Chrysostome sur Héb. I 1400

HOMELIE 14

1400
TOUT CE QUE NOUS VENONS DE DIRE SE RÉDUIT A CECI : LE PONTIFE QUE NOUS AVONS EST SI GRAND, QU'IL EST ASSIS DANS LE CIEL A LA DROITE DU TRONE DE LA SOUVERAINE MAJESTÉ. (
He 8).

Analyse.

1-3. Grandeurs et humiliations dans Jésus-Christ, ministre d'un nouveau tabernacle qui est le ciel. — Celui-ci n'est pas sphérique ni mobile : courte excursion dans' l'astronomie. — Le sacerdoce de la loi nouvelle est tout céleste : admirable idée des sacrements et de la liturgie chrétienne, dont les rites juifs n'avaient que l'ombre et t'ébauche. — L'alliance nouvelle a été pr¢dite.; .l'ancienne a été réprouvée d'avance en toutes lettres. — Caractère de la loi de grâce. — Elle n'est pas écrite ; les apôtres n'ont reçu du ciel aucun livre : témoignage écrasant contre le protestantisme. — L'alliance est nouvelle bien que contenant les débris de l'ancienne.

4. La pénitence, l'oubli de mal faire et la réparation des méfaits, rend à l’âme sa première beauté. — La nuit est le temps favorable à la contrition et à la prière. — La prière du matin et du soir est nécessaire, mais surtout le ban emploi de la nuit.

1401 1. Saint Paul mêle dans son discours les humiliations et les grandeurs; il imite en cela son divin Maître. Les choses humbles et basses préparent la voie aux choses sublimes et divines. La vue de celles-ci nous apprend que celles-là étaient un effet de la bonté de Dieu qui voulait (514) condescendre à notre faiblesse. C'est ce plan général qu'il suit en particulier dans ce passage. Il a commencé par dire que Jésus s'est offert, et puis, nous l'ayant montré comme Pontife, il ajoute . « Voici maintenant le comble et le couronnement de tout ce qui a été dit jusqu'ici ; nous avons un Pontife si grand qu'il s'est assis dans le ciel à la droite du trône de la Majesté souveraine ». Or, être assis n'est pas le propre d'un pontife, mais de celui à qui le sacrifice est offert par le pontife. — « Etant le ministre du « sanctuaire » ; non pas simplement « ministre », mais ministre du sanctuaire; « et du vrai tabernacle que Dieu a fixé et non pas un homme ». Voyez-vous ici l'abaissement volontaire ? Car l'apôtre n'a-t-il pas établi, au début de son épître, cette différence en faveur du Fils de Dieu, que les anges « sont tous des esprits ministres », et que pour cette raison la parole : « Asseyez-vous à ma droite », ne leur sera jamais adressée ? Il affirme donc que celui qui s'assied n'est pas un ministre, un simple serviteur. Comment donc ici est-il appelé ministre, et ministre du sanctuaire ? C'est donc comme homme que cette affirmation lui convient.

Quant au « tabernacle », ici, c'est le ciel. Et pour montrer la différence entre ce tabernacle et celui des juifs, il dit que c'est non pas un homme mais Dieu qui l'a fixé. Remarquez comment il élève les âmes des juifs qui ont cru en Jésus-Christ. Vraisemblablement, ils s'imaginaient que nous n'avions point de tabernacle. Voici, leur dit-il, le prêtre, le prêtre vraiment grand, bien plus grand que les pontifes d'Israël, et qui a offert un sacrifice plus admirable. Mais ire va-t-on pas voir ici un vain étalage de mots pour séduire les esprits ? Non, car il leur rend ses affirmations dignes de foi, en les prouvant et par le serment divin, et par le tabernacle nouveau. Sur ce dernier point la différence était déjà éclatante; il leur en fait encore considérer une toute particulière : « Il a été fixé », dit-il, « non de main d'homme, mais par Dieu même ». Où sont maintenant ceux qui affirment le mouvement du ciel ? Où sont ceux qui disent que sa forme est sphérique ? L'une et l'autre idée sont détruites par ce seul texte : « Or voici le comble de tout ce qui a été dit ». Le comble, la tête, c'est tout ce qu'il y a de plus élevé. Mais il va rabaisser son langage, et après avoir parlé des grandeurs du Christ, il peut sans crainte parler des abaissements. Pour que vous sachiez donc que ce mot : « ministre », qu'il écrit ensuite, se rapporte à l'humanité de Notre-Seigneur, écoutez comme de nouveau il va le déclarer.

« Car tout pontife », dit-il, « est établi pour offrir à Dieu des dons et des victimes; c'est pourquoi il est nécessaire que celui-ci ait aussi quelque chose qu'il puisse offrir (3) ». En m'entendant dire qu'il est assis, n'allez pas croire qu'il n'ait pas été appelé sérieusement pontife. On dit qu'il est assis pour marquer sa divinité; on dit qu'il est pontife pour montrer sa miséricorde envers nous. L'apôtre insiste avec complaisance sur ce dernier point, il s'y étend davantage. Il craignait que l'idée de la divinité de Jésus-Christ n'empêchât de croire à ses miséricordieux abaissements. Il y revient donc, et comme quelques-uns demandaient : Pourquoi est-il mort? Parce qu'il était prêtre, répond-il; pas de prêtre sans sacrifice; il lui faut donc un sacrifice, à lui aussi. Saint Paul, qui a déclaré d'ailleurs que Jésus est dans le ciel, dit donc et montre de toute manière qu'il est prêtre, rappelant et Melchisédech, et le tabernacle, et le sacrifice offert par Notre-Seigneur. Et, toujours dans le but de prouver le sacerdoce de Jésus-Christ, il construit un nouveau raisonnement

« S'il avait été prêtre sur la terre », dit-il, « il ne serait pas prêtre, puisqu'il y avait déjà des prêtres pour offrir des dons selon la loi (4) ». Si donc il est prêtre, et il l'est certainement, il faut qu'il le soit ailleurs qu'ici-bas. Car s'il était prêtre sur la terre, il ne serait pas prêtre, et pourquoi? parce qu'il n'a jamais offert de sacrifice, et qu'il n'a pas rempli de fonction sacerdotale; et cela se comprend, puisqu'il y avait des prêtres chargés de ces sacrifices. L'apôtre prouve qu'il était même impossible à Jésus-Christ d'être prêtre sur la terre: comment, en effet, dit-il, l'aurait-il pu avant la résurrection ?

