Chrysostome Philippiens 600

HOMÉLIE 6 - QU'ON RECONNAISSE EN VOUS LES SENTIMENTS DE JÉSUS-CHRIST MÊME, QUI ÉTANT L'IMAGE DE DIEU... Ph 2,5-9

ET SON ÉGAL,... S'EST ANÉANTI EN PRENANT LA FORME DE SERVITEUR, ETC. (Ph 2,5-9)

Analyse.

1-4. Exorde : Jésus-Christ proposé par lui-même et par saint Paul comme modèle de charité. — Les ennemis de l'Incarnation nommés, leurs hérésies dévoilées, leurs impiétés d'avance réfutées par le texte de saint Paul.- Réfutation spéciale de Sabellius et d'Arius. — Le Fils n'est pas un petit Dieu, inférieur au Père. — Jésus-Christ a pu se croire Dieu, « sans rapine », puisqu'il l'est: l'orateur profite de ce texte, pour établir à la fois la nature divine de Jésus-Christ, et l'essence de l'humilité. — Il explique les mots : « In forma Dei ».
4-6. Judas perverti par l'avarice : craignons de succomber sous cette passion.— Mammon et Jésus-Christ se disputent le monde. — L'enfer au bout de l'avarice. Pourquoi l'orateur parle de l'enfer.

601 1. Quand Notre-Seigneur Jésus-Christ veut élever ses disciples aux plus grandes vertus, il propose en exemple les prophètes, son Père et lui-même, disant tantôt : «Ainsi ont-ils traité les prophètes qui ont vécu avant moi ». Tantôt: « Apprenez de moi que je suis doux. » (35) (Mt 5,12 Mt 11,29) ; et ailleurs : « Soyez miséricordieux comme votre Père qui est dans le ciel ». (Lc 6,36)

Paul ne suit pas une autre méthode. Pour décider les Philippiens à la pratique de l'humilité, il met en scène Jésus-Christ; et ce n'est pas seulement pour cette vertu, c'est aussi pour expliquer la charité envers les pauvres, qu'il rappelle ce grand modèle en ces termes « Vous connaissez la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui pour nous s'est fait pauvre, lorsqu'il était si riche ! » (2Co 8,9) Il n'est rien, en effet, qui excite une âme grande et sage à la pratique du bien, comme de lui faire comprendre que ses oeuvres la rendront semblable à Dieu. Quel motif vaudra jamais celui-là pour décider une volonté? Paul le savait, aussi pour amener ses lecteurs à l'humilité, il a commencé par les prier et par les conjurer; puis il a employé les paroles encourageantes: « Vous persévérez», disait-il, «dans un seul esprit » ; et encore : « Ce qui est une preuve de leur perdition, et de votre salut». (Ph 1,27) Mais il arrive enfin à son grand moyen de persuasion: « Soyez dans la même disposition et dans le même sentiment où a été Jésus-Christ, qui étant dans la forme de Dieu, n'a point cru que ce fût pour lui une rapine et une usurpation d'être l'égal de Dieu, mais qui cependant s'est anéanti, prenant la forme de l'esclave (Ph 2,5-6) ».

Mes frères, appliquez-vous, je vous en prie, élevez vos âmes. Comme un glaive à double tranchant, de quelque côté qu'il frappe, au milieu même d'innombrables bataillons, les rompt facilement et les détruit, parce que, tranchant des deux côtés, il présente d'ailleurs sa pointe à qui rien ne résiste : ainsi en est-il des paroles du Saint-Esprit. Oui, par la force de ces paroles, les sectateurs d'Arius d'Alexandrie, de Paul de Samosate, de Marcel le Galate, de Sabellius l'Africain, de Marcion le Pontique, de Valentin, de Manès, d'Apollinaire le Laodicéen, de Photin, de Sophronius, tous les hérétiques, sans exception, sont tombés sous les coups de Paul.

Invités à ce noble spectacle de leur défaite, conviés à voir toutes leurs phalanges abîmées d'un seul coup, réveillez-vous, pour ne pas perdre un seul trait de ce spectacle divin. Car enfin, si dans les courses des chevaux et des chars, le plus beau coup de théâtre pour vous est de voir un des vaillants écuyers vaincre d'un élan triomphal tous les chars et tous les écuyers ses rivaux, et parmi ces véhicules renversés, et au milieu de ses adversaires encore sur le siège, arriver seul jusqu'à la borne, jusqu'à la barrière du combat, alors que de toutes parts éclatent les applaudissements, et que les clameurs s'élèvent jusqu'aux cieux; alors que le vainqueur, à qui la joie et les applaudissements semblent donner des ailes, achève avec ses coursiers de parcourir le stade : combien plus n'éprouverez-vous pas de bonheur, après qu'aidés de la grâce de Dieu, nous aurons culbuté les bataillons des hérésies et les machines de guerre du démon avec leurs écuyers eux-mêmes, qui ne seront plus ensemble qu'un monceau de ruines?

Mais, s'il vous plaît, plaçons en ordre toutes ces hérésies. Quel ordre adopterons-nous, celui de leur impiété, ou celui des temps? Suivons plutôt celui des temps; car, au point de vue de l'impiété, il serait difficile de les classer.

