Augustin contre Cresconius - Suite de la réfutation de la lettre de Cresconius.



LIVRE QUATRIÈME.

L'AFFAIRE DES MAXIMIENS



1. Dans un de mes précédents ouvrages j'avais réfuté la doctrine de Petilien. Aussitôt vous vous êtes levé pour venger sa défaite et prendre sa défense. C'est donc à vous, Cresconius, que j'avais affaire désormais, et déjà trois livres volumineux ont fait justice de votre lettre. J'aurais pu clore le débat; mais, dans ce petit travail que je vous présente aujourd'hui, il m'a semblé bon de m'occuper exclusivement avec vous de la cause des Maximiens, afin de vous prouver de nouveau l'inutilité et l'imprudence de votre lettre. Je regarde cette cause comme un véritable bienfait de Dieu, destiné tout à la fois et à notre justification et à votre correction, si vous avez la sagesse d'en profiter. Voyez, en effet, comment, sans que vous le sachiez et sans que nous y ayons aucune part, il a su s'emparer de l'esprit de vos évêques et les faire servir à l'accomplissement de ses desseins. Ces évêques accusaient le monde entier de s'être souillé des péchés d'autrui par la communauté des mêmes sacrements, alors même que ces péchés étaient faux ou du moins n'étaient pas prouvés; et en même temps, dans l'affaire de Maximien, ils étaient contraints d'avouer que les péchés de ceux qu'ils avaient condamnés et la même participation aux sacrements, n'avaient pu souiller ceux à qui ils avaient offert une réintégration complète dans un délai fixé; il n'y avait d'exception que contre les ordonnateurs de Maximien, tandis que les condamnateurs de Primianus, quoique partisans déterminés des mêmes erreurs, n'avaient qu'à se soumettre pour recouvrer tous leurs anciens privilèges. Ces mêmes évêques refusaient de reconnaître comme valide le baptême conféré hors de leur secte, fût-ce même dans l'Eglise apostolique, soutenaient l'invalidité absolue du baptême conféré hors de l'Eglise, nous reprochaient de ne pas invalider le baptême dans tous ceux que nous regardions comme n'étant pas membres de la véritable Église; et cependant, par une contradiction évidente, ils recevaient ceux qui avaient été baptisés dans le schisme sacrilège de Maximien, et n'osaient pas invalider le baptême qu'ils avaient reçu. Ces mêmes évêques, qui nous accusaient de persécution parce que, sous notre inspiration, les empereurs chrétiens avaient porté des lois qui devaient hâter le retour des hérétiques dans le sein de l'Eglise, et chargeaient néanmoins, auprès de ces mêmes juges, et des fautes les plus graves, Maximien et ses compagnons, alléguant, pour justifier leur demande, et la décision du concile qui les avait condamnés, et les actes proconsulaires ainsi que les ordres qu'ils avaient arrachés et qui dépossédaient de leurs sièges tous les Maximiens. Telle fut la conduite de- vos évêques, et ils osent encore tromper les simples en enveloppant leurs propres oeuvres des ténèbres les plus profondes, feignant d'ignorer qu'ils sont condamnés tout à la fois, et par les saintes Ecritures et par les documents authentiques qui nous restent sur leur conduite et sur leur séparation de l'unité, et enfin par leurs propres actions et par leurs exemples.


