Chrysostome sur Eph 500

HOMÉLIE 5 - Ep 2,11-16 C'EST POURQUOI SOUVENEZ-VOUS QU'AUTREFOIS, VOUS GENTILS SELON LA CHAIR,

500 VOUS ÉTIEZ APPELÉS INCIRCONCISION, A CAUSE DE LA CIRCONCISION FAITE DE MAIN L'HOMME DANS LA CHAIR; PARCE QUE VOUS ÉTIEZ EN CE TEMPS-LA SANS CHRIST, SÉPARÉS DE LA SOCIÉTÉ D'ISRAEL, ÉTRANGERS Aux ALLIANCES DE LA PROMESSSE, N'AYANT PAS D'ESPÉRANCE, ET SANS DIEU EN CE MONDE. (Ep 2,11-16)

Analyse.

1 et 2. De la vocation des gentils et de la constitution de l'Eglise.
3 et 4. Des rapports de l'âme et du corps.

501 1. Bien des choses montrent la bonté de Dieu à notre égard : la première, c'est de nous avoir sauvés par lui-même, et cela, de la manière qu'on sait; la seconde c'est l'état où nous nous trouvions quand il nous a sauvés; la troisième, c'est le degré auquel il nous a élevés. Toutes ces choses, par elles-mêmes, sont la meilleure preuve de sa bonté. Et Paul les aborde toutes dans l'épître que nous lisons. Il a dit que nous étions morts par nos fautes, enfants de colère quand Dieu nous sauva : il dit maintenant à quel niveau Dieu nous a (460) portés. « C'est pourquoi, souvenez-vous » (Ep 2,11), dit-il. C'est notre coutume à tous, lorsque nous avons été relevés d'un abaissement profond, ou promus encore plus haut, de perdre jusqu'au souvenir de notre état précédent, à mesure que nous nous habituons à notre gloire présente. De là ces mots : «C'est pourquoi souvenez-vous ». — « C'est pourquoi », entendez puisque nous avons été créés pour les bonnes oeuvres. Il n'en faut pas davantage pour nous persuader de pratiquer la vertu. « Souvenez-vous ». C'est assez de ce souvenir pour nous inspirer de la reconnaissance à l'égard de notre bienfaiteur. « Qu'autrefois vous, gentils » (Ep 2,11). Voyez comment il rabaisse les avantages des Juifs, et relève les gentils de leur infériorité, laquelle n'était qu'apparente : c'est sur la conduite et les moeurs qu'il s'appuie pour convaincre les uns et les autres: « Vous étiez appelés incirconcision » (Ep 2,11). Le privilège était nominal, la supériorité charnelle : incirconcision, circoncision, peu importe. « A cause de la circoncision faite de main d'homme dans la chair; parce que vous étiez dans ce temps-là sans Christ, séparés de la société d'Israël, étrangers aux alliances de la promesse, n'ayant pas d'espérance, et sans Dieu en ce monde» (Ep 2,11-12).

C'est vous, dit-il, que les Juifs appellent ainsi. Mais pourquoi donc, voulant montrer le bienfait par lequel ils ont été réunis à Israël, au lieu de rabaisser la dignité d'Israël, l'exalte-t-il au contraire en cela? Il l'exalte là où il est nécessaire, mais il la rabaisse dans les choses qui ne devinrent pas communes aux gentils. Car il dit plus loin : « Vous êtes concitoyens des saints, et de la maison de Dieu (Ep 2,19) ». — Considérez comment il ne la rabaisse pas là. Mais ici il dit : Ces choses sont indifférentes. Ne croyez pas qu'il y ait une différence, parce que vous n'avez pas reçu la circoncision. Ce qui était dur, c'était d'être sans Christ, d'être séparés de la société d'Israël (et cette séparation ne provenait point de l'incirconcision) ; c'était d'être étrangers aux alliances de la promesse, de ne pas avoir l'espérance, d'être sans Dieu en ce monde : ces avantages étaient particuliers au peuple juif.

Il a parlé des choses du ciel : il parle aussi de celles de la terre, qui étaient un grand sujet de gloire pour les Juifs. De même le Christ, consolant ses disciples, après leur avoir dit : « Bienheureux ceux qui ont été persécutés à cause de la justice, parce que le royaume des cieux leur appartient », ajoute cette considération d'un ordre inférieur : car c'est ainsi « qu'ils ont persécuté les prophètes qui ont existé avant vous ». (Mt 5) A ne considérer que l'élévation, c'est moins important: mais si l'on regarde à la proximité de l'exemple et à la conviction, cet argument parait fort, persuasif et puissant. On sait donc ce qu'il faut entendre ici par « Société » (Ep 2,12). Paul ne dit pas : En dehors, mais : « Séparés de la société »; il ne dit pas : Indifférents, mais : Non participants, « Etrangers » (Ep 2,12). Les expressions sont très-fortes: elles indiquent une séparation complète. En effet, il y avait même des Israélites en dehors de la société d'Israël, mais à cause de leur négligence, comme exclus de l'alliance et non comme étrangers. Qu'étaient-ce maintenant que les alliances de la promesse? On se rappelle la promesse divine. — «Je te donnerai cette terre à toi et à ta race » (Gn 17,8), et le reste. « N'ayant pas l'espérance, et sans Dieu » ((Ep 2,12). Ils adoraient bien des dieux, mais c'étaient des dieux sans réalité: une idole n'est rien.

