Chrysostome sur Eph 1300

HOMÉLIE XIII - Ep 4,17-24: JE VOUS DIS DONC, ET JE VOUS CONJURE PAR LE SEIGNEUR,

1300 DE NE PLUS MARCHER COMME LES GENTILS QUI MARCHENT DANS LA VANITÉ DE LEURS PENSÉES, QUI ONT L'INTELLIGENCE OBSCURCIE DE TÉNÈBRES, ENTIÈREMENT ÉLOIGNÉS DE LA VIE DE DIEU, PAR L'IGNORANCE QUI EST EN EUX, A CAUSE DE L'AVEUGLEMENT DE LEUR COEUR, QUI, AYANT PERDU TOUT ESPOIR, SE SONT LIVRÉS A L'IMPUDICITÉ, A TOUTES SORTES DE DISSOLUTIONS, A L'AVARICE. (Ep 4,17-24)

Analyse.

1 et 2. De l'aveuglement volontaire. — Le vieil homme et l'homme nouveau.
3 et 4. Les moines et les religieuses au temps de saint Jean Chrysostome. — Règles moins rigoureuses è l'usage des faibles. — Vertus des femmes, proposées en exemple aux hommes.

1301 1. Cela ne s'adresse point seulement aux Ephésiens ; c'est encore à vous que ce langage est tenu, non par nous, mais par Paul lui-même, ou plutôt, ni par nous, ni par Paul, mais par la grâce de l'Esprit. Soyez donc dans les dispositions qui conviennent pour écouter une pareille voix. Et d'abord, écoutez ce qu'elle vous dit : « Je vous dis donc, et je vous conjure par le Seigneur, de ne plus marcher comme les gentils, qui marchent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l'intelligence obscurcie de ténèbres, entièrement éloignés de la vie de Dieu, par l'ignorance qui est en eux, à cause de l'aveuglement de leur coeur ». Mais si c'est ignorance, aveuglement, que leur reprochez-vous? Quiconque ignore ne doit point être puni, ni réprimandé, mais instruit des choses qu'il ignore. Mais considérez comment aussitôt il leur enlève cette excuse : « Qui, ayant perdu tout espoir, se sont livrés à l'impudicité, à toutes sortes de dissolutions, à l'avarice. Pour vous, ce n'est pas ainsi que vous avez été instruits touchant le Christ ». Il montre ici que leur aveuglement provient de leur conduite ; et que leur conduite est un fruit de leur propre négligence et de leur apathie. « Qui, ayant perdu tout espoir, se sont livrés ». Ainsi donc, quand vous entendrez dire que Dieu les a livrés au sens réprouvé (Rm 1,23), souvenez-vous de cette parole, qu'ils se sont livrés eux-mêmes. S'ils se sont livrés eux-mêmes, comment Dieu les a-t-il livrés ? Ou si c'est Dieu, comment eux-mêmes se sont-ils livrés? (505) Vous voyez cette apparente contradiction ? Mais « Dieu les a livrés », signifie ici : Dieu les a laissés aller. Voyez-vous qu'en l'absence d'une vie pure, de pareilles doctrines prennent facilement naissance ? « Quiconque fait le mal », est-il écrit, « hait la lumière, et ne vient pas à la lumière ». (Jn 3,20)

Comment concevoir qu'un pervers, un homme prostitué à toutes les femmes, à l'image de ces pourceaux qui se vautrent dans les bourbiers, qu'un avare, qu'un homme sans souci de la tempérance, puisse adopter un genre de vie comme le nôtre ? Voilà les occupations dont ils font métier, dit l'apôtre. De là leur aveuglement, de là le crépuscule répandu sur leur esprit. La plus brillante lumière pâlit, quand on a les yeux faibles; or, les yeux s'affaiblissent, soit par suite d'un afflux d'humeurs malignes, soit par l'abondance trop grande du liquide qu'ils recèlent. C'est la même chose ici : quand le flux des choses mondaines vient à submerger notre intelligence, elle se trouve dans. l'obscurité ; et comme si nous étions au fond de l'eau, nous devenons hors d'état de voir le soleil, à cause de la barrière que l'eau dont nous sommes couverts oppose à nos regards. C'est ainsi que s'aveuglent également les yeux de notre raison, quand nulle crainte n'ébranle notre âme. « La crainte de Dieu n'est pas devant ses yeux », est-il écrit; et encore : « L'insensé a dit dans son coeur : il n'y a pas de Dieu ». (Ps 13,1-3) Cet aveuglement provient d'une seule cause, l'apathie : voilà ce qui obstrue nos organes. Quand- une humeur vient à se concentrer et à se condenser dans un endroit, le membre devient insensible et comme mort; brûlez-le, coupez-le, faites ce que vous voudrez, il ne sent plus rien. De même, une fois que les hommes dont je parle se sont abandonnés à la débauche, employez le discours pour les guérir, à la façon du fer ou du feu, rien ne les touche, rien ne pénètre jusqu'à eux; le membre est paralysé; si vous ne guérissez pas cette insensibilité, si vous n'attendez pas que le membre soit sain, vous perdez votre peine. « A l'avarice ». C'est ici particulièrement qu'il leur ôte toute excuse. Il ne tiendrait qu'à eux, s'ils le voulaient, d'éviter l'avarice, l'incontinence, la gourmandise, les voluptés; ils pourraient ne toucher à l'argent, au plaisir, au luxe, qu'avec modération ; mais une fois qu'ils ont abusé, tout est perdu. « A toutes sortes de dissolutions ». Voyez-vous comment par là il leur ôte tout recours? Il montre qu'ils n'ont point péché par accident, mais par coutume, et, pour ainsi dire, par métier : « A toutes sortes de dissolutions ».