2. C'est donc uniquement dans cette affaire que je chercherai, avec le secours de Dieu, une réfutation complète et facile de toutes les parties de votre lettre. Tout d'abord je relève les reproches éloquents que vous adressez à l'éloquence, l'accusant d'être l'ennemie de la vérité et de patronner le mensonge. Je n'ignore pas qu'à travers l'éloquence c'est moi que vous vouliez atteindre et signaler à la défiance et à la répulsion des simples. Mais, supposé que j'aie autant d'éloquence que vous m'en attribuez, est-ce que l'éloquence ne devrait pas arracher de vos lèvres les plus pompeux éloges, quand vous la voyez se dérouler à flots aussi pressés que dans ce décret du concile de Bagaïum: «Maximien, le bourreau de la foi, l'adultère de la vérité, l'ennemi de l'Eglise sa mère, le ministre de Dathan, Coré et Abiron, s'est vu frapper par la foudre sortie du sein de la paix?» Lors même que j'aurais à traiter un sujet identique, est-ce que (442) jamais je pourrais trouver des phrases aussi éloquentes que celles-ci: «Quoique l'obscurité d'un sein empoisonné ait longtemps caché le fruit perfide d'une semence venimeuse, quoique l'humide substance d'un crime conçu subissant une chaleur tardive se soit enfin évaporée sous la forme des membres de l'aspic, toutefois les ténèbres ont fini par se dissiper et par laisser voir le virus développé dans leur sein. Ce crime public, ce parricide sacrilège, fruits de coupables désirs, ne se sont dévoilés que bien tard, mais enfin ils se sont dévoilés?» Quand donc me mettrai-je à la torture pour trouver de semblables expressions? quand chercherai-je d'aussi pompeux développements? quand aurai-je à ma disposition des sons aussi saccadés, des mouvements aussi violents pour inspirer à mon lecteur ou à mon auditeur la haine de ses ennemis? Ce langage est-il d'autant moins sincère qu'il est plus éloquent? Est-ce que l'éloquence de ce grand concile porte atteinte à la confiance qu'il réclame, à l'autorité qu'il revendique? Si cette rédaction a été choisie de préférence, n'est-ce pas précisément parce qu'elle a paru la plus éloquente et parce qu'étant l'oeuvre d'un seul elle souleva dans chacun des trois cent dix évêques le désir de se l'approprier et de la proclamer solennellement? Ainsi donc, cette éloquence que vous avez couverte de vos mépris, que vous avez dite séditieuse, artificieuse, détestable et indigne de paraître jamais, voilà qu'elle apparaît tout à coup si ravissante à vos nombreux évêques, que chacun d'eux renonce à sa propre formule pour embrasser et l'aire adopter la rédaction qui leur apparaît la plus ornée et la plus éloquente. Qu'il nous soit donc permis, sans envie et avec toutes les formes de la politesse, dé réfuter les erreurs de nos frères, puisque vos nombreux évêques se sont permis de condamner leurs frères avec tant de pompe et d'éloquence.


3. Le zèle de la vérité vous avait souvent inspiré le désir de conférer avec vos évêques, afin de rétablir les liens de l'unité sur les débris de l'erreur. Et voici que ce zèle ne paraît à vos yeux qu'un besoin de chicane.et d'animosité. Cependant, avouez-le, est-ce que la cause de la vérité et de l'unité n'aurait pas plus gagne à être traitée entre évêques, dans des termes pacifiques et dans une enceinte tranquille, plutôt que d'être débattue entre des évêques et des avocats dans un forum ou un tribunal publics? Pourtant c'est ce dernier mode qui a été suivi par votre évêque de Carthage, Primianus, plaidant contre Maximien, et par ceux qui, après avoir été condamnés au concile de Bagaium, en appelèrent au légat de Carthage et à quatre proconsuls. Dans toute conférence il faut toujours se garder de changer la discussion en dispute ou en procès, et c'est ce que font toujours des interlocuteurs humbles et doux; au contraire, quand le débat est engagé au forum entre des avocats qui soutiennent des partis opposés, il est évident que la plaidoirie devient une véritable bataille. Je n'accuse pas vos évêques si, dans la conduite qu'ils ont tenue, ils n'ont obéi qu'au besoin de s'éclairer et non au désir de combattre; cependant, comme je connais vos heureuses dispositions, je vous invite à étudier vous-même les faits dont je parle. En voyant vos évêques recourir aux agitations du barreau, aux plaidoiries judiciaires, pour convaincre les accusés et chasser de leur siège ceux qu'ils avaient condamnés dans le concile, n'est-il pas vrai qu'ils auraient dû éviter ces bruits extérieurs, et qu'il leur eût été plus facile et plus convenable de conférer pacifiquement avec nous, à moins toutefois qu'ils ne préférassent envelopper de coupables excuses une cause mauvaise, plutôt que de la définir dans une- discussion calme et tranquille?