Maintenant, mes frères, il vous faut élever vos âmes, et contempler la science apostolique de Paul; car voici une nouvelle différence de sacerdoce qu'il nous dévoile. — « Dont le ministère a pour objet la figure et l'ombre des choses du ciel». Que sont ici les choses du ciel? Les choses spirituelles. Car bien que les saints mystères s'accomplissent en ce bas monde, ils sont néanmoins dignes du ciel. En effet, quand on nous met devant les yeux Jésus-Christ tué et immolé; quand l'Esprit-Saint descend; quand ici se rend présent Celui qui est assis à la droite du Père; quand le bain sacré engendre des enfants de Dieu; quand ceux ci deviennent concitoyens des habitants du ciel, puisque nous avons là-haut droit de patrie, de cité, puisque désormais ici-bas nous sommes étrangers et voyageurs, comment tous ces mystères ne sont-ils point célestes? Et quoi encore? Nos hymnes ne sont-elles point célestes? Les mêmes chants que font entendre au ciel les choeurs des puissances incorporelles, n'en avons-nous pas l'écho, nous qui sommes sur cette humble terre? Et notre autel n'est-il pas céleste aussi? Comment? C'est qu'il n'a rien de charnel; toutes les offrandes qui s'y font, sont spirituelles. Notre sacrifice ne s'évanouit pas en cendre, en graisse, en fumée; mais il ennoblit et glorifie les dons qu'on y présente. N'est-il pas céleste le sacrement qui s'accomplit en vertu de ces paroles adressées aux ministres de tous les temps: « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez? » (
Jn 20,23) N'exercent-ils pas un pouvoir céleste, ceux qui possèdent même les clefs du royaume des cieux?

1402 2. «Leur ministère a pour objet »,dit-il, «la figure et l'ombre des choses du ciel, comme il fut répondu à Moïse lorsqu'il construisait le tabernacle. Voyez», disait le Seigneur, «et faites tout selon le modèle qui vous a été montré sur la montagne (5)»; c'est qu'en effet, l'ouïe est un (515) moyen plus lent que la vue pour apprendre une chose; ce que nous entendons ne se grave pas dans notre esprit comme ce que nous voyons. « Dieu lui montre toutes choses» ; peut-être ne les lui montre-t-il qu'en modèle et en ombre, peut-être veut-il ici parler du temple. Car il a dit d'abord : « Voyez et faites tout selon le modèle qui vous a été montré sur la montagne». N'a-t-il vu que ce qui avait trait à la construction du temple, ou aussi ce qui se rapportait aux sacrifices et à tout en général? Ce second sentiment peut être soutenu sans erreur. Car l'Église est céleste, elle n'est rien moins qu'un ciel.

« Au lieu que Jésus a reçu une sacrificature d'autant plus excellente, qu'il est le médiateur d'une meilleure alliance (6) ».Voyez combien, dit l'apôtre, le second sacerdoce l'emporte sur le premier, puisque l'ancien n'est que copies et figures, et que le nouveau est la vérité même. Mais cette assertion était peu consolante pour les Hébreux, et ne pouvait leur causer du plaisir; l'apôtre s'empresse donc d'ajouter quelque chose qui devait les combler de joie : « L'alliance nouvelle est établie sur de meilleures promesses ». Après l'avoir déjà montrée plus grande par le lieu, le prêtre et le sacrifice, il établit maintenant la différence d'alliance. Il avait déclaré plus haut que l'ancienne était faible et inutile, et toutefois remarquez les précautions qu'il prend avant d'en venir à lui faire son procès. Plus haut (VII) avant de prononcer la réprobation du sacerdoce antique, il avait eu soin de parler de l'immortalité du nouveau pontife, à qui ensuite il attribuait cette haute prérogative que « par lui « nous approchons de Dieu». Ici, ce n'est qu'après nous avoir élevés jusqu'aux cieux, après nous avoir montré que le ciel remplace pour nous le temple, et que le lévitisme ne possédait que les figures de nos saintes réalités; c'est après avoir ainsi relevé le culte nouveau qu'à bon droit dès lors il relève aussi le sacerdoce. — Mais, je l’ai dit, il établit spécialement ce qui doit causer aux Hébreux une joie incomparable, à savoir : « Que notre alliance repose sur des promesses meilleures». Et qui le prouve? Ce fait même que l'antique alliance est rejetée, et qu'une autre est introduite à sa place. Si désormais celle-ci a l'empire, c'est parce qu'elle est meilleure; car de même qu'il disait : Si par le sacerdoce lévitique la perfection était atteinte, pourquoi y a-t-il eu besoin qu'un autre prêtre se levât selon l'ordre de Melchisédech; ainsi employant ici le même argument, il dit

« Car s'il n'y avait rien de défectueux dans la première alliance, il n'y aurait pas lieu d'en « substituer une seconde. Et cependant Dieu leur adresse une parole de blâme (7, 8) », c'est-à-dire, si l'alliance n'avait pas eu quelque défaut, si elle avait délivré les hommes de tout péché. Car pour vous convaincre que tel est le sens de ces paroles, écoutez la suite : « Leur adressant un blâme », aux juifs, non à l'alliance, le Seigneur dit : « Il viendra un temps où je ferai une nouvelle alliance avec la maison d'Israël et la maison de Juda. Non selon l'alliance que j'ai faite avec leurs pères au jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir d'Égypte; car ils ne sont point demeurés dans cette alliance que j'avais faite avec eux, et c'est pourquoi je les ai méprisés, dit le Seigneur ». Soit, dira-t-on ; et où est la preuve que cette alliance soit finie? Il l'a déjà fait voir par le prêtre; mais maintenant, il démontre plus clairement et en termes exprès, qu'elle est rejetée. Comment? «Par des promesses meilleures». Où est, en effet, je vous prie, l'égalité entre le ciel et la terre? Considérez ce terme : Meilleures promesses; il est mis pour calmer les susceptibilités. Il a dit plus haut dans la même intention : «Par cette espérance nous approchons de Dieu, espérance meilleure», dit-il. (
He 7,19) En effet, dire meilleures promesses, meilleure espérance, c'est donner à entendre que l'ancienne alliance avait déjà ses promesses et son espérance. Mais ce peuple l'accusant toujours : « Voici », ajoute-t-il, « voici que des jours viendront, dit le Seigneur, où je consommerai une alliance nouvelle avec la maison d'Israël et la maison de Juda ». Il ne s'agit pas d'une ancienne alliance quelconque; car, pour qu'on ne pût s'y tromper, il a marqué la date même. Il ne dit pas absolument : Non pas selon l'alliance que j'ai faite avec leurs pères, parce que vous auriez pu répondre qu'il s'agit de celle que Dieu fit avec Abraham ou même avec Noé. Laquelle désigne-t-il donc? Écoutez : « Non pas selon l'alliance que j'ai faite avec leurs pères qui assistaient à la sortie »; et Dieu même ajoute : « En ce jour où je les pris par la main pour les tirer de la terre d'Égypte; car ils ne sont point demeurés dans cette alliance que j'ai faite avec eux, et c'est pourquoi je les ai méprisés, dit le Seigneur ». Voyez-vous que le mal commence par nous? Ce sont eux qui n'ont point persévéré, dit-il; ainsi la négligence est notre fait. Le bien, je veux dire tous les bienfaits, viennent de Dieu. Ici, il semble lui-même faire son apologie, et il dit pour quelle raison il les abandonne.

