Augustin et Maximin - CHAPITRE XII. LE FILS EST TOUT-PUISSANT COMME LE PÈRE.

CHAPITRE XIII. LE FILS EST SAGE COMME LE PÈRE.

1. Votre erreur est la même au sujet de ce texte de l'Apôtre: «A Dieu, qui est le seul sage»; mais notre réponse, à propos de la sagesse, ne sera pas autre que celle qui con. cerne là puissance. Si l'Apôtre avait dit: Au Père qui est le seul sage, il n'aurait pas par cela même séparé le Fils du Père. Car si l'Apocalypse rapporte que le Fils «portait écrit un nom que nul ne connaît que lui (1)», est-ce qu'il s'ensuit que le Père, inséparable comme il l'est de son Fils, ne connaît point ce nom? De même donc que le Père sait aussi bien que le Fils ce que celui-ci est proclamé savoir à lui seul, parce qu'ils sont inséparables; de même, lorsque le texte porte rait: Au Père qui est le seul sage, il faudrait l'entendre aussi du Fils, par la raison qu'ils sont inséparables. Mais comme le texte, au lieu de: Au Père qui est le seul sage, porte: «Au seul Dieu sage», et que la Trinité est un seul Dieu, la solution de la difficulté est beaucoup plus facile pour nous; nous entendons que la sagesse appartient à Dieu seul, comme nous avons entendu que la puissance appartient à lui seul, c'est-à-dire au Père et au Fils et au Saint-Esprit, qui est le seul et unique Dieu, que nous devons servir uniquement; nous craindrions de suivre une autre interprétation, qui serait fausse, ou plutôt de n'avoir point l'intelligence du texte et de paraître violer ce précepte, en rendant au Christ le culte dû à Dieu.

En effet, l'Ecriture ne dit pas: Tu adoreras le Seigneur ton Dieu qui est le Père, et tu le serviras de préférence; en sorte qu'il nous serait aussi permis d'adorer le Fils, mais à la condition de rendre au Père un culte plus parfait comme à un Dieu plus grand, et un culte moindre au Fils, comme à un Dieu moins parfait; mais il est dit: «Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul (2) c'est-à-dire le seul Dieu tout-puissant, le seul Dieu sage; c'est ainsi que vous

1. Ap 19,12 - 2. Dt 6,13

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ôtes confondus par ce texte, vous qui refusez de reconnaître qu'il n'y a qu'un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, et déclarez que l'unique Seigneur Dieu, que nous devons servir, c'est Dieu le Père, tout en admettant que le Fils est Dieu et Seigneur: de cette manière, vous professez ouvertement qu'il y a deux dieux et deux seigneurs, l'un plus grand, et l'autre moindre; et, conformément à la logique de votre erreur, vous vous montrez coupable de la violation de ce précepte, car vous rendez, non-seulement au plus grand, mais encore au moindre, le culte qui est dû au Seigneur Dieu.

2. C'est à la fin de son épître aux Romains, que l'Apôtre emploie ces paroles: «A Dieu, qui est le seul sage», lorsqu'il s'exprime ainsi: «A celui qui est puissant pour vous affermir dans l'Evangile que j'annonce et dans la doctrine de Jésus-Christ, laquelle vous a été prêchée conformément à la révélation du mystère qui, étant demeuré caché dans tous les siècles passés, a été découvert maintenant par les Ecritures prophétiques, selon l'ordre du Dieu éternel, et est venu à la connaissance de tous les peuples, afin qu'ils obéissent à la foi; à Dieu, qui est le seul sage, gloire dans tous les siècles par Jésus-Christ. Amen (1)». Ce qui veut dire: «A celui qui est puissant pour vous affermir, à Dieu, qui est seul sage, gloire dans tous les siècles». Mais ces mots intercalés dans le texte, «par Jésus-Christ», faut-il les entendre en ce sens que Dieu seul est sage par Jésus-Christ, c'est-à-dire que Dieu est sage, non par participation, mais par génération de la sagesse, qui est Jésus-Christ; ou bien, différemment, faut-il les entendre en ce sens: A Dieu, qui est le seul sage, gloire par Jésus-Christ? c'est une question à éclaircir. Mais qui oserait prétendre que Dieu le Père tient sa sagesse du Fils, puisqu'il n'est pas douteux que la sagesse est inhérente à sa substance, et que la substance du Fils vient plutôt du Père, qui l'a engendré, que la substance du Père ne vient du Fils, qui a été engendré par lui? Reste donc la seconde hypothèse, c'est-à-dire que, gloire soit par Jésus-Christ à Dieu, qui est le seul sage, ce qui veut dire, avec tout l'éclat et la manifestation extérieure, par lesquels la Trinité divine s'est fait connaître aux nations: l'Apôtre

