Augustin, du mérite I-II-III - CHAPITRE XXII. RÉFUTATION DE l'OPINION QUI PRÉTEND QUE LES AXES, POUR AVOIR COMMIS DANS UNE AUTRE VIE CERTAINS PÉCHÉS, SONT JETÉES CAPTIVES EN DES CORPS EN HARMONIE AVEC LEURS MÉRITES, ET Y SONT PLUS OU MOINS CHÂTIÉES.

CHAPITRE XXII. RÉFUTATION DE l'OPINION QUI PRÉTEND QUE LES AXES, POUR AVOIR COMMIS DANS UNE AUTRE VIE CERTAINS PÉCHÉS, SONT JETÉES CAPTIVES EN DES CORPS EN HARMONIE AVEC LEURS MÉRITES, ET Y SONT PLUS


31. Devons-nous ici, peut-être, adopter une opinion désormais détruite et partout répudiée? Les âmes jadis auraient péché dans un séjour céleste; elles arriveraient comme pas à pas et par . degrés à occuper le corps qu'elles-mêmes auraient mérité, et seraient plus ou moins frappées de châtiments corporels, selon leur conduite dans une vie antérieure.

Mais, d'abord, cette opinion reçoit le démenti le plus formel dans l'Ecriture sainte. A l'endroit même où le texte sacré célèbre la grâce, elle nous dit: «Esaü et Jacob n'étaient pas encore nés; ils n'avaient encore fait ni bien ni mal, pour qu'ainsi le décret de Dieu demeurât ferme selon son choix; et ce ne fut pas à cause de leurs oeuvres, mais à cause de la vocation de Dieu, qu'il fut dit à leur mère: L'aîné sera assujetti au plus jeune (3)».

Puis, quand même on oublierait ce texte, les partisans du sentiment contraire n'échapperaient pas aux difficultés redoutables de la

1. Sg 4,11 - 2. Jr 1,5 - 3. Rm 9,11-12

question présente. Ils s'y trouvent; au contraire, arrêtés, enchaînés et réduits à s'écrier: «O profondeur!» Comment se fait-il, en effet, d'une. part, que tel homme montre, dès son jeune âge et à un degré supérieur, la modération, l'intelligence, la tempérance, l'empire acquis en grande partie sur ses passions, la haine de l'avarice, l'horreur pour la luxure, un privilège enfin d'ardeur et d'aptitude pour toutes les autres vertus, et qu'en même temps. il soit placé dans un pays où la grâce chrétienne ne puisse lui arriver par la prédication? «Car comment invoquera-t-on celui auquel on ne croit point? ou comment croira-t-on à celui dont on n'a point entendu parler? Et comment entendra-t-on parler de lui, si personne ne vous le prêche (1)?» - Et comment arrive-t-il, au contraire,. que tel autre homme d'intelligence paresseuse, adonné à ses passions, tout couvert même déjà de crimes et de hontes, soit amené à entendre, à croire, à recevoir le baptême, puis à être ravi de ce monde, ou même à y vivre saintement, tout en y étant retenu? En quel lieu ces deux hommes ont-ils amassé des mérites tellement différents, .qu'il arrive ainsi, je ne dis pas que l'un croit et que l'autre ne croit pas, car ici leur volonté personnelle a sa part d'action, mais que l'un entend et l'autre n'entend pas prêcher la foi, car cela n'est pas en la puissance de l'homme? En quel lieu, dites-moi, ont-ils amassé des mérites si opposés?

Admettons.un instant qu'ils ont déjà passé .par une certaine vie dans le ciel, de sorte que leurs actes leur ont valu d'en être bannis, de tomber sur la terre, d'être attachés à telle ou telle demeure corporelle en harmonie avec leurs oeuvres précédentes. On doit croire, du moins, que si l'un d'eux a vécu plus pure Rient avant son séjour dans un corps mortel, c'est le premier des deux sans doute, puisque, loin de mériter d'être accablé de cette chair comme d'un pesant fardeau, il possède une bonne intelligence et ressent des passions moins vives, dont il peut aisément triompher; et cependant il n'a point mérité d'en. tendre prêcher, cette grâce qui seule peut le délivrer de la seconde, mort! - Le second, au contraire, après avoir si tristement mérité là haut, dans l'opinion de nos adversaires, bien entendu, se verrait enchaîné dans une


1. Rm 10,14

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chair plus pesante et plus grossière, n'aurait par suite qu'un coeur dur et stupide, serait vaincu par la plus ardente concupiscence et par les plus tristes assauts de la chair; et ainsi, aux péchés anciens qui lui auraient mérité de tomber en cette dégradation, il ajouterait par la vie la plus infâme en ce monde d'autres péchés plus détestables encore; et cependant un tel pécheur aurait entendu sur la croix même la douce parole: «Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis (1)»; ou bien encore il se serait attaché à la personne d'un apôtre; et, dès lors, converti par sa prédication, sauvé par le bain régénérateur, il vérifierait le texte: «Où le péché a abondé a surabondé la grâce (1)».

A ce double exemple je ne vois pas de réponse possible en vérité pour ceux qui, prétendant défendre la justice de Dieu à l'aide de conjectures purement humaines, et ignorant les profondeurs de la grâce, inventent un tissu de fables absurdes.


32. Il y aurait beaucoup à dire sur les merveilleuses vocations à la foi dont nous avons lu les exemples, ou dont nous avons d'ailleurs l'expérience. Cela suffirait à ruiner l'opinion qui admet pour les âmes humaines une vie antérieure à l'existence actuelle dans un corps, et la supposition qu'elles y descendent seulement par suite de leur conduite personnelle antécédente, afin d'éprouver ici-bas le bien ou le mal selon la diversité de leurs mérites. Mais le besoin de nous borner dans le présent écrit ne nous permet pas d'insister davantage sur ces idées. J'ai trouvé un fait cependant, admirable entre tous, et que je ne tairai point.

Supposons, avec nos adversaires, que les âmes soient condamnées à porter plus ou moins lourdement le poids d'un corps terrestre, d'après la vie qu'elles auraient menée dans quelque région céleste avant leur existence corporelle. Qui donc, en cette hypothèse, aura commis les péchés les plus criminels et les plus monstrueux? N'accuserons-nous pas tous et bien haut ces hommes qui auraient mérité de perdre la raison, cette lumière de l'âme, au point de venir au monde dans un état voisin de la brute? Je ne parle pas seulement de ceux qui sont atteints d'une pesanteur excessive d'intelligence: d'autres, comme eux, sont ainsi qualifiés d'imbéciles;


1. Lc 23,43

cites; non; je parle de ces pauvres aliénés qui sont voués à faire rire nos populations saines d'esprit et à les amuser tristement par le spectacle de leur folie; ceux enfin que le peuple appelle Morions, d'un terme dérivé du grec moros» .

Parmi ces êtres, cependant, un homme s'est rencontré tellement chrétien, que, patient à l'extrême, grâce à son étonnante folie, quand il ne s'agissait que de souffrir les injures dont il était l'objet, il ne pouvait, au contraire, supporter l'injure faite au nom de Jésus-Christ ou même à la religion, dans sa pauvre personne d'insensé; quand il entendait les blasphèmes de gens prétendus sains d'esprit qui se plaisaient ainsi à le provoquer, il ne cessait de les poursuivre à coups de pierres et n'épargnait pas même ses maîtres en pareil cas. Pourquoi de tels hommes sont-ils prédestinés et créés? A mon avis, c'est pour que ceux qui peuvent comprendre, comprennent en effet que dans l'ordre de la grâce de Dieu, de cet Esprit qui souffle où il veut (1), aucune sorte d'esprit humain n'est exclue du nombre des enfants de miséricorde, comme aussi les enfants de perdition comptent parmi eux toutes sortes d'intelligence; ainsi faut-il que «celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur (2)».

