Augustin, controverse avec les Donatistes

15. Peut-être renieraient-ils volontiers cette phrase, mais leur signature est là pour les convaincre. Notre sollicitude pour votre salut était telle que nous avons cru devoir signer nos propres paroles; vos évêques s'y refusaient d'abord, mais enfin ils ont dû céder à la honte et signer avec nous. Nous avons le texte même du refus qu'ils nous opposaient, comme aussi celui du consentement qu'ils ont donné depuis. Tout a été écrit et scellé de notre signature. S'ils refusaient de signer, c'était apparemment pour se laisser le pouvoir de nier ce qu'ils avaient dit et de calomnier le juge en l'accusant d'avoir corrompu les actes. Si maintenant il les a condamnés, ils peuvent bien avouer qu'ils ont été à eux-mêmes leurs propres accusateurs, car ce sont eux qui nous ont fourni les armes pour les combattre et les vaincre. Ils refusaient donc de signer afin de nier plus tard ce qu'ils avaient dit, en alléguant la corruption des actes; d'un autre côté, s'ils ont consenti à signer, c'est parce qu'ils ont compris qu'aux yeux des assistants il serait de la dernière évidence que s'ils persistaient dans leur refus, ce serait uniquement parce qu'ils craindraient qu'on ne leur donnât lecture de leurs propres paroles. Ils préférèrent donc défendre leurs propositions par les plus ténébreuses explications que de les voir si promptement condamnées.


16. Mais remarquez, je vous prie, que leur justification n'a fait que les compromettre davantage; qu'ils ont plaidé notre cause et perdu la leur. En effet, après la conférence, ils voulurent, dans leur défaite, interjeter appel, mais on leur opposa leurs propres témoignages, ceux-là mêmes qu'ils ne peuvent essayer de justifier sans se compromettre toujours davantage, quand vous leur demandez compte de leur conduite. Ils vous supposent donc tellement dépourvus de coeur et d'intelligence que vous ne comprendrez (604) pas, que du moment qu'ils vous disent ce qu'ils ne vous diraient pas s'ils avaient quelque bon moyen de défense, c'est qu'ils ont dû subir une défaite aussi honteuse que complète. Qui donc, en effet, permettrait à des vaincus de se plaindre que la sentence ait été rendue contre eux pendant la nuit? Est-ce que bien souvent l'importance ou la multiplicité des matières ne prolonge pas les débats jusque très-avant dans la nuit? Ou bien ce que l'on dit, est-il faux, uniquement parce qu'on le dit pendant la nuit? Ils n'entendent donc, pas ce cri de l'Ecriture: «Dieu a ordonné sa miséricorde pendant le jour et il l'a manifestée pendant la nuit (1)»; et cet autre: «Pour annoncer le matin votre miséricorde, et votre vérité pendant la nuit (2)». Diront-ils que c'est pendant la nuit que les ennemis du Sauveur sont venus se saisir de sa personne? mais ils oublient donc que ce fut surtout pendant les heures de la nuit que le Sauveur enseigna ses disciples et que l'apôtre saint Paul continua une de ses prédications jusqu'au milieu de la nuit (3). S'ils avaient quelque vérité a nous révéler pour justifier leur cause, ce n'est pas la nuit qui pouvait les empêcher de l'exposer. Mais sans doute que leur intelligence était plongée dans une nuit profonde, puisque leur aveuglement. était tel qu'ils ne virent pas qu'ils se condamnaient eux-mêmes et qu'ils refusèrent de se rendre à la lumière de la vérité, Le soleil nous éclairait encore quand, voulant mous astreindre aux lois du barreau sur le temps, ils soutenaient que la cause était passée et qu'elle ne pouvait être rappelée; ils ne comprenaient pas qu'ils n'avaient fait preuve que d'une chose, c'est qu'ils craignaient une discussion d'où jaillirait avec éclat la preuve de leur perversité et la démonstration de la vérité catholique.

