Chrysostome sur Eph 1100

HOMÉLIE 11 - Ep 4,4-16

1100
SOYEZ UN SEUL CORPS ET UN SEUL ESPRIT, COMME VOUS AVEZ ÉTÉ APPELÉS A UNE SEULE ESPÉRANCE DANS VOTRE VOCATION. IL Y A UN SEUL SEIGNEUR, UNE SEULE FOI, UN SEUL BAPTÊME, UN SEUL DIEU ET PÈRE DE TOUS, QUI EST AU-DESSUS DE TOUS, ET AU MILIEU DE TOUTES CHOSES, ET EN NOUS TOUS. OR, A CHACUN DE NOUS A ÉTÉ DONNÉE LA GRACE, SELON LA MESURE DU DON DE JÉSUS-CHRIST. (
Ep 4,4-16)

Analyse.

1-3. Grâces communes à tous et grâces spéciales.
4-6. De l'humilité et de l'unité. — Tableau d'un schisme. — Que le schisme est aussi abominable que l'hérésie. — Renseignements précieux pour l'histoire de l'Église et la biographie de saint Jean Chrysostome.

1101 1. La charité que Paul exige de nous n'est point une charité vulgaire, mais une charité capable de nous unir, de nous attacher indissolublement les uns aux autres, et de mettre entre nous une harmonie comparable à celle qui existe entre les membres d'un même corps. Voilà quelle est cette charité féconde en grandes choses. De là cette expression : Un seul corps, pour marquer la sympathie, l'absence de toute jalousie mutuelle, la part prise par chacun au bonheur d'autrui. Après avoir indiqué par là toutes ces choses à la fois, il ajoute fort à propos : « Et un seul esprit », marquant que de ce corps unique résultera un seul esprit, ou bien que le corps peut être un sans que l'esprit le soit : ce qui arrive par exemple, pour les amis des hérétiques. Ou encore il part de là pour ramener par la honte les fidèles à la concorde; c'est à peu près comme s'il disait Vous qui avez reçu un seul esprit, qui avez été abreuvés à la même source, vous ne devez point être en dissension. Ou bien enfla par esprit, il entend ici le zèle. Il ajoute: «Comme vous avez été appelés à une seule espérance dans votre vocation ». En d'autres termes Dieu vous a appelés tous aux mêmes conditions; il n'a donné à l'un aucun avantage sur l'autre; à tous il a octroyé l'immortalité, à tous la vie éternelle, à tous une gloire impérissable, à tous la fraternité, à tous l'héritage.

Il est devenu notre chef commun, il nous a tous ressuscités et fait asseoir avec lui. Vous donc qui participez si également aux biens spirituels, d'où vous vient votre orgueil? A l'un, de sa fortune, à l'autre de sa puissance? Quelle dérision ! Dites-moi, si l'empereur faisant choix de dix personnes, les revêtait toutes de la pourpre, les faisait asseoir sur son trône, et leur décernait à toutes les mêmes honneurs, qui d'entre elles oserait reprocher à telle autre l'infériorité de sa fortune ou de son nom? Aucune assurément. Et je n'ai pas tout dit : car la distance n'est pas si grande. Ainsi donc, égaux dans les cieux, nous serons distingués ici-bas ?

« Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ». Voilà l'espérance de la vocation. « Un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et au milieu de toutes choses et en nous tous ». Est-ce que vous invoquez un plus grand Dieu, tel autre un Dieu plus petit? Est-ce que vous êtes sauvé par la fui, et cet autre par les oeuvres? Est-ce que le baptême vous a purifié, et lui a laissé sa souillure? Qu'osé-je dire ! « Il y a un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et au milieu de toutes aloses, et en vous tous ». — « Au-dessus de toutes closes », c'est-à-dire, supérieur à tout. « Au milieu de toutes choses » pour les diriger, les (495) gouverner. « En vous tous » : Il habite chez tous. On a dit pourtant que ceci était propre au Fils ; si c'était l'effet d'un abaissement, Paul ne dirait point la même chose du Père. — « Or, à chacun de nous a été donnée la grâce ». Comment se fait-il donc, dira-t-on, que les grâces soient diverses? Cette pensée ne cessait d'inspirer aux Ephésiens, comme aux Corinthiens et à beaucoup d'autres, soit l'orgueil, soit le découragement et l'envie. Voilà pourquoi il recourt partout à cet exemple du corps et ici même, sur le point de faire mention de la diversité des grâces. Il insiste en plus grand détail sur cette question dans son épître aux Corinthiens, parce que la maladie faisait chez eux plus de ravages que partout ailleurs. Ici il se borne à une allusion, et considérez comment il s'exprime. Il ne dit pas -. Selon la foi de chacun : ç'eût été jeter dans le désespoir ceux à qui les grandes prérogatives avaient été refusées. Il dit : « Selon la mesure du don de Jésus-Christ ». Les choses les plus importantes, veut-il dire, sont communes à tous : le baptême, le salut par la foi, le titre de fils par rapport à Dieu, la participation à l'Esprit. Si tel ou tel est mieux partagé que toi en quelque chose, ne te plains pas : car sa tâche aussi est plus grande. Celui qui avait reçu cinq talents, eut à rendre compte de cinq; celui qui en avait reçu deux, en rapporta deux seulement; et ne fut pas moins bien rétribué que l'autre. Aussi en cet endroit emploie-t-il justement cette raison pour consoler son auditeur. « Pour la perfection des saints, pour l'oeuvre du ministère, pour l'édification du corps du Christ ». De là encore cette parole du même : « Malheur à moi, si je n'évangélise pas ! » (
1Co 9,16) Par exemple, quelqu'un a reçu le don d'apostolat. C'est donc à lui qu'il faut crier :Malheur à lui qui a reçu cette grâce : pour vous, vous êtes hors de danger. « Selon la mesure ». Qu'est-ce à dire : « Selon la mesure? » Entendez, non pas en proportion de notre mérite : autrement personne n'aurait obtenu ce qui lui a été donné. Nous ne possédons rien que par un don.