Viennent maintenant ceux qui affirment que chacune de nos âmes, d'après ses mérites dans une vie précédente, reçoit un corps terrestre qui, du reste, charge les uns plus, les autres moins; que selon ces mêmes mérites, les intelligences humaines sont créées différentes aussi, les unes étant plus vives, les autres plus grossières; qu'enfin, et toujours en proportion des mérites d'une vie antérieure, la grâce divine est dispensée aux hommes qui doivent être sauvés. Dans leur hypothèse que répondront-ils au sujet de notre pauvre fou? Comment lui attribuer une vie antécédente tellement exécrable qu'elle lui aurait valu sa naissance dans cet état de démence, et cependant tellement méritoire qu'elle lui aurait aussi procuré la grâce de Jésus-Christ, au point d'être préférable aux chrétiens même les plus intelligents?


33. Ah! plutôt, cédons aux saintes Ecritures et tombons d'accord avec cette autorité qui ne sait ni tromper ni se tromper. Dès lors, comme déjà nous ne croyons point que personne


1. Jn 3,8 - 2. 1Co 1,31

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avant de naître ait fait quelque bien ou quelque mal qui doive établir une différence de mérite, ainsi gardons-nous de douter aucunement que tous les hommes ne soient assujettis à ce péché qui est entré dans le monde par un seul homme et s'est transmis à tous les autres, sans qu'aucune puissance en délivre, si ce n'est seulement la grâce de Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ.

CHAPITRE XXIII. JÉSUS-CHRIST, POUR LES ENFANTS MÊMES, EST SAUVEUR ET RÉDEMPTEUR.

Oui, l'avènement médicinal de Jésus-Christ est un besoin; non pour des âmes saines, mais pour des âmes malades, parce qu'il est venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs; nul n'entrera dans son royaume, sinon celui qui aura -reçu une seconde naissance dans l'eau et dans le Saint-Esprit; nul enfin, en dehors de son royaume, ne possédera le salut et la vie éternelle. Non, il n'entrera point dans la vie, celui qui n'aura point mangé la chair de Jésus, celui qui aura été incrédule au Fils de l'homme; mais la colère de Dieu demeure sur lui. Ceux mêmes qui n'ont aucun péché personnel à raison de leur âge, ont contracté déjà ce péché originel, ils sont ainsi par nature enfants de colère; et de cette colère, de cette maladie, de ce péché, nul n'est affranchi que par l'Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde (1); que par le médecin qui n'est pas venu pour les hommes bien portants, mais pour les malades, que par le Sauveur dont la venue a été annoncée au genre humain en ces termes: «Il vous est né aujourd'hui un Sauveur (2)»; que par le Rédempteur dont tout le sang efface notre dette. Car, qui oserait dire que Jésus-Christ ne soit pas. le Sauveur et le Rédempteur des enfants? Et de quoi les sauve-t-il, s'il ne trouve en eux aucune maladie de péché originel? Comment les rachète-t-il, s'ils n'ont pas été vendus au péché, rien que par leur naissance du premier homme? N'allons donc pas, à notre fantaisie, promettre aux enfants aucune sorte de salut éternel en dehors du baptême de Jésus-Christ; la divine Écriture, qui ne fait point semblable promesse, doit être préférée à tout esprit humain.


1. Jn 1,29 - 2. Lc 2,11

CHAPITRE XXIV. LES CHRÉTIENS D'AFRIQUE APPELLENT EUX-MÊMES LE BAPTÊME LE SALUT, ET L'EUCHARISTIE LA VIE.


34. Les chrétiens d'Afrique ont parfaitement raison d'appeler simplement le baptême le salut; de nommer simplement- le sacrement du corps de Jésus-Christ la vie. D'où leur vient cette coutume, en effet, sinon de la tradition antique, je crois même apostolique, qui leur fait admettre du fond de leurs entrailles un dogme de l'Église de Jésus-Christ: à savoir que, en dehors du baptême et de la participation à la table du Seigneur, aucun homme ne peut arriver non-seulement au royaume de Dieu, mais même au salut et à la vie éternelle? C'est, au reste, ce qu'ai. teste aussi l'Écriture, comme nous l'avons fait remarquer plus haut. En effet, appeler le baptême le salut, qu'est-ce croire, sinon ce qui est- écrit: «Il nous a sauvés par le bain de la régénération (1)»; ou encore ce qu'a écrit saint Pierre: «Ainsi le baptême de forme semblable vous sauve vous-mêmes (2)?» Enfin, désigner sous le nom de vie le sacrement de la table du Seigneur, qu'est-ce autre chose que rappeler la parole de Jésus: «Je suis le pain vivant, moi qui suis descendu du ciel; - le pain que je «vous donnerai, c'est ma chair pour la vie du siècle»; et: «Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas la vie en vous (3)?»

Concluons. D'une part, les oracles divins si nombreux et si imposants le proclament de concert: nul n'a le droit d'espérer le salut ni la vie éternelle sans le baptême et sans le corps et le sang du Seigneur; par suite, c'est en vain qu'on ose, en dehors de ces moyens, faire aux enfants de semblables promesses. Mais, d'autre part, il est certain que le péché, et le péché seul sépare l'homme de la vie éternelle. Donc, les sacrements précités ne font qu'affranchir les petits enfants de ce lien du péché qui les souille. Aussi est-il écrit de cette souillure que «personne n'est pur, pas même l'enfant qui n'a qu'un jour (4)»; De là encore ce cri du psaume: «Car j'ai été conçu dans l'iniquité; et ma mère, me portant


1. Tt 3,5 - 2. 1P 3,21 - 3. Jn 6,51-54 - 4. Jb 14,4 selon les LXX.

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en son sein, m'a nourri dans le péché (1)». De deux choses l'une, en effet, si David ne parle pas ici au nom de l'homme en général, c'est qu'il parlerait de lui-même personnellement; mais non, car il n'est point né de la fornication, mais bien d'une légitime alliance. Ainsi, ne doutons point que le sang de Jésus-Christ n'ait été versé, même pour les enfants qui devaient recevoir le baptême; car ce. sang, avant d'être répandu, nous fut donné et recommandé dans le sacrement en ces termes bien significatifs: «Ceci est mon sang, qui sera répandu pour plusieurs en rémission de leurs péchés (2)». Or, c'est bien nier la délivrance des petits enfants que ne pas vouloir avouer leur naissance dans l'état du péché; car, de.quoi sont-ils. délivrés, s'ils ne sont en aucune sorte enchaînés par la servitude du péché?

35. Jésus-Christ dit encore: «Je suis venu, moi la lumière du monde, pour que tous ceux qui croiront en moi ne demeurent pas dans les ténèbres (3)». Que démontrent ces paroles du Seigneur, sinon que tout homme qui ne croit pas en lui est dans les ténèbres; tandis que s'il croit, il réussit à rie point demeurer dans les ténèbres? Et, par ces ténèbres, pouvons-nous entendre autre chose que le péché? - Au reste, en quelque sorce qu'on les entende, bien sûrement au moins celui qui ne croit pas en Jésus-Christ demeure dans ces ténèbres mêmes; et certainement aussi, ces ténèbres ont un caractère pénal et ne ressemblent pas à celles de la nuit, si nécessaires au repos de tout être vivant.