1. Ps 41,9 - 2. Ps 91,3 - 3. Ac 20,7



17. Le soleil nous éclairait encore quand, voulant casser le jugement de l'évêque de Rome, Melchiade, dans lequel Cécil anus avait été reconnu innocent, ils accusèrent d'avoir été traditeur le pape Melchiade lui-même. Une. telle accusation, demandait des preuves solides; ils lurent je ne sais quels actes d'une prolixité incroyable, où ne se trouvait même pas le nom de Melchiade, à plus forte raison la plus petite trace de tradition. Ils donnèrent aussi connaissance d'autres actes où on lisait que Melchiade avait député des diacres porteurs d'une lettre de l'empereur Maxence et du préfet du prétoire au préfet de la ville, avec mission de reprendre possession des lieux qui avaient été enlevés aux chrétiens pendant la persécution. On leur fit observer qu'il n'y avait là aucune trace de crime de la part de Melchiade; ils répondirent que l'histoire des traditeurs accusait de tradition Straton, l'un de ces diacres que Melchiade avait envoyés pour la mission dont nous venons de parler, d'où ils concluaient sans autre fondement que Melchiade devait être également traditeur. Nous demandâmes qu'on nous prouvât d'abord que ce Straton traditeur avait été diacre. Lors même que cette preuve nous aurait été fournie, nous ajoutions qu'on ne pourrait encore rien en conclure, car peu de temps auparavant il y avait à -Rome deux clercs qui portaient également le nom de Pierre. Tel était leur aveuglement qu'ils ne rougissaient pas d'inventer les calomnies les plus ténébreuses et de recourir à des mensonges qui tombaient d'eux-mêmes; car sur quoi se fondaient-ils pour accuser de tradition ce Straton envoyé par le pape? Uniquement sur une ressemblance de nom, quand ils avaient contre eux les lieux eux-mêmes, les contrées et les personnes. N'est-il pas très-ordinaire dans le monde que, non-seulement deux hommes, mais plusieurs; portent le même nom? On aurait pu penser que c'était leur Donat de Carthage qui avait été frappé d'une condamnation au jugement de l'évêque Melchiade; mais ils se sont empressés de déclarer que ce Donat de Carthage ne devait pas être confondu avec Donat de Cases-Noires, car c'était Donat de -Carthage qui avait été député au tribunal de Melchiade pour y accuser Cécilianus. Ainsi, tant est profond l'aveuglement de leur coeur, ils ont soin de déclarer que Donat doit rester pur de l'infamie qui pèse sur un nom semblable au sien, et ils veulent diffamer Melchiade en faisant retomber sur lai la honte d'un nom étranger. Dans la conférence ils avaient concédé un homonyme à Straton, maintenant ils refusent cette faveur à Cassianus, comme si.elle était le privilège spécial de Straton. Ils n'ont donc jamais remarqué que nous comptons deux Jean l'un précurseur et l'autre évangéliste; deux Simon, l'un Simon Pierre et l'autre Simon le Magicien; mais voici quelque chose de plus frappant encore; les Apôtres n'étaient qu'au (605) nombre de douze et cependant nous trouvons parmi eux deux Jacques, l'un fils d'Alphée, l'autre de Zébédée, et deux Judas, l'un devenu un saint, l'autre devenu un démon; eh bien! celui qui pousserait l'aveuglement jusqu'à attribuer à Judas apôtre et saint le crime du traître Judas, ne ferait qu'imiter en cela les exemples des Donatistes. Du reste, pourquoi s'étonner que si longtemps après les événements, des calomniateurs incriminent Melchiade à l'occasion des deux Cassianus, ou des deux Straton? Est-ce que la vérité évangélique n'est pas également incriminée à l'occasion des deux Hérode? Parce que l'Evangile ne spécifie pas quel Hérode a fait mettre à mort les petits enfants à l'époque de la naissance du Sauveur, ni quel Hérode s'est allié avec Pilate pour condamner Jésus-Christ, certains hérétiques profitent de cette circonstance pour accuser de fausseté l'Evangile, comme les Donatistes soutiennent qu'il n'y a eu qu'un seul Straton.ou un seul Cassianus, afin d'accuser d'apostasie l'évêque Melchiade. Toutefois de ces deux erreurs la plus révoltante est encore celle des Donatistes; car dans l'affaire des Hérode, outre la ressemblance de nom, il y avait encore la ressemblance de dignité, car tous deux sont appelés rois; tandis qu'ici rien ne prouve qu'il y ait eu deux diacres du nom de Cassianus ou de Straton.


