Augustin, contre les lettres de Pétilien. - CHAPITRE XXXVIII. SÉVÉRITÉ DE LA DISCIPLINE DE L'ÉGLISE.

CHAPITRE XXXVIII. SÉVÉRITÉ DE LA DISCIPLINE DE L'ÉGLISE.


44. Je pourrais citer un grand nombre de ces ministres indignes jetés maintenant aux quatre coins de l'univers; quel peuple, en effet, ne présente pas dans ses rangs quelques-uns de ces ministres indignes contre lesquels l'Eglise catholique n'hésite pas à fulminer l'anathème? Qu'il me suffise de nommer Honorius de Milève, dont les scandales ont eu pour théâtre nos propres contrées. Quant à Splendonius, ce diacre condamné par l'Eglise catholique, rebaptisé par Honorius et élevé par lui au sacerdoce, nous avons reçu de nos frères la condamnation portée contre lui dans la Gaule; notre collègue Fortunat proposa même de donner publiquement lecture de cette pièce à Constantine, et enfin Pétilien (300) lui-même, assailli par les embûches que lui dressait ce malheureux, n'hésita pas à rompre avec lui toute relation. Qu'on demande à ce Splendonius s'il n'a jamais pu savoir comment l'Eglise catholique sait dégrader ses ministres scandaleux? Je m'étonne donc de l'audace avec laquelle Pétilien osait formuler des paroles comme celles-ci: «Personne parmi vous n'est innocent, quoique personne n'y soit condamné comme coupable». Si les pécheurs restent mêlés corporellement aux fidèles, ils sont toujours spirituellement séparés de l'Eglise catholique; et, soit que la faiblesse de notre condition nous empêche de les connaître, soit que l'évidence de leurs fautes attire sur eux les sévérités de la discipline, toujours ils portent leur propre fardeau. Tous ceux donc qui par ces ministres coupables sont baptisés du baptême de Jésus-Christ, doivent se tenir dans une entière sécurité, pourvu qu'ils ne participent à leurs crimes ni par l'imitation ni par le consentement ou l'approbation. En effet, fussent-ils baptisés par les ministres les plus saints, ces néophytes ne reçoivent de sanctification que de Celui qui justifie le pécheur. Ainsi donc, en croyant à Celui qui justifie le pécheur, la foi leur est imputée à justice.



CHAPITRE XXXIX. LES DONATISTES CONDAMNÉS PAR LEUR RÉCONCILIATION AVEC LES MAXIMIANISTES.


45. Vienne ensuite la question des Maximianistes, condamnés en plein concile par trois cent dix évêques; écrasés dans ce même concile sous les accusations formulées par un si grand nombre de proconsuls, et renfermées dans une multitude d'actes municipaux; troublés enfin par l'ordre des juges et par la force armée et chassés des basiliques qu'ils occupaient. Quand donc nous vous demandons en vertu de quel principe ces mêmes Maximianistes et tous ceux qu'ils avaient baptisés en dehors de votre communion ont été reçus parmi vous et réintégrés dans tous les honneurs qu'ils possédaient sans que le baptême fût aucunement mis en cause, voles restez sans réponse. Ne vous sentez-vous pas vaincus par vos propres principes, principes faux, il est vrai, mais enfin principes d'après lesquels vous proclamez que dans la même communion des sacrements, les uns périssent par les crimes des autres, chacun subit la condition du ministre qui l'a baptisé; de telle sorte que le sujet serait coupable avec un ministre coupable et innocent avec un ministre innocent? Si de tels principes vous paraissent véritables, sans parler d'une multitude d'autres pécheurs, les Maximianistes ne suffisent-ils pas pour assurer votre perte? car leurs crimes toujours vivants, et toujours reproduits par un trop.grand nombre d'imitateurs, ont été constatés, flétris et peut-être même exagérés dans celui de vos conciles qui a réuni le plus grand nombre d'évêques. Si donc les crimes des Maximianistes n'ont pas causé votre perte, votre doctrine n'est qu'une erreur, et vous êtes pris en flagrant délit de mensonge lorsque vous soutenez que l'univers entier a péri par le fait de certains crimes nullement prouvés et commis, dites-vous, par quelques africains. Concluons donc avec l'Apôtre: «Chacun porte son propre fardeau (1)»; concluons aussi que le baptême de Jésus-Christ reste toujours le baptême de Jésus-Christ. Quant à la promesse faite par Pétilien de traiter dans un second livre cette question des Maximianistes, elle nous prouve clairement que cet auteur se fait du coeur humain une bien triste idée, puisqu'il suppose que nous ne comprenons pas qu'il soit dans l'impuissance de répondre.



