Augustin, la sainte virginité. - CHAPITRE XLIV. L'AVEU DES PÉCHÉS.

CHAPITRE XLIV. L'AVEU DES PÉCHÉS.

49. Si donc les vierges suivent l'Agneau partout où il va, c'est à la condition d'être irrépréhensibles, et elles le sont par l'expiation de leurs péchés et par la conservation de leur virginité; car on ne peut la recouvrer si on a eu le malheur de la perdre. L'Apocalypse, qui leur attribue ce privilège, les loue aussi d'avoir soustrait leurs lèvres à toute espèce de mensonges (6), les avertissant ainsi que la vérité leur défend de dire qu'elles sont sans péché. Le même Apôtre dit encore: «Si nous prétendons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est pas en nous. Si, au contraire, nous confessons nos fautes, Dieu, juste et fidèle, nous, les pardonnera et nous purifiera de toute iniquité. Au lieu qu'en disant que

- 6. Ap 14,4-5

147

nous n'avons pas péché, nous faisons de «Dieu un menteur, et sa parole n'est point en nous». Ce passage n'a pas un sens restreint, il s'applique à tous les chrétiens sans en exclure les vierges. Cette confession est pour elles le moyen d'être sans mensonge, comme les a vues l'auteur de l'Apocalypse. Jusqu'au moment donc où elles auront atteint la perfection dans la gloire céleste, qu'elles cherchent l'innocence dans une humble confession de leurs fautes.


50. Peut-être allez-vous prendre de là occasion de vous tranquilliser sur vos péchés et même d'y persévérer parla raison qu'ils seront promptement effacés par une facile confession. C'est pour détruire cette illusion que l'Apôtre ajoute: «Mes petits enfants, je vous écris en ces termes, afin que vous ne péchiez pas. Si quelqu'un se rend coupable, nous avons Jésus-Christ pour avocat auprès de son Père; il nous servira de propitiation pour nos péchés (1)». Ne quittons donc pas le péché avec la pensée d'y retomber bientôt; ne faisons aucun pacte avec l'iniquité; mettons notre joie à l'éviter, et non à la confesser.

1. Jn 1,8 Jn 2,2

CHAPITRE L. LE PÉCHÉ LÉGER, AGGRAVÉ PAR L'ORGUEIL ET DÉTRUIT PAR L'HUMILITÉ.

Toutefois ceux-là même qui déploient la vigilance la plus active pour éviter le péché, entraînés qu'ils sont par la fragilité humaine, le commettent encore quelquefois; ces péchés sont légers, ils sont rares, mais enfin ce sont des péchés. Que l'orgueil vienne y ajouter son poids, ils deviennent de graves et redoutables péchés. Confessons-les plutôt avec la plus profonde humilité; et le Prêtre que nous avons au ciel les effacera et ils disparaîtront avec la facilité la plus grande.


51. Je ne m'adresse toutefois nullement à ceux qui soutiennent que l'homme, ici-bas, peut vivre sans péché; je ne veux engager contre eux aucune discussion. On pourrait dire que nous jugeons des grandes âmes d'après notre profonde misère, et que nous nous aveuglons en nous comparant nous-mêmes à nous-mêmes (2). Mais je sais une chose, c'est que ces grandes âmes, et nous n'en sommes pas, nous n'en n'avons jamais connu de telles, plus elles sont grandes, plus elles s'humilient et prennent

- 2. 2Co 10,12

147

partout le dernier rang afin de trouver grâce devant Dieu. Quelque grandes qu'elles soient, en effet, il sera toujours vrai de dire que «le serviteur n'est pas au-dessus de son Seigneur, ni le disciple plus grand que son Maître (1)». Or le Seigneur est Celui qui a dit: «Tout m'a été donné par mon Père»; et le Maître . «Venez à moi vous tous qui êtes dans la peine et apprenez de moi». Et qu'apprendrons-nous? «Que je suis doux et humble de coeur (2)».

1. Jn 13,16 - 2. Mt 10,27-29

CHAPITRE LI. DIEU EST LE GARDIEN DE LE LA VIRGINITÉ DANS LES HUMBLES.

