Augustin, contre adimantus, manichéen.


CONTRE ADIMANTUS, MANICHÉEN





CHAPITRE PREMIER. LES PREMIÈRES PAROLES DE LA GENÈSE.

«Au commencement Dieu créa le ciel et la terre», jusqu'à ces mots: «Et du soir et du matin se fit le premier jour (1)». Dans leur folle extravagance les Manichéens ne craignent pas de mettre en contradiction ce chapitre de la Loi avec l'Evangile; ils soutiennent que dans la Genèse il est écrit que Dieu créa par lui-même le ciel, la terre et la lumière, tandis que dans l'Evangile il est dit que le monde a été créé par Notre-Seigneur Jésus-Christ: «Et le monde a été créé par lui, et le monde ne l'a pas connu (2)». Je leur oppose une triple réfutation. Premièrement, dans ces paroles «Au commencement Dieu créa le ciel et la «terre», le chrétien reconnaît la Trinité elle-même, non-seulement le Père, mais aussi le Fils et le Saint-Esprit. En effet, nous ne croyons pas trois Dieux, mais un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, tout en proclamant que le Père est véritablement Père, que le Fils est véritablement Fils, que le Saint-Esprit est véritablement Saint-Esprit. Il serait trop long de discuter- ici- cette unité imposante de la Trinité. Secondement ces mots: «Dieu dit: Que cela soit, et cela fut», nous prouvent clairement que c'est par le Verbe que tout a été fait. Or, le Verbe c'est le Fils du Père. Comment dès lors voir une contradiction entre cette parole de la Genèse: «Et Dieu dit: Que cela soit, et cela fut», et cette autre parole de l'Evangile: «Le monde a été fait par lui», c'est-à-dire par Notre-Seigneur. Jésus-Christ n'est-il pas en effet le Verbe du Père, par qui tout a été fait? Troisièmement enfin, si parce

1. Gn 1,15 - 2. Jn 1,10

que la Genèse ne dit pas que c'est par le Fils que Dieu a tout fait, on veut en conclure que le Fils est resté étranger à la création; il faut donc aussi conclure de l'Evangile que ce n'est pas par le Fils que Dieu nourrit les oiseaux, et donne au lis son vêtement (1), et accomplit une foule d'autres oeuvres semblables, que Notre-Seigneur attribue à son Père sans ajouter qu'il les réalise par son Fils? Les Manichéens vont plus loin encore. Citant ce passage de l'Apôtre relatif à Notre-Seigneur Jésus-Christ: «Il est le premier-né de toute créature: et tout a été fait par lui au ciel et sur la terre, les choses visibles et invisibles (2)», ils soutiennent qu'il est en contradiction avec le chapitre de la Genèse, où il est dit, sans aucune mention du Fils, que Dieu créa le monde. Se peut-il une erreur plus profonde? Comment alors ne pas voir que l'Apôtre se met en contradiction avec lui-même, quand il dit, dans un autre endroit, en parlant de Jésus-Christ seul: «De qui tout procède, par qui tout a été «fait, en qui tout existe (3)?» Et cependant il ne nomme pas le Fils. Mais quoique son nom ne s'y trouve, pas, n'y est-il pas suffisamment désigné? Il en est de même pour le passage de la Genèse. Il n'y a donc pas plus de contradiction entre la Genèse et l'Evangile, qu'il n'y en a entre ces deux passages de l'Apôtre.



CHAPITRE II. LE REPOS DE DIEU.

1. Nous lisons: «Dieu accomplit le sixième jour toutes les oeuvres qu'il avait faites, et il se reposa le septième jour après avoir achevé tous ses ouvrages (4)». Ce passage est également

1. Mt 6,26-30 - 2 . Col 1,15-16 - 3. Rm 11,36 - 4. Gn 2,2

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attaqué par les Manichéens. Dire avec la Genèse que le septième jour Dieu se reposa après toutes les oeuvres qu'il avait faites, c'est évidemment contredire ce mot de l'Evangile: «Mon Père agit jusque maintenant (1)». Une telle assertion est une pure calomnie. En effet, dans l'Evangile, le Seigneur réfute l'erreur des Juifs qui croyaient que Dieu se repose tellement depuis le septième jour, qu'il est dans une inactivité absolue. Mais ce repos n'est autre chose que la cessation de l'action créatrice, sans que l'on puisse en conclure aucunement que Dieu ait abandonné l'administration du monde. Il n'est pas dit que Dieu se reposa de ses oeuvres de manière à ne plus faire quoi que ce fût; mais seulement: «Dieu se reposa de toutes les oeuvres qu'il avait créées». L'action de Dieu n'a plus pour objet la création, puisque la création est terminée, mais le gouvernement et la conservation de l'univers; et telle est l'action continuelle dont Jésus-Christ nous atteste l'existence. Du reste, ce repos ne peut être considéré comme une pause après un travail; Dieu cesse de créer la nature ries choses, mais en exerçant sur elle un travail incessant de gouvernement et de conservation.