« Mais maintenant que vous êtes dans le Christ Jésus, vous qui étiez autrefois éloignés, vous avez été rapprochés par le sang de ce même Christ. Car c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux choses en a fait une seule détruisant dans sa chair le mur de séparation, leurs inimitiés (Ep 2,13) ». Voilà donc cette grande chose, dira-t-on ? C'est notre entrée dans la société des Juifs? Que dis-tu? Tout ce qui est au ciel et sur la terre a été restauré et tu viens maintenant nous parler des Israélites? Oui, dit Paul, car les premières choses ont besoin de la foi pour être admises; celles-ci se voient par les « faits eux-mêmes. Mais maintenant que vous êtes en Jésus-Christ, vous qui étiez autrefois éloignés, vous avez été rapprochés de la société ». — « Eloignés, rapprochés»: c'est le fait du seul libre arbitre. « Car c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux choses en a fait une seule » (Ep 2,14).

502 2. Qu'est-ce à dire : « Des deux choses une seule?» (Ep 2,14) Il ne veut pas dire qu'il nous ait conféré la même noblesse, mais bien qu'il nous a promus avec ceux qui en étaient revêtus déjà, à une noblesse plus haute... D'ailleurs, le bienfait a été plus grand en ce qui nous touche. Les Juifs avaient reçu des promesses, ils étaient tout près: nous, rien ne nous avait été promis, et nous étions plus éloignés. C'est pourquoi il (461) dit: «Et les gentils, à glorifier Dieu pour sa miséricorde ».(Rm 15,19) Dieu avait promis aux Israélites, mais ils se montrèrent indignes : à nous, il n'avait rien promis, nous étions même étrangers; nous n'avions rien de commun avec eux, et il nous a réunis, non pas en nous rapprochant des Juifs, mais en formant d'eux et de nous un seul corps. Je recourrai à un exemple : Supposons deux statues, l'une d'argent, l'autre de plomb; on les fond toutes deux; et deux statues d'or sortent du moule. C'est ainsi que Dieu a fait de deux choses une seule. Autre exemple : Soit un esclave et un fils adoptif, l'un et l'autre coupables d'offenses; l'un proclamé enfant par le héraut, l'autre fugitif et ne connaissant pas même son père. Qu'après cela tous deux deviennent héritiers et enfants légitimes. Les voilà portés à la même dignité : ils sont devenus une même chose, l'un venant de plus loin, l'autre de plus près, et promu seulement à la qualité de légitime qui lui manquait avant l'offense.

« Détruisant le mur de séparation » (Ep 2,14). Ce que c'est que ce mur de séparation, il l'explique en disant: «Leurs inimitiés dans sa chair » (Ep 2,14-15). — « Abolissant par sa doctrine la loi des préceptes (Ep 2,15) ». Selon quelques-uns, le mur de séparation, c'est la loi : alors Paul aurait appelé la loi ainsi parce qu'elle ne permettait pas aux Juifs d'avoir des rapports avec les païens... Quant à moi, je ne le pense pas : je pense qu'il appelle ainsi la haine qui est comme une cloison mitoyenne qui nous sépare de Dieu, ainsi que le prophète dit : « Est-ce que vos péchés ne s'élèvent pas entre vous et moi? » Et c'est à bon droit ; car c'était bien une sorte de mur, en effet, que la haine qui séparait Dieu des Juifs et des païens. Tant que la loi subsista, cette haine, loin de diminuer, ne faisait que s'accroître. « La loi », est-il écrit, « produit la colère ». (Rm 4,15) Comme dans cet endroit, en disant : La loi produit la colère, il n'entend pas la loi absolument, mais la loi, quand nous la transgressons : de même ici il J'appelle mur de séparation, à cause de la haine produite par les infractions. La loi était une cloison; mais une cloison de sûreté, comme un rempart. Ecoutez encore ces paroles du prophète : « J'ai mis un rempart autour de lui ». (Is 5,2) Et ailleurs : « Tu as détruit son rempart, et tous ceux qui passent sur la route la vendangent». (Ps 79,13)

C'est donc bien une cloison de sûreté. Ailleurs « Je renverserai son rempart, et il sera foulé aux pieds ». Et encore : « Il a donné la loi pour protection ». (Is 5) Et enfin : « Faisant miséricorde et justice, le Seigneur a fait connaître ses jugements à Israël ». (Ps 102,6) Mais ce mur de séparation, au lieu de rester une défense; devint un obstacle qui les séparait de Dieu. Tel fut ce mur de séparation qui avait commencé par être un rempart. Comment fut détruit ce mur, Paul l'indique lorsqu'il ajoute : « La haine dans sa chair ». — « Abolissant la loi des préceptes ». Comment? En y mettant son cachet, et en détruisant ainsi la haine. Mais ce n'est pas seulement par là qu'il fit cesser la haine, c'est encore par l'observation de la loi. — Eh quoi ! acquittés de notre précédente infraction, nous voilà donc obligés de nouveau à l'observation ? — C'eût été remettre les choses dans leur état; mais la loi même, il l'abolit : « Abolissant par sa doctrine la loi des préceptes ». O charité ! il nous a donné une loi, afin que nous l'observions; puis, comme nous ne l'avons pas observée, au lieu de nous punir, il a été jusqu'à abroger la loi : c'est comme si quelqu'un, après avoir confié un enfant à un gouverneur, le voyant refuser d'obéir, le délivrait de son gouverneur et l'emmenait. Quelle bonté dans ce bienfait ! Et que signifie : « Abolissant par sa doctrine? » Il montre ici la grande différence qui sépare le précepte des doctrines. Ou c'est de la foi qu'il parle, en employant ce mot doctrine : car c'est par la foi seule que la doctrine peut nous sauver; ou c'est du précepte évangélique ; par exemple, le Christ a dit : « Je vous le dis, ne vous irritez nullement ». Tout cela redent à dire : Si vous croyez que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, vous serez sauvés. Et encore : « Près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton coeur ». (Rm 10,8)