1. Rm 16,25-27

dit: «Par Jésus-Christ», parce que (pour ne citer que cette raison) c'est Jésus-Christ qui a donné l'ordre de baptiser les nations au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit (1), et que c'est alors que la gloire des- trois personnes divines a brillé avec plus d'éclat. Par conséquent, si l'on dit que Dieu, qui est la Trinité elle-même, est le seul sage, c'est qu'il a seul la sagesse qui lui est substantielle, et non accidentelle ou partielle, comme celle qui appartient à une nature raisonnable. Quant à cette particule du texte «à qui», mise pour «à lui soit la gloire», quand il aurait suffi de dire: Que la gloire soit à lui, elle marque une locution inusitée dans notre langue; elle n'infirme pas le sens que nous recherchons ou sur lequel nous sommes en suspens. Qu'importe en effet pour le sens, qu'on dise: Que la gloire soit à lui; ou: A qui soit la gloire par Jésus-Christ? Car, «par Jésus-Christ à lui soit la gloire», revient à dire: A lui soit la gloire par Jésus-Christ. Seulement l'une des deux constructions est usitée, et l'autre ne l'est pas.


CHAPITRE XIV. DE LA PROCESSION DU SAINT-ESPRIT.

1. Vous me dites: Si le Fils est de la même substance que le Père, le Saint-Esprit est aussi de la substance du Père: pourquoi alors l'un est-il Fils, et l'autre non? Voici ma réponse, que vous la compreniez, ou que vous ne la compreniez pas. Le Fils vient du Père, le Saint-Esprit vient du Père; mais l'un est engendré, et l'autre procédant: c'est pourquoi l'un est le Fils du Père, duquel il est engendré; et l'autre est l'Esprit du Père et du Fils, parce qu'il procède de l'un et de l'autre. Mais quand il parle de l'Esprit-Saint, le Fils dit: «Il procède du Père (2)», parce que le Père, qui a engendré un tel Fils, est auteur de cette procession, et qu'en l'engendrant, il lui a accordé que l'Esprit-Saint procéderait aussi de lui. En effet, s'il ne procédait pas aussi de lui, il n'aurait pas dit à ses disciples: «Recevez le Saint-Esprit», et il ne l'aurait pas donné en soufflant sur eux (3), l'expiration et l'aspiration étant une action symbolique, qui figurait la procession du Saint-Esprit de Jésus-Christ et la communication qu'il en faisait. Que si l'Esprit-Saint naissait, ce ne serait donc pas du Père seul, ni du Fils seul, mais de l'un

1. Mt 28,19 - 2. Jn 15,26 - 3. Jn 20,22

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et de l'autre; il serait certainement appelé le fils de l'un et de l'autre. Or, comme il n'est aucunement leur fils, il n'a pas dû naître de l'un et de l'autre. Il est donc leur Esprit, en procédant d'eux. Mais, en parlant d'une nature si excellente, qui pourra dire la différence qui existe entre naître et procéder? Tout ce qui procède ne naît pas, quoique tout ce qui naît procède; de même que tout ce qui est bipède n'est pas homme, quoique tout ce qui est homme soit bipède. Voilà ce que je sais quant à distinguer entre la génération de l'un et la procession de l'autre, je ne le sais, je ne le puis, je ne m'en sens pas capable. Et comme ces deux choses sont ineffables, suivant cette parole du Prophète relative au Fils: «Qui racontera sa génération (1)?» il est parfaitement vrai de dire du Saint-Esprit: Qui racontera sa procession? Qu'il nous suffise donc de savoir que le Fils n'est pas par lui-même, mais par celui de qui il est né; que le Saint-Esprit n'est pas par lui-même, mais par celui dont il procède. Et comme il procède de l'un et de l'autre, ainsi que nous l'avons démontré, on l'appelle l'Esprit du Père, d'après ce passage: «Si l'Esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts, habite en vous»; et l'Esprit du Fils, d'après cet autre passage: «Celui qui n'a pas l'Esprit de Jésus-Christ, celui-là ne lui appartient pas (2)». Car il n'y a pas deux Esprits-Saints, appartenant chacun à l'un d'eux, l'un au Père et l'autre au Fils, mais il n'y a qu'un seul Esprit du Père et du Fils: c'est de cet Esprit unique qu'il est écrit: «Car nous avons tous été baptisés dans le même Esprit, pour n'être qu'un même corps, soit Juifs ou Gentils, soit esclaves ou libres; et nous avons tous reçu un même Esprit (3)». Et ailleurs: «Un seul corps et un seul esprit (4)».