1102 2. Mais pourquoi l'un a-t-il plus, l'autre moins? Cela n'y fait rien, répond Paul; la chose est indifferente - car chacun contribue à l'édification. —.Paul fait voir par là que ce n'est point en vertu de son mérite que l'un a eu plus, l'autre moins; mais en considération des autres, et selon la répartition faite par Dieu même; car le même Paul dit dans un autre passage : « Dieu a placé dans le corps chacun des membres comme il l'a voulu ». (1Co 12,18) Il ne donne point d'autre raison pour ne pas abattre la confiance de ses auditeurs. C'est pourquoi l'Ecriture dit : « Montant au ciel, il a conduit une captivité captive; il a donné des dons aux hommes (8)... » C'est comme s'il disait : Pourquoi t'enorgueillir? Tout te vient de Dieu. Le Prophète dit dans un psaume : « Tu as reçu des dons parmi les hommes ».(Ps 67,19) Paul dit: « Il a donné des dons aux hommes ». C'est la même chose. Interprétez pareillement ceci : « Mais qu'est-ce : Il est monté, sinon qu'il est descendu auparavant dans les parties inférieures de la terre? Celui qui est descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin qu'il remplît toutes choses (9, 10.) »

En entendant cela, ne vous figures point un déplacement. Il établit ici le même point que dans son épître aux Philippiens. Dans cette épître, il cite le Christ à l'appui d'une exhortation concernant l'humilité : il procède ici de la même manière, en disant : « Il est descendu dans les parties inférieures de la terre ». Autrement, c'est en vain qu'il dirait : « Ayant été obéissant jusqu'à la mort ». (Ph 2,7 Ph 2,8) L'ascension suppose la descente. Par les parties inférieures de la terre, il faut entendre la mort : C'est une expression appropriée à l'opinion commune, et qui rappelle celle de Jacob : « Vous ferez descendre ma vieillesse avec douleur aux enfers ». (Gn 44,29) De même on lit dans un psaume : « Je serai rendu semblable à ceux qui descendent dans la fosse » (Ps 1,42), c'est-à-dire aux morts. Pourquoi Paul traite-t-il ici ce sujet? et quelle captivité a-t-il en' vue? Celle du diable. Jésus-Christ a fait prisonnier le tyran, je veux dire le diable, et avec lui la mort, la malédiction, le péché. Voyez-vous ce butin, ces dépouilles? « Mais qu'est-ce : il est monté, sinon qu'il est descendu auparavant? » Ceci est pour les sectateurs de Paul de Samosate. « Celui qui est descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin qu'il remplît toutes choses ». Il est descendu dans les parties inférieures de la terre, dans celles au-dessous desquelles il n'y a rien ; et il est monté au-dessus de tout, à un degré après lequel il n'y a (496) rien. Ceci regarde sa puissance et sa domination: car depuis longtemps tout était accompli. « Et c'est lui qui a fait les uns apôtres, les autres prophètes, d'autres évangélistes, d'autres pasteurs et docteurs pour la perfection des saints, pour l'oeuvre du ministère, pour l'édification du corps du Christ (11, 12) ». Il dit ailleurs : « C'est pourquoi Dieu l'a exalté ». C'est la même chose ici: « Celui qui est descendu est le même qui est monté ». Etre descendu dans les parties inférieures de la terre, cela ne l'a pas empêché de monter au-dessus des cieux. Ainsi, plus on a été abaissé, plus on est élevé. Plus on fait descendre l'eau, plus elle s'élève ; plus on. est éloigné pour lancer un trait, plus on est sûr de son coup : il en est de même pour l'humilité. Mais quand nous parlons d'ascension divine, nous songeons nécessairement à une descente : quand il s'agit d'un homme, cela n'est plus nécessaire... Paul fait voir ensuite la providence et la sagesse de Dieu en disant : « Celui qui a opéré de telles choses, qui a manifesté un si grand pouvoir, celui qui n'a pas refusé de descendre à cause de nous jusque dans les parties inférieures de la terre, celui-là ne, peut avoir distribué les grâces à la légère ». Ailleurs il attribue cet acte à l'Esprit : « Sur lequel l'Esprit-Saint vous a établis évêques pour gouverner l'Eglise du Seigneur ». Ici il nomme le Fils, ailleurs Dieu. Il dit encore : « C'est lui qui a donné à l'Eglise les uns pour apôtres, les autres pour prophètes ». Dans l'épître aux Corinthiens il dit : « J'ai planté, Apollo a arrosé : mais Dieu a donné la croissance (3, 6) ». Et encore : « Celui qui plante et celui qui arrose sont une seule chose : mais chacun recevra son propre salaire selon son propre travail ». De même ici... Qu'importe que vous donniez moins, si vous avez moins reçu? D'abord, « Les apôtres ». Rien ne leur manquait, à eux. Secondement, « Les prophètes» quelques-uns étaient en effet prophètes, sans être apôtres, comme Agabus. Troisièmement, « Les évangélistes ». Ceux qui évangélisaient sans voyager partout, comme Priscille et Aquila. Enfin, « Les pasteurs et les docteurs», ceux à qui tout le peuple est confié. Qu'est-ce à dire : Les pasteurs et les docteurs sont au-dessous des autres ? Oui, ceux qui voyagent et qui évangélisent, sont supérieurs à ceux qui sont sédentaires et occupés dans un seul endroit, comme Timothée et Tite...D'ailleurs, les éléments de cette hiérarchie ne se trouvent pas ici, mais dans une autre épître. « C'est lui qui les a donnés ». Ainsi, point d'objections. Ou bien encore Paul entend par évangélistes, ceux qui ont écrit l'Evangile. « Pour la perfection des saints, pour l'oeuvre du ministère, pour l'édification du corps du Christ ».