503 3. Ne dites pas : Qui montera dans le ciel, ou qui descendra dans l'abîme, ou qui l'a tiré du milieu des morts? Pour vie il a introduit la foi. Car afin de ne pas nous sauver au hasard, d'une part, il s'est soumis de lui-même au supplice, et de l'autre, il a exigé la foi par la doctrine. « Pour former des deux en lui-même un seul homme nouveau ». Voyez-vous comment le païen n'est pas devenu Juif, mais comment l'un et l'autre ont passé à un (462) troisième état? Si Jésus a aboli la loi, ce n'a pas été pour rendre le païen Juif, mais pour créer de tous deux le nouvel homme. Et c'est justement que partout il emploie cette expression : « Créer», il ne dit pas transformer, afin de montrer la puissance déployée dans cette opération, et que, si la création est une chose visible, cette autre création n'est pas moindre pour cela, et que nous ne devons pas plus nous y dérober qu'aux sujétions de la nature. « Pour former en lui-même », c'est-à-dire par lui-même. — Il n'a pas confié ce soin à un autre : c'est lui-même qui ayant fondu ensemble, de lui-même, ces deux métaux, a mis au jour un nouveau métal miraculeux, auquel il avait commencé par s'identifier lui-même,. Voilà ce que signifie : « En lui-même » ; c'est que lui-même, tout le premier, avait fourni le type et le modèle. D'un côté ayant pris le Juif, de l'autre le païen, et s'étant placé entre eux, il les a mêlés, en effaçant tout ce qui les distinguait, et les a refondus d'en-haut, au .moyen du feu et de l'eau, non plus de l'eau et de la terre, mais de l'eau et du feu. Il est devenu Juif circoncis, il est devenu anathème, il est devenu païen infidèle, et quelque chose de plus que les païens et les Juifs.

« Dans un seul homme nouveau ». — «En faisant la paix », en les mettant en paix avec Dieu et les uns avec les autres. S'ils étaient restés Juifs et païens, ils ne se seraient pas réconciliés; et si chacun d'eux n'avait pas dépouillé son état propre, comment auraient-ils passé à un état supérieur ? Le Juif ne s'unit au païen que du moment où il devient fidèle. Supposez en bas, deux appartements séparés, et en haut un seul grand et admirable; les habitants des deux premiers ne commenceront à se voir, qu'une fois réunis dans le troisième. « Faisant la paix », surtout à l'égard de Dieu ; c'est ce qui résulte de la suite. Que dit-il, en effet? « Et pour réconcilier à Dieu par la croix, les deux réunis en un seul corps (16) ».

Il ne dit pas concilier, mais « Réconcilier », pour montrer qu'auparavant la nature humaine se prêtait facilement à la conciliation, comme au temps des saints et avant la loi. « En un seul corps » (le sien) « à Dieu ». Comment? En subissant lui-même sur la croix le châtiment encouru. « Tuant en lui-même l'inimitié ». Rien de plus juste ni de plus solennel que ces expressions. Sa mort, veut dire Paul, a tué, meurtri, exterminé la haine ; cette mort qu'il n'a pas prescrite à un autre, dont il n'a pas été seulement l'auteur, mais encore la victime. Il ne dit pas : « Détruisant », ni « Supprimant », mais, ce qui est plus fort que tout : « Tuant», de sorte qu'elle ne pût se relever. Qu'est-ce donc qui la ressuscite? L'excès de notre perversité. Tant que nous restons dans le corps tin Christ, tant que nous demeurons unis, elle ne ressuscite pas, elle reste morte; ou plutôt, celle-là ne ressuscite jamais. Mais si nous en enfantons une autre, ce n'est plus la faute de celui qui a tué et anéanti la première ; c'est vous qui donnez le jour à une autre haine. Car la pensée de la chair est inimitié contre Dieu. Si nous n'avons point de pensées charnelles, il n'y aura pas de nouvelle haine engendrée, et la paix subsistera.

504 4. Songez combien il est affreux, quand Dieu a fait tant de choses pour procurer notre réconciliation, et qu'il l'a opérée, de revenir à l'inimitié. Cette inimitié-là, ce n'est plus le baptême, mais l'enfer qui l'attend, ce n'est plus la rémission, mais le jugement. Pensée de la chair, délice, mollesse; pensée de la chair, convoitise et tous les péchés. Pourquoi cette expression : Pensée de la chair? Cependant sans l'âme la chair ne peut rien. Paul ne dit pas cela pour accuser la chair; de même quand il dit : « L'homme animal », il ne parle pas ainsi pour accuser l'âme, il veut faire entendre que l'âme pas plus que le corps ne sont suffisants par eux-mêmes, en l'absence de la grâce d'en-Haut, à rien faire de grand ni de généreux. Voilà pourquoi il appelle animales les choses que l'âme produit par elle-même; et charnels, les actes du corps livré à lui-même; non parce que ces actes sont naturels, mais parce que, faute de l'appui divin, ils se pervertissent. C'est une excellente chose que les yeux; mais, en l'absence de la lumière, ils causent des maux innombrables : il n'en faut. accuser que leur faiblesse, et non la nature. Si ces maux provenaient de la nature, jamais les yeux ne nous seraient bons à rien. Il n'y a pas de maux naturels. Qu'est-ce donc que les pensées charnelles ? Les péchés. Quand la chair prend le dessus sur celui qui la mène, elle engendre des maux innombrables. Car le mérite de la chair, c'est de rester soumise à l'âme ; son vice, c'est de dominer l'âme. Un cheval beau et agile ne peut déployer ses qualités sans un écuyer; de même la chair n'est bonne que lorsque nous savons réprimer ses (463) élans désordonnés. — Mais un écuyer ne saurait pas davantage se signaler si l'art lui fait défaut; dans ce cas il est plus nuisible qu'utile. De toute manière donc, il faut veiller. L'esprit, ce principe vigilant, rend l'écuyer plus vigoureux : il embellit et le corps et l'âme. De même que l'âme embellit le corps qu'elle anime, et ne peut le déserter, lui retirer son action intérieure, sans le rendre repoussant, à la- manière d'un peintre qui confondrait toutes les couleurs; car alors chaque partie tombe promptement en dissolution et en pourriture : de même quand l'esprit a abandonné à eux-mêmes le corps et l'âme, ils font voir une laideur encore plus affreuse.