CHAPITRE XXV. ON CONCLURAIT BIEN A TORT DE L'ÉVANGILE QUE LES PETITS ENFANTS SOIENT ILLUMINÉS DÉS LEUR NAISSANCE.

Donc évidemment, les petits enfants, à moins de passer au nombre des croyants par le sacrement institué de Dieu à cet effet, resteront dans les ténèbres.


36. Je ne dissimule pas que certaines personnes regardent les enfants comme illuminés bientôt après leur naissance. Ils entendent ainsi ce qui est écrit: «La vraie lumière était celle qui illumine tout homme venant en ce monde (4)». Mais si c'est le sens du texte évangélique, on doit s'étonner que ces enfants


1. Ps 50,7 - 2. Mt 26,28 - 3. Jn 12,46 - 4. Jn 1,9

soient illuminés par le Fils unique de Dieu, par celui qui était le Verbe, Dieu en Dieu, dès le commencement, et que cependant il nous faille les exclure du royaume de Dieu, comme n'étant ni les héritiers de Dieu, ni les cohéritiers de Jésus-Christ. Ce privilège, en effet, ne leur est accordé que par le baptême, de l'aveu même de ceux qui professent cette opinion. - Puis, une fois qu'ils ont été illuminés, bien que incapables encore d'arriver au royaume de Dieu, ces enfants devraient recevoir du moins, avec joie et transport, le baptême lui-même; comment donc, au contraire, les voyons-nous résister avec des cris et des larmes? Cette touchante ignorance de cet âge si tendre nous fait simplement pitié; et, comme nous savons quelle est pour eux l'utilité des sacrements, nous les leur conférons en toute cérémonie, malgré leur résistance. Comment, d'ailleurs, l'Apôtre nous recommande-t-il de «ne pas être des enfants par l'intelligence (1)», si ces intelligences d'enfants sont vraiment illuminées déjà par cette lumière véritable que nous appelons le Verbe de Dieu?


37. Comprenons donc bien ce texte de l'Evangile: «La vraie lumière était celle qui éclaire tout homme venant en ce monde». Il doit nous apprendre qu'aucun homme ne reçoit la lumière, sinon de cette lumineuse vérité qui est Dieu lui-même; ce texte prévient donc l'erreur où pourrait tomber celui qui se croirait illuminé par le maître humain, dont il lui faut écouter les leçons pour s'instruire; ce maître fût-il d'ailleurs je ne dis pas un homme de génie, mais un ange même du ciel. Sans doute la parole de la vérité emprunte l'organe physique de la voix et retentit au dehors; mais néanmoins, «celui qui plante n'est rien, non plus que celui qui arrose; mais c'est Dieu qui donne l'accroissement (2)». L'homme entend cette voix humaine ou angélique; mais, pour sentir et pour connaître la vérité que les paroles expriment, il subit l'irradiation intérieure dans son âme, de cette lumière qui demeure éternellement, et dont il est dit aussi qu'elle luit dans les ténèbres. Et comme la clarté dl soleil n'arrive point aux aveugles,. bien qu'ils soient eux-mêmes enveloppés, si j'ose le dire, de ses puissants rayons, ainsi la lumière divine n'est point saisie par les ténèbres de la folie.


1. 1Co 14,20 - 2. 1Co 3,7

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38. Or, après avoir dit: «Cette lumière éclaire tout homme», l'Evangéliste ajoute: «Venant en ce monde». Pourquoi cette addition? Cette phrase incidente a fait naître, en effet, l'opinion que tout aussitôt après la sortie du sein corporel de leur mère, l'âme de l'enfant qui ne fait que de naître reçoit ce rayon de lumière.

Il est à remarquer que dans le texte grec le mot (1) est choisi de manière à signifier tout aussi bien que c'est la lumière elle-même qui vient en ce monde. Cependant, si c'est l'homme venant en .ce monde qu'il faut nécessairement entendre, il y a, selon moi, deux interprétations plausibles ici. - Ou bien vous ne verrez en cette incidente qu'une phrase purement explicative, comme il y en a plus d'une dans l'Ecriture, une phrase qu'on peut supprimer sans changer en rien le sens principal. Ou bien vous tiendrez à croire que cette incidente a vraiment été ajoutée pour formuler une idée distincte et particulière; alors cette idée elle-même est susceptible d'être comprise de deux manières. La première, c'est qu'elle aurait pour but d'établir la différence entre l'illumination spirituelle et cette illumination corporelle qui éclaire en nous les yeux de la chair par le secours de ces flambeaux allumés au ciel ou de tout autre feu visible; ainsi, par l'homme venant en ce monde, l'Evangile aurait désigné l'homme intérieur, parce que l'homme extérieur est tout corporel comme ce monde même; et en écrivant Cette lumière illumine tout homme venant en ce monde, ce serait dire l'équivalent de cet autre texte: «J'ai eu en partage une âme a bonne, et je suis venu dans un corps exempt de souillure (2)»; je le répète: S'il faut voir une idée distincte de la phrase principale dans l'incise, «elle éclaire tout homme venant en ce monde», entendons-la comme si elle disait qu'elle éclaire tout homme intérieur, parce que l'homme intérieur, quand il de. vient vraiment sage, est alors illuminé par celui-là seul qui est la lumière véritable. Dans un second sens, préfère-t-on voir dans cette lumière la raison elle-même, à qui l'âme humaine doit d'être appelée raisonnable; la raison qui, bien qu'elle se cache dans une sorte de repos et de sommeil, n'en est pas


1. En effet, le participe grec est à la fois masculin et neutre, et peut se rapporter à l'un des deux mots phos, lumen, ou anthropos, homme; comme en français notre participe venant qualifierait également bien la lumière ou l'homme. - 2. Sg 8,19-20

moins gravée et comme à l'état de semence dans les petits enfants? Est-ce la raison que l'Evangile a voulu nommer illumination, comme étant la création de l'oeil intérieur? Dans cette hypothèse, on doit accorder que, en effet, cette illumination se fait dès que l'âme est créée; il n'y a pas d'absurdité à la croire ainsi réalisée, lorsque l'homme vient en ce monde. Et toutefois, si l'oeil est bien réellement créé déjà, il restera nécessairement dans les ténèbres, s'il n'arrive pas à la foi en celui qui a dit: «Je suis la lumière du siècle, pour que tous ceux qui croient en moi ne demeurent pas dans les ténèbres».

Or, cet heureux effet se produit dans les petits enfants par le sacrement de baptême. Loin d'en douter, l'Eglise, en véritable mère, leur prête son coeur et sa bouche maternelle pour leur faire recevoir l'impression profonde des sacrés mystères; car, personnellement, eux-mêmes ne peuvent encore croire avec leur coeur pour être justifiés, ni confesser avec leur bouche pour être sauvés (1); ce qui n'empêche pas qu'aucun fidèle n'hésite à les appeler comme lui-même fidèles, et ce nom dérive certainement de l'idée de croire. S'ils n'ont pu répondre eux-mêmes en recevant le sacrement, d'autres ont répondu pour eux.