1103 3. Voyez-vous notre dignité? Chacun édifie, chacun perfectionne, chacun sert. « Jusqu'à ce que nous parvenions tous à l'unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l'état d'un homme parfait, à la mesure de l’âge de la plénitude du Christ (13) ». Par âge il entend ici la connaissance parfaite. Il en est des fidèles comme de l'homme fait dont l'esprit a de la consistance, tandis que celui des enfants voltige au hasard. « Dans l'unité de la foi ». En d'autres termes, jusqu'à ce que nous paraissions tous animés d'une seule foi. En cela consiste en effet l'unité de foi, que nous ne formions qu'un corps à nous tous, que nous nous reconnaissions tous comme unis ensemble. Jusque-là il faut travailler, si vous avez reçu le don d'édifier les autres. Prenez garde de vous jeter à bas vous-mêmes, en portant envie à autrui. Dieu vous a honoré du privilège, il vous a confié la charge de perfectionner autrui. Tel était aussi l'objet de l'apôtre, celui du prophète lorsqu'il prédisait l'avenir et prêchait, celui de l'évangéliste lorsqu'il évangélisait, celui du pasteur, celui du docteur : tous étaient investis de la même tâche. Ne venez pas m'alléguer la diversité des dons : tous n'avaient qu'une fonction. Car l'unité règne quand nous croyons tous la même chose : Il est clair que tel est le sens, de ces mots : « L'état d'un homme parfait ». Ailleurs il nous appelle petits enfants et parle du temps où nous serons hommes faits: mais le sens est différent. En nous appelant petits enfants, il songe à la connaissance future en effet, après avoir dit : « Nous connaissons partiellement », il ajoute : «Par énigmes » et le reste (1Co 13,9) Ici il songe à autre chose, à la facilité des chutes : de même qu'il dit ailleurs : « La nourriture solide des hommes faits ». (He 5,14) Voyez-vous en quel sens, dans ce passage encore, il nous traite d'hommes faits. Voyez maintenant quelle signification il attache à ce terme dans notre (497) passage, au moyen de ce qui suit : « Afin que nous ne soyons plus petits enfants (14) ». Voilà cette petite mesure que nous avons reçue : conservons-la avec grand soin, avec une persévérance inébranlable. « Plus » : ce mot marque que nous sommes depuis longtemps dans cet état. « Il se met lui-même au nombre de ceux qui ont besoin de la correction, il s'y soumet ». Il dit donc : S'il y a tant d'ouvriers, c'est pour que l'édifice ne soit pas ébranlé, ne vacille pas, pour que les pierres demeurent bien jointes : car c'est à elles que conviennent ces expressions qui marquent un ébranlement. « Afin que nous ne soyons plus comme de petits enfants qui chancellent et vacillent à tout vent de doctrine, par la méchanceté des hommes, par l'astuce qui entraîne dans le piège de l'erreur ». — « Qui vacillent à tout vent de doctrine », est une métaphore continuée qui montre bien à quel danger sont exposées les âmes désunies et séparées. Il désigne la méchanceté par une expression qui signifie action de jouer aux dés. Ainsi se comportent en effet les pervers à l'égard des simples : ils brouillent et bouleversent tout. Maintenant il passe à la conduite : « Mais afin que, pratiquant la vérité dans la charité, nous croissions en toutes choses dans celui qui est le chef, le Christ, en vertu duquel tout le corps uni et lié par toutes les jointures qui se prêtent un mutuel secours, d'après une opération proportionnée à chaque membre, reçoit son accroissement, pour être édifié dans la charité (15, 46.) ».

Son langage est très-obscur, parce qu'il a voulu tout dire à la fois. En voici le sens. Le Christ ressemble à l'esprit qui, descendant du cerveau, ne communique pas à tous les nerfs une pareille aptitude à sentir, mais seulement une aptitude appropriée à la fonction de chaque membre, plus grande chez celui qui comporte un plus haut degré de sensibilité, moins grande chez celui qui en comporte un moindre : mais le principe, c'est toujours l'esprit. Les âmes sont comme les membres qui dépendent du Christ : sa providence dispense les grâces, et mesure l'accroissement de chaque membre proportionnellement à son rôle. Qu'est-ce à dire : « Par toutes les jointures qui se prêtent un mutuel secours. » C'est de la sensibilité qu'il s'agit ici. Cet esprit qui se répand de la tête dans tous les membres, opère ainsi dans chaque membre qu'il parcourt. C'est comme si l'on disait : Le corps qui reçoit ce secours croît à proportion de ses membres ; ou encore : Les membres participent à ce secours proportionnellement, et croissent dans cette mesure; ou encore : L'esprit libéralement répandu d'en-haut, et communiqué à tous les membres à proportion de leur capacité, croît dans cette même proportion. Mais pourquoi avoir ajouté « en charité?» C'est que autrement l'esprit dont il est question ne saurait descendre. Supposons une main détachée du corps : l'esprit qui vient du cerveau trouvant la route interceptée ne quitte point pour cela le corps afin de rejoindre la main : s'il ne la trouve pas à portée, il ne se communique point à elle... La même chose arrive pour nous, quand la charité ne nous unit point.

1104 4. Dans tout ce qui précède, Paul a eu en vue l'humilité. Qu'importe-t-il que tel ou tel ait reçu davantage? Il a reçu le même esprit qui vient de la tête, esprit qui agit également, se communique également. « Uni et lié » : en d'autres termes, objet d'une vive sollicitude. Pour que le corps subsiste, il faut que la liaison entre les membres soit très-étroite : car la moindre déviation l'empêche de subsister. Il ne suffit donc pas d'être uni au corps, il faut encore demeurer à sa place : sans quoi l'union n'existe pas, et l'esprit n'arrive plus. Dans les luxations que causent certains accidents, le dérangement d'un seul os qui empiète sur le domaine d'un autre suffit pour endolorir tout le corps et quelquefois pour le tuer : d'autres fois, on juge cet os indigne d'être conservé; on l'enlève, on laisse vide la place qu'il occupait. Car l'usurpation est partout un mal. De même pour les éléments qu'ils viennent à rompre leur harmonie pour empiéter les uns sur les autres, tout l'univers en soutire. Voilà ce que signifie « Uni et lié ». Songez donc combien il importe que chacun reste dans son domaine et s'abstienne d'entreprendre sur le terrain d'autrui. Vous arrangez les membres : un autre de là-haut leur fournit ce dont ils ont besoin. Il en est de l'esprit comme du corps : il a également des organes susceptibles de recevoir ce qui lu: vient de là-haut. Le coeur, par exemple, est le réceptacle de l'air; le foie, du sang; la rate, de la bile, et ainsi de suite : néanmoins toutes ces choses ont leur principe dans le cerveau.

