Chrysostome sur Jean 44

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HOMÉLIE XLIV. JÉSUS LEUR RÉPONDIT: EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ JE VOUS LE DIS, VOUS ME CHERCHEZ, NON A CAUSE DES MIRACLES QUE VOUS AVEZ VUS,

MAIS PARCE QUE JE VOUS AI DONNÉ DU PAIN A MANGER, ET QUE VOUS AVEZ ÉTÉ RASSASIÉS. - TRAVAILLEZ «POUR AVOIR», NON LA NOURRITURE QUI PÉRIT, MAIS CELLE, QUI DEMEURE POUR LA VIE ÉTERNELLE. (VERS. 26, 27, JUSQU'AU VERS. 37)

Jn 6,26-37

ANALYSE.

1. Ne pas s'inquiéter de la nourriture du corps, mais de celle de l'âme; d'un autre côté, ne pas abuser de ce précepte pour justifier la paresse.
2. Demander à Dieu ce qui convient de lui demander. - Les plaisirs et les afflictions, les biens et les maux de ce monde n'ont rien de réel. - Il ne faut donc ni désirer les uns, ni craindre les autres. - Dans l'autre monde tout est éternel, les supplices et les récompenses. - Belle peinture des biens de la vie présente et de ceux de la vie future.


1. La douceur et la clémence ne sont pas toujours utiles: souvent un maître a besoin d'user de paroles fortes et menaçantes. Par exemple, lorsque son disciple est lent et paresseux, il doit se servir de l'aiguillon pour le réveiller de son engourdissement. Le Fils de Dieu le fait ici et souvent ailleurs. Le peuple, s'approchant de Jésus, le flatte et lui dit: «Maître, [312] quand êtes-vous venu ici?» Jésus-Christ, pour montrer qu'il méprise les hommages des hommes, et qu'il n'a en vue que leur salut, leur répond avec sévérité, non-seulement afin de les. corriger, mais aussi pour leur découvrir leur pensée et la produire en public. Et que leur dit-il? «En vérité, en vérité je vous le dis», termes qu'à coutume d'employer celui qui veut insister fortement sur ce qu'il avance, «vous me cherchez non à cause des miracles que vous avez vus, mais parce que je vous ai donné du pain à manger, et que vous avez été rassasiés». S'il les censure, s'il les réprimande, ce n'est pas avec rudesse, mais avec beaucoup de ménagement. Il ne leur dit pas: O gourmands! hommes esclaves de vos estomacs, j'ai fait. cent miracles et vous ne m'avez pas suivi, et vous n'avez pas admiré les prodiges que j'ai opérés! Il leur dit avec beaucoup de douceur et de bonté: «Vous me cherchez, non à cause des miracles que: vous avez vus, mais parce que je vous ai donné du pain à manger; et que vous avez été rassasiés»; parlant non-seulement des miracles passés, mais encore de celui qu'il venait de faire. C'est comme s'il disait: le miracle que j'ai fait ne vous a point touchés; vous venez parce que vous avez été rassasiés. En effet, ils firent bientôt voir eux-mêmes que Jésus-Christ ne leur disait pas cela par conjecture, puisqu'ils vinrent encore le chercher pour qu'il les rassasiât une seconde fois. C'est pour cette raison qu'ils disaient. «Nos pères ont mangé la manne dans le désert (31)»; ils redemandent encore la nourriture charnelle, ce qui était certainement très-répréhensible. Mais Jésus-Christ ne s'arrête point à leur faire des réprimandes, il s'attache à les instruire, leur disant: «Travaillez» pour avoir, «non la nourriture qui périt, mais celle qui demeure pour la vie éternelle, et que le Fils de l'homme vous donne, parce que c'est en lui que Dieu le Père a imprimé son sceau et son caractère». Ne vous inquiétez pas de cette sorte de nourriture, mais de la nourriture spirituelle.

Quelques-uns, pour vivre mollement dans l'oisiveté, abusent de ces paroles, comme si Jésus-Christ avait interdit le travail des mains l'occasion est bonne pour leur répondre, car ils discréditent pour ainsi dire tout le christianisme, et sont cause qu'on le tourne en ridicule comme encourageant la paresse. Mais écoutons auparavant ce que dit saint Paul. Quoi? «Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir». (Ac 20,35) Or, celui qui n'a rien, comment donnera-t-il? Pourquoi donc Jésus dit-il à Marthe: «Vous vous empressez et vous vous troublez dans le soin de beaucoup de choses: cependant une seule chose est nécessaire: Marie a choisi la meilleure part qui ne lui sera point ôtée». (Lc 10,41-42) Et encore: «Ne soyez point en inquiétude pour le lendemain». (Mt 6,34) C'est à quoi, dis-je, il faut absolument répondre, non-seulement pour exciter les paresseux, si toutefois ils veulent bien nous écouter, mais encore de peur que les divines Ecritures ne paraissent se contredire. En effet, l'apôtre dit ailleurs: «Mais je vous exhorte de vous avancer et de vous rendre parfaits, de vous étudier, à vivre en repos, de vous appliquer chacun à ce que vous avez à faire; de travailler de vos propres mains, afin que vous vous conduisiez honnêtement envers ceux qui sont hors de l'Eglise». - (1Th 4,10-12) Et derechef: «Que celui qui dérobait ne dérobe plus, mais qu'il s'occupe, en travaillant des mains, à quelque ouvragé bon et utile, pour avoir de quoi donner à ceux qui sont dans l'indigence». (Ep 4,28) Ici saint Paul n'ordonne pas de travailler simplement pour s'occuper, mais de si bien travailler qu'on puisse gagner de quoi donner à ceux qui sont dans l'indigence. Le même apôtre dit encore ailleurs: «Ces mains que vous voyez ont fourni à tout ce qui m'était nécessaire et à ceux qui étaient avec moi». (Ac 20,34) Et aux Corinthiens: «En quoi trouverai je donc un sujet de récompense: en prêchant de telle sorte l'Evangile que je le prêche gratuitement?» (1Co 9,18) Et: «Etant arrivé dans cette ville, il demeura chez Aquila et Priscille, et il y travaillait parce que leur «métier était de faire des tentes». (Ac 18,2-3) Ce sont ces dernières paroles du saint apôtre qui paraissent le plus combattre les premières, si l'on s'en tient à la lettre. Il est donc nécessaire de résoudre cette difficulté.