2. C'était donc dénaturer les observances du sabbat, de penser avec les Juifs que l'on devait suspendre même le travail que nécessitent la santé et la conservation de l'homme. Voilà pourquoi dans d'autres circonstances encore le Seigneur leur reproche ces exagérations, soit par la parabole du boeuf qui tombe dans un puits, soit par la parabole de l'âne que l'on délie pour le conduire se désaltérer au torrent (2). Le sabbat n'a pas été détruit par les chrétiens, seulement il ne fut plus observé charnellement; les saints l'interprétant spirituellement y ont vu l'image du repos auquel le Sauveur nous convie par ces paroles: «Venez à moi, vous qui travaillez et je vous rendrai la force. Prenez mon joug et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur; et vous trouverez le repos de vos âmes. Car mon joug est doux et mon fardeau est léger (3)». C'est ce sabbat ou ce repos que la sainte Ecriture symbolisait, et que les Juifs ne comprenaient pas; ils n'en avaient que l'ombre, tandis que le corps, c'est-à-dire la vérité devait nous en être révélée. De même donc que ce repos de Dieu nous est mentionné

1. Jn 5,17 - 2. Lc 14,5 Lc 13,15 - 3. Mt 11,28-30

aussitôt après la création du monde, de même ce repos, qui nous est promis, ne nous sera accordé qu'après les travaux de cette vie, si ces travaux sont justes; nous n'en jouirons qu'au septième jour, c'est-à-dire dans la dernière partie du siècle. Mais il serait trop long de développer cette pensée. Concluons seulement que loin de contredire l'Ancien Testament, le Seigneur nous place uniquement dans la nécessité de le comprendre; il ne détruit pas le sabbat au point d'anéantir la figure qui y était renfermée, il nous révèle plutôt le mystère qui y était caché.



CHAPITRE 3. LE SOMMEIL D'ADAM.

1. Nous lisons dans la Genèse: «Dieu dit aussi: Il n'est pas bon que l'homme soit seul, faisons-lui une aide. Et Dieu envoya à Adam un profond sommeil, et lorsqu'il fut endormi, il tira une de ses côtes, dont il forma Eve qu'il présenta à Adam, et Dieu dit: L'homme abandonnera son père et sa mère et s'attachera à sa femme (1)». Les Manichéens prétendent que ce passage est en contradiction avec le Nouveau Testament, où nous lisons que Dieu forma la femme et l'unit au premier homme; ensuite l'Evangile met sur les lèvres de Notre-Seigneur les paroles suivantes: «Celui qui quittera sa maison, ou son épouse, ou ses parents, ou ses frères, ou ses enfants, pour le royaume de Dieu, recevra au centuple dès cette vie, et après la mort il possédera la vie éternelle (2)». Cette attaque m'étonnerait de la part des Manichéens, mais je ne dois plus m'étonner de rien depuis qu'il a été dit: «Leur méchanceté les a aveuglés». Du reste, combien de fois le Nouveau Testament ne formule-t-il pas la nécessité d'aimer son épouse? Au lieu de dire que l'Ancien Testament est en contradiction avec cette maxime du Sauveur, qui conseille d'abandonner sa femme pour le royaume des cieux, il serait plus facile de dire que le Nouveau Testament est en contradiction avec lui-même. Et en cela quel crime peut-il y avoir? Avant d'accuser témérairement, il serait beaucoup mieux d'exercer son intelligence et de chercher à comprendre ce qui, pour des ignorants, paraît une contradiction.