1403 «Mais voici l'alliance que je ferai avec la maison d'Israël, après que ce temps-là sera venu, dit le Seigneur; j'imprimerai mes lois dans leur esprit et je les écrirai dans leur coeur, et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple (10) ». Dieu parle évidemment de la nouvelle alliance, puisqu'il a dit : Ce n'est plus selon l'alliance que j'ai faite jadis. Telle est la grande différence des deux alliances; la dernière est écrite dans les coeurs. La différence n'est pas tant dans les commandements que dans la manière de les donner et de les graver. « Mon alliance ne sera plus écrite en lettres», dit-il, « mais dans les coeurs ». Que le juif nous montre la réalisation de cette prophétie à une époque quelconque; mais non, il ne la trouvera pas, car ]aloi fut de nouveau reproduite en caractères écrits après le retour de la captivité de Babylone. Moi, au contraire, je leur montre que les apôtres n'ont rien reçu par écrit, mais que l'Esprit-Saint a gravé tout dans leur coeur. Aussi Jésus-Christ disait-il : « Quand il sera venu, il vous remettra toutes choses en mémoire et vous enseignera ».

« Et chacun d'eux n'aura plus besoin d'enseigner son prochain et son frère, en disant : Connaissez le Seigneur; parce que tous me connaîtront, depuis le plus petit jusqu'au plus grand; (516) car je leur pardonnerai leurs iniquités, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés ( 11, 12) ». Voici un autre signe : Du petit au grand, dit-il, on me connaîtra; on ne dira plus : Connaissez le Seigneur. Quand donc s'est réalisée cette prédiction, sinon maintenant? car notre grande révélation chrétienne a éclaté partout; et la leur, loin d'être ainsi manifeste, est enfermée dans un étroit recoin. On dit qu'une chose est nouvelle, quand elle est tout autre, ou quand elle montre ce que n'avait pas celle qui l'a précédée. Une chose encore devient nouvelle quand on en retranche une forte partie sans toucher au reste. Par exemple, que quelqu'un répare une maison qui menace ruine, et que sans touchera l'ensemble de la construction, il en refasse les fondations, nous dirons aussitôt Il a fait une maison neuve, parce qu'il a enlevé certaines parties qu'il a remplacées par d'autres. Nous disons aussi que le ciel est nouveau, quand, cessant d'être d'airain, il nous verse la pluie; ainsi encore parlons-nous d'une terre qui cesse d'être stérile, sans avoir été changée autrement; ainsi appelons-nous édifice rieur celui dont on retire certaines parties en respectant les autres. Saint Paul a donc eu raison d'appeler nouvelle notre alliance, pour montrer que la précédente a vieilli, étant devenue absolument inféconde. Pour vous en convaincre, lisez les reproches d'Aggée, de Zacharie, de l'ange; lisez spécialement les griefs d'Esdras contre le peuple, comment il fut reçu, lorsqu'ils étaient transgresseurs, et qu'ils ne s'en doutaient même pas. — Voyez-vous comment votre alliance a été violée et supprimée, comment l'a mienne mérite à bon droit le titre de nouvelle?

Je n'admets pas d'ailleurs que ce texte : «Il y aura un ciel nouveau » (
Is 65,17), ait été dit dans le sens indiqué tout à l'heure. En effet, lorsque Dieu, dans le Deutéronome, annonce que le ciel serait d'airain, il n'a pas ajouté cette antithèse : Si au contraire vous obéissez, le ciel sera nouveau; mais il déclare que c'est parce que les juifs n'ont point gardé la première alliance qu'il en donnera une nouvelle. Je la prouve par ces paroles de l'apôtre lui-même : « Car ce qui était impossible à la loi, qui était affaiblie parla chair»; et ailleurs : « Pourquoi tentez-vous Dieu, en imposant sur le cou des disciples un joug que ni nos pères, ni nous-mêmes n'avons pu porter?» (Rm 8,3 Ac 15,10) Puisqu'ils n'ont pas persévéré, dit-il. Ceci montre que nous sommes honorés de faveurs plus grandes et plus spirituelles. « Car », dit-il, « leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles jusqu'aux extrémités du monde ». C'est l'explication du texte : « Chacun ne dira plus à soit prochain : Connaissez le Seigneur», et ailleurs: «La terre sera remplie de la connaissance du Seigneur, comme la mer jadis l'a couverte de ses flots» (Ha 2,14).

« Or, en appelant cette alliance une alliance nouvelle, il a mis la première au rang des choses « vieillies et passées. Or, ce qui passe et vieillit, est proche de sa fin (13) » . Voyez comme il a dévoilé ce qu'il a de plus caché, la pensée même du Prophète. Il a honoré la loi, et n'a pas voulu t'appeler vieille en toutes lettres; mais il a dit qu'elle l'était cependant. Car si elle était nouvelle, il ne donnerait pas cette qualification de nouvelle à la nôtre. Ainsi Dieu donnant davantage, dit-il, par là même a mis la précédente alliance au rang des choses antiques. Donc elle se dissout et s'éteint, elle n'est déjà plus. Encouragé par le Prophète, il poursuit utilement ce thème, montrant que notre religion est florissante, par cela seul que l'autre alliance est usée. Prenant ensuite ce terme de chose antique, il en ajoute un autre encore, celui de chose vieillie, et le coup de grâce se déduit aussitôt des qualifications susdites : « Elle est », dit-il, « proche de sa fin ». Ce n'est donc pas, à proprement parler, la nouvelle alliance qui a détruit l'ancienne; c'est que celle-ci vieillit, c'est qu'elle est devenue inutile. Voilà pourquoi il disait: A raison de son impuissance et de son inutilité; et encore : La loi n'a rien mené à la perfection; et : Si la première alliance avait été sans défaut, on ne chercherait pas la place d'une seconde. Qu'est-ce qu'être sans défaut? C'est être utile, puissant. Il parle ainsi, non que la loi doive être accusée positivement; mais, la voyant insuffisante, il s'exprime plus simple; ment, comme si l'on disait : Votre maison n'est pas sans défaut; c'est-à-dire, elle a quelque vice de construction; elle n'est c'est-à-dire, ferme ni solide; votre vêtement n'est pas sans défaut; c'est-à-dire il s'en va. Il ne dit donc pas que l'alliance antique fut mauvaise, mais qu'elle laissait prise au blâme, aux accusations.

