que j'endure assez souvent encore, comme on le verra par mon récit. On ne sait d'où vient cette inquiétude, maison sent que l'âme résiste, qu'elle se trouble et s'afflige sans savoir pourquoi; car les paroles de l'esprit de ténèbres n'ont rien de mauvais, mais semblent plutôt bonnes. Je me demande si cela ne vient point de ce qu'un esprit en sent un autre.

La douceur et le plaisir que causent ces paroles diffèrent extrêmement de ce que font éprouver celles de Dieu. A l'aide de ce plaisir, l'ennemi pourra tromper les personnes qui n'ont jamais senti les véritables douceurs qui viennent de Dieu; j'appelle ainsi une joie douce, forte, pénétrante, délicieuse, tranquille. Je ne donne pas le nom de dévotion à ces petits élans de ferveur sensible, qui se réduisent à des larmes ou à quelques sentiments affectueux, et qui, semblables à des fleurs naissantes, se fanent et tombent au premier souffle de persécution. Sans doute, ce sont d'heureux commencements et des sentiments louables; mais ils ne suffisent pas à faire discerner les effets du bon et du mauvais esprit. C'est pourquoi il est à propos de marcher toujours avec une grande circonspection, parce que les personnes qui, dans l'oraison, n'auraient pas dépassé ces petites faveurs, pourraient facilement être trompées si elles avaient des visions ou des révélations. Quant à moi, je n'ai reçu ces dernières grâces que lorsque j'étais déjà élevée par la pure bonté du Seigneur, à l'oraison d'union. Je dois cependant excepter cette première apparition de Notre-Seigneur, qui eut lieu il y a bien des années, ainsi que je l'ai dit (cf. chap. 7). Et plût à sa divine Majesté que j'eusse compris dès lors, comme je l'ai compris depuis, que cette vision était véritable! Je n'en aurais pas retiré peu d'avantage.

Quand c'est le démon qui agit, loin de répandre une douce paix dans l'âme, il ne lui laisse que de l'effroi et un grand dégoût. Je tiens pour certain que Dieu ne lui permettra jamais de tromper une personne qui se défie d'elle-même en tout, et qui est si ferme dans la foi, que pour le moindre article de sa croyance, elle se dévouerait à mille morts. A cause de cette généreuse disposition que Dieu ne tarde pas à lui inspirer, et qui rend sa foi vive et inébranlable, l'âme met un soin continuel à se conformer en tout à ce qu'enseigne l'Église; dans ce but, elle interroge ceux qui peuvent l'éclairer. Elle est si immuablement attachée à ces vérités saintes, que toutes les révélations imaginables, vît-elle les cieux ouverts, ne seraient pas capables d'ébranler sa croyance sur un seul point de l'enseignement de l'Église. S'il arrive que l'âme sente vaciller sa foi sur quelque point, ou qu'elle s'arrête tant soit peu à cette pensée: Si c'est Dieu qui me dit ceci, ce pourrait bien être aussi vrai que ce qu'il a dit aux saints; cette hésitation et cette pensée viendraient du démon, qui commencerait à la tenter par un premier mouvement, et ce serait un très grand mal si elle s'y arrêtait. Mais je suis convaincue que même ces premiers mouvements seront bien rares, si l'âme est revêtue de cette force que Dieu donne aux personnes qu'il favorise de ces grâces. Car, pour la plus petite des vérités que l'Eglise nous propose, elle se sent la force d'écraser tous les démons.

Lorsqu'une âme ne voit point en elle cette vigueur de la foi, et lorsque la dévotion ou les visions qu'elle a ne contribuent pas à l'augmenter, je dis qu'elle ne doit pas les tenir pour sûres. Quoiqu'elle ne s'aperçoive pas sur l'heure du mal qu'elle en reçoit, ce mal, peu à peu, pourrait devenir considérable. Je vois, et je sais par expérience, qu'il ne faut se persuader qu'une chose vient de l'esprit de Dieu, qu'autant qu'elle se trouve conforme à l'Écriture sainte. S'il y avait la plus légère divergence, je croirais que ces visions viennent du démon, avec une fermeté incomparablement plus grande que je ne regarde les miennes comme venant de Dieu, quelque conviction que j'en aie. Avec cette divergence, on n'a pas besoin d'autres marques; car seule elle démontre d'une manière si évidente l'action du mauvais esprit, que si le monde entier m'assurait que c'est l'esprit de Dieu, je ne le croirais pas.