CHAPITRE 26. ON CONCLUT QUE TOUS LES HOMMES NAISSENT ASSUJÉTIS AU PÉCHÉ ORIGINEL.


39. Il serait trop long de discuter, comme nous venons de le faire, chacun des textes sacrés. Mais il me paraît utile de ramasser en bloc tous ceux que nous pourrons trouver, ou du moins ceux qui nous paraîtront suffire à démontrer un point: c'est que la raison de l'avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans notre chair, la cause qui lui a fait prendre ainsi la forme de l'esclave et devenir obéissant jusqu'à la mort de la croix (2), ce fut uniquement de sa part la volonté d'épancher les bienfaits de sa grâce infiniment miséricordieuse sur tous ceux dont il est le chef et le guide à la conquête du royaume des cieux, parce que ceux-là aussi ont été choisis pour faire partie de son corps et en être comme les membres. Ainsi voulut-il vivifier, sauver, délivrer, racheter, illuminer ceux qui avaient d'abord appartenu à l'empire du démon,


1. Rm 10,10 - 2. Ph 2,7-8

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prince du péché, qui les tenait enchaînés par le péché même dans la mort, les langueurs, l'esclavage, la captivité et les ténèbres. Par là encore Jésus devenait le médiateur entre Dieu et les hommes, puisque par lui, par la paix de sa grâce, s'éteignaient les inimitiés de notre impiété; notre réconciliation se faisait avec Dieu pour la vie éternelle; nous étions arrachés à la mort éternelle qui nous menaçait dans ce premier état.

Quand ce point sera plus vivement éclairci, une conséquence s'ensuivra: c'est que ceux-là ne peuvent prétendre à la dispensation de grâce opérée par sa divine humilité, qui n'ont pas besoin de vie, de salut, de délivrance, de rédemption, d'illumination. Et comme à cette grâce se rattache le baptême, dans lequel les membres de Jésus-Christ, c'est-à-dire ses fidèles, doivent être ensevelis d'abord pour être incorporés à leur chef sacré; donc évidemment aussi, le baptême n'est point nécessaire à ceux qui n'ont pas besoin de ce bienfait de la rémission et de la réconciliation que produit le Médiateur. Or, nos adversaires nous accordent que les petits enfants doivent être baptisés; et, en effet, il leur est impossible de marcher ici à l'encontre de cette autorité de l'Église universelle qu'elle tient elle-même, sans aucun doute, du Seigneur et des Apôtres. Donc, il faut qu'ils nous accordent que ces petits enfants aussi ont besoin de notre médiateur; les mêmes bienfaits de sa part sont indispensables pour être lavés eux-mêmes par le sacrement et par la charité des fidèles, pour acquérir l'incorporation au corps de Jésus-Christ qui est l'Église, et par suite la réconciliation avec Dieu; pour devenir en lui vivants, illuminés, sauvés, délivrés, rachetés, et de quoi? sinon de la mort, des ténèbres, des vices, de la souillure, de l'esclavage produit par les péchés. Comme d'ailleurs, à pareil âge, ils n'ont pu commettre aucune faute personnelle, reste donc le péché originel.

CHAPITRE 26I. TEXTES DE L'ÉCRITURE.


40. Ce raisonnement deviendra plus fort quand j'aurai amassé en grand nombre les textes que j'ai promis. Outre celui déjà cité «Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (1)», qu'on se rappelle une autre


1. Lc 5,32

parole du Sauveur quand il fut entré chez Zachée: «Le salut est venu aujourd'hui pour cette maison, car celui-ci est aussi un fils d'Abraham. En effet, le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (1)» . Cet oracle répète, on le voit, la parabole de la brebis perdue, que le Seigneur cherche et retrouve après avoir abandonné au désert les quatre-vingt-dix-neuf brebis fidèles; on y sent de même l'allégorie de la drachme perdue, lorsque les neuf autres drachmes étaient conservées (2). «Aussi bien fallait-il», c'est toujours Jésus qui parle, «que la pénitence et la rémission des péchés fussent prêchées en son nom parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem (3)»; et saint Marc, à la fin de son Évangile, atteste le même commandement du Seigneur: «Allez par le monde entier», dit Jésus-Christ, «enseignez l'Évangile à toute créature; celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé; mais celui qui ne croira pas sera condamné (4)». Or, qui ne sait que, pour les enfants, croire c'est être baptisé; ne pas croire c'est ne pas être baptisé? - Nous avons déjà emprunté plusieurs textes à l'Évangile de saint Jean; toutefois remarquez ceux-ci encore: Jean-Baptiste dit de Jésus-Christ: «Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde (5) . Le Seigneur, parlant de lui-même, prononce: «Ceux qui sont du nombre de mes brebis écoutent ma voix, et moi-même je les connais, et elles me suivent; je leur donne la vie éternelle, et jamais elles ne périront (6)». Or, les petits enfants ne commencent à être ses ouailles que par le baptême; donc, s'ils ont le malheur de ne pas le recevoir, ils périront, puisqu'ils n'auront pas la vie éternelle qu'il donnera à ses brebis. Aussi dit-il ailleurs: «Je suis la voie, la vérité et la vie; personne ne vient à mon Père, si ce n'est par moi (7)» .


41. Les Apôtres, héritiers de cette doctrine, la proclament avec la dernière évidence. C'est d'abord saint Pierre, dans sa première épître: «Béni soit le Dieu et le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, selon la grandeur de sa miséricorde, nous a régénérés par la résurrection de Jésus-Christ, pour nous donner l'espérance de la vie éternelle et nous conduire à cet héritage immortel, incorruptible,


1. Lc 19,9-10 - 2. Lc 15,3-10 - 3. Lc 24,46-47 - 4. Mc 16,15-16 - 5. Jn 1,29 - 6. Jn 10,27-28 - 7. Jn 14,6

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toujours florissant, et qui vous est réservé dans les cieux; à vous que la vertu de Dieu conserve par la foi pour vous faire jouir du salut qui doit vous être découvert à la fin des temps». Et un peu plus loin: «Puissiez-vous être trouvés dignes de louanges et d'honneur aux yeux de Jésus-Christ, que d'abord vous n'aviez pas connu! Et maintenant, même sans le voir, vous croyez en lui; mais quand vous le verrez, vous tressaillirez d'une joie inénarrable, d'une joie glorieuse et pure, parce que vous recevrez, comme l'héritage promis à votre foi, le salut de vos âmes (1)». Il dit de même en un autre passage: «Quant à vous, vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple reçu à l'adoption, destiné à publier les grandeurs de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière (2)». Et encore: «Jésus-Christ a souffert pour nos péchés; juste, il a souffert pour les injustes, afin de nous ramener à Dieu». Puis l'Apôtre rappelle que dans l'arche de Noé huit personnes ont trouvé le salut, et il ajoute: «C'est de la même manière que le baptême vous a sauvés (3)».

Voilà bien un salut et une lumière à laquelle sont étrangers les petits enfants, condamnés à demeurer dans la perdition et les ténèbres, à moins d'être admis par l'adoption dans le sein du peuple de Dieu, en confessant que Jésus-Christ, juste toujours, a souffert cependant pour les injustes, afin de les ramener à Dieu.