CHAPITRE XL. NULLITÉ DES SACREMENTS EN DEHORS DE LA CHARITÉ ET DE L'UNITÉ.


46. Si le baptême donné par Prétextat et par Félicianus dans la secte de Maximien est leur propre baptême, pourquoi donc l'avez-vous reçu comme baptême de Jésus-Christ dans tous ceux qu'ils avaient baptisés? Et si ce baptême, comme on n'en saurait douter, était véritablement le baptême de Jésus-Christ, mais un baptême sans effet, parce qu'ils l'avaient reçu dans le crime du schisme; quel effet pensez-vous qu'il ait pu produire dans ceux que vous avez recueillis avec ce seul baptême, à moins que vous n'admettiez que ce crime du schisme s'est trouvé effacé par le lien de la paix, de, telle sorte que, sans les obliger à recevoir un sacrement qu'ils possédaient, vous avez cru que ce sacrement jusque-là pour eux un titre de châtiment, allait


1. Ga 6,5

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produire tous ses effets de sanctification? Ou bien, si ce précieux résultat n'a pas été produit dans votre communion, ce serait donc parce que toute réconciliation de schismatiques avec des schismatiques serait impuissante à le produire; sachez seulement qu'il est toujours produit dans la communion catholique, dans le sein de laquelle vous n'avez pas à recevoir le baptême, comme si ce sacrement ne vous avait pas été conféré, mais dans le sein de laquelle vous pouvez enfin recueillir les effets jusque-là suspendus de ce même sacrement. En dehors de la charité et de l'unité de Jésus-Christ les sacrements sont un titre, non point au salut, mais à la condamnation. Enfin, comme vous continuez à soutenir ce principe erroné: «Le baptême de Jésus-Christ a péri sur toute la terre par le fait du baptême de je ne sais quels traditeurs», il est de toute évidence que vous ne pouvez vous justifier d'avoir ratifié le baptême des Maximianistes.


47. Comprenez donc et n'oubliez jamais que Pétilien reste sans réponse sur la question même qu'il se proposait de traiter, et qu'il se voit réduit au plus honteux silence. Dès le début de ma lettre il signale tel passage qu'il promet de réfuter, et ce passage il l'oublie entièrement, il n'en dit plus rien, parce qu'il ne peut rien en dire, et je cherche, mais en vain, cette réfutation jusqu'à la fin de son volume. Deux mots qu'il m'accuse d'avoir retranchés de son texte lui fournissent l'occasion de jeter feu et flamme, mais il succombe aussitôt sous le poids de son invincibilité prétendue et reste forcément sans réponse devant cette simple question: «Si la conscience du sujet est purifiée par la conscience de celui qui administre saintement, par qui donc sera-t-elle purifiée lorsque, sans le savoir, le néophyte s'adresse à un ministre pécheur? Et si ce même néophyte reçoit, non point la foi, mais une véritable culpabilité lorsqu'il demande sciemment la foi à un ministre perfide, de qui recevra-t-il la foi et non point la culpabilité lorsque, sans le savoir, il est baptisé par un ministre perfide?» Malgré l'abondance et la longueur de ses écrits il est certain qu'il a toujours laissé cette question sans réponse.