1. Gn 2,18-24 - 2. Mt 19,29 Mc 10,29-30 Lc 18,29-30

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2. Les Juifs demandaient au Seigneur si, moyennant un écrit de répudiation, il était permis de renvoyer sa femme. Jésus leur répondit: «N'avez-vous pas lu que Celui qui a créé l'homme les a faits homme et femme; et il a dit: En conséquence l'homme abandonnera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et ils seront deux dans une seule chair? Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair. Donc ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas. Ils lui dirent: «Pourquoi donc Moïse a-t-il commandé de donner un écrit de répudiation et de renvoyer sa femme? Jésus leur dit: C'est à raison de la dureté de votre coeur que Moïse vous a permis de renvoyer vos épouses; mais il n'en était pas ainsi au commencement. Je vous dis: Quiconque répudiera sa femme, si ce n'est pour cause de fornication, la rend adultère; et s'il en épouse une autre, il commet l'adultère (1)». Se pourrait-il une confirmation plus formelle de l'Ancien Testament, en réponse à l'ignorance des Juifs? En même temps le Sauveur justifie Moïse, en déclarant que c'est uniquement à cause de la dureté de leur coeur qu'il leur permit le divorce. Prétendra-t-on mettre l'Évangile en contradiction avec lui-même? Peut-être les Manichéens vont-ils alléguer que ce chapitre n'est qu'une addition faite par ceux qui ont interpolé les saintes Écritures; c'est là en effet la dernière ressource qu'ils emploient d'ordinaire quand ils ne savent plus que répondre. Mais alors pourquoi n'en dirait-on pas autant du passage qu'ils citent en le mettant sur les lèvres du Seigneur: «Quiconque abandonnera sa maison, ou son épouse, ou ses parents, ou ses enfants pour le royaume des cieux», etc...? L'erreur les aveugle tellement, qu'ils ne comprennent pas que les moyens qu'ils emploient pour se justifier ne tendent à rien moins qu'à renverser tout l'édifice de la foi chrétienne. Or, la foi et l'enseignement de l'Église catholique nous affirment que ces deux passages sont la vérité même, qu'ils ont été révélés par Dieu et qu'ils n'impliquent aucune contradiction; car c'est Dieu qui forme l'union de l'homme et de la femme, comme c'est lui qui autorise de quitter sa femme pour conquérir le royaume des cieux. Parce que Jésus-Christ a ressuscité les morts et leur a donné la vie, est-ce que la vie

1. Mt 19,3-9

elle-même ne doit plus être abandonnée pour le royaume des cieux? Oui, sans doute, c'est Dieu qui unit la femme à son mari, et cependant, si besoin est, la femme doit être quittée pour le royaume des cieux. Ce besoin n'existe pas toujours, car l'Apôtre a dit: «Si un chrétien a une épouse infidèle et que celle-ci consente à habiter avec lui, qu'il ne la renvoie pas (1)». Cela signifie que si elle ne consent pas à habiter avec lui, c'est-à-dire si elle a en horreur la foi chrétienne, si elle ne peut le supporter parce qu'il est chrétien, il doit la quitter pour le royaume des cieux; c'est encore la décision du même Apôtre «Si la partie infidèle s'éloigne, qu'on la laisse, car l'épouse ou l'époux chrétiens ne sont pas condamnés à la servitude en ce point». Si donc quelqu'un renonce au royaume des cieux plutôt que de renvoyer une femme qui ne peut tolérer un mari chrétien, le Seigneur le désapprouve; de même si, au moyen du libelle de répudiation, un homme répudie sa femme sans aucune cause de fornication, ou sans se proposer le royaume des cieux, Dieu le condamne. Il n'y a donc aucune contradiction entre ces deux chapitres évangéliques, ni entre l'Évangile et l'Ancien Testament. Partout, en effet, nous voyons que la femme est unie à son mari, dans le but que tous deux méritent la possession du royaume des cieux; d'un autre côté et par la même raison, il est ordonné de renvoyer la femme, si elle est pour son mari un obstacle à posséder le royaume des cieux.

3. De là cet avertissement donné par l'Apôtre aux deux époux: «Aimez vos épouses, comme Jésus-Christ a aimé son Eglise, car il s'est livré à la mort pour elle. Que les femmes soient soumises à leurs maris comme au Seigneur»; car l'Église est soumise à Jésus-Christ. Cette pensée n'est-elle pas celle qui est exprimée dans l'Ancien Testament, et dont ces malheureux se raillent témérairement: «Voilà pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, pour s'attacher à son épouse, et ils seront deux dans une seule chair?» C'est de ce mystère que parle l'Apôtre en ces termes: «Ce sacrement est grand, je dis en Jésus-Christ et en son Église». Il ajoute: «Cependant, que chaque mari aime sa femme comme lui-même; et que la femme craigne respectueusement son mari (2)». Ailleurs il attribue

1. 1Co 7,12 - 2. Ep 5,25 Ep 5 Ep 31-33

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clairement à Dieu créateur et providence, la nature et l'union des deux sexes: «Cependant, que la femme ne soit point sans son mari, ni le mari sans sa femme, dans le Seigneur. Car comme la femme procède de l'homme, de même l'homme vient de la femme: mais tout vient de Dieu (1)». Pour peu que les Manichéens étudient ces textes, ils cesseront de vouloir en imposer aux ignorants par des rapprochements trompeurs de textes qu'ils mettent fallacieusement en contradiction les uns avec les autres; ils comprendront enfin que tout, dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, a été inspiré et dicté par le souffle unique du Saint-Esprit.