Ne vous déchaînez donc point contre le corps comme inférieur à l'âme. Et je ne veux pas non plus accuser l'âme en tant qu'impuissante sans le concours de l'esprit. Mais s'il faut le dire, l'âme mérite plus de sévérité. En effet, le corps est incapable sans l'âme, de faire aucun mal ; l'âme au contraire, en fait beaucoup sans le concours du corps; elle en fait encore beaucoup dans un corps paralysé et réduit à l'immobilité, par exemple, par les sortilèges des magiciens, des envieux, des sorciers. D'ailleurs, les débauches du corps ne proviennent point des nécessités auxquelles il est soumis, mais de la négligence de l'âme le corps exige de la nourriture, et non des excès. Au moyen d'un frein solide, je peux arrêter la course d'un cheval ; mais le corps ne saurait réprimer l'âme dans ses écarts. Pourquoi donc parler des pensées de la chair? Parce qu'alors la chair devient responsable. Elle pèche, quand elle prend le dessus, quand elle dépouille l'esprit, et ôte à l'âme le gouvernement. Le mérite du corps consiste donc à céder à l'âme ; car par lui-même il n'est ni bon ni mauvais. Que pourrait faire le corps livré à lui-même? C'est donc par son union, par sa soumission que le corps est bon : par lui-même il n'est ni bon ni mauvais; mais il est capable de se porter au bien ou au mal. Le corps a des appétits, mais ce n'est pas de fornication ni d'adultère, c'est de commerce sexuel : le corps a des appétits, non de débauche, mais de nourriture; non d'ivresse, mais de boisson. Comment le corps n'aspire point à l'ivresse, vous allez vous en convaincre : dès que vous dépassez la mesure et ses forces, il cesse de résister. Tout le reste est le fait de l'âme, par exemple, lorsqu'elle se plonge dans les plaisirs charnels, lorsqu'elle s'appesantit. En effet, si le corps est beau, l'âme est plus belle encore... Or, ainsi que l'or est plus précieux que le plomb, et néanmoins exige du plomb pour la soudure; de même l'âme a besoin du corps : ou si l'on veut, comme un enfant de bonne famille a besoin d'un gouverneur. Et ne vous étonnez pas des exemples que je cite. Quand nous parlons de choses puériles, ce n'est pas l'âge que nous blâmons, mais les choses qui en ont le caractère : de même pour le corps. Mais il est possible de quitter la chair, si nous le voulons, comme aussi la terre, pour les cieux et pour l'Esprit. Car être quelque part, cela s'entend moins du lieu que de la disposition d'âme. Souvent nous disons de personnes présentes en un lieu : Vous n'y étiez pas. Que dis-je? Souvent nous disons : Vous n'êtes pas en vous-même, je ne suis pas en moi-même ; et cependant quoi de plus sensible que cette présence en soi-même? Néanmoins nous employons ce terme : soyons donc en nous-mêmes, dans les cieux, dans l'Esprit. Restons dans la paix et dans la grâce de Dieu, afin que, débarrassés de toutes les choses charnelles, nous puissions obtenir les biens promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE 6 - Ep 2,17-3,8 ET, VENANT, IL A ANNONCÉ LA PAIX, ET A VOUS QUI ÉTIEZ LOIN,

600 ET A CEUX QUI ÉTAIENT PRÉS ; PARCE QUE C'EST PAR LUI QUE NOUS AVONS INTRODUCTION LES UNS ET LES AUTRES, DANS UN SEUL ESPRIT, AUPRÈS DU PÈRE. VOUS N'ÊTES DONC PLUS DES HÔTES ET DES ÉTRANGERS, MAIS DES CONCITOYENS DE SAINTS, ET DE LA MAISON DE DIEU, BATIS SUR LE FONDEMENT DES APÔTRES ET DES PROPHÈTES, LE CHRIST JÉSUS ÉTANT LUI-MÊME PIERRE ANGULAIRE ; SUR LEQUEL TOUT L'ÉDIFICE CONSTRUIT S'ÉLÈVE COMME UN TEMPLE SACRÉ DANS LE SEIGNEUR; SANS LEQUEL VOUS ÊTES BATIS VOUS-MÊMES POUR ÉTRE UNE DEMEURE DE DIEU PAR L'ESPRIT. (Ep 2,17-3,8)

Analyse.

1-3. Eloge de saint Paul. — Qualités requises pour l'apostolat.
4. Tableau des malheurs de l'Eglise et de l'empire au temps de saint Jean Chrysostome.