1404 4. Ainsi nous sommes nouveaux,ou plutôt,nous l'avons été, car maintenant nous avons vieilli, et partant nous sommes près de la mort. Toutefois,, si nous le voulons, nous pouvons conjurer, réparer cette caducité honteuse. Nous ne le pouvons plus par le baptême, mais nous le pouvons par la pénitence. Si nous avons quelque symptôme de vieillesse, rejetons-le ; si déjà nous comptons quelque ride, quelque tache, quelque souillure, sachons tout effacer et recouvrons notre beauté première, afin que le Roi nous aime dans cette beauté renouvelée. Bien, que tombés peut-être dans une laideur extrême, il nous est permis de retrouver ce charmé et cette grâce dont parle ainsi David : « Ecoutez, ô ma fille, voyez, prêtez l'oreille, oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le roi sera épris dé votre beauté». Ce n'est pas l'oubli qui fait la beauté de l'âme. Quel oubli est donc ici désigné? L'oubli des péchés. Car le Prophète s'adresse à l'Eglise appelée du milieu des nations païennes, et lui conseille de ne pas se souvenir de ses pères, de ceux sans doute qui sacrifiaient aux idoles; c'est parmi eux, en effet, qu'elle a été choisie. Et il ne lui dit pas: N'en approchez point; mais ce qui est bien autrement fort : N'en concevez plus même la pensée! Ce qui s'accorde avec cet autre passage : « Je ne me souviendrai plus même de leurs noms sur mes lèvres »; et ailleurs . « Puisse ma bouche ne pas parler des rouvres de ces hommes ! » (Ps 15,4 Ps 16,4) Ceci n'est pas, encore d'une grande vertu, ou plutôt c'est une vertu déjà grande, mais non parfaite. Car que dit-il ici? Il ne s'arrête pas à cet avis : Ne parlez pas le langage de vos pères; il (517) poursuit : Ne leur gardez pas même un souvenir, n'en conservez pas même l'idée. Vous voyez à quelle distance il veut nous éloigner du Vice, En effet, qui ne se souvient plus d'une chose, n'y pense pas; qui n'y pense pas, n'en parle pas; qui n'en parle pas, est bien loin de la commettre. Comprenez-vous combien d'étapes il jette entre nous et le péché, combien de haltes, d'intervalles, doivent nous en éloigner ?

Ecoutons donc, nous aussi; oublions nos maux, et non pourtant les péchés que nous avons commis. Car, souvenez-vous-en le premier, dit le Seigneur, et moi, je ne m'en souviendrai plus. Prenons un exemple : Loin d'avoir un souvenir de vol, rendons le bien volé. C'est oublier le vice que de chasser ainsi toute pensée de rapacité sans jamais plus l'accueillir, ayant même souci d'effacer la trace de nos péchés.

Mais comment ainsi oublier le mal? Par le souvenir des bienfaits de Dieu. Si nous avions constamment mémoire de ce grand Dieu, nous pourrions aussi nous rappeler ses bontés. « Heureux », dit le Prophète, « si je me suis souvenu de vous sur ma couche même, si je méditais alors sur vous dès le matin ! » (Ps 62,7) Car toujours sans doute il faut se souvenir de Dieu, mais plus que jamais il le faut à l'heure où notre pensée est dans le silence et le calme, à l'heure où par ce souvenir elle peut se condamner, à l'heure où la mémoire est plus fidèle. Quand ce souvenir nous revient pendant le jour, bientôt d'autres soucis tumultueux chassent la bonne pensée. Durant la nuit, au contraire, nous pouvons nous souvenir toujours, dès que notre âme jouit de la tranquillité, du repos, qu'elle est au port et dans une atmosphère sereine. « Ce que vous dites dans vos coeurs », ajoute le Prophète, « repassez-le avec amertume dans votre lit ». (Ps 4,5) Il faudrait sans doute, même durant le jour; conserver ces souvenirs; mais parce qu'alors vous êtes sans cesse inquiets et distraits par les affaires de la vie présente, au moins alors et dans votre lit, souvenez-vous de Dieu et méditez sur lui dès les heures matinales. Si telle est, dès le matin, notre Cation, nous irons ensuite à nos affaires avec une sécurité heureuse; si par la prière tout d'abord nous gagnons l'amitié de Dieu, nous marcherons dès lors sans rencontrer d'ennemi, ou, s'il s'en présente, nous en rirons, ayant Dieu pour nous. La guerre est sur la place publique, les embarras de chaque jour sont autant de combats, de vagues, de tempêtes. Nous avons besoin d'armes; les prières sont des armes puissantes. C'est quand les vents sont favorables qu'il faut tout étudier, pour que la longue journée s'achève sans naufrage ni blessure; car chaque jour voit surgir de nombreux écueils, et trop souvent contre eux la barque se brise et s'engloutit.

Voilà pourquoi nous avons besoin de prière, surtout le matin et le soir. Plusieurs d'entre vous souvent ont vu les jeux Olympiques; et non contents d'en être témoins, se sont portés fauteurs et admirateurs de ceux qui concourent, prenant parti l'un pour celui-ci, l'autre pour celui-là. Vous savez que pendant ces jours et ces nuits de combats, le héraut n'a toute la nuit même qu'une pensée, qu'un souci, c'est qu'aucun des combattants ne se conduise d'une manière indigne. Ceux qui patronnent un joueur de trompette, lui conseillent de ne dire mot à qui que ce soit, de peur d'épuiser son haleine et de prêter à rire. Si donc celui qui va lutter en face des hommes y met un soin pareil, bien plus convient-il que nous soyons constamment sur nos gardes et toujours réfléchis, nous dont la vie entière est nu combat. Que la nuit donc tout entière soit pour nous une longue veille, une continuelle précaution, de peur que nos démarches de la journée ne prêtent au ridicule; et plut à Dieu que nous ne fussions jamais que ridicules !