18. Le soleil nous éclairait encore quand on discuta le Concile de Cirté, si toutefois cette assemblée peut porter le nom de concile, car elle ne se composait que de onze ou douze .évêques. Nous avions cité les actes de cette assemblée dans laquelle il était fait mention de quelques apostats qui, avec Secundus de Tigisit, avaient porté contre Cécilianus une sentence de condamnation. Mais les Donatistes répondirent que dans un temps de persécution il était impossible que ces onze ou douze évêques aient pu se réunir. Pour prouver qu'alors la persécution sévissait, ils présentèrent les actes des martyrs, afin que l'on pût préciser l'époque au moyen de l'indication des jours et des consuls. Bientôt ils purent se convaincre que ces actes des martyrs étaient contre eux une arme toute-puissante. En effet, ces actes prouvèrent avec la dernière évidence que dans ce temps de persécution, les populations chrétiennes avaient l'habitude de se réunir. Qu'y a-t-il donc d'incroyable que ces évêques aient pu se réunir dans une maison particulière, puisque les actes mêmes des martyrs constataient que le peuple lui-même se réunissait? pourquoi donc un évêque n'aurait-il pu être ordonné secrètement? pourquoi, à son tour, n'aurait-il pu ordonner secrètement des clercs, puisque dans la lettre même de Secundus, citée par nos adversaires, nous voyons que c'est là ce qui a été fait par un évêque tombé avec son clergé? Ces actes des martyrs nous ont inspiré la pensée d'en consulter d'autres encore. Or, nous avons trouvé et donné la preuve qu'au moment même de la persécution, une maison particulière avait été affectée à la réunion des chrétiens, et que même dans une prison le baptême avait été conféré à des néophytes destinés au martyre. Il n'est donc pas impossible que dans un temps de persécution quelques évêques aient pu se réunir dans une maison particulière, puisqu'on célébrait les sacrements dans la prison même où étaient renfermés ceux qui allaient confesser la foi de Jésus-Christ. Dès lors, pourvu qu'on ne soit pas plongé dans une nuit aussi profonde que celle qui les retenait dans l'aveuglement, il est facile de comprendre de quels avantages furent pour nous ces actes des martyrs dont ils donnèrent connaissance.


19. Cependant ils reprochaient à ce concile de Cirté de désigner le jour de sa réunion et le consulat pendant lequel il s'était tenu, et nous sommaient de produire des exemples semblables à l'occasion d'autres conciles ecclésiastiques . Ainsi, disent-ils, si le concile tenu par saint Cyprien désigne le jour, il ne désigne pas les consuls; quant à leur concile de Carthage, la date du jour n'y était pas même mentionnée. Or, nous avions en main le concile de Rome tenu par Melchiade, et le concile de Cirté; et ces conciles portaient en titre la date du jour et le nom du consul. Si le temps nous l'avait permis, nous aurions trouvé dans les archives ecclésiastiques la preuve évidente que cette coutume était suivie dans les temps les plus reculés. Cependant, sans avoir aucunement l'intention de formuler contre eux aucune accusation inutile, nous aurions pu leur demander pourquoi nous trouvions dans le concile de saint. Cyprien la date du jour de sa réunion, tandis que nous n'en trouvions aucune dans le leur; mais nous nous abstînmes, parce que nous savions qu'ils saisissaient avidement tout prétexte de retard, (606) tandis que nous l'évitions avec soin. Ils nous demandaient même de leur trouver dans les saintes Ecritures des exemples de cette indication du jour et des consuls; comme si on pouvait comparer les conciles des évêques aux Ecritures canoniques, ou bien comme s'il y avait dans les saintes Ecritures quelques traces d'un concile où les Apôtres, siégeant comme juges, aient eu à condamner ou à absoudre un accusé. Toutefois nous leur avons répondu que les Prophètes eux-mêmes désignaient en tête de leurs livres ou de leurs prophéties l'année, le règne et même le jour du mois où la parole de Dieu s'était révélée à eux. Cette seule réponse suffisait pour leur prouver l'absurdité ridicule et haineuse des chicanes qu'ils soulevaient sur la coutume suivie par plusieurs conciles épiscopaux d'indiquer en tête de leurs décrets le jour et le nom des consuls. Du reste, rien n'empêche d'admettre que cet usage a pu être suivi dans certains cas et négligé dans tels autres comme superflu. Souvent même cette indication n'existait que dans les copies, comme nous l'avons vu à l'occasion du jugement par lequel Constantin proclama l'innocence de Cécilianus, et déclara calomnieuses les accusations portées contre lui par ses ennemis. Or, deux copies avaient été faites de ce jugement: l'une portait l'indication du jour et du consul, et dans l'autre il n'en était fait aucune mention. De même ils s'étaient vivement récriés à l'occasion d'une lettre de l'empereur que nous avions lue, sans aucune indication de jour et de consul; cependant celles qu'ils nous lurent du même empereur au sujet de l'affaire de Félix, prélat consécrateur de Cécilianus, étaient également sans désignation de jour et de consul; mais nous ne fîmes aucune réclamation; parce que nous tenions surtout à écarter tout prétexte de retard; on pourrait ajouter aussi que leur aveuglement était tel, qu'en produisant cette lettre, ils ne virent pas qu'elle était leur propre condamnation. Par les réflexions précédentes, puissions-nous du moins vous ouvrir les yeux et vous soustraire à ces épaisses ténèbres qui enveloppaient vos évêques, au point de n'avoir pas remarqué que les pièces qu'ils produisaient tournaient toutes contre eux; mais les ténèbres intérieures les aveuglaient, tandis qu'aujourd'hui ils s'insurgent contre la sentence du juge parce qu'elle a été rendue pendant la nuit.