601 1. Il n'a pas eu recours, dit Paul, à l'intermédiaire d'un messager ni d'un interprète c'est lui-même qui nous a tout révélé par lui-même. Il ne nous a dépêché ni ange ni archange, attendu qu'il n'appartenait de guérir de si grands maux et d'annoncer ce qui était arrivé qu'à lui-même, descendant ici-bas. Le Maître a pris le rôle d'un ministre et presque d'un serviteur : il est venu, il a annoncé la paix : « A vous », dit-il, « qui étiez loin et à ceux qui étaient près ». — « Près », ceci est pour les Juifs considérés par rapport à nous. « Loin », par là il, fait allusion aux gentils, comme étrangers aux alliances. « Parce que c'est par lui que nous avons introduction les uns et les autres, dans un seul Esprit, auprès du Père ». Il parle de la paix avec Dieu, de notre réconciliation. D'ailleurs Jésus dit lui-même : « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix »; et encore : « Ayez confiance, j'ai vaincu le monde »; et aussi : « Tout ce que vous aurez demandé en mon nom, vous l'obtiendrez »; et enfin : « Parce que le Père vous aime ». Voilà des signes de la paix conclue avec les uns et les autres. Avec les premiers, comment? « Parce que c'est par lui que nous avons accès les uns et les autres dans un seul Esprit » (Ep 2,18). Non pas vous à un moindre degré, ni eux à un degré supérieur : la grâce a été uniforme. Il a détruit la colère par la mort, il nous a rendus aimables à Dieu par l'Esprit. Voilà encore le mot « Dans » pris dans le sens de « Par » c'est par lui et par l'Esprit qu'il nous a donné accès.

« Vous n'êtes donc plus des hôtes et des étrangers, mais des concitoyens des saints» Ep 2,19). Voyez-vous ? ce n'est pas seulement dans la cité des Juifs, c'est dans celle de ces grands et saints personnages, les Abraham, les Moïse, les Elie que nous voilà enrôlés et publiquement admis? Car ceux qui parlent de la sorte, dit Paul, font voir qu'ils cherchent une patrie. « Vous n'êtes donc plus des hôtes et des étrangers ». Ceux qui ne doivent pas obtenir les biens célestes sont des étrangers : car le Fils est éternel. « Et de la maison de Dieu ». Ce que les Juifs avaient eu dès l'origine et gardé à travers tant d'épreuves, la grâce de Dieu vous l'a procuré. « Bâtis sur le fondement des apôtres et des prophètes » (Ep 2,20). Voilà l'espoir de la vocation. Voyez comment il mêle tout. Les païens, les Juifs, les apôtres, les prophètes, le Christ; et tantôt il emploie l'image d'un corps, tantôt celle d'un édifice pour exprimer la cohésion. « Bâtis sur le fondement des apôtres (465) et des prophètes ». En d'autres termes, le fondement, ce sont les apôtres et les prophètes. Et en première ligne il place les apôtres, venus les derniers : sans doute pour indiquer que le fondement est formé des uns et des autres, que le tout forme un édifice unique reposant sur une base unique. Représentez-vous les païens ayant pour base les patriarches. Ici l'expression est encore plus propre que celle de greffe qu'on trouve ailleurs, et qui est plus frappante.

Ensuite il poursuit : « Le Christ Jésus étant pierre angulaire », montrant que c'est le Christ qui retient tout dans l'union. Car c'est la pierre angulaire qui retient assemblés et les murs et les fondations. « Sur lequel tout l'édifice construit s'élève » Ep 2,21). Voyez comment le Christ relie le tout. Il montre Jésus tantôt rassemblant d'en-haut et retenant dans l'union toutes les parties de l'ensemble, tantôt supportant d'en-bas tout l'édifice, et lui servant de base. Cette parole : « Il a créé en lui pour former un seul homme nouveau », fait voir aussi que la réunion des deux parois s'est opérée par son intermédiaire, et encore que la création a été faite en lui. « Premier-né de toute créature », est-il écrit (Col 1,15) ; c'est-à-dire, qu'à lui seul il soutient tout. « Sur lequel tout l'édifice construit s'élève » (Ep 2,21). Nommez le toit, les murs, tout ce que vous voudrez : c'est lui qui supporte tout. Ailleurs il est nommé fondement : «Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui est posé, lequel est Jésus-Christ ». (1Co 3,11) « Sur lequel tout l'édifice construit »... Ici il indique et montre une vie irréprochable, comme la condition indispensable, à défaut de laquelle on ne peut être posé là. « S'élève comme un temple sacré dans lequel vous êtes bâtis vous-mêmes ». Il répète souvent cela : « Dans le temple sacré pour être une demeure de Dieu dans l'Esprit » Ep 2,21-22). A quoi bon cette construction ? A ce que Dieu habite en ce temple. Car chacun de vous est un temple, et vous tous pris ensemble, et il habite comme dans le corps du Christ, et il habite comme en un temple spirituel. Voilà pourquoi il ne dit pas « Accès », mais « Introduction » : c'est que nous ne sommes pas venus de nous-mêmes : c'est lui qui nous a introduits; car il est écrit : « Personne ne vient vers le Père, sinon par moi »; et encore : « Je suis la voie, et la vérité et la vie ». — « Un temple sacré dans lequel vous êtes bâtis vous-mêmes ».

602 2. Il revient à son premier exemple, et il les joint aux saints, ne permettant jamais qu'ils soient détachés du Christ. Ce saint édifice durera donc jusqu'à son avènement, et c'est pour cela que Paul a dit : « Comme un habile architecte j'ai posé le fondement ». Et encore au même endroit : « Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui est posé, lequel est le Christ ». (1Co 3,10) Voyez-vous qu'il faut prendre les exemples non dans le sens absolu, mais dans le sens relatif au sujet en question? Il use d'exemples en cet endroit, comme lorsque le Christ dit que le Père est un laboureur, et que lui-même est une racine.