52. Mais, me dira-t-on peut-être, ce n'est plus de la virginité, c'est de l'humilité que vous parlez. Mais ai-je entrepris de parler de la virginité en général, et non pas de la virginité selon le coeur de Dieu? Or plus ce bien me paît précieux, plus je crains pour lui les ravages et les coups de l'orgueil. Garder la virginité, Dieu seul le peut, car lui seul en est la source. Or Dieu est charité (3); la véritable gardienne de la virginité, c'est donc la charité, et celle-ci ne siège que dans l'humilité. En effet, c'est uniquement dans un coeur humble qu'habite Celui qui représente l'Esprit-Saint comme prenant son repos dans celui qui est humble, paisible, et qui tremble à sa parole (4). Je ne suis donc pas sorti de mon sujet, car pour faire conserver avec plus de soin le bien que j'ai loué; j'ai voulu préparer la place à qui est chargé de la garder. Sans craindre aucunement de soulever contre moi la colère de ceux à qui je veux faire partager mes alarmes, je dis hautement qu'il sera plus facile aux époux humbles qu'aux vierges orgueilleuses, de suivre l'Agneau, non pas partout où il va, mais là où il leur sera donné de l'accompagner, Comment, en effet, suivre Celui dont on ne veut pas s'approcher? Et comment s'en approcher quand on ne vient pas à lui pour apprendre: «Je suis doux et humble de coeur?» Ainsi donc, si l'Agneau a des humbles à sa suite, et les conduit partout où il va, c'est qu'il trouve en eux une place pour y reposer sa tête. Or un homme orgueilleux et rusé lui disant: «Seigneur, je vous suivrai partout où vous irez»,

- 3. 1Jn 4,8 - 4. Is 66,2

148

il lui répondit: «Les renards ont leurs tanières et les oiseaux leurs nids, tandis que le Fils de l'Homme n'a pas où reposer sa tête (1)». Sous le nom de renards, le Sauveur condamnait l'astuce et la fraude; les oiseaux symbolisent l'orgueil; dans tout cela il ne trouvait donc pas l'humilité véritable sur laquelle il pût se reposer. Voilà pourquoi jamais il n'a suivi le Seigneur, cet homme qui avait promis de le suivre, non pas jusqu'à tel degré, mais partout où il irait.

1. Mt 8,19-20

CHAPITRE LII. LA PRATIQUE DE L'HUMILITÉ, NÉCESSAIRE AUX VIERGES.

53. Courage donc, vierges du Seigneur, courage, suivez l'Agneau partout où il ira. Mais avant de le suivre, venez à lui et apprenez qu'il est doux et humble de coeur. Si vous l'aimez, venez humblement à Celui qui est l'humilité même, et ne vous séparez jamais de lui, si vous craignez de tomber; celui qui regarde comme un malheur de s'éloigner de lui, répète souvent cette humble supplication «Que le pied de l'orgueil ne vienne point jusqu'à moi 1 ». Appuyées sur le pied de l'humilité, courez la voie de la plus haute perfection. Celui qui n'a pas rougi de descendre jusqu'à notre bassesse, exalte ceux qui le suivent dans l'humilité. Confiez-lui la garde des dons qu'il vous a faits; mettez en sûreté votre force près de lui s. Le mal que par sa protection vous ne commettrez pas, regardez-le comme vous étant pardonné; autrement, vous seriez tentées de croire qu'il vous a été pardonné peu; vous n'aimeriez que peu, et gonflées d'un fatal orgueil, vous iriez jusqu'à mépriser les publicains' qui se frappent humblement la poitrine. Avez-vous fait en quelque chose l'expérience de vos forces? Défiez-vous et ne vous enorgueillissez pas d'avoir pu porter tel fardeau. Quant à ce que vous n'avez pas expérimenté encore, priez afin que Dieu vous garde d'entreprendre au-delà de vos forces. Croyez que ceux que vous précédez extérieurement, vous sont supérieurs dans le secret de leur âme. Lorsque vous accueillez avec bienveillance le bien que l'on vous dit des autres, et que vous ignorez le bien que vous connaissez en vous, loin de diminuer par la comparaison, s'affermit

- 2. Ps 35,12 - 3. Ps 58,10

et s'augmente par la charité; et celui que vous n'avez pas, vous l'obtiendrez d'autant plus facilement que vous le demanderez avec plus d'humilité. Prenez exemple sur celles qui persévèrent; quant à celles qui tombent, qu'elles augmentent vos craintes. Aimez celles-là et marchez sur leurs traces; pleurez sur celles-ci, de crainte que l'orgue il ne vous séduise. Gardez-vous de compter sur votre propre justice, et soumettez-vous à Dieu qui vous justifie. Pardonnez les fautes du prochain et priez pour les vôtres; prévenez les péchés futurs par votre vigilance, et effacez par une humble confession les péchés passés.

CHAPITRE LIII. LES VIERGES DOIVENT ÊTRE D'AUTANT PLUS HUMBLES QU'ELLES SONT PLUS SAINTES.


54. Vous êtes arrivées à conformer toutes vos oeuvres à la profession de la virginité. Homicides, sacrifices diaboliques, abominations, vols, rapines, fraudes, parjures, intempérance, luxure, avarice, ruse, jalousie, impiété, cruauté, non-seulement vous êtes dépouillées de tous ces vices, mais les fautes les plus légères ou qui le paraissent, on ne les rencontre point en vous. Ni votre visage n'est colère; ni vos yeux, errants; ni votre langue, immodérée; ni votre rire, éclatant; ni vos jeux, bouffons; ni votre vêtement, immodeste; ni votre démarche, fière ou affectée; «vous ne rendez point le mal pour le mal, la malédiction pour la malédiction (1); «Votre charité irait même jusqu'à donner votre vie pour vos frères (2)». Voilà ce que vous êtes, parce que c'est là ce que vous devez être. Quand toutes ces vertus s'ajoutent à la virginité, les hommes ont sous les yeux le spectacle d'une vie angélique, et la terre voit des moeurs toutes célestes. Mais plus vous êtes grandes, plus vous devez vous humilier en tout, afin que vous trouviez grâce devant Dieu, qui résiste aux superbes, qui abaisse ceux qui s'élèvent, et laisse ceux qui s'enflent dans l'impossibilité de pénétrer par la porte étroite. C'est du reste une question superflue de demander si l'humilité se trouve partout où brûle la charité.