Or sachons qu'à la droite du Père siège le Juge du combat; il écoute attentivement s'il nous échappera quelque accent discordant et qui blesse l'harmonie, car il n'est pas seulement juge des faits, mais aussi dés paroles. Veillons toute la nuit, ô bien-aimés frères, et nous aussi, si nous voulons, nous aurons des partisans. Près de chacun de nous siége un ange, tandis que nous dormons profondément toute la nuit. Et encore si nous ne faisions que dormir; mais plusieurs alors commettent des turpitudes; les uns courent aux mauvais lieux; les autres prostituent leurs maisons mêmes, en y admettant des courtisanes. Je me tais : car ceux-là n'ont aucun souci de bien combattre. D'autres s'abandonnent à l'ivresse et aux grossières conversations; d'autres aiment le bruit et le trouble; d'autres passent toute la nuit dans une veille criminelle et méditent contre ceux qui dorment des complots détestables; d'autres comptent leurs profits usuraires; d'autres sont rongés de soucis et font tout excepté ce qui convient au bon combat. Aussi je vous prie d'abandonner toute pensée semblable et de d'avoir qu'un but, c'est de recevoir la récompense, d'ambitionner pour nos fronts la couronne, de tout faire enfin pour pouvoir atteindre les biens promis. Puisse-t-il nous être donné d'en jouir par la grâce et bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ!


HOMÉLIE 15 - CETTE PREMIÈRE ALLIANCE A EU DES LOIS ET DES RÈGLEMENTS TOUCHANT LE CULTE DE DIEU, ET UN SANCTUAIRE TERRESTRE.

1500
(
He 9,1-15)

Analyse.

1 et 2. Rappel, en quelques mots, des rites anciens : le tabernacle, l'arche et toua les objets qu'on y gardait, accusaient les Juifs. — Sacrifice unique et sanglant par le seul grand prêtre, et son entrée alors, une fois par an, dans le Saint des Saints image du sacrifice unique et sanglant de Jésus-Christ, et de son entrée définitive au ciel.
3 et 4. Mal du péché en général ; il le compare au cadavre empesté. — Mal de l'avarice, qui se place au-dessous de la prostitution même : détails navrants. — Mal du rire insensé, qui va se moquer de cette doctrine. — Jésus-Christ n'a jamais ri. — Mal spécial du rire dans l'église. — Objurgation spéciale aux femmes.

1501 1. Il a montré par le prêtre, par le sacerdoce, par l'alliance même la fin certaine de celle-ci; il va la prouver enfin par la figure du tabernacle lui-même. Comment? en y distinguant le Saint, et le Saint des Saints. Le Saint contenait les symboles et les signes de la période précédente, puisque tout s'y faisait par divers sacrifices. Le Saint des Saints, au contraire, appartient à notre époque. D'après saint Paul, le Saint des Saints marque à la fois le ciel, le voile du ciel, la chair du Christ qui entre par-delà ce voile, du Christ qui pénètre là par le voile de sa chair. Mais il est à propos de reprendre ce sujet de plus haut. Que dit-il donc?

« La première eut aussi... » Qu'est-ce à dire, la première? La première alliance. « Ses règlements « de culte ». Règlements, qu'est-ce? Des symboles ou des rites; comme s'il disait : Elle les a eus autrefois, elle ne les a plus. Il montre que déjà une alliance a supplanté l'autre : elle eut alors, dit-il. Aussi maintenant, quoique debout encore, elle n’est plus; elle eut aussi « un sanctuaire du siècle », c'est-à-dire, séculier, mondain, parce que tous les hommes pouvaient y pénétrer; il y avait un lieu ouvert et commun à tous dans le temple où se voyaient prêtres et simples juifs, prosélytes mêmes, gentils et nazaréens. Et parce que l'entrée en était libre même aux nations étrangères, il l'appelle « mondain », car les juifs n'étaient pas le monde.

« Car dans le tabernacle qui fut dressé, il y avait une première partie où étaient le chandelier, la table et les pains de proposition, et cette partie s'appelait le Saint ».Voilà les symboles du monde. « Après le second voile... » Il y avait donc plus d'un voile; du côté du dehors, en effet, il y en avait un premier... Après le second voile était « le tabernacle qu'on appelle le Saint des Saints ». Vous voyez qu'il l'appelle un tabernacle, une tente, parce qu'on ne fait qu'y passer comme dans une tente; « où il y avait», dit-il, « un encensoir d'or, et l'arche de l'alliance toute couverte d'or, dans laquelle était une urne pleine de manne, la verge d'Aaron qui avait fleuri et les tables de la loi (4) ». Autant de témoignages éclatants de l'ingratitude des juifs. Ainsi les « tables de la loi » rappelaient que Moïse les avait brisées; « la manne » déposée dans une urne d'or, qu'ils avaient murmuré; « la verge d'Aaron », qu'ils s'étaient révoltés. Les juifs, ingrats et oublieux de si nombreux bienfaits, durent placer ces objets dans l'arche par ordre du législateur, et transmettre ainsi à la postérité le souvenir dé leurs méfaits. « Au-dessus de l'arche, des chérubins de gloire couvraient le propitiatoire (5) ». Qu'est-ce à dire, chérubins de gloire? Comprenez : glorieux, ou bien qui sous Dieu même couvrent le propitiatoire. Saint Paul devait ainsi faire ressortir et exalter ces détails, pour montrer que ce qui va suivre est plus grand encore. « Mais ce n'est pas ici le lieu d'étudier une à une toutes ces choses ». Ceci nous fait comprendre qu'il y avait là non-seulement ce qu'on voyait, mais encore du mystère. De toutes ces choses, dit-il, nous ne devons pas parler en détail, peut-être parce qu'elles exigeraient un long discours.

«Or, ces choses étant ainsi disposées,les prêtres entraient à toute heure dans le premier tabernacle, pour y remplir les fonctions du sacrifice (6) ». Comprenez : tout cela existait, mais les simples juifs n'en jouissaient pas, ils ne pouvaient même y plonger la vue. Aussi, ces choses n'étaient pas tant à eux qu'à nous, pour qui ces objets étaient des figures prophétiques.