42. L'épître de saint Jean m'a fourni, à son tour, les textes suivants qui m'ont paru se rapporter nécessairement à la question présente: «Si nous marchons dans la lumière, comme lui-même est dans la lumière, nous avons entre nous la plus étroite union, et le sang de Jésus, Fils de Dieu, nous purifiera de tout péché (4)». Et ailleurs: «Si nous recevons le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus imposant encore; et voici ce témoignage de Dieu, plus imposant qu'aucun, c'est celui qu'il a rendu à son Fils. Celui qui croira au Fils de Dieu possédera en lui-même ce témoignage. Celui qui ne croit pas en Dieu le déclare lui-même menteur, en refusant de croire au témoignage qu'il a rendu de son Fils. Et


1. 1P 1,3-9 - 2. 1P 2,9 - 3. 1P 3,18-21 - 4. 1Jn 1,7

ce témoignage, c'est que Dieu nous a donné la vie éternelle; et cette vie est dans son Fils. Celui qui possède le Fils possède la vie; celui qui n'a point le Fils n'a point la «vie (1)».

Ainsi les enfants ne seront pas privés seulement du royaume des cieux, mais de la vie même, s'ils ne possèdent pas le Fils; et certainement aussi ils ne peuvent avoir le Fils s'ils ne reçoivent le baptême établi par lui. Un autre passage déclare dans le même sens que «c'est pour détruire les oeuvres du diable que le Fils de Dieu est venu dans le monde (2)». Donc les enfants n'auront aucune part à la grâce de cet avènement du Fils de Dieu, tant que lui-même ne détruira pas en eux les oeuvres du diable.


43. Et maintenant, remarquez sur ce point essentiel les témoignages de l'apôtre saint Paul, d'autant plus nombreux ici que lui-même a écrit plus d'épîtres qu'aucun Apôtre, et que, d'ailleurs, il s'est plus particulière. ment porté le défenseur de la grâce de Dieu contre les gens qui se glorifiaient de leurs oeuvres, ignorant en ceci la justice de Dieu pour faire valoir leur propre justice, et ainsi refusant de se soumettre au Dieu souverainement juste (3).

Citons d'abord l'épître aux Romains: «La justice qui vient de Dieu est répandue sur tous ceux qui croient, car il n'y a pas de distinction. Tous ont péché, en effet; tous ont donc besoin de la grâce de Dieu; tous sont justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est en Jésus-Christ. C'est lui que Dieu à proposé pour être la victime de propitiation en son sang par la foi; ainsi Dieu voulut-il montrer la justice que donne le Sauveur, comme les péchés précédents avaient dû montrer la patience de Dieu; ainsi voulut-il manifester encore là justice de Jésus à notre époque, de sorte que Dieu est tout ensemble celui qui est juste et celui qui justifie l'homme qui a la foi en Jésus (4)».

Même doctrine en un autre passage: «La récompense qui se donne à quelqu'un pour ses oeuvres né lui est pas imputée comme une grâce, mais comme une dette. Au contraire, lorsqu'un homme, sans faire des oeuvres, croit en celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice. C'est ainsi que David proclame la béatitude de


1. 1Jn 5,9-12 - 2. 1Jn 3,8 - 3. Rm 10,3 - 4. Rm 3,22-26

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l'homme à qui Dieu impute la justice sans les oeuvres: Heureux, dit-il, ceux dont les iniquités ont été remises, ceux dont les a péchés ont été couverts! Heureux l'homme à qui Dieu n'a point imputé de péché (1)» - Et peu après: «Or, ce n'est pas pour Abraham seul qu'il est écrit que sa foi lui est imputée à justice, mais aussi pour nous, à qui cette justice sera imputée de même, si nous croyons en Celui qui a ressuscité d'entre les morts Jésus-Christ Notre-Seigneur, lequel a été livré à la mort pour nos péchés, et lequel est ressuscité pour notre justification (2)». Et encore: «Lorsque nous étions encore dans les langueurs du péché, Jésus-Christ est mort dans le temps pour les impies (3)». Et ailleurs: «Car nous savons que la loi est spirituelle; mais pour moi je suis charnel, étant vendu pour être assujetti au péché. Car j'ignore vraiment ce que je fais; en effet, je ne fais pas ce que je veux, je fais au contraire ce que je hais. Et toutefois, si je fais ainsi ce que je ne veux pas, je consens à la loi et reconnais qu'elle est bonne. Ainsi ce n'est plus moi qui fais cela, mais c'est le péché qui habite en moi. Car je sais qu'il n'y a rien de bon en moi, c'est-à-dire dans ma chair; parce que je trouve en moi la volonté de faire le bien, mais je ne trouve point le moyen de l'accomplir. Car je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas. Si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus moi qui le fais, mais c'est le péché qui habite en moi. Lors donc que je veux faire le bien, je trouve en moi une loi qui s'y oppose, parce que le mal réside en moi. Car je me plais dans la loi de Dieu: selon l'homme intérieur; mais je sens dans les membres de mon corps une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit et qui me rend captif sous la loi du péché, qui est dans les membres de mon corps. Malheureux homme que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? Ce sera la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (3)». Prétende maintenant qui pourra que les hommes ne naissent point avec un corps de mort! Il faut aller jusque-là pour pouvoir prétendre, en conséquence, à la non-nécessité pour eux de la grâce de Dieu par Jésus-Christ, laquelle doit les délivrer de ce corps de mort.


1. Rm 4,4-8 Rm 4,23-25 - 2. Rm 5,6 - 3. Rm 7,14-25

L'Apôtre ajoute bientôt dans le même sens: «Car ce que la loi ne pouvait opérer, parce que la chair rendait la loi impuissante, Dieu l'a fait en envoyant son Fils revêtu d'une chair semblable à la chair du péché; et, par le péché, il a condamné le péché dans la chair (1)». Affirme ici qui l'ose cette nécessité de la naissance de Jésus-Christ en la ressemblance de la chair du péché, supposé que nous ne fussions pas nés nous-mêmes dans la chair du péché!


44. Même langage aux Corinthiens: «Je vous ai transmis tout d'abord», dit-il, «la doctrine que j'ai reçue moi-même: c'est que Jésus-Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures (2)». Même enseignement dans la seconde épître aux Corinthiens: «Car l'amour de Jésus-Christ nous presse, considérant que si un seul est mort, pour tous, donc tous sont morts; et en effet, Jésus-Christ est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour, celui qui est mort et qui est ressuscité pour eux. C'est pourquoi nous ne connaissons plus désormais personne selon la chair, et si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte. Si donc quelqu'un est en Jésus-Christ, il est devenu une a nouvelle créature; ce qui était devenu vieux est passé, et tout est devenu nouveau. Et le tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec lui-même par Jésus-Christ, et qui nous a confié le ministère de la réconciliation. Et comment? Parce que Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant ainsi le monde et n'imputant point aux hommes leurs péchés; et c'est lui qui a mis en nous la parole de réconciliation. Nous faisons donc la fonction d'ambassadeurs pour Jésus-Christ, et c'est Dieu même qui vous exhorte par notre bouche. Ainsi nous vous conjurons, au nom de Jésus-Christ, de vous réconcilier avec Dieu, puisque pour l'amour de nous il a rendu victime pour le péché celui qui ne connaissait point le péché, afin qu'en lui nous devinssions justes de la justice de Dieu. Etant donc les coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons à ne pas; recevoir en vain la grâce de Dieu. Car il dit lui-même: Je vous ai exaucé au temps favorable, et je vous ai aidé au jour du salut. Voici maintenant


1.