48. Il préfère lancer l'outrage et la calomnie contre les monastères et les moines, me reprochant à moi-même d'avoir fondé un ordre de religieux. Pourtant il ignore entièrement le genre de vie que l'on mène dans ces maisons religieuses, ou plutôt il feint de ne rien savoir de ce qui est connu de l'univers tout entier. M'accusant d'avoir dit que le véritable ministre du baptême c'est Jésus-Christ, il emprunte à ma lettre certaines paroles pour prouver que c'est bien là ma doctrine, tandis que cette doctrine est aussi la vôtre, puis il se livre contre moi à tous les excès de la haine, pour me punir d'avoir émis,une semblable doctrine. Il affecte donc de ne pas savoir que mes enseignements sont les vôtres, que ma foi c'est la vôtre, comme je le prouverai tout à l'heure avec la dernière évidence. Puis il se jette dans de longs et inutiles développements pour essayer de montrer que, d'après nous, ce n'est point Jésus-Christ qui baptise, mais que le baptême est seulement conféré en son nom comme au nom du Père et du Saint-Esprit; et à cette occasion il dit de la Trinité tout ce qu'il veut ou tout ce qu'il peut, affirmant entre autres choses que «le Christ est le moyen terme de la Trinité». De là il passe aux magiciens Simon et Barjésu, et trouve dans leurs noms un prétexte pour se livrer contre nous aux plus violents outrages. C'est ainsi qu'insensiblement il laisse de côté la cause d'Optat de Thamugade, pour s'épargner la honte de s'entendre dire que ni lui ni les siens n'ont pu se prononcer dans une cause de cette importance. Il n'oublie pas toutefois d'insinuer que ce malheureux s'est senti violenté par mes nombreuses suggestions.



CHAPITRE XLI. POURQUOI PÉTILIEN N'A PAS VOULU RÉPONDRE A MA QUESTION.


49. Pétilien termine sa lettre en avertissant ses adeptes de se mettre en garde contre toutes les séductions que nous ne cessons de leur offrir; et, en même temps, il se prend d'une immense pitié à l'égard de nos fidèles, que nous ne cessons de corrompre et de pervertir. Si donc nous examinons sérieusement cette lettre dans laquelle il promettait de nous foudroyer, nous resterons évidemment convaincus de l'impuissance où il se trouvait de répondre à la question que nous lui avons posée. Il soutenait que la conscience du sujet est purifiée par la conscience du ministre, ou plutôt par la conscience de celui qui administre (302) saintement, car derrière ce mot il se croit invincible; je l'ai donc prié de nous dire par qui sera purifié celui qui, sans le savoir, s'adresse pour le baptême à un ministre dont la conscience est souillée. Sur ce point, il garde le silence. Nous ne devons donc pas nous étonner qu'un homme qui s'obstine à soutenir l'erreur et qui se sent accablé par l'évidence de la vérité, trouve plus commode de se lancer dans la voie des injures, que de marcher à la lumière de l'invincible vérité.


50. Maintenant donc, veuillez vous montrer attentifs, et je vous dévoilerai les motifs qui l'ont empêché de répondre, je mettrai en pleine lumière ce qu'il essayait de laisser dans les ténèbres. Nous lui demandions par qui peut être purifié celui qui, sans le savoir, s'adresse pour le baptême à un ministre dont la conscience est souillée; il pouvait très facilement répondre que cette purification est opérée par le Seigneur lui-même; il pouvait affirmer sans crainte que c'est Dieu qui purifie la conscience de celui qui, sans le savoir, est baptisé par un pécheur. Mais cet homme qui, d'après les principes de votre secte, avait été contraint de faire dépendre la purification du sujet de la conscience du ministre; cet homme qui avait dit: «C'est d'après la conscience de celui qui donne, ou de celui qui donne saintement, que l'on peut juger de la purification du sujet», cet homme a craint que le baptême ne parût donné dans de meilleures conditions par un pécheur occulte que par un ministre d'une sainteté connue. En effet, dans le premier cas, au lieu de venir de la conscience d'un saint ministre, la purification aurait été produite par la sainteté suréminente de Dieu lui-même. Effrayé de cette conséquence qui allait le convaincre d'absurdité, ou plutôt d'une véritable démence, et ne sachant quel parti lui resterait à prendre, il refusa de nous dire par qui le néophyte est purifié, lorsqu'il ignore la culpabilité du ministre; de là ce tumulte qu'il soulève pour faire oublier la question qui lui était posée et s'épargner une réponse qui scellerait irrévocablement sa honte et sa défaite. Il espérait sans doute que ma lettre ne serait jamais lue par des hommes sérieux, ou bien que, après avoir lu ma lettre, ils liraient également la sienne qu'il feignait de présenter comme une réponse adéquate.



CHAPITRE XLII. LA QUESTION TELLE QU'ELLE ÉTAIT POSÉE AU DÉBUT DE MA LETTRE.