Que répondrons-nous donc? Ne point s'inquiéter ne veut pas dire qu'il faut cesser de travailler, mais qu'il ne faut point s'attacher aux choses de ce monde, c'est-à-dire n'être point en inquiétude pour le repos du [313] lendemain et regarder ce soin comme superflu; car celui qui travaille peut fort bien n'amasser pas pour le lendemain, celui qui travaille peut n'être point inquiet. En effet, l'inquiétude et le travail ne sont pas une même chose; Jésus-Christ et l'apôtre parlent ainsi, afin que celui qui travaille ne mette pas sa confiance dans son travail, mais songe seulement à gagner de quoi faire l'aumône. Au surplus, ce que le divin Sauveur dit à Marthe ne regarde pas le travail en lui-même, mais seulement le temps qu'il faut y consacrer. Il veut qu'on y ait égard et qu'on n'emploie pas celui du sermon à des oeuvres terrestres et charnelles. Il ne lui dit donc pas cela pour la jeter dans la paresse, mais pour la porter à l'entendre. Je suis venu chez vous, dit-il, pour vous enseigner les choses nécessaires au salut, et vous vous empressez pour nous donner à manger? Voulez-vous me bien recevoir et me servir un grand festin? Préparez d'autres mets, soyez attentive à ma parole, imitez l'amour et le zèle de votre soeur. Jésus-Christ ne défend donc pas l'hospitalité, Dieu nous garde de le dire; mais il nous apprend qu'à l'heure du sermon il ne faut point se livrer à d'autres occupations. Enfin quand il dit: «Travaillez pour avoir non la nourriture qui périt», il ne veut pas dire qu'il faut vivre dans l'oisiveté; car c'est là principalement la nourriture qui périt. En effet, «c'est l'oisiveté qui enseigne tous les maux». (Si 33,29) Mais il déclare qu'il faut travailler et donner à ceux qui sont dans l'indigence: voilà sûrement la nourriture qui ne périt point. Mais celui qui, menant une vie oisive, se livre à la bonne chère et à toute sorte de plaisirs, est véritablement un homme qui travaille pour la nourriture qui périt, et au contraire celui, qui, de son propre travail, habille Jésus-Christ, lui donne à manger et à boire, personne, s'il n'a perdu l'esprit, ne dira que celui-là travaille pour la nourriture qui périt, lui à qui le royaume est promis, ainsi que les biens qui ne périssent point: voilà la nourriture qui demeure éternellement.

C'est donc avec raison que la nourriture dont ce peuplé se montrait si avide, Jésus-Christ l'appelle une viande qui périt, parce que ces hommes ne se mettaient point en peine d'être instruits des vérités de la foi, parce qu'ils ne s'appliquaient point à connaître qui était celui qui avait opéré le miracle des pains, ni par quelle puissance il l'avait fait, mais qu'ils ne se souciaient que d'une seule chose; de remplir, de rassasier leur ventre sans avoir rien à faire. J'ai nourri vos corps, dit le Sauveur, pour vous engager par là à rechercher une autre viande, une viande solide, qui demeure et qui nourrisse vos âmes; mais vous courez encore après moi pour avoir la nourriture charnelle. Ainsi, vous ne comprenez point que ce n'est pas pour vous nourrir de cette viande imparfaite que je vous mène avec moi, mais pour vous en donner une qui n'est ni charnelle, ni temporelle, qui vous procurera la vie éternelle, qui ne nourrira pas vos corps, mais vos âmes. Après quoi, comme il avait dit de grandes choses de soi; en promettant de donner cette viande qui ne périt point, de peur que ses auditeurs ne se scandalisent encore de ces paroles, et pour les engager à le croire, il rapporte ce don au Père, car ayant dit: «Que le Fils de l'homme vous donnera», il a ajouté: «Parce que c'est en lui que Dieu le Père a imprimé son sceau et son caractère», c'est-à-dire le Père vous l'a envoyé pour cela, pour vous apporter cette viande; on peut expliquer encore cette phrase d'une autre façon, car Jésus-Christ dit aussi ailleurs: «Le Père a attesté que celui dont vous écoutez les paroles est Dieu véritable» (Jn 3,33), c'est-à-dire il a manifestement fait connaître, et c'est là ce que ces paroles me paraissent insinuer, car ces mots: «Le Père a attesté», ne veulent dire autre chose, sinon, il a montré, il a révélé par son témoignage. Car Jésus-Christ s'est fait connaître, il s'est manifesté lui-même, mais comme il parlait aux Juifs, il a produit le témoignage du Père.