4. Avant d'examiner la réfutation que j'ai faite des doctrines de Pétilien; vous me demandez à qui l'on doit s'adresser pour recevoir le baptême; est-ce à celui que je regarde comme réellement baptisé, ou bien à celui dont Pétilien considère le baptême comme radicalement nul? En ce qui vous .concerne, cette question, grâce à la cause des Maximiens, a perdu tonte son importance par la vaine loquacité des ignorants; mais il n'en est pas de même pour les Maximiens. En effet, sans rappeler que Maximien, déjà condamné par Primianus son évêque, dont il était le diacre, et contre lequel il souleva plusieurs de ses collègues qui le condamnèrent à leur tour; sans rappeler que vos évêques condamnèrent ce même Maximien comme coupable d'un schisme sacrilège, je rappelle, seulement que les douze évêques qui avaient pris part à son ordination furent enveloppés dans la même sentence de condamnation.(423) Parmi ces douze il en est deux plus connus que les autres: ce sont Prétextat et Félicianus. Ces deux évêques furent d'abord accusés au tribunal du proconsul; plus tard, au concile de Bagaïum, leur cause fut plaidée par des avocats et suivie d'une sentence de condamnation; enfin, munis des ordres formels du proconsul, leurs rivaux essayèrent, mais en vain, de les chasser des sièges qu'ils occupaient. Eh bien 1 quelques années après, ces mêmes évêques furent pleinement réintégrés; tous les honneurs dont ils jouissaient auparavant leur furent rendus; les fidèles confiés à leur sollicitude rentrèrent dans le sein de la paix, et vos évêques ne réitérèrent le baptême à aucun de ceux qui avaient été baptisés pendant la durée du schisme.


5. Nous avons le décret du concile de Bagaïum, tel qu'il a été soumis au jugement du proconsul par le ministère de l'avocat Nummasius; celui-ci demandait que l'église de Membrèse entrât dans la communion de Primianus, et que l'on exilât Salvius qui en était évêque, voire même évêque donatiste. En demandant l'expulsion de Salvius, Nummasius s'appuyait sur le décret du concile de Bagaïum, où cet évêque était compté au nombre des douze prélats consécrateurs de Maximien. J'observe en passant que ce Nummasius faisait erreur sur le nombre de ces prélats, car il n'en comptait que onze. Cette demande d'expulsion fut reprise plus tard par Titianus, agissant expressément et nominativement auprès du proconsul contre les deux évêques Félicianus et Prétextat. Voici les propres paroles de cet avocat: «L'iniquité se réjouit dans ses oeuvres, et même quand elle est arrivée au plus profond de l'abîme, elle ne saurait encore se détacher d'elle-même. En effet, ce même Maximien nourrit en lui-même sa première audace et s'adjoint encore des partisans de sa fureur. Parmi eux je signale d'abord un certain Félicianus qui, après, avoir marché dans le droit sentier, s'est laissé prendre aux attraits de cette coupable séduction. Placé sur le siège épiscopal de Mustitanum, il se flatte de conserver en son pouvoir les pierres consacrées au Dieu tout-puissant, et une église de la plus respectable antiquité. Ses erreurs sont partagées par Prétextat d'Assurium. Mais, dans votre puissance et dans votre équité, vous avez eu connaissance des protestations unanimes des prêtres, et vous avez ordonné, comme les archives en font foi, de faire disparaître les tristes effets de cette division intestine, et de rendre aux vénérables prêtres ces églises désormais soustraites à l'influence des ministres profanes». Presque aussitôt, ce même avocat, voulant rappeler les ordres donnés, fait lecture de la supplique de Nummasius, dont j'ai parlé précédemment. Après avoir entendu Nummasius, le proconsul lui dit: «Lisez le jugement épiscopal». Aussitôt il lut le décret du concile de Bagaïum qui condamne Maximien en ces termes: «Maximien, bourreau de la foi, adultère de la vérité, ennemi de l'Eglise sa mère, ministre de Dathan, Coré et Abiron, a été frappé par la foudre sortie du sein de la paix; et si la terre jusque-là ne l'a pas enseveli dans ses entrailles, c'est que Dieu lui réserve un supplice plus grand encore; la mort, en le frappant sur-le-champ, ne lui eût imposé que le capital de sa peine; maintenant qu'il reste mort parmi les vivants, il amasse sur sa tête des trésors de vengeance qui lui seront payés avec usure». Parlant ensuite des douze consécrateurs, la sentence continue: «Mais ce n'est pas sur lui seul que frappent les coups de la mort, trop juste châtiment de son crime; armé de la chaîne du sacrilège, il entraîne à sa suite ceux dont il est écrit: Leurs lèvres distillent un venin d'aspic, leur bouche est remplie de malédiction et d'amertume, leurs pieds se portent rapides à l'effusion du sang, leur vie est couverte de honte et d'infortune, ils n'ont pas connu le chemin de la paix, la crainte de Dieu n'est pas devant leurs yeux (1). Nous voudrions n'avoir à retrancher aucun membre de notre propre corps, mais puisque l'infection purulente de la blessure exige plutôt le retranchement que les lenteurs de la médecine, il nous faut empêcher que le poison ne se glisse dans tous les membres; et, pour cela, nous devons couper le mal dans sa source. Nous déclarons donc coupables de ce crime fameux Victorien de Carcabianum, Martianus de Sullect, Beïanus de Baïanum, Salvins d'Ausafe, Théodore d'Usule, Donat de Sabrate, Miggène d'Eléphantarie, Prétextat d'Assurium, Salvius de Membrèse et