51. La question dont je parle a été catégoriquement posée dans ma lettre, et Pétilien n'en dit mot, quoique sa lettre eût été annoncée comme une réfutation de la mienne. Veuillez donc, je vous prie, jeter un regard attentif sur son oeuvre; je sais que pour lui sont toutes vos faveurs, et pour moi votre haine; mais du moins, si vous le pouvez, Montrez-vous équitables. J'avais réfuté la première partie de sa lettre, la seule qui fût tombée entre mes mains. Or, il faisait tellement reposer toute l'espérance du sujet sur le ministre même du baptême, qu'il n'avait pas craint de dire: «Toute chose dépend de son origine et de sa racine, et ce qui n'a pas de tête n'est rien (1)». Sur les lèvres de Pétilien ces paroles signifiaient évidemment que le néophyte qui demande le baptême ne peut trouver que dans le ministre auquel il s'adresse son origine, sa racine et sa tête. Voilà pourquoi je répondais: «Nous demandons si c'est la foi ou une souillure que reçoit le catéchumène, lorsque la perfidie de son ministre est secrète; et si ce ministre n'est point pour lui son origine, sa racine et son chef, nous demandons de qui il reçoit la foi. Quelle est l'origine d'où il sort? Quelle est la souche sur laquelle il germe? Quel est le chef dont il dépend? Quand le sujet ignore la perfidie du ministre, est-ce Jésus. Christ qui donne la foi? est-ce Jésus-Christ qui devient l'origine, la racine et le chef?» Ces mêmes paroles que je prononçais alors, je les redis en ce moment et je m'écrie de nouveau: «O témérité et orgueil de l'homme! «pourquoi n'admettez-vous donc pas que ce soit toujours Jésus-Christ qui donne la foi en faisant le chrétien? Pourquoi ne permettez-vous pas que Jésus-Christ soit toujours l'origine du chrétien, qu'il soit la racine sur laquelle il germe et la tête dont il dépend? Quand la grâce spirituelle est départie aux croyants par un saint et fidèle ministre, ce n'est pas ce ministre qui donne la grâce, mais celui-là seul dont il est dit qu'il justifie le pécheur (2). Saint Paul était-il la tête et l'origine de ceux qu'il avait plantés?


1. Livre 1,chap. IV n. 5 et suiv.; livre 2,chap. V n. 10, 11,1. - 2. Rm 4,5

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Apollo était-il la racine de ceux qu'il avait arrosés? N'est-ce pas plutôt celui qui leur avait donné l'accroissement? N'est-ce point Paul qui s'écrie: J'ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a. donné l'accroissement; ainsi donc celui qui plante n'est rien, celui qui arrose n'est rien, mais celui qui est tout, c'est celui qui donne l'accroissement (1)? La véritable racine, ce n'était pas l'Apôtre, mais celui qui a dit: Je suis la vigne et vous êtes les rameaux (2). L'Apôtre pouvait-il donc aspirer à être la tête des chrétiens qu'il avait formés, lui qui ne cessait de répéter que nous ne formons tous qu'un seul corps en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ est la tête de ce corps? Quel que soit donc le ministre, fidèle ou perfide, auquel on puisse s'adresser pour recevoir le baptême, que l'homme place toute son espérance en Jésus-Christ s'il ne veut pas entendre formuler contre lui cette redoutable parole: Maudit soit celui qui met dans l'homme toute son espérance (3)».



CHAPITRE XLIII. MÊME SUJET.


52. Ce langage, tel que je le formulais dans ma première lettre en réponse à Pétilien, me paraît aussi clair que bien fondé. Je le répète ici pour nous avertir et nous rappeler que nous ne devons nullement placer notre espérance dans l'homme, mais en Jésus-Christ, le Rédempteur et le Justificateur des hommes, même des pécheurs qui croient en lui, et pour qui la foi est imputée à justice. Croyons en lui, car lui seul nous justifie, quel que soit d'ailleurs le ministre du sacrement de baptême, fût-il saint ou fût-il du nombre de ces impies et de ces hypocrites que l'Esprit-Saint a en horreur. Après ces premières paroles j'ai essayé de montrer l'absurdité des conséquences qui découlent de la doctrine de Pétilien. Je disais donc et je dis encore: «Si vous admettez que le sujet ne reçoit la grâce spirituelle que dans la mesure dans laquelle le ministre la possède; si vous soutenez que tout ministre, dont la bonté présente toutes les garanties extérieures, donne la foi par lui-même et devient ainsi l'origine, la racine et la tête du chrétien qu'il régénère; enfin, si vous affirmez que dans le cas assez fréquent où le ministre est lui-même perfide,