2. Le Fils est consubstantiel au Père. - Qu'est-ce donc que cette Trinité, si elle n'est pas d'une seule et même substance? Car le Fils ne vient pas de quelque créature ou du néant, mais de celui qui l'a engendré; et de même le Saint-Esprit ne vient pas de quelque créature ou du néant, mais de celui dont il procède. Mais vous ne voulez pas que le Fils soit engendré de la substance du Père, et pourtant vous reconnaissez qu'il ne vient pas du néant, ou de la matière, mais du Père.

1. Is 53,8 - 2. Rm 8,9-11 - 3. 1Co 12,13 - 4. Ep 4,4

Et vous ne voyez pas combien il est nécessaire que celui qui ne vient pas du néant, ni de quelque autre chose, mais de Dieu, ne puisse pas être autrement que de la substance de Dieu et être ce qu'est Dieu dont il vient, c'est-à-dire, Dieu de Dieu. Par conséquent, étant né Dieu de Dieu, parce qu'il n'a pas été autre chose auparavant; mais que sa nature est coéternelle à celle de Dieu, il n'est pas autre chose que celui dont il tire son origine, c'est-à-dire, qu'il est d'une seule et même nature, ou d'une seule et même substance. Quand nous vous disons ces choses, je ne sais où vous avez l'esprit, pour imaginer que nous disons du Fils qu'il est né du Père à la manière des créatures corporelles: et comme celles-ci naissent corruptibles, vous nous accusez d'attribuer à la génération du Fils unique parle Père, les douleurs et la corruption de la créature mortelle. Plein des pensées de la chair, vous n'imaginez pas que la substance divine puisse engendrer d'elle-même le Fils, à moins d'éprouver le laborieux enfantement de la créature. Vous êtes dans l'erreur, faute de savoir les Ecritures et de connaître la puissance de Dieu (1). Quand vous lisez ce texte: «Afin que nous soyons dans son vrai Fils, Jésus-Christ (2)», pensez qu'il s'agit du véritable Fils de Dieu. Mais vous ne le pensez nullement, si vous niez que ce Fils soit né de la substance du Père. Car était-il déjà Fils de l'homme, avant de devenir, par un don d'en haut, Fils de Dieu, né de Dieu en vérité, mais par grâce, et non par nature? Ou bien, quoique n'étant pas Fils de l'homme, était-il par hasard une autre créature quelconque, devenue ensuite Fils de Dieu, par une transformation que Dieu aurait opérée? Si rien de cela n'est vrai, il est donc né du néant ou de quelque substance. Mais de peur que nous ne croyions que, selon vous, le Fils est sort du néant, vous nous avez délivré de ce souci: vous avez affirmé que telle n'est pas votre opinion. Il vient donc de quelque substance. Si ce n'est pas de celle du Père, de laquelle? dites-le. Mais vous ne le trouvez pas. N'hésitez donc pas à confesser avec nous que le Fils de Dieu, Jésus-Christ Notre-Seigneur, est con. substantiel au Père.

3. Continuation du même sujet. -Le Père et le Fils sont donc d'une seule et même substance. C'est là cet omoúsion, que les Pères