Vienne d'abord Sabellius l'Africain. Que dit-il? « Père, Fils, Esprit-Saint, trois noms et rien de plus, désignant une seule personne ».

Marcion le Pontique nie la bonté de ce Dieu qui a créé toutes choses; il ne veut pas qu'il soit père du Christ, qui est bon; il en imagine un autre qui est juste, selon lui; quant au Fils, il ne s'est pas incarné pour nous.

Marcel, Photin, Sophronius prétendent que le Verbe est une « énergie », et que cette énergie habite dans cet homme qui est né de la race de David, mais que ce n'est pas une substance hypostatique. Arius le reconnaît comme Fils, mais de nom seulement. C'est une créature, dit-il, et bien inférieure au Père. Les autres hérétiques refusent une âme à Jésus-Christ. Voyez-vous tous les chars en ligne? Considérez aussi leur ruine complète; voyez bien comment Paul les choque et les renverse, mais tous, vous dis-je, d'un seul coup, d'un seul élan ! Et comment les a-t-il renversés? « Prenez en vous », dit-il, « les sentiments de Jésus-Christ, qui étant dans la forme de Dieu a cru, sans usurpation aucune, être l'égal de Dieu » (Ph 2,5-6). C'est assez pour briser Paul de Samosate, et Marcel, et Sabellius. Car il le déclare : « Jésus-Christ était dans la forme de Dieu » (Ph 2,6). S'il était dans cette forme, comment donc, impie, oses-tu dire qu'il a commencé en Marie, et qu'auparavant il n'était pas? Comment encore ne serait-il qu'une (36) « énergie? » Car s'il dit: «Dans la forme de Dieu», il dit aussi: « Dans la forme d'esclave » (Ph 2,7). L'esclave en bonne forme, n'est-il que l'esclave en énergie, ou l'esclave en nature? Certainement, réponds-tu, l'esclave formel, c'est l'esclave en nature. Donc aussi la forme de Dieu, c'est la nature de Dieu, et non une simple « énergie ». Ainsi succombent Marcel le Galate, Sophronius et Photin.

602 2. A Sabellius, maintenant. L'apôtre dit « Comme il était dans la forme de Dieu, il n'a pas cru que ce fût une usurpation pour lui, que d'être l'égal de Dieu » (Ph 2,6). Qui dit égal, dit égal à un autre : l'égalité ne peut se dire d'une personne seule. Vous voyez donc ici la substance, l'hypostase de deux personnes, et non pas de vains noms qui ne s'appliquent pas à des réalités. Par là même, le Fils unique vous apparaît existant avant tous les siècles. Mais cela suffit contre ces adversaires.

Contre Arius, que dirons-nous? Il fait le Fils d'une autre substance que son Père. — Hérétique, réponds-moi : que veut dire cette proposition : « Il a pris une forme d'esclave? » (Ph 2,7) Il s'est fait homme, me répond-il. Donc aussi, puisqu'il était dans « une forme de Dieu », il était Dieu; car dans les deux textes se trouve cette expression de « forme ». Si ce mot est vrai dans un cas, il l'est aussi dans l'autre: la forme d'esclave ici, c'est l'homme en sa nature; donc aussi la forme de Dieu, c'est Dieu dans sa nature. L'apôtre ne s'en tient pas là ; mais comme Jean l'Évangéliste, il atteste la parfaite égalité de Jésus-Christ avec Dieu, et montre qu'il n'est en rien inférieur au Père: « Il n'a pas regardé comme une usurpation d'être l'égal de Dieu» (Ph 2,6).

Toutefois, n'ont-ils pas ici quelque subtilité à nous opposer? Le texte, disent-ils, affirme précisément le contraire, puisqu'il dit: Etant dans la forme de Dieu, il n'a pas voulu être usurpateur de la nature de Dieu. — Mais s'il était Dieu même, comment pouvait-il ravir la nature divine? Se peut-il entendre un langage plus absurde? Dirait-on jamais ceci, par exemple: Etant homme, il n'a pas ravi la nature humaine? Quelqu'un pourrait-il ravir ce qu'il est essentiellement?

Vous ne comprenez pas, répondent-ils; entendez ainsi le texte : Le Fils étant un Dieu moindre, n'a pas usurpé l'égalité avec le Dieu grand, avec celui qui est plus grand que lui. — Ainsi, pour vous, il y a un Dieu grand : et un Dieu petit ! Voilà que vous introduisez le paganisme dans l'Église. Chez les païens, en effet, il y a petit et grand Dieu; en est-il de même chez vous? Je l'ignore. Dans les Écritures, du moins, vous ne trouverez nulle part rien de pareil : partout le grand, nulle part un petit. Car dès qu'il est petit, comment est-il Dieu ? S'il n'y a pas, à vrai dire, d'homme petit et d'homme grand, mais une seule nature d'homme; si tout ce qui n'a pas cette nature, n'est pas homme, comment s'est-il trouvé un Dieu grand et un Dieu petit en dehors de la nature divine? Qui est petit, n'est pas Dieu: car partout nos saints livres le proclament grand : «Le Seigneur est grand», dit David, « et dépasse toute louange ». Il le dit du Fils aussi, car partout il l'appelle son Seigneur. — Ailleurs il s'écrie : « Vous êtes grand, vous faites des merveilles, vous êtes le seul Dieu ». Et encore : « Notre Seigneur est grand, grande est sa puissance; sa magnificence est sans limites ». (Ps 47,1 Ps 85,10 Ps 143,3)

