Augustin, contre les lettres de Pétilien. - CHAPITRE 26. DANS L'IGNORANCE DE LA CULPABILITÉ DES MINISTRES LES SUJETS SONT-ILS INNOCENTS?

CHAPITRE 26. DANS L'IGNORANCE DE LA CULPABILITÉ DES MINISTRES LES SUJETS SONT-ILS INNOCENTS?


31. Mais pourquoi nous arrêter à ces futilités qui ne peuvent de part et d'autre que suspendre la solution de la cause débattue? Est-ce par ces discussions personnelles que nous apprendrons de qui le néophyte peut recevoir la purification de sa conscience, lorsqu'il ignore les crimes du ministre auquel il s'adresse; ou de qui il recevra la foi, lorsque, sans le savoir, il s'adresse à un ministre perfide? En s'engageant dans la réfutation de ma lettre, c'est bien là le sujet que Pétilien se proposait de traiter; pourquoi donc s'occupet-il de tout autre chose que de l'objet même de la discussion? Combien de fois ne répète-t-il pas: «Si vous ignoriez.», comme si jamais j'avais dit que j'ignorais l'état de conscience de celui qui m'a baptisé? Ne dirait-on pas que le seul but qu'il se proposait d'atteindre était de me prouver que je connaissais parfaitement les crimes de ceux qui me donnèrent le baptême et à la communion desquels je fus associé? Il comprenait donc fort bien que mon ignorance ne pouvait suffire à me rendre coupable. Ainsi donc, si j'ignorais ces crimes, comme il l'a répété si souvent, n'est-il pas de toute évidence que j'en étais innocent? Mais alors je demande de qui je pouvais recevoir la purification, puisque, ignorant les crimes du ministre, ces crimes ne pouvaient me porter aucun préjudice? De qui pouvais-je recevoir la foi, puisque, sans le savoir, j'étais baptisé par un ministre perfide? Ce n'est certes pas en vain qu'il a répété si souvent: «Si vous ignoriez», à moins qu'il n'eût pas voulu me laisser le droit de me croire innocent; toujours est-il qu'à ses yeux l'innocence n'était nullement compromise pour celui qui, sans le savoir, demandait la foi à un ministre perfide, ou se faisait baptiser par un ministre coupable dont il ignorait la conscience. Qu'il nous dise par qui ces néophytes de bonne foi sont lavés, de qui ils reçoivent la foi et non la culpabilité? Qu'il cesse de nous tromper et qu'il s'exprime clairement; qu'il cesse de tant parler pour ne rien dire, ou plutôt qu'en ne disant rien il parle beaucoup. Enfin, et cette idée qui me saisit tout à coup ne saurait être passée sous silence, si je suis coupable parce que je n'ai (293) pas ignoré, pour me servir de son propre langage; et si je n'ai pas ignoré parce que je suis africain, et déjà touchant la vieillesse; du moins doit-il avouer que les enfants des autres nations de l'univers ne sont pas coupables, puisqu'ils ne sont ni de votre pays ni de votre âge, et qu'ils n'ont pu savoir si les crimes que vous nous opposez ont été véritables ou supposés. Et pourtant si ces enfants tombent un jour en votre puissance, ils doivent s'attendre à être rebaptisés.



CHAPITRE 26I. INCROYABLE ARROGANCE DONT FAIT PREUVE PÉTILIEN.


32. Mais telle n'est point la question agitée. Quoique je sache que Pétilien se jette dans de nombreuses digressions pour se dispenser de répondre, je le somme de nouveau de répondre et de dire par qui est purifié celui qui ignore que la conscience de celui qui confère le sacrement soit souillée, et de qui reçoit la foi le néophyte qui, sans le savoir, est baptisé par un ministre perfide, si «quiconque demande sciemment la foi à un ministre perfide, en reçoit, non point la foi, mais une véritable culpabilité». Passant donc sous silence les calomnies dont il nous couvre sans raison, redoublons d'attention pour vair si la suite de sa lettre nous offrira la réponse si souvent demandée. Remarquons d'abord avec quelle désinvolture il se propose d'aller et de revenir dans son sujet. «Mais», dit-il, «revenons à ce fantôme d'argument par lequel vous semblez dépeindre à vos propres yeux tout néophyte que vous baptisez. N'est-il pas naturel, en effet, que vous preniez l'image pour la réalité, vous qui ne voyez pas la vérité?» C'est en ces termes que Pétilien annonce l'examen qu'il va faire de mes paroles. Il ajoute: «Voici», dites-vous, «un ministre perfide; sur le point de conférer le baptême, et le sujet ignore absolu«ment cette perfidie (1)». Il ne rapporte qu'une partie de ma proposition et de ma question, et bientôt il m'interpelle en ces termes: «Ce sujet dont vous parlez, quel est-il et d'où vient-il? Pourquoi feignez-vous de voir celui qui n'existe que dans votre imagination, au lieu de voir celui que vous devriez contempler et étudier avec soin? Mais parce qu'il