4. Dans l'Ancien Testament le prophète Isaïe déroule les plus belles promesses en faveur de la virginité; dans le Nouveau Testament, le Seigneur la comble de semblables éloges quand, parlant de la virginité volontaire, embrassée pour le royaume des cieux, le Seigneur ajoute: «Que celui qui peut comprendre, comprenne (2)». Voici les paroles d'Isaïe

«Le Seigneur dit aux eunuques qui observent mes commandements, qui accomplissent ma volonté et qui sont dignes de mon alliance: Je leur réserverai dans ma demeure et dans mon palais une place distinguée, plus belle que celle des enfants et des filles; je leur donnerai un nom éternel qui ne se ternira jamais (3)». Sans doute Dieu, dans ses décrets éternels sur la distribution des temps, avait condamné le peuple de l'Ancien Testament à marcher dans les ombres et les figures en attendant la venue du Sauveur; cependant les enseignements et les prophéties de l'Ancien Testament étaient assez clairs et assez complets pour qu'on puisse affirmer que l'on trouve dans ce Testament au moins le germe de toute la doctrine apostolique avec ses promesses et ses préceptes divins les plus relevés et les plus sublimes. Disons seulement que les saintes Ecritures demandent, non pas des accusateurs téméraires et orgueilleux, mais des lecteurs intelligents et pieux.



CHAPITRE IV. LA MALÉDICTION DE CAÏN.

Nous lisons dans la Genèse: «Le Seigneur dit à Caïn: Qu'avez-vous fait? La voix du

1. 1Co 11,11-12 - 2. Mt 19,12 - 3. Is 57,4-5

sang de votre frère crie de la terre jusqu'à moi. Vous serez maintenant maudit sur la terre qui a reçu le sang de votre frère lorsque votre main l'a répandu. Il vous faudra cultiver la terre et elle ne vous donnera que des fruits stériles (1)». Ce chapitre, qui nous annonce que Caïn, maudit de Dieu, sera puni par la stérilité de la terre, n'échappe pas aux calomnies des Manichéens. En essayant de le mettre en contradiction avec l'Evangile, ils me paraissent voir dans leurs auditeurs ou leurs lecteurs plutôt des animaux aveugles que des hommes; ils abusent cruellement de l'ignorance profonde et du déplorable aveuglement de leurs adeptes. En effet, à ce passage de la Genèse ils opposent ces lignes de l'Evangile, où le Sauveur parlant à ses disciples leur dit: «Ne vous inquiétez pas du lendemain; car ce lendemain se suffira à lui-même. Voyez les oiseaux du ciel, ils ne sèment point, ils ne moissonnent point, ils n'entassent rien dans des greniers (2)». Est-ce que nous allons comparer Caïn fratricide aux disciples de Jésus-Christ? parce que ce meurtrier a mérité que la terre lui fût stérile, faut-il conclure que la même stérilité devait frapper ceux qui, en suivant Notre-Seigneur Jésus-Christ, se préparaient à la prédication de l'Evangile? Ces deux chapitres, l'un de la Genèse, l'autre de l'Evangile, loin d'être en contradiction, ont entre eux la corrélation la plus parfaite. Qu'un frère, meurtrier de son frère, voie ses travaux sur la terre frappés de la stérilité la plus complète, quoi de plus juste? mais que des hommes qui, par le ministère de la parole, travaillaient à la délivrance de leurs frères, n'aient pas à s'occuper du lendemain, que la terre pour eux féconde leur prodigue ses dons, quoi de plus naturel? Si les Manichéens sont saisis d'horreur parce que la terre devient stérile pour un criminel maudit de Dieu; pourquoi, dans le Nouveau Testament, ne pas avoir en horreur la malédiction lancée par Notre-Seigneur contre le figuier stérile (3), sans que son maître fût coupable de cette stérilité? S'ils entendent avec bonheur Jésus invitant ses disciples à ne pas se tourmenter du lendemain, parce que Dieu prendra soin de leur nourriture, pourquoi ne pas se réjouir également de cette sentence prophétique: «Jetez en Dieu toute votre sollicitude et il vous

1. Gn 4,10-12 - 2. Mt 6,26-34 - 3. Mt 21,19

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nourrira (1)?» Comment donc ces malheureux ne comprennent-ils pas que les oracles divins qu'ils abhorrent dans l'Ancien Testament, sont si réellement la vérité même que nous les rencontrons dans le Nouveau Testament? Ce que celui-ci loue et enseigne, l'autre le prêche également: il est donc évident pour tout homme sensé que les deux Testaments présentent entre eux l'accord le plus parfait.