Tout cela se dit du Père, répliquent-ils; le Fils est petit. — Vous le prétendez, vous : mais contre votre dire, l'Écriture affirme du Fils ce qu'elle prononce du Père. Écoutez la parole de Paul : « Nous attendons la bienheureuse espérance, et l'avènement de gloire du Dieu grand ». (Tt 2,13) L'avènement ! Est-ce du Père qu'on dit cela? Or, pour vous condamner mieux encore, il a ajouté: L'avènement « du Dieu grand». Cette phrase a-t-elle jamais été dite du Père? Jamais ! Au reste, ce qu'il ajoute ne permet point un tel sens: «L'arrivée du Dieu grand et notre Sauveur, Jésus-Christ ». Voilà donc le Fils aussi déclaré grand ! Comment parlez-vous donc de grand et de petit? — Écoutez encore un prophète qui l'appelle : « L'Ange du grand conseil ». Qu'est- ce que l'Ange du grand conseil? N'est-il pas grand lui-même? Celui qui est le « Dieu fort », ne serait pas grand, mais petit? Comment ces impudents et criminels sectaires osent-ils abuser des mots, jusqu'à dire: Un petit Dieu ? Souvent je rapporte leurs propres termes, pour que vous en ayez horreur. — C'était un petit Dieu, disent-ils; et il n'a pas été jusqu'à usurper le même rang que le grand. — Qu'est ceci? dites-moi; (cependant, n'allez pas croire que ces paroles absurdes soient de moi !) Mais d'après leur opinion, le Fils était petit, et bien inférieur (37) en puissance à son Père : dès lors, comment aurait-il usurpé l'égalité avec Dieu le Père? Une nature inférieure ne peut, quelque usurpation qu'elle fasse, devenir une nature supérieure. Ainsi l'homme ne pourra jamais se faire l'égal de l'ange; le cheval ne pourrait, le voulût-il, arriver à être selon la nature égal à l'homme.

Mais, laissant ce moyen, j'ai une question à vous faire. Par cet exemple de Jésus-Christ, que veut établir saint Paul? Vous me répondrez qu'il veut conduire les Philippiens à l'humilité. Alors, pourquoi nous proposer ce modèle? Dès qu'on veut exhorter à l'humilité, on ne s'exprime pas ainsi. On ne dit pas: Soyez humble, n'ayez pas de vous-même des sentiments aussi avantageux que de vos égaux; prenez modèle sur cet esclave; il ne s'est pas révolté contre son maître; imitez-le ! A un tel propos, vous répondriez : Ce n'est pas là un type d'humilité ! Sa révolte serait de l'arrogance! — Or, apprenez, impie, dont l'enflure est diabolique, apprenez ce que c'est qu'humilité:

En quoi consiste l'humilité? A n'avoir que d'humbles sentiments. Or, l'homme humble par nécessité n'a pas pour cela d'humbles sentiments; le vrai humble s'humilie lui-même. Je veux vous éclaircir ce point, appliquez-vous. Si, pouvant avoir des sentiments élevés de soi-même, un homme n'en veut avoir que des idées modestes, il est humble de coeur. Mais quiconque n'a d'humbles pensées que parce qu'il ne peut en avoir de magnifiques, n'est pas humble très certainement. Par exemple, que l'empereur se soumette à son sujet, voilà l'humilité de coeur, puisqu'il descend de son rang suprême; que le sujet s'incline devant lui, au contraire, il n'est pas humble pour cela; car il ne s'est pas abaissé d'une plus haute position. Il n'y a vraiment aucune place au sentiment de l'humilité, si vous ne pouvez même pas être humble. Qu'un homme soit rabaissé malgré lui et par nécessité, cette soumission, bonne en elle-même, n'est pas attribuable à ses sentiments, à sa volonté, mais à la nécessité. Or "tapeinophrosune," est un mot qui, par lui-même, dit abaissement volontaire de l'esprit.

603 3. Voudrez-vous, dites-moi, louer pour son amour de la justice, l'homme qui se contient dans les limites de ses propriétés, mais qui n'a aucun moyen de ravir celle d'autrui? Non; et pourquoi ? c'est que la nécessité, l'impossible empêche qu'on ne juge de sa volonté. Dites-moi encore: vanterez-vous, comme tranquille et paisible, le citoyen qui reste dans la vie privée, lorsqu'il ne pourrait aucunement s'emparer d'un pouvoir, d'un trône? Non encore, il n'y a pas place au mérite. Car le mérite, sachez-le, ignorants, ne consiste pas à s'abstenir en pareil cas, mais à pratiquer son devoir. L'abstention ainsi entendue ne mérite pas le blâme, mais n'arrive pas non plus jusqu'à mériter l'éloge. Voyez plutôt comment Jésus-Christ lui-même motive la louange des élus : « Venez, les bénis de mon Père; possédez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde; car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ». (Mt 25,34-35) Il ne dit pas: Car vous n'avez pas désiré le bien d'autrui; car vous n'avez pas volé; ce serait trop peu de chose; mais: Vous m'avez vu avoir faim, et vous m'avez nourri. — Qui donc a jamais parlé de la sorte de ses amis ou de ses ennemis? Quelqu'un a-t-il jamais loué Paul, mais que dis-je? Paul! Quelqu'un a-t-il jamais fait d'un homme vulgaire, l'éloge que vous, hérétique, vous faites de Jésus-Christ, quand vous dites : Il n'a pas usurpé une dignité qui ne lui appartenait pas? — Louer quelqu'un de cette façon, c'est lui donner certificat de malice achevée. Pourquoi? C'est qu'on donne ordinairement aux malfaiteurs des compliments négatifs, tels que celui-ci : « Que celui qui volait, ne vole plus désormais ». (Ep 4,28) On ne parle pas sur ce ton aux honnêtes gens. On ne s'avise pas de louer celui qui n'a pas ravi une dignité qui ne lui appartenait pas: quelle folie serait-ce de le vanter ainsi?