Par dissolutions, entendez l'adultère, la fornication, la sodomie, l'envie, tous les genres d'intempérance et de débauche. « Pour vous, ce n'est pas ainsi que vous avez été instruits touchant le Christ, si toutefois vous l'avez écouté, et si vous avez appris de lui, selon la vérité de sa doctrine (20, 21) ». Ces mots : « Si toutefois vous l'avez écouté », ne marquent point ici un doute, mais une affirmation expresse ; c'est ainsi qu'on lit ailleurs « Si pourtant il est juste devant Dieu, qu'il rende l'affliction à ceux qui vous affligent ». (2Th 1,6) En d'autres termes : Ce n'est pas ainsi que vous avez été instruits touchant le Christ. « Si toutefois vous l'avez écouté, et si vous avez appris de lui, selon la vérité de sa doctrine, à dépouiller, par rapport à votre première vie, le vieil homme (22) ». Ainsi, c'est encore être instruit touchant le Christ, que de bien vivre. Celui qui vit mal, méconnaît Dieu, et il est méconnu de lui. Ecoutez plutôt ce que dit ailleurs le même Paul : « Ils confessent qu'ils connaissent Dieu, et ils le nient par leurs oeuvres ». (Tt 1,16) « Selon la vérité de sa doctrine, à dépouiller, par rapport à votre première vie, le vieil homme ». En d'autres termes : Ce ne sont pas là vos conventions. Parmi nous, ce n'est pas la vanité qui règne, mais la vérité; si les dogmes sont vrais, la vie ne l'est pas moins. C'est le péché et le mensonge; qui sont vanité; quant à la bonne conduite, c'est vérité ; car la fin en est sublime : la débauche, au contraire, aboutit au néant. « Qui se corrompt par les désirs de son erreur ». Si ses désirs sont corrompus, il l'est également lui-même.

1302 2. Comment donc ses désirs sont-ils corrompus ? Tout se dissout par la mort : écoutez le prophète qui nous dit : « En ce jour périront « toutes ses pensées ». (Ps 114,4) Et ce n'est pas seulement par la mort, c'est de mille autres manières: par exemple, la beauté s'enfuit devant la maladie et la vieillesse, elle meurt, elle se flétrit. La force du corps succombe aux mêmes atteintes : la mollesse elle-même ne goûte plus les mêmes plaisirs, la vieillesse venue. C'est ce que nous fait voir l'histoire de (506) Bérzellaï, qui vous est certainement connue (2R 19) Ou enfin, c'est la passion elle-même qui détruit celui qu'elle dévore. Le vieil homme est comparable à la laine qui vient des bêtes et périt par les bêtes. On peut être victime, et beaucoup l'ont été de l'avarice, des plaisirs, et dupe de la passion. Car à vrai dire, ce n'est point volupté, mais amertume et illusion, leurre et comédie : l'extérieur a bonne apparence, mais au fond, on ne trouve que misère, détresse, dégoûts, pénurie complète : ôtez le masque, mettez le visage à nu : la déception vous apparaîtra. Car il y a déception, quand une chose semble différente de ce qu'elle est réellement. Ainsi naît l'erreur.

Paul nous décrit quatre hommes : je vais vous les montrer si vous le voulez. D'abord, en voici deux, dans ces paroles: « Ayant dépouillé le vieil homme, renouvelez-vous dans l'esprit de votre âme, et revêtez-vous de l'homme nouveau ». Il fait mention de deux autres dans l'épître aux Romains : « Mais je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit, et me captive sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres ». (Rm 7,23) Ceux-ci ont du rapport avec les autres, l'homme intérieur avec l'homme nouveau, l'homme extérieur avec le vieil homme : Néanmoins il y en a trois qui ont succombé. Mais que dis-je? Ils sont trois encore aujourd'hui, le nouveau, l'ancien, et l'homme essentiel ou naturel. — « Renouvelez-vous dans l'esprit de votre âme (23) ». Pour qu'on n'aille pas croire qu'après avoir nommé l'ancien homme et le nouveau, il en introduit ici un troisième, considérez comment il parle : « Renouvelez-vous ». Il y a renouvellement, quand ce qui était vieux rajeunit, en vertu d'une transformation. De sorte que le sujet reste le même, et que le changement n'intéresse que les accidents. Car il en est de ceci comme du corps qui reste le même, en dépit des changements qui peuvent survenir dans ses phénomènes. Mais comment doit s'opérer ce renouvellement? « Dans l'esprit de votre âme ». Quiconque gardera en soi quelque chose d'ancien n'arrivera à rien : car l'esprit répugne à tout ce qui est ancien, « L'esprit de votre âme », c'est-à-dire : l'esprit qui est dans votre âme. « Et revêtez-vous de l’homme nouveau (24) ». Voyez-vous que le personnage reste le même, et qu'il se dépouille seulement d'un habit pour en revêtir un autre ? « De l'homme nouveau, qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité ». Pourquoi appelle-t-il homme la vertu, et homme encore le vice ? Parce que sans opération l'homme ne serait pas manifesté. En sorte que cela contribue non moins que la nature à manifester l'homme, soit bon, soit mauvais. Mais s'il est facile de se dépouiller d'un vêtement, il en est de même pour le vice et la vertu. L'homme jeune est fort : de même soyons forts, nous aussi, pour la pratique du bien. L'homme jeune n'a point de rides : n'en ayons pas davantage. L'homme jeune marche droit, et résiste aux atteintes de la maladie : résistons-y pareillement. « Qui a été créé ». Voyez comment il appelle ici création la réalisation de la vertu, son passage du néant à l'être. Mais quoi ! cette autre création n'est-elle pas selon Dieu ? Nullement, mais selon le diable: c'est le diable qui est l'auteur du péché. Comment cela? Parce que l'homme n'a pas été créé seulement avec de lit terre et de l'eau, mais encore dans la justice et la sainteté de la vérité. Qu'est-ce à dire? c'est-à-dire que Dieu l'a créé fils du premier coup : car ce titre remonte au baptême: voilà notre essence... Remarquez ces mots : « Dans la justice et la sainteté de la vérité ». Il y avait autrefois de la justice et de la sainteté chez les Juifs ; mais ce n'était pas une sainteté, une justice de vérité ; c'étaient de simples images. La pureté du corps, en effet, n'était qu'une figure de la pureté, et n'en était point la réalité ; de même la justice existait, non en réalité, mais en figure. « Dans la sainteté et la justice de la vérité ». Peut-être aussi a-t-il ici en vue le mensonge de ces infidèles, qui se font passer faussement pour justes.