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le temps favorable, voici les jours du salut (1)». Si les enfants sont absolument exclus de cette réconciliation et de ce salut, pourquoi les appeler avec sollicitude au baptême de Jésus-Christ? Et s'ils y sont admissibles, c'est donc qu'ils se trouvent au nombre des hommes morts, pour lesquels Jésus a voulu mourir; or, ils ne peuvent être ainsi réconciliés ni sauvés, à moins que Jésus ne leur remette leurs péchés et cesse dès lors de les leur imputer.


45. Même doctrine aux Galates: «Grâce et paix sur vous de la part de Dieu notre Père et de Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui s'est livré lui-même pour nos péchés, afin de nous arracher à ce siècle corrompu (2)». Et dans un autre passage: «La loi n'a été établie que pour faire connaître les prévarications, jusqu'à l'avènement de celui qui devait naître d'Abraham et que la promesse regardait. Et cette loi a été donnée par le ministère des anges et par l'entremise d'un médiateur. Or, un médiateur n'est pas d'un seul; mais il n'y a qu'un Dieu. La loi est-elle donc opposée aux promesses de Dieu? Nullement. Car si la loi qui a été donnée avait pu vivifier, on pourrait alors dire avec vérité que la justice s'obtiendrait par la loi. Mais l'Ecriture a comme renfermé tous les hommes sous le péché, afin que ce que Dieu a promis fût donné par la foi en Jésus-Christ à ceux qui croiraient en lui (3)».


46. Citons encore les paroles aux Ephésiens: «Et vous-mêmes, il vous a aussi ressuscités en Jésus-Christ, lorsque vous étiez morts par vos dérèglements et par, vos péchés, dans lesquels vous avez autrefois vécu selon la coutume de ce monde, selon le prince des puissances de l'air, cet esprit qui exerce maintenant son pouvoir sur les incrédules et les rebelles. Nous avons tous été aussi nous-mêmes autrefois dans les mêmes désordres, vivant selon nos passions charnelles, nous abandonnant aux désirs de la chair, et de notre esprit; car nous étions naturellement enfants de colère, ainsi que les autres. Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, poussé par l'amour extrême dont il nous a aimés, nous adonné la vie, quand nous étions morts par nos péchés, dans le Christ dont la grâce nous a sauvés». Et bientôt après: «Car c'est par la grâce que vous êtes sauvés en vertu de la foi; et cela ne vient pas de vous, puisque


1. 2Co 5,14 2Co 6,2 - 2. Ga 1,3-4 - 3. Ga 3,19-22

que c'est un don de Dieu. Cela ne vient pas de vos oeuvres, afin que nul ne s'en glorifie. Car nous sommes son ouvrage, étant créés en Jésus-Christ dans les bonnes oeuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions».

L'Apôtre continue: «Vous n'aviez point alors de part à Jésus-Christ; vous étiez entièrement séparés de la société d'Israël; vous étiez étrangers à l'égard des alliances divines; vous n'aviez pas l'espérance des biens promis; vous étiez sans Dieu en ce monde. Mais, maintenant que vous êtes en Jésus-Christ, vous qui étiez autrefois éloignés de.Dieu, vous vous êtes approchés par le sang de Jésus-Christ. Car c'est lui qui est notre paix, qui des deux peuples n'en a fait qu'un, qui a rompu en sa chair la muraille de séparation, cette inimitié qui les divisait, et qui par sa mort a aboli la loi chargée de tant de préceptes et d'ordonnances, afin de former en soi-même un seul homme nouveau de ces deux peuples, en mettant la paix entre eux; et afin que, les ayant réunis tous deux dans un seul corps, il les réconciliât avec Dieu par sa croix, ayant détruit en soi-même leur inimitié. Ainsi il est venu annoncer la paix, tant à vous qui étiez éloignés de Dieu, qu'à ceux qui en étaient proches; car c'est par lui que nous avons accès les uns et les autres auprès du Père dans un même esprit (1)».

Il dit encore ailleurs . «En toute vérité et d'après Jésus-Christ, vous devez déposer le vieil homme quant à sa conduite antérieure, l'homme qui se corrompt en suivant l'illusion de ses passions, puis vous renouveler dans l'intérieur dé votre âme, et vous revêtir de l'homme nouveau, de celui qui a été créé selon Dieu dans une justice et, une sainteté véritables». Et ailleurs encore: «N'attristez pas l'Esprit; de Dieu, dont vous avez été marqués comme d'un sceau, pour le jour de la rédemption (2)».


47. Voici de même ces paroles aux Colossiens: «Rendons grâces à Dieu le Père, qui, en nous éclairant de sa lumière, nous a rendus aptes à participer au sort et à l'héritage de ses saints; qui nous a arrachés à la puissance des ténèbres, et nous a fait passer dans le royaume de son Fils bien-aimé, par lequel nous avons obtenu la rédemption dans la rémission de nos péchés (3)». Et dans à


1. Ep 2,1-18 - 2. Ep 4,21-30 - 3 Col 1,12-14

505

un autre passage: «Et c'est en lui que vous en êtes remplis, lui qui est le chef de toute principauté et de toute puissance. Comme c'est en lui que vous avez été circoncis d'une circoncision qui n'est pas faite de main d'homme, mais qui consiste dans le dépouillement du corps des péchés, que produit la concupiscence charnelle, c'est-à-dire de la circoncision de Jésus-Christ; ayant été ensevelis avec lui par le baptême, dans lequel vous avez aussi été ressuscités par la foi .que vous avez eue que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts par l'efficace de sa puissance. Car lorsque vous étiez dans la mort a de vos péchés et dans l'incirconcision de votre chair, Jésus-Christ vous a fait revivre a avec lui, vous pardonnant tous vos péchés. Il a effacé par son sang la cédule qui s'élevait contre nous par ses décrets; il a entièrement aboli cette cédule qui nous était contraire, il l'a abolie en l'attachant à sa croix; et, se dépouillant lui-même de sa chair, il nous a donné l'exemple d'un triomphe public et confiant sur toutes les principautés et sur toutes les puissances, après a les avoir ainsi vaincues dans sa personnel (1)».


48. Il écrit à Timothée: «C'est une vérité touchante et digne d'être reçue avec une parfaite soumission, que Jésus-Christ est venu dans le monde sauver les pécheurs a entre lesquels je suis le premier, mais j'ai reçu miséricorde afin que je fusse le premier en qui Jésus-Christ fît éclater son extrême patience, et que je devinsse un a exemple à ceux qui croiront en lui pour obtenir la vie éternelle (2)». Il dit de même: «Il n'y a qu'un Dieu, mais aussi qu'un seul médiateur entré Dieu et les hommes, c'est Jésus-Christ fait homme, lequel s'est donné en rédemption pour tous (3)». Dans la seconde épître au même Timothée, nous lisons: «Ne rougissez donc point de Notre-Seigneur, que vous devez confesser, ni de moi qui suis son captif; mais souffrez avec moi pour l'Evangile, selon la force que vous recevrez de Dieu, qui nous sauve et nous appelle par sa vocation sainte, non selon nos oeuvres, mais selon son décret et selon cette grâce qui nous a été donnée par Jésus-Christ avant tous les siècles, et qui a paru maintenant p par l'avènement de notre Sauveur Jésus-Christ, qui a détruit la mort et nous a


1 Col 3,10-15 - 2. 1Tm 1,15-16 - 3. 1Tm 2,5-6

découvert par l'Evangile la vie et l'immortalité (1)».