1. 1Co 6,6-7 - 2. Jn 15,5 - 3. Ci-dessus, liv. 1,ch. 5,6, 7

mais d'une perfidie réellement occulte, c'est alors Jésus-Christ qui donne la foi, qui devient l'origine, la racine et la tête du néophyte, n'ai-je pas le droit de conclure que le sort le plus heureux pour les catéchumènes, c'est de rencontrer comme ministres des hommes perfides, pourvu que leur perfidie reste entièrement ignorée? Donnez-moi des ministres aussi bons que vous voudrez, Jésus-Christ ne sera-t-il pas incomparablement meilleur? et pourtant c'est lui qui deviendra notre chef, si le baptême nous est conféré par un ministre perfide, dont la perfidie soit occulte. Nous disons, nous, que toujours c'est Jésus-Christ qui justifie l'impie en le rendant chrétien; que c'est de Jésus-Christ que nous recevons la foi; que Jésus-Christ est la source de toute régénération et la tête de l'Eglise. Si donc l'opinion des Donatistes est le comble de la démence, quelle valeur attacher à toutes ces déclarations dont l'éclat séduit le lecteur léger, qui ne sait pas pénétrer jusqu'au fond des choses et s'arrête au bruit extérieur (1)?» Voilà ce que j'ai dit, voilà ce qui se trouve écrit dans ma lettre.



CHAPITRE XLIV. LA PARABOLE DE L'ARBRE ET DU FRUIT S'APPLIQUE-T-ELLE AU MINISTRE ET AU SUJET?


53. J'avais lu dans la lettre de Pétilien les paroles suivantes: «S'il en est ainsi, mes frères, quelle perversité de prétendre justifier les autres, quand on est coupable soi-même? Le Sauveur ne disait-il pas: L'arbre bon porte de bons fruits, et l'arbre mauvais porte de mauvais fruits; cueille-t-on des raisins sur les épines (2)? et encore: Tout homme bon tire le bien du trésor de son coeur, et tout homme mauvais tire le mal du trésor de son coeur (3)». De telles paroles prouvent clairement que Pétilien assimile à l'arbre le ministre qui baptise, et au fruit le sujet baptisé. A cela je répondais: «Si le bon arbre c'est le bon ministre, de telle sorte que celui qu'il baptise soit le bon fruit, quiconque est baptisé par un mauvais ministre, dont le crime est occulte, ne saurait évidemment être bon, puisqu'il est produit par un arbre mauvais. Car autre chose est l'arbre bon, autre chose est l'arbre mauvais, son vice fût-il occulte».


1. Ci-dessus, liv. 1,ch. 6,n. 6, 7. - 2. Mt 7,16-17 - 3. Mt 12,35

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Par ces paroles ne voulais je pas prouver ce que j'avais déjà dit plus haut, c'est-à-dire que l'arbre et son fruit ne désignent nullement le ministre et le sujet du baptême, mais bien l'homme lui-même et ses oeuvres ou sa conduite, car l'homme bon a une bonne vie et l'arbre mauvais une vie mauvaise? Ne voulais-je pas en même temps montrer l'absurdité dans laquelle doivent tomber tous ceux qui soutiennent que tout homme est mauvais, par cela même qu'il est baptisé par un pécheur, fût-ce même par un pécheur occulte, absolument comme un fruit est mauvais quand il vient d'un arbre mauvais dont le vice est occulte? A cette nouvelle observation Pétilien n'oppose aucune réponse.



CHAPITRE XLV. PÉTILIEN M'ATTRIBUE LES CONSÉQUENCES DE SA PROPRE DOCTRINE.