D'ailleurs... Mais appliquez-vous, je vous prie, mon raisonnement se prolonge... Qui voudrait, surtout de cette manière, exhorter à l'humilité? Un exemple ne doit-il pas toujours être plus grand et plus beau que la chose même, objet de votre exhortation? Ira-t-on jamais le prendre dans une sphère obscure et inférieure ? Non. Voyez plutôt Jésus-Christ exhortant à faire du bien même à ses ennemis; il se sert d'un grand exemple, celui du Père « qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber sa pluie sur le juste et sur l'injuste ». (Mt 5,45) Veut-il exhorter à la douceur, il se pose en exemple : « Apprenez de moi que je suis doux et (38) humble de coeur » (Mt 11,29) ; et ailleurs : « Si j'ai fait ainsi pour vous, moi votre Seigneur et votre Maître, combien plus devez-vous le faire vous-mêmes? » (Jn 13,14) Voyez-vous quel modèle il choisit? Il ne faut pas en effet qu'un modèle soit inférieur : c'est là une règle que nous gardons nous-mêmes.

Or, dans la question présente, l'exemple, entendu comme les hérétiques, n'approche même pas du terme où il doit nous conduire. Comment cela? C'est que, si vous me proposez un esclave comme modèle, c'est un être inférieur, soumis par droit à un plus grand que lui : je n'y reconnais point d'humilité. C'est le contraire que vous deviez faire; il fallait nous montrer un plus grand obéissant à un plus petit. Mais comme l'apôtre ne trouvait en Dieu rien de semblable, je veux dire, une personne plus grande et une autre moindre, il a établi leur parfaite égalité.

Si le Fils avait été inférieur au Père, son exemple ne valait plus et ne pouvait servir à saint Paul, pour commander l'humilité. Pourquoi? Parce qu'il n'y a pas d'humilité à ne pas attaquer plus grand que soi, à ne pas usurper une dignité, à obéir jusqu'à la mort.

Souvenez-vous, d'ailleurs, d'une recommandation qui accompagne cet exemple. Saint Paul disait tout à l'heure : « Que chacun de vous par esprit d'humilité croie les autres au-dessus de soi ». — « Que chacun croie », dit-il; en effet, puisqu'à l'égard de la nature vous êtes une même chose, et que la grâce que vous avez reçue de Dieu vous rend tous égaux, l'humilité ne peut plus être que dans les sentiments. Mais quand il parle de plus petits et de plus grands, il ne dit plus : Supposez et croyez; mais : Honorez ceux qui sont au-dessus de vous; c'est sa parole dans un autre passage : « Obéissez à vos supérieurs et soyez-leur soumis » (He 13,17). Au cas actuel, saint Paul demande la soumission d'après la nature même des choses; tandis qu'au cas précédent, elle doit venir de notre libre jugement. « Que chacun par un sentiment d'humilité croie les autres au-dessus de soi » : et c'est bien là ce qu'a fait Jésus-Christ lui-même.

Ces réflexions suffisent à renverser le système hérétique. Il nous reste à exposer notre doctrine. Auparavant résumons ici cette controverse: Non, saint Paul, conviant les fidèles à la pratique de l'humilité, n'a pas dû produire en exemple un inférieur obéissant à un supérieur. S'il avait voulu prêcher simplement l'obéissance, celle que des serviteurs doivent à leur maître, à la bonne heure ! Mais lorsqu'il s'agit de conseiller à l'homme libre de s'abaisser devant l'homme libre, que peut faire en pareil cas la soumission de l'esclave à son maître? de l'inférieur envers son supérieur? — Aussi bien n'a-t-il pas dit que le plus petit obéisse au plus grand; mais obéissez-vous les uns aux autres, bien que vous soyez d'égale dignité. « Croyez les autres au-dessus de vous ». Pourquoi n'a-t-il pas cité plutôt l'obéissance imposée à la femme? Ainsi que la femme obéit au mari, aurait-il dit, ainsi vous-mêmes obéissez. S'il n'a pas apporté l'exemple des époux, entre lesquels, après tout, se trouve égalité et liberté; s'il l'a évité, parce qu'il s'y rencontre cependant une certaine dépendance, combien moins aurait-il mis en avant l'exemple de l'esclave ? — Au reste, j'ai commencé par faire remarquer qu'on ne louera personne, qu'on ne voudra pas même citer qui que ce soit, pour le seul mérite de ne pas être un criminel. Pour célébrer la chasteté d'un homme, on ne dira jamais qu'il ne fut point adultère; on le vantera, par exemple, de n'avoir pas même usé de son épouse. S'abstenir d'actions honteuses ne sera jamais à nos yeux un sujet de gloire; la gloire ici serait ridicule.