49. Il écrit à Tite: «Attendons cette bienheureuse espérance, cette manifestation de la gloire de notre grand Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ, qui s'est livré lui-même pour nous, afin de nous racheter, de toute iniquité et de purifier en nous un peuple abondant et fécond, pratiquant à l'envi les bonnes oeuvres (2)». Et dans un autre passage: «Mais depuis que la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes a paru dans le monde, il nous a sauvés, non pas à cause des oeuvres de justice que nous aurions faites, mais à cause de sa miséricorde, par le bain régénérateur et par le renouvellement du Saint-Esprit qu'il a répandu sur nous avec une riche effusion par Jésus-Christ notre Sauveur, afin qu'étant justifiés par sa grâce nous devinssions, par l'espérance, héritiers de la vie éternelle (3)».


50. L'épître aux Hébreux doit aussi nous fournir ici son appoint. Car, bien que quelques-uns la regardent comme douteuse (4), elle a été invoquée à l'appui de l'opinion contraire à la nôtre, dans la question du baptême des petits enfants, et j'ai lit moi-même leurs assertions en ce sens. D'ailleurs, je me décide plus volontiers à reconnaître cette épître pour authentique, à cause de l'autorité des Eglises d'Orient, qui la placent parmi les livres canoniques. Ecoutez donc quels textes imposants s'y trouvent en notre faveur: «Dieu ayant parlé autrefois à nos pères en divers temps et diverses manières, par les Prophètes, nous a enfin parlé en ces derniers jours par son propre Fils, qu'il a fait héritier de toutes choses, et par qui même il a créé les siècles. Et comme il est la splendeur de sa gloire et le caractère de sa substance, et qu'il soutient tout par la puissance de sa parole, après avoir expié par lui-même tous nos péchés, il est assis au plus haut du ciel à la droite de la souveraine majesté (5)». Il continue bientôt après: «Si la loi promulguée par l'organe des anges est demeurée ferme, et si toute prévarication et désobéissance a reçu le juste salaire qui lui était dû, comment pourrons-nous échapper nous-mêmes, et si nous négligeons un si indispensable salut?»


1. 1Tm 1,8-10 - 2. Tt 2,13-14 - 3. Tt 3,4 - 4. L'épître aux Hébreux était encore quelque peu douteuse chez les Latins, comme l'atteste saint Jérôme en maints endroits. - 5. He 1,1-3

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Et ailleurs: «Comme donc les enfants sont d'une nature mortelle, composée de chair et de sang, c'est pour cela que lui-même a pris à peu près la même nature, afin de détruire par sa mort celui qui était le prince de la mort, c'est-à-dire le diable, et de mettre en liberté ceux que la crainte de la mort tenait en servitude durant toute leur vie». Il poursuit un peu plus loin: «Il a donc dû être en tout semblable à ses frères, pour être envers Dieu un pontife compatissant et le fidèle prince des prêtres qui doit expier les péchés du peuple (1)». Et ailleurs: «Demeurons fermes à confesser la foi: car nous n'avons pas un pontife qui ne puisse pas compatir à nos infirmités; en effet, il a tout subi pour nous ressembler, sauf le péché (2)». Et dans un autre passage: «Jésus possède un sacerdoce indestructible; c'est pourquoi il peut sauver pour toujours ceux qui s'approchent de Dieu par son entremise, étant toujours vivant pour intercéder pour nous. Car il était bien raisonnable que nous eussions un pontife comme celui-ci, saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs, et plus élevé que les cieux; qui ne fût point obligé, comme les autres pontifes, à offrir tous les jours des victimes, premièrement pour ses propres péchés, et ensuite pour ceux du peuple; ce qu'il a fait une fois en s'offrant lui-même (3)». Et dans un dernier passage enfin: «Car Jésus-Christ n'est point entré dans ce sanctuaire fait de main d'homme, qui n'était que la figure du véritable; mais il est entré dans le ciel même, afin de se présenter maintenant pour nous devant la face de Dieu. Et il n'y est pas aussi entré pour s'offrir soi-même plusieurs fois, comme le grand-prêtre entre tous les ans dans le sanctuaire, en portant un sang étranger, car autrement il aurait fallu qu'il eût souffert plusieurs fois depuis la création du monde; au lieu qu'il n'a paru qu'une fois vers la fin des siècles, pour abolir le péché, en s'offrant lui-même en sacrifice public: Et comme il est arrêté que les hommes meurent une fois, et qu'ensuite ils soient jugés; ainsi Jésus-Christ a été offert une fois pour les péchés de plusieurs; et la seconde fois il apparaîtra sans avoir plus rien du péché, pour le salut de ceux qui l'attendent (4)».


1. He 2,2-3 He 2,14-17 - 2. He 4,15 - 3. He 7,24-27 - 4. He 9,21-28


51. L'Apocalypse de saint Jean atteste aussi qu'entre autres louanges offertes à Jésus-Christ dans un cantique nouveau, on lui adresse celle-ci: «Vous êtes digne de prendre le livre et d'en ouvrir les sceaux; car vous avez été immolé, et vous nous avez rachetés pour Dieu en votre sang, de toute nation, langue, peuple ou tribu (1)».


52. De même encore, dans les Actes des Apôtres, l'apôtre saint Pierre déclare que Jésus est l'initiateur de la vie, et reproche en ces termes aux Juifs la mort cruelle du Sauveur: «Et vous, après avoir déshonoré et renié ce saint, ce juste, vous avez demandé au contraire grâce et vie en faveur d'un homicide; et vous avez tué l'auteur de la vie (2)». Et dans un autre passage: «Voilà cette pierre réprouvée par vous, architectes, et qui est devenue la première pierre de l'angle. Car il n'est point sous le ciel d'autre nom donné aux hommes pour nous sauver tous (3)». Ailleurs encore: «Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous avez tué en le suspendant au bois. Oui, c'est lui que Dieu a exalté dans sa gloire comme Prince et Sauveur, afin de procurer par lui à Israël la pénitence et la rémission des péchés (4)», De même en un autre endroit: «C'est à lui que tous les Prophètes rendent ce témoignage que quiconque croit en lui reçoit par lui encore la rémission des péchés (5)». Saint Paul tient le même langage dans ce livre apostolique: «Sachez donc, mes frères, que c'est par lui que la rémission des péchés vous est annoncée, et que quiconque croit en lui, est justifié de toutes les choses dont vous n'avez pu être justifiés par la loi de Moïse (6)».


53. Sous cette masse si imposante de témoignages, quel orgueil même en révolte contre la vérité divine ne se sent accablé? Encore pourrait-on trouver d'autres textes nombreux, si la raison ne nous faisait un devoir aussi de penser à finir le présent traité. D'ailleurs, j'ai cru d'abord inutile d'apporter, à l'appui de ma doctrine, une foule de preuves tirées du livre de l'Ancien Testament: les vérités qui s'y rencontrent sont couvertes comme d'un voile, sous des promesses en apparence toutes terrestres, tandis que leur éclat -se révèle dans le Nouveau Testament.