CHAPITRE V. L'HOMME CRÉÉ A L'IMAGE DE DIEU.

1. Nous lisons dans le Genèse: «Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance (2)». Dans ce passage, où il est dit que l'homme fut créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, les Manichéens trouvent une contradiction avec ces paroles de l'Evangile, adressées par le Sauveur aux Juifs: «Vous êtes les enfants du démon et vous voulez accomplir les désirs de votre père: il fut homicide dès le commencement et ne persévéra pas dans la vérité, parce que la vérité n'est pas en lui (3)». Ailleurs, les Juifs sont appelés race de serpents et de vipères (4). Nos hérétiques ne veulent pas comprendre que les paroles de la Genèse s'appliquent à l'homme avant son péché, et qu'alors il fut créé à l'image et à là ressemblance de Dieu; tandis que ce mot de l'Evangile: «Vous êtes les enfants du démon», s'applique aux pécheurs et aux infidèles. En effet, les saintes Ecritures prennent ce nom de fils dans trois acceptions différentes: d'abord à raison de la nature; c'est ainsi que l'on dit d'Isaac qu'il est le fils d'Abraham, ainsi que les Juifs qui descendaient de la même origine: ensuite, à raison de la doctrine, en sorte que le maître devient le père de celui qu'il enseigne; c'est en ce sens que l'Apôtre appelle ses enfants ceux qui ont reçu de lui l'Evangiles: enfin à raison de l'imitation, c'est ainsi que l'Apôtre dit de nous que nous sommes les enfants d'Abraham, parce que nous imitons sa foi (5). Or, les Juifs rebelles et pécheurs méritent à un double titre la dénomination d'enfants du démon; d'abord parce qu'ils ont appris de lui l'erreur et l'impiété, car c'est du démon que l'Apôtre dit: «Il agit maintenant dans les enfants de l'impiété (6)»; ensuite, parce qu'ils l'imitent, et c'est ce qui est

1. Ps 55,23 - 2. Gn 1,26 - 3. Jn 8,41 - 4. Mt 3,7 Mt 3,33 - 5. 2Co 4,14-15 - 6. Ga 3,7 - 7. Ep 2,2

spécialement désigné par ces mots: «Il n'a pas persévéré dans la vérité»; de leur côté, les. Juifs n'ont pas persévéré dans la vérité de la loi qui leur avait été donnée, c'est le Seigneur lui-même qui nous l'atteste: «Si vous croyiez à Moïse vous me croiriez aussi, car il a écrit de moi (1)». Enfin, ce sont aussi leurs péchés qui leur ont attiré la dénomination de race de serpents et de vipères.

2. Ce n'est pas la Genèse seule, mais aussi l'Apôtre, qui proclame que l'homme a été fait à l'image de Dieu: «L'homme, dit-il, ne doit point se voiler la tête, puisqu'il est l'image et la gloire de Dieu; la femme est la gloire de l'homme (2)». Et afin que nous comprenions clairement que ce n'est pas en raison de l'ancienne corruption du péché, mais à raison de sa conformation spirituelle, que l'homme a été créé à l'image de Dieu, le même Apôtre nous avertit de dépouiller l'habitude du péché, c'est-à-dire le vieil homme, pour revêtir la vie nouvelle de Jésus-Christ, qu'il appelle l'homme nouveau. Il donne à ce changement le nom- de rénovation, afin de nous faire mieux comprendre que cette vie surnaturelle avait été perdue précédemment. Voici ses paroles: «Dépouillant le vieil homme avec ses actes, revêtez l'homme nouveau, qui est renouvelé en vous, pour vous amener à la connaissance de Dieu, qui a créé l'homme à son image (3)». Les véritables enfants de Dieu, ce sont donc les hommes qui ont été renouvelés à son image, et lui sont devenus semblables, jusqu'à aimer leurs ennemis; car le Seigneur nous ordonne d'aimer nos ennemis, si nous voulons ressembler à notre Père, qui est au ciel (4). Or, Dieu lui-même, dans l'Ecriture, nous enseigne que nous avons reçu ce pouvoir: «Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu (5)». Quant aux enfants du démon, ce sont les hommes qui imitent son orgueil impie, perdent les clartés et la splendeur de la sagesse et ne croient pas à la vérité; c'est à eux que le Seigneur adresse ce reproche: «Vous êtes les enfants du démon», etc. Le prophète fait écho à cet oracle évangélique: «J'ai dit: Vous êtes des dieux et les enfants du Très-Haut; quant à vous, vous mourrez comme de simples hommes, vous tomberez comme l'un des princes (6)».