1. Ps 13,3

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Martial de Pertusium, lesquels, par leurs oeuvres criminelles, sont devenus des vases d'ignominie, remplis de toute la lie de la corruption. Nous déclarons également coupables les clercs de l'église de Carthage qui, par leur coopération au crime, ont favorisé toutes les hontes d'un inceste criminel, et voulons que vous les regardiez tous comme condamnés d'après la sentence véridique, dictée au concile universel par l'assistance du Dieu tout-puissant». Telle fut la condamnation lancée contre ces évêques, au nombre desquels se trouvent Prétextat et Félicianus; et c'est contre eux aussi, comme je l'ai dit précédemment, que l'on demanda au proconsul des ordres d'expulsion définitive. Quant aux autres victimes du schisme de Maximien, fût-ce même ceux qui avaient condamné Primianus, on leur tint compte de n'avoir pris aucune part à l'ordination de Maximien, et conséquemment, on leur offrit un délai pour faire leur soumission. Cette faveur est proclamée en ces termes: «Quant à ceux qui résistèrent aux séductions du sacrilège, c'est-à-dire qui auraient rougi, pour leur foi, d'imposer les mains à Maximien, nous leur avons permis de rentrer dans le sein de l'Église notre mère. Car autant nous tenons à ne pas nous rendre responsables de la mort des coupables, autant nous nous réjouissons du retour des innocents. Or, dans la crainte qu'un intervalle de temps trop restreint ne leur enlève toute espérance de salut, tout en conservant les décrets précédents, nous accordons à tous, jusqu'au huit des calendes de janvier, le droit de rentrer en eux-mêmes, de prendre place de nouveau parmi nous et de recouvrer leurs anciens honneurs et leur foi précédente. Que si, retenu par une coupable paresse, quelqu'un d'entre eux a omis d'opérer son retour pour cette époque, qu'il sache que désormais toutes les voies au pardon lui seront impitoyablement fermées.La sentence continuera à peser sur eux, et s'ils reviennent après le jour fixé, le châtiment leur sera infligé dans toute sa rigueur».

6. Vous avouez vous-mêmes que quelques-uns de ces nombreux coupables sont rentrés dans votre communion; du reste, les événements dont nous parlons sont assez récents pour que le souvenir en soit encore vivant parmi les hommes. D'un autre côté, il est certain que ceux qui, avant de rentrer, ont profité du délai qui leur était accordé, aussi bien que ceux qui ont été condamnés immédiatement avec Maximien, ont tous baptisé pendant qu'ils étaient hors de l'Église, soit dans l'intervalle du délai pendant lequel ils étaient en communion avec Maximien, soit même depuis la fin de ce délai, puisque l'avocat Titianus, parlant nominativement de Prétextat et de Félicianus, demandait qu'ils fussent chassés de leurs basiliques, eux que dans la suite Primianus traita avec les plus grands honneurs. Comment, dès lors, osez-vous soutenir que l'unique baptême véritable ne saurait être conféré que dans l'Église, quand vous avez reçu tous ceux qui avaient été baptisés pendant le schisme, et que vous n'avez réitéré le baptême à qui que ce fût?

