Chrysostome sur Héb. I 700

HOMÉLIE 7 EMPRESSONS-NOUS DONC D'ENTRER DANS CE REPOS, DE PEUR QUE QUELQU'UN DE NOUS NE TOMBE DANS UNE DÉSOBÉISSANCE SEMBLABLE

700 A CELLE DE CES INCRÉDULES. CAR ELLE EST VIVANTE ET EFFICACE LA PAROLE DE DIEU; ELLE PERCE PLUS QU'UNE ÉPÉE A DEUX TRANCHANTS; ELLE PÉNÈTRE JUSQUE DANS LES REPLIS DE LAME ET DE L'ESPRIT, JUSQUE DANS LES JOINTURES ET DANS LA MOELLE DES OS; ELLE DÉMÊLE LES PENSÉES ET LES MOUVEMENTS DU COEUR. NULLE CRÉATURE NE LUI EST CACHÉE, CAR TOUT EST A NU ET A DÉCOUVERT DEVANT LES YEUX DE CELUI AUQUEL NOUS PARLONS. (He 4,11-16, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)

Analyse.

1. Combien la foi est salutaire. — Dangers de l'incrédulité. — Rien n'échappe à l'oeil de Dieu.
2. Images énergiques et terribles employées par saint Paul pour peindre la puissance de la parole divine.
3. La miséricorde de Dieu est une munificence royale. — Les vieillards doivent, comme les jeunes gens, courir dans la carrière de la vertu. — Vices des vieillards contemporains de Chrysostome.
4. La vieillesse est honorable par elle-même.

701 1. La foi est une vertu grande et salutaire; sans elle, nous ne pouvons être sauvés. Mais la foi ne suffit pas, il faut encore mener une vie pure. Voilà pourquoi Paul, s'adressant à ces hommes initiés aux mystères du Christ, leur parle en ces termes . « Empressons-nous d'entrer dans son repos». — «Empressons-nous», dit-il, « appliquons-nous ». La foi ne suffit pas, il faut y joindre une vie pure et un zèle ardent. Car il faut avoir un zèle véritable et ardent pour monter au ciel. Si des hommes qui avaient enduré dans le désert tant de souffrances et de calamités n'ont -pas été jugés dignes d'entrer dans la terre promise et n'ont pu atteindre cette terre, parce qu'ils s'étaient livrés à la fornication, comment serions-nous jugés dignes du ciel, nous qui menons une vie inconsidérée; lâche et inactive? Il faut donc avoir beaucoup de zèle. Mais remarquez que, selon lui, la punition du pécheur ne consiste pas uniquement à ne pas entrer dans le repos de Dieu. Il ne s'est pas borné à dire: Efforçons-nous d'entrer dans ce repos, pour ne pas nous voir privés de si grands biens. Il a ajouté quelque chose qui est bien capable d'éveiller nos esprits. Qu'a-t-il donc ajouté? Il a continué en ces; termes : « De peur « que quelqu'un De tombe dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules », ce qui veut dire que nous devons nous appliquer, nous arranger de manière à ne pas tomber, comme, eux. Il nous donne là un exemple, de l'incrédulité humaine. Ne tombons pas où ils sont tombés, dit-il. Mais n'allez pas vous appuyer sur ces mots pour croire que Dieu. se bornera à vous punir, comme il les a punis; écoutez ce que l'apôtre ajoute : « La parole de Dieu est vivante et efficace; elle perce plus qu'une épée à deux tranchants; elle pénètre jusque dans les replis de l'âme et de l'esprit, jusque dans les articulations, jusque dans la moelle des os; elle démêle les pensées et les mouvements du coeur ». Il montre ici la puissance de cette parole de Dieu toujours vivante et immortelle. Ce n'est pas une simple parole, ne le croyez pas, ne vous bornez pas à ce mot : Cette parole est plus perçante qu'un glaive.- Voyez comme il poursuit, et apprenez ici pourquoi les prophètes ont été obligés de parler du glaive, de l'arc et de l'épée de Dieu. « Si vous ne vous convertissez pas », dit le Psalmiste, « il dirigera contre vous son glaive; son arc est déjà tendu ; son arc est déjà prêt ». (Ps 7,13)

Si aujourd'hui, après tant d'années, lorsque tant d'événements se sont accomplis, il ne suffit pas à l'apôtre de ce seul mot, la parole de Dieu, pour frapper son auditoire, s'il a besoin de tout cet attirail d'expressions, pour montrer par la compas raison combien la parole de Dieu est puissante, cela était nécessaire à plus forte raison, au temps des prophètes. « Pénétrant jusque dans les replis de l'âme et de l'esprit ». Que signifient ces mots? Quelque chose de terrible. L'apôtre nous montre la parole de Dieu séparant l'âme de l'esprit ou pénétrant même les substances immatérielles, et ne se bornant pas à percer les corps, comme le glaive. Il montre ici la punition de l'âme, la parole de Dieu qui en fouille les profondeurs et qui pénètre l'homme tout entier. « Elle démêle les pensées et les mouvements du coeur, et nulle créature ne lui est cachée ».. C'est par là surtout qu'il les épouvante. Vous avez beau avoir la foi, leur dit-il, si cette foi n'est pas accompagnée d'une persuasion pleine et entière, ne soyez pas. pleinement rassurés. Dieu jugera ce que vous avez dans le coeur ; car c'est jusque-là qu'il pénètre, pour vous examiner et vous punir. Et pourquoi parler des hommes? Passez en revue les anges, les archanges, les chérubins, les séraphins, les (483) créatures quelles qu'elles soient, tout, pour l'oeil de Dieu, est à découvert, tout est clair et manifeste pour lui, rien ne peut lui échapper. « Tout est à nu et dépouillé devant les yeux de Celui dont nous parlons». Ce mot « dépouillé » est une métaphore tirée des victimes écorchées. Quand un sacrificateur, après avoir égorgé la victime, sépare la peau de la chair, il met à nu les moindres fibres qui apparaissent alors à nos yeux : c'est ainsi que, sous l'oeil de Dieu, apparaissent clairement et dans un jour complet, les moindres fibres de notre âme. Voyez comme saint Paul a toujours besoin de recourir à des images matérielles; c'est que ses auditeurs étaient faibles d'esprit. Ce qui prouve cette faiblesse, c'est qu'il les traite quelque part d'êtres maladifs, auxquels il faut,du lait, auxquels il. ne faut pas une nourriture solide. « Tout est nu et dépouillé », dit-il, « aux yeux de Celui duquel nous parlons».

Mais que signifient ces mots : « Dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules? » lis ont pour but de répondre à ceux qui demanderaient pourquoi ces hommes n'ont point vu la terre promise. Ils avaient reçu un gage de la puissance de Dieu et, au lieu de croire en lui, ils ont cédé à la crainte, et, sans que Dieu leur donnât aucun avis qui pût, les effrayer, ils ont péri victimes de leur pusillanimité et de leur découragement. On peut dire encore qu'après avoir fait la plus grande partie du chemin, sur le seuil même de la terre promise, en arrivant au port, ils ont sombré. Voilà ce que je crains pour vous, dit l'apôtre, et tel est le sens de ces paroles : « Dans une à désobéissance semblable à celle de ces incrédules », car eux aussi ils ont beaucoup souffert, et c'est ce qui est attesté par saint Paul, quand il dit : « Souvenez-vous de ces anciens jours où vous avez été éclairés par les combats que vous avez eu à soutenir contre la souffrance». (He 10,32) Loin de nous donc la pusillanimité et l'abattement! Ne perdons pas courage à la fin de la lutte. il y a des athlètes en effet qui sont tout feu et tout flamme, en commençant le combat, et qui, pour n'avoir pas voulu faire encore quelques efforts, ont tout perdu. L'exemple de vos pères, dit. saint Paul, suffit pour vous instruire et pour vous empêcher de souffrir ce qu'ils ont souffert eux-mêmes. Voilà ce que veulent dire ces mots: « Ne tombez pas dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules ». Ne nous relâchons pas, dit l'apôtre, ne perdons pas nos forces. Et c'est ce qu'il dit encore en terminant: «Relevez vos mains languissantes et fortifiez vos genoux affaiblis ». (He 12,12) « Il ne faut pas», dit-il, « que vous tombiez dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules ». C'est là en effet une chute bien réelle. Puis, pour que vous ne vous attendiez pas à subir seulement, comme peine de cette chute, le même genre de mort qu'eux, voyez ce qu'il ajoute : « La parole de Dieu est vivante et efficace; elle est plus perçante qu'un glaive à deux tranchants».