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Dieu a fait de même, voulant honorer l'homme et veiller sur lui sans cesse : il a rattaché le principe à lui-même, mais il s'est donné des collaborateurs, entre lesquels il a réparti les fonctions. Par exemple, dans ce corps le vaisseau par excellence est l'apôtre qui reçoit tout de ses mains. De cette façon, comme par des artères et des veines (c'est la parole que j'ai en vue) il fait circuler en tous la vie éternelle. Le prophète prédit l'avenir, et Dieu le prépare. Le prophète assemble les os : Dieu y infuse la vie, « pour la perfection des saints, pour l'oeuvre du ministère ». La charité édifie, et fait que toutes les parties s'assemblent, se joignent, s'unissent. Ainsi donc, si nous voulons jouir de l'esprit qui vient de la tête, attachons-nous les uns aux autres. Il y a deux manières de se séparer du corps de l'Église : l'une consiste dans le refroidissement de la charité; l'autre dans une conduite qui nous rend indignes de faire partie de ce corps: des deux façons nous rompons avec l'assemblée des fidèles. S'il nous est prescrit même d'édifier les autres, qu'adviendra-t-il de ceux qui, au lieu d'édifier, donnent l'exemple de la désunion. Rien ne divise l'Église comme l'amour de la domination; rien n'irrite Dieu comme la division de l'Église. Aurions-nous pratiqué les oeuvres les plus parfaites, si nous déchirons l'unité, nous serons punis comme si nous avions déchiré le corps du Seigneur. Ce dernier meurtre a été commis au profit de l'univers, bien que cette intention fût étrangère à ses auteurs : l'autre ne saurait produire que des désastres.

Je parle, non-seulement à ceux qui sont constitués en dignité, mais encore à ceux qui sont placés sous leur direction. Un saint homme a dit un mot qui semble très-hardi, savoir : Que le martyre même n'efface pas un tel péché : quoi qu'il en soit, il l'a dit. Dis moi, en effet : Pourquoi souffres-tu le martyre? N'est-ce pas pour la gloire de Jésus-Christ? tu livres ta vie pour Jésus-Christ, et tu ravages l'Église, pour laquelle Jésus-Christ est mort. Écoutez plutôt ces mots de Paul : « Je ne suis pas digne d'être nommé apôtre, parce que j'ai persécuté l'Église de Dieu » (
1Co 15,9), parce que je la ravageais. Les attaques de nos ennemis nous font bien moins de mal que ces déchirements intestins: les unes ajoutent à la gloire de l'Église; les autres l'exposent aux moqueries de ses ennemis mêmes, heureux de la voir attaquée par ses propres enfants. Car à leurs yeux, c'est un signe manifeste de la fausseté de nos doctrines que les enfants, les nourrissons de l'Église, ceux qu'elle a pleinement initiés à ses mystères, changent tout à coup au point de prendre à son égard les sentiments de ses ennemis.

1105 5. Voilà pour ceux qui se livrent sans discernement aux fauteurs de nos divisions. Si leurs doctrines sont opposées aux nôtres, c'est une raison de ne pas les fréquenter; s'ils pensent comme nous, raison de plus. Pourquoi? Parce que l'ambition est alors la cause du fléau. Ignorez-vous le supplice infligé à Coré, Dathon et Abiron, et non-seulement à eux, mais encore à leurs complices? Que dites-vous? leur foi est la nôtre, ils sont orthodoxes. Eh bien ! pourquoi alors ne sont-ils pas avec nous? « Il y a un seul Seigneur, une seule foi, « un seul baptême ». Si le bon droit est avec eux, nous sommes en tort; si nous avons raison, ils sont en faute. « De petits enfants qui chancellent et vacillent à tout vent». Pensez-vous qu'il suffise de dire : « Ils sont orthodoxes? » Et l'élection, pour quoi la comptez-vous? Quel est le fruit de tout le reste, si l'on n'est pas fidèle sur ce point? On doit défendre l'élection aussi bien que la foi. En effet, s'il est permis à chacun de remplir ses mains, comme disaient les anciens, et de se faire prêtres, que tous accourent : c'est en vain qu'a été érigé cet autel, en vain qu'a été formée l'Église, en vain que le nombre des prêtres a été fixé : détruisons, abolissons tout. A Dieu ne plaise ! dira-t-on. Cette conduite est la vôtre, et vous venez dire : A Dieu ne plaise ! La chose est faite, il n'est plus temps. Je vous le dis et vous le répète, non dans mon intérêt, mais dans celui de votre salut : s'il y a des indifférents, que leur conscience les juge; s'il y a quelqu'un que cela n'intéresse pas, nous y sommes intéressés, nous : « J'ai planté, Apollo a arrosé, mais c'est Dieu qui a donné l'accroissement». (1Co 3,6),

De quel front endurerons-nous les sarcasmes des païens? S'ils nous cherchent querelle au sujet des hérésies, que ne diront-ils pas de ces autres divisions? S'ils ont les mêmes dogmes, s'ils croient les mêmes mystères, pourquoi un pasteur envahit-il l'Église de l'autre? Tout est donc vaine gloire dans le christianisme; on y trouve partout l'ambition, la fraude, l'astuce. Otez aux chrétiens leur (489) nombre qui est la cause de la corruption, et ils ne sont plus rien. Voulez-vous savoir ce que les païens disent de notre cité? comment ils diffament notre . complaisance? Le premier venu, disent-ils, n'a qu'à vouloir pour se faire écouter, et les partisans ne lui manquent jamais. O dérision ! ô ignominie ! Mais voici un autre sujet de risée et d'opprobre. Quelqu'un, par une faute grave, a-t-il mérité d'être puni, aussitôt grande rumeur, grandes alarmes Prenez garde, il va vous quitter et passer à vos rivaux. Eh ! qu'il y passe, qu'il se donne à eux. Fût-il sans reproche, dès qu'il médite la défection, qu'il l'exécute; sans doute, je le regrette je le déplore, j'en souffre, comme si l'on m'arrachait un de mes membres; mais cette douleur ne va pas jusqu'à m'inspirer, pour la fuir, des choses indignes.