J'ai ajouté que « la forme de l'esclave » était vraie, et rien moins que l'esclave lui-même; par conséquent que « la forme de Dieu » est parfaite et rien moins que Dieu. Mais pourquoi est-il dit, non pas qu'il a été fait dans la forme de Dieu, mais qu' « il y était? » Cette expression équivaut à celle-ci : « Je suis celui qui suis ». La forme, en tant que forme, annonce identité de nature; il ne se peut que la forme soit la même quand l'essence est différente; que, par exemple, l'homme ait la forme angélique; que la brute ait la forme humaine. Alors, concluez : Qu'est-ce que le Fils?

En nous, il est vrai, en nous qui sommes composés de deux substances, la forme appartient au corps : mais en CELUI qui était parfaitement simple et sans composition, la forme, évidemment, appartient à son essence et la désigne.

Que si, parce que le texte porte « en forme de Dieu (1) », en morphe Theou, sans article, vous (39) prétendez que le Père n'est pas désigné ici, je vous montrerai en maints passages le Père désigné par le mot Dieu sans article. Pourquoi vous annoncé-je d'autres textes; d'abord, celui-ci m'en donne une preuve immédiate : il n'a pas cru être usurpateur, quand il s'est cru l'égal « de Dieu», et non pas « du » Dieu (Theo simplement); il n'a pas mis l'article, bien qu'il parlât du Père. — Volontiers j'ajouterais mes autres citations ; mais je crains de fatiguer vos esprits. Du moins que vos mémoires retiennent ce que nous avons dit pour renverser les systèmes ennemis. Arrachons les épines (du doute et de l'erreur), puis nous sèmerons la bonne semence, après avoir détruit les ronces maudites et rendu à la terre de nos coeurs un champ libre et reposé; il lui faut, en effet, dépouiller toute la végétation vicieuse des doctrines étrangères, pour qu'elle puisse ensuite recevoir avec pleine vertu les divines semences.

1. Les ariens prétendaient que le mot Dieu, qui en grec admet l'article « le Dieu » signifiait le Père; mais que, sans l'article, Dieu simplement indiquait le Fils. Le saint les réfute victorieusement.


604 4. Rendons grâces à Dieu pour l'instruction que nous venons d'entendre; demandons-lui qu'il nous accorde de la garder et de la retenir, afin que, peuple et prédicateur en recueillent la joie, et les hérétiques la confusion. Supplions-le qu'il daigne aussi, pour la suite de ce discours, nous ouvrir la bouche, et nous inspirer pour l'instruction des moeurs. Prions-le qu'il nous donne une vie digne de notre foi, afin que, vivant pour sa gloire, nous ne fassions jamais par notre faute blasphémer son saint nom. « Malheur à vous », est-il écrit, « parce qu'à cause de vous le nom de Dieu est blasphémé ».

Si, lorsque nous avons un fils, (et que pouvons-nous avoir de plus proche qu'un fils?) et que nous sommes, à cause de lui, en butte aux outrages, nous le renions, nous le détestons, nous le rejetons; combien plus voyant des serviteurs ingrats, blasphémateurs et outrageux, Dieu ne devra-t-il pas les rejeter et les haïr? Et devenus les objets de cette aversion, de cette haine de Dieu, qui donc recevra, qui protégera ces misérables? Personne, Satan et les démons exceptés. Et cette proie du démon, quel espoir de délivrance lui reste? Quelle consolation dans sa triste vie?

Tant que nous sommes dans la main de Dieu, nul ne peut nous en arracher, tant elle est puissante. Mais une fois tombés hors de cette main, de cette puissance secourable, nous sommes perdus, exposés en proie à tous les ravisseurs, jetés sous tous les pieds qui voudront nous fouler, pareils à des murs croulants, à une haie renversée. Quand la muraille est faible, chacun facilement lui donne l'assaut ; et ce que je vais dire de Jérusalem, ne s'applique pas seulement à la cité sainte, mais, sachez-le, à tout homme. Or, qu'est-il écrit de Jérusalem ?

«Je chanterai au peuple que j'aime le cantique que mon bien-aimé a composé pour sa vigne. — Mon bien-aimé avait une vigne sur une colline, dans un lieu fertile. — Je l'ai close, je l'ai environnée d'un fossé, et j'ai planté un cep de Sorech ; j'ai bâti une tour au milieu, j'y ai construit un pressoir, et j'ai attendu qu'elle me produisît des raisins, et elle n'a produit que des épines. — Maintenant donc, vous, habitants de Jérusalem, et vous, hommes de. Juda, soyez juges entre moi et ma vigne. — Qu'ai-je dû faire de plus à ma vigne, et que je n'aie point fait? Car j'ai attendu qu'elle produisît du raisin; elle n'a produit que des épines. — Maintenant donc je vous montrerai ce que je veux faire à ma vigne. J'en arracherai la haie, et elle sera exposée au pillage; j'en détruirai la muraille, et elle sera foulée aux pieds. — Et j'abandonnerai ma vigne; elle ne sera plus taillée ni labourée; les épines y monteront, comme dans une terre inculte, et je commanderai aux nuées de ne plus lui épancher leurs ondes. — La vigne du Seigneur des armées, c'est la maison d'Israël, c'est l'homme de Juda, autrefois son plant choisi. — J'ai attendu qu'ils fissent des actions de droiture, ils n'ont en faute que l'iniquité; et au lieu de la justice que j'attendais, j'entends la clameur qui les accuse ». (
Is 5,1-7)