Cependant vous ne pouvez pas dire que vous n'avez conféré aucune faveur à ceux que vous avez reçus dans le même baptême. Et si je vous demande quelle est cette' faveur, sans aucun doute vous allez me répondre: celle de ne pas périr dans ce schisme sacrilège; celle d'empêcher que le baptême de Jésus-Christ, au lieu d'être pour eux une récompense, ne leur devînt un titre au châtiment, au lieu d'être pour eux un principe de salut, ne leur devînt une cause de damnation, comme le caractère de soldat est une cause de condamnation pour les déserteurs. Vous me répondrez enfin: Nous leur avons accordé la paix, l'unité, la société de l'Église, le droit enfin de recevoir le Saint-Esprit, par lequel la charité est répandue dans nos coeurs, et sans lequel personne ne saurait parvenir au royaume des cieux, lors même qu'il aurait reçu tous les sacrements. Cette réponse serait vraie si vous apparteniez à l'Église véritable. Toutefois, si vous voulez vous éclairer, il vous suffit de comprendre qu'en revenant à la véritable Eglise, vous participerez réellement à toutes les faveurs dont vous comblez gratuitement tous ceux qui, après avoir reçu le baptême dans le schisme de Maximien, sont rentrés dans vos rangs. Concluez aussi que, même après avoir reçu le baptême de Jésus-Christ, vous n'aurez à attendre que des châtiments, si vous n'appartenez pas à l'unité de l'Église catholique, de même que vous proclamiez sans hésitation que ceux qui avaient reçu le baptême dans le schisme de Maximien seraient éternellement punis, s'ils refusaient (445) d'appartenir à votre communion, ce qui ne vous empêchait pas d'accepter la validité de leur baptême quand ils rentraient dans vos rangs. Vous pouvez voir maintenant que la difficulté qui vous tourmentait art sujet du baptême était depuis longtemps levée par la cause des Maximiens.

7. Maintenant abordons la réfutation que vous avez cru devoir faire de ma lettre. Tout d'abord vous posez cette question: «Pourquoi a donner à nos évêques le nom de Donatistes, puisque Donat n'a pu être l'auteur ni le fondateur d'une Eglise qui existait avant lui, qui avait été instituée par Jésus-Christ, et dont il n'était que l'un des nombreux évêques?» Mais ne remarquez-vous pas que Maximien pourrait vous tenir absolument le même langage pour vous prouver que vous avez tort de donner son nom à la communion qu'il représente? Vous parlez du schisme des Maximianistes ou des Maximiens, et sans doute que vous entendez par là, sans trop vous inquiéter de blesser les règles de la grammaire, dénommer le parti de Maximien, et c'est pour vous l'unique moyen de distinguer ce parti du vôtre ou de tout autre. Oserez-vous dire que Maximien a fait schisme avec votre communion, et soutenir en même temps que Donat n'a pas fait schisme avec la communion catholique? De son côté Maximien n'accepte pas cette qualification; il soutient hardiment que c'est Primianus d'abord, et vous ensuite, qui avez fait schisme avec le parti de Donat auquel, en ce qui le regarde, il est resté fidèle. Il apporte comme preuve les décrets des conciles, d'abord celui de Carthage, où, Primianus fut condamné par quarante-trois évêques; ensuite celui de Cébarse, où plus de cent de vos évêques ratifièrent et renouvelèrent, cette condamnation. A de pareils documents que répondrez-vous? Direz-vous que le concile de Bagaïum jouit d'une autorité bien plus grande, puisque trois cent dix évêques y condamnèrent Maximien et ses partisans, tandis que Primianus, loin d'être admis à se justifier, siégeait au milieu d'eux comme le plus innocent de tous les juges, formulait la sentence de condamnation contre Maximien et ses partisans, et, à l'aide d'un délai suffisant, invitait à rentrer dans le sein de la paix tous ceux qui l'avaient condamné et que cependant il regardait comme innocents?