1. Mt 22,29 - 2. 1Jn 5,20

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catholiques ont établi dans le concile de Nicée contre les hérétiques ariens, sur l'autorité de la vérité et sur la vérité de l'autorité: quoiqu'il reposât sur l'antique foi, il ne fut point compris comme il le devait être au concile de Rimini, en raison de la nouveauté de l'expression; la ruse de quelques-uns trompa la bonne foi du plus grand nombre, et l'impiété hérétique s'efforça d'en fausser le sens sous l'empereur Constance, fauteur de l'hérésie. Mais, peu de temps après, lorsque la liberté de la foi catholique eut prévalu; quand on eut saisi, comme il le fallait, la valeur de cette expression, cet omoúsion fut défendu par tout l'univers et partout ce qui gardait la vraie foi catholique. Que veut dire en effet omoúsion, sinon d'une seule et même substance? Que signifie, je le répète, omoúsion, sinon: «Mon Père et moi nous sommes une même chose (1)?» Mais, pour ne rien préjuger, vous ne devez pas maintenant alléguer le concile de Rimini, ni moi celui de Nicée. Leur autorité, pour le moment, ne fait pas loi pour nous; que l'affaire, que la cause, que le débat s'éclaircisse par les passages extraits des Ecritures, non point en présence de témoins propres à chacun des partis, mais en présence de témoins communs à tous les deux. Nous lisons les uns et les autres: «Afin que nous soyons dans son véritable Fils Jésus-Christ: il est vrai Dieu et la vie éternelle». Inclinons-nous les uns et les autres devant des témoignages de ce poids. Dites-moi donc si ce vrai Fils de Dieu, qui est différent de ceux qui ne portent ce nom que par grâce, est de quelque substance, ou non. Je ne dis pas, répondez-vous, qu'il ne soit d'aucune substance, de peur que cela ne signifie qu'il est sorti du néant. Il est donc de quelque substance. de laquelle? je vous le demande. Si ce n'est pas de la substance du Père, cherchez-en une autre. Si vous n'en trouvez pas d'autre, parce que c'est absolument impossible, alors reconnaissez en lui la substance du Père, et confessez que le Fils est consubstantiel au Père. La chair naît de la chair, l'enfant de la chair naît de la substance de la chair. Ne nous parlez plus de ce qui est corruptible; ôtez de votre esprit les épreuves que subit la chair, et par les créatures, voyez et comprenez les perfections invisibles de Dieu (2). Ce Créateur, qui a donné à la chair d'engendrer

1. Jn 10,30 - 2. Rm 1,20

la chair, et aux parents d'engendrer de la substance de la chair de vrais enfants de la chair, de sorte que les enfants sont d'une seule et même substance que leurs parents, croyez qu'il a été beaucoup plus en son pouvoir d'engendrer de sa substance un Fils véritable et d'avoir avec ce vrai Fils une seule et même substance, douée d'une incorruptibilité spirituelle permanente et infiniment éloignée de la corruption de la chair.

4. Continuation. - Quant à ce que vous dites de l'âme, je n'y comprends rien. Voici en effet vos propres expressions: «Vous rapprochez cette grandeur incomparable, non pas d'une âme noble, mais d'un corps fragile. Du corps naît certainement une chair, un fils corporel: l'âme cependant ne naît pas de l'âme». Après cette sorte de définition, qui est de vous, vous affirmez de nouveau que l'âme engendre des fils. «Si donc», ajoutez-vous, «notre âme engendre d'une manière incorruptible et impassible et sans éprouver aucune diminution ni de souillure quelconque; mais qu'elle engendre légitimement un fils conformément aux lois divines, et que la sagesse elle-même conserve son intégrité en s'accommodant aux exigences du corps: à combien plus forte raison la même chose convient-elle au Dieu tout-puissant!» Et un peu plus loin vous dites: «A combien plus forte raison Dieu le Père, qui est incorruptible, engendre-t-il le Fils d'une manière incorruptible!» Je l'ai déjà observé, je ne comprends pas ce que vous voulez dire de l'âme, quand vous dites d'abord que l'âme ne naît point de l'âme, et ensuite que l'âme engendre un fils d'une manière incorruptible. Si elle engendre une âme, comment l'âme ne naît-elle point de l'âme? Si elle engendre de la chair, c'est à vous de voir comment la chair est un vrai fils de l'âme. Le Christ, à propos duquel vous avez imaginé cette comparaison, est effectivement vrai Fils de Dieu. Mais si, en disant que l'âme engendre un fils d'une manière incorruptible, vous avez voulu l'entendre dans le sens de ce passage de l'Apôtre: «Je vous ai tous engendrés par l'Evangile en Jésus-Christ (1)»; pourquoi ne remarquez-vous pas que ces âmes existaient déjà, dans leur ancien genre de vie, et que l'Apôtre les a engendrées en les renouvelant par l'Evangile? Or, le Verbe de Dieu, Dieu