2. C'est pourquoi, apprenons, mes très-chers frères, à demander à Dieu ce qu'il convient de lui demander. De quelque manière que tournent les choses temporelles, elles ne nous portent aucun préjudice. Si nous nous enrichissons, ce n'est qu'ici-bas que nous jouirons du plaisir que procurent les richesses. Si nous tombons dans la pauvreté, nous n'en souffrirons rien de fâcheux. Soit qu'il nous arrive du bien, soit qu'il nous arrive du mal, cela n'est nullement digne de nous causer de la joie ou de là tristesse. Ce sont là des choses qui ne méritent que le mépris et qui passent très-promptement. Et comme elles passent et n'ont qu'une existence éphémère, c'est justement qu'elles sont appelées une voie, un passage.

Mais les peines et les récompenses futures [314] sont également éternelles. C'est à quoi nous devons donner tous nos soins et toute notre attention, afin d'éviter les unes et d'acquérir les autres. Des biens terrestres, quelle utilité peut-il nous en revenir? Ils sont aujourd'hui, demain ils s'envoleront; aujourd'hui c'est une belle fleur, demain une poussière que le Vent disperse; aujourd'hui un feu allumé, demain une cendre éteinte. Mais les biens spirituels ne sont pas de même nature. Toujours ils sont beaux, toujours ils sont fleuris, et chaque jour ils deviennent plus brillants. Jamais ces richesses ne périssent, jamais elles ne nous sont enlevées, jamais elles ne tarissent, elles ne nous causent point d'inquiétude, elles ne nous attirent jamais l'envie et la calomnie, elles ne ruinent point le corps, elles ne corrompent point l'âme, elles n'excitent point la jalousie ou l'envie: maux qui sont attachés aux richesses temporelles. La gloire spirituelle n'inspire ni orgueil, ni insolence, elle n'enfle point le coeur, jamais elle ne cesse, jamais fille ne s'obscurcit. La paix et les délices du ciel sont éternelles: toujours constantes, toujours immortelles, elles n'ont ni bornés ni fin. Je vous en conjure, mes chers frères, aspirons à cette vie; si nous la désirons, notes ne ferons aucun cas des choses présentes; au contraire; nous les mépriserons, nous en rirons. Si quelqu'un nous appelle à fa cour, ce qu'on regarde comme un grand bonheur, soutenus et animés de l'espérance des biens éternels; nous refuserons d'y aller: car ce prétendu bonheur paraît vil et méprisable à une âme prévenue de l'amour des choses célestes. En effet, tout ce qui doit finir n'est point tant à désirer. Ce qui a une fin, ce qui est aujourd'hui et ne sera plus demain, quelque grand qu'il paraisse, est au fond très-petit et très-méprisable. Ne recherchons donc pas les biens qui périssent et s'évanouissent, mais ceux qui demeurent éternellement, afin que nous puissions les obtenir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



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HOMÉLIE XLV. ILS LUI DIRENT: QUE FERONS-NOUS, POUR FAIRE DES OEUVRES DE DIEU?

- JÉSUS LEUR RÉPONDIT L'OEUVRE DE DIEU EST QUE VOUS CROYIEZ EN CELUI QU'IL A ENVOYÉ. - ILS LUI DIRENT: QUEL MIRACLE DONC FAITES-VOUS, AFIN QUE LE VOYANT NOUS VOUS CROYIONS? QUE FAITES-VOUS D'EXTRAORDINAIRE?» (VERS. 28,29)

Jn 6,28-29

ANALYSE.

1. La gourmandise est la ruine de l'âme.
2. Le pain de vie, ce que c'est.
3. La foi et la grue sont nécessaires pour le salut. - Jésus-Christ parle souvent de résurrection, pourquoi.
4. S'entretenir souvent de la résurrection, pour s'exciter à fuir le mal et à faire le bien. - Combien est salutaire la pensée des jugements de Dieu: l'avoir toujours présente, c'est le frein le plus fort et le plus efficace pour réprimer les passions. - Tous comparaîtront au tribunal de Jésus-Christ, les méchants et les bons, pour y recevoir tous selon leurs oeuvres; les uns plus de honte, les autres plus de gloire. - Ce qui est visible est passager; ce qui est invisible est éternel. - La résurrection et le jugement détruisent le destin. - Rien n'arrive par une fatale nécessité, rien au hasard. - Ne rien oublier pour expier ici ses fautes et ses péchés. - La résurrection et le jugement sont certains: les gens sans foi, les incrédules seront traités comme ils le furent au, temps du déluge et de Loth. - La fin du monde surprendra les hommes. - Preuves de la résurrection et du jugement dernier.