20. On lit dans les actes ces paroles adressées par Primianus au magistrat de Carthage «Leurs prédécesseurs ont souvent infligé les «douleurs de l'exil à nos ancêtres». Or, dans la conférence, vos évêques essaient de prouver que, sur les instances de leurs ancêtres, l'empereur avait condamné Cécilianus à l'exil. Ils disent dans leur lettre: «Que leur communion compose l'Eglise véritable, laquelle souffre la persécution et ne la fomente pas», et ils essaient de prouver que Cécilianus, par jugement de l'empereur, a été condamné à l'exil, d'après les poursuites de leurs ancêtres. Et celui qui soutenait ces accusations, ce n'était pas Donat de Cases, mais Donat le Carthaginois, qu'ils entourent d'une profonde vénération. Mais redisons encore que, pour excuser leur défaite, ils s'insurgent contre la sentence, parce que la vérité proclamée pendant la nuit a confondu la nuit de leur coeur. Je dis donc que, pour donner un nouveau titre d'honneur à ce Donat, qu'ils avaient déjà proclamé «l'ornement de l'Eglise de Carthage et la gloire du martyre», ils crurent devoir ajouter «qu'il se porta accusateur de Cécilianus au tribunal de l'empereur Constantin, et qu'il affirma et prouva sa culpabilité (1)». Ainsi cet homme, la gloire du martyre, accusa Cécilianus au tribunal de l'empereur, et son réquisitoire fut suivi d'une condamnation; redisons-le encore: Cécilianus fut condamné par l'empereur par suite des accusations et des instances de cette gloire du martyre. Or, nous avons prouvé que loin de l'avoir condamné, l'empereur Constantin, après avoir entendu les deux parties, déclara Cécilianus innocent et ses ennemis de véritables persécuteurs; nous en avons fourni la preuve authentique empruntée aux archives publiques. A cela, ils ne purent opposer aucune réponse et produisirent d'autres pièces qui, en confirmant la nôtre, devenaient contre eux une nouvelle condamnation. Dès lors, ce qui est certain, c'est que leurs ancêtres se sont faits les accusateurs de Cécilianus au tribunal de l'empereur; quant au résultat, loin de pouvoir prouver qu'il ait été condamné, nous prouvons au contraire qu'il a été proclamé innocent. Vous, du moins, reconnaissez combien vos évêques ont aidé à notre cause en voulant se glorifier de cette condamnation, qui n'est qu'une imposture. S'il est vrai que ce Donat,


1. Conf. Part. 2e, ch. 10.

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la gloire du martyre, a accusé Cécilianus auprès de l'empereur et a obtenu sa condamnation; que vos évêques vous disent quel était alors le martyr: est-ce Donat qui poursuivait son ennemi au tribunal de l'empereur? est-ce Cécilianus qui était condamné sur ses instances? Qu'est donc devenue leur fameuse définition: «La communion de Donat, c'est l'Eglise de la vérité, qui souffre la persécution et ne la fomente pas?» Voici que là persécution frappe Cécilianus, et c'est Donat qui l'excite; auquel des deux appartient la gloire du martyre?