Autres signes de l'action du démon. Tous les biens semblent se cacher et s'enfuir de l'âme; le dégoût et le trouble s'emparent d'elle; aucun bon effet n'est produit. L'ennemi semble inspirer des désirs, mais ils sont sans vigueur; l'humilité qu'il laisse est fausse, inquiète et sans douceur. Tout cela, je crois, sera compris d'une âme qui aura éprouvé les effets du bon esprit. Néanmoins, le démon peut en cette matière nous tendre bien des pièges. Aussi, il n'y a pas sur ce point de faveur si assurée, qu'il ne soit plus sûr encore de craindre, de nous tenir sur nos gardes, et d'avoir un maître éclairé auquel notre âme soit entièrement ouverte. Avec de telles précautions, il ne peut nous arriver aucun mal.

Quant à moi, j'ai eu beaucoup à souffrir des craintes excessives de certaines personnes, surtout dans la circonstance que je vais rapporter. Plusieurs d'entre elles à qui, pour de bons motifs, j'accordais pleine confiance, s'étaient assemblées à mon occasion. Je ne m'ouvrais d'ordinaire qu'à mon confesseur; cependant, sur son ordre, je parlais aussi quelquefois à d'autres. Ceux-ci avaient pour moi beaucoup de dévouement, et craignaient que je ne fusse trompée par le démon. Je le craignais extrêmement aussi quand j'étais hors de l'oraison; car, pendant l'oraison même, Notre-Seigneur, en m'accordant quelque grâce, daignait me rassurer. Je crois qu'ils étaient cinq ou six, tous grands serviteurs de Dieu. Mon confesseur me déclara qu'ils prononçaient tous, d'un commun accord, que ce que j'éprouvais venait du démon; ainsi, d'après eux, je devais communier plus rarement, et me distraire de manière à éviter la solitude. J'étais craintive à l'excès; les souffrances du coeur auxquelles j'étais sujette contribuaient encore à augmenter cette disposition, de sorte que souvent, même en plein jour, je n'osais rester seule. Voyant des hommes d'un tel mérite affirmer ce que je ne pouvais croire, j'en concevais un très grand scrupule, dans la pensée que cela venait de mon peu d'humilité. Ils étaient tous en effet, sans comparaison, d'une vie plus édifiante que la mienne, et ils avaient la science pour eux: pourquoi ne pas les croire? Je faisais tous mes efforts pour cela; je me représentais les infidélités de ma vie, et à cette vue, j'essayais de me persuader qu'ils disaient vrai.

Un jour, sous l'empire de cette affliction, je quittai l'église, et je vins me réfugier dans un oratoire de notre monastère. Je m'étais privée pendant plusieurs jours de la communion et de la solitude, qui étaient toute ma consolation. Je n'avais personne avec qui je pusse communiquer; car tout le monde était contre moi. Les uns souriaient, ce semble, de pitié en écoutant ce que je disais, le regardant comme le fruit de l'illusion; les autres avertissaient mon confesseur de se tenir en garde contre moi; d'autres enfin disaient que l'action du démon était manifeste. Seul, mon confesseur, tout en suivant leur avis pour m'éprouver, comme je l'ai su depuis, me consolait toujours. Il me disait que quand bien même ce serait le démon, dès que j'étais fidèle à ne point offenser Dieu, il ne pouvait me nuire; qu'au reste, l'épreuve passerait, et que je devais le demander instamment à Dieu. De son côté, il sollicitait avec ardeur cette grâce pour moi. Les personnes qu'il confessait, plusieurs autres encore, unissaient leurs prières aux siennes dans le même but. Toutes mes oraisons d'ailleurs, et toutes celles des âmes que je savais amies de Dieu, ne tendaient qu'à obtenir de sa divine Majesté qu'il lui plût de me conduire par un autre chemin. Pendant deux ans, ce me semble, nos prières ne cessèrent de monter vers le ciel. Toutefois, nulle consolation ne m'enlevait la peine où me jetait la pensée seule que le démon pouvait m'adresser si souvent la parole. Car, depuis que je n'avais plus mes heures de solitude pour prier, Notre-Seigneur ne laissait pas de me faire entrer dans le recueillement au milieu même des conversations; il me disait ce qu'il jugeait à propos, et malgré toutes mes résistances, il me forçait à l'entendre.