54. Craignant que Pétilien ou quelqu'un d'entre vous ne vienne à dire que dans le cas où le ministre est un pécheur occulte, le sujet cesse d'être le fruit de ce ministre pécheur pour le devenir de Jésus-Christ lui-même, j'ai voulu faire ressortir l'absurdité d'une telle conclusion; et, répétant sous des termes différents l'idée que j'avais précédemment émise, je disais: «Quand l'arbre est secrètement mauvais, si celui qu'il baptise renaît, non pas de cet arbre, mais de Jésus-Christ, j'en conclus qu'il est de tout point préférable d'être baptisé par des pécheurs occultes, plutôt que par des ministres d'une sainteté manifeste (1)». Pressé de tous côtés par des conclusions d'une telle rigueur, Pétilien passe sous silence les principes et entasse absurdités sur absurdités, en laissant croire qu'elles découlent dé ma doctrine, tandis que tous mes raisonnements tendaient à lui montrer les fâcheuses conséquences de son erreur et à le convaincre de la nécessité d'y renoncer. Surprenant ainsi la bonne foi de ses auditeurs et de ses lecteurs, et se persuadant que mes écrits ne seraient jamais lus, il se livra contre moi aux attaques les plus violentes; comme si j'avais dit d'une manière absolue qu'il est à désirer pour tous d'être baptisés par des pécheurs occultes, puisque les ministres les plus saints ne sont rien en comparaison de Jésus-Christ, dont la sainteté est infinie et qui


1. Liv. 1,ch. 7,8, n. 8,9.

devient la tête de celui qui est baptisé quand le baptême lui est conféré par un pécheur occulte. De même il me fait dire que les catéchumènes baptisés par des pécheurs occultes sont plus saintement justifiés que ceux qui reçoivent le baptême des mains de ministres dont l'innocence est manifeste; tandis que si j'ai formulé cette absurdité grossière, c'était, uniquement pour montrer qu'elle est la conséquence logique et nécessaire de l'erreur par laquelle Pétilien et ses adeptes prétendent que le ministre est au sujet comme l'arbre est à son fruit, le bon fruit sortant du bon arbre, et le mauvais fruit du mauvais arbre. Nous leur demandions de nous dire de qui est le fruit, l'homme baptisé, quand il est baptisé par un pécheur occulte; d'autant plus qu'ils n'osent pas lui réitérer le baptême, ils sont forcés d'avouer qu'il n'est pas le fruit de ce mauvais arbre, mais de l'arbre par excellence, qui est Jésus-Christ. Or, c'est de ce principe que découle nécessairement la conséquence mauvaise contre laquelle ils protestent, mais en vain. Car si le sujet est le fruit du ministre, lorsque ce ministre est bon; si ce ministre est un pécheur occulte, le sujet sanctifié ne doit plus être le fruit de ce ministre, mais celui de Jésus-Christ; d'où je conclus que ceux qui sont baptisés par des pécheurs occultes reçoivent une justification plus sainte et plus abondante que ceux qui sont baptisés par des ministres d'une sainteté manifeste.



CHAPITRE XLVI. MAUVAISE FOI DONT PÉTILIEN FAIT PREUVE DANS SES RAISONNEMENTS.


55. Telles sont les conclusions que Pétilien ne craint pas de m'attribuer, comme si elles découlaient de mes principes; mais la violence même qu'il déploie contre moi prouve assez clairement l'erreur et la fausseté de prémisses qui entraînent à de telles conséquences. Par conséquent toutes les accusations qu'il lance à ce sujet contre moi se retournent directement contre lui, puisque ces principes sont bien ceux qu'il a formulés. Ne trouver d'autre issue que de m'attribuer des opinions dont il est lui-même l'auteur et l'apôtre, n'est-ce pas la preuve évidente qu'il se sentait réellement écrasé sous le poids de la vérité? Je suppose que les adversaires auxquels l'Apôtre reprochait dé ne point croire à la (305) résurrection des morts se fussent permis d'accuser le même Apôtre, parce qu'il aurait prononcé les propositions suivantes: «Ni Jésus-Christ non plus n'est ressuscité», la prédication des Apôtres est vaine, la foi des croyants est vaine, il s'est trouvé contre Dieu de faux témoins, pour assurer que Jésus-Christ est ressuscité; quelle différence trouverait-on entre la conduite de ces adversaires de l'Apôtre et la conduite de Pétilien à mon égard? En effet, supposant qu'on ne pourrait lire mes écrits, et voulant à tout prix faire croire qu'il m'avait réfuté, il m'attribua les conclusions de sa propre doctrine. Mais, de même que dans l'hypothèse précédente il eût suffi de lire tout le passage de la lettre de l'Apôtre et d'énoncer les antécédents pour comprendre la conclusion et refouler contre ses adversaires leurs propres accusations; de même il suffit de reproduire ce qui dans ma lettre précède ces conclusions incriminées, pour les rejeter à l'instant même à la face de Pétilien, malgré ses véhémentes protestations.