1. Jn 5,46 - 2. 1Co 11,7 - 3 Col 3,9-10 - 4. Mt 5,44-45 - 5. Jn 1,12 - 6. Ps 81,6-7

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CHAPITRE VI. HONNEUR DU AUX PARENTS.

Nous lisons dans l'Exode: «Honore ton père et ta mère (1)» . A ce passage relatif au respect dû aux parents, les Manichéens opposent les paroles suivantes, adressées par le Sauveur à un homme qui lui demandait d'aller d'abord ensevelir son père: «Laissez les morts ensevelir leurs morts; quant à vous, venez et annoncez le royaume de Dieu (2)». Il faut supposer ici ce qui a été dit plus haut, quand il s'agissait de se séparer d'une épouse. De même donc que cette séparation ne doit se faire que pour le royaume de Dieu, c'est aussi à cause de la prédication du royaume de Dieu, que nous devons honorer nos parents et que nous ne leur manquons pas de respect en les quittant. Si cette maxime de l'Evangile était en contradiction avec l'Ancien Testament, cette contradiction s'appliquerait aussi à l'Apôtre saint Paul, qui ordonne aux enfants d'honorer leurs parents, et aux parents d'aimer leurs enfants (3). Le Seigneur serait également en contradiction avec lui-même, une telle supposition serait un crime car, dans une circonstance, s'adressant à celui qui lui demandait ce qu'il faut faire pour entrer dans la vie éternelle, il lui répondit: «Si vous voulez entrer dans la vie éternelle, observez les commandements», et parmi ces commandements, il rappelle celui-ci: «Honorez votre père et votre mère». C'est en accomplissant ces commandements, que l'on développe en soi l'amour de Dieu, et c'est dans l'amour que réside toute la perfection. En effet, l'amour du prochain n'est qu'un degré de la charité envers Dieu. Voilà pourquoi, quand ce jeune homme eut répondu qu'il avait observé tous les commandements, le Sauveur ajouta qu'il ne lui manquait plus qu'une chose pour être parfait, vendre tout ce qu'il avait, en donner le prix aux pauvres et marcher à sa suite (4). Il suit de là que le respect des parents doit être observé dans le degré qui lui est propre; cependant si les parents deviennent un obstacle à l'acquisition de l'amour divin, il est hors de douce qu'on doit s'en séparer. L'Ancien Testament porte: «Celui qui dit à son père ou à sa mère: «Je ne vous connais pas, ou celui qui ne reconnaît pas ses enfants, prouve qu'il connaît

1. Ex 20,12 - 2. Lc 9,59-60 - 3. Ep 6,2-4 Col 3,20-21 - 4. Mt 19,17-21

votre alliance (1)». Si donc le Nouveau Testament commande l'amour pour les parents, et si l'Ancien ordonne de les abandonner dans certaines circonstances, il est clair qu'un parfait accord règne entre ces deux dépôts de la révélation.


CHAPITRE VII. DIEU SE VENGEANT DU PÉCHÉ DES PARENTS.