Étant donc seule dans cet oratoire, loin de toute personne qui pût me consoler, incapable soit de prier, soit de lire, brisée par la tribulation, tremblant d'être dans l'illusion, accablée de tristesse et de trouble, je ne savais plus que devenir. Cette douleur, que j'avais tant de fois ressentie, n'était jamais, ce me semble, arrivée à cette extrémité. Je restai ainsi quatre ou cinq heures, ne recevant aucune consolation ni du Ciel ni de la terre. Le Seigneur me laissait dans la souffrance et en proie à l'appréhension de mille dangers.

O Seigneur de mon âme! comme vous montrez bien que vous êtes l'ami véritablel Étant tout-puissant, quand vous voulez, vous pouvez. Jamais vous ne cessez d'aimer, si l'on vous aime. Que toutes les créatures vous louent, ô Maitre du monde! Et qui me donnera une voix assez forte pour faire entendre partout combien vous êtes fidèle à vos amis? Tous les appuis d'ici-bas peuvent nous manquer; mais vous, Seigneur de toutes choses, vous ne nous manquez jamais. Qu'elle est petite la part de souffrance que vous faites à ceux qui vous aiment! O mon Maître, avec quelle délicatesse, quelle amabilité, quelle douceur, vous savez agir à leur égard! Trop heureux celui qui n'aurait jamais aimé que vous! Il semble, Seigneur, que vous éprouvez avec rigueur ceux qui vous aiment, afin que, dans l'excès de l'épreuve, se révèle l'excès plus grand encore de votre amour. O mon Dieu! Que n'ai-je assez de talent, assez de science et des paroles toutes nouvelles, pour exalter aussi bien que je les comprends les merveilles de vos oeuvres! Tout me manque pour cela, mon divin Maître! mais du moins, pourvu que votre main me protège, je ne vous abandonnerai jamais. Que tous les savants s'élèvent contre moi, que toutes les créatures me persécutent, que les démons me tourmentent: si vous êtes avec moi, je ne crains rien. Je sais maintenant par expérience, avec quel avantage vous faites sortir de l'épreuve ceux qui ne mettent leur confiance qu'en vous seul.

Tandis que j'étais dans l'extrême affliction que je viens de dire, et quoique à cette époque je n'eusse point encore eu de visions, ces paroles que j'entendis suffirent seules pour m'enlever toute ma peine, et faire naître en mon âme un calme parfait: «N'aie point de peur, ma fille, car c'est moi; je ne t'abandonnerai point, bannis toute crainte.»

Dans l'état où j'étais, j'aurais cru que, même en employant de longues heures à ramener la paix dans mon âme, nul n'aurait pu y réussir. Et voilà qu'à ces seules paroles, je sentis renaître la sérénité; je retrouvai la force, le courage, l'assurance, la paix, la lumière; en un instant j'avais été si complètement changée, que j'aurais soutenu contre le monde entier que ces paroles venaient de Dieu. Oh! quelle bonté en ce Dieu! quel bon Maître! et qu'il est puissant! Non seulement il donne le conseil, mais encore le remède; ses paroles opèrent ce qu'elles expriment. Comme il fortifie notre foi et augmente notre amour!

Souvent,en pareille occasion, j'aimais à me rappeler cette tempête que Notre-Seigneur apaisa soudain en commandant aux vents de laisser la mer tranquille, et je disais: Quel est celui auquel obéissent ainsi toutes les puissances de mon âme, qui en un instant fait briller la lumière au sein d'une obscurité si profonde, qui attendrit un coeur dur comme le rocher, et qui arrose de l'eau rafraîchissante des larmes une terre que devait, ce semble, désoler une longue sécheresse? Quel est celui qui allume ces désirs? Qui me donne ce courage? Car voici les pensées qui s'élevaient alors dans mon âme: De quoi ai-je peur? Qu'est-ce donc? Je veux servir ce Maître; je n'aspire qu'à le contenter; je mets dans l'accomplissement de sa volonté toute ma joie, tout mon repos et tout mon bonheur. Ce sont là mes sentiments, il me semble en être sûre et pouvoir l'affirmer. Si donc ce Seigneur est tout-puissant, comme je le vois, si les démons sont ses esclaves, comme la foi m'en donne la certitude, quel mal peuvent-ils me faire, à moi, la servante de ce Seigneur et de ce Monarque? Pourquoi n'aurais-je pas la force de combattre contre tout l'enfer? Je prenais en main une croix, et il me semblait vraiment, tant était grand le changement soudainement opéré en moi, que Dieu me donnait assez de courage pour en venir aux mains avec tous les démons réunis; je sentais qu'avec cette croix je les aurais facilement vaincus. Ainsi je leur disais: Maintenant, venez tous; étant la servante du Seigneur, je veux voir ce que vous pouvez me faire.