« Mais dans le second tabernacle, seul, une seule fois dans l'année le pontife entrait, non sans y porter du sang qu'il devait offrir pour lui-même et pour les ignorances du peuple (7) ». Voyez-vous comment les figures ont été comme des pierres d'attente posées d'avance pour l'avenir? L'Apôtre prévient cette objection : Pourquoi un sacrifice unique? pourquoi le grand Pontife n'a-t-il offert qu'une seule fois? Il montre que cet usage datait de loin, et que le sacrifice le plus saint, le plus redoutable était unique. C'était l'antique usage que le grand prêtre n'offrit qu'une fois. Et il ajoute avec raison : « Non sans porter du sang »; il y avait du sang, à la vérité, mais ce n'était pas, celui-là, le sang divin. Le sacrifice d'alors n'avait pas cette importance. Ceci figure le sacrifice à venir que le feu ne doit pas constituer, mais qui s'accomplit surtout par le sang. Car ayant appelé sacrifice le crucifiement, où l'on ne vit ni flamme, ni bûcher, mais seulement une immolation sanglante, il montre que cet antique sacrifice avait un (519) semblable caractère: il se réduisait à cette oblation sanglante et unique... — « Qu'il devait offrir pour lui-même et pour les ignorances du peuple ». Il ne dit pas, remarquez-le, pour les péchés, mais pour les ignorances, afin d'abaisser leur orgueil. En effet, il se peut que vous n'ayez pas péché de plein gré; mais, malgré vous, l'ignorance vous a entraînés; personne n'est pur à ce titre. Et partout il fait ressortir qu'il offre « pour lui », pour montrer ainsi que Jésus-Christ est tout autrement saint et grand que le pontife dont se glorifiaient les juifs. Si celui-ci avait été séparé des pécheurs et du péché, comment -aurait-il offert pour lui-même? Où tend alors, bienheureux Paul, votre réflexion? à faire entendre que d'être exempt de péché devait être le privilège d'un pontife plus grand, de celui que je veux maintenant vous faire contempler.

« Le Saint-Esprit nous montrant par là que la voie du sanctuaire n'était pas encore découverte, pendant que le premier tabernacle existait (8) ». La raison de tout cet arrangement, nous dit-il, était de nous instruire que l'entrée du Saint des Saints, c'est-à-dire du ciel, n'était pas encore ouverte. Voici ce que cela voulait dire : De ce que vous ne pénétrez pas encore dans le ciel, n'allez pas en nier l'existence; car avez-vous même l'entrée du sanctuaire terrestre?

1502 2. « Et cela même n'était qu'une figure pour un temps d'un instant (9) ». Qu'appelle-t-il temps d'un instant? Celui qui précède l'avènement de Jésus-Christ; car après l'arrivée du Sauveur, il n'y a plus temps d'un instant. Comment y en aurait-il, puisqu'il est la consommation et la fin des temps? « C'est donc une image » ; autrement dit, « c'est une figure pour un temps d'un instant, pendant lequel on offrait des dons et des victimes qui ne pouvaient rendre parfaits selon la conscience, les serviteurs de Dieu ». Vous voyez ici la claire explication des paroles qu'il a précédemment écrites: « La loi n'a rien mené à perfection » ; et encore : « Si la première alliance avait été sans reproche ». — « Selon la conscience », qu'est-ce à dire? C'est que les sacrifices d'alors ne détruisaient pas les souillures de l'âme, mais ils n'atteignaient que le corps: « Selon la loi d'un précepte charnel ». (He 7,16) Ils ne pouvaient remettre l'adultère, le meurtre, le sacrilège. Lisez plutôt ces règlements : Mangez ou ne mangez pas telles ou telles choses; autant d'objets indifférents. « Ce culte ne consistait qu'en des viandes et des breuvages et en diverses ablutions (10) ». Buvez ceci, dit-il, bien qu'il n'y eût dans la loi aucune prescription sur le boire ; mais son but est de montrer la grossièreté de ces prescriptions. — « En diverses prescriptions charnelles, imposées jusqu'à une époque d'amendement ». En effet, c'était une justice purement charnelle. L'Apôtre renverse ces sacrifices, qu'il montre avoir été sans vertu aucune, et imposés jusqu'à une époque d'amendement, c'est-à-dire, pour attendre le temps qui devait amender et corriger toutes choses.

« Mais Jésus-Christ s'étant présenté comme pontife des biens futurs, est entré par un tabernacle plus grand et plus parfait, qui n'a point été fait de main d'homme (11) ». Il désigne sa chair; et il a raison d'appeler ce tabernacle plus grand et plus parfait, puisque le Dieu Verbe, ainsi que toute la vertu de l'Esprit, habite en lui : « Car Dieu ne lui donne pas son Esprit avec épargne et mesure »; ou bien encore; il est plus parfait, en ce sens que le blâme ne tomba jamais sur cette sainte humanité, et qu'elle accomplit largement les plus hautes vertus. « Tabernacle qui n'est point de cette création », et c'est en ce sens qu'il est plus grand que l'ancien. Il n'aurait pas été conçu de l'Esprit, si un homme l'avait construit. Il n'est pas non plus de cette création, en ce sens qu'il n'est pas composé die ces éléments créés que nous voyons, mais tout spirituel; en effet, c'est l'Esprit-Saint même qui l'a construit. Voyez-vous comme ce corps sacré est appelé par l'apôtre, tabernacle,voilé, ciel? « Par un tabernacle plus grand et plus parfait » ; et plus bas : « Par le voile, c'est-à-dire par sa chair » ; et encore : « Jusqu'au dedans du voile »; et ailleurs : « Entrant dans le Saint des Saints, pour paraître devant la face de Dieu ». (He 6,19) Pourquoi ce langage de l'Apôtre ? Pour nous apprendre qu'une même expression peut avoir deux sens, un sens littéral et un sens allégorique. Ainsi le ciel est un voile, parce qu'il cache le Saint; il en est de même de la chair de Jésus que nous dérobe sa divinité, et cette chair qui possède la divinité est en même temps un tabernacle; le ciel est encore un tabernacle, puisque le pontife y réside. — «Or, Jésus-Christ», dit-il,« s'étant présenté comme le pontife ». — Il ne dit pas : Etant devenu, mais s'étant présenté, c'est-à-dire étant venu de lui-même pour cette fonction, sans succéder à personne. Et quand il s'est présenté, il n'a pas été fait pontife; il est venu avec le pontificat. Et il ne dit pas qu'il soit venu comme pontife des sacrifices, mais comme pontife des biens futurs; son discours, ici, semble impuissant à tout dire.