Nous ne dominons pas sur votre foi, mes bien-aimés; nous ne commandons pas en maîtres. Chargés de la mission de vous instruire, nous ne pesons pas sur vous avec l'autorité des magistrats. Nous donnons des conseils, nous ne contraignons personne, et chacun reste libre de faire ou de ne pas faire ce qu'on lui dit. Nous ne serions coupables qu'en taisant ce qu'il nous est ordonné d'enseigner. Or, je ne veux pas qu'au jour du jugement vous puissiez dire: Personne ne nous a rien dit, rien expliqué; nous étions dans l'ignorance, nous ne croyions pas commettre un péché. Je dis donc et je répète que faire schisme dans l'Eglise, c'est un aussi grand péché que d'embrasser l'hérésie. Dises-moi: si le sujet d'un roi s'abstenait à la vérité, de se donner à un autre roi, mais prenait la pourpre de son maître entre ses mains, la fendait jusqu'en bas à partir de l'agrafe, et la déchirait en mille lambeaux, serait-il puni moins sévèrement que s'il était transfuge? Et s'il osait en outre égorger le roi lui-même, et mettre tout son corps en pièces, quel châtiment serait à la hauteur d'un pareil attentat? Le roi, dont le meurtre lui aurait valu le plus terrible supplice, ne serait pourtant que son compagnon d'esclavage. Quel enfer ne serait donc pas trop doux pour celui qui égorge le Christ et dépèce son corps? Celui dont nous sommes menacés suffira-t-il? Non, sans doute, à beaucoup près. Apprenez cela, vous toutes qui êtes ici présentes, et rapportez-le à celles qui ne sont pas ici : car le mal vient en grande partie des femmes. Si quelqu'un de ces déserteurs croit se venger en agissant ainsi, il se trompe beaucoup. Si tu veux assouvir ta vengeance, voici un moyen que je t'offre : moyen je ne dis pas sans dommage pour toi (il n'en est pas de tel), mais moins pernicieux : donne-moi des soufflets, crache-moi au visage devant tout le monde, accable-moi de coups.

1106 6. Quoi ! tu frémis à ces mots, et tu déchires le Seigneur sans frémir ! Tu mets en pièces le corps de ton maître, et tu n'es pas saisi d'horreur ! L'Eglise est notre maison paternelle; nous n'y sommes qu'un corps et qu'une âme. Si c'est à moi que tu en veux, que ta colère s'arrête à moi. Pourquoi t'en prendre à Jésus-Christ? Ou plutôt, pourquoi te meurtrir à regimber contre l'aiguillon? Il n'est jamais bon de se venger. Mais punir en quelqu'un les fautes d'autrui, c'est un bien autre crime. Est-ce nous qui t'avons offensé? Pourquoi sévir contre un innocent? C'est le comble de la frénésie. Je ne parle ni à la légère ni par ironie; j'exprime ce que je sens. Je voudrais que tous ceux qui ont contre moi de la rancune, et qui, par ressentiment, se font tort à eux-mêmes et passent dans l'autre camp, je voudrais qu'ils vinssent me frapper au visage, et, après m'avoir mis à nu, me déchirer à coups de fouet : que leurs reproches soient justes ou iniques, j'aimerais mieux les voir ainsi décharger sur moi leur colère, que persister dans leurs attentats. Qu'importe qu'un homme de rien subisse quelques outrages? Sous le poids de l'humiliation, je prierais Dieu pour vous, et il vous ferait grâce. Non que j'aie confiance en moi, mais parce que je suis persuadé que Dieu accueille favorablement celui qui, étant offensé, prie pour ceux qui l'ont offensé. « Si quelqu'un a péché contre un homme, est-il écrit, on priera pour lui ». (1R 2,25) Si mes prières étaient trop faibles, je m'adresserais à d'autres saints, et ils fléchiraient le Seigneur. Mais quand c'est à Dieu lui-même que remonte votre affront, à qui aurons-nous recours?

Voyez quel choquant contraste ! Parmi les membres de cette Eglise, il en est qui n'approchent jamais des autels, ou une fois seulement par an, et encore est-ce étourdiment et sans préparation : d'autres sont, à la vérité, plus assidus, mais leur légèreté est lu même, ils ne font que causer et s'occuper de bagatelles : et ceux qui se montrent sérieux sont justement les auteurs du fléau. Si c'est de ce côté que votre zèle se porte, il vaut mieux que (500) vous preniez place parmi les indifférents; ou plutôt il vaut mieux, et que ceux-ci se corrigent, et que vous vous corrigiez vous-mêmes je ne parle point pour ceux qui sont ici, mais pour les transfuges. C'est un véritable adultère. Si vous ne souffrez pas que je parle ainsi de ces hommes, ne souffrez pas non plus qu'on parle ainsi de moi. L'illégalité est d'un côté ou de l'autre. Si vous pensez qu'elle est du nôtre, nous sommes prêts à céder le pouvoir à qui vous voudrez, pourvu que l'unité de l'Eglise soit assurée. Si nous avons été légitimement institués, persuadez de quitter leurs sièges à ceux qui les ont occupés contrairement à la loi. Je parle ainsi, non pour imposer un commandement, mais pour vous prémunir par de bons avis. Chacun de vous a l'âge de raison, et sera jugé sur ses oeuvres. Ne pensez pas qu'il vous suffise de rejeter sur nous le fardeau pour être déchargés vous-mêmes de toute responsabilité : ce serait vous tromper cruellement. Sans doute nous avons à rendre compte pour vos âmes, mais tout autant que nous aurons négligé d'avertir, de supplier, de protester. Ce devoir accompli, souffrez que je le dise; moi aussi : « Je suis pur du sang de « tous, Dieu sauvera mon âme ». (Ac 20) Dites ce que vous voudrez, dites le vrai motif pour lequel vous rompez avec nous, et je vous répondrai. Mais vous ne le direz pas. Vous donc qui êtes fidèles, je vous en conjure, faites tous vos efforts désormais et pour vous affermir vous-mêmes, et pour ramener les transfuges, afin que, réunis et unanimes, nous rendions grâces à Dieu, à qui gloire dans les siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE 12 - Ep 4,17: JE VOUS DIS DONC ET JE VOUS CONJURE PAR LE SEIGNEUR,