Oui : la parole de Dieu est le mieux affilé de tous les glaives; elle perce les âmes; elle leur porte des coups mortels et leur fait de mortelles blessures. Ce qu'il dit là, il n'est pas nécessaire qu'il le démontre, qu'il le prouve et qu'il l'établisse; l'exemple qu'il cite en dit assez. A quelle guerre en effet, sous quel glaive ont-ils succombé ? Ne sont-ils pas tombés d'eux-mêmes ? Si nous n'avons pas souffert autant qu'eux, ne soyons pas exempts de crainte : tant que nous pouvons dire « aujourd'hui », relevons-nous et réparons nôs forces. Après avoir ainsi parlé, de peur que ses auditeurs, en apprenant ces châtiments de l'âme, ne restent froids et languissants, il ajoute à ces châtiments des peines corporelles, en faisant entendre que Dieu, armé du glaive spirituel de sa parole, fait comme un souverain qui punit ses officiers coupables de quelque grande faute. Il leur ôte le droit de servir dans ses armées, il leur ôte leur ceinturon et leur grade, et les condamne à une peine proclamée par la voix du crieur public. Puis, à propos du Fils, il laisse tomber ces mots terribles : « Celui auquel nous parlons» : c'est-à-dire, celui auquel nous devons rendre compte. Ainsi ne nous laissons pas abattre, ne nous décourageons pas. Ce qu'il a dit suffisait bien pour nous instruire; mais pour lui, ce n'est point assez et il ajoute : « Nous avons un grand pontife qui est monté au plus haut du ciel : c'est Jésus, Fils de Dieu (He 4,14) ».

702 2. Il veut par là soutenir notre courage et voilà pourquoi il ajoute : « Le pontife que nous avons n'est pas tel qu'il ne puisse compatir à nos faiblesses ». C'est encore pour cela qu'il disait plus haut : Par cela même qu'il a souffert et qu'il a été mis à l'épreuve, il est à même de secourir ceux qui sont éprouvés. Vous voyez qu'il a toujours le même but. Ce qu'il dit là revient à dire : La voie dans laquelle il était entré était encore plus rude que la nôtre; car il a fait l'expérience de toutes les misères humaines. Il avait dit: « Nulle créature ne lui est cachée », pour faire allusion à sa divinité. Mais, lorsqu'il arrive à l'Incarnation, il prend un langage plus modeste et plus humble. « Nous avons », dit-il, « un grand pontife qui est monté au plus haut du ciel», et il montre sa sollicitude pour défendre et protéger les siens, pour les préserver de toute chute. Moise, dit-il, n'est pas entré dans le repos de Dieu; mais lui, il y est entré, et comment? Je vais vous le dire. Que l'apôtre n'ait tenu hautement dans aucun passage, le langage que je lui prête, il n'y a rien d'étonnant à cela. c'est pour qu'ils ne croient pas avoir trouvé dans l'exemple de Moïse un moyen de défense, qu'il attaque indirectement Moïse lui-même; c'est pour ne pas avoir l'air de l'accuser, qu'il ne dit pas tout cela ouvertement. Car si, malgré sa discrétion, ils lui reprochaient de parler contre Moïse et contre la loi, ils se seraient récriés bien davantage, s'il -avait dit: Le lieu de repos dont je parle ce n'est pas la Palestine, c'est le ciel. Mais il ne se repose pas entièrement du soin de notre salut sur le pontife; il veut aussi que nous agissions de notre côté : il veut que nous demeurions fermes dans la foi dont nous avons fait profession. «Ayant», dit-il, «pour grand pontife, Jésus le Fils de Dieu, qui est monté au plus haut des cieux, demeurons fermes dans la foi dont nous avons fait profession ».

Qu'entend-il par là? Il veut dire que nous devons croire fermement à la résurrection, à la (484) rémunération, aux biens innombrables que Dieu nous promet, à la divinité du Christ, à la vérité de notre foi: voilà les croyances dans lesquelles nous devons rester fermes. Ce qui prouvé d'une manière évidente que la vérité est là; c'est le caractère de notre pontife. Nous ne sommes pas encore tombés; restons fermes dans notre foi quand les événements prédits né seraient pas encore arrivés, restons fermes dans nos croyances : s'ils étaient déjà arrivés, ce serait un démenti donné aux livres saints. S'ils tardent à s'accomplir, cela prouve encore que les livres saints disent la vérité. Car notre pontife est grand. — « Notre pontife n'est pas tel qu'il ne puisse compatir à nos faiblesses ». Il ne peut pas ignorer notre situation, comme tant de pontifes qui ne savent pas quels sont ceux qui sont dans l'affliction, qui ne savent pas ce que c'est que l'affliction. Car; chez nous autres hommes, il est impossible que l'on connaisse les tribulations de celui qui est persécuté, si l'on n'a pas fait soi-même l'épreuve du malheur, si l'on n'a pas souffert. Notre pontife à nous a tout souffert. Il a souffert, il est monté aux cieux; pour compatir à nos douleurs: « Il à éprouvé, comme nous, toutes sortes de tentations, hormis le péché». Voyez comme il revient sur ce mot « comme nous »; c'est-à-dire qu'il a été persécuté, conspué, accusé, tourné en ridicule, attaqué par la calomnie, chassé et enfin crucifié. « Il a souffert, comme nous, toutes sortes de tentations, hormis le péché ». Il y a encore ici une chose qu'il fait entendre, c'est que les souffrances ne sont pas incompatibles avec l'innocence, et que sans péché on peut souffrir. C'est pourquoi quand il dit « en prenant un corps semblable au nôtre », l'apôtre ne veut pas dire que cette ressemblance fût absolue, il a voulu seulement parler de l'Incarnation. Pourquoi donc ces mots : « Comme nous ? » Il a voulu faire allusion à la faiblesse de la chair, il s'était fait homme « comme nous», matériellement par là; mais, en ce qui concerne le péché, sa nature n'était pas la nôtre. « Allons donc nous présenter avec confiance devant le trône de la grâce, afin d'y recevoir miséricorde et d'y trouver le secours de sa grâce, dans nos besoins (
He 4,16) ». Quel est ce trône de la grâce? C'est ce trône royal dont il est dit : «Le Seigneur a dit, à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied». (Ps 109,1) C'est comme s'il disait : Marchons avec confiance, puisque nous avons un pontife exempt de péché, qui a vaincu le monde. «Ayez confiance », dit-il, « j'ai vaincu le monde » (Jn 16,33); ce qui veut dire qu'il connu toutes les souffrances, sans connaître le péché. Mais si nous sommes soumis au péché et s'il en est affranchi, comment ferons-nous pour nous présenter avec confiance? C'est qu'il s'agit ici du trône de la grâce et non du tribunal suprême.