« C'est pour cela que moi, Paul, je suis le prisonnier du Christ Jésus, pour vous, gentils. (Ep 3,1) » Il a dit l'infinie sollicitude du Christ : il passe maintenant à la science, petite sans doute, nulle en comparaison de la première, mais suffisante elle-même à gagner les âmes. Voilà pourquoi moi-même, dit-il, je suis enchaîné. Car si mon Maître a été crucifié pour vous, à bien plus forte raison suis-je enchaîné. Non-seulement il a été lié, mais il permet encore que ses serviteurs le soient pour vous, les gentils. Voilà qui donne à penser : Non-seulement nous ne vous détestons point, mais nous sommes enchaînés à cause de vous, et moi j'ai obtenu cette grâce inestimable. « Car vous avez appris sans doute que Dieu m'a confié la dispensation de sa grâce en votre faveur (Ep 3,2) ». Il fait allusion à la prédiction que Dieu avait faite à Damas touchant lui-même à Ananie : « Va, car cet homme m'est un vase d'élection pour porter mon nom devant les gentils et les rois » (Ac 9,15). Par « Dispensation de sa grâce », il entend la révélation. C'est comme s'il disait: Ce ne sont pas les hommes qui m'ont instruit, Dieu a daigné me faire une révélation particulière à cause de vous. « Il m'a dit : Va, parce que je t'enverrai loin chez les gentils ». (Ac 22,21) C'est justement qu'il emploie ce mot de « Dispensation ». En effet, c'était une grande marque de providence que d'appeler d'en-haut celui que rien ne pouvait convaincre, de lui dire : « Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu ? » et de l'aveugler de cette lumière ineffable.

« Car vous avez appris sans doute que Dieu (466) m'a confié la dispensation de sa grâce en votre faveur, puisque, par révélation, il m'a fait connaître ce mystère, comme je vous l'ai écrit plus haut en peu de mots (Ep 3,3) ». Sans doute il les en avait informés par quelques personnes, ou il leur avait écrit peu de temps auparavant. Il montre ici que tout vient de Dieu, que nous n'avons contribué pour rien. En effet, dites-moi, ce grand, cet admirable Paul, qui avait étudié la loi, qui avait reçu une instruction si parfaite aux pieds de Gamaliel, n'est-ce point la grâce qui le sauva? C'est à bon droit qu'il nomme cela mystère : c'est bien un mystère que d"avoir élevé subitement les gentils à une noblesse supérieure à celle des Juifs. — « Comme je vous l'ai écrit plus haut en peu de mots ». — « De sorte que, lisant, vous pouvez comprendre (Ep 3,3-4) ». Ah ! ainsi il n'écrivait pas tout, ni tout ce qu'il fallait écrire. Mais ici c'était la nature de la chose qui le voulait : ailleurs, c'était la perversité, comme chez les Hébreux (He 5,11), comme chez les Corinthiens (1Co 3,2). « De sorte que, lisant, vous pouvez comprendre l'intelligence que j'ai du mystère du Christ... » (Ep 3,4). En d'autres termes, comment j'ai compris ou que Jésus est assis à droite, ou de semblables paroles de Dieu. Ensuite, il fait valoir leur privilège; comment « Dieu n'a pas fait ainsi à toute nation » (Ps 147,20); et il poursuit en montrant, quel est ce peuple à qui Dieu a fait ainsi. « Mystère qui, dans les autres générations, n'a pas été découvert aux enfants des hommes, comme il est maintenant révélé par l'Esprit à ses saints apôtres et aux prophètes (Ep 3,5) ».

Qu'est-ce donc, dites-moi, que les prophètes ne savaient pas? Comment donc le Christ peut-il dire que Moïse et les prophètes avaient voulu parler de lui ; et encore: « Si vous aviez cru en Moïse, vous auriez cru en moi » (Jn 5,46); et ailleurs : « Scrutez les Ecritures, puisque vous pensez avoir en elles la vie éternelle, car ce sont elles qui rendent témoignage de moi ». (Jn 5,39) Il veut dire, ou que tous les hommes n'ont pas reçu cette révélation; car il ajoute : « Mystère qui, dans les autres générations, n'a pas été découvert aux enfants des hommes, comme il est maintenant révélé » (Ep 3,5); ou que la chose n'a pas été révélée aussi clairement par les faits, qu'elle est maintenant révélée à es saints apôtres et aux prophètes par l'Esprit. Voyez en effet : Pierre, s'il n'avait pas été averti par l'Esprit, ne serait point allé chez les gentils. Ecoutez en effet ses paroles : « Ainsi Dieu leur a donné l'Esprit-Saint comme à nous » (Ac 10,47). S'il dit : « Par l'Esprit » (Ep 3,5), c'est que Dieu a voulu qu'ils reçussent la grâce par l'Esprit. Les prophètes parlaient, mais ils ne se rendaient point de ces merveilles un compte précis; puisque les apôtres eux-mêmes ne les comprenaient pas parfaitement après en avoir été instruits : car cela dépassait de beaucoup la raison humaine et la commune espérance. « Que les gentils sont cohéritiers, membres d'un même corps et participant avec eux de la promesse (Ep 3,6) ».