Il est certain qu'ils avaient peur de moi: de mon côté, au contraire, je demeurai si tranquille, et je les redoutai si peu, que toutes mes appréhensions s'évanouirent. Ils m'ont quelquefois apparu, il est vrai, comme on le verra par mon récit; mais ils ne m'inspiraient presque aucune crainte, ils semblaient plutôt saisis d'effroi à mon aspect. Par un don du souverain Maitre, j'ai gardé sur eux un tel empire, que je n'en fais pas plus de cas que de mouches. Je les trouve pleins de lâcheté: dès qu'on les méprise, tout courage les abandonne. Ils ne savent attaquer que ceux qu'ils voient se rendre à discrétion. Et si Dieu leur permet de tenter et de tourmenter quelques-uns de ses serviteurs, ce n'est que pour un plus grand bien. Plaise à sa Majesté de nous faire la grâce de ne craindre que ce qui doit réellement nous inspirer de la crainte, et d'être bien convaincus de cette vérité, qu'un seul péché véniel peut nous faire plus de mal que tout l'enfer ensemble!

Si ces esprits pervers nous épouvantent, c'est parce que nous leur donnons volontairement prise sur nous, par notre attachement aux honneurs, aux biens, aux plaisirs. Nous voyant aimer et rechercher ce que nous devrions avoir en horreur, ils conspirent avec nous contre nous-mêmes, et ils peuvent ainsi nous causer beaucoup de mal. Nous leur mettons en main les armes mêmes avec lesquelles nous devrions nous défendre. C'est là ce qu'on ne saurait assez déplorer.

Mais si au contraire, par amour pour Dieu, nous avons en horreur les faux biens de ce monde; si nous embrassons la croix; si nous sommes résolus à servir vraiment le Seigneur; le démon, en présence de telles dispositions, prend la fuite comme devant la peste. Ami du mensonge, et le mensonge même, il ne fera point de pacte avec quiconque marche dans la vérité. Mais s'aperçoit-t-il que l'entendement de quelqu'un est obscurci, il travaille avec adresse à éteindre en lui un reste de lumière; et dès qu'il le voit assez aveugle pour mettre son repos dans ces vanités du monde, non moins futiles que des hochets d'enfant, il sent bien que ce n'est là qu'un enfant; il le traite donc comme tel, et lui livre hardiment combat sur combat.

Daigne le Seigneur m'accorder la grâce de n'être pas du nombre de ces infortunés, de toujours regarder comme repos ce qui est repos, comme honneur ce qui est honneur, comme plaisir ce qui est plaisir, et de ne pas faire le contraire! Alors je me moquerai de tous les démons, et ce seront eux qui auront peur de moi. Je ne comprends pas ces craintes qui nous font dire: le démon, le démon, quand nous pouvons dire: Dieu, Dieu, et faire ainsi trembler notre ennemi. Et ne savons-nous pas qu'il ne peut faire le moindre mouvement, si le Seigneur ne le lui permet? Que signifient donc toutes ces terreurs? Quant à moi, c'est certain, je redoute bien plus ceux qui craignent tant le démon, que le démon lui-même. Car pour lui, il ne saurait me faire de mal, tandis que les autres, surtout s'ils sont confesseurs, jettent l'âme dans de cruelles inquiétudes. J'ai tant souffert pour ma part pendant quelques années, que je m'étonne maintenant d'avoir pu y résister. Béni soit le Seigneur, qui m'a tendu une main si secourable!

26

Chapitre 26

Je regarde comme une des grandes grâces du Seigneur ce courage qu'il me donna contre les démons; car une âme se nuit beaucoup à elle-même lorsqu'elle se laisse abattre par la peur, et dominer par une autre crainte que celle d'offenser Dieu. Sujets d'un Roi tout puissant, au service d'un Souverain auquel tout est assujetti, nous n'avons rien à redouter, comme je l'ai dit déjà, dès que nous marchons devant lui dans la vérité et avec une conscience pure. Je ne voudrais donc voir en nous qu'une crainte, celle d'offenser, si peu que ce soit, Celui qui peut soudain nous anéantir, mais qui, s'il est content de nous, peut aussi confondre tous nos ennemis.