1200 DE NE PLUS MARCHER COMME LES GENTILS QUI MARCHENT DANS LA VANITÉ DE LEURS PENSÉES, QUI ONT L'INTELLIGENCE OBSCURCIE DE TÉNÈBRES. (Ep 4,17)

Analyse.

1 et 2. Vanité des vanités : ce qu'il faut entendre par là.
3. Vanité du paganisme et de la philosophie paienne. — Superstitions ridicules des païens.

1201 1. Le maître, pour instruire pleinement ses disciples et les mettre dans la bonne voie, ne doit pas se borner à des conseils et à des leçons : il faut encore qu'il effraie ses auditeurs, qu'il les cite devant Dieu. Quand les paroles humaines sont insuffisantes, comme venant de simples compagnons d'esclavage, à toucher les âmes, il faut alors faire intervenir le Seigneur. Ainsi fait Paul. Il a parlé précédemment de l'humilité, de l'unité, du devoir d'éviter les discordes mutuelles. Ecoutez comment il parle maintenant : « Je vous dis donc et vous conjure par le Seigneur, de ne plus marcher comme les gentils ». Il ne dit pas: De ne plus marcher comme vous marchez : le reproche serait trop dur; il dit la même chose, en se servant d'un exemple étranger. C'est ce qu'il fait encore dans ce passage de son épître aux Thessaloniciens, où il dit : « Et non dans la passion de la convoitise, comme les autres nations ». (1Th 4,5) Votre religion vous distingue des gentils: mais (501) cela ne vient que de Dieu : moi, je vous demande ce qui dépend de vous, une conduite, une vie selon Dieu: cela, c'est votre affaire. Je prends Dieu à témoin de mes paroles : je ne vous ai rien caché, je vous ai dit comment vous devez vous conduire. « Dans la vanité de leur esprit ». En quoi consiste la vanité de l'esprit? Dans la vanité des occupations. Mais quelles sont les choses vaines, sinon toutes celles du monde, dont l'Ecclésiaste dit : « Vanité des vanités, tout est vanité ». (Qo 1,2) Mais on dira : si tout est vanité, d'où vient qu'il existe quelque chose? Si tout est l'ouvrage de Dieu, comment tout peut-il être vanité? On ne tarit point là-dessus. Mais écoute, mon cher auditeur : En disant vanité, le Sage n'entend pas parler des ouvrages de Dieu, à Dieu ne plaise! le ciel n'est point vanité, la terre non plus, loin de nous cette pensée : pas plus que le soleil, la lune et les astres, pas plus que notre corps : toutes ces choses sont . excellentes. Où est donc la vanité? Ecoutons les propres paroles de l'Eclésiaste : « Je me suis planté des vignes, je me suis fait des chanteurs et des chanteuses, je me suis fait des piscines d'eau, j'ai eu des bergeries et des étables, j'ai amassé de l'or et de l'argent; et j'ai vu que tout est vanité». (Qo 2,5) Et encore : « Vanité des vanités, tout est vanité ». Ecoutez encore le Prophète : « Il thésaurise et ne sait pas pour qui il amassera ces choses ». (Ps 38,7) Ainsi, vanité des vanités que les palais magnifiques, que l'abondance des richesses, que les troupeaux d'esclaves marchant fièrement sur la place publique, que l'orgueil et la jactance, que l'outrecuidance et la présomption. Toutes ces choses sont vaines; car elles ne sont pas l'ouvrage de Dieu, mais le notre. Mais pourquoi sont-elles vaines? Parce qu'elles n'ont pas une bonne fin.

Les richesses sont vaines, quand on les dépense en luxe; elles ne sont pas vaines, quand on les prodigue aux pauvres Quand on les dépense en luxé, voyons quelle en est la fin : de la graisse, des vents, des excréments, des migraines, le ramollissement, l'échauffement, la langueur du corps. Le voluptueux ressemble à un homme qui s'évertuerait à remplir un tonneau percé. On appelle encore vaine une chose qu'on a crue honorable et qui ne l'est point c'est le sens où l'on prend quelquefois le mot « vide » et le mot « frivole », par exemple en parlant des espérances. Et en général on dit d'une chose qu'elle est vaine quand elle n'est bonne à rien. Voyons donc si les choses humaines n'ont pas ce caractère. « Mangeons et buvons : car nous mourrons demain ». (1Co 15,32) Quelle est donc la fin, dites-moi? Le trépas. Habillons-nous, parons-nous, quelle sera la tin? Le néant. Quelques-uns des païens ont touché à cela dans leur philosophie, mais sans succès : ils ont enseigné une vie de privations, mais sans viser par là à rien d'utile, et dans le seul intérêt de leur gloire et de leur vanité. Or qu'est-ce que la gloire humaine? Rien. Si ceux qui la donnent périssent, à plus forte raison en est-il ainsi de la gloire elle-même. Celui qui procure à autrui de la gloire, devrait commencer par s'en procurer à lui-même: sinon, comment pourrait-il en donner à autrui? Et pourtant nous recherchons les suffrages d'hommes vils, méprisables, déshonorés. Que peut être une gloire pareille?