1. Liv. 1,ch. 2,n. 3.

m'est évident que vous ignorez l'ordre du sacrement, il me suffit de vous adresser cette courte parole; vous avez dû étudier celui qui vous a baptisé et être étudié par lui». Qu'attendions-nous donc? Qu'il nous dit par qui est purifié celui qui ignore la conscience souillée du ministre, et de qui reçoit la foi et non pas la culpabilité celui qui, sans le savoir, reçoit le baptême d'un ministre perfide. Or, voici que nous l'entendons nous dire que le ministre du baptême doit être l'objet de l'examen le plus attentif de la part de celui qui lui demande la foi et non pas la culpabilité; nous l'entendons proclamer qu'il n'y a que la conscience de celui qui donne saintement qui puisse purifier la conscience du sujet. Quant à celui qui n'a pas fait cet examen, et s'est adressé à un ministre dont il ignorait la perfidie, par cela seul qu'il n'a pas examiné et qu'il n'a point connu la culpabilité du ministre, ce n'est point la foi qu'il peut recevoir, mais une véritable souillure. En vérité, je ne vois plus pourquoi il attachait une si grande importance à ce mot «sciemment»; pourquoi surtout il me faisait un crime si énorme de l'avoir retranché de son texte. Il ne voulait pas avoir dit: «Celui qui demande la foi à un ministre perfide, ce n'est point la foi qu'il obtient mais une véritable culpabilité»; et par là même il laissait une certaine espérance à celui qui était dans l'ignorance. Mais si je lui demande de qui reçoit la foi celui qui, sans le savoir, est baptisé par un ministre perfide, il me répond que ce néophyte devait avant tout s'assurer de l'état de conscience de ce ministre, par conséquent il ne laisse pas même à ce malheureux le bénéfice de l'ignorance; et, pour savoir de quelle source peut lui venir la foi, il exige que le sujet place toute son espérance dans le ministre.



CHAPITRE 28. LE SALUT NE NOUS VIENT QUE DE DIEU.


33. C'est là ce que nous abhorrons en vous; c'est là ce que condamne la divine Ecriture, s'écriant en toute vérité: «Maudit soit celui qui place son espérance dans l'homme (1)!». Voilà ce que défend ouvertement la sainteté, l'humilité et la charité apostolique, proclamant par l'organe de saint Paul: «Que personne ne se glorifie dans l'homme (2)». C'est


1. Jr 17,5 - 2. 1Co 3,21

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là ce qui nous attire ce redoublement impie d'outrages atroces et de vaines calomnies, sous le flot desquels on nous reproche de ne tenir aucun compte de l'homme et de détruire l'espérance de ceux à qui nous administrons la parole de Dieu et le sacrement de la régénération, conformément à la mission qui nous a été conférée. Nous répondons à nos adversaires: Jusques à quand vous reposerez-vous sur l'homme? La société catholique leur répond dans toute sa majesté: «Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu? car c'est de lui que j'attends mon salut. Il est mon Dieu et mon protecteur, je ne lui échapperai pas (1)». Quelle raison les Donatistes ont-ils eue de quitter la maison de Dieu? N'est-ce point parce qu'ils ont feint de ne pouvoir supporter la présence de ces vases d'ignominie que l'on rencontrera toujours dans la maison du père de famille jusqu'à l'heure du jugement suprême? Et pourtant, si nous en croyons les actes publics et les faits les plus évidents, n'est-ce pas eux surtout qui furent ces vases d'ignominie dont ils voudraient calomnieusement faire retomber la honte sur leurs adversaires? A la vue de ces vases d'ignominie, et pour repousser jusqu'à la simple pensée de sortir de cette grande maison, qui est la seule du père de famille, le serviteur de Dieu, le vrai catholique, et celui qui cherche la foi et la demande sincèrement au baptême, celui-là redit cette parole que j'ai citée plus haut: «Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu»; «à Dieu», et non pas à l'homme: «Car c'est de lui que me vient le salut», et non pas de l'homme? Et voici que Pétilien ne veut pas voir en Dieu le seul principe de justification et de purification pour le néophyte qui reçoit le baptême des mains d'un ministre dont il ignore la culpabilité; le seul principe de la foi pour celui qui, sans le savoir, est baptisé par un ministre perfide! «Je vous adresse», dit-il, «cette courte parole: vous avez dû étudier celui qui vous baptisait et être étudié par lui».