« Approchons donc avec confiance », dit-il, « pour recevoir cette miséricorde que nous demandons». Cette miséricorde est de la munificence ; c'est un don royal: « Et afin d'y trouver le secours de sa grâce, quand nous le demanderons à propos ». Il a raison de dire: « Quand nous le demanderons à propos». Approchez-vous de lui maintenant; il vous fera grâce et miséricorde, parce que vous arriverez à temps. Mais si, vous vous présentez aujourd’hui, c'est inutilement; votre arrivée est inopportune; vous ne pouvez plus vous présenter devant le trône de la grâce. Vous pouvez comparaître devant ce trône, tante qu'il est occupé par le souverain dispensateur des grâces, mais une fois que les temps sont accomplis, voilà votre juge qui se dresse devant vous ! « Levez-vous, mon Dieu », dit le Psalmiste, « et venez juger la terre ». Psaume, 81 8) Disons encore avec l'apôtre : « Approchons-nous avec confiance », c'est-à-dire, sans avoir de reproche à nous faire, sans hésitation; car celui qui a quelque chose à se reprocher, ne peut pas se présenter avec confiance. C'est pourquoi il est dit ailleurs : « J'ai exaucé votre prière faite en temps opportun, et je vous ai secouru au jour du salut ». (Is 49,8) En effet, si ceux qui pèchent, après avoir reçu le baptême, ont la ressource de la pénitence, c'est là un don de la grâce : ne croyez point, parce que vous avez entendu dire que Jésus est un pontife, qu'il reste debout ; saint Paul dit qu'il est assis, quoique le prêtre ordinairement ne soit pas assis, mais se tienne debout. Vous voyez que, s'il a été fait pontife, ce n'est pas là un don de la nature, mais un don de la grâce, un effet de son abaissement volontaire et de son humilité. Disons, il en est temps encore : Approchons-nous de lui avec confiance et demandons. Nous n'avons qu’à lui offrir notre foi; il nous accordera tout. Voici le moment des libéralités; qu'on ne désespère pas de soi-même. Il sera temps de désespérer, quand la salle sera fermée, quand le roi sera entré pour voir ceux qui sont assis au festin, quand les patriarches auront reçu dans leur sein ceux qui en sont dignes. Mais aujourd'hui ce n'est pas l'heure du désespoir. Le théâtre est encore là; c'est encore le moment du combat la palme est encore incertaine.

703 3. Hâtons-nous donc. C'est Paul qui nous le dit: «Pour moi, je ne cours pas au hasard .. (1Co 9,26) Il faut courir et courir, avec ardeur. Quand on court, on ne fait pas attention aux objets environnants, aux prés dans lesquels on entre, aux chemins arides et âpres que l'on traversez. Quand on court, on ne voit pas les spectateurs, on ne voit que le prix. Qu'on ait autour de soi des riches ou des pauvres, qu'on soit en butte aux moqueries ou qu'on reçoive des éloges, qu'on vous adresse des outrages, qu'on vous lance des pierres, qu'on pille votre maison, qu'on voie devant soi ses fils, son épousé, n'importe quoi, on n'est pas distrait, à cette vue ; on ne fait attention qu'à une chose, à courir, à remporter le prix. Quand on court, on ne s'arrête pas, car la moindre lenteur, la moindre halte peut vous faire perdre tout le fruit de vos efforts. Quand on court, on ne se ralentit pas avant d'arriver au but ; que dis-je? C'est quand on est près du but qu'on redouble d'ardeur. Ce que j'en dis s'adresse à ceux qui répètent : Nous nous sommes exercés dans notre (485) jeunesse; nous avons jeûné dans notre jeunesse; aujourd'hui, nous voilà vieux !... Ah ! c'est alors surtout qu'il faut redoubler de piété. Ne racontez pas en détail vos bonnes actions. Voici le moment de vous montrer jeune et vigoureux, comme si vous étiez dans: la fleur de l'âge. Les athlètes qui disputent le prix de la course, quand la vieillesse chenue vient à les glacer, ne sont plus agiles, mais leur vigueur à eux n'est autre chose qu'une vigueur physique.

Mais vous; pourquoi ralentir votre course? Ce qu'il faut ici; c'est la vigueur de l'âme, la vigueur d'une âme toujours éveillée. Or c'est dans la vieillesse que l'âme, se fortifie; c'est alors qu'elle a le plus de vigueur; c'est alors qu'elle s'élance. Le corps a beau être fort et robuste ; tant qu'il est en proie aux fièvres, aux assauts fréquents et successifs de la maladie, les maladies minent ses forces ; mais il les recouvre, quand il est délivré des maladies qui l'assiégent. Il en est de même de l'âme. Tant que dure la jeunesse, elle a la fièvre, elle est en proie à l'amour de la gloire et des plaisirs et à une foule d'autres affections. Mais la vieillesse, en arrivant, chasse tous ces penchants matériels ; ses remèdes pour nous en guérir, sont le temps et la philosophie. En détendant les ressorts de la matière, la vieillesse ne permet pas à l'âme de s'en servir; quand même elle le voudrait; mais, comme si elle domptait ses ennemis de tout genre, elle l'élève à des hauteurs que le tumulte dès passions ne peut atteindre, elle lui donne un calme profond et lui inspire surtout une terreur salutaire. Mieux que personne en effet les vieillards savent qu'ils doivent mourir et qu'ils sont tout près de la mort. Lors donc que les passions et que les désirs mondains s'éloignent, quand on attend à chaque instant l'heure du jugement, quand cette attente triomphe de notre obstination et de notre désobéissance, comment l'âme, pour peu qu'elle soit bien disposée, ne deviendrait-elle pas plus attentive? Mais quoi? me direz-vous, ne trouve-t-on pas des vieillards plus corrompus que des jeunes gens? Vous considérez ici le vice à ses dernières limites. Ne voyons-nous pas aussi des fous furieux qui d'eux-mêmes vont se jeter dans un précipice ? Quand donc un vieillard a les maladies de la jeunesse, c'est un grand mal : un vieillard de cette espèce ne peut pas donner son âge pour excuse; il ne peut pas dire : « Ne vous souvenez plus des fautes et de l'étourderie de ma jeunesse ». (Ps 24,1) Car celui qui, dans sa vieillesse, ne change pas, montre que les fautes de sa jeunesse,viennent, non de, l'ignorance, non de l'inexpérience, non l'âge, mais d'un défaut de coeur. Pour avoir, le droit de dire : « Ne vous souvenez plus des fautes de ma jeunesse et de mon inexpérience », il faut se conduire comme un vieilard doit le faire, il faut que là vieillesse nous change: Mais si, dans notre vieillesse, notre conduite est toujours aussi honteuse, aussi déshonorante, méritons-nous le nom de vieillards, alors que nous ne respectons pas notre âge? Lorsqu'on dit: « Ne vous souvenez pas des fautes de ma jeunesse et de mon étourderie », on parle en vieillard honnête.

Ne perdez donc point l'occasion que: vous offre votre vieillesse de faire excuser les fautes de votre jeune âge. N'est-elle pas absurde et inexcusable la conduite de ce vieillard qui s'enivre, qui hante les cabarets, qui va voir les courses, qui monte, sur un théâtre, qui court avec la foule, comme un enfant? C'est grande honte et c’est chose bien ridicule d'avoir des cheveux blancs sur la tête, et la légèreté de l'enfance dans le coeur. Si la jeunesse vous outrage, vous parlez aussitôt de vos cheveux blancs: Soyez donc le premier à les respecter: Si vous ne les respectez pas, vous; vieillard, comment voulez-vous que la jeunesse les respecte? Loin de les respecter, vous les couvrez d'opprobre et d'ignominie. Dieu, en vous donnant cette couronne de cheveux blancs, a mis sur` votre front un diadème. Pourquoi méconnaître cet honneur? Comment voulez-vous que la jeunesse vous respecte, quand vous êtes encore plus dissipé, encore plus débauché que. les Jeunes gens? Les cheveux blancs sont respectables, quand celui qui les porte fait ce qu'ils commandent; mais quand le vieillard se conduit en jeune homme, il est, avec ses cheveux blancs, plus ridicule que lui. Comment oserez-vous donner des avis à la jeunesse, vous antres vieillards ivres et dissolus? Ce que j'en dis n'est pas pour accuser tous les vieillards, Dieu m'en garde! je n'accuse ici que le vieillard qui agit en jeune homme. Ceux qui agissent ainsi ;en effet, fussent-ils centenaires, ne sont à mes yeux que des jeunes, gens, de même que les jeunes gens, quand ils seraient tout jeunes, valent mieux, selon. moi, que des vieillards, quand ces jeunes gens ont la modestie et la tempérance en pariage. Et ce que je dis là n'est pas de moi; c'est l'Ecriture qui établit cette distinction . « Ce qui rend la vieillesse respectable », dit-elle, « ce n'est pas le nombre des années, le grand âge; c'est un grand nombre d'années passées dans la vertu ». (Sg 4,9)