8. Dans ce conflit, comment voulez-vous que nous nous interposions comme médiateurs, puisque nous n'appartenons ni à votre communion, ni à celle de Maximien? Quel jugement voulez-vous que nous portions, à moins que nous ne réprouvions les deux conciles qui ont condamné Primianus, et que nous ne donnions droit au concile de Bagaïum contre Maximien, par cette raison qu'étant venu après les deux autres ce concile était plus à même de connaître la cause tout entière? Sur ce point nous prenons parti en votre faveur. Du reste, si les Maximiens s'en irritent, nous déclarons préalablement que leur cause nous est absolument étrangère. Nous soutenons, dis-je, le troisième jugement rendu à Bagaïum en faveur de Primianus contre Maximien et ses collègues, parce que ce jugement, rendu le dernier, a pu revoir les autres. Il est à remarquer cependant que pendant l'intervalle des deux premiers jugements jusqu'au troisième, nous ne trouvons aucune trace de provocation de la part de Primianus; après avoir été condamné une première fois par contumace, il le fut encore une seconde fois, malgré toute la liberté qui lui était offerte pour se défendre. Mais remarquons également que la sentence si éloquente de Bagaïum a été rendue en l'absence de Maximien et de ses partisans. D'un autre côté, les quarante-trois évêques réunis à Carthage semblent avoir agi avec une modestie, une réserve et une prudence étonnantes, puisque, non pas une seule fois, mais à trois reprises différentes, ils députèrent à Primianus pour lui demander, s'il ne voulait pas se présenter au concile, de permettre au concile de se réunir dans sa propre demeure. Primianus n'accepta aucun de ces deux partis et se permit des traitements injurieux à l'égard des ambassadeurs; ce n'est qu'alors, comme ils le déclarent eux-mêmes, que ces évêques se sont crus obligés de pourvoir au bien de l'Eglise. Toutefois, n'osant encore porter un jugement définitif, ils se contentèrent de porter une sentence préliminaire, afin de lui permettre, s'il sentait sa cause bonne, de se présenter lui-même au concile suivant pour répondre et se justifier en personne. Il refusa de nouveau, et alors les évêques se crurent le droit de le condamner d'une manière absolue. Quant au concile de Bagaïum, non-seulement nous ne voyons pas (446) que Maximien ait maltraité les députés qui lui furent envoyés, mais rien ne nous prouve qu'on lui en ait envoyé. Cependant nous voyons s'élever autel contre autel, nous voyons un évêque ordonné s'élever contre un autre évêque si bien affermi sur le siège pour lequel il avait été ordonné, que son peuple ne cessa jamais de l'entourer de son affection, et que plusieurs autres évêques ne consentirent jamais à le séparer de leur communion. Bientôt le schisme se produisit avec un éclat sacrilège, au point qu'il devint impossible de différer plus longtemps la condamnation de Maximien et de ses consécrateurs.