Par justice, entendez la vertu en général. Le Christ a dit : « Si votre justice n'abonde pas plus que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux ». (Mt 5,20) Il est encore écrit: « Celui qui est sans reproche est appelé juste». (1Jn 3,9) De même, dans les jugements, nous appelons juste celui qui a été offensé et n'a point rendu la pareille. Si donc au terrible jugement nous pouvons paraître justes les uns à l'égard des autres, nous pourrons obtenir quelque miséricorde. Car à l'égard de Dieu, la chose est impossible, quelle qu'ait pu être notre conduite: l'avantage de la justice (507) est, en effet, toujours de son côté, comme dit le prophète : « Et tu triompheras dans les jugements ». (Ps 50,6) Mais si nous n'avons pas enfreint la justice à l'égard de notre prochain, si nous pouvons montrer que nous avons subi l'iniquité, alors nous serons justifiés. Mais puisque nous sommes déjà vêtus, pourquoi nous dire encore: « Revêtez-vous?» C'est qu'il parle maintenant de la conduite et des actions. Notre premier vêtement nous est venu du baptême : celui-ci, nous le devrons à nos oeuvres, non plus selon les désirs de l'erreur, mais selon Dieu. — Mais la sainteté en quoi consiste-t-elle ? Dans la pureté, dans l'acquittement de notre dette. Nous employons une expression tirée de là pour désigner les derniers devoirs rendus aux morts : c'est comme si nous disions : Je ne leur dois plus rien, ils n'ont plus rien à réclamer de moi. Nous nous servons encore de termes de ce genre pour dire: « J'ai payé mon tribut, je suis quitte (1) »

1. Ce passage ne peut être rendu qu'approximativement en français, vu l'impossibilité de trouver parmi les dérivés de notre mot saint, des équivalents propres à exprimer toutes tes idées.

1303 3. C'est donc à nous qu'il appartient de ne pas quitter ce vêtement de justice que le prophète appelle encore vêtement de salut, afin de nous rendre semblables à Dieu, qui, lui aussi, est vêtu de justice. Tel doit être notre vêtement. Quant à cette expression revêtir, elle revient à celle-ci : Ne jamais quitter. Ecoutez plutôt le langage du prophète : « Il a revêtu la malédiction comme un vêtement, et elle viendra à lui»; et encore: « Celui qui se revêt de lumière comme d'un manteau ». (Ps 108,18 Ps 103,2) Nous employons de même cette expression en parlant des hommes; nous disons : « Un tel s'est revêtu d'un tel ». Ainsi donc ce n'est pas un jour, ni deux, ni trois, c'est toujours que nous devons rester dans la vertu, sans jamais nous dépouiller de ce vêtement. En effet, il y a moins d'indécence pour l'homme à avoir le corps nu, qu'à se montrer dépouillé de vertu. Dans le premier cas, son indécence n'a pour témoins que les compagnons de son esclavage; dans le second les témoins sont le Maître et les anges. Ne seriez-vous pas choqué, dites-moi, si vous voyiez un homme paraître tout nu sur la place publique? Que dirons-nous donc de vous, qui courez sans le vêtement dont je parle? Ne voyez-vous pas en quel état circulent ces mendiants que nous appelons « Lotages », et quelle pitié ils nous inspirent? Néanmoins ils sont sans excuse : nous ne pardonnons point à des gens qui ont perdu leurs habits en jouant aux dés. Comment donc Dieu pourrait-il nous pardonner, si nous perdons le vêtement de la vertu? Dès que le diable voit un homme dépouillé de vertu, aussitôt il lui noircit le visage, le souille, le meurtrit, et le soumet à toutes sortes de violences. Dépouillons-nous des richesses pour n'être point dépouillés dé la justice : les richesses ne font que gâter ce vêtement : elles sont comme un manteau d'épines; plus nous porterons sur nous de ces épines, plus notre nudité augmentera. L'incontinence nous dépouille aussi de notre vêtement : car c'est un feu, un feu qui le consume. L'argent est une teigne : comme la teigne, il ronge tout et n'épargne pas même les étoffes précieuses. Jetons donc bas toutes ces choses, afin que nous devenions justes, afin que nous revêtions l'homme nouveau. Ne conservons rien d'ancien, rien d'apparent, rien de corruptible. La vertu n'est pas si difficile à acquérir ni à pratiquer.

Considérez ceux qui vivent sur les montagnes : ils quittent maison, femmes, enfants, affaires : isolés du monde, revêtus d'un cilice, couverts de cendres, le cou emprisonné, ils s'enferment dans un humble réduit, et, non contents de cela, ils s'épuisent de jeûnes prolongés. Si je vous prescrivais d'en faire autant, ne vous enfuiriez-vous pas tous au loin? Ne déclareriez-vous pas mes exigences intolérables? Je ne réclame rien de pareil : je me borne à souhaiter, sans imposer rien. Prenez des bains, soignez votre corps, allez sur la place publique, gardez votre maison, vos serviteurs, buvez et mangez; mais bannissez impitoyablement la cupidité. Voilà l'origine du péché : tout excès devient péché : ainsi la cupidité n'est pas autre chose. Voyez plutôt quand la colère outrepasse ses justes bornes, alors elle déborde en injures, elle s'emporte à toutes les iniquités . de même pour l'amour sensuel, pour l'amour des richesses, de la gloire, que sais-je encore? Et ne venez pas me dire que les hommes dont je parle ont pu ce qui vous est impossible : beaucoup étaient plus malades que vous, plus riches, plus voluptueux, qui ont embrassé cette sévère et rigoureuse règle de vie.