Toute âme trouve ici sa leçon. Car lorsque le Dieu de toute bonté a comblé la mesure de ses bienfaits ; et que l'âme, au lieu de raisin, a produit les épines, Dieu arrache la haie, détruit le mur, et nous sommes en proie aux ravisseurs. Ecoutez comment et avec quelle douleur un autre prophète a dépeint cet état : « Pourquoi, mon Dieu, avez-vous détruit sa muraille? Pourquoi est-elle ravagée par tous les passants du chemin? Le sanglier de la forêt l'a dévastée; toute bête sauvage y a pris sa pâture ». (Ps 719,13) Sans doute, il parle plus haut du Mède et du Babylonien ; mais ici il ne le (40) désigne même pas. Ce sanglier, cette bête solitaire et sauvage, c'est le démon et ses puissances infernales. « Solitaire et sauvage sanglier » désigne et dépeint son impureté et sa férocité. Pour donner une image de ses instincts rapaces, les saints livres le comparent au « lion qui rôde en rugissant, cherchant qui il pourra dévorer». (1P 5,8) Pour nous signaler ses poisons dangereux et mortels, ils l'appellent serpent et scorpion. « Foulez aux pieds », est-il dit, « les serpents, les scorpions, et toute la puissance de l'ennemi ». (Lc 10,19) Pour nous faire comprendre à la fois son poison et sa force, ils le nomment dragon ; ainsi dans ce passage : « Le dragon que vous avez fait pour s'y jouer». (Ps 103,26) Au reste, dragon, serpent, aspic, sont des noms que l'Ecriture lui donne partout; comme à une bête tortueuse, d'aspects variés et de force redoutable, qui agite, trouble, bouleverse toutes choses dans les hauteurs comme dans les abîmes.

Toutefois ne craignez pas, ne perdez pas courage; veillez seulement, et il ne sera plus qu'un faible passereau. « Foulez aux pieds », a dit le Seigneur, «les serpents et les scorpions ». Lui-même, si nous le voulons, le jettera sous nos pieds comme une vile poussière.

605 5. Mais qu'il est ridicule, ou plutôt qu'il est malheureux de voir qu'un être destiné à ramper sous nos pieds, plane en vainqueur sur nos têtes ! Et comment cela se fait-il? Par notre faute ! Il grandit, si nous voulons; et si nous voulons, il se rapetisse. Soyons bien à nos intérêts, serrons-nous autour de notre Roi : dès lors, il s'amoindrit, et n'a pas plus de pouvoir contre nous qu'un petit enfant. Mais si nous nous éloignons de notre Roi suprême, il se redresse, il frémit, il aiguise ses dents homicides, parce qu'il nous trouve privés de ce puissant auxiliaire. Il n'attaque, en effet, que dans la mesure que Dieu permet. S'il n'osait, par exemple, envahir un troupeau de pourceaux, avant que le Seigneur ne lui en eût donné permission, bien moins le ferait-il sur les âmes humaines. Dieu permet ses attaques, d'ailleurs, ou pour instruire, ou pour punir, ou même pour glorifier davantage ses élus. Voyez-vous, par exemple, que loin de provoquer Job, le démon n'osait même approcher de lui, qu'il le craignait, qu'il tremblait ?

Mais que parlé-je de Job? Judas, Judas lui-même ne devint la proie du démon et son entière conquête, que quand Notre-Seigneur eut retranché ce traître du collège sacré des apôtres. Jusque-là Satan le tentait au dehors, et n'osait faire irruption jusque dans son âme. Mais dès qu'il le vit retranché du saint bercail, il l'attaqua plus furieusement qu'un loup ne ferait jamais, et il ne lâcha cette proie qu'après lui avoir donné une double mort.

Ce douloureux chapitre a été, du reste, écrit pour notre instruction. Ne demandez pas ce que nous avons gagné à savoir que Jésus-Christ ait été trahi par l'un des douze intimes quel est ici notre profit, quel est notre avantage? Il est grand, vous répondrai-je. Si nous comprenons bien le motif, qui détermina ce perfide à un pareil complot, nous veillerons à ne pas nous laisser entraîner par une cause semblable.