1. 1Co 4,15

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lui-même et Fils unique de Dieu, nous l'avons déjà dit, n'a pas été quelque chose antérieurement et n'a pas été engendré de nouveau par le Père, mais il a été toujours avec le Père, comme il est toujours et sera éternellement engendré par l'Eternel d'une manière admirable et au-dessus de toute expression. Mais si vous avez imaginé cette comparaison inconvenante, pour en arriver à dire que Dieu le Père a engendré d'une manière incorruptible, ne vous donnez pas tant de peine: je confesse absolument que Dieu le Père a engendré d'une marnière incorruptible, mais qu'il a engendré ce qu'il est lui-même. Car je répète ici encore ce qu'il faudra souvent vous redire: Ou le Fils de Dieu est né de quelque substance, ou il n'est né d'aucune. Dans la seconde hypothèse, il est donc sorti du néant: ce que vous ne voulez pas dire, nous le savons déjà. S'il est né de quelque substance, et que ce ne soit pas de celle du Père, il n'est donc pas son véritable Fils. Et s'il est né de la substance du Père, le Père et le Fils sont d'une seule et même substance. Mais comment prétendez-vous que le Père n'a rien retranché au Fils, si tout en étant de la même substance, le Fils est cependant inférieur au Père et ne peut croître comme un enfant?

5. De l'immortalité commune aux trois personnes divines. -Au sujet de l'immortalité de Dieu, déjà précédemment j'ai fait voir que l'Apôtre attribue le privilège de l'immortalité, non pas au Père, mais à Dieu, qui est le Père, et le Fils et le Saint-Esprit; j'ai alors cité en entier tout le texte de l'Apôtre, et je l'ai expliqué.

6. De l'égalité du Fils avec le Père. -Il vous déplaît de nous entendre dire que le Fils est égal au Père: comme s'il pouvait y avoir quelque inégalité dans celui qui est le vrai Fils de Dieu et n'est pas né dans le temps, mais est coéternel à celui qui l'a engendré, comme l'éclat qui naît du feu se manifeste au même moment que le feu qui l'engendre. Mais, dites-vous, le Fils de Dieu a le Père pour auteur. Si par là vous voulez dire que le Père a engendré, et que le Fils est engendré; que celui-ci vient du Père, et que le Père ne vient pas du Fils; je suis d'accord avec vous, je vous le concède. Mais si vous voulez en conclure que le Fils est inférieur et le Père plus grand, et que le Fils n'est pas de la même substance que le Père; je .repousserai avec horreur vos assertions: car un fils de l'homme lui-même, en tant qu'il est fils, a pour auteur le père à qui il doit le jour; ci cependant ce n'est pas un motif pour qu'il ne soit pas de la même substance que son père; et quoiqu'il soit plus petit que son père, il peut néanmoins avec le temps parvenir à la ressemblance et à la force de celui-ci, quoi qu'elle ne doive pas se trouver semblable de tout point, attendu que le père décroît avec la vieillesse. C'est ainsi en effet que ce qui est mortel doit varier avec l'âge, parce que la naissance est dans le temps, au lieu d'être éternelle. Il n'en est pas de même de celle du Fils: le Fils ne prend point d'accroissement, et le Père ne vieillit point. C'est pourquoi ils ne diffèrent point d'âge; car il n'y a point d'âge, où il s'agit d'éternité: c'est pourquoi ils ne diffèrent point de forme, parce que le vrai Fils n'est pas né pour prendre de l'accroisse ment, mais est né égal à son Père, pour ne pas être un Fils dégénéré. Il faut donc proclamer que la naissance divine est beaucoup meilleure et plus parfaite que la naissance humaine, grâce à l'incorruptibilité et à l'inviolabilité de la génération: il ne faut pas néanmoins qu'elle soit moins parfaite, en raison de la diversité de nature.

7. Continuation du même sujet. - Mais, dites-vous, le Fils a reçu la vie du Père. Oui, comme celui qui est engendré la tient de ce, lui qui l'a engendré. «Tout ce qu'a mon Père, dit le Sauveur, est à moi (1)». Donc, tout ce qui appartient au Père, l'un en engendrant l'a donné, et l'autre l'a reçu en naissant. Et l'un n'a rien perdu pour avoir donné de ce qu'il avait, et l'autre n'a pas reçu étant déjà né et dans un état d'indigence; mais de même que le Père est demeuré en possession de tout, lorsqu'il eut donné au Fils tout ce qu'il avait, ainsi le Fils n'a jamais été sans posséder tout ce qu'il a reçu comme Fils; non pas dans un état d'indigence, mais en naissant: car il n'a jamais pu ne pas être né, et ce sans quoi il n'est pas né et d'une manière immuable, il l'a possédé toujours, parce que toujours ii a été né. En effet, s'il y a quelque chose que le Père n'ait pas donné au Fils, le Fils nous a trompés quand il a dit; «Tout ce qu'a le Père est à moi». Mais, comme il a dit vrai, il s'ensuit, nous le répétons, que le Père a donné, en engendrant,