« Et il est entré non avec le sang des boucs et des veaux ». Tout est changé; « mais c'est avec son propre sang qu'il a pénétré une fois dans le sanctuaire », c'est le ciel qu'il nomme ainsi ; « ayant trouvé ainsi pour nous une rédemption « éternelle (12)». Ce mot « trouvé » exprime un de ces mystères profonds, inattendus; on demande comment par une seule entrée, il a trouvé une rédemption éternelle. L'Apôtre poursuit et nous donne les motifs de croire, à ce mystère. « Car si le sang des boucs et des taureaux et l'aspersion de l'eau mêlée avec la cendre d'une génisse sanctifie ceux qui ont été souillés, en leur donnant une pureté extérieure et charnelle, combien plus le sang de Jésus-Christ, qui par le Saint-Esprit s'est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience des oeuvres mortes pour nous faire rendre un vrai culte au Dieu vivant (13, 14)? » Car, dit-il, si le sang du taureau peut purifier la chair, bien plus le sang de Jésus-Christ purifiera-t-il les souillures de l'âme. Et quand vous entendez dire : « Sanctifie», n'allez pas croire à un effet merveilleux. L'apôtre prévient votre erreur, en remarquant et démontrant quelle différence existe entre les deux (520) sanctifications, et comment l'une est sublime, l’autre grossière; et il est bien juste, selon lui, qu'il en soit ainsi, puisque, d'un côté est le sang du taureau, et de l'autre le sang de Jésus-Christ. Et il ne se contente pas d'une différence de nom ; il établit aussi la manière d'offrir : « Lui», dit-il, « s'est offert à Dieu, par le Saint-Esprit, comme une victime sans tache » . Victime sans tache signifie pure de tout péché. Et l'expression « par le Saint-Esprit », veut dire : Non par le feu, ni par tout autre intermédiaire. Ce sang, dit-il, « purifiera notre conscience des oeuvres mortes ». — « Oeuvres mortes », est une locution très-juste; car, chez les juifs, si quelqu'un touchait un mort, il devenait impur; et chez nous toucher une oeuvre morte, c'est souiller sa conscience. « Pour nous faire rendre un vrai culte au Dieu vivant et véritable », ajoute-t-il. Il montre ici qu'il est impossible que celui qui a des oeuvres mortes, serve un Dieu vivant et véritable. Réflexion très-vraie, et qui nous montre le caractère des offrandes que nous devons faire à Dieu : oui, celles que nous présentons, sont vivantes et véritables; celles qui viennent des juifs, sont mortes et fausses: tout cela est conséquent.

1503 3. Que nul donc n'entre au saint lieu avec des oeuvres mortes. Si l'entrée en était interdite à celui qui touchait un cadavre, bien plus l'est-elle à celui qui a des oeuvres mortes; car c'est la souillure la plus honteuse. Or, j'appelle oeuvres mortes, toutes celles qui n'ont point la vie, qui déjà exhalent une odeur infecte. De même en effet qu'un cadavre, loin de flatter nos sens, incommode quiconque s'en approche; ainsi le péché frappe et atteint notre intelligence même, enlève à notre âme tout son repos, y jette le trouble et le bouleversement. On dit que la peste a la malheureuse vertu de corrompre les corps : tel est aussi le péché. Peste affreuse et trop vraie, il ne corrompt pas l'air d'abord, et les corps ensuite, mais il attaque aussitôt l'âme elle-même. Ne voyez-vous pas comme les victimes de la peste souffrent, s'agitent, se roulent, sont brûlées vives,exhalent une odeur repoussante, offrent un aspect révoltant, sont immondes enfin dans tout leur être? Telles sont, sans le savoir, les victimes du péché.

Car, dites-moi, n'est-il pas plus misérable qu'un fiévreux, celui qui est épris d'amour pour l'argent ou pour la chair? n'est-il pas plus immonde que les pestiférés, celui qui commet ou qui subit toutes les bontés? Se peut-il un être plus hideux que l'homme captif de l'avarice? Les courtisanes, les comédiennes ne tiennent pas une conduite plus abjecte que lui. Je crois même qu'il va plus loin qu'elles dans la honte. Il subit des traitements d'esclave, tantôt. s'abaissant à des flatteries sans nom, et tantôt audacieux et fier à l'excès; mais toujours inégal. Souvent des scélérats, des escrocs, corrompus et abjects, incomparablement plus pauvres, d'une moindre condition que lui, le voient cependant assis à leurs côtés, comme un vil courtisan, tandis que les gens d'honneur et de vertu n'auront que ses insultés, ses outrages; ses insolences. Vous le voyez, du reste, dans les deux cas, impudent et insolent, tour à tour bas à l'excès et arrogant outre mesure. La femme perdue, elle, se tient enfermée; son crime est de trafiquer de son corps à prix d'argent. Mais elle a une certaine excuse dans la pauvreté et la faim; bien que cette excuse soit insuffisante, puisqu'elle pourrait se nourrir en travaillant. L'avare, au contraire, ne reste point chez lui; il se montre au milieu de la cité, prostituant non pas son corps, mais son âme au démon qui en abuse comme d'une prostituée, et ne la laisse qu'après en avoir joui ; et cela non en présence de deux ou de trois témoins, mais de tout une ville.

La prostituée s'abandonne à qui la paye; esclave, homme libre, gladiateur, quiconque vient avec de l'argent est bien reçu; mais sans cet or maudit, l'homme le plus riche et le plus noble n'est point admis. Ainsi fait l'avare : les meilleures pensées, quand l'or n'est pas au bout, sont rejetées; mais il embrasse pour de l'argent les plus criminelles et les plus impies, il leur sacrifie la beauté de son âme. La fille de joie est par nature laide, noire, grossière, épaisse, sans grâce ni beauté, hideuse : ainsi devient l'âme cupide, dont la laideur ne pourrait se cacher, même sous une couche et un enduit de fard. Une fois parvenue à cette laideur extrême, quelque moyen qu'il imagine, il ne peut la couvrir.

Que l'impudence fait la prostituée, le Prophète même le déclare : « Vous êtes devenue impudente à la face de tous; vous avez un front de prostituée ». (
Jr 3,3) Pareille apostrophe pourrait s'adresser aux avares : vous êtes devenu impudent à la face de tous; non de tels ou de tels, mais de tous.. Comment ? C'est que père, fils, épouse, ami, frère, bienfaiteur, personne n'est respecté par un être ainsi déchu. Et que parlé-je d'ami, de frère ou de père ? Il ne respecte plus Dieu lui-même; tout ce qu'on en dit lui semble des fables; affolé par son ivresse, il rit de tout, et ses oreilles se refusent à admettre une parole utile, Au contraire, ô absurdité ! Quel est le langage de l'avare : Malheur à vous, argent, et à ceux qui ne vous possèdent pas ! Oh ! plutôt malheur à ceux qui parlent ainsi, quand même ils parleraient en riant ! Car, dites-moi; est-ce que Dieu n'a pas fait la terrible menace que vous savez : « Vous ne pouvez servir deux maîtres à la fois?» (Mt 6,24) Vous croyez réduire cette menace à néant, en prononçant ces blasphèmes, mais malheur à vous ! Paul n'a-t-il pas déclaré que l'avarice est une idolâtrie et l'avare un idolâtre?