603 3. Qu'est-ce à dire : « Cohéritiers, participant avec eux de la promesse, et membres d'un même corps? » (Ep 3,6) Voilà la grande chose, cette réunion en un seul corps, ce complet rapprochement. On savait que les gentils seraient appelés; mais que ce devait être à ces conditions, on l'ignorait. De là cette expression : « Mystère de promesse ». Les Israélites avaient part, les gentils avaient part également à la promesse de Dieu. « Dans le Christ par l'Evangile » (Ep 3,6). En d'autres termes, par son envoi vers eux, et par leur conversion : car il ne dit pas seulement: « Dans le Christ », mais ajoute : « Par l'Evangile ». Mais c'est que Paul nous révèle quelque chose de plus grand; à savoir que cela était ignoré non-seulement des hommes, mais des anges, des archanges eux-mêmes, de toute puissance créée : c'était un mystère, et personne n'en avait eu la révélation. « Comprendre l'intelligence que j'ai » (Ep 3,4). Sans doute il fait allusion à ce qu'il leur a dit dans les actes, que s'il invite les gentils eux-mêmes, c'est en lui l'effet d'une certaine intelligence. Il veut parler de l'intelligence du mystère dont il a parlé, à savoir que Jésus créera en lui-même et formera un seul homme nouveau. Il a appris par révélation, ainsi que Pierre, qu'il ne faut pas avoir les gentils en abomination, et saint Pierre le déclare lorsqu'il se justifie d'avoir été chez les gentils. « Dont j'ai été fait le ministre en vertu du don de la grâce de Dieu, qui m'a été donnée par l'opération de sa vertu (Ep 3,7) ». Il a dit qu'il est prisonnier, ce qui ne l'empêche pas ici de faire honneur de tout au Seigneur, en disant: « En vertu du don de la grâce de Dieu » ; car c'est par la vertu de ce don que cet honneur lui a été fait. Mais le don ne suffisait pas, si la force ne (467) lui avait été communiquée en même temps. Car c'était vraiment le fait d'une grande force; et un zèle humain n'aurait pu y suffire. Paul apporta trois choses à la prédication : un zèle bouillant et intrépide, une âme prête à tout supporter, et enfin l'intelligence et la sagesse; car ce n'eût pas été assez du courage, d'une vie irréprochable, s'il n'avait reçu en outre la vertu de l'esprit. Voyez-en la preuve chez lui-même d'abord, ou plutôt, écoutez ce qu'il écrit : « Afin que notre ministère ne soit pas censuré » (2Co 6,3) ; et encore : « En effet, notre prédication a été exempte d'erreur, d'impureté, de paroles de flatterie, de prétexte d'avarice ». (1Th 2,3 1Th 2,5) Voyez-vous qu'elle était irréprochable. Et ailleurs : « Ayant soin de faire le bien, non-seulement devant Dieu, mais encore devant les hommes ». (Rm 12,17 2Co 8,21) Ensuite : « Chaque jour je meurs, oui, par la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ Notre-Seigneur ». (1Co 15,31) Et encore : « Qui nous séparera de l'amour du Christ? La tribulation, la détresse ou la persécution ? » (Rm 8,35) Et ailleurs : « Par une grande patience dans les tribulations, dans les nécessités, dans les persécutions, dans les angoisses, sous les coups, dans les prisons ». (2Co 6,4) Puis sa conduite pleine de sagesse: « Je me suis fait Juif avec les Juifs, avec ceux qui sont sous la loi comme si j'eusse été sous la loi ». (1Co 9,20) Il se rase et se soumet à mille pratiques. Mais ce qui passe avant tout, c'est qu'il agissait par la vertu de l'Esprit-Saint. « Car je n'oserai parler d'aucune des choses que le Christ n'a pas faites par moi ». (Rm 15,18) Car en quoi avez-vous été inférieurs aux autres Eglises ? enfin : « Car je n'ai été inférieur en rien aux plus éminents apôtres, quoique je ne sois rien ». (2Co 12,13) Sans cela la chose eût été impossible. Ce n'est point par des miracles qu'il convertit : les miracles n'y faisaient rien : Ce n'est pas de cela qu'il croyait devoir se prévaloir, mais d'autres choses. Il faut être irrépréhensible, sage, hardi, persuasif. C'est par là qu'il réussit en général : et dès qu'il avait cela, les miracles devenaient superflus. Nous voyons du moins que, même avant d'avoir opéré aucun miracle, il avait fait mille choses de ce genre.

Et nous, sans avoir rien de tout cela, nous voulons réussir en tout. Or, ôtez l'une de ces choses, le reste devient inutile. Car à quoi bon être hardi, si l'on est sujet aux reproches dans sa conduite? « Si la lumière qui est en toi est ténèbres, les ténèbres elles-mêmes, que seront-elles? » Et que sert d'avoir une vie irréprochable, si l'on est paresseux et nonchalant? « Si quelqu'un ne porte pas sa croix, et ne marche pas à ma suite, il n'est pas digne de moi ». Et encore : « Si quelqu'un ne donne pas sa vie pour les brebis», et la suite. Et que sert de réunir ces deux conditions, si l'on manque d'adresse pour répondre à chacun comme il convient? Or, si les signes ne dépendent pas de nous, ces deux choses sont en notre pouvoir. Paul, tout en s'attribuant toutes ces qualités, en reportait néanmoins tout l'honneur à la grâce. C'est le fait d'un serviteur reconnaissant. Et nous ne connaîtrions pas même ses grandes actions, s'il n'eût été forcé de nous en instruire. Est-ce que nous sommes dignes, même de nous souvenir de Paul? Bien qu'il eût la grâce avec lui, il ne se tenait pas néanmoins pour content, et affrontait pour sa part mille dangers. Et nous, qui n'avons point le même crédit, sur quoi compter, dites-moi, ou pour garder ceux qui nous sont confiés, ou pour gagner ceux qui se tiennent encore à l'écart, nous, hommes adonnés à la mollesse, avides de repos à tout prix, incapables de résister, même en songe, à un péril, ou plutôt, incapables de le vouloir, nous, aussi éloignés de la sagesse de Paul que le ciel est éloigné de la terre? Si ceux qui sont sous notre direction restent si loin des hommes d'alors, c'est que les disciples d'alors valaient mieux que les docteurs d'aujourd'hui : ils étaient circonvenus de tous côtés par les peuples et les tyrans; la guerre les assiégeait de toutes parts : et rien ne pouvait les abattre ni les fléchir.