9. Je ne juge pas, je me contente de raconter; cependant ne dois-je pas m'étonner de la conduite que vous avez tenue au moment où Cécilianus, siégeant dans sa ville épiscopale et jouissant de la confiance de son peuple, vit s'élever autel contre autel, et ordonner son compétiteur Majorin? Ce même Cécilianus fut condamné par vous, non pas à deux reprises différentes, comme Primianus accusé par les Maximiens, mais une seule fois et avec une précipitation tout aussi téméraire que criminelle. Cependant, bien différent de Primianus, non-seulement il ne refusa pas de se réunir à ses collègues, mais il les invita à se rendre auprès de lui, comme l'attestent ses ennemis eux-mêmes dans le jugement qu'ils ont rendu contre lui. De plus, Primianus ne fut réhabilité que par un seul jugement, et nous en connaissons quatre qui ont réhabilité Cécilianus. Quand Primianus fut justifié, ses adversaires étaient absents, tandis que les ennemis de Cécilianus assistaient au jugement qui les confondit et qui fut rendu parles juges qu'ils avaient eux-mêmes acceptés; de plus, cette sentence fut rendue au tribunal même de l'empereur Constantin, qu'ils avaient fait le dépositaire de leurs accusations contre Cécilianus, et auprès de qui ils ne craignirent pas de se plaindre des évêques que Constantin avait choisis comme juges dans cette affaire et dont ils attaquèrent le jugement comme illégal. De nouveau condamnés par un autre jugement épiscopal, ils en appelèrent une seconde fois à l'empereur et subirent une nouvelle condamnation. Mais il leur en était réservé une quatrième. En effet, il fut bientôt prouvé qu'ils étaient eux-mêmes coupables des crimes qu'ils reprochaient calomnieusement à Cécilianus; c'est ce qui arriva au moment où se débattait la cause de Félix, prélat consécrateur de Cécilianus. Malgré leurs instantes accusations d'apostasie, Félix avait été justifié par un jugement du proconsul; jugement rendu d'après les ordres de l'empereur, qu'ils assiégeaient de leurs interpellations continuelles. Or, il est bien évident que les Maximiens usèrent de beaucoup plus de modération à l'égard de Primiatius. Il est certain aussi qu'ils ne furent pas aussi souvent confondus, qu'ils ne le furent jamais en leur présence, ni par l'organe de juges dont eux-mêmes auraient fait choix. Et cependant, ce qui est manifeste, c'est qu'ils se séparèrent de votre communion; et vous ne voulez pas remarquer que vos évêques se sont également séparés de la communion catholique. J'avoue que je ne saurais m'expliquer une telle impudence ou une telle animosité de votre part. En effet, si tout ce que vous dites de Cécilianus et de Félix son consécrateur vous paraît vrai parce que soixante-dix évêques en ont déjà jugé ainsi; pourquoi donc ne croyez-vous pas à la vérité des accusations portées contre Primianus, quand il en a été jugé ainsi d'abord par quarante-trois évêques et ensuite par cent dix qui, après un jugement préalable, ont cru devoir confirmer leur sentence? Direz-vous que les crimes reprochés à Primianus sont faux, puisque le concile de Bagaïum a attesté son innocence et la calomnie de ses ennemis? Mais alors, pourquoi ne pas convenir de la fausseté des crimes reprochés à Cécilianus, quand il a été justifié par un si grand nombre de jugements subséquents? Si Cécilianus, par suite de la condamnation portée une première fois contre lui par soixante-dix évêques, ne pouvait plus espérer de justification de la part d'aucun autre juge; Primianus pouvait-il être plus heureux quand une première sentence rendue contre lui par soixante-dix évêques a été confirmée par un nombre plus grand encore? Si une double condamnation doit disparaître devant une troisième sentence rendue en sa faveur, pourquoi, après une seule condamnation rendue contre lui, Cécilianus ne pourrait-il pas être regardé comme pleinement justifié par un second, un troisième, un quatrième, un cinquième jugements? Pour soutenir le contraire ne faut-il pas une audace incroyable? Est-ce le nombre qui vous influence, à tel point que la condamnation prononcée par cent évêques soit de (447) plein droit annulée par la justification prononcée par trois cent dix évêques au concile de Bagaïum? mais alors, pourquoi refusez-vous d'adhérer à l'immense multitude des évêques disséminés sur toute la terre?


10. Vous reprochez à Cécilianus ce péché inexpiable contre le Saint-Esprit, et dont le Seigneur a dit: «Il ne sera remis ni dans ce monde ni dans l'autre (1)». Mais ne pourrions-nous pas en dite autant de Félicianus de Mustitanum, le collègue de Primianus dans l'épiscopat, l'un des ordonnateurs de Maximien et des condamnateurs de Primianus lui-même? Non-seulement vous ne réitérez pas le baptême à ceux qu'il a baptisés dans le schisme, mais vous l'avez accusé vous-mêmes du péché contre le Saint-Esprit, en lui reprochant, comme vous l'avez fait au concile de.Bagaïum, le crime du schisme et du sacrilège. En effet, de même que vous regardez comme coupables de ce crime irrémissible contre le Saint-Esprit ceux que vous accusez d'avoir livré les saintes Ecritures aux persécuteurs, parce que ces Ecritures n'ont été écrites par des hommes que sous l'inspiration même de Dieu (2); de même, non-seulement nous pourrions accuser de ce crime tous ceux de vos évêques dont l'apostasie est consignée dans des documents authentiques, mais nous pourrions en accuser également Félicianus lui-même, à qui vous reprochiez ouvertement le crime d'un schisme: sacrilège, crime qui est évidemment contre le Saint-Esprit, dans lequel se conserve l'unité de la dilection et de la paix, selon cette parole de l'Apôtre «Nous supportant réciproquement dans la dilection, nous appliquant à conserver l'unité de l'esprit dans le lien de la paix (3)». Or, celui qui produit le schisme viole évidemment cette unité. Mais quel que soit ce péché contre le Saint-Esprit et irrémissible en cette vie ou en l'autre, nous ne vous en accusons pas, car tant que vous vivez, nous ne désespérons pas de vous corriger; nous n'en accusons pas davantage ceux de vos évêques qui ont livré, pour être jetés au feu, les manuscrits sacrés, à moins que restant toute leur vie hors de l'unité, ils rie soient morts avec un coeur impénitent. Vous n'accusez de ce crime ni Félicianus, ni Prétextat, qui sont maintenant en communion avec vous; mais qui, pendant; leurs relations schismatiques


1. Mt 13,32 - 2. 2P 1,21 - 3. Ep 4,2-3

avec Maximien, ont été nommément condamnés dans la sentence du concile, ce qui n'a pas empêché que, après avoir laissé écouler le délai établi en faveur des innocents et non des coupables nominativement frappés, ils furent très-facilement reçus dans votre communion.