21. Redoublez d'attention, et mettez-vous en garde contre les séductions d'une pernicieuse erreur. La vérité était cachée pour vous, Dieu a daigné vous la révéler; le mensonge fascinait vos regards, Dieu a daigné le dissiper; pourquoi êtes-vous encore insensibles à un aussi grand bienfait? Ce qu'auparavant ils vous disaient pour jeter dans les ténèbres les yeux de votre coeur, ils le répètent aujourd'hui pour laver la honte de leur défaite; pour mieux nous déchirer, ils proclament à qui veut l'entendre que c'est nous qui les persécutons, et qu'ils ne sont que les victimes de cette persécution. Après avoir été vaincus de toute manière, et pour mieux tromper les simples, ils se flattent d'être «l'Eglise de vérité, qui souffre persécution et ne la fomente pas». Cessez enfin de vous laisser tromper par eux, nous ne faisons autre chose que ce qu'ont fait leurs ancêtres à l'égard de Cécilianus, que ce qu'a fait celui qu'ils proclament la gloire du martyre. Au tribunal de l'empereur, il a cherché à convaincre Cécilianus et à le faire condamner; c'est là aussi ce que nous cherchons contre eux. Si c'est là mal agir, pourquoi Donat agissait-il de cette manière? Si sa conduite a été légitime, pourquoi les catholiques ne feraient-ils pas de même à l'égard des Donatistes? Mais ils ne peuvent qu'applaudir à cette conduite; car, à leurs yeux, c'est là le plus beau titre de gloire dont ils couronnent leurs ancêtres. De notre côté, nous avouons qu'en dehors de toute effusion de sang, on peut recourir aux châtiments mitigés de la loi pour ramener à résipiscence ceux qui restent insensibles aux avertissements de la parole; et s'il arrive que l'empereur, pour vaincre l'obstination des coupables, croit devoir recourir à des châtiments plus sévères, les juges alors doivent se montrer plus faciles, car il leur est toujours permis de travailler à adoucir la sentence. Il est vrai qu'on ne saurait prouver que Cécilianus ait été condamné par l'empereur Constantin, mais du moins pouvez-vous secouer cette erreur qui vous faisait croire que vous formez la véritable Eglise, qui souffre persécution et ne la fomente pas; car c'est Donat qui a soulevé la persécution et c'est Cécilianus qui l'a soufferte. D'un autre côté, si les Donatistes ont à souffrir une persécution, ils partagent en cela le sort des Maximianistes, à qui cependant ils refusent le privilège de former la véritable Eglise. Il suit de là que ce n'est pas toujours un indice d'iniquité de soulever la persécution, puisque les bons la soulèvent quelquefois contre les méchants et les méchants contre les bons; de même ce n'est pas toujours une preuve de justice de souffrir la persécution, puisque si les bons seuls la souffrent pour la vertu, les méchants la souffrent aussi quelquefois pour l'iniquité.


22. Après avoir ainsi secoué votre erreur, il ne vous reste plus qu'à contempler l'Eglise catholique de Jésus-Christ et à entrer dans son sein, en vous gardant toutefois de la choisir uniquement parce qu'elle souffre persécution. Il est vrai que le Seigneur a dit: «Bienheureux ceux qui souffrent persécution», mais il a ajouté immédiatement: «pour la justice», afin de confondre par avance les hérétiques qui oseraient un jour se glorifier des persécutions qu'ils auraient à subir (1). Vous connaissez vous-mêmes les maux que nous avons eu à souffrir de la part des clercs furieux et des Circoncellions de la secte de Donat. Les églises brûlées, les manuscrits sacrés livrés aux flammes, les maisons particulières incendiées, les évêques arrachés de leurs sièges, leurs demeures pillées et détruites, et eux-mêmes frappés de mort, déchirés, souvent même les yeux arrachés, affreux tourments destinés à remplacer la mort qu'on voulait leur épargner, mais qui n'en était pas moins un raffinement de barbarie; quoiqu'en général il soit moins dur de mourir à la lumière que de perdre la vie. Si l'on s'attaqua aux hommes, ce ne fut pas pour les enchaîner et les conduire quelque part, mais uniquement pour le plaisir de les tourmenter. Toutefois, si nous justifions les nôtres, ce n'est pas précisément parce qu'ils ont souffert, mais parce