CHAPITRE XXIX. LES JUIFS INTERROGEANT LE PRÉCURSEUR DANS LE DÉSERT.


34. Retenez cette observation, je vous prie je demande de qui vient la purification du


1. Ps 61,2-3

sujet, lorsque, sans le savoir, il est baptisé par un ministre coupable, si c'est d'après la conscience de celui qui baptise saintement que l'on peut juger de la justification de celui qui est baptisé. Je demande de qui vient la foi pour celui qui, sans le savoir, est baptisé par un ministre perfide, si quiconque demande sciemment la foi à un ministre perfide, reçoit non point la foi, mais une véritable culpabilité. A cette question Pétilien répond qu'il faut avant tout connaître et celui qui baptise et celui qui est baptisé. Pour prouver cette proposition, qui n'est ici d'aucune utilité, il cite l'exemple de saint Jean devenu l'objet d'une étude approfondie de la part de ces juifs qui lui demandaient ce qu'il disait de sa propre personne (1), tandis que lui-même s'était parfaitement rendu compte des qualités de ses interlocuteurs, puisqu'il les apostrophe en ces termes: «Race de vipères, qui donc vous a appris à fuir la colère future (2)?» Pourquoi cette observation? Quelle en est la portée pour la question que nous discutons? Appliquant au Précurseur une prophétie solennelle, le Seigneur lui avait rendu le témoignage d'une sainteté suréminente, soit au moment de sa conception, soit au moment de sa naissance. Les Juifs savaient déjà de lui qu'il était saint, seulement ils voulaient savoir de lui quel rang il s'attribuait parmi les saints, et s'il ne se croyait pas le Saint des saints, titre sublime qui n'appartient qu'à Jésus-Christ. Telle était la confiance que les Juifs avaient dans la parole de saint Jean qu'ils croyaient sur-le-champ à la véracité de toutes ses paroles. Si donc cet exemple prouve que l'on doit faire une étude sérieuse dé tout ministre du baptême, il prouve également que l'on doit croire ce dernier sur parole. Or, tout hypocrite, dont le Saint-Esprit a horreur (3), ne prétend-il pas que l'on doit avoir de sa personne la meilleure opinion possible, et n'agit-il pas en conséquence? Quand donc vous lui demanderez ce qu'il est, et qu'il vous aura répondu qu'il est le fidèle dispensateur des mystères de Dieu, et qu'il ne porte dans sa conscience aucune souillure, devrez-vous terminer là votre examen, ou bien chercherez-vous à scruter plus attentivement ses moeurs et sa conduite? Oui, sans doute; et pourtant ce n'est pas là ce que firent ces juifs qui étaient venus demander à saint Jean


1. Jn 1,22 - 2. Mt 3,7 - 3. Sg 1,5

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dans le désert ce qu'il pensait de sa propre personne.



CHAPITRE XXX. L'HOMME PEUT-IL CONNAÎTRE SES SEMBLABLES?