1202 2. Voyez-vous que tout est vanité des vanités? De là cette parole : « Dans la vanité de leur esprit ». N'est-ce pas ainsi qu'il faut caractériser leur religion? Les objets de leur culte ne sont-ils pas des pierres et du bois? Dieu a fait le soleil comme un flambeau pour nous éclairer : qui est-ce qui se prosterne devant son flambeau? Le soleil nous fournit sa lumière : mais, en son absence, une lampe fait le même office : pourquoi donc n'adorez-vous pas votre lampe? Je le fais, diront-ils, j'adore le feu. O dérision ! et vous ne rougissez point d'un pareil sacrilège ! Considérez encore ceci: Pourquoi éteindre ce que vous adorez? Pourquoi l'anéantir? Pourquoi tuer votre Dieu? Pourquoi lui défendre d'envahir toute votre maison? Si le feu est Dieu, qu'il dévore votre corps, et ne posez pas sur votre Dieu le fond d'une marmite : introduisez-te plutôt dans la chambre où sont vos trésors, vos étoffes précieuses. Mais loin de là : qu'il vienne à se glisser chez vous par l'imprudence de quelqu'un, vous le chassez de toutes ses retraites, vous appelez tout le monde à votre secours; vous gémissez, vous pleurez comme s'il s'agissait d'une bête féroce, et vous traitez de calamité la venue de votre Dieu dans votre maison. Moi, j'ai un Dieu, et je fais tout mon possible pour le garder dans mon coeur, et je mets ma béatitude non à recevoir sa visite dans ma maison, mais à l'attirer dans mon coeur. (502) Attirez donc, vous aussi, le feu dans votre coeur. Dérision, vanité que tout cela. Le feu est bon pour qu'on s'en serve et non pour qu'on l'adore; c'est un esclave, un serviteur, un ministre, et non pas un maître : il est fait pour moi, et non pas moi pour lui. Si vous adorez le feu, pourquoi rester étendu sur votre lit de parade, tandis que votre cuisinier a ordre de rester auprès de votre Dieu? Chargez-vous en personne de ces soins; faites-vous boulanger, ou forgeron, si vous aimez mieux. Ces arts sont les plus nobles de tous, puisque votre Dieu les visite. Pourquoi mépriser des industries qui vous rapprocheraient de votre Dieu et les confier dédaigneusement à des esclaves. Le feu est une excellente chose, car il est l'ouvrage d'un artiste excellent : mais il n'est pas Dieu : il est seulement l'oeuvre de Dieu. Ne voyez-vous pas combien il est indiscipliné? Une fois qu'il a pris à une maison, il ne s'arrête plus. Il détruit sans relâche tout ce qu'il trouve à sa portée; et, à défaut d'ouvriers ou de toute autre main pour réprimer ses fureurs, il ne connaît ni amis, ni ennemis: tout lui est bon. Voilà votre Dieu, et vous ne rougissez pas ! Ah ! elle est bien vraie, cette parole : « Dans la vanité de leur esprit ».

Mais le soleil, du moins, est un Dieu, dira-t-on. Pourquoi cela, et comment, dites-moi? Est-ce à cause de la vive lumière qu'il projette? Mais ne voyez-vous pas que les nuages en triomphent, que les lois de la nature l'asservissent, qu'il s'éclipse, que la lune et les nues amortissent son éclat? D'ailleurs les nuages lui sont inférieurs en puissance: néanmoins ils prévalent souvent sur lui, et c'est une marque de la sagesse divine. Dieu doit se suffire à lui-même : or le soleil a besoin de mille choses, ce qui n'est pas d'un Dieu. Pour luire il lui faut de l'air, un air subtil : car un air épais ne laisserait point passer les rayons : il lui faut de l'eau, et un obstacle qui l'empêche de tout consumer. Si les sources, les lacs, les fleuves et les mers ne formaient une certaine humidité par l'exhalaison de leurs vapeurs, rien ne saurait préserver l'univers d'une conflagration. Vous voyez donc, dira-t-on,que c'est un Dieu. O délire ! ô dérision! C'est un Dieu, attendu qu'il est capable de nuire ! C'est un Dieu parce qu'il n'a besoin d'aucun secours pour faire le mal, et de beaucoup de secours pour opérer le bien ! La nature divine n'admet point le mal dans son essence : les bienfaits, voilà ce qui la caractérise. Si donc ces choses répugnent entre elles, comment le soleil serait-il Dieu? ne voyez-vous pas que les plantes vénéneuses sont nuisibles d'elles-mêmes, et ont besoin de beaucoup de choses pour devenir des remèdes? C'est à cause de vous que le soleil est ce qu'il est, à savoir beau et infirme : beau, afin que vous reconnaissiez le Seigneur par son moyen; infirme, afin que vous ne le confondiez pas avec le Seigneur.

Mais, dira-t-on, il nourrit les plantes et les graines. A ce compte, le fumier aussi devrait être Dieu, car il nourrit également. Et pourquoi ne pas réputer telles aussi et la faux, et les mains du laboureur. Montrez-moi que le soleil nourrisse de lui-même et sans le secours de la terre, de l'eau; du labourage; qu'il suffise de répandre la semence pour que ses rayons fassent naître les épis. Que si ce n'est pas uniquement son oeuvre, mais encore celle des pluies, pourquoi ne pas faire pareillement de l'eau une divinité? Mais laissons ce point pour le présent. Pourquoi ne pas diviniser la terre? et le fumier? et le hoyau? Nous allons donc tout adorer ! Quelle sottise ! Et pourtant l'épi naîtrait plus aisément sans soleil, que sans terre et sans eau : de même pour les plantes et pour tout le reste. Si la terre n'existait point, rien de tout cela ne verrait le jour. Mettez de la terre dans un pot, comme font quelquefois les femmes et les enfants, et répandez là-dessus une épaisse couche de fumier; vous pourrez garder ce pot sous votre toit, des plantes, faibles à la vérité, pourront encore y pousser. La terre et le fumier jouent donc un plus grand rôle dans la végétation, et, par conséquent, seraient plus dignes d'adoration que le soleil. Celui-ci a besoin du ciel, besoin de l'air, besoin des eaux, comme d'un frein pour réprimer les ravages que sa force pourrait causer, et l'empêcher de déchaîner partout ses rayons comme des coursiers fougueux. Et dites-moi, ou est-il durant la nuit? Où émigre ce Dieu? La nature divine ne comporte point ces limites : elles sont le propre des corps. Mais on dira : il y a une force en lui, il se meut. Et cette force est un Dieu, dites-moi? Mais alors d'où vient qu'elle a besoin de quelque chose et ne peut contenir le feu des rayons? Je ne puis (lue répéter ce que j'ai dit. Qu'est-ce maintenant que celte force? Le pouvoir d'éclairer réside-t-il en elle, ou éclaire-t-elle par le moyen du soleil, sans (503) participer en rien de la lumière? Alors elle est inférieure au soleil. Jusques à quand nous perdrons-nous dans ce labyrinthe?