704 4. Honneur aux cheveux blancs, non que nous ayons une prédilection pour cette couleur, mais parce que c'est la couleur de la vertu, et parce que, cet extérieur vénérable nous fait conjecturer que l'homme intérieur a aussi des cheveux blancs ! Mais un vieillard qui donné à ses cheveux blancs un démenti par sa conduite, n'en est que plus ridicule. Pourquoi honorons-nous la royauté, la pourpre, le diadème ? C'est que ce sont là les emblèmes du commandement. Mais que ce roi vêtu de pourpre vienne à être conspué, foulé aux pieds par ses satellites, saisi à la gorge, jeté en prison et déchiré, respecterons-nous encore cette pourpre et ce diadème, et ne plaindrons-nous pas cette majesté outragée? N'exigez donc pas qu'on respecte vos cheveux blancs, quand vous les outragez vous-même; c'est vous rendre coupable envers eux que d'avilir une parure si imposante et si précieuse. Mes reproches ne s'adressent pas à tous les vieillards, et ce n'est pas la vieillesse en général que j'attaque; je ne suis point assez insensé pour cela; je m'en prends à ce caractère juvénil qui déshonore la vieillesse; j'adresse ces paroles amères non pas aux vieillards, mais à ceux qui (486) déshonorent leurs cheveux blancs. Un vieillard est roi, s'il le veut; il est plus roi que le souverain revêtu de la pourpre, s'il commande à ses passions, s'il foule aux pieds les vices, comme de vils satellites. Mais s'il se laisse entraîner, s'il se dégrade, s'il se rend l'esclave de l'avarice, de l'amour, de la vanité, des raffinements de la mollesse, du vin, de la colère et dès plaisirs, s'il se parfume les cheveux, si de gaieté de coeur il fait lui-même injure à sa vieillesse, quel châtiment ne mérite-t-il pas? Quant à vous, jeunes gens, n'imitez pas les vices de ces vieillards; vous n'êtes pas excusables non plus, quand vous vous égarez. Pourquoi? C'est que dans la jeunesse on peut être mûr, et s'il y a des vieillards toujours jeunes, il y a des jeunes gens déjà vieux. Les cheveux blancs ne sont pas toujours un préservatif; mais les cheveux noirs ne sont pas un obstacle. Les vices que j'ai signalés sont plus honteux chez un vieillard que chez un jeune homme, sans que, pour cela, le jeune homme vicieux soit complètement à l'abri du blâme. La jeunesse n'est une excuse que lorsque le jeune homme est appelé au maniement des affaires. Dans ce cas son jeune âge et son inexpérience peuvent lui faire pardonner son' inhabileté. Mais faut-il déployer une sagesse virile, faut-il triompher de l'avarice, le jeune âge n'est plus, une excuse. Il y a des cas en effet ou la jeunesse est plus répréhensible que la vieillesse. Le vieillard affaibli par l'âge a grand besoin de se ménages ; mais le jeune homme qui peut, s'il le veut, se suffire à lui-même, est-il excusable de se montrer plus rapace qu'un vieillard, d'avoir plus de rancune que lui, de se montrer négligent, de ne pas être plus prompt que le vieillard à protéger les faibles, de parler sans cesse à tort et à travers, d'avoir l'injure, et la médisance à la bouche, de se livrer à l'ivrognerie? S'il croit qu'on doit lui passer toute espèce de contravention aux lois de la tempérance et de la continence, il faut remarquer qu'il a de bons moyens d'observer aussi ces deux vertus. En admettant que les désirs et les passions aient plus d'empire sur lui que sur le vieillard, on doit pourtant convenir qu'il a, pour leur résister, plus de moyens, et qu'il peut, comme par magie, endormir le monstre. Ses moyens sont les travaux, la lecture, les veilles et le jeûnez Nous ne sommes pas des moines, m'objecterez-vous, pourquoi nous tenir ce langage? Eh bien! adressez cette objection à Paul, quand il vous dit.: « Persévérez et veillez dans la prière ». (Col 4,2) « Ne cherchez point à contenter votre sensualité, en satisfaisant vos désirs ».(Rm 13,14) Ses avis en effet ne s'appliquent pas seulement aux moines, mais aux habitants des villes. Un homme du monde en effet ne doit avoir sur le moine qu'un seul avantage : celui de pouvoir cohabiter avec une épousé légitime. Il a ce droit-là, mais du reste, il a les mêmes devoirs à remplir que le moine. La béatitude dont le Christ a parlé n'est pas le privilège des moines; autrement le monde aurait péri et nous accuserions Dieu de cruauté. Si la béatitude n'est faite que pour le moine, si l'homme du monde ne peut y atteindre, et si Dieu lui-même a permis le mariage, c'est Dieu qui nous a tous perdus.. Si en effet on ne peut, quand on est marié, remplir les devoirs des moines, tout est perdu et la vertu est réduite aux: dernières extrémités. Comment donc serait-ce chose honorable crue le mariage, quand il devient pour nous un si grand obstacle? Que faut-il conclure? Il faut dire qu'il est possible et très-possible, quand on est marié, de suivre le chemin de la vertu, et de la pratiquer si l'on veut. Ayons une femme; mais soyons comme si nous n'en avions pas; ne nous enivrons pas de nos richesses; usons du monde, sans en abuser. (1Co 7,31) Si pour certains hommes le mariage est un obstacle, ça n'est pas la faute du mariage, qu'ils le sachent, bien; c'est la faute de leur volonté qui leur a fait abuser du mariage. Ce n'est pas non plus la faute du vin, si l'ivresse arrive, c'est la faute de nos goûts dépravés et, de l'abus de cette liqueur. Usez avec modération du mariage, et vous occuperez la première place dans le royaume des cieux, et vous jouirez de tous les biens. Puissions-nous tous des obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur. Jésus-Christ auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur, etc.


HOMÉLIE 8 - CAR TOUT PONTIFE, ÉTANT PRIS D'ENTRE LES HOMMES, EST ÉTABLI POUR LES HOMMES, EN CE QUI REGARDE LE CULTE DE DIEU,

AFIN QU'IL OFFRE DES DONS ET DES SACRIFICES POUR LES PÉCHÉS, ET QU'IL PUISSE ÊTRE TOUCHE, DUNE . JUSTE COMPASSION POUR. CEUX QUI PÉCHENT PAR IGNORANCE ET PAR ERREUR, COMME ÉTANT LUI-MÊME ENVIRONNÉ DE FAIBLESSE. ET C'EST CE QUI L'OBLIGE A OFFRIR LE SACRIFICE DE L'EXPIATION DES PÉCHÉS AUSSI BIEN POUR LUI-MÊME QUE POUR LE PEUPLE. (He 5,1-14)
800
Analyse.

1, 2. Sacerdoce du Christ.
3. Saint Paul reproche aux Hébreux la faiblesse de leur intelligence.
4. Comment peut-on s'habituer à discerner l'erreur de la vérité. — Devoir du lecteur dans l'église.