1. Mt 5,10

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qu'ils ont souffert pour la vérité chrétienne, pour la paix de Jésus-Christ, pour l'unité de l'Église. Or, malgré la multiplicité et la sévérité des lois, malgré la puissance éclatante qu'il a plu au Seigneur d'accorder à l'Église catholique, nos adversaires ont-ils à supporter des souffrances comparables? S'il en est qui sont punis de mort, c'est qu'ils se tuent eux-mêmes, ou qu'ils opposent à la force une résistance si violente, que leur vie se trouve en danger; mais de quelque manière qu'ils perdent leur vie, jamais ce n'est ni parce qu'ils appartiennent à la secte de Donat, ni pour punir leur schisme sacrilège, mais uniquement pour venger les crimes publics et les scélératesses auxquelles ils s'abandonnent avec une fureur qui n'a d'égale que celle des brigands. Si maintenant on les considère uniquement comme Donatistes, à peine sont-ils traités comme le fut Cécilianus sur les instances de Donat.


23. Ainsi donc, ou bien toute persécution n'est injuste, ou bien, quand elle est juste, elle ne mérite plus d'être appelée persécution. Dès lors, ou bien les Donatistes souffrent une juste persécution, ou bien ils ne souffrent pas de persécution, parce qu'elle leur est justement infligée. Or, ce n'est pas avec justice qu'elle fut infligée à Cécilianus, puisque son innocence a été prouvée et proclamée. Mais les Donatistes ont nié cette justification, et plutôt que de l'avouer, ils ont soutenu qu'il avait été condamné par l'empereur, et que c'est pour cette raison que leurs ancêtres et surtout Donat, si hautement célébré par eux, ont soulevé la persécution contre Cécilianus. Cependant ils n'ont pu prouver qu'il eût été convaincu et condamné; bientôt, comme nous l'avons remarqué, les pièces dont ils ont donné connaissance n'ont fait qu'attester de nouveau qu'il avait été absous et justifié. En produisant ces pièces, ils se condamnaient donc eux-mêmes. Toutefois, ils se vantent que l'empereur leur -a accordé pleine et entière liberté. Du sein de leur défaite et de leur confusion, ils réclamaient, comme un droit, qu'on leur accordât ce que leurs ancêtres refusaient à Cécilianus, contre lequel ils adressèrent à l'empereur des accusations sur lesquelles leurs successeurs d'aujourd'hui s'appuient pour soutenir fallacieusement qu'il a été réellement condamné. Si l'on doit accorder à chacun pleine et entière liberté, ne fallait-il pas d'abord l'accorder à Cécilianus? D'un autre côté, si ce n'est pas devant un juge humain que l'on doit porter ces sortes d'affaires, dont Dieu seul doit être le dispensateur et le juge, il fallait donc d'abord ne pas accuser Cécilianus au tribunal de l'empereur.


24. Éveillez-vous donc, ne vous laissez point surprendre par le sommeil de la mort éternelle; qu'une routine criminelle ne vous entraîne point jusqu'aux dernières profondeurs d'une erreur sacrilège. Au contraire, revenez à la paix, attachez-vous à l'unité, obéissez à la charité, cédez à la vérité. Reconnaissez cette Eglise catholique, qui a débuté à Jérusalem pour se répandre sur toute la face de l'univers, et sachez que les Donatistes ne sont pas en communion avec elle, et que la cause de Cécilianus ne préjuge pas la sienne. Quoique si souvent absous et justifié, lors même qu'il ne serait pas innocent, nous devrions dire que la cause ne préjuge pas la cause, et que la personne ne préjuge pas la personne. C'est là le cri que l'Église universelle redit sur toute la face de la terre; c'est aussi le cri de ce catholique africain: Je connais le témoignage de Dieu, je ne connais pas l'affaire de Cécilianus; je crois que c'est un innocent que vos ancêtres persécutaient, car je trouve qu'il a été bien souvent justifié; mais après tout, quelle que soit sa cause, elle ne préjuge pas la mienne. N'est-ce pas vous qui avez prononcé et signé cette parole: «La cause ne préjuge pas la cause, et la personne ne préjuge pas la personne?» Or, voici ce que dit le Seigneur: «Ils commenceront à Jérusalem pour se répandre ensuite par toute la terre (1)»; attachons-nous à la vérité divine dans l'unité de l'Église, et mettons un terme à ces débats humains qui nous séparent.