1. Nous lisons dans l'Exode: «Je suis le Dieu zélateur, faisant retomber sur les enfants, jusqu'à la troisième et la quatrième génération, les péchés des parents qui m'ont haï (2)». Les Manichéens prétendent que le contraire est proclamé dans l'Evangile par le Sauveur lui-même: «Soyez bons comme votre Père céleste, qui fait lever son soleil sur les justes et sur les pécheurs (3)»; et ailleurs: «Non-seulement vous pardonnerez sept fois à votre frère coupable, mais jusqu'à septante-sept fois (4)». Cependant quand je demande à ces hérétiques si Dieu ne punit pas ses ennemis, ils se sentent troublés. Car ils enseignent eux-mêmes que Dieu prépare une prison éternelle à la nation des ténèbres, nation qu'ils disent être l'ennemie de Dieu. Bien plus, ils n'hésitent pas à avouer que Dieu punira même ses membres et les confondra avec cette nation des ténèbres. Mais se trouvent-ils en face des chapitres de l'Ancien et du Nouveau Testament, Pour mieux tromper les simples, et afin de mettre en contradiction ces chapitres, ils s'adjugent aussitôt une bonté excessive. Qu'ils nous apprennent donc quels sont ceux à qui le Seigneur dira un jour: «Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le démon et ses anges (5)», eux qui soutiennent qu'il pardonne à tous et qu'il ne réprouve personne! Concluons donc que ce n'est que justice de la part de Dieu de faire retomber les péchés des parents sur les enfants qui le haïssent. Ces derniers mots nous font comprendre que les enfants seront punis pour les péchés mêmes de leurs parents, s'ils les imitent dans leur vie criminelle. Ce châtiment n'est pas de la cruauté, mais simplement de la justice, puisqu'ils ne sont punis que pour leur iniquité même, suivant cette parole du Prophète: «Le Saint-Esprit, qui enseigne toute science, fuit le déguisement, il se

1. Dt 33,9 - 2. Ex 20,5 - 3. Mt 5,45 - 4. Mt 18,22 - 5. Mt 25,41

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tire des pensées qui sont sans intelligence, et si l'iniquité survient, il se retire (1)»; en d'autres termes: l'homme sera puni par l'iniquité même dont il se rendra coupable, quand l'Esprit-Saint se sera retiré de lui. Et dans un autre passage: «Ils ont ces pensées et ils se «sont égarés, parce que leur propre malice les a aveuglés (2)». Et encore: «Chacun est enchaîné dans les liens de ses propres péchés (3)».Ces passages de l'Ancien Testament sont confirmés par celui-ci de l'Apôtre: «Dieu les a abandonnés aux concupiscences de leur coeur (4)». Cet accord des deux Testaments prouve que Dieu n'est pas cruel et que c'est sévir contre soi-même que de se livrer au péché.

2. Quand Dieu annonce qu'il poursuivra sa vengeance jusque sur la troisième ou la quatrième génération, il indique uniquement que depuis Abraham, le père du peuple juif, il s'est écoulé quatre âges successifs, que saint Matthieu distingue parfaitement (5). Le premier, depuis Abraham, s'étend jusqu'à David; le second, depuis David jusqu'à la captivité de Babylone; le troisième, depuis la captivité de Babylone jusqu'à la venue de Jésus-Christ; enfin le quatrième embrasse toute la suite des siècles jusqu'à la fin du monde; cet âge embrasse pour ainsi dire la vieillesse du monde et sera le plus long de tous. Ces âges sont désignés par le mot générations, quoique chaque âge renferme plusieurs générations. .Le troisième commence à la captivité de Babylone et va jusqu'à la venue du Sauveur; pendant le quatrième, c'est-à-dire depuis l'arrivée du Messie, la nation juive a été arrachée de son propre sol, et voilà ce qui nous explique comment il est dit que Dieu poursuit sa vengeance contre les péchés des parents jusqu'à la troisième et la quatrième génération des enfants, et en cela, il n'y a que justice, puisque ces enfants, plutôt que de marcher dans la justice, ont préféré suivre la voie criminelle tracée par leurs parents. D'un autre côté, le prophète Ezéchiel nous montre clairement que les péchés du père ne sont aucunement attribués à l'enfant (6).

3. Quant à cette maxime de l'Évangile «Soyez bons comme votre Père céleste, qui fait lever son soleil sur les justes et les pécheurs», elle n'est nullement en contradiction avec

1. Sg 1,5 - 2. Sg 2,21 - 3. Pr 5,22 - 4. Rm 1,24 - 5. Mt 1,17 - 6. Ez 18,14-17

l'Ancien Testament. Nous devons y voir une pressante invitation de Dieu à nous livrer à la pénitence, suivant cette parole de l'Apôtre «Ignorez-vous que la patience de Dieu vous invite à la pénitence?» Toutefois gardons-nous d'en conclure que Dieu s'abstiendra de punir ceux qui, toujours selon le même apôtre, «s'amassent un trésor de colère pour le jour de la vengeance et de la révélation du juste jugement de Dieu, qui rendrait chacun selon ses oeuvres (1)». Cette patience et cette bonté de Dieu, le Prophète les proclame en ces termes: «Vous les épargnez tous, parce que tout vient de vous et que vous aimez les âmes (2)». Et combien d'autres circonstances dans lesquelles les deux Testaments célèbrent à l'envi la miséricorde et la justice de Dieu!