Cela est vrai, pourra-t-on dire; mais où sera l'âme assez droite pour contenter le Seigneur en tout, et n'avoir point aussi quelque crainte? Certes, ce n'est pas la mienne; elle est trop pauvre, trop imparfaite, et remplie de trop de misères. Heureusement, Dieu ne nous traite pas avec la même rigueur que les hommes, il connaît nos faiblesses. Toutefois, malgré cette crainte de n'être pas assez fidèle, l'âme arrivée à l'état dont je parle, trouve en elle de grands indices d'un véritable amour pour Dieu. L'amour dont elle brûle ne reste plus caché comme dans les commencements; il se révèle, ainsi que je le dirai dans la suite, si je ne l'ai déjà dit, par l'impétuosité de ses transports, et par la véhémence du désir de voir Dieu. Tout la dégoûte, tout la fatigue, tout la tourmente, excepté jouir de lui, ou travailler pour sa gloire. Le repos d'ici-bas lui est un supplice, parce qu'elle se voit absente de son vrai repos. Ce sont là, à mon avis, autant d'indices très clairs et nullement trompeurs d'un véritable amour.

Voici ce qui m'est arrivé plusieurs fois. Étant assaillie de grandes tribulations à cause d'une affaire dont je parlerai (la fondation de Saint Joseph d'Avila), et me voyant en butte aux murmures, non seulement de presque toute la ville où je suis (Avila), mais encore de mon ordre, je m'affligeais profondément de tant de causes de trouble. Le Seigneur me disait: «De quoi as-tu peur? Ne sais-tu pas que je suis tout-puissant? J'accomplirai ce que je t'ai promis.» Ces paroles, dont j'ai vu depuis le fidèle accomplissement, laissaient au moment même dans mon âme une force étonnante. Je me sentais prête, dût-il m'en coûter encore davantage, à m'engager dans de nouvelles entreprises pour le service de Dieu, et à aller au-devant des souffrances. Cela s'est renouvelé tant de fois que je ne pourrais en dire le nombre.

Souvent aussi il me faisait des réprimandes; et il en agit encore ainsi lorsque je commets quelque imperfection Il y a alors dans ses paroles une force capable de faire rentrer une âme dans le néant; mais elles portent l'amendement avec elles, sa Majesté donnant tout ensemble, comme je l'ai dit, le conseil et le remède. De temps en temps, il rappelle à ma mémoire les péchés de ma vie, et particulièrement lorsqu'il veut me faire quelque grâce signalée. L'âme alors se croit déjà devant son Juge; et la vérité lui apparaiît avec tant de clarté qu'elle ne sait où se mettre. D'autres fois, il m'a avertie de certains dangers qui me menaçaient, ou qui menaçaient d'autres personnes. Enfin, il m'a annoncé bien des événements trois ou quatre ans à l'avance, et tous se sont fidèlement accomplis: je pourrai en signaler quelques-uns.

On voit par là qu'il y a tant de marques de l'action de Dieu dans une âme, qu'elle ne peut, à mon avis, l'ignorer. Toutefois, voici la conduite la plus sûre à tenir; elle n'a aucun danger, et offre de nombreux avantages; et nous, femmes, qui sommes étrangères à la science, nous devons surtout nous y conformer: c'est de faire connaître notre âme tout entière, et les grâces que nous recevons, à un confesseur éclairé, et de lui obéir. Notre-Seigneur lui-même me l'a ordonné plusieurs fois; je le mets en pratique, et je ne pourrais sans cela être en repos.

J'avais un confesseur qui me mortifiait beaucoup; quelquefois ma peine et mon affliction étaient bien grandes à cause du trouble où il me jetait; et c'est pourtant lui qui, à mon jugement, a fait le plus grand bien à mon âme (2). Malgré mon profond attachement pour lui j'étais quelquefois tentée de le quitter, parce qu'il me semblait que ces peines qu'il me causait me détournaient de l'oraison. Mais lorsque j'étais près d'en venir à l'exécution, Notre-Seigneur me faisait comprendre que je ne devais pas le faire; et je recevais chaque fois une réprimande, qui m'était infiniment plus sensible que tout ce que mon confesseur me faisait souffrir. A certains jours, je trouvais l'épreuve bien forte: tourment d'un côté, réprimande de l'autre; et tout cela m'était néanmoins nécessaire, tant j'avais encore peu travaillé à vaincre ma volonté. Notre-Seigneur me dit une fois que je ne devais pas me flatter d'être obéissante, si je n'étais déterminée à souffrir; je n'avais qu'à jeter les yeux sur ce qu'il avait enduré, et tout me deviendrait facile.