1. Rien de plus honteux, rien de pire que la gourmandise: elle épaissit, elle hébète l'esprit et rend l'âme charnelle; elle ne lui permet pas de voir, elle l'aveugle. Remarquez, mes [315] frères, comment tous ces malheurs sont arrivés aux Juifs. Dans leur voracité, ils ne pensent qu'aux biens temporels et nullement aux biens spirituels. Jésus-Christ, par des paroles mêlées de reproche et de douceur, veut les tirer de leur assoupissement, et toutefois ils ne se réveillent point, mais ils restent encore couchés par terre. Faites-y attention, je vous prie, le Sauveur leur avait dit: «Vous me cherchez, non à cause des miracles que vous avez vus, mais parce que je vous ai donné du pain à manger et que vous avez été rassasiés». Par ce reproche, il les aiguillonne, il les piqué; il leur fait connaître la viande qu'ils doivent chercher, en leur disant: «Travaillez» pour avoir, «non la pourriture qui périt». A quoi il ajoute la promesse de cette récompense: «Mais celle qui demeure pour la vie éternelle». Ensuite il prévient leur objection, en disant que le Père l'a envoyé. Que répondent-ils donc? Ils parlent comme s'ils n'avaient rien ouï: «Que ferons-nous», disent-ils, «pour faire des oeuvres de Dieu?» Au reste, ils lui font cette demande, non pour apprendre et pour faire ce qu'ils auront appris, comme la suite le fait voir, mais pour l'engager à leur donner encore à manger et à les rassasier de nouveau. Que leur dit Jésus-Christ? «L'oeuvre de Dieu est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé». A quoi ils répondent: «Quel miracle faites-vous, afin que le voyant nous vous croyions? Nos pères ont mangé la manne dans le désert». On ne saurait voir pareille folie, pareille démence. Ils avaient encore devant leurs yeux le miracle des pains, et comme si Jésus n'en avait point fait, ils disaient: «Quel miracle faites-vous?» Ils ne lui laissent même pas le choix du miracle, mais ils prétendent lui imposer la loi de n'en point faire d'autres que celui qui avait été fait au temps de leurs pères. «C'est pourquoi ils disent: «Nos pères ont mangé la manne dans le désert». Par là ils espèrent le porter à faire un de ces miracles qui leur donne de quoi les nourrir charnellement.

En effet, pourquoi, de tous les anciens miracles, ne rappellent-ils que celui-là seul, quoiqu'alors Dieu en eût beaucoup fait dans l'Egypte, dans la mer, dans le désert, et ne font-ils mention que de celui de la manne? N'est-ce point parce qu'ils obéissaient en esclaves à leur gourmandise? Mais pourquoi, vous qui l'avez appelé prophète, qui avez voulu le faire roi pour avoir vu un miracle, maintenant, comme s'il n'avait rien fait pour vous, êtes-vous ingrats et infidèles envers lui et lui demandez-vous un miracle, criant comme des Parasites et hurlant comme des chiens affamés? Quoi! maintenant que votre âme tombe en défaillance, vous parlez avec admiration du miracle de la manne? Remarquez l'ironie, ils ne disent pas: Moïse a fait ce miracle; vous, que faites-vous? de crainte de l'irriter; mais ils lui adressent la parole avec beaucoup d'honnêteté et de respect, dans l'attente qu'il leur donnera à manger. Ils ne disent pas non plus: Dieu a fait ce miracle, mais vous, que faites-vous? de peur qu'ils ne parussent l'égaler à Dieu; et aussi, ils ne nomment pas Moïse, de peur qu'on ne croie qu'ils le mettent au-dessous de Jésus-Christ, mais ils lui présentent cet exemple: «Nos pères ont mangé la manne dans le désert». Or Jésus-Christ leur pouvait répondre: Je viens de faire à l'instant un plus grand miracle que celui de Moïse, et je n'ai eu besoin ni d'une verge, ni de prières, mais j'ai tout fait par moi-même. Vous exaltez le miracle de la manne, et moi, je viens de vous donner du pain. Mais il n'était pas alors temps de parler ainsi: Jésus-Christ n'avait en vue que de les attirer et les engager à lui demander la viande spirituelle.

Observez, mes frères, avec quelle prudence Jésus leur répond: «Moïse ne vous a point donné le pain du ciel, mais c'est mon Père qui vous donne le véritable pain du ciel (32).» Pourquoi n'a-t-il pas dit: Ce n'est pas Moïse qui vous a donné le pain, mais c'est moi qui vous l'ai donné? Pourquoi, au lieu de Moïse, a-t-il nommé Dieu, et s'est-il nommé lui-même au lieu de la manne? C'est parce qu'il avait affaire à des auditeurs fort simples et fort grossiers, comme il y paraît par ce qui suit. Car ces paroles qu'il avait dites au commencement.: «Vous me cherchez, non à cause des miracles que vous avez vus, mais parce que je vous ai donné du pain à manger et que vous avez été rassasiés», ne furent pas capables de les retenir et de réprimer leur gourmandise. Comme donc ils ne cherchaient uniquement qu'à manger, il les en reprit, mais ils ne se corrigèrent point et ne cessèrent pas de demander.

Quand Jésus-Christ promit à la Samaritaine de lui donner de l'eau, il ne lui nomma point le Père, mais il lui dit: «Si vous connaissiez [316] qui est celui qui vous dit: Donnez-moi à boire, vous lui en auriez peut-être demandé vous-même, et il vous aurait donné de l'eau vive»; et encore: L'eau que je vous donnerai» (Jn 4,10); et il ne la renvoie pas au Père. Mais ici il parle du Père pour vous faire connaître quelle était la foi de la Samaritaine, et aussi quelle était la faiblesse et la grossièreté des Juifs.