1. Jn 16,15

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tout ce qu'il possède, et que le Fils l'a reçu en naissant. Par conséquent, le premier a donné la vie, parce qu'il a engendré la vie; le second a reçu la vie, parce qu'il est né vie: si elle est inférieure, disparate, différente, le Père n'a donc pas donné au Fils la vie, qui lui appartient. Alors comment ceci est-il la vérité: «Tout ce qu'a mon Père est à moi?» Mais qui oserait tenir ce langage: La Vérité n'a pas dit vrai? Ainsi «comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir en lui-même la vie (1)». Il l'a donnée comme il l'a, en la manière qu'il la possède, telle qu'il l'a, et aussi grande qu'il l'a. Tout ce qui est au Père, appartient au Fils. Le Père n'a donc pas donné au Fils moins qu'il ne possède, et le Père n'a pas perdu la vie en la donnant au Fils, car il se maintient en possession de la vie qu'il a donnée en engendrant. Le Père est la vie, et le Fils est la vie. Et l'un et l'autre possèdent ce qu'ils sont eux-mêmes seulement l'un est la vie qu'il ne tient de personne, et l'autre est la vie qu'il tient de la vie; mais semblable, aussi grande et absolument telle que la première, parce que le Fils unique est un véritable Fils, un Fils parfait, un Dieu qui n'est pas un Fils dégénéré du Dieu unique, qui est son Père: le Fils est donc égal au Père. Tout ce que vous dites qu'il tient du Père, nous l'affirmons également: en un mot, le Père a donné, le Fils a reçu. Mais quand le Père a donné tout ce qu'il a en engendrant, il a certainement engendré son égal, parce qu'il ne lui a pas donné moins que ce qu'il a. Comment donc, de ce que l'un a donné, et l'autre reçu, concluez-vous que le Fils n'est pas égal au Père, puisque vous voyez que celui à qui tout a été donné, a reçu l'égalité elle-même? Il est vrai qu'il est écrit «Il vaut mieux donner que recevoir (2)»: mais ce texte s'applique à cette vie, où la privation se fait sentir, et où l'abondance est assurément quelque chose de meilleur. Car il est meilleur de posséder que d'être dans le besoin; de donner que de recevoir; de faire l'aumône que de mendier. Mais quand celui qui a donné, adonné en engendrant, et celui qui a reçu, a reçu en naissant, le don n'a pas été fait à quelqu'un dans le besoin, mais c'est l'abondance de tous biens qui a été engendrée elle-même. Et celui qui a reçu ne peut être inégal à celui qui a donné, parce qu'il

1. Jn 5,26 - 2. Ac 20,35

a reçu précisément pour être son égal. En effet, celui qui a dit: «Tout ce qu'a mon Père est à moi», n'a pas moins que le Père. Il est donc son égal. Mais parce qu'il «s'est abaissé, en prenant la forme d'un esclave», sans perdre pour cela la forme de Dieu; il s'est rendu obéissant jusqu'à la mort de la croix (1)», en cette forme de serviteur, où il avait été mis un peu au-dessous des anges (2), tout en demeurant égal au Père en la forme de Dieu: car cette forme n'est pas sujette au changement.