56. Pour réfuter ceux qui niaient la résurrection des morts, l'Apôtre signale toutes les absurdités qui découlent de cette négation, afin que l'horreur de semblables conclusions leur découvre la fausseté de leur propre doctrine. Voici donc comme il s'exprime: «Si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ n'est donc pas ressuscité. Et si Jésus-Christ n'est point ressuscité, notre prédication est vaine, et votre foi ne l'est pas moins. Nous serons même convaincus d'avoir joué le rôle de faux témoins à l'égard de Dieu, puisque nous avons rendu témoignage contre Dieu même, en affirmant qu'il a ressuscité Jésus-Christ, tandis qu'il ne l'a pas ressuscité, si les morts ne ressuscitent pas (1)». Les adversaires de l'Apôtre n'auraient pas osé soutenir que Jésus-Christ n'est point ressuscité; ils auraient repoussé avec horreur les autres conclusions énoncées par saint Paul; par conséquent ils devaient voir et comprendre qu'il y avait crime et folie de leur part à prétendre que les morts ne ressusciteront pas. Retranchez de ce raisonnement la proposition qui lui sert de fondement: «Si les morts ne ressuscitent pas», il ne vous restera plus que les conclusions suivantes: «Jésus-Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vaine, votre foi l'est également», et le reste; toutes choses qui


1. 1Co 15,13-15

sont autant d'erreurs et que l'on ne saurait attribuer à l'Apôtre. Au contraire, rétablissez le principe, dites d'abord: «Si les morts ne ressuscitent pas», et vous serez en droit de tirer les conclusions suivantes: «Jésus-Christ n'est donc pas lui-même ressuscité, notre prédication est vaine, votre foi l'est également», et le reste. Or, je dis que de la part de l'Apôtre il était sage et habile de tirer ces conclusions, car leur évidente absurdité ne pouvait être imputée qu'à ceux-là mêmes qui niaient la résurrection des morts.

De même dans ma lettre, effacez ce que je disais tout d'abord: «Si vous admettez que le sujet ne reçoit la grâce spirituelle que dans la mesure dans laquelle le ministre la possède; si vous soutenez que tout ministre dont la bonté présente toutes les garanties extérieures, donne la foi par lui-même et a devient ainsi l'origine, la racine et la tête du chrétien qu'il régénère; enfin si vous affirmez que dans le cas assez fréquent où le ministre est lui-même perfide, mais d'une perfidie réellement occulte, c'est alors Jésus-Christ qui donne la foi, c'est de lui que le baptisé tire son origine, c'est sur lui qu'il est enraciné, c'est lui qu'il se glorifie d'avoir pour chef». Effacez de ma lettre toutes ces propositions et vous pourrez alors m'attribuer ces conclusions aussi ineptes qu'impies: «Le sort le plus heureux pour les catéchumènes, c'est de rencontrer comme ministres des hommes perfides, pourvu que leur perfidie reste entièrement ignorée. En effet, donnez-moi des ministres aussi bons que vous voudrez, Jésus-Christ n'est-il pas incomparablement meilleur? Et c'est lui qui deviendra notre tête, si le baptême nous est conféré par un ministre perfide, dont la perfidie soit occulte (1)». Au contraire, rétablissez les prémisses tirées de votre propre doctrine, les conséquences qui en découlent, si absurdes fussent-elles, se retourneront, non point contre moi, mais contre vous. De même, effacez ce que j'ai dit ailleurs: «Si le bon arbre c'est le bon ministre, de telle sorte que celui qu'il baptise soit le bon fruit; quiconque est baptisé par un mauvais ministre dont le crime est occulte, reçoit, non pas de cet arbre, mais de Jésus-Christ» . Retranchez ces prémisses erronées qui ne sont autre chose que la doctrine même de votre secte et de


1. Liv. 1,ch. 6,n. 7.

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Pétilien lui-même, et alors vous m'attribuerez cette absurde conclusion . «Il est plus saint et préférable d'être baptisé par des pécheurs occultes, plutôt que par des ministres d'une sainteté manifeste (1)». Au contraire, rétablissez les prémisses d'où découlent ces conséquences, et vous comprendrez qu'en formulant ces conclusions, j'ai voulu vous montrer l'absurdité de vos principes; vous resterez convaincus que c'est sur vous que retombe toute la responsabilité et des prémisses et des conséquences.