35. Ce qui précède nous prouve clairement que l'exemple cité n'est absolument d'aucune importance pour le fait qui nous occupe. Mais cet examen demandé par Pétilien ne serait-il pas commandé dans ces paroles de l'Apôtre: «Ils doivent être éprouvés auparavant, puis a admis dans le ministère, s'ils ne se trouvent coupables d'aucun crime (1)?» Cette épreuve se fait avec soin de part et d'autre et par tous; pourquoi donc, après le cours de cette dispensation ici-bas, se trouve-t-il un si grand nombre de réprouvés? N'est-ce point parce que l'observateur humain le plus perspicace se trouve souvent en défaut, et parce qu'il n'arrive que trop souvent qu'après avoir été bon, l'homme change et devient mauvais? C'est là un double fait d'expérience qu'il n'est permis ni de révoquer en doute ni d'oublier. Pourquoi donc, joignant l'injure à la calomnie, Pétilien veut-il nous apprendre d'un seul mot que le sujet doit étudier le ministre, quand nous le prions de nous dire de qui vient la purification de la conscience, lorsque les crimes du ministre sont secrets: si c'est d'après la conscience de celui qui administre saintement, que l'on doit juger de la justification du sujet? «Parce que», dit-il, «je comprends que vous ignorez l'ordre du sacrement, je vous dis d'un seul mot que vous avez dû étudier votre ministre et être examiné par lui». O Dieu, quelle réponse! Il se voit pressé par cette multitude d'hommes qui, de tous les lieux, ont été baptisés par des ministres jugés d'abord justes et chastes, et plus tard accablés par l'irrésistible conviction de crimes et de désordres; et en vous disant d'un seul mot qu'il faut étudier le ministre, il se flatte d'échapper à la force de cette question par laquelle nous le prions de nous dire de qui vient la purification de la conscience, lorsqu'on ignore la culpabilité du ministre, si c'est d'après la conscience de celui qui administre saintement que l'on doit juger de la justification du sujet. Est-il un malheur plus grand que celui de ne pas accepter la vérité quand on en est tellement circonvenu qu'il est impossible de s'échapper?


1. 1Tm 3,10

Nous demandons de qui vient la foi à celui qui, sans le savoir, est baptisé par un ministre perfide. Il répond: «On doit étudier le ministre du baptême». Donc, puisque, sans aucune étude préalable, tel néophyte a, sans le savoir, demandé la foi à un ministre perfide, ce n'est pas la foi qu'il a reçue, mais une véritable culpabilité. Pourquoi dès lors ne pas réitérer le baptême à ceux dont on peut prouver qu'ils ont été baptisés par des ministres dont la culpabilité n'était pas alors connue, mais qui plus tard furent convaincus de crimes et de désordres?



CHAPITRE XXXI. LES MINISTRES PERFIDES SONT NOMBREUX.


36. «Qu'est devenue», dit-il, «l'addition que j'ai faite du mot sciemment; car je n'ai pas dit: Celui qui demande la foi à un ministre perfide; mais: Celui qui sciemment demande la foi à un ministre perfide, ce n'est point la foi qu'il obtient, mais une véritable culpabilité?» Par conséquent celui qui, sans le savoir, demande la foi à un ministre perfide, c'est bien la foi qu'il obtient et non pas la culpabilité; et alors je demande d'où lui vient cette foi. Dans son embarras, Pétilien me répond: «Il a dû étudier le ministre». Soit, il a dû le faire; mais il ne l'a pas fait, ou il n'a pu le faire; quel est donc son sort? A-t-il été purifié, oui ou non? S'il l'a été, je demande d'où lui est venue cette purification? Ce n'est assurément pas de la conscience souillée du ministre, dont pourtant il ignorait les crimes. Et s'il n'a pas été purifié, ordonnez donc qu'il le soit. Vous ne l'ordonnez pas; donc il a été purifié. Seulement dites-nous d'où lui est venue cette purification. Dites-le-nous vous-mêmes, car pour lui il ne saurait le dire. Je propose une hypothèse à laquelle Pétilien ne saurait répondre: «Tel ministre du baptême est perfide; mais le sujet ignore cette perfidie; que recevra-t-il donc? est-ce la foi, est-ce la culpabilité (1)?» Cette hypothèse nous suffit pour le moment; répondez donc ou cherchez ce que lui-même pourra répondre. Pour toute réponse vous trouverez sur ses lèvres des injures et des calomnies. Avec l'accent d'un profond mépris il me reproche de n'avoir à lui a proposer que des a hypothèses, parce que je ne vois pas la


1. Ci-dessus, liv. 1,ch. 2,n. 2.

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vérité». Reprenant donc mes paroles et retranchant la moitié de ma proposition, il ajoute: «Vous dites: Tel ministre du baptême est perfide, mais le sujet ignore cette perfidie». Il continue: «Quel est-il donc et d'où vient-il?» Ne dirait-on pas que de tels ministres il n'en est qu'un ou deux, tandis qu'il s'en trouve partout? Pourquoi me demander quel est ce ministre et d'où il vient? Qu'il regarde et il verra qu'il est fort peu d'Eglises, soit dans les villes, soit dans les campagnes, qui ne renferment des clercs convaincus de crimes et dégradés. Lorsqu'ils étaient inconnus, lorsqu'ils voulaient se faire passer pour bons quoiqu'ils fussent mauvais, pour chastes quoiqu'ils fussent adultères, n'étaient-ils pas des hypocrites pour lesquels l'Esprit-Saint ressentait une horreur profonde, selon la parole de l'Ecriture? Eh bien! le ministre perfide que je propose est sorti de la foule de ces hypocrites; pourquoi donc me demander encore d'où il est sorti, pourquoi fermer les yeux sur cette foule si nombreuse, dont le bruit, soulevé uniquement par ceux qui ont pu être convaincus de crimes et déposés, suffirait seul pour faire sortir ces aveugles de leur illusion?