1504 4. Mais vous, par ce rire hardi, vous imitez les femmes insensées et mondaines, et comme celles mêmes qui paraissent sur les planches des théâtres, vous essayez de faire rire les autres. Voilà le renversement, voilà la destruction de tout bien. Nos affaires sérieuses deviennent des sujets de rire, de plaisanteries et de jeux de mots. Rien de ferme, rien de grave dans notre conduite. Je ne parle pas ici seulement aux séculiers; je sais ceux que j'ai encore en vue; car l'Eglise même s'est remplie de rires insensés. Que quelqu'un prononce un mot plaisant, le rire aussitôt paraît sur les lèvres des assistants ; (521) et chose étonnante, plusieurs continuent de rire même jusque pendant le temps des prières publiques. Le démon partout dirige ce triste concert, il pénètre dans tout, il exerce sur tous son empire. Jésus-Christ est méprisé, il est chassé; l'église est regardée comme un lieu profane. N'entendez-vous pas saint Paul s'écrier : « Que toute honte, toute sottise de langage, toute bouffonnerie soit bannie du milieu de vous ». Il place ainsi la bouffonnerie au même rang que les turpitudes. Et vous riez toutefois ! Qu'est-ce que la sottise de langage? C'est dire ce qui n'a rien d'utile. Mais vous riez quand même; le rire sans cesse épanouit votre visage, et vous êtes moine ? Vous faites profession d'être crucifié au monde, et vous riez ! Votre état est de pleurer, et vous riez!

Vous qui riez, dites-moi : où avez-vous vu que Jésus-Christ vous ait donné l'exemple ? Nulle part; mais souvent vous l'avez vu affligé ! En effet, à la vue de Jérusalem, il pleura; à la pensée du traître, il se troubla; sur le point de ressusciter Lazare, il versa des larmes. Et vous riez.!

Si ceux qui ne savent pas gémir sur les péchés d'autrui sont dignes de blâme, quel pardon mérite celui qui loin d'être affligé de ses fautes personnelles, ne sait que rire ? Voici le temps du deuil et de l'affliction, le moment de châtier votre corps et de le réduire en servitude, l'heure des sueurs et des combats. Et vous riez ! Et vous ne remarquez pas comme Sara fut reprise pour ce fait ! Et vous n'entendez pas cet anathème de Jésus-Christ: « Malheur à ceux qui rient, parce qu'ils pleureront ! » (
Lc 5,25) Voilà pourtant ce que chaque jour vous répétez dans les saints cantiques. Car enfin, quelles paroles exprimez-vous alors, dites-moi ? Dites-vous avec le Prophète : J'ai ri ? Non ; mais que dites-vous ? « Je me suis fatigué à gémir ».

Mais peut-être il en est ici de tellement dissipés, tellement efféminés, que nos reproches les font rire encore, par cela seul que nous parlons de rire. Car le caractère de ce défaut, c'est la folie et l'hébétement d'esprit; il ne comprend pas, il ne sent pas le reproche. Le prêtre de Dieu est debout, offrant la prière universelle; et vous riez, sans pudeur aucune ! Lui tout tremblant, offre pour vous des prières; vous, vous n'avez que du mépris. N'entendez-vous donc pas celte parole de l'Ecriture : Malheur aux moqueurs ! Vous ne tremblez pas : Vous ne rentrez pas en vous-même ! Quand vous entrez dans un palais, votre allure, votre regard, voir démarche, tout votre extérieur enfin sait s'ennoblir et se composer mais ici où est le palais véritable, où tout est l'image du .ciel, vous riez ! Et pourtant, il est une assistance invisible à vos yeux, je le sais, mais réelle, entendez-le ; c'est celle des anges partout présents, mais qui surtout dans la maison de Dieu font cortége au souverain roi; tout est rempli de ces puissances spirituelles.

Mon discours s'adresse aussi aux femmes. En présence de leurs maris, elles n'osent pas sitôt se permettre un tel excès; quand elles rient alors, ce n'est pas constamment, mais à l'heure d'une honnête et nécessaire récréation : mais ici, c'est toujours ! Quoi donc, ô femme, vous mettez un voile sur votre tête, dès que vous prenez place à l'église, et vous riez ! Vous y êtes entrée avec la résolution de confesser vos péchés, de vous prosterner devant Dieu, de prier et de supplier pour les fautes que vous avez eu le malheur de commettre, et dans l'accomplissement de ces devoirs, vous riez ! Comment donc pourrez-vous apaiser votre Juge ? — Mais, dites-vous, le rire est-il donc un péché ? — Non, le rire n'est pas un péché; mais ce qui est un péché, c'est l'excès, c'est de prendre mal son temps. Le rire nous est naturel, quand par exemple nous revoyons un ami après un long temps d'absence ; ou quand, rencontrant des personnes frappées de vaines terreurs, nous voulons les rassurer et les récréer; rions alors, mais jamais jusqu'aux éclats, mais point constamment. Notre coeur a besoin de cet épanouissement pour se détendre quelquefois, mais non pour se dissiper. Les désirs de la chair sont naturels aussi; et toutefois il n'est pas nécessaire absolument d'y obéir, et moins encore d'en user avec excès; nous devons les dominer, loin de dire : c'est naturel, jouissons !

Servez Dieu avec larmes, pour pouvoir laver vos péchés. Je sais que plusieurs se moquent de nous et répètent : Les larmes ! c'est leur premier mot. C'est toujours le temps des larmes. Je sais quelles sont les maximes des hommes sensuels

Mangeons et buvons; car demain nous mourrons ». (1Co 15,32) Mais rappelez-vous cet oracle : « Vanité des vanités, et tout est vanité ». (Qo 1,2) Ce n'est pas moi qui parle ici, c'est celui-là même qui goûta de tout plaisir, c'est lui qui dit : « Je me suis bâti des maisons royales; j'ai planté pour moi des vignes. Je me suis créé des viviers et des bains; j'ai eu des serviteurs et des servantes pour me verser à boire ». (Qo 2,4) Et après cette énumération, que dit-il ? « Vanité des vanités, et tout est vanité », Pleurons donc, ô mes bien-aimés, pleurons, pour que nous ayons un jour le rire vrai, la joie véritable au jour de la sainte allégresse, Car l'allégresse d'ici-bas est nécessairement mêlée de tristesse, et, l'on ne peut la trouver franche et pure. Mais l'autre sera sincère, exempte de mensonge et de déception, à l'abri de tout piège, sans mélange enfin. Il n'est, au reste, qu'un moyeu de l'acquérir ; c'est de choisir, dès cette vie, non pas ce qui nous plait, mais ce qui nous est utile; c'est de nous attrister bien peu de notre plein gré, mais de supporter avec action de grâces tout ce qui nous arrive. Ainsi pourrons-nous gagner le royaume des cieux, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ainsi soit-il.



Chrysostome sur Héb. I 1400