CHAPITRE XLVII. QUE PÉTILIEN ACCEPTE LES CONCLUSIONS DE SES PRINCIPES.


57. En niant la résurrection des morts, les Sadducéens ne pouvaient échapper aux conclusions que l'Apôtre déroulait contre eux quand il disait: «Jésus-Christ n'est pas ressuscité lui-même», et le reste, à moins de changer de doctrine et de professer le dogme de la résurrection des morts. De même, si vous ne voulez pas que nous vous imputions les absurdités que j'ai signalées pour vous convaincre et pour vous prouver que c'est de votre part une erreur grossière de soutenir qu'il est plus saint et préférable d'être baptisé par des pécheurs occultes, plutôt que par des ministres d'une sainteté manifeste, changez de doctrine et gardez-vous de placer dans l'homme l'espérance de ceux qui demandent le baptême. Si c'est dans l'homme que vous placez cette espérance, je demande du moins qu'on ne retranche aucune de mes paroles et qu'on ne m'attribue pas des conclusions que je n'ai formulées que pour vous convaincre et pour vous corriger. Voyez sur quel principe je m'appuie pour tirer ces conséquences: Si vous placez l'espérance des catéchumènes dans le ministre qui doit leur conférer le baptême; si vous prétendez, comme l'écrit Pétilien, que l'homme ministre du baptême devient l'origine, la racine et la tête de celui qu'il baptise; si l'arbre bon c'est le bon ministre, et si le bon fruit c'est celui qui a été baptisé par ce bon arbre; ne nous forcez-vous pas à vous demander quelle est l'origine, la racine et la tête de celui qui est baptisé par un pécheur occulte, et de quel arbre il peut être le fruit? A cette question se rapporte naturellement cette autre à laquelle Pétilien


1. Liv. 1,ch. 8,n. 9.

n'a donné aucune réponse, comme je l'ai constaté à diverses reprises: par qui est justifié celui qui, sans le savoir, demande le baptême à un pécheur occulte? En effet, c'est bien le ministre lui-même que Pétilien regarde comme l'origine d'où commence, la racine qui produit, la tête d'où découle, la semence d'où germe, l'arbre sur lequel se développe la sanctification du catéchumène.



CHAPITRE XLVIII. IL FAUT RENONCER AUX PRINCIPES QUAND ON REJETTE LES CONSÉQUENCES.


58. Quand nous demandons par qui peut être purifié celui que vous ne rebaptisez pas dans votre communion, quoiqu'il soit constant qu'il a été baptisé par un pécheur occulte, n'êtes-vous pas obligés de nous répondre que c'est par Dieu on par Jésus-Christ qui est notre Dieu béni dans tous les siècles (1), ou par le Saint Esprit qui lui aussi est Dieu, puisque la Trinité ne forme qu'un seul Dieu? Voilà pourquoi l'apôtre saint Pierre, après avoir dit à Ananie: «Vous avez osé mentir au Saint-Esprit», nous apprend aussitôt ce qu'est le Saint-Esprit: «Ce n'est pas aux hommes que vous avez menti, mais à Dieu (2)». Je suppose donc que vous nous disiez que c'est par un ange qu'est purifié le catéchumène baptisé par un pécheur occulte, je vous ferais encore remarquer que tous les élus, après la résurrection, seront assimilés aux anges (3). Par conséquent celui qui est baptisé par un ange, reçoit une purification plus abondante qu'il ne pourrait en recevoir de la conscience humaine la plus parfaite. Mais alors pourquoi donc ne voulez-vous pas que nous vous disions: Si l'homme lui-même purifie quand il est bon, tandis que s'il est pécheur, ne fût-il que pécheur occulte, ce n'est plus lui qui purifie, mais c'est de Dieu ou d'un ange que vient cette purification, il suit qu'il est préférable d'être baptisé par un pécheur occulte, plutôt que de l'être par un ministre d'une sainteté manifeste? Si cette conclusion vous révolte, comme, en effet, elle doit révolter toute intelligence droite, rejetez donc avec horreur le principe d'où elle découle; si le principe disparaît, les conséquences disparaîtront également.


1. Rm 9,5 - 2. Ac 5,3-4 - 3. Mt 13,30

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Augustin, contre les lettres de Pétilien. - CHAPITRE XXXVIII. SÉVÉRITÉ DE LA DISCIPLINE DE L'ÉGLISE.