8. Le Fils est égal au Père, comme Dieu; inférieur au Père, comme homme. De la mission du Fils. - Dès lors, qu'y a-t-il d'étonnant que le Fils ait dit, comme vous le rappelez: «Je fais toujours ce qui plaît à mon Père (3)»; et au tombeau de Lazare: «Mon Père, je vous rends grâces de ce que vous m'avez exaucé; pour moi, je savais que vous m'exaucez toujours; mais je dis ceci pour ceux qui m'environnent, afin qu'ils croient que c'est vous qui m'avez envoyé (4)»; et encore: «Il faut que je fasse les oeuvres de celui qui m'a envoyé (5)»: quoi d'étonnant encore qu'avant de rompre les pains, «il ait rendu grâces à son Père (6)?» Si votre dessein était de prouver, par ces citations et d'autres semblables, que le Fils est inférieur au Père dans sa forme de serviteur, et que, dans la forme de Dieu, le Fils vient du Père, et non le Père du Fils: ce qui ressort très-souvent de ses paroles, et donne lieu à ceux qui ne les comprennent pas, de croire qu'il est inférieur au Père, même quant à sa divinité: alors vous vous conformeriez à la droite règle de la foi et vous ne contrediriez pas la vérité; vous n'iriez pas contre l'Evangile avec de pareils témoignages, mais vous en produiriez les enseignements. En effet, quelles choses plaisent au Père et ne plaisent pas au Fils? Ou bien, comment le Fils peut-il faire uniquement ce qui est agréable au Père, de qui il tient tout ce qui le rend égal à lui? Comment n'aurait-il pas rendu grâces au Père de qui il vient, surtout en sa forme de serviteur, où il est moindre que lui? Comment celui qui, en tant que Dieu, exauce avec le Père, n'aurait-il pas prié le Père, en tant qu'homme? Quel chrétien, du reste, ignore que le Père a envoyé, et que le Fils a été l'envoyé du Père? Il fallait effectivement que l'engendré fût envoyé par

1. Ph 2,7-8 - 2. Ps 8,6 - 3. Jn 8,29 - 4. Jn 11,41-42 - 5. Jn 9,4 - 6. Mt 26,26 Mc 8,6 Jn 6,11

622

celui qui lui avait donné la vie, et non le Père par celui qu'il avait engendré: or, il n'y a pas là inégalité de substance, mais l'ordre réglé par la nature des choses; non pas que l'un soit antérieur à l'autre, mais l'un né de l'autre. Il fallait donc que l'envoyé fît les oeuvres de celui qui l'avait envoyé: or, quelles sont les oeuvres du Père qui n'appartiennent pas au Fils, puisque ce Fils a dit lui-même: «Tout ce que fait le Père, le Fils le fait également (1)?» Il dit cependant que ces oeuvres sont celles du Père: il n'oublie pas en effet qu'il est de lui: car c'est au Père qu'il doit d'exécuter ces oeuvres. Pour vous, vous donnez à ces paroles une interprétation telle, que vous croyez le Père plus grand que le Fils, parce qu'il a dit qu'un passereau ne tomberait pas sans la permission du Père (2): comme si ce passereau tombait sans la volonté du Fils. Est-ce que, selon vous, le Fils serait tellement inférieur au Père, qu'il n'aurait pas même le passereau en son pouvoir? Mais si vous ne voulez pas admettre pour règle, que chaque fois que vous lisez dans les saints livres des passages qui semblent établir l'infériorité du Fils relativement au Père, il faut alors les entendre de sa nature de serviteur, où il est vraiment inférieur au Père; ou les entendre, non pas en ce sens que l'un est plus grand ou plus petit que l'autre, mais que l'un vient de l'autre: si, dis-je, vous ne voulez pas vous en tenir à cette règle d'une justesse irréprochable, vous n'aurez sous aucun rapport une idée véritable du Fils de Dieu, à moins que vous n'affirmiez qu'il est de la même substance que le Père. En effet, pour parler le langage humain et me prêter à la faiblesse des hommes charnels, supposons deux hommes, le père et le fils: si le fils obéit à son père, lui demande quelque chose pour un motif quelconque et l'en remercie, puis est envoyé par son père quelque part et dit qu'il ne vient pas pour faire sa volonté, mais celle de celui qui l'a envoyé: est-ce qu'il est démontré par là que ce fils n'est pas de la même substance que son père? Pourquoi donc, lorsque vous lisez des choses semblables au sujet du Fils de Dieu, vous hâtez-vous de commettre en paroles et en pensées cet odieux sacrilège de croire et d'affirmer qu'il n'y a pas une seule et même substance commune au Père et au Fils?