11. Vous me reprochez également de blesser les règles des noms dérivés, et de vous appeler Donatistes, du nom de Donat. J'accepte votre observation; cependant, consultez les bons grammairiens, discutez avec eux la dénomination de Maximien, et tâchez de les convaincre. Je ne les appellerai pas Maximiens, dans la crainte d'offenser vos oreilles délicates. Cependant je suis assuré que si vous aviez affaire à eux, ils ne se montreraient pas aussi faciles que moi, et ne consentiraient pas à appeler Claudianiens ceux qu'ils ont appelés Claudianistes. On sait que parmi les crimes pour lesquels les Maximiens se sont montrés si sévères dans leur jugement sur Primianus, ils lui reprochaient celui d'avoir reçu ces hérétiques dans sa communion. Du moins comprenez que je ne suis pas seul à accepter cette règle de dérivation des mots; sachez surtout que vos autres adversaires n'auraient pas cédé si facilement, même dans une matière qui ne touche en rien à la cause que nous discutons.


12. Ce que vous me reprochez plus amèrement encore, c'est qu'après avoir parlé «de l'erreur sacrilège des Donatistes hérétiques», appelant ainsi hérésie ce que vous prétendez n'être qu'un schisme, nous recevions ces mêmes Donatistes dans notre communion sans leur imposer une juste expiation de leur sacrilège. Mais vous qui nous adressez de si vifs reproches en cette matière, dites-nous donc quelle expiation vos évêques ont exigée pour le sacrilège de Félicianus et de Prétextat, avec lesquels ils se sont remis plus tard en communion, à qui ils ont rendu tous les droits et tous les honneurs de l'épiscopat, sans juger aucunement nécessaire de réitérer le baptême à ceux qu'ils avaient baptisés pendant la durée de leur schisme? Mais peut-être n'étaient-ils point coupables de sacrilège, c'est du moins l'opinion de quelques-uns d'entre vous, qui ont poussé l'illusion jusqu'à admettre que ces évêques n'avaient pas péché contre Dieu, mais contre l'homme. Ayant péché contre l'homme ils n'avaient (448) point commis de sacrilège, car le sacrilège est un péché tellement grave, qu'il ne peut se commettre que contre Dieu. Ainsi, ce que vous me reprochez, c'est uniquement d'ouvrir si facilement nos rangs à ceux qui quittent les vôtres, après que j'ai dit de votre doctrine qu' «elle est une erreur sacrilège». Lisez donc le concile de Bagaïum. En voici-le début solennel: «Guidés par la volonté du Dieu tout-puissant et du Christ notre Sauveur, nous nous sommes réunis de toutes les provinces de l'Afrique dans la sainte Eglise de Bagaïum, pour y tenir un concile. Etaient présents Gamalius, Primianus, Fontius, Sécundianus Januarius, Saturninus, Félix, Pégasius, Rufinus, Fortunius, Crispinus, Florentius, Optat, Donat, Donatianus et autres au nombre de trois cent dix. Or, il a plu au Saint-Esprit qui est en nous, d'affermir une paix perpétuelle, et de détruire les schismes sacrilèges». Entendez-vous, comprenez-vous? remarquez-vous ce qu'ils disent: «Détruire des schismes sacrilèges?» Ce n'est donc pas contre l'homme mais contre Dieu que s'élevait Maximien, poussé par cette profonde perversité qui le précipitait dans le crime du sacrilège. Un peu plus loin, lisez ce que vos évêques disent des partisans de Maximien, qu'ils énumèrent nominativement. «Ce n'est pas sur lui seul», disent-ils, «que pèse la mort, trop juste châtiment de son crime; mais sur tous ceux qu'il entraîne à sa suite et qu'il enveloppe dans la chaîne de son sacrilège».



Augustin contre Cresconius - Suite de la réfutation de la lettre de Cresconius.