CHAPITRE 32. QUE PEUT-ON RECEVOIR D'UN MINISTRE INDIGNE?


37. Que signifient ces autres paroles que nous lisons dans sa lettre: «Quodvultdeus, convaincu parmi vous de deux adultères et déposé en conséquence, a-t-il été reçu parmi nous?» Sans préjuger aucunement la cause de ce ministre, qui a pu se justifier ou faire croire à son innocence, je me contente de vous demander si c'est la foi ou la culpabilité que l'on reçoit de ceux de vos ministres dont l'indignité réelle n'est pas encore juridique? Ils ne donnent pas la foi, puisqu'ils n'ont pas cette conscience pure, seule capable de justifier le sujet. Ce n'est pas non plus la culpabilité, comme le prouve le mot que vous avez ajouté à votre texte: «Celui qui sciemment demande la foi à un ministre perfide, obtient, non pas la foi, mais une véritable culpabilité». Or, en demandant le baptême à de tels ministres, les néophytes ne connaissaient pas l'état de leur conscience. Par conséquent, ils n'ont pu recevoir de ces ministres ni la foi, puisque ces ministres étaient indignes, ni la culpabilité, puisqu'ils étaient dans l'ignorance; et dès lors ils sont restés sans foi et sans culpabilité. Ils ne sont donc pas du nombre de ces criminels. Mais ils ne sont pas non plus du nombre des fidèles, car s'ils n'ont pas reçu la culpabilité, ils n'ont pas non plus reçu la foi. Or, nous voyons que vous mettez au nombre des fidèles tous ceux qui ont été baptisés dans ces conditions, et personne de vous ne songe à invalider le baptême qu'ils ont reçu, vous le ratifiez sans hésitation. Ils ont donc reçu la foi, et pourtant ils n'ont pu la recevoir de ceux dont la conscience souillée ne pouvait purifier la conscience des sujets. De qui enfin cette foi leur est-elle venue? Telle est la question que je ne cesse de vous poser, en vous suppliant de nous donner la réponse.



CHAPITRE XXXIII. QUELQUES PASSAGES CITÉS PAR PÉTILIEN.


38. Maintenant voyez Pétilien; pour se dispenser de nous répondre, ou pour qu'on ne s'aperçoive pas que toute réponse lui est impossible, il donne libre cours à ses calomnies contre nous, multipliant les accusations, mais ne les appuyant d'aucune preuve. Si parfois il lui arrive de protester énergiquement en faveur de sa cause, il est promptement et facilement vaincu. Du moins je constate qu'il ne répond pas un seul mot à cette question que je lui adresse: «Si c'est d'après la conscience de celui qui administre saintement que l'on peut juger de la purification du sujet, par qui donc peut être purifié celui qui, sans le savoir, demande le baptême à un ministre coupable?» En citant lui-même ces paroles de ma lettre, il prouve que je l'interroge et qu'il ne répond rien. Après avoir formulé ses propositions, telles que je les ai rapportées en prouvant qu'il laissait ma question sans réponse, se sentant pris tout à coup de cruelles angoisses, il s'écrie que le ministre doit être étudié par le sujet, et le sujet par le ministre. Puis, supposant qu'il n'aurait que des auditeurs irréfléchis et ignorants, il essaie de trouver la preuve de sa thèse dans l'exemple du Précurseur. Il ajoute d'autres passages de la sainte Ecriture, sans rapport aucun avec la question débattue. Il cite cette parole de l'eunuque à saint Philippe: «Voici de l'eau; qui empêche que je sois baptisé (1)? Car», dit-il,