1. Jn 5,18 - 2. Mt 10,29

9. Encore de la mission du Fils. - Com. ment encore avez-vous cru devoir rappeler ce passage, où le Christ parle évidemment comme homme: «J'ai le pouvoir de quitter ma vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre; car c'est le commandement que j'ai reçu de mon Père?» Qu'est-ce qu'y gagne votre cause? A-t-il en effet dit autre chose que ceci: J'ai le pouvoir de mourir et de ressusciter? Qu'a-t-il donc voulu faire entendre par ces paroles: «Personne ne me la ravit, mais c'est de moi-même que je la quitte et que je la reprends (1)», sinon qu'il ne devait pas mourir, s'il n'en avait la volonté? Aurait-il pu cependant mourir et ressusciter, s'il n'avait été homme? Mais en alléguant ce témoignage, vous l'avez fait précéder de cette réflexion: C'est assurément encore du pouvoir qu'il avait reçu du Père, qu'il disait: «J'ai le pouvoir de quitter ma vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre», comme si, dans le cas où il n'eût pas été homme, il aurait dû donner sa vie. C'est donc comme homme, et non comme Dieu, qu'il a reçu ce pouvoir. Ce n'est pourtant pas qu'il ait dit: Ce pouvoir, mais: «C'est le commandement que j'ai reçu de mon Père». Or, qui ne sait que, autre est un commandement, autre un pouvoir? En effet, une chose que nous pouvons faire quand nous le voulons, est en notre pouvoir; tandis qu'un commande ment nous oblige, quand il est en notre pou. voir de l'accomplir: et si nous n'avons pas encore ce pouvoir, il faut que nous le sollicitions par la prière, afin d'accomplir ce qui nous est commandé. En résumé, si vous con. sentez à comprendre ce qui est clair, c'est en tant qu'homme qu'il avait reçu ce pouvoir, Mais, pour répondre aux esprits amis de le dispute, je raisonnerai dans l'une et l'autre hypothèse: S'il a reçu ce pouvoir en tant qu'homme, vous voyez vous-même que ce texte ne vous sert de rien; car si, de ce qu'il a reçu ce pouvoir du Père, vous voulez prouver que le Fils est inférieur au Père, nous ne don. tons pas non plus que le Christ, en tant qu'homme, est inférieur au Père: et si vous prétendez qu'il a reçu ce pouvoir en tant que Dieu, le Père, en l'engendrant égal à lui-même, lui a donné un pouvoir sur toutes choses aussi grand que celui qui lui appartient. En effet, s'il a en pouvoir quelque chose de moins que le Père, tout ce qu'a le

1. Jn 10,18

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Père n'est pas à lui: mais comme tout cela lui appartient, il est hors de doute qu'il a un pouvoir aussi grand que le Père. C'est aussi, ou comme homme, ou comme Dieu, qu'il a reçu un commandement: si c'est comme homme, il n'y a pas à discuter, puisqu'il est sous ce rapport inférieur au Père; si c'est comme Dieu, il n'est pas prouvé pour cela qu'il lui soit inférieur: car il a reçu ce commandement, non après en avoir senti le besoin, mais dès sa naissance. Car tous les commandements de Dieu sont dans son Verbe unique, et il les lui a donnés en l'engendrant, et non après l'avoir engendré, et pour lui donner quelque chose qui lui manquait: conséquemment il l'a engendré aussi grand que lui-même, parce qu'il a engendré de lui-même son vrai Fils, et l'a engendré parfait dans la plénitude de sa divinité, au lieu de l'engendrer perfectible avec l'âge. Mais je vous demande très-humblement pourquoi vous ne dites pas d'un homme quelconque, fils d'un autre homme, qui a reçu un ordre de son père, qu'il est par cela même d'une substance différente, tandis que vous osez nier que le Fils de Dieu soit de la substance paternelle, parce qu'il a reçu un commandement de son Père? Or, certainement, il a reçu un commandement de son Père, et néanmoins il est de la même substance que celui qui le lui a donné. Si des hommes, des pères avec leurs fils, les uns et les autres d'une même substance, accouraient pour vous entendre; si les fils n'étaient pas dégénérés à leurs propres yeux pour avoir reçu ainsi des ordres de leurs pères, qui d'entre eux pourrait supporter votre dénégation? Mais peut-être dites-vous que ce sont des pères instruits qui ont donné des commandements à des fils sans instruction. Reportez-vous maintenant au Fils de Dieu, né Dieu de Dieu le Père, qui serait né certainement imparfait, s'il avait reçu un commandement dans son ignorance. Mais, comme il est né parfait, le Père lui a donné son commandement en l'engendrant, et le Fils l'a reçu en naissant. Car jamais le vrai Fils de Dieu n'a été dans l'ignorance, et jamais il n'y a eu un moment où il ne fût point le Fils de Dieu.



Augustin et Maximin - CHAPITRE XII. LE FILS EST TOUT-PUISSANT COMME LE PÈRE.