La manne n'était donc pas le pain du ciel; pourquoi donc la dit-on un pain du ciel? On l'appelle le pain du ciel dans le même sens que l'Ecriture dit: «Les oiseaux du ciel» (Ps 8,8), et aussi: «Et le Seigneur a tonné du haut du ciel». (Ps 17,15) Le pain que le Père donne, Jésus-Christ l'appelle le pain véritable, non que le miracle de la manne fût faux, mais parce qu'il était une figure et non pas la vérité même.. Jésus-Christ, parlant de Moïse, ne s'élève point au-dessus de lui, parce que les Juifs ne lui donnaient pas encore la préférence sur Moïse, et qu'ils croyaient ce législateur plus grand que lui. Voilà pourquoi, ayant dit: «Moïse ne vous a point donné», il n'a pas ajouté: C'est moi qui donne; mais il dit: C'est mon Père. Alors les Juifs répondirent: «Donnez-nous ce pain à manger»; ils croyaient encore qu'il s'agissait d'un pain matériel et sensible; ils s'attendaient encore à contenter leur appétit. Voilà pourquoi ils accoururent si promptement. Que fait donc Jésus-Christ? Peu à peu il élève leur esprit, et il ajoute: «Le pain de Dieu est celui qui est descendu du ciel et qui donne la vie au monde (33)»;. non-seulement aux Juifs, dit-il, mais aussi à tout le monde. Il ne dit pas simplement la nourriture, mais une vie différente, de celle-ci: et il dit qu'il donne la vie, parce que ceux qui avaient mangé la manne étaient tous morts; mais les Juifs encore attachés à la terre, disent: «Donnez-nous ce pain (34)». Sur quoi Jésus-Christ les reprend de ce, que, tant qu'ils ont cru recevoir une viande corporelle, ils sont venus à lui en foule; mais qu'aussitôt qu'ils ont appris que la viande qu'il leur voulait donner était spirituelle, ils ont cessé d'accourir, et il leur dit: «Je suis le pain de vie: celui qui vient à moi n'aura point du faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif (35). Mais je vous l'ai, déjà dit: vous m'avez vu, et vous ne me croyez point (36)».

2. Jean-Baptiste le leur avait déjà dit d'avance: «Il rend témoignage de ce qu'il a vu et de ce qu'il a entendu, et personne ne reçoit son témoignage». (Jn 3,32) Jésus-Christ, de même: «Nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu; et cependant, vous ne recevez point notre témoignage». (Jn 11) C'est pour les avertir et leur montrer qu'il ne s'étonne point de leur incrédulité, qu'il ne recherche point la gloire et qu'il n'ignore point les secrets, soit présents, soit futurs, de leurs coeurs.

«Je suis le pain de vie». L'évangéliste commence maintenant d'entrer dans l'exposition des mystères. Et premièrement, il découvre la divinité du Christ, en disant: «Je suis le pain «de vie»; car il ne dit pas cela de son corps. Il parle de son corps vers la fin de ce chapitre: «Et le pain que je donnerai, c'est ma chair (52)». Mais ici il parle de sa divinité. Il est le pain parce qu'il est Dieu, le Verbe, de même qu'ici il devient le pain céleste par la descente du Saint-Esprit. Au reste, Jésus-Christ n'apporté point ici de témoignages, comme dans le sermon qui précède, parce qu'il avait celui des pains, et que les Juifs faisaient encore semblant de le croire. En entendant l'autre prédication, ils murmuraient, ils contestaient; voilà pourquoi il explique ici sa doctrine. Les Juifs, dans l'espérance d'avoir la nourriture corporelle, demeurent à l'écouter et ne se troublent point jusqu'à ce qu'ils se voient déçus dans leur attente. Mais Jésus-Christ ne se tait pas peur cela; il leur dit, au contraire, bien des choses propres à les faire rentrer en eux-mêmes. Et ces hommes qui, pendant qu'ils mangeaient et se rassasiaient, l'avaient appelé prophète, maintenant se mettent en colère et le disent fils du charpentier. (Mt 13,55) Ils ne le traitaient pas de même lorsqu'il leur donnait à manger, mais ils disaient: «C'est ici le prophète», et ils voulaient le faire roi. Au reste, ils paraissaient se fâcher et se mettre en colère lorsqu'il disait qu'il était descendu du ciel; mais ce n'était point là le vrai sujet de leur colère: ce qui les irritait, c'était de n'avoir plus d'espérance de recevoir la nourriture corporelle. Et certes, si ces paroles les choquaient, que ne s'informaient-ils de Jésus, comment il était le pain de vie, comment il était descendu du ciel? mais au lieu de le faire, ils se mettent à murmurer.