801 1. Saint Paul s'attache maintenant à démontrer combien le Nouveau Testament est préférable à l'Ancien, combien il lui est supérieur, et il commence par exposer les raisons sur lesquelles il se fonde. Sous la loi nouvelle, rien ne parle aux sens, il n'y a pas de représentation matérielle. Point (487) de temple, point de saint des saints, point de prêtre revêtu de l'appareil sacerdotal, point de cérémonies légales; tout est plus élevé, tout est plus parfait. Rien pour le corps; tout pour l'esprit. Or, ce qui est du ressort de l'esprit ne frappe pas les âmes faibles comme ce qui parle aux sens; voilà pourquoi l'apôtre tourne et retourne son sujet de mille manières. Voyez combien il est habile. Il nous représente d'abord le Christ comme prêtre, il ne cesse de lui donner le nom de pontife; et il part de là pour nous montrer combien il différe des autres pontifes. Il donne la définition du prêtre, il nous montre les caractères et les symboles du sacerdoce réunis dans la personne du Christ. Ce qu'on pouvait lui objecter, ce qui lui faisait obstacle, c'est qu'il n'était ni d'une haute naissance, ni d'une tribu sacerdotale, ni revêtu d'un sacerdoce terrestre. On pouvait donc craindre d'entendre sortir de quelques bouches cette question : Comment se fait-il qu'il soit prêtre? Eh bien ! Paul procède ici comme dans l'épître aux Romains. (Rm 4) Il s'était chargé de soutenir une thèse difficile: il fallait prouver que la foi opère des effets que n'ont pu opérer la loi, ni toutes les peines et tous les travaux qu'elle imposait. Pour montrer que cet effet s'est produit et qu'il pouvait se produire, il a recours à l'exemple des patriarches et il remonte aux temps anciens. C'est ainsi qu'il entre dans la seconde voie suivie par le sacerdoce, en citant d'abord les anciens pontifes. De même qu'à propos des peines infligées aux méchants, Il a cité à ses auditeurs non-seulement la géhenne, mais encore l'exemple de leurs pères; de même ici il commence par leur rappeler les faits présents à leur mémoire. Au lieu de leur montrer le ciel, pour les faire croire aux choses terrestres, il fait le contraire, en considération de leur faiblesse. Il expose d'abord les points de contact que le Christ peut avoir avec les autres pontifes, pour montrer ensuite la supériorité qu'il a sur eux. La comparaison est donc à l'avantage du Christ; puisque sous certains rapports, il y a ressemblance et affinité entre eux et lui, tandis que sous d'autres points de vue, il leur est supérieur. Autrement, à quoi aboutirait cette comparaison?

«Tout pontife pris d'entre les hommes » (He 5,1). Voilà une condition qui se rencontre dans le Christ, comme dans les autres. « Est établi pour les hommes, en ce qui tient au culte de Dieu» (He 5,1). Même observation. « Afin qu'il offre des dons et des sacrifices pour le peuple » (He 5,1). Cela est encore, jusqu'à un certain point, commun au Christ et aux autres. Mais il n'en est pas ainsi du reste: «Afin qu'il puisse être touché de compassion pour ceux qui sont dans l'ignorance et terreur». Voilà déjà un avantage que le Christ a sur les autres pontifes. « Comme étant lui-même environné de faiblesse, et c'est ce qui l'oblige à offrir le sacrifice de l'expiation des péchés, aussi bien pour lui-même que pour le peuple» (He 5,3). Puis il ajoute: Il a reçu le pontificat, mais il ne s'est pas fait lui-même pontife. Il a encore cela de commun avec les autres pontifes. « Nul ne s'est attribué à soi-même cet honneur; mais il faut y être appelé de Dieu comme Aaron (He 5,4) ». Ici c'est autre chose qu'il s'applique à démontrer, il fait voir que le Christ est l'envoyé de Dieu. C'est ce que le Christ ne cessait de dire, en conversant avec les juifs : «Celui qui m'a envoyé est plus grand que moi». (Jn 8,42) Et ailleurs : « Je ne suis pas venu de moi-même ». Selon moi, ces paroles font allusion aux pontifes juifs qui envahissaient le sacerdoce au mépris de la loi. « Ainsi Jésus-Christ ne s'est pas élevé de lui-même à la dignité de souverain pontife (He 5,5) ».Quand donc a-t-il été institué et ordonné pontife? Aaron, en effet, a été souvent institué et ordonné pontife, par la verge, par le feu du ciel, qui consuma ceux qui voulaient lui ravir le sacerdoce. Ici, rien de pareil : non-seulement il n'est pas arrivé malheur aux faux pontifes, mais ils sont en bonne odeur. Comment donc saint Paul prouve-t-il l'ordination de Jésus-Christ? Par les prophéties. Son pontificat n'a rien de matériel et ne tombe pas sous les sens. Ce qui prouve sa dignité de pontife, ce sont les prophéties, la prédiction de ce qui devait arriver, « c'est celui qui lui a dit : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd'hui » (He 5,5). Ces paroles se rapportent-elles au Fils de Dieu? Sans doute, c'est de lui qu'il s'agit ici. Mais quel rapport ces paroles ont-elles avec la question qui nous occupe? Elles en ont un très-grand. C'est la démonstration anticipée qu'il a été institué et ordonné pontife par Dieu même.

Selon qu'il lui dit aussi dans un autre endroit; «Vous êtes le pontife selon l'ordre de Melchisédech (He 5,6) ». A qui s'appliquent ces paroles? Quel est ce pontife qui est selon l'ordre de Melchisédech? Nul autre que le Christ. Tous en effet étaient soumis à là loi; tous observaient le sabbat; tous étaient circoncis. Il ne peut être ici question que du Christ. « Ainsi, durant les jours de sa chair, ayant offert avec un grand cri et avec des larmes, ses prières et ses supplications à celui qui pouvait le tirer de la mort, il a été exaucé à cause de son humble respect pour son Père (He 5,7). Et, quoiqu'il fût le Fils de Dieu, il n'a pas cessé d'apprendre l'obéissance par ce qu'il a souffert (He 5,8) ». Voyez-vous comme l'apôtre s'applique uniquement à montrer la sollicitude et la haute charité du Christ pour les hommes? Quel est-le sens de ces mots : «Avec un grand cri (He 5,7)?» On ne trouve nulle part dans l'Evangile qu'il ait adressé cette prière les larmes aux yeux et en poussant de grands cris : Mais ne voyez-vous pas que saint Paul descend ici jusqu'à nous, jusqu'à notre faible intelligence? Il ne lui suffit pas de nous montrer le Christ en prières; il nous le montre poussant de grands cris. «Et il a été exaucé», dit-il, « à cause de son humble respect pour son Père; quoiqu'il fût le Fils de Dieu, il n'a pas laissé d'apprendre l'obéissance par ce qu'il a souffert. Et étant entré dans la consommation de sa gloire, il est devenu l'auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent (He 5,9). Dieu l'ayant déclaré pontife, selon l'ordre de Melchisédech (He 5,10) ». Il a offert ses prières avec des cris, soit : mais pourquoi avec de grands cris? Il les a même offertes en versant des larmes, dit-il, et il a été exaucé à cause de son respect pour son Père. Qu'ils rougissent, les hérétiques qui nient la réalité de l'Incarnation ! Que dites-vous? Quoi ! (488) le Fils de Dieu était exaucé à cause de son respect? Que direz-vous de plus, en parlant des prophètes? Et n'est-ce pas une inconséquence, lorsqu'on a dit « Il a été exaucé à cause de son respect » (He 5,7), d'ajouter ces paroles : « Quoiqu'il fût le Fils de Dieu, il n'a pas laissé d'apprendre l'obéissance par tout ce qu'il a souffert» (He 5,8). Peut-on tenir un pareil langage, en parlant de Dieu? Qui serait assez insensé pour cela? Où trouver un homme qui aurait assez peu de raison pour parler ainsi? « Il a été exaucé à cause de son respect, il a appris l'obéissance par tout ce qu'il a souffert» (He 5,7-8). Quelle obéissance? Il avait appris, jusqu'à en mourir, l'obéissance qu'un fils doit à son père? Avait-il donc besoin de faire encore l'apprentissage de l'obéissance?