1. Ac 8,36

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«l'eunuque savait que les hommes perdus sont exclus du baptême». Il fait remarquer que l'Apôtre ne se refusa point à le baptiser, car le passage lu par cet étranger prouvait qu'il croyait en Jésus-Christ; mais qu'il nous dise donc si le baptême a été refusé à Simon le Magicien? Il nous rappelle aussi que les Prophètes ont craint d'être trompés par un faux baptême; de là ces paroles de Jérémie: «Eau menteuse, à laquelle on ne saurait donner sa confiance (1)»; il voulait conclure de ces paroles que dans les rangs des ministres perfides l'eau est menteuse. Or, dans ce texte, Jérémie, et non pas Isaïe, parle des hommes menteurs, qu'il désigne, en termes figurés, par la comparaison de l'eau, comparaison reproduite également dans l'Apocalypse (2). David avait dit également: «L'huile du pécheur ne oindra pas ma tête»; mais ces paroles s'appliquaient à ces flatteuses adulations qui remplissent d'orgueil la tête de celui qui laisse son orgueil se prendre à ces louanges ridicules. Tel est le sens naturel de ces paroles, tel qu'il est clairement indiqué par le contexte du psaume. En effet, voici ce que nous y lisons: «Le juste me reprendra dans sa miséricorde et me condamnera; quant à l'huile du pécheur, elle ne oindra pas ma tête (3)». Peut-on demander plus de clarté, plus d'évidence? L'auteur demande que le juste le guérisse miséricordieusement de ses fautes en les lui reprochant avec sévérité, plutôt que de se laisser enfler d'orgueil par les onctueuses flatteries de l'adulateur.



CHAPITRE XXXIV. QUEL QU'EN SOIT LE MINISTRE, LE BAPTÊME EST TOUJOURS LE BAPTÊME DE JÉSUS-CHRIST.


39. Pétilien nous rappelle l'avertissement donné par l'apôtre saint Jean de- ne pas croire à tout esprit, mais d'éprouver si les esprits sont de Dieu (4). Cette remarque a pour but évident de nous amener à séparer avant le temps le froment d'avec la paille, plutôt que de prévenir le froment de ne point se laisser tromper par la paille. Il faudrait conclure également que s'il arrivait à un esprit menteur de dire la vérité, on ne devrait pas croire à sa parole, parce que c'est la parole d'un esprit qui ne mérite que la réprobation. Une telle conclusion n'est assurément qu'une absurdité,


1. Jr 15,18 - 2. Ap 17,15 - 3. Ps 140,5 - 4. 1Jn 4,1

car autrement il faudrait dire que saint Pierre a eu tort de s'écrier: «Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant (1)», puisque cette profession de foi avait été précédemment formulée par les démons eux-mêmes (2). Or, comme le baptême de Jésus-Christ, administré par un juste ou par un pécheur, est toujours le baptême de Jésus-Christ, tout homme bon et fidèle doit éviter l'iniquité partout où il la rencontre, mais il ne doit pas condamner les sacrements de Dieu.


40. Dans tous ces textes précédemment cités, Pétilien, après avoir affirmé que c'est d'après la conscience de celui qui administre que l'on peut juger de la purification du sujet, se garde bien de nous dire par qui est purifié tout néophyte qui, sans le savoir, s'adresse, pour le baptême, à un ministre dont la conscience est souillée. L'un de ses collègues, évêque de Thubursicubure et nommé Cyprien, surpris avec une femme de mauvaise vie dans un lieu de prostitution, fut cité devant Primianus de Carthage et solennellement condamné. Avant d'être signalé et dégradé, cet indigne ministre baptisait et n'avait certes pas cette conscience d'un saint ministre, d'après laquelle seule on peut juger de la purification du sujet. Aujourd'hui la sentence est prononcée, et pourtant vous ne réitérez pas le baptême à tous ceux qu'il avait baptisés; de qui donc a pu leur venir la purification? Je n'aurais pas cru nécessaire de citer des noms propres, si Pétilien ne me demandait pas de nouveau: «Quel est cet indigne ministre et de quels rangs est-il sorti?» Pourquoi vos partisans n'ont-ils pas examiné ce ministre du baptême, comme le Précurseur l'aurait été parles Juifs, à en croire Pétilien? Ou bien l'ont-ils examiné comme il est possible à des hommes de connaître l'un de leurs frères, mais sans pouvoir lever le voile sous lequel il sut se cacher pendant longtemps?


CHAPITRE XXXV. MÊME SUJET.