Ce qui prouve manifestement que ce n'était point là de quoi ils s'offensaient, c'est que [317] Jésus-Christ disait: «C'est mon Père» qui vous «donne le pain»; ils ne dirent pas; Priez-le de nous le donner, mais: Donnez-nous ce pain. Cependant Jésus-Christ n'avait pas dit C'est moi qui le donne, mais: «C'est mon a Père qui le donne». Toutefois, leur avide gloutonnerie leur fait penser qu'il pouvait leur donner le pain. Dès lors, comment pouvaient-ils encore s'offenser, et cela, en s'entendant dire que c'était son Père qui le donnait? Quelle est donc la cause de leur colère Entendant qu'ils n'auraient plus a manger, ils ne le croient plus, et ils couvrent leur incrédulité du prétexte qu'il disait des choses trop élevées. Voilà pourquoi Jésus dit: «Vous m'avez vu, et vous ne me croyez point», double allusion et aux miracles et au témoignage des Ecritures: «Car, ce sont-elles», dit-il, «qui rendent témoignage de moi» (Jn 5,39); et: «Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas». (Jn 5,43); et: «Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire que vous vous donnez les uns aux autres?» (Jn 5,44)

«Tous ceux que mon Père me donne viennent à moi: et je ne jetterai point dehors celui qui vient à moi (37)». Ne voyez-vous pas que le divin Sauveur m'oublie rien pour le salut des hommes? Au reste, il a ajouté cela, de peur qu'il ne parût agiter des questions curieuses et inutiles, et parler témérairement. Et que dit-il? «Tous ceux que mon Père me donne viendront à moi, et je les ressusciterai au dernier jour (40)». Pourquoi Jésus parle-t-il de la résurrection, à laquelle participeront les pécheurs et les méchants, et en parle-t-il comme d'un don et d'une grâce qui est proprement pour ceux qui croient? Parce qu'il ne }'entend pas simplement de la résurrection générale, mais spécialement de la résurrection bienheureuse. Car ayant dit auparavant: «Je ne le jetterai point»; et: je n'en perdrai aucun (39)», il parle ensuite de la résurrection. En effet, dans la résurrection générale, les uns sont rejetés, ainsi qu'il le dit: «Prenez celui-là et jetez-le dans les ténèbres extérieures». (Mt 22,13) Les autres périssent, comme le déclarent ces paroles: «Craignez plutôt celui qui a le pouvoir de jeter dans l'enfer et l'âme et le corps». (Lc 12,5) C'est pourquoi, voici ce que signifient ces mots: «Je donne la vie éternelle: ceux qui auront fait de mauvaises oeuvres sortiront» des tombeaux pour ressusciter à leur, condamnation; mais ceux qui en auront fait de bonnes en sortiront pour ressusciter à la vie». (Jn 5,29) Ici donc Jésus-Christ parle de cette résurrection, qui est pour les bons.

Enfin, que veut dire le Sauveur par ces paroles: «Tous ceux que mon Père me donne viendront à moi?» il blâme les Juifs de leur incrédulité: il fait connaître que celui qui ne croit point en lui, désobéit à son Père. Toutefois, il ne le dit pas ouvertement, mais il le fait assez entendre: on aperçoit même qu'il le fait partout, pour montrer que ceux qui ne croient point, non-seulement l'offensent lui-même, mais encore son Père. Si c'est la volonté du Père que son Fils sauve tout le monde, et si c'est pour cela que son Fils est venu dans le monde, ceux qui ne croient point sont rebelles à sa volonté. Lors donc que mon Père conduit quelqu'un, dit-il, rien ne l'empêche de venir à moi. Il continue ensuite d'expliquer sa parole, et il dit: «Personne ne peut venir à moi, si mon Père ne l'attire (44)». Et cependant saint Paul déclare que «c'est lui qui les donne au Père: lorsqu'il aura remis son royaume à son Dieu et au Père». (1Co 15,24) Comme donc le Père, lorsqu'il donne, ne se prive point de ce qu'il donne; de même aussi le Fils, lorsqu'il a remis à son Père, ne s'est privé de rien. Au reste, il est dit que le Fils donne au Père, parce que «c'est par lui que nous avons accès vers le Père». (Ep 2,18).

3. Ce mot: «Par lequel», l'Ecriture le dit aussi du Père, comme dans ce passage: «Par «lequel vous avez été appelés à la société de son Fils» (1Co 1,9), c'est-à-dire par la volonté du père. Et encore: «Vous êtes bienheureux, Simon, fils de Jean, parce que ce n'est point la chair et le sang qui vous ont révélé ceci». (Mt 2,17) En cet endroit, Jésus-Christ insinue à peu près ce que je vais dire: croire en moi ce n'est pas peu de chose, et on a besoin pour cela du secours de la grâce du ciel. Partout le Sauveur établit et confirme cette vérité; enseignant que l'âme courageuse qui est attirée de Dieu, a besoin de la foi.

Mais quelqu'un dira peut-être: Si tous ceux que le Père vous donne vont à vous, si tous ceux aussi qu'il attire vont à vous, et si personne ne peut venir à vous, s'il ne lui a été 318 donné d'en-haut, ceux à qui le Père ne le donne point, sont exempts de tout péché. Ce sont là des paroles et des prétextes; car notre volonté est aussi nécessaire: d'être instruit et de croire cela dépend de la volonté. Mais ici, par ces paroles: «Ce que le Père me donne», Jésus-Christ déclare seulement ceci: ce n'est pas une chose commune que de croire en moi, et cela ne dépend point du raisonnement humain, mais il faut la révélation d'en-haut; et une âme pieuse qui la reçoive. Cette parole: «Celui qui vient à moi sera sauvé», veut dire que la divine Providence en aura grand soin, car c'est pour cela que je suis venu, et que j'ai pris une chair et la forme de serviteur. A quoi il ajoute: «Je suis descendu du ciel non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m'a envoyé (38)».