802 2. Ne voyez-vous pas qu'il s'agit ici de l'incarnation réelle? Ce qu'il dit là le fait assez entendre. Dites-moi : ne demandait-il point à son Père d'être préservé de la mort; n'était-il pas attristé par cette perspective de la mort? Ne disait-il pas : «Que ce calice, s'il est possible, s'éloigne de mes lèvres? » Mais, pour ce qui est de la résurrection, il n'a jamais prié son Père; au contraire, il dit lui-même tout haut : « Renversez ce temple, et dans trois jours, je le relèverai». Et il dit encore : «Je puis déposer la vie et la reprendre; personne ne me l'ôte; c'est moi-même qui la dépose ». () Qu'est-ce donc et pourquoi priait-il? Et il disait aussi : « Nous allons à Jérusalem, et le Fils de Dieu sera livré aux princes des prêtres et aux scribes qui le condamneront à mort et le livreront aux gentils; afin qu'ils le tournent en dérision, qu'ils le fouettent et le crucifient; et il ressuscitera le troisième jour». (Mt 20,18) Il n'a pas dit: Mon Père me fera ressusciter. Comment donc peut-on dire qu'il le priât pour le faire ressusciter? Mais pour qui priait-il? Pour ceux qui avaient cru en lui. Ce que dit l'apôtre revient à ceci : Il n'a pas de peine à se faire exaucer. Comme ses auditeurs ne se faisaient pas une juste idée du Christ, il dit qu'il a été exaucé, en tenant le langage que le Christ tenait lui-même, pour consoler ses disciples : «Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez, parce que je vais trouver mon Père qui est plus grand que moi ». (Jn 14,28) Comment donc ne s'est-il pas glorifié lui-même, ce Dieu qui a été assez dévoué pour s'annihiler, pour se livrer lui-même? «Il s'est sacrifié pour nos péchés», dit l'apôtre. (Ga 1,4) Et ailleurs : « C'est lui qui s'est livré, pour nous racheter tous » (1Tm 2,6) Qu'est-ce donc? Ne voyez-vous pas que c'est le Dieu fait chair qui s'humilie? Aussi, quoiqu'il fût le Fils de Dieu, a-t-il été exaucé, en considération de son respect pour son Père. Il veut montrer, en effet, que l'oeuvre qui s'est accomplie a été opérée par lui plutôt que par la grâce de Dieu. Tel était son respect filial et sa piété, dit l’apôtre, que Dieu son Père le respectait. Il a appris à obéir à Dieu. Il montre encore quels sont les fruits de la souffrance. « Et étant entré dans la consommation de sa gloire, il est devenu l'auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent» (He 5,9). Or, si lui qui était le Fils de Dieu a profité de ses souffrances pour apprendre à obéir, à plus forte raison nous autres devons-nous mettre à profit un semblable apprentissage. Voyez-vous comme il s'étend sur l'obéissance, afin de parvenir à les persuader? Ils m'ont tous l'air en effet d'être fort disposés à secouer le frein et à se révolter. C'est ce que saint Paul fait entendre par ces mots: «Votre attention s'est refroidie» (He 5,11) : Ses souffrances, dit-il, lui ont appris à obéir à Dieu. Et il est entré dans la consommation de sa gloire par la souffrance. C'est donc là ce qui parfait l'homme, et la souffrance est le chemin de la perfection. Non-seulement il s'est sauvé lui-même, mais il a sauvé les autres. « Etant entré dans la consommation de sa gloire, il est devenu l'auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent, Dieu l'ayant déclaré pontife selon l'ordre, de Melchisédech; sur quoi nous aurions beaucoup de choses à dire, qui sont difficiles à expliquer, à cause de votre lenteur et de votre peu d'application pour les entendre ((He 5,9-11) ».

Avant d'en venir aux deux espèces de sacerdoce, il reprend ses auditeurs en leur montrant qu'il abaisse son style pour descendre jusqu'à eux, et qu'il les traite comme des enfants à la mamelle; par conséquent il prend un ton plus humble, approprié aux choses de la chair et il parle du Christ, comme on parlerait d'un homme juste. Voyez, sans garder un silence absolu, il ne s'explique pas complétement; il ne dit que ce qu'il faut pour les engager à mener une vie parfaite et à ne pas se priver d'un haut enseignement; mais il s'arrange de manière à ne pas accabler leur intelligence; et il s'exprime ainsi: « Sur quoi nous aurions beaucoup de choses à dire, qui sont difficiles à expliquer, à cause de votre lenteur et de votre peu d'application pour les apprendre » (He 5,11): C'est parce qu'il a affaire à des auditeurs peu attentifs qu'il lui est difficile de s'expliquer. Car lorsqu'on s'adresse à des auditeurs bornés, dont l'intelligence n'est pas à la hauteur du sujet, il n'est pas aisé de leur bien faire comprendre la vérité. Mais peut-être y a-t-il parmi vous qui m'écoutez, quelques hommes dont la tête se trouble et qui regrettent que la nature de son auditoire ait empêché saint Paul de mieux s'expliquer. Eh bien ! à l'exception d'un petit nombre d'auditeurs, vous êtes, je crois, dans le même cas que les Hébreux, et vous pouvez vous appliquer les paroles de l'apôtre. Malgré cela, je vais m'adresser à ce petit nombre d'auditeurs. Saint Paul a-t-il donc abandonné le sujet qu'il traitait ou l'a-t-il repris dans les versets suivants, comme il l'a fait dans l'épître aux Romains? Car là aussi il ferme tout d'abord la bouche aux contradicteurs en ces termes : « O homme, qui donc es-tu, pour répondre à Dieu? » (Rm 9,20) Mais il résout aussitôt le problème dont il s'agit. Eh bien ! ici, je crois que, sans garder un silence complet, il ne s'est pas tout à fait expliqué, afin de jeter ses auditeurs dans l'attente. Après les avoir avertis, après leur avoir fait entendre qu'il abordait un grand sujet, voyez comme il les loue et les reprend tout à la fois. Car c'est toujours sa méthode de mêler de douces paroles aux paroles amères. C'est ainsi que, dans son épître aux Galates, il dit : «Vous couriez avec ardeur; qui donc a pu vous arrêter?» (Ga 5,7) «Serait-ce donc en vain que vous avez (489) tant souffert, si toutefois ce n'est qu'en vain? » (Ga 3,4) «J'espère pour vous, dans le Seigneur ». (Ga 3,10) Et ici il dit de même : « Nous avons une meilleure opinion de vous et de votre salut». (He 6,9) Il fait donc deux choses à la fois: il ne les exalte pas et il ne les laisse pas tomber dans l'abattement. Car si l'exemple d'autrui est propre à exciter l'auditeur et à faire naître dans son âme le sentiment de l'émulation; quand on peut se prendre soi-même pour exemple et qu'on vous engage à être pour vous-même un objet d'émulation, la leçon est encore plus efficace. Voilà ce que saint Paul fait ici : il ne les laisse pas tomber dans l'abattement, comme des réprouvés qui auraient toujours fait le mal; il leur montre que parfois ils ont fait le bien. « Tandis que depuis le temps qu'on vous instruit, vous devriez déjà être des maîtres (He 5,12) ». Il montre ici qu'il y a longtemps qu'ils ont commencé à croire; il montre aussi qu'ils devraient instruire les autres. Voyez comme il travaille à amener ce qu'il peut avoir à dire du pontife, et comme il diffère toujours ses explications. Ecoutez son début : « Ayant un grand pontife qui est monté au plus haut des cieux » (He 4,14). Et après avoir passé sous silence l'explication du mot « grand »; il reprend ainsi : «Car tout pontife, étant pris d'entre les hommes, est établi pour les hommes, en ce qui regarde le culte de Dieu » (He 5,1. Puis il dit : « Ainsi Jésus-Christ ne s'est pas élevé de lui-même à la dignité de souverain pontife » (He 5,5). Et après avoir dit: « Vous êtes le prêtre éternel, selon l'ordre de Melchisédech » (He 5,6), il remet encore son explication, pour dire : « Qui durant les jours de sa chair, a offert ses prières et ses supplications » (He 5,7).