Que dis-je, des hommes? des vierges parvenues à peine à la vingtième année, qui n'étaient jamais sorties de l'ombre de la maison où elles vivaient, au milieu des parfums et des suaves odeurs, couchées sur des lits moelleux, des filles délicates, gâtées encore par mille recherches, sans autre occupation que la toilette, le luxe, et les raffinements du bien-être, incapables de se servir elles-mêmes, et entourées pour cet usage d'une foule de suivantes, des filles revêtues d'habits trop moelleux même pour leur mollesse, de souples et fines étoffes de lin, des filles qui ne cessaient de respirer l'odeur des roses et mille autres aussi délicieuses : les voilà qui tout à coup, embrasées de l'amour du Christ, se dépouillent de tout ce faste, de toute cette indolence, oublient le luxe et les plaisirs de leur âge, et pareilles à des athlètes généreux, renoncent à toutes ces douceurs pour se jeter au milieu des combats. Peut-être accuserez-vous mes paroles d'invraisemblance : mais je ne dis que la vérité. Je sais, oui, je sais que des filles délicates en sont venues à ce point d'austérité, de revêtir leur nudité des plus durs cilices, de laisser sans chaussures leurs pieds délicats, de dormir sur un lit de feuillage : que dis-je? elles passent à veiller la plus grande partie des nuits. Loin de penser aux parfums ou à mille autres de leurs frivolités passées, elles vont jusqu'à négliger cette tête, jadis objet de tant de soins, et se bornent à rattacher leurs cheveux au hasard, afin d'éviter l'indécence. Elles ne font qu'un repas le soir; et à ce repas elles ne mangent ni légumes ni pain, mais seulement de la farine, des fèves, des pois chiches, des olives et des figues; elles ne cessent de filer, et s'imposent des tâches bien plus rudes que ne sont celles des servantes. Elles se sont prescrit de soigner les femmes malades; elles portent leurs lits; elles leur lavent les pieds; beaucoup vont jusqu'à faire la cuisine: tant est puissante la flamme du Christ; tant le zèle peut prévaloir sur la nature. D'ailleurs je n'exige de vous rien de pareil, puisque vous voulez vous laisser dépasser par des femmes.

1304 4. Faites du moins ce qui n'a rien de pénible : maîtrisez vos mains et le dérèglement de vos regards. Que voyez-vous là de difficile ou de malaisé? Pratiquez la justice, ne faites tort à personne, que vous soyez riche ou pauvre, marchand ou mercenaire : car l'injustice peut pénétrer jusque chez les pauvres. Ne voyez-vous pas combien de batailles ils livrent, combien de bouleversements ils provoquent? Mariez-vous, ayez des enfants : Paul écrivait aussi pour les gens mariés, et leur adressait aussi ses instructions. La lutte dont je vous ai parlé est une lutte sublime; le rocher est trop haut, la cime trop voisine du ciel; vous ne pouvez monter jusque-là : visez donc plus bas. Vous ne pouvez renoncer aux richesses au moins, ne dépouillez pas autrui, ne commettez pas l'injustice. Vous ne pouvez pas jeûner : au moins, ne vous plongez pas dans la mollesse. Vous ne pouvez pas dormir sur un lit de feuillage? Que l'argent, du moins, n'enrichisse pas votre couche; ayez un lit, des couvertures qui ne soient point faites pour la montre, mais pour le repos : point de lits d'ivoire, point d'ostentation. Pourquoi charger votre radeau de tant de marchandises? Si vous savez vous modérer, vous ne,craindrez rien, ni l'envie, ni les voleurs, ni les rapines. Vous êtes moins riches d'argent que de soucis; moins bien pourvus de trésors que d'angoisses et de dangers : « Ceux qui veulent être riches, introduisent chez eux les tentations et les convoitises funestes ». (1Tm 6,9) Voilà à quoi s'exposent ceux qui veulent posséder beaucoup de biens. Je ne vous dis pas: Donnez vos soins aux malades : du moins chargez de cela votre serviteur.

Voyez-vous que mes recommandations n'ont rien de bien rigoureux? Songez plutôt à ces filles délicates qui nous devancent de si loin. Ah ! rougissons de voir que dans les choses du monde, comme la guerre et la lutte, nous sommes si loin de céder l'avantage à leur sexe; et qu'au contraire elle nous surpassent dans les combats spirituels, nous préviennent quand il s'agit de ravir la palme, et s'élèvent, dans leur vol sublime, aussi haut que l'aigle, tandis que nous, pareils à des corbeaux, nous ne pouvons nous élever au-dessus de la fumée d'ici-bas: oui, à des corbeaux, ou à des chiens gloutons, nous qui ne rêvons que de table et de cuisine. Rappelez-vous les femmes de l'ancien temps : car il y en eut de grandes, d'admirables, comme Sara, Rébecca, Rachel, Débora, Anne; le temps du Christ aussi en a vu de pareilles; néanmoins elles ne surpassaient pas les hommes et n'occupaient que le second rang. Aujourd'hui c'est tout le contraire : des femmes nous surpassent, nous éclipsent. Quelle dérision ! quelle ignominie! Nous (509) occupons la place de la tête, et nous nous laissons surpasser par le corps? Si nous avons été investis de l'autorité sur les femmes, ce n'est pas seulement pour les gouverner, c'est encore pour les gouverner selon la vertu. Car c'est par la supériorité de vertu que celui qui domine doit principalement dominer : s'il reste inférieur par ce côté, il cesse d'être le maître.