Que dites-vous, divin Sauveur? Est-ce que vous avez une volonté et le Père une autre? De peur donc que quelqu'un ne formât ce doute, sur-le-champ il l'ôte par ce qui suit: «La volonté de mon Père, qui m'a envoyé, est que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle (40)». N'est-ce pas là votre volonté? Pourquoi dites-vous donc ailleurs: «Je suis venu pour mettre le feu «sur la terre, et que désiré-je, sinon qu'il «s'allume?» (Lc 12,49) Si c'est donc là votre volonté, il est évident que vous n'avez qu'une seule et même volonté avec votre Père; en effet, Jésus-Christ dit encore ailleurs: «Comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît». (Jn 5,21)

Quelle est donc la volonté du Père? N'est-ce pas qu'il ne périsse aucun de tous ceux qu'il vous donne? Et voilà ce que vous voulez vous-même: votre volonté et la volonté du Père ne sont donc pas différentes. De même, en un autre endroit, Jésus-Christ établit encore plus fortement son égalité avec le Père en disant: «Mon Père et moi nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure» (Jn 14,23); c'est-à-dire: je ne suis venu que pour faire la volonté de mon Père, et je n'ai point d'autre volonté que celle de mon Père. Car: «Tout ce qui est à mon Père est à moi, et «tout ce qui est à moi est à mon Père»: (Jn 17,10) Donc si tout ce qui est au Père est également au Fils, si tout est commun entre le Père et le Fils, c'est avec raison que le Fils dit: Je ne suis pas venu pour faire ma volonté.

Mais ici Jésus-Christ ne s'explique pas si clairement, il remet à le faire dans la suite. Ces vérités sublimes, comme j'ai dit, il les cache encore et les couvre comme sous une ombre; il veut montrer que s'il avait dit Telle est ma volonté, les Juifs l'auraient méprisé: il dit donc qu'il coopère à la volonté du Père, afin de les frapper davantage de, crainte et de terreur, de même que s'il disait: Que pensez-vous? Pensez-vous qu'en ne croyant point en moi vous me fâchiez? Vous irritez la colère de mon Père: «Car la volonté de celui qui m'a envoyé est que je ne perde aucun, de tous ceux qu'il m'a donnés (39)». Le divin Sauveur déclare ici qu'il n'a nullement besoin de leur culte, et qu'il n'est pas venu dans son propre intérêt ou dans celui de sa gloire, mais pour leur salut; il l'a dit aussi dans le discours précédent: «Je ne tire point ma gloire des hommes»; et derechef: «Je dis ceci afin que vous soyez sauvés». Toujours et partout il s'attache à leur faire connaître qu'il est venu pour leur salut. Au reste, il dit qu'il travailla, pour glorifier son Père, afin qu'ils ne puissent former aucun soupçon contre lui:

Il fait voir plus clairement, par la suite, que c'est pour cette raison qu'il a parlé de la sorte: «Celui qui veut faire sa volonté», dit-il, «cherche sa propre gloire; mais celui qui cherche la gloire de celui qui l'a envoyé est véritable; et il n'y a point en lui d'injustice». (Jn 7,18) «La volonté de mon Père est que, quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour». (Jn 6,40) Pourquoi Jésus-Christ parle-t-il si souvent de la résurrection? C'est afin que les Juifs ne jugent pas de la providence de Dieu seulement sur les choses de cette vie, afin que ceux qui ne jouissent pas des biens de ce monde ne se découragent pas, mais se consolent par l'espérance des biens futurs; et que ceux qui méritent le châtiment, s'ils ne le reçoivent pas en cette vie, ne bravent point pour cela la Providence; mais qu'ils sachent qu'une autre vie les attend.

4. Mais si les Juifs n'ont, en aucune manière, profité de ces vérités, travaillons fortement nous-mêmes; mes frères, à en faire notre profit, en nous entretenant souvent de la résurrection. Si l'envie de nous enrichir, de [319] voler ou de commettre quelque mauvaise action nous agite et nous tourmente, aussitôt pensons à ce jour, et représentons-nous le tribunal auquel nous comparaîtrons; cette pensée réprimera la violence de nos passions et de nos désirs plus efficacement qu'aucun autre frein. Disons-le aux autres, disons-le-nous continuellement à nous-;mêmes: il y a une résurrection, il y a un tribunal redoutable et terrible. Si nous voyons quelqu'un qui se réjouisse et tire vanité de ses richesses, représentons-lui qu'il y a une résurrection et un jugement, et que tout ce qu'il possède de bien restera ici; si nous trouvons une autre personne dans l'affliction, et gémissant sous le poids de ses calamités, représentons-lui la même chose, faisons-lui savoir que ses peines et ses afflictions finiront; et si nous rencontrons un paresseux, un homme qui vive dans la mollesse, crions-lui la même chose, apprenons-lui qu'il sera puni de sa paresse. Cette parole guérira mieux notre âme que tout autre remède que nous lui pourrions appliquer.

Sûrement il y a une résurrection, et cette résurrection n'est point éloignée, déjà elle est à la porte. «Encore un peu de temps», dit saint Paul, «et celui qui doit venir viendra, et ne tardera pas» (He 10,37); et encore: «Nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ» (2Co 5,10), c'est-à-dire et les méchants et les bons; ceux-là pour être couverts de honte et de confusion devant tout le monde, ceux-ci pour recevoir une plus grande gloire en présence de tons les hommes. Comme ici les juges punissent publiquement les méchants et comblent les bons de louanges et d'honneurs en présence de tout le monde, il en sera de même à ce jugement, afin que les uns aient plus de confusion, les autres plus de gloire.