Un confesseur, à qui je m'étais confessée dans le commencement, me conseilla un jour de me taire sur les faveurs que je recevais; puisqu'il était prouvé qu'elles venaient de l'esprit de Dieu, il valait mieux n'en plus parler à personne, et garder là-dessus le silence. Ce conseil ne me déplut pas, car jamais je n'allais faire connaître à mon confesseur les grâces que Dieu m'accordait, sans éprouver une peine et une honte bien grandes. Parfois il m'eût été moins pénible de lui déclarer des fautes graves, surtout quand ces faveurs étaient d'un ordre élevé. Il me semblait qu'on ne me croirait pas, et qu'on se moquerait de moi; je trouvais en cela un manque de respect envers les merveilles de Dieu, et j'y étais si sensible, que, pour cette raison, j'aurais voulu garder le silence. Il me fut dit alors que j'avais été très mal conseillée par ce confesseur; je ne devais en aucune façon taire quoi que ce fût à celui auquel je m'adressais (Père Balthasar Alvarez), parce qu'il y avait en cela une grande sûreté, tandis qu'en faisant le contraire, je pourrais plus d'une fois me tromper.

Lorsque le divin Maître m'ayant commandé une chose dans l'oraison, mon confesseur m'en ordonnait une autre, Notre-Seigneur me disait d'obéir; mais il changeait bientôt la disposition de mon confesseur, et lui inspirait de me commander la même chose que lui.

Lorsqu'on défendit de lire plusieurs livres traduits en castillan, j'en eus beaucoup de peine; j'en lisais quelques uns avec plaisir, et désormais, ne comprenant pas le latin, je m'en voyais privée. Notre-Seigneur me dit: «N'en aie point de peine, je te donnerai un livre vivant.» Il ne me fut pas donné alors de saisir le sens de ces paroles, parce que je n'avais pas encore eu de vision (3), mais, peu de jours après, il me fut facile de l'entendre. En effet, j'ai trouvé tant à penser et à me recueillir dans ce que je voyais présent, et Notre-Seigneur a daigné lui-même m'instruire avec tant d'amour et de tant de manières, que je n'ai eu que très peu ou presque pas besoin de livres. Ce divin Maître a été le livre véritable où j'ai vu les vérités. Bénédiction à ce Livre vivant, qui laisse imprimé dans l'âme ce qu'on doit lire et faire, de telle sorte qu'on ne peut l'oublier Et qui donc pourrait voir le Seigneur couvert de plaies, affligé, persécuté, sans désirer partager ses douleurs et les embrasser avec amour? Qui pourrait apercevoir le plus faible rayon de la gloire qu'il prépare à ceux qui le servent, sans comprendre que tout ce qu'on peut faire et souffrir n'est rien, quand on espère une telle récompense? Qui pourrait voir les tourments que souffrent les damnés, sans considérer comme des délices les tourments d'ici-bas, et sans se sentir pénétré d'une infinie reconnaissance envers un Dieu qui tant de fois nous a délivrés de cet abîme?

Mais parce qu'avec le secours de Dieu je traiterai plus particulièrement ailleurs de ce sujet, je veux maintenant avancer dans la relation de ma vie. Je souhaite que le Seigneur m'ait fait la grâce de bien m'expliquer en ce que j'ai dit jusqu'ici. Je suis convaincue que celui qui en aura fait l'expérience n'aura nulle peine à le cornprendre, et trouvera que j'ai eu le bonheur de rn'exprimer avec assez de justesse. Mais je ne m'étonnerais point que celui qui ne l'a point éprouvé regardât tout cela comme des folies. Il est disculpé par cela seul que c'est moi qui l'ai dit, et je me garderai, certes, de le blâmer d'un tel jugement. Que le Seigneur m'accorde la grâce de faire sa volonté! Amen!




Vie 25