L'eau versée par cet évêque n'était-elle pas une eau menteuse, et l'huile d'un fornicateur ne peut-elle pas être regardée comme une huile de pécheur? Ou bien seriez-vous contraints de dire avec l'Église catholique et avec la vérité, que l'eau et l'huile sont l'eau et


1. Mt 16,16 - 2. Mt 8,29 Mc 1,24 Lc 8,28

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l'huile, non pas de celui qui confère le sacrement, mais de Celui au nom de qui ce sacrement est conféré? Pourquoi donc ceux qui recevaient le baptême des mains de ce ministre n'éprouvaient-ils pas l'esprit pour savoir s'il venait de Dieu? L'Esprit-Saint fuyait-il l'hypocrisie dans la discipline (1)? Ou bien fuyait-il cet évêque, sans fuir cependant les sacrements qu'il administrait? Enfin, puisque vous ne jugez pas à propos de réitérer le baptême à ceux qui furent baptisés par cet évêque, vous jugez donc qu'ils ont été purifiés; et dès lors, perçant tous les nuages amoncelés sur cette question, voyez si, dans un seul passage de ses écrits, Pétilien, toujours appuyé sur ce principe que la conscience du ministre est la règle d'après laquelle on doit juger de la purification du sujet, répond à la question par laquelle nous le sommons de nous dire par qui sont purifiés tous ceux qui, sans le savoir, sont baptisés par des ministres coupables.


41. Au lieu de répondre à cette question tant de fois répétée, Pétilien prend tout à coup les grandes allures du langage et s'écrie «Les Prophètes et l'Apôtre ont toujours craint tout contact avec les pécheurs; de quel front osez-vous dire que pour ceux qui ont la foi véritable le baptême d'un pécheur reste saint et efficace?» Ou moi ou tout autre catholique avons-nous jamais dit du baptême conféré ou reçu par un pécheur, qu'il est le baptême du pécheur? N'affirmons-nous pas, au contraire, qu'il est toujours et partout le sacrement de Celui au nom duquel il est conféré? Notre adversaire s'attaque alors au traître Judas, décharge contre lui toute sa fureur et rassemble tous les témoignages prophétiques de tout temps fulminés contre lui. Ne dirait-on pas que l'impiété du traître Judas est pour lui un glaive invincible avec lequel il va frapper à mort cette Eglise de Jésus-Christ répandue sur toute la terre et qui seule, pour le moment, est en cause dans nos débats? D'après cette prophétie relative à Judas il ne comprend donc pats qu'il est aussi impossible de douter de la divinité de cette Eglise de Jésus-Christ formée de toutes les nations, qu'il est impossible de douter que le Christ ait dû être trahi par l'un de ses disciples, puisque sur ces deux points les prophéties sont formelles.


1. sag. 1,5.



CHAPITRE XXXVI. LA FOI DE CEUX QUI CROIENT LEUR EST IMPUTÉE A JUSTICE.


42. Nous avons reproché aux Donatistes de s'être mis en contradiction avec leurs propres principes en ratifiant le baptême conféré par ces mêmes Maximianistes qu'ils avaient anathématisés (1). Pétilien relève ce reproche, mais toutefois en ayant soin de substituer ses propres paroles à celles dont je m'étais servi pour poser la question. En effet, nous ne disons pas que le baptême des pécheurs doit produire en nous ses effets, puisque le baptême est toujours le baptême de Jésus-Christ et non pas le baptême, non-seulement des pécheurs, mais des hommes quels qu'ils soient. Voici ses paroles: «Vous affirmez obstinément», dit-il, «que le baptême des pécheurs doit produire en vous ses effets, «puisque nous-mêmes nous conservons le baptême donné par des coupables que nous avions condamnés». Je le disais tout à l'heure, dès qu'il aborde cette question, Pétilien ne peut même plus conserver les apparences du combat. Où aller, par où s'échapper, par quelle issue sortir de gré ou par force? il l'ignore entièrement. Ecoutons-le: «Quoique dans le second livre je fasse ressortir la distance qui sépare ceux des nôtres et des vôtres que vous appelez innocents; toutefois, commencez d'abord par vous justifier des crimes de vos collègues et vous trouverez ainsi la raison des anathèmes que nous lançons contre eux». Quel homme oserait jamais faire une semblable réponse, si ce n'est celui qui se pose en ennemi de la vérité, dont l'évidence l'écrase et le réduit au silence? Qu'il nous plaise de leur tenir un semblable langage et de leur dire: Commencez d'abord par vous justifier des crimes de vos collègues, et alors seulement opposez. nous les crimes de ceux que dans nos rangs vous regardez comme des pécheurs; à l'aide de ce langage serions-nous tous vainqueurs, ou serions-nous tous vaincus