C'est pourquoi, faisons tous les jours de ces vérités le sujet de nos méditations. Si elles nous sont toujours présentes, rien de ce monde, rien de ce qui passe ne sera capable de nous attacher. En effet, ce qui est visible est passager, ce qui est invisible est éternel. Disons-nous donc souvent et réciproquement les uns aux autres: il y a une résurrection, il y a un jugement où il nous faudra rendre compte de nos oeuvres. Tous ceux qui croient au destin, qu'ils se le disent, et bientôt ils seront délivrés de cette horrible maladie. Car s'il y a une résurrection et un jugement, il n'y a point de destin, en dépit de l'acharnement des impies obstinés à le soutenir. Mais j'ai honte d'enseigner à des chrétiens qu'il y a une résurrection; être encore à apprendre qu'il y en a une, sûrement c'est n'être pas chrétien; c'est n'être pas chrétien que de n'être pas persuade: qu'il n'y a point de fatale nécessité, que rien ne se fait au hasard ni à l'aventure; c'est pourquoi je vous prie et je vous conjure, mes frères, de vous délivrer et de vous purifier de toutes vos fautes et de tous vos péchés, et de faire tous vos efforts pour en obtenir le pardon et la rémission au jour du jugement.

Mais quelqu'un dira peut-être: Quand la consommation viendra-t-elle, quand arrivera la résurrection? Combien déjà s'est-il passé de temps sans qu'il arrivât rien de pareil? Mais sûrement ce temps viendra, croyez-le. Avant le déluge les hommes parlaient de même et se moquaient de Noé; mais le déluge arriva, et il engloutit dans ses eaux tous ces incrédules; celui-là seul qui avait cru fut sauvé. Et au temps de Loth les hommes ne s'attendaient pas que Dieu leur enverrait cette plaie terrible, jusqu'à ce que le feu et la foudre tombant du ciel les consumèrent tous. Or, ni alors, ni au temps de Noé, il n'y eut aucun signal pour avertir de ce qui devait arriver; mais lorsque tous étaient occupés à faire des festins, à boire, à s'enivrer, ce fut alors que tout à coup ces horribles maux fondirent sur eux; il en sera de même de la résurrection, rien ne l'annoncera; quand nous serons en pleine allégresse, elle arrivera. Voilà pourquoi saint Paul dit: «Lorsqu'ils diront: Nous voici en paix et en sûreté, ils se trouveront surpris tout d'un coup d'une ruine imprévue, comme l'est une femme grosse des douleurs de l'enfantement, sans qu'il leur reste aucun moyen de se sauver». (1Th 5,3) Au reste, la divine Providence l'a ainsi ordonné, afin que nous nous tenions toujours prêts et que nous ne nous croyions pas en sûreté, même lorsque nous ne voyons rien à craindre.

Que répondez-vous? Vous ne croyez pas qu'il y aura une, résurrection et un jugement? Les démons mêmes le croient et le confessent hautement, et vous ne le croyez pas? «Etes-vous venu ici», disent-ils, «pour nous tourmenter avant le temps?» (Mt 8,29) Or, ceux qui disent qu'il y aura des tourments reconnaissent sans doute qu'il y a un [320] jugement, qu'il faudra rendre compte, de ses oeuvres et qu'il y a un enfer. Par nos folies, par. nos extravagances, par nos incrédulités, n'attirons donc point sur nous la colère de Dieu. Comme Jésus-Christ nous a précédés dans les autres choses, en ceci encore il nous précédera. En effet, c'est pour cela qu'il est appelé «le premier né d'entre les morts». (Col 1,18) Que s'il n'y avait point de résurrection, comment pourrait-il être le premier né d'entre les morts, aucun d'entre les morts ne marchant à sa suite? S'il n'y a point de résurrection, comment sauvera-t-on la justice de Dieu, lorsque tant de méchants vivent dans la prospérité, et que tant de justes passent leur vie dans la, peine et les afflictions? Où chacun d'eux recevra-t-il selon ses oeuvres et ses mérites, s'il n'y a point de résurrection? Cette résurrection; nul de ceux qui vivent bien ne refuse d'y croire; les: gens de bien soupirent sans cesse après cet heureux jour, répétant cette seule parole. «Que votre règne arrive». (Mt 6,10) Qui sont donc ceux qui n'y croient point? Ce sont ceux qui marchent dans les voies de l'iniquité et qui vivent, dans l'impureté du péché, comme dit le prophète: Ses voies sont souillées en tout temps «vos jugements ne se présentent point devant sa vue.». (Ps 9,26-27) Non, il n'est point, d'homme, il n'en est point, qui, menant une vie pure et sainte, ne croie la résurrection: Et tous ceux quine se sentent coupables d'aucun mal, disent, espèrent et croient qu'ils recevront une récompense.

N'irritons donc point la colère de Dieu, mais écoutons ce qu'il dit: «Craignez celui qui peut perdre et l'âme et le corps dans l'enfer» (Mt 10,28), afin que, corrigés par la crainte et préservés de cette perdition, nous soyions jugés, dignes d'entrer dans le royaume des cieux, que je vous souhaite, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et à soi, adorable, très-saint et vivifiant Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles éternels! Ainsi soit-il. .




Chrysostome sur Jean 44