4. Ce qui les trouble, serait-ce ce mot: «Je suis jaloux?» Qu'ils se troublent donc aussi de ces paroles de l'Apôtre: «Je suis jaloux de vous, de toute la jalousie de Dieu, car je vous ai fiancés à un seul homme, pour faire de vous une vierge chaste de Jésus-Christ (3)». La sainte Écriture, empruntant notre mode de langage, prouve ainsi que l'on ne peut rien dire qui soit digne de Dieu. S'agit-il de sa majesté souveraine, toute expression pour la dépeindre reste impuissante, parce qu'elle surpasse infiniment toutes les ressources du langage. De même donc que l'on nomme jalousie la sollicitude dont les maris entourent la chasteté de leurs femmes, l'Écriture désigne aussi sous ce nom la puissance et la justice que Dieu déploie pour réprouver et punir la fornication des âmes. Une âme se rend coupable de cette fornication, quand elle prend en horreur la fécondité de la sagesse et qu'elle aspire à enfanter les jouissances mensongères et corrompues du siècle.

5. En disant que l'on doit pardonner à son frère, non pas sept fois, mais septante-sept fois, le Sauveur suppose que le coupable se repent de sa faute. Il se venge du péché, mais c'est contre ceux qui le haïssent, et non contre ceux qui se réconcilient par la pénitence. N'a-t-il pas dit par son prophète: «Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive (4)?» Soit donc qu'il s'agisse de la patience avec laquelle Dieu invite à la pénitence, soit qu'il s'agisse du pardon qu'il accorde à ceux qui se convertissent,

1. Rm 2,4-5 - 2. Sg 11,27 - 3. 2Co 11,2 - 4. Ez 18,23 Ez 11,33

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soit enfin qu'il s'agisse de la justice avec laquelle il punit ceux qui ne veulent pas se repentir, on voit clairement que sur tous ces points les deux Testaments n'offrent pas l'ombre même d'une contradiction, ce qui prouve qu'ils sont tous deux le fruit de la même inspiration.



CHAPITRE VIII. OEIL POUR OEIL, DENT POUR DENT.

Nous lisons dans l'Exode: «Oeil pour oeil, dent pour dent (1)». Les Manichéens, à la vue de ces signes de vengeance permis parla loi, s'indignent et soutiennent que le contraire est clairement enseigné dans l'Evangile. En effet, le Sauveur a dit lui-même: «Vous savez qu'il a été dit aux anciens: Oeil pour oeil, dent pour dent; et moi, je vous dis de ne point opposer la violence à celui qui vous fait du mal; si quelqu'un vous frappe sur une joue, présentez-lui l'autre; quiconque veut disputer contre vous et vous enlever votre tunique, abandonnez-lui votre manteau (2)». Sur cette matière, nous signalons en effet une différence entre les deux Testaments, en affirmant néanmoins qu'ils sont révélés par un seul et même Dieu. D'abord il n'était que trop naturel à des hommes charnels, de porter la vengeance beaucoup plus loin que ne l'avait été l'injure dont ils se plaignaient; voilà pourquoi on établit comme premier degré de douceur que la vengeance ne dépasserait pas la mesure de l'offense. C'était assez dans certaines circonstances, pour que l'offensé, qui d'abord ne pouvait supporter l'injure, se sentît porté à la pardonner. Le Sauveur, par les enseignements de l'Evangile, apporta une augmentation de grâce qui devait produire une paix plus solide entre les hommes; il ajouta donc un second degré pour parvenir à la douceur, en promettant que celui qui jusque-là n'avait appris qu'à proportionner la vengeance à l'injure, se trouverait heureux de faire une condonation pleine et entière de l'outrage reçu. Dans l'Ancien Testament, le Prophète annonce déjà ce pardon généreux: «Seigneur mon Dieu, si j'ai fait cela, si l'iniquité est dans mes mains, si j'ai rendu le mal pour le mal (3)». Un autre prophète dit de l'homme qui supporte patiemment les injures, sans chercher à en tirer vengeance: «Il présentera sa face à

1. Ex 21,24 - 2. Mt 5,38-40 - 3. Ps 7,4-5

celui qui le frappe, il sera rassasié d'opprobres (1)». De là on peut conclure que la défense portée contre les hommes charnels, de pousser la vengeance plus loin que l'injure, et le pardon absolu et sans condition sont, non-seulement prescrits par le Nouveau Testament, mais encore prédits dans l'Ancienne Alliance.




Augustin, contre adimantus, manichéen.