Comment donc Judas en vint-il à se perdre? Par avarice. Il était voleur, et cette maladie le rendit fou au point de lui faire livrer Notre-Seigneur pour trente pièces d'argent. Quelle plus honteuse folie ! rien au monde n'égalait, rien ne pouvait valoir l'objet sacré de cette trahison; et « Celui » devant qui les nations sont comptées comme un néant, il le livre pour trente pièces d'argent! Tant est lourde la tyrannie de l'avarice, tant elle est capable de dégrader une âme! L'ivresse même produit clans l'âme un délire moins grand que l'avarice. La folie, l'idiotisme frappent moins fort que la passion de l'argent. Car, dis-moi, aveugle apôtre, quelle raison a déterminé ta perfidie ? Obscur et inconnu, tu fus, par le Seigneur, appelé, placé même au rang des douze; il te communiqua sa doctrine, il te promit des biens inappréciables, il te fit produire des miracles même; sa table, ses voyages, sa conversation, il partageait tout avec toi, comme avec tes collègues de l'apostolat. Tant de bienfaits ne suffirent donc pas à t'arrêter ? Quel si grand mobile alors te rendit traître? Avais-tu, scélérat, le moindre sujet de plainte; ou plutôt de quels biens ne t'avait-il pas accablé? Connaissant ton infâme dessein, il ne cesse de te donner tout ce qu'il a. Souvent il répète : « Un de vous me trahira» (
Mt 26,21); souvent il te désigne, en t'épargnant toujours; il sait ce que tu es, et ne te chasse pas du sacré collège. Il te supporte encore, et comme si tu étais toujours un membre légitime de ce corps (41) vénérable, un des douze intimes, il t'honore, il te chérit. Enfin, ô crime, tu le vois ceint d'un linge, et de ses pures mains lavant tes pieds impurs; rien ne t'arrête; tu continues à voler le bien des pauvres ; et le Seigneur le supporte encore pour t'empêcher de faire le dernier pas; mais rien ne peut changer ta détermination. Et pourtant, quand tu serais une bête féroce, une pierre même, tant de bienfaits reçus, tant de miracles opérés, cette doctrine sublime de l'Evangile enfin, ne devait-elle pas te fléchir? Hélas! jusque dans cette dégradation bestiale, le Seigneur te poursuit de ses appels; malgré cette pétrification de ton coeur plus dur que les rochers, ses oeuvres merveilleuses t'invitent au retour: mais en vain. tout cela ne peut amender Judas.

Peut-être, mes frères, cet excès de folie dans un traître vous étonne; ah! que sa plaie honteuse vous fasse trembler! La cupidité, D'amour de l'argent l'a fait ce que vous voyez. Arrachez de vos coeurs cette passion, qui enfante de telles maladies de l'âme, qui fait les impies, qui nous conduirait, même après mille bienfaits de la bonté de Dieu, à le méconnaître et à le renier. Arrachez cette passion, je vous en supplie; ce n'est pas une maladie légère; elle sait produire mille morts très-cruelles. Nous avons vu le mal de Judas craignons d'y succomber nous-mêmes. Son histoire a été écrite pour nous préserver de tels malheurs ; tous les évangélistes l'ont racontée, pour nous apprendre le désintéressement. Fuyez donc, et de loin, le vice contraire : l'avarice se reconnaît non-seulement dans le désir de beaucoup d'argent, mais dans le simple désir de l'argent. C'est déjà avarice grave, que de demander au-delà du besoin. Sont-ce des talents d'or qui ont poussé Judas à la trahison? Trente deniers lui ont suffi pour livrer le Seigneur. Ne vous souvient-il plus de ce que j'ai dit déjà, que le désir exagéré de l'argent se manifeste non pas seulement en acceptant une somme considérable, mais plus encore en recevant une somme chétive? Voyez quel grand crime commet Judas pour un peu d'or ! que dis-je pour un peu d'or, pour quelques pièces d'argent !


606 Non, non, jamais l'avare ne contemplera Jésus-Christ face à face; c'est là, je le répète, une impossibilité. L'avarice est la racine de tous les péchés. Que. s'il suffit d'un seul, pour perdre la gloire éternelle, où donc sera placé celui qui apportera, au jugement de Dieu, la racine de tous les péchés? Le serviteur de l'argent ne peut être le vrai serviteur de Jésus-Christ. C'est lui-même qui a proclamé cette incompatibilité absolue. « Vous ne pouvez », a-t-il dit, « servir Dieu et Mammon »; et encore : « Nul ne peut servir deux maîtres » (Mt 6,24), car leurs volontés sont contraires. Jésus-Christ vous dit : Pitié pour les pauvres! Mammon reprend : Prenez ce qu'ils possèdent. Jésus-Christ : Donnez-leur ce que vous avez ! Mammon : Ravissez même ce qu'ils ont. Voyez-vous le combat? Voyez-vous la guerre? Faut-il vous montrer comment personne ne peut servir ces deux maîtres, mais comment l'un des deux sera nécessairement méprisé? N'est-ce pas là une vérité d'une clarté qui n'a pas besoin de commentaire Comment ? c'est qu'en fait nous voyons Jésus-Christ méprisé et Mammon en honneur ! Sentez-vous déjà l'amertume de ces paroles? Et si les paroles sont amères, que ne sont pas les faits eux-mêmes? mais la maladie qui nous travaille, nous empêche de sentir la gravité des faits. Dès que nous commencerons à nous dégager des étreintes de cette passion, notre esprit jugera sainement des choses. Mais une fois sous l'empire de cette fièvre de l'or, notre âme se complaît dans son mal, perd absolument la faculté de juger, et voit se corrompre le tribunal même de sa conscience. Jésus-Christ prononce: « Si quelqu'un ne renonce pas à tout ce qu'il possède, il ne peut être mon disciple ». (Lc 14,33) Mammon réplique : Arrache le pain à l'indigent. Jésus-Christ Habillez sa nudité ! Mammon : Volez-lui jusqu'à ses haillons. Jésus-Christ : Ne méprisez pas votre propre sang et ceux de votre maison. Mammon : Pour ton sang et ta maison, point de pitié; quand ce serait un père, quand ce serait une mère, méprise-les. Et que parlé-je de père et de mère ? Sacrifie, je le veux, jusqu'à ton âme. Il commande, on l'écoute. Hélas! hélas ! ce maître qui vous impose des lois si cruelles, si inhumaines, si sauvages, nous trouve obéissants, plutôt que Celui dont le joug est léger et les commandements si salutaires. De là, l'enfer; de là, le feu; de là ce fleuve de flammes et ce ver qui ronge éternellement.