1. 1P 3,9 - 2. 1Jn 3,16

149

CHAPITRE LIV. LES VIERGES DOIVENT AIMER JÉSUS-CHRIST DE TOUT LEUR COEUR.


55. Puisque vous avez renoncé au mariage humain qui vous eût rendus pères où mères, aimez de tout votre coeur le plus beau des enfants des hommes. Il est tout entier à vous, puisque votre coeur est libre des liens du mariage. Contemplez la splendeur de votre bien-aimé: voyez-le égal à son Père et soumis à sa mère; régnant au ciel et serviteur sur la terre; créateur de tout être créé, et créé parmi tout. Contemplez avec amour ce qu'insultent en lui les orgueilleux; c'est sa beauté. Jetez les yeux de votre coeur sur les blessures du divin Crucifié, sur les cicatrices du divin Ressuscité, sur le sang d'un Dieu qui meurt, sur le prix de votre foi, sur le salaire de votre Rédemption. Appréciez la valeur de ces bienfaits; pesez-les dans la balance de la charité, et tout ce que vous aviez d'amour à dépenser pour votre mariage, donnez-le à l'Epoux.


CHAPITRE LV. BONHEUR D'AIMER L'ÉPOUX DIVIN.

56. Ce qu'il recherche, c'est la beauté intérieure de cette âme par laquelle il vous a donné le pouvoir de devenir les filles bien-aimées de Dieu (1). Pour cela il ne demande pas de vous un beau corps, mais de belles moeurs pour réprimer les élans de la chair. Il n'est pas menteur dans ses promesses, et ne soulève pas la jalousie cruelle. Voyez avec quelle sécurité vous jouissez de son amour, car vous n'avez pas à craindre de lui déplaire par des soupçons. Le mari et la femme s'aiment parce qu'ils se voient, et ils craignent réciproquement ce qu'ils ne voient pas; ce qu'il voient ne peut donc leur procurer une joie assurée, puisque souvent ils soupçonnent intérieurement ce qui n'est pas. Dans Celui que vous ne voyez pas de vos yeux, mais que vous apercevez par la foi, vous ne

1. Jn 1,12

trouvez rien qui puisse vous blesser et vous n'avez pas à craindre qu'il s'offense de ce qui n'existe pas. Dans le mariage, vous auriez été tenues à un grand amour pour vos époux; quel amour ne devez-vous donc pas à Celui que vous avez préféré à tous les époux? Tenez fixé dans votre coeur Celui qui pour vous fut attaché à la Croix; qu'il possède dans votre âme tout ce que vous avez refusé d'engager par le mariage. Il ne vous est pas permis de n'aimer que faiblement Celui pour qui vous avez refusé d'aimer, même ce que vous pouviez aimer. Or, si vous aimez de la sorte Celui qui fut doux et humble de coeur, je ne crains pour vous aucune espèce d'orgueil.


CHAPITRE LVI. CONCLUSION.

57. Nous avons traité suffisamment, selon notre faible pouvoir, de la sainteté qui vous a mérité le nom de vierges consacrées, et de l'humilité qui est le moyen de conserver ce qui fait votre grandeur. Du reste, je laisse à ces trois enfants, que rafraîchissait dans les flammes Celui qu'ils aimaient de tout leur coeur, le soin de vous faire goûter. ce petit ouvrage; ils le feront en beaucoup moins de paroles, mais avec une autorité bien plus imposante, dans cet hymne où ils chantent la gloire de Dieu. En joignant l'humilité à la virginité dans les âmes invitées à bénir Dieu, ces enfants nous ont appris, jusqu'à la dernière évidence, que plus on est élevé dans la sainteté, plus on doit se mettre en garde contre les séductions de l'orgueil. Vous aussi, louez donc Celui, qui, au milieu des ardeurs de ce siècle, ne permet pas que vous brûliez des feux de la concupiscence, quoique vous ne soyez pas engagées dans les liens du mariage, et, en priant aussi pour nous, répétez: «Saints et humbles de coeur, bénissez le Seigneur, chantez l'hymne de la louange et tressaillez dans tous les siècles (1)».

1. Da 3,87

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.


Augustin, la sainte virginité. - CHAPITRE XLIV. L'AVEU DES PÉCHÉS.