Celui qui a vaincu pour son Eglise et dans son Eglise, c'est celui qui proclame dans ses lettres que personne ne doit se glorifier dans l'homme, et que celui qui se glorifie doit se glorifier dans le Seigneur (2). Nous, du moins, qui disons après l'oracle de la vérité que


1. Ci-dessus, liv. 2,ch. 10,n. 11,12. - 2. 1Co 3,21 1Co 1,31

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l'homme de foi n'est point justifié par le ministre qui le baptise, mais par Celui dont il est écrit: «Lorsqu'un homme croit en Celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice (1)»; nous qui ne cherchons pas notre gloire dans l'homme, et qui avec la grâce ne voulons la trouver que dans le Seigneur, quelque chose peut-il troubler notre sécurité, lors même que l'on nous prouverait l'existence de certains crimes ou 'de certaines erreurs dans quelques-uns des membres de notre communion? Qu'il y ait parmi nous des pécheurs secrets, ou connus seulement d'un petit nombre, ces pécheurs sont tolérés soit à cause des bons qui ne les connaissent pas, ou devant lesquels on n'a pas de preuves suffisantes à apporter, soit à cause du lien de la paix et de l'unité, soit enfin pour qu'on ne s'expose pas à arracher le bon grain avec la zizanie. De cette manière chacun d'eux porte le fardeau de sa propre malice, sans qu'il soit partagé par personne, si ce n'est par ceux qui applaudissent à l'iniquité. Nous ne craignons nullement que ceux qu'ils baptisent ne puissent être justifiés, car ces néophytes croient en Celui qui justifie les pécheurs; et cette foi leur est imputée à justice (2).



CHAPITRE XXXVII. LA TOLÉRANCE DANS L'ÉGLISE N'ÉNERVE PAS LA DISCIPLINE.


43. Que Pétilien, ne sachant pas ce qu'il dit, soutienne que tel ministre convaincu par nous du crime des Sodomites ait d'abord été chassé de nos rangs et remplacé par un autre, puis réintégré dans notre collège; ou bien qu'il affirme que ce même ministre se soit retiré parmi vous pour y faire pénitence; ces faits, de quelque manière qu'on les envisage, ne préjugent absolument rien contre l'Eglise de Dieu, répandue sur toute la terre et destinée à croître dans le monde jusqu'à la moisson. Si dans son sein l'on rencontre réellement ces pécheurs que vous accusez, ces derniers ne sont pas en elle en qualité de bon grain, mais en qualité de paille; au contraire, si ceux que vous accusez sont réellement des justes, vos calomnies sont pour eux le creuset où s'éprouve l'or de leur conduite, tandis que vous-mêmes vous n'êtes plus que cette paille inutile destinée à être consumée


1. Rm 4,5 - 2. Rm 4,5

par le feu. Sachons toutefois que les péchés qui lui sont étrangers ne sauraient souiller cette Eglise, qui, selon les prophéties les plus certaines, va se dilatant sur toute la terre, et attendant la fin du monde comme le pêcheur aspire au rivage. Là du moins elle rejettera de son sein les mauvais poissons avec lesquels elle était confondue dans les filets du Seigneur, et dont elle ne devait pas se séparer, dût-elle souffrir innocemment tous les inconvénients de ce redoutable mélange.

Toutefois, malgré cette destinée de l'Eglise ici-bas, la discipline ecclésiastique n'est nullement négligée par les dispensateurs fermes, diligents et prudents des mystères de Jésus-Christ, toutes les fois qu'ils ont devant eux des crimes manifestes et constatés d'une manière irréfragable. Des documents sans nombre sont là pour attester que des évêques et des clercs de tout ordre, frappés de la dégradation ou de quelque autre punition infamante, se sont exilés ou réfugiés dans nos rangs et dans le sein d'autres hérésies, ou bravent dans leur pays natal la honte et la confusion publiques dont ils sont notoirement couverts. De tels ministres sont dispersés en si grand nombre sur la terre, que si Pétilien, étouffant quelque peu sa passion de calomnier, voulait jeter un coup d'oeil attentif sur ce triste spectacle, il cesserait à tout jamais cette injure aussi calomnieuse que ridicule: «Aucun d'entre vous n'est innocent, quoique personne n'y soit condamné comme coupable».




Augustin, contre les lettres de Pétilien. - CHAPITRE 26. DANS L'IGNORANCE DE LA CULPABILITÉ DES MINISTRES LES SUJETS SONT-ILS INNOCENTS?