Je le sais : beaucoup ici ne sont point charmés de nous voir traiter ce sujet menaçant; mais moi-même, c'est malgré moi que j'y touche : (42) qu'ai-je, enfin, à y gagner? Ah ! bien mieux aimerais-je à vous entretenir continuellement des biens du royaume céleste, de ce repos, de ces ondes qui désaltèrent pleinement, de ces pâturages verdoyants et joyeux, comme les appelle le prophète : « Il m'a élevé auprès des eaux rafraîchissantes, il m'a placé au milieu de gras pâturages ». (Ps 22,2) Oui, j'aimerais à vous parler de ce lieu, d'où sont bannis la douleur, le deuil, les chagrins. J'aimerais à raconter le bonheur qu'on goûte dans un séjour avec Jésus-Christ, bien qu'il dépasse tout langage et même toute pensée. J'aimerais néanmoins à user toutes mes forces sur cet éternel et délicieux sujet, mais que ferais-je alors? Car il n'est pas possible de parler de royaume à un malade brûlé par la fièvre. Tant que dure son périlleux état, il faut traiter de sa guérison; tant que la peine et le châtiment le menacent, il messiérait de lui parler de gloire. On n'a qu'un but, en ce cas; c'est de le sauver de la peine, du supplice; si nous n'atteignons ce premier résultat, comment espérer l'autre? Continuellement donc je vous entretiens du mal à redouter, pour vous faire arriver au bien que vous désirez. Car si Dieu lui-même nous a menacés de l'enfer, c'est pour que personne ne tombe en enfer; c'est pour que tous nous arrivions à la couronne. Ainsi nous-mêmes nous ne cessons pas de vous parler d'enfer, pour vous relever jusqu'à l'espoir d'un trône, pour fléchir d'abord vos coeurs sous la crainte et les décider à pratiquer ce qui fait mériter la palme.

Veuillez donc supporter sans chagrin le poids de nos paroles. Ce poids de ma parole aura l'avantage d'alléger vos âmes du fardeau de leurs péchés. Le fer, aussi, les marteaux ont du poids; et cependant on fabrique avec eux les vases d'or et d'argent; on redresse les objets tors; si les outils étaient moins lourds, ils deviendraient impuissants à redresser un corps tordu. Ainsi le poids de nos reproches peut façonner vos âmes au bien. Ne cherchez donc pas à éviter ni leur pesanteur, ni leurs coups salutaires; on ne vous blesse jamais pour briser et déchirer vos âmes, mais pour les corriger.Nous savons, en effet, grâce à Dieu, dans quelle mesure il faut frapper, et quelle doit être l'intensité de nos coups, afin que, sales jamais briser le 'vase, ils puissent le guérir, le restaurer, le remettre en état de servir au divin Maître; de telle sorte que la réparation le présente avec un nouveau lustre, avec une forme et une ciselure irréprochable, au grand jour où doit couler le fleuve de feu, et qu'il ne devienne pas la pâture du bûcher que l'éternité entretiendra.

Si vous ne passez ici-bas par le feu de la parole, vous passerez infailliblement dans l'autre vie par le feu de l'enfer, puisque « le jour du Seigneur se révèlera par le feu ». (1Co 3,13) Mieux vaut qu'un instant notre parole vous brûle, que la; flamme dont parle ici l'apôtre. Cet avenir éternel, en effet, est d'une certitude absolue; souvent je l'ai prouvé par des raisons sans réplique; les saintes Ecritures suffiraient pour vous en donner la pleine conviction. Mais plusieurs étant portés à la discussion, nous y avons ajouté maints raisonnements. Rien n'empêche que maintenant même nous ne les apportions encore. — Qu'avions-nous dit? Dieu est juste, nous l'avouons; gentils et juifs, hérétiques et chrétiens. Or, bien, des pécheurs sortent de ce monde sans être punis; bien des hommes de vie vertueuse en sont sortis de leur côté après avoir subi mille calamités. Donc, si Dieu est juste, en quel lieu donnera-t-il aux uns la récompense, aux autres le supplice, s'il n'y a pas d'enfer, s'il n'y a pas de résurrection? Ce raisonnement, répétez-le toujours aux autres et à vous-mêmes; il ne vous laissera pas un doute sur la résurrection. Or, quand on croit à la résurrection, sans ombre de doute, on apporte tous les soins, toute l'attention possible à mettre son âme en état de gagner les biens éternels. Puissions-nous tous y parvenir, par la grâce et bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, en l'unité du Père et du Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



Chrysostome Philippiens 600