1. Ap 5,9 - 2. Ac 3,14-15 - 3. Ac 2,12 - 4. Ac 5,30-31 - 5. Ac 10,43 - 6. Ac 13,38-39

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Et cependant, Notre-Seigneur lui-même nous a, d'un seul mot; démontré et défini l'utilité de ces livres de l'antique alliance. Il fallait, a-t-il dit, que s'accomplit tout ce qu'ont écrit à son sujet, la loi, les Prophètes et les psaumes; et ces faits, qui devaient ainsi arriver infailliblement, c'étaient précisément la passion du Christ, sa résurrection le troisième jour et la prédication en son nom de la pénitente et de la rémission des péchés parmi tous les peuples, à commencer par Jérusalem (1). Dans le même sens, les paroles de saint Pierre, que j'ai rapportées précédemment, déclarent que tous les Prophètes rendent ce témoignage au Messie, que par son organe tous ceux qui croient en lui reçoivent la rémission de leurs péchés.


54. Il sera plus avantageux, toutefois, d'emprunter aussi quelques textes à l'Ancien Testament; ce sera comme un supplément à nos preuves, ou si on aime mieux, une sorte de couronnement à notre pieux édifice.

Voici d'abord comment le Seigneur lui-même s'exprime dans un psaume, par la bouche du Prophète: «Dieu a rendu admirables toutes mes volontés à l'égard des saints qui habitent sur cette terre qui est à lui». «Mes volontés», dit-il, et non pas leurs mérites: car que pourraient être leurs oeuvres, sinon ce que nous disent les paroles suivantes du même texte? «Leurs infirmités se sont «multipliées». Outre qu'ils étaient infirmes, la loi mosaïque n'est survenue encore que pour faire abonder le péché. Et qu'ajoute encore le psaume? «Ensuite ils se sont précipités»; oui, leurs iniquités s'étant multipliées, c'est-à-dire, le péché abondant chez eux, ils se sont empressés d'autant plus vivement de chercher le médecin, afin que si le péché avait été abondant, la grâce surabondât encore (2). Le Messie continue: «Je ne réunirai plus leurs assemblées pour y répandre le sang»; parce qu'en effet, cette multitude de sacrifices sanglants, pendant cette première période qui les réunissait dans le tabernacle ou dans le temple, démontrait en eux le péché plutôt qu'elle ne l'effaçait. Il n'y a qu'un sang versé depuis pour plusieurs, et qui fût capable de les purifier véritablement. Enfin, le Seigneur achève: «Je ne me souviendrai plus de leur nom sur mes lèvres (3)», parce qu'ils seront renouvelés.


1. Lc 24,44 - 2. Rm 5,20 - 3. Ps 15,3-4

Car leurs premiers noms, c'était enfants de la chair, enfants du siècle, enfants de colère, enfants du démon, impurs, pécheurs, impies; tandis qu'après leur réconciliation devenus enfants de Dieu, un nom nouveau leur est acquis par un Nouveau Testament; l'homme nouveau chante en eux un cantique nouveau; et cette grâce de Dieu ne doit trouver aucun ingrat parmi les hommes, petits ni grands; les plus abaissés comme les plus élevés lui doivent reconnaissance.

C'est encore l'Eglise tout entière qui pousse ce cri: «Je me suis égaré comme la brebis perdue (1)». Ce sont tous les membres de Jésus-Christ qui s'écrient en choeur: «Tous comme des brebis nous nous sommes égarés, et lui s'est livré pour nos péchés». Ce dernier passage avec tous ses développements se lit dans Isaïe; c'est pour en avoir entendu l'explication par le disciple saint Philippe, que l'eunuque de la reine de Candace crut en Jésus-Christ (2). Remarquez combien le Prophète insiste sur le point qui nous occupe, comme il semble l'inculquer par de nombreuses répétitions à je ne sais quels orgueilleux ou pointilleux adversaires: «C'est l'homme de douleur», dit-il, «et qui sait porter les infirmités. Aussi sa face s'est présentée aux soufflets, s'est laissé insulter et déshonorer. C'est lui qui se charge de nos langueurs, et qui pour nous se trouve dans les afflictions. Aussi bien l'avons-nous cru abandonné ainsi dans les douleurs, les coups et les supplices; mais il n'a été blessé que pour nos péchés; il n'a souffert que pour nos iniquités. Le châtiment qui devait nous procurer la paix est tombé sur lui, et nous avons été guéris par ses meurtrissures. Tous nous nous sommes égarés comme des brebis errantes; et le Seigneur l'a livré à la mort pour nos péchés. Et bien qu'horriblement traité, il n'a point ouvert la bouche; il a été conduit comme la brebis qui doit être immolée, et pareil à l'agneau muet devant celui qui le tond, il n'a point ouvert la bouche. Un jugement l'a enlevé de ce monde dans l'humiliation. Qui racontera sa génération? Car sa vie sera détruite sur la terre; il a été conduit à la mort à cause des péchés de mon peuple. Je lui donnerai donc les méchants pour prix de sa sépulture, et les riches pour récompense


1. Ps 118,176 - 2. Ac 8,27-39

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de sa mort; car il n'à point commis d'iniquité, le mensonge n'est point sorti de ses lèvres; et toutefois le Seigneur veut lui faire tout expier sous les coups. Et vous-même, si vous livrez votre âme pour vos péchés, vous verrez le germe d'une longue vie. Quant à lui, le Seigneur veut arracher son âme aux douleurs, lui montrer la lumière, donner en lui le modèle de la souffrance et justifier ce juste qui se fait si saintement l'esclave de plusieurs, car il se chargera lui-même de leurs péchés. Aussi c'est lui qui aura en héritage une foule d'hommes; c'est lui qui partagera les dépouilles des forts; parce que son âme a été livrée à la mort, qu'il a été compté parmi les impies, qu'il a porté les péchés de plusieurs et qu'il a été livré à cause de leurs iniquités (1)». - Remarquez encore le passage du même Prophète que Jésus, faisant l'office de lecteur en pleine synagogue, a voulu citer publiquement, et qu'il a si parfaitement accompli: «L'Esprit du Seigneur est sur moi; et c'est pourquoi il m'a donné l'onction sainte; il m'a envoyé pour évangéliser les pauvres, pour rafraîchir ceux dont le coeur est oppressé, pour prêcher aux captifs le pardon, aux aveugles le recouvrement de la vue (2)».

Ah! reconnaissons-le tous, ce Sauveur; oui, sans ombre d'exception parmi nous qui voulons nous attacher intimement à 'son corps, et par lui entrer dans son bercail et parvenir jusqu'à cette vie, jusqu'à ce salut éternel qu'il a promis à ses brebis; je le répète, reconnaissons en lui le Sauveur qui n'a point fait de péché, mais qui a porté en son corps et sur le bois infâme nos péchés à nous, afin que, dès lors séparés du péché, nous vivions pour la justice; celui dont les cicatrices nous ont guéris, alors que nous étions infirmes et semblables à des brebis errantes (3).


1 Is 53,3-12 - 2. Is 61,1 Lc 4,16-21 - 3. 1P 2,22-25


Augustin, du mérite I-II-III - CHAPITRE XXII. RÉFUTATION DE l'OPINION QUI PRÉTEND QUE LES AXES, POUR AVOIR COMMIS DANS UNE AUTRE VIE CERTAINS PÉCHÉS, SONT JETÉES CAPTIVES EN DES CORPS EN HARMONIE AVEC LEURS MÉRITES, ET Y SONT PLUS OU MOINS CHÂTIÉES.