Voyez-vous quels miraculeux effets a produits la venue du Christ? comment elle a levé la malédiction? Les vierges sont plus nombreuses parmi les femmes, la chasteté est moins rare chez elles ainsi que la fidélité au veuvage; les femmes sont moins promptes à proférer des paroles grossières. Pourquoi donc en proférez-vous, dites-moi? Car ne venez pas me parler des femmes perdues. Ce sexe aime la parure, c'est son défaut. Mais en ce point encore les hommes les dépassent, eux qui se parent de leurs femmes comme d'objets de luxe. Je ne pense pas qu'une femme soit aussi fière des ajustements qu'elle porte que son mari l'est lui-même; la femme n'est pas si fière de sa ceinture dorée, que son mari n'est fier de la voir portée par sa femme. Les vrais coupables, c'est donc nous-mêmes, qui soufflons sur cette étincelle, qui attisons cette flamme. D'ailleurs, la faute ne saurait être imputée aussi sévèrement à la femme qu'à l'homme. Vous avez été chargé de la conduire ; en tout, vous réclamez le premier rang; montrez donc par votre exemple que vous ne tenez nullement à ce faste. La parure sied mieux à la femme qu'à l'homme. Si donc vous ne l'évitez pas, comment l'évitera-t-elle ? Les femmes ont de la vanité, mais ce défaut leur est commun avec les hommes; elles sont sujettes à la colère, et nous pareillement. Mais leurs qualités leur appartiennent, au contraire, en propre : je veux dire la chasteté, la ferveur, la religion, l'amour du Christ. Pourquoi donc, dira-t-on, ont-elles été exclues de la chaire de prédication? C'est encore une preuve de la grande distance qui existe entre elles et nous, et de la grandeur des femmes de ce temps. Quand Paul, Pierre, et maint autre saint prêchait, fallait-il, dites - moi, qu'une femme envahît cette fonction? Mais aujourd'hui nous sommes arrivés à un point de corruption tel, qu'il y a lieu de s'enquérir pourquoi les femmes n'enseignent pas, quand nous sommes devenus aussi faibles qu'elles. Si je parle ainsi, ce n'est point pour leur inspirer de l'orgueil, mais pour nous instruire, nous avertir nous-mêmes, et nous engager à ressaisir l'autorité qui nous appartient, non à titre de domination, mais à titre de gouvernement, de direction et de supériorité morale. Le corps ne sera dans l'état où il doit être, que lorsque l'autorité appartiendra au meilleur. Puissions-nous tous, hommes et femmes, vivre selon la volonté de Dieu, afin d'obtenir tous, au jour redoutable du jugement, la miséricorde du Seigneur, et d'entrer en possession des biens qui nous sont promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur.


HOMÉLIE XIV - Ep 4,25-30 C'EST POURQUOI, QUITTANT LE MENSONGE, QUE CHACUN DISE LA VÉRITÉ

1400 AVEC SON PROCHAIN, PARCE QUE NOUS SOMMES MEMBRES LES UNS DES AUTRES. IRRITEZ-VOUS ET NE PÉCHEZ POINT ; QUE LE SOLEIL NE SE COUCHE POINT SUR VOTRE COLÈRE. NE DONNEZ POINT LIEU AU DIABLE. (Ep 4,25-30)

Analyse.

1. Contre le mensonge.
2. Nécessité de l'union.
3 et 4. Contre les mauvaises paroles.

1401 1. Après avoir parlé du vieil homme en général, voici qu'il le décrit en détail. L'enseignement le plus facile à comprendre est celui qui procède ainsi. Que dit-il donc? « C'est pourquoi, quittant le mensonge». Quel mensonge? les idoles? Nullement : elles sont bien, elles-mêmes, un mensonge : mais il ne s'agit pas d'elles ici ; car les Ephésiens n'avaient rien de commun avec elles : il s'agit du mensonge dans leurs relations mutuelles, de l'astuce, de la fourberie. « Que chacun dise la vérité avec son prochain ». Puis vient ceci, qui est plus persuasif : « Parce que nous sommes membres les uns des autres : en conséquence, que personne ne trompe son prochain » : c'est ainsi qu'on lit çà et là chez le psalmiste : « Des lèvres perfides sont dans son coeur, et dans son coeur il a dit le mal ». (Ps 11,43) Il n'est rien, non rien, d'aussi propre à engendrer la haine que la tromperie et l'astuce. Voyez comme partout l'Ecriture se sert, pour nous faire rentrer en nous-mêmes, d'exemples empruntés au corps. Que l'oeil ne trompe pas le pied ; ni le pied, l'oeil. Supposez une fosse profonde, recouverte par en haut de chaume que recouvre lui-même une couche de terre : les yeux à qui ce piège offrira l'apparence d'un terrain solide ne recourront-ils pas au pied pour s'assurer s'il n'y a par dessous que du vide, ou bien un sol ferme et résistant; le pied, alors, mentira-t-il, déclarera-t-il autre chose que la vérité? Ou bien encore, si l'oeil vient à apercevoir un serpent ou une bêle féroce, trompera-t-il le pied? ne se hâtera-t-il pas de l'avertir, de telle sorte que le pied, instruit du péril, suspende sa marche ? Ou encore, quand le discernement n'est plus l'affaire de l'oeil ni du pied, mais uniquement de l'odorat, quand il s'agit, par exemple, de reconnaître si un breuvage est, ou non, un poison, l'odorat en impose-t-il à la bouche? Nullement. Pourquoi? parce qu'il se perdrait lui-même : voilà pourquoi il communique son impression. Et la langue? Est-ce qu'elle trompe l'estomac? ne rejette-t-elle point ce qui est amer? ne laisse-t-elle point passer ce qui est doux? Considérez cet échange de services et de bons offices; considérez cette sollicitude, cet empressement de sincérité. C'est ainsi que nous devons éviter le mensonge, si nous sommes membres les uns des autres. C'est un gage d'amitié, c'est tout le contraire de la haine. Et si l'on veut me tromper ? direz-vous. Ecoutez la vérité : si l'on voulait vous tromper, on ne serait plus un de vos membres. II est dit : Ne mentez pas à vos membres.