803 3. Après s'être détourné tant de fois de son but, par forme de réponse et d'excuse, il leur dit : C'est votre faute. Quelle différence en effet? Ils devraient être des maîtres; et ils ne sont que des disciples, les derniers de tous. «Depuis le temps qu'on vous instruit, vous devriez être des maîtres et vous auriez encore besoin qu'on vous apprit les premiers éléments, par lesquels on commence à expliquer la parole de Dieu » He 5,12). Ces premiers éléments sont ici la science humaine. Dans les lettres profanes, il faut d’abord apprendre les éléments; ici aussi il faut d’abord apprendre ce qui se rapporte à l'homme. Vous voyez pourquoi il abaisse ici son langage c'est ce qu'il faisait en parlant aux Athéniens «Dieu laissant passer ces temps d'ignorance, fait maintenant annoncer à tous les hommes et en tous lieux qu'ils fassent pénitence, parce qu'il a arrêté un jour où il doit juger le monde selon sa justice, par celui qu'il a destiné à en être le juge, de quoi il a donné à tous les hommes une preuve certaine, en le ressuscitant d'entre les morts ». (Ac 17,30) Lorsque Paul exprime quelque idée haute et sublime, il l'exprime brièvement, tandis que dans cette épître, il s'étend en maint endroit sur l'anéantissement de Jésus-Christ. C'est donc à la brièveté de l'expression que l'on reconnaît chez lui l'élévation de l'idée; et d'autre part l'humilité du langage indique sûrement qu'il ne parle pas du Christ entant que Dieu. Ici donc, pour plus de sûreté, il emploie un humble langage à exprimer ce qui se rapporte à l'homme. Il avait pour raison l'intelligence de ses auditeurs qui n'étaient pas en état de comprendre des idées plus relevées. C'est ce qu'il voulait dire dans son épître aux Corinthiens, par ces mots : « Puisqu'il y a parmi vous des jalousies et des disputes, n'est-il pas visible que vous êtes charnels? » (1Co 3,3) Voyez quelle est sa prudence, et comme il s'entend à traiter tous ces malades, dont ii est le médecin. La faiblesse des Corinthiens venait en grande partie de leur ignorance ou plutôt de leurs péchés; celle des Hébreux ne provient pas de leurs péchés, mais de leurs afflictions continuelles. C'est pourquoi il emploie des expressions bien propres à faire ressortir cette différence. «N'est-il pas visible que vous êtes charnels? » dit-il aux Corinthiens. Et il dit aux Hébreux : L'excès de votre douleur a émoussé vos facultés. Les Corinthiens, hommes charnels, n'ont jamais pu supporter l'enseignement spirituel; mais les Hébreux le pouvaient autrefois. Car ces paroles : « Votre application à m'entendre s'est ralentie », indiquent qu'autrefois leurs âmes étaient saines, fortes et pleines d'ardeur. Et plus tard, il atteste ainsi leur faiblesse : « Vous êtes tombés en enfance; ce n'est pas une nourriture solide; c'est du lait qu'il vous faut ».

Dans plusieurs passages et même toujours il appelle « lait » le style qui s'abaisse. « Tandis que depuis le temps », dit-il, « vous devriez être des maîtres». C'est comme s'il disait : Ce qui a produit votre relâchement et votre abattement, c'est le temps qui aurait dû vous rendre forts. Le lait, selon lui, c'est ce style terre à terre qui convient aux simples; cette nourriture ne convient pas à des auditeurs plus avancés, et ce serait pour eux un dangereux régime. Aujourd'hui il ne faudrait plus citer l'ancienne loi et y puiser des comparaisons; il ne faudrait plus nous représenter le pontife sacrifiant et priant avec des cris et des supplications. Voyez comme tout cela est devenu pour nous un objet de dédain ; mais alors c'était pour les Hébreux une nourriture qu’ils ne dédaignaient pas. Oui : la parole de Dieu est bien une nourriture qui soutient l’âme. Ecoutez plutôt le Prophète et l'apôtre : « Je ferai en sorte qu'ils soient non pas affamés de pain, non pas altérés d'eau, mais affamés de la parole de Dieu: (Am 8,11) Je vous ai donné à boire du lait, au lieu de vous donner une nourriture solide », (1Co 3,2) Il n'a pas dit : Je vous ai nourris, montrant par là que ce n'est pas une nourriture solide, qu'il leur a donnée, mais qu'il les a nourris comme des enfants qui ne peuvent encore manger du pain;. car le breuvage des enfants est leur unique nourriture. Il n'a pas parlé de leurs besoins ; mais il a dit : « Vous êtes faits pour vous nourrir de lait, et non d'aliments solides »; c'est-à-dire : C'est vous qui l'avez voulu; c'est vous qui vous êtes réduits vous-mêmes à cette extrémité, à cette nécessité. — « Car quiconque n'est nourri que de lait, est incapable d'entendre le langage de la justice; car il n'est encore qu'un enfant (He 5,13) ».

Ce langage de la justice, quel est-il? Je crois qu'il entend par là un plan de vie conforme à la (490) vertu, et c'est ce que voulait dire le Christ, quand il s'exprimait ainsi : « Si votre justice n'est pas plus abondante que celle des scribes et des pharisiens ». (Mt 5,20) C'est ce que l'apôtre lui-même veut dire par ces mots : « Si vous ne connaissez pas le langage de la justice ». Cela signifie : Si vous ne connaissez pas la philosophie d'en-haut, vous ne pouvez pas tendre à la perfection. Peut-être à ses yeux la justice n'est-elle autre chose que le Christ, et la parole élevée et sublime de l'orateur qui parle du Christ. Il les a traités d'esprits faibles et bornés. Pourquoi? Il ne s'est pas expliqué là-dessus. Il leur permet de deviner et il ne veut pas les choquer. Dans son épître aux Galates, au contraire, il a l'air d'être surpris et d'hésiter, et cette forme de style est plus consolante elle est d'un homme qui ne s'attend pas au mal. Voyez-vous la différence qui existe entre l'enfance de l'âme et sa perfection? Tâchons donc d'atteindre à cette perfection. Tout enfants, tout jeunes que nous sommes, noirs pouvons y atteindre; ce n'est point ici l'oeuvre de la nature, c'est l'oeuvre de la vertu. — «La nourriture solide est pour les parfaits, pour ceux dont l'esprit, par l'habitude et par l'exercice, s'est accoutumé à discerner le bien du mal (He 5,14) ». Eh quoi? Leurs sens n'étaient-ils pas exercés? Ne savaient-ils pas ce que c'est que le bien, ce que c'est que le mal ? C'est que, quand il parle de discerner le bien et le mal, il ne parle pas de ce discernement appliqué aux choses ordinaires de la vie. Ce discernement-là, le premier venu en est capable; saint Paul parle ici de ce discernement qui distingue les hautes et sublimes doctrines des croyances fausses et abjectes. Le petit enfant ne sait pas distinguer les aliments bons ou mauvais, souvent il avale de la poussière, il prend une nourriture malsaine, il agit en tout sans discernement. Il n'en est pas ainsi de l'homme fait. Oui : ce sont des enfants, ces hommes qui croient sans réfléchir à tout ce qu'on leur dit, qui prêtent indifféremment l'oreille à tous les discours; saint Paul reproche ici à ses auditeurs de tourner à tout vent, de prêter l'oreille tantôt à l'un, tantôt à l'autre. — C'est-ce qu'il finit par faire entendre, lorsqu'il dit : « Ne vous laissez pas séduire par toutes sortes de doctrines étranges ». Et il sous-entend : « Si vous voulez distinguer le bien du mal »; car c'est le palais qui juge des mets, et c'est l’âme qui juge des paroles.

804 4. Et nous aussi, instruisons-nous, En apprenant que cet homme n'est ni gentil, ni juif, n'allez pas en conclure qu'il est chrétien. Car les manichéens et les hérétiques de toutes sortes ont pris le masque du christianisme pour tromper les âmes simples. Mais, si nous sommes exercés à distinguer le bien du mal, nous pourrons appliquer ici notre discernement. Or quels moyens avons-nous de nous exercer? Nous n'avons qu'à écouter sans cesse la parole de Dieu, et qu'à nous fortifier dans la connaissance de l'Ecriture sainte. Quand nous vous aurons mis devant les yeux l'égarement de ces hérétiques, quand aujourd'hui vous aurez entendu parler de leurs erreurs, quand demain vous serez convaincu de la fausseté de leurs doctrines, il ne vous restera plus rien à apprendre, il ne vous restera plus rien à connaître, et si aujourd'hui, vous ne comprenez pas, vous comprendrez demain. « Ceux », dit-il, « dont les sens sont exercés ». Voyez-vous comme nos oreilles doivent s'habituer à ces enseignements divins, pour se refuser à entendre des doctrines étrangères? « Nous devons être exercés », dit l'apôtre, « à discerner le bien et le mal »; c'est-à-dire, que nous devons être habiles à distinguer l'un de l'autre. L'un ne croit pas à la résurrection ; l'autre ne croit pas à la vie future ; un autre dit qu'il y a un autre Dieu ; un autre dit que Jésus-Christ tire son principe de Marie. Voyez comme tous ces hérétiques sont tombés dans l'erreur, faute de garder une juste mesure. Les uns ont été trop loin; les autres se sont arrêtés en route. En voulez-vous un exemple ? C'est Marcion qui a donné le signal de l'hérésie. Il a introduit un autre Dieu qui n'existe pas; il est allé trop loin. Voici venir après lui Sabellius qui prétend que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne font qu'une seule et même personne. Puis c'est l'hérésie de Marcellus et de Photin qui prêchent la même doctrine. Puis c'est l`hérésie de Paul de Samosate qui avance que Dieu n'a commencé à exister qu'en sortant du sein de Marie. C'est ensuite l'hérésie des manichéens, qui vient après toutes les autres. Et puis c'est Arius; et puis ce sont d'autres hérésies encore.