604 4. Ecoutez du moins ce que dit Paul aux Philippiens : « Puisqu'il vous a été donné touchant le Christ, non-seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui ». Aux Thessaloniciens: «Vous êtes devenus imitateurs des Eglises de Dieu qui sont en Judée ». Aux Hébreux : «Vous avez supporté avec joie l'enlèvement de vos biens ». Aux Colossiens : « Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Jésus en Dieu » : et il témoigne en même temps de beaucoup de périls courus par le même peuple. Aux Galates : « Vous avez souffert tant de maux sans motifs, si (468) toutefois c'est sans motif ». Et vous les voyez tous appliqués à faire le bien.. Voilà pourquoi la grâce agissait alors, pourquoi ils vivaient dans les bonnes oeuvres. Ecoutez encore ce qu'il écrit aux Corinthiens, auxquels il adresse mille reproches : ne leur rend-il pas également témoignage en disant : « Mais votre zèle, mais votre désir? » (2Co 7,11) Tous les témoignages qu'il leur rend à ce sujet, on ne trouverait plus aujourd'hui lieu de les appliquer, même aux maîtres : de sorte que tout a fui, tout est perdu. La raison en est dans le refroidissement de la charité, dans ce que les pécheurs ne sont plus châtiés (« Reprends les pécheurs devant tous », écrit Paul à Timothée), dans la corruption des chefs : car, dès que la tête n'est point saine, comment le reste du corps demeurerait-il en bonne santé? Voyez l'étrange renversement ! Ceux à qui une vie pure pourrait donner plus de confiance, ont gagné le sommet des montagnes; ils se sont éloignés de la ville comme d'un pays ennemi, ils se sont arrachés à leur propre corps comme s'il leur était étranger. Au contraire, des hommes pervers, souillés de tous les vices, se sont jetés sur les Églises : les dignités sont devenues vénales. De là, des maux infinis. Personne ne réprime les abus, personne ne punit les coupables, mais on a mis un certain ordre dans le désir. Quelqu'un a-t-il péché, est-il accusé, il ne cherche pas à établir son innocence, mais à trouver des complices de son crime. Et pourtant il y a un enfer ! Croyez-moi, si Dieu n'avait réservé ses vengeances à la vie future, vous verriez tous les jours au milieu de nous des châtiments plus tragiques que toutes les calamités qui ont écrasé la nation juive. Que personne ne se fâche, je ne désigne personne. Si quelqu'un avait reçu le don de lire clairement dans la vie des autres, et qu'entré dans l'église, il eût à se prononcer sur ceux qui la remplissent en ce moment avec vous; que dis-je, en ce moment? sur tous ceux qui, le jour de Pâques, reçoivent le baptême, il y trouverait des crimes plus grands que ceux des Juifs; des gens qui croient aux augures, aux charmes, aux sortilèges, qui emploient les maléfices, des fornicateurs, des adultères, des ivrognes, des médisants. Je passe sous silence les spoliateurs, de peur de blesser quelqu'un ici. Si l'homme dont je parle scrutait les coeurs de tous ceux qui approchent de nos autels dans le monde entier, quelles horreurs ne verrait-il pas? Et, pour ne parler que des chefs, il les trouverait avides de gain, trafiquant des charges publiques, jaloux; vaniteux, fourbes, esclaves de leur ventre ou de l'argent.

L'impiété étant si grande, quels châtiments n'avons-nous pas à redouter? Pour vous faire une idée de la terrible punition encourue par ces pécheurs, rappelez-vous l'Ancien Testament : un soldat vola une propriété sacrée, et tous périrent; vous savez l'histoire? Je parle de ce Charmi qui déroba l'anathème. Alors, dit le prophète : Leur pays fut rempli d'augures, comme celui des étrangers. (Is 2,6) Maintenant les maux abondent, et nul ne s'en effraie. Tremblons : car Dieu confond les justes mêmes dans le châtiment des impies, comme il est arrivé pour Daniel, pour les trois enfants, pour des milliers d'autres, comme il arrive encore dans les guerres présentes. Car les uns se déchargent par là de tous leurs péchés, les autres en demeurent chargés. Pour tous ces motifs, veillons sur nous-mêmes. Ne voyez-vous pas la guerre multiplier ses ravages? N'entendez-vous pas le cri des malheurs publics? N'est-ce pas assez pour vous instruire? Des cités, des nations entières disparaissent du monde; des milliers d'hommes libres sont esclaves chez les barbares. Si ce n'est la crainte de l'enfer, que ces cruels fléaux, du moins, nous avertissent et nous corrigent. Sont-ce de pures menaces? ne sont-ce pas des faits réels? D'autres ont été gravement punis; nous le serons plus qu'eux, nous à qui leurs malheurs n'ont pas servi de leçon... Ce langage est importun, je le sais : mais il est utile, si l'on sait y faire attention... Nos discours ne sont pas faits pour plaire, mais pour faire rentrer l'âme en elle-même, et lui inspirer la sagesse. Car c'est ainsi qu'on obtient les biens éternels : auxquels puissions-nous tous parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui la gloire, l'empire, l'honneur appartiennent au Père et eu même temps au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.






Chrysostome sur Eph 500