« Irritez-vous, et ne péchez point ». Considérez sa sagesse. Il nous enseigne à éviter le péché, et, d'autre part, il n'abandonne point les indociles : il ne renonce point à ses entrailles spirituelles. C'est ainsi qu'un médecin indique ait malade tout ce qu'il doit faire, et ne le néglige point, lors même qu'il résiste, (511) recommence, au contraire, à mettre en oeuvre auprès de lui la persuasion afin de le guérir... Celui qui s'éloignerait dans ce cas, montrerait qu'il ne recherche que la gloire, et qu'un pareil mépris l'humilie : mais l'autre s'inquiétant seulement de la santé du malade, ne vise qu'à une chose, à son rétablissement. Ainsi fait Paul. Il dit : Ne mentez point : que si à la suite d'un mensonge, il s'est produit de la colère, il s'empresse d'apporter remède à ce nouveau mal. Que dit-il, en effet? Irritez-vous, et ne péchez point. C'est une bonne chose que de ne point s'irriter : si cependant on se laisse emporter à cette passion, que ce ne soit pas, du moins, jusqu'à cet excès : « Que le soleil », dit-il, « ne se couche point sur votre colère ». Vous voulez vous rassasier de colère : une heure, deux, trois, vous suffisent : que le soleil en disparaissant ne vous laisse point en état d'inimitié. Il s'est levé par un effet de bonté : qu'il- ne s'éloigne pas après avoir lui sur des indignes. Si c'est le Seigneur qui l'a envoyé dans sa bonté infinie, s'il vous a pardonné vos tintes et que vous ne les remettiez pas à votre prochain, voyez quel crime sera le vôtre. Autre chose : Saint Paul a eu peur de la nuit : il a craint que, trouvant dans la solitude l'offensé, encore dévoré de colère, elle n'attise l'incendie. Tant que le jour est là pour vous distraire par mille objets, vous pouvez vous rassasier de courroux : mais quand le soir va venir, réconciliez-vous, éteignez le naissant incendie. Car si vous vous laissez surprendre par la nuit, le jour suivant ne suffira pas lui-même à éteindre les colères amoncelées pendant la nuit : quand bien même vous vous seriez déchargé d'une partie de votre fardeau, si vous en conservez quelque chose, ce qui reste suffit pour rendre la flamme plus ardente à la faveur de la nuit. Quand le soleil n'a pas réussi à éclaircir, à dissiper par son ardeur, pendant le jour, les nuages et les brouillards amassés durant la nuit, ce qu'il en reste, bientôt augmenté d'autres, devient l'origine d'une tempête nocturne. « Ne donnez point lieu au diable ». Ainsi se faire mutuellement la guerre, c'est donner lieu au diable. Car alors, au lieu de nous unir et de nous serrer pour lui tenir tête, nous renonçons à lui faire la guerre pour nous exciter les uns contre les autres. Car le diable n'est nulle part à sa place comme au milieu des discordes.

1402 2. De là naissent d'innombrables maux. Tant que les pierres demeurent unies et ne laissent point de vide entre elles, le mur est inébranlable : mais il suffit d'un trou de l'épaisseur d'une aiguille, d'une fente où puisse passer un cheveu, pour tout détruire et tout ruiner. Il en est de même pour le diable. Tant que nous restons bien unis, bien serrés, aucune de ses armes ne trouve passage : mais pour peu qu'une mince ouverture se montre, il se précipite par là comme un torrent. En toute chose, il n'a besoin que d'un commencement; et la difficulté pour lui est de le trouver; mais ce point une fois obtenu, il s'est bientôt mis au large. Dès lors les oreilles sont ouvertes à la calomnie ; les menteurs trouvent crédit car c'est la haine qui juge, et elle se soucie peu de la vérité. Et si, entre amis, les accusations fondées sont elles-mêmes réputées fausses, là où règne l'inimitié, le mensonge même est censé vérité : c'est un esprit tout autre, un tout autre jugement; à l'impartialité succède la prévention. De même qu'il suffit d'un morceau de plomb jeté dans une balance pour l'entraîner, de même ici il suffit de la haine, poids bien plus lourd que le plomb. Je vous en conjure donc : faisons tous nos efforts pour étouffer nos ressentiments avant le coucher du soleil. Si vous n'avez pas su les vaincre le premier jour ou le jour suivant, souvent ils durent une année entière l'inimitié croît alors d'elle-même et s:1ns nul secours étranger. Elle nous fait interpréter faussement les paroles, les gestes, les plus simples démarches; par là, elle nous aigrit, nous rend farouches et pires que des insensés; un nom même lui coûte à dire ou à entendre, elle ne sait plus que vociférer des injures. Comment donc faire pour dompter notre colère, pour éteindre notre rancune? Il faut songer à nos propres péchés, au compte que nous devons à Dieu; songer que la vengeance dirigée contre notre ennemi retombe sur nous-mêmes; songez que nous faisons plaisir au diable, à notre véritable ennemi, en persécutant pour lui un de nos membres. Vous voulez être rancunier et vindicatif : soyez-le donc, mais contre le diable, et non contre un de vos membres. Si Dieu nous a armés de colère, ce n'est pas pour que nous nous frappions nous-mêmes de cette épée, c'est pour que nous la plongions dans la poitrine du diable. Là vous pouvez, si vous le voulez, (512) l'enfoncer jusqu'à la garde, et plus haut que la garde, et ne jamais la retirer, que dis-je? redoubler avec un autre glaive. C'est ce qui arrivera, si nous nous faisons grâce à nous-mêmes, si nous vivons en paix les uns avec les autres. Fi des richesses, fi de la gloire et de la renommée ! mes membres sont à mes yeux plus précieux que tout le reste. — Disons-nous cela à nous-mêmes : N'allons pas nous attaquer à notre propre substance, pour acquérir des richesses, pour obtenir de la gloire.