C'est pour cela que nous avons reçu la foi, c'est afin que nous ne soyons pas obligés de nous jeter dans ces hérésies sans nombre ; c'est afin que nous n'en soyons pas le jouet et les victimes; c'est afin que nous regardions comme faux tout ce qu'on pourrait ajouter ou retrancher aux articles de la foi. Ceux qui admettent les mesures légales ne sont pas obligés de recourir laborieusement à une foule de poids et de mesures arbitraires; ils veulent que l'on s'en tienne aux mesures établies; il en est de même pour nos dogmes. Mais on ne veut pas faire attention aux saintes Ecritures. Si nous y faisions attention, non-seulement, nous ne tomberions point dans l'erreur, mais nous délivrerions les hommes abusés et nous les tirerions du péril. Un brave soldat, en effet, n'est pas bon pour lui seul ; il sait défendre le camarade qui est près de lui et le soustraire aux coups de l'ennemi. Mais aujourd'hui on ne connaît pas les saintes Ecritures, malgré toutes les précautions prises par le Saint-Esprit pour que ce dépôt conservé. Remontez jusqu'aux premiers temps, et apprenez à connaître l'ineffable bonté de Dieu. C'est lui qui a inspiré Moïse, qui a fait graver ses commandements sur les tables de la loi, qui l’a retenu à cet effet quarante jours sur la montagne; qui l'y a retenu quarante jours encore pour publier sa loi. (
Ex 24) Puis il a envoyé des prophètes qui ont subi des épreuves sans nombre. Voilà la guerre allumée, les prophètes morts; les livres brûlés! Dieu inspire un autre législateur admirable, Esdras, pour exposer sa loi et pour en rassembler les débris. Puis il l'a fait interpréter par les Septante.

Le Christ arrive, il prend les tablettes de la loi, les apôtres vont la publier partout. Le Christ fait (491) des signes et des miracles. Qu'arrive-t-il ensuite?, Après tant de soins, tant de précautions, les apôtres, à leur tour, se mettent à l'oeuvre, comme dit Paul: «Toutes ces choses ont été écrites pour notre instruction, à nous autres, qui nous trouvons à la fin des siècles ». (1Co 10,11) Et le Christ disait : « Vous vous trompez, parce que vous ne connaissez pas les Ecritures ». (Mt 22,29) Et Paul disait encore : « C'est dans notre résignation et dans les paroles consolantes des saintes Ecritures que nous avons confiance » (Rm 15,4) ; et ailleurs : « L'Ecriture sainte, ce livre si utile, est d'un bout à l'autre une inspiration divine. (2Tm 3,16) Que la parole du « Christ habite en vous et remplisse vos âmes ». (Col 3,16) Et le Prophète dit : « Il méditera la loi, nuit et jour ». (Ps 1,2) Et il dit ailleurs : « Ne vous lassez pas d'expliquer la loi de l'Etre suprême ». (Qo 9,23) Et il dit encore : « Que vos paroles sont douces pour mon palais ! » (Il ne dit pas: pour mes oreilles, mais « pour mon palais). Je les trouve plus douces que le miel ». (Ps 18,11) Et Moïse dit aussi : « Méditez les saintes Ecritures, en vous levant, en vous reposant, en vous couchant ». (Dt 6,7) C'est ce que dit encore saint Paul dans son épître à Timothée : « Appesantissez-vous sur les saintes Ecritures et méditez-les ». (1Tm 4,15) On pourrait s'étendre à l'infini sur ce chapitre. Et après tout cela pourtant, il y a des gens qui n'ont pas la moindre idée de l'Ecriture sainte. Aussi ne connaissons-nous ni les saines doctrines, ni la justice, ni notre intérêt. Pourtant si l'on veut connaître l'art militaire, il faut en apprendre les règles: Si l'on veut connaître la politique, la science du forgeron ou toute autre, il faut apprendre. Eh bien ! pour acquérir la science qui nous occupe, on ne fait rien de semblable, et cependant il faut bien des veilles pour l'acquérir. Si vous voulez le savoir, écoutez cette parole du Prophète : «Venez, mes enfants, écoutez-moi, et je vous enseignerai la crainte de Dieu ». (Ps 34,12 Ps 34,14) La crainte de Dieu est donc une chose qui s'apprend. Puis il est dit : « Quel est l'homme qui veut vivre? » vivre de la vie d'en-haut. Et ailleurs : « Ne souillez point votre langue; que vos lèvres ne laissent point échapper de paroles perfides ; détournez-vous du mal et faites le bien ; recherchez la paix ». Savez-vous quel est le prophète, l'historien, l'apôtre ou l'évangéliste qui a dit cela? Je crois que, parmi vous, il en est peu qui le sachent; et ces quelques hommes qui le savent seraient à leur tour en défaut, si je leur citais un autre passage. Tenez, voici la même pensée exprimée en d'autres termes : « Lavez vos souillures, soyez purs, faites disparaître de devant mes yeux cette perversité que j'aperçois dans vos âmes ; apprenez à faire le bien ; recherchez la justice, ne souillez point votre langue et faites le bien ; oui, apprenez à faire le bien ». (Is 1,16-17) Voyez-vous comme la vertu a besoin d'être enseignée? Plus haut, nous lisons : « Je vous enseignerai la crainte de Dieu ». Ici nous lisons : « Apprenez à faire le bien ». Savez-vous d'où ces paroles sont tirées? Peu d'entre vous le savent, à ce que je crois. Et pourtant voilà des choses que nous vous lisons deux ou trois fois par semaine. Et, quand le lecteur arrive, il commence par citer le livre dont il cite un fragment : c'est tiré de tel Prophète, de tel apôtre, de tel évangéliste. Il vous le dit, pour vous faire mieux remarquer et retenir le passage, pour que vous en connaissiez la lettre, l'esprit et l'auteur. Mais toutes ces attentions sont peine perdue; vous ne pensez qu'à la vie présente, sans tenir aucun compte des choses spirituelles. Voilà pourquoi les événements même de cette vie présente ne sont pas conformes à ce que vous souhaitez; voilà pourquoi vous trouvez tant d'écueils sous vos pas. Le Christ ne dit-il pas : « Demandez le royaume de Dieu et vous obtiendrez avec lui tout le reste » (Mt 6,33) ; c'est-à-dire, que nous obtiendrons tout le reste par-dessus le marché. Mais nous intervertissons cet ordre ; c'est la terre que nous cherchons, et avec elle, tous les biens terrestres, comme si les autres nous devaient être donnés par surcroît. Aussi n'avons-nous ni les uns ni les autres. Revenons donc enfin à la raison et désirons les biens à venir; avec eux, les autres nous arriveront. Car, lorsqu'on recherche les choses de Dieu, on obtient aussi nécessairement les biens terrestres, s'il faut en croire la vérité éternelle dont ce sont là les paroles. Recherchons donc les choses de Dieu, pour ne pas tout perdre. Dieu peut nous toucher et nous rendre meilleurs, par la grâce de Jésus-Christ Notre-Seigneur, etc.



Chrysostome sur Héb. I 700