25. «La cause ne préjuge pas la cause, et la personne ne préjuge pas la personne». Depuis la conférence, ont-ils pu justifier ces paroles, et n'ont-elles pas été pour eux une nouvelle source d'embarras? Dans certains de leurs écrits, nous lisons: «On se souvient que nous avons dit que la cause ne préjuge pas la cause, et que la personne ne préjuge pas la personne; notre pensée était que notre cause ne peut être préjugée par ceux que nous avons rejetés ou condamnés; quant à ceux qui descendent de Cécilianus par voie d'ordination, ils sont coupables par le fait


1. Lc 24,47

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seul de leur origine, non pas sans doute qu'ils soient souillés des crimes mêmes de leur consécrateur, mais du moment que l'unité de communion les unit par le lien du péché, il est nécessaire qu'ils deviennent participants du péché». Quelle admirable justification! Le sol sur lequel ils ont posé le pied est tellement dense et pressé qu'ils ne peuvent plus en sortir; en vain font-ils effort des mains et de la tête, ils n'en deviennent que mieux adhérants à ce bourbier dans lequel ils se roulent! Ils parlent de ceux qu'ils ont rejetés, de ceux qu'ils ont condamnés, c'est-à-dire des Maximianistes; n'ont-ils donc pas aujourd'hui dans leurs rangs ce Félicianus, le condamnateur de Primianus, et condamné par eux dans la cause de Primianus? Les voici qui allongent, depuis Cécilianus jusqu'à nous, cette longue corde d'iniquité, et ils n'ont: que du mépris pour cette chaîne, qu'ils ont déployée si récemment? Qu'est donc devenue cette belle sentence bagaitanienne formulée à l'adresse de Maximien et de ses adeptes: «La chaîne du sacrilège en enveloppe un grand nombre dans le même crime?» Félicianus était enveloppé sous cette chaîne. Si donc Félicianus ne préjuge pas leur propre cause, pourquoi Cécilianus préjuge-t-il la nôtre? Faudra-t-il dire que c'est quand il leur plaît que la cause préjuge la cause, mais qu'elle ne la préjuge pas quand ils s'y refusent? et si un lien déjà vieux est plus fort qu'une chaîne toute nouvelle, est-ce parce que leurs passions y sont intéressées? Maximien ne préjuge pas Félicianus qui l'a condamné; Maximien et Félicianus ne préjugent pas Primianus qui a été condamné par eux; Maximien ne préjuge pas ceux qui ont obtenu répit et auxquels il est associé dans le même schisme; Félicianus ne préjuge pas le parti des Donatistes, qui l'ont réintégré dans tous les honneurs et qui n'ont pas invalidé le baptême qu'il avait conféré pendant qu'il faisait schisme; et toutes les nations chrétiennes, en si grand nombre, sont préjugées par la cause de Cécilianus, qui, après avoir été condamné une seule fois, pendant son absence, comme Primianus, a été justifié trois fois en sa propre présence, honneur qui n'a pas été fait à Primianus? La cause d'un évêque mort depuis longtemps et que nous ne connaissons pas préjuge la nôtre; et la cause de vos évêques n'est pas préjugée par celle d'un homme qui vit encore, qui a été condamné depuis peu de temps, et qui jouit maintenant de leur amitié et de leur communion? Sans que nous connaissions le lien de Cécitianus, nous sommes enveloppés dans ses noeuds; et eux n'ont rien à démêler avec la chaîne de Félicianus, dont ils lisent encore aujourd'hui la sentence de condamnation, qui frappe à la fois et l'homme et sa chaîne? Il leur plaît de dire: Pour la paix de Donat, nous avons reçu dans nos rangs ceux que nous avions condamnés, parce que la cause ne préjuge pas la cause, et que la personne ne préjuge point la personne; et à nous il ne nous est point permis de dire: A l'occasion de ceux que vous avez condamnés, nous n'abandonnons pas la paix du Christ, parce que la cause ne préjuge pas la cause, et la personne né préjuge. point la personne? O le front d'airain! ô ténèbres de la fureur, qui reprochez à un juge d'avoir rendu sa sentence pendant la nuit, et qui enveloppez leur coeur d'une nuit profonde, horrible et cruelle! En vain vous déchaînez contre nous les flots de votre colère; vos aveux sont pour nous tout autant de victoires!