« Que celui qui dérobait ne dérobe plus (23) ». Voyez-vous les membres du vieil homme? Mensonge, rancune, rapine. Pourquoi ne dit-il pas : « Que le voleur soit puni, mis à la question, à la torture », mais : « Qu'il ne dérobe plus, mais plutôt qu'il s'occupe en travaillant de ses mains à ce qui est bon, pour avoir de quoi donner à qui souffre du besoin? » Où sont ceux qui s'appellent Cathares (1), ces hommes souillés qui osent se parer d'un tel nom? On peut, oui, l'on peut se décharger de ses iniquités, à condition qu'on ne se borne pas à ne plus pécher, mais qu'on s'applique encore à quelque bonne oeuvre. Voyez-vous comment il faut se purifier de ses fautes? Ces hommes ont volé : c'est pécher; ils n'ont pas volé : ce n'est pas là se décharger de ses péchés. Que faut-il pour cela? Travailler, et donner aux autres : c'est par là qu'ils peuvent s'acquitter. Il ne nous est pas prescrit seulement de travailler, mais de travailler de manière à nous fatiguer, et à faire du bien aux autres : le voleur aussi fait un métier, mais un mauvais métier.

1 Ou les Purs : autre nom des Novatiens.

« Qu'aucun discours mauvais ne sorte de votre bouche (29) ». Qu'est-ce qu'un discours mauvais? Ce qui est nommé ailleurs : Discours inutile, à savoir dénigrement, propos obscènes, bouffonneries, sottises. Voyez comment Paul extirpe les racines de la colère : le mensonge, le vol, les conversations déplacées ! Quant à cette expression : «Qu'il ne dérobe « plus », elle est mise là moins par indulgence pour les coupables, que pour adoucir les victimes, et les engager à se contenter de n'avoir pas à craindre une récidive. Il a raison de parler aussi des paroles. Car nous ne répondons pas seulement de nos actions, mais encore de nos propos. « Mais seulement ceux qui peuvent être bons pour édifier la foi, et donner la grâce à ceux qui les écoutent ». En d'autres termes : dites seulement ce qui peut édifier le prochain, et rien de superflu.

1403 3. En effet, si Dieu vous a donné une bouche et une langue, c'est pour lui rendre grâces, c'est pour édifier le prochain : si donc vous ne pouvez que ruiner l'édifice, il vaut mieux vous taire et ne jamais parler. Si les mains d'un maçon n'étaient propres qu'à détruire et non à bâtir, elles mériteraient d'être coupées. Le Psalmiste le dit : « Le Seigneur exterminera toutes les lèvres perfides». (Ps 11,4) Voilà l'origine de tous les maux, la bouche: ou plutôt ce n'est pas la bouche, mais l'abus qu'on en fait quelquefois. De là les injures, les invectives, les blasphèmes, les excitations à la volupté, les meurtres, les adultères, les vols, enfin tous les crimes. Les meurtres? direz-vous; et comment cela? L'injure produit la colère; la colère, les coups; les coups, l'homicide. Et les adultères? Une telle vous aime, elle a dit du bien de vous; votre sévérité se relâche; et, à votre tour, la convoitise s'allume chez vous. De là ces mots de Paul : « Mais seulement ceux qui peuvent être bons ». Il y a tant d'espèces de paroles, qu'il est bien forcé de désigner vaguement celles qu'il nous recommande de proférer, et le genre d'entretien qu'il nous prescrit. Comment le désigne-t-il? En disant : « Pour édifier ». Ou bien il parle ainsi, afin que celui qui vous écoute vous sache gré. Par exemple, votre frère a commis un adultère: ne divulguez pas sa faute. Ne lui parlez pas non plus avec hauteur : loin de lui être utile, ce serait lui nuire, en provoquant son ressentiment. Mais vous lui rendrez un grand service, si vous lui indiquez la conduite à tenir; si vous lui enseignez à veiller sur sa langue, à ne médire de personne, vous l'aurez instruit et obligé grandement : si vous l'entretenez de la componction, de la piété, de l'aumône, tout cela est bon pour adoucir son âme, et il vous en saura gré. Au contraire, si vous lui tenez des propos bouffons ou obscènes, vous ne faites qu'envenimer son mal; si vous lui faites l'éloge du vice, vous le perdez, vous le tuez. Voilà ce qu'on peut dire : ou bien Paul a parlé ainsi pour nous rendre aimables: car les bonnes paroles sont comme un parfum : elles charment tous ceux qui y ont part. De là cette parole : « Votre nom est un parfum répandu ». (Ct 1,2) Paul veut que nous exhalions cette bonne odeur. Voyez-vous (513) comment il revient ici encore sur un précepte qui lui est familier, en prescrivant à chacun d'édifier son prochain selon son pouvoir? Si vous donnez ce conseil aux autres, avant tout, donnez-le à vous-même.