1203 3. Mais l'eau? n'est-elle pas aussi une divinité? disent-ils. Quelle ridicule obstination ! Comment ne verrions-nous pas un Dieu dans ce qui nous sert à tant d'usages? Voilà ce qu'on dit, et l'on répète la même chose pour la terre. Quelle vérité dans ces paroles : « Dans la vanité de leur esprit, ayant l'intelligence obscurcie de ténèbres ». Mais voici qui s'applique à la conduite. Les païens sont fornicateurs et adultères. Rien de plus naturel. Se forgeant des dieux pareils, ils ont une vie conforme à leurs croyances, et s'ils peuvent échapper aux yeux des hommes, personne n'est désormais capable de les retenir. — L'idée de la résurrection est impuissante ; ils la traitent de fable. De même pour l'enfer. Et contemplez cette aberration satanique. Quand on leur parle de dieux fornicateurs, ils ne voient pas là de fable, ils croient tout; et quand on leur parle du châtiment, ils répondent : Inventions de poètes, afin de renverser toutes les bases de la vie bienheureuse.

Mais les philosophes, dira-t-on, ont inventé de belles doctrines, supérieures à celles-là de tout point. Comment? Sont-ce ceux qui font jouer un rôle à la fatalité, excluent la Providence du monde, et attribuent tout, non à quelque dessein concerté, mais à une pure combinaison d'atomes? Sont-ce ceux qui nous proposent un Dieu corporel? Lesquels donc, dites-moi? Ceux qui supposent que les hommes ressemblent par l'âme aux chiens, et veulent nous faire croire que l'on a été précédemment chien, lion, poisson (1)? — Quand aurez-vous fini de déraisonner, de penser dans les ténèbres? Tout prouve en effet qu'ils sont dans les ténèbres, leurs paroles, leurs actions, leurs doctrines, leurs démarches. Celui qui est dans les ténèbres ne voit rien de ce qui est sous ses yeux ; et souvent il prend une corde pour un serpent. S'il vient à s'accrocher à une palissade, il s'imagine qu'un homme ou un démon le retient : de là mille frayeurs, mille alarmes... Tels sont les objets de leur crainte

1 Les pythagoriciens.

« Ils craindront où il n'y aura pas sujet de « crainte ». Au contraire, ce qui devrait les effrayer ne les effraie point. Il en est des païens comme de ces enfants qui approchent leurs mains du feu sans précaution, s'élancent témérairement des bras de leurs nourrices vers la lumière des lampes, et qui tremblent à la vue d'un homme revêtu d'un sac. De même ces païens, à qui un des leurs (2) a dit justement : Grecs, vous êtes toujours enfants; les païens, dis-je, craignent certaines choses qui ne sont point des péchés, comme la malpropreté, le deuil, le lit, l'attente, que sais-je encore ? Mais, quant aux péchés véritables, comme la sodomie, l'adultère, la fornication, ils n'en tiennent aucun compte. Ils se lavent quand ils ont touché un mort, mais non pas quand ils ont fait des oeuvres de mort. Ils se donnent beaucoup de peine pour l'argent, et suspendent toute affaire, s'ils viennent à entendre le chant d'un coq, tant ils ont l'esprit aveuglé. Mille terreurs assiègent leur âme ; par exemple : Un tel est le premier qui m'ait rencontré, au moment où je sortais de chez moi; nécessairement il va m'arriver malheur sur malheur. Mon coquin d'esclave, en me donnant mes chaussures, m'a présenté d'abord celle de droite : accidents fâcheux, injures. Moi-même, en sortant, j'ai avancé d'abord le pied gauche : présage de malheur. Voilà pour les mauvais présages de la maison; dehors, un mouvement de mon oeil droit m'annonce des larmes (2).

1 Platon.
2 Le texte parait altéré ici.

Les femmes tirent de même des pronostics des bruits que la navette et le peigne font rendre aux baguettes du métier; si le peigne, promené avec trop de force sur la trame cause un cliquetis de baguettes, c'est pour elles encore un signe ; et on en citerait mille autres aussi ridicules. Qu'un âne vienne à braire, un coq à chanter, quelqu'un à éternuer, qu'il arrive quelque chose d'imprévu, aussitôt, comme je le disais, ces captifs, ces aveugles entrent en défiance, et montrent plus de craintes serviles qu'un millier d'esclaves. Ne les imitons pas; sachons rire de tout cela, comme des hommes pour qui luit la lumière, comme des citoyens du ciel, qui n'ont rien de commun avec la terre, et ne craignons qu'une chose : pécher, offenser Dieu... Excepté cela, bravons tout avec le diable, auteur de ces chimères. En conséquence, rendons grâces à Dieu ; efforçons-nous et d'éviter nous-mêmes un pareil esclavage, et d'en arracher ceux de (504) nos amis qui peuvent y être tombés, tirons-les de cette affreuse, de cette ridicule captivité, rendons-les plus dispos pour monter au ciel, ranimons leurs ailes engourdies, enseignons-leur la morale et la doctrine de la sagesse. Rendons grâces à Dieu en toute occurrence. Prions-le de ne pas nous déclarer indignes du présent qui nous a été fait; et en outre, faisons de notre côté, notre devoir, afin de ne pas enseigner seulement par nos discours, mais encore par notre exemple. Par là, nous pourrons obtenir la félicité sans mesure; à laquelle Unissions-nous tous parvenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.








Chrysostome sur Eph 1100