26. De plus;. ils. osent maintenant rappeler les témoignages prophétiques et apostoliques, sur lesquels, dans la conférence, nous nous sommés toujours appuyés pour leur répondre. Nous leur avons prouvé que ces saints prophètes ont toujours. été mêlés avec les, méchants dans un seul temple, sous la conduite des mêmes prêtres, dans la participation aux mêmes sacrements, sans que ce contact leur ait jamais imprimé, aucune souillure. La raison que nous en avons donnée, c'est qu'ils savaient juger de ce qui est saint et de ce qui est impur, et se; distinguer par une sainte vie, au lieu de faire comme ces hérétiques qui établissent dans le peuple une séparation corporelle. Jamais ces prophètes ne se sont démentis dans leur conduite, en sorte que, selon la parole de l'Apôtre, dans cette grande demeure où il y avait soit des vases d'honneur, soit des vases d'ignominie, ils savaient- toujours se conserver purs au sein de cette diversité et se rendre des vases d'honneur toujours utiles pour le Seigneur et toujours prêts à faire le bien (1). Après les témoignages qu'ils ont cités dans leur lettre sans les comprendre, et dont nous avons entendu la lecture dans la conférence, j'aime à les


1. 2Tm 2,21

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entendre, depuis leur défaite, rappeler avec complaisance un imposant passage tiré du prophète Aggée (1). Or, ce passage prouve jusqu'à la dernière évidence ce que nous voulons démontrer, à savoir que ce n'est pas le contact corporel, mais le contact spirituel, ou le consentement qui souille les hommes, parce que le consentement a la vertu de rendre leur cause commune.


27. Nous voyons en effet que quand Dieu voulut frapper les pécheurs d'un châtiment terrible, il avertit lui-même les justes de sortir du milieu d'eux. II sépara Noé et sa famille de ceux qu'il voulait faire périr dans les eaux du déluge (2); Loth, de ceux qu'il devait consumer par le feu du ciel (3); son peuple, de la secte d'Abiron, qu'il devait bientôt engloutir dans le sein de la terre (4). Quant à celui qui se présenta au festin des noces, sans avoir le vêtement nuptial, ce ne sont pas ceux qui avaient porté l'invitation, mais le maître même du festin, qui ordonna de le lier et de le rejeter dehors. En effet, ce convive n'était pas comme les poissons dans les flots, ceux-ci ne pouvaient être distingués par les pêcheurs, tandis que le convive était parfaitement remarqué de ceux qui l'avaient invité. Nos adversaires prétendent qu'il s'était introduit subrepticement dans la foule sans être reconnu; mais c'est là une erreur contre la quelle le Sauveur a voulu nous. prévenir; car après avoir ordonné de lier les pieds et les mains à cet homme et de le précipiter dans les ténèbres extérieures, il nous fait clairement entendre que la société des méchants sera nombreuse, tandis que les bons n'y seront qu'en petit nombre pour participer au banquet du Seigneur. Le Sauveur venait de dire: «Liez-lui les mains et les pieds et jetez-le dans les ténèbres extérieures, où il y aura pleur et grincement de dents»; il ajouta aussitôt: «Car il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus (5)». Comment expliquer cette sentence, puisque les convives étaient nombreux et qu'un seul fut jeté dans les ténèbres extérieures? La seule explication naturelle, n'est-ce pas de dire que ce malheureux représentait la multitude de tous les pécheurs qui, avant le jugement de Dieu, sont mêlés aux bons et présents au festin du Seigneur? Toutefois les bons se séparent des


1. Ag 2 - 2. Gn 6,8 - 3. Gn 19 - 4. Nb 16 - 5. Mt 22,1-14

méchants par le coeur et par la conduite; si tous ensemble mangent et boivent le corps et le sang de Jésus-Christ, il y a entre eux une grande différence. Les bons; par honneur pour l'époux, se parent du vêtement nuptial, sans chercher leur propre avantage, mais uniquement la gloire de Jésus-Christ, tandis que les méchants n'ont point le vêtement nuptial, c'est-à-dire la charité confiante de l'époux, ils se recherchent eux-mêmes et sont insensibles à ce qui regarde la gloire de Jésus-Christ. Dès lors, quoique tous prennent part au même festin, les uns mangent la miséricorde et les autres leur propre jugement. N'est-ce pas là du reste ce qu'exprime parfaitement ce cantique du festin, tel que nous l'avons déjà cité: «Seigneur, je chanterai à votre gloire la miséricorde et le jugement (1)?»



Augustin, controverse avec les Donatistes