« Et ne contristez point l'Esprit-Saint ». Nouveau et plus grand sujet de crainte et d'effroi. Paul en parlé aussi dans son épître aux Thessaloniciens, lorsqu'il dit (1Th 4,8) «Celui qui dédaigne, ne dédaigne pas un « homme, mais Dieu ». C'est la même chose ici. Si vous proférez une parole outrageante, si vous frappez votre frère, ce n'est pas lui que vous frappez; c'est l'Esprit que vous contristez. Suit la mention d'un bienfait qui rend le reproche plus sévère : « Et ne contristez point l'Esprit-Saint, dont vous avez reçu le sceau pour le jour de la rédemption ». Voilà celui qui a fait de nous un troupeau royal, celui qui nous a séparés de tout le passé, qui nous a tirés du milieu de ceux qui sont sous le coup de la colère divine : et vous le contristez? Voyez quelle menace dans ces paroles : « Celui qui dédaigne, ne dédaigne pas un homme, mais Dieu »; et quelle persuasion dans celles-ci : « Ne contristez pas l'Esprit-Saint, dont vous avez reçu le sceau ». Ce sceau doit rester sur votre bouche; ne brisez pas le cachet. Une bouche spirituelle ne profère point de semblables paroles. Ne dites pas : Ce n'est rien que d'avoir dit une obscénité, que d'avoir injurié quelqu'un, C'est justement parce que ce n'est rien à vos yeux, que c'est un grand mal. On est prompt à négliger ce qu'on regarde comme rien : or, ce qu'on néglige s'accroît, et en s'accroissant devient incurable. — Vous avez une bouche spirituelle? Songez à la première parole que vous avez prononcée, et voyez quelle est la dignité de votre bouche. Vous nommez Dieu votre Père, et voici que vous injuriez votre frère? Demandez-vous à quel titre vous donnez à Dieu ce nom de: Père. Qui vous en donne le droit? La nature? Vous ne sauriez le prétendre. La vertu? Pas davantage. Quoi donc? Une bonté, une charité, une miséricorde infinie. Au moment donc où vous appelez Dieu votre Père, ne vous dites pas seulement qu'un langage injurieux ne sied pas à la noblesse d'une telle origine, mais encore que cette noblesse, vous la devez à la bonté. Ne la déshonorez donc point, en usant de dureté avec vos frères, vous que la bonté a favorisés. Vous appelez Dieu votre Père, et vous lancez l'outrage? Cela n'est point d'un fils de Dieu... Le propre d'un fils de Dieu, c'est de pardonner à ses ennemis, de prier pour qui le crucifie, de verser son sang pour qui le hait. Ce qui sied à un fils de Dieu, c'est de prendre pour, frères et pour héritiers ceux qui le haïssent, ceux qui le payent d'ingratitude, ceux qui le volent, l'outragent ou conspirent contre lui, et non d'injurier comme des esclaves ceux qui sont devenus ses frères.

1404 4. Rappelez-vous les paroles que votre bouche a proférées; de quels aliments se nourrit-elle, quel est le festin qui l'attire, le mets qui calme sa faim? Vous croyez ne faire aucun mal en accusant votre frère? Comment donc le nommez-vous votre frère? Et s'il qe l'est pas, comment dites-vous : «Notre Père »; car ce mot « Notre » atteste qu'il s'agit de plusieurs personnes. Songez auprès de qui vous vous trouvez au temps des mystères : avec les chérubins, avec les séraphins. Les séraphins ne disent point d'injures : leur bouche ne remplit qu'une seule fonction : glorifier, louer Dieu. Comment donc pouvez-vous dire avec eux : « Saint, saint, saint», après avoir abusé de votre bouche pour l'injure? Dites-moi, supposez un vase royal, toujours plein d'aliments royaux, et mis en réserve pour cet usage; qu'ensuite un des serviteurs s'en serve pour y déposer des immondices : osera-t-il ensuite replacer avec les autres vases mis en réserve celui qu'il aura profané de la sorte? Nullement. Eh bien ! voilà la médisance, voilà l'insulte.

« Notre Père ». Eh bien ! est-ce tout ? Ecoutez la suite: « Qui êtes aux cieux ». A peine avez-vous dit : « Notre Père qui êtes aux « cieux » : cette parole vous a relevés, vous a donné des ailes, vous a fait voir que vous avez un Père dans les cieux. Que vos actions, vos discours, ne soient plus de la terre. Vous voilà établis là-haut, agrégés au choeur céleste, pourquoi redescendre volontairement? Vous êtes debout auprès du trône royal, et vous injuriez, et vous ne craignez pas que le roi ne s'en trouve offensé. Si pourtant un de nos serviteurs, en notre présence, s'avise de frapper ou d'injurier, même justement, son compagnon, nous le réprimandons aussi, nous trouvant nous-mêmes offensés: et vous qui êtes debout avec les chérubins auprès du trône royal, vous insultez votre frère? Vous voyez ces vases sacrés? n'ont-ils pas toujours le même usage? (514) Qui oserait les faire servir à autre chose ? Vous, vous êtes plus sacrés, bien plus sacrés que ces vases : pourquoi donc vous souiller, vous avilir? Vous êtes dans les cieux, et vous injuriez? Vous vivez avec les anges, et vous injuriez? Vous avez été jugés dignes du baiser du Seigneur, et vous injuriez ? Dieu a donné à votre bouche une magnifique parure : des hymnes angéliques, une nourriture plus qu'angélique, le baiser de ses propres lèvres, ses propres embrassements, et vous injuriez? Ne faites pas cela, je vous en conjure. C'est la source de grands maux, c'est un objet d'aversion pour une âme chrétienne.

Nos paroles ne vous persuadent pas, ne vous font pas rentrer en vous-mêmes? Il faut donc vous effrayer : écoutez ce que dit le Christ : « Celui qui aura dit à son frère, fou, sera soumis à la géhenne du feu ». Si une simple étourderie a pour conséquence la géhenne, quel tourment n'encourra pas l'insolence? Habituons notre bouche à la retenue : la retenue nous attire de grands bénéfices, l'emportement de grands dommages : et il n'est pas ici besoin de dépense. Fermons la porte, tirons le verrou; soyons pénétrés de componction, si jamais une parole violente s'est échappée de nos lèvres ; prions Dieu, prions l'offensé; ne croyons pas en cela nous abaisser : c'est nous que nous avons frappés, et non pas autrui. Comme remède, usons de la prière et de la réconciliation avec l'offensé. Si nous veillons ainsi sur nos paroles, à plus forte raison devrons-nous régler pareillement nos actions. Entendons-nous nos amis ou quelque autre personne médire du prochain, ou l'insulter, demandons-leur compte et raison de leurs paroles. En résumé convainquons-nous que c'est pécher : car il nous sera alors aisé de nous corriger. Puisse le Dieu veiller sur votre esprit, sur votre langue, et les protéger par l'inexpugnable rempart de sa crainte, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire au Père et au Saint-Esprit.



Chrysostome sur Eph 1300