Chrysostome Philippiens 1000

HOMÉLIE 10 - AU RESTE, MES FRÈRES, RÉJOUISSEZ-VOUS DANS LE SEIGNEUR. IL NE M'EST PAS PÉNIBLE,... Ph 3,1-7

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... ET IL VOUS EST AVANTAGEUX QUE JE VOUS ÉCRIVE LES MÊMES CHOSES. (
Ph 3,1-7)

Analyse.

1. Heureux de leur écrire, il les invite à éviter les judaïsants.
2. II leur montre en quoi consiste la vraie circoncision, et témoigne qu'ayant tous les avantages de la loi, il a tout sacrifié pour Jésus-Christ.
3-6. Exhortation contre le luxe. — L'orateur montre les désavantages temporels d'un luxe exagéré, ainsi : luxe inutile des vêtements ; luxe plein de folie de l'or employé en bijoux ; luxe incroyable et ruineux de l'ameublement et de la décoration des maisons. — Le luxe envisagé au point de vue moral n'est pas moins malheureux. — Le luxe ne rend pas la vieillesse moins lourde, ni la vertu plus facile ; le luxe, au contraire, empêche la pratique de la vertu : on abuse des biens de Dieu et on oublie les pauvres. — Les pierreries n'ont de prix que dans notre imagination.

1001 1. Les chagrins et les inquiétudes, lorsque l'âme en est déchirée à l'excès, la privent de sa force propre. L'apôtre réveille et ranime les Philippiens, parce qu'il les voit en proie à de profonds chagrins. Ils s'affligeaient d'ignorer où en étaient les affaires de Paul; ils s'affligeaient parce qu'ils le croyaient mort; ils s'affligeaient à propos de la prédication et au sujet d'Epaphrodite. Sur tous ces points, il les comble d'assurances consolantes, et il conclut : « Pour tout le reste, mes frères, réjouissez-vous », car vous n'avez plus aucun sujet de tristesse. Vous avez Epaphrodite que vous regrettiez; vous avez Timothée, moi-même j'arrive, l'Evangile progresse : que peut-il vous manquer? Réjouissez-vous ! — Et tandis (66) qu'il appelle les Galates du nom de fils, il nomme ceux-ci ses frères. C'est qu'en effet, lorsqu'il veut administrer un blâme ou témoigner son affection, il choisit le titre de fils; mais quand ceux à qui il s'adresse lui paraissent mériter plutôt l'éloge que le blâme, il préfère le titre de frères. — Réjouissez-vous « dans le Seigneur », paroles bien justes et vraies, « dans le Seigneur » (Ph 3,1), et non pas d'une joie mondaine. Car celle-ci n'est point véritable; tandis que, d'après saint Paul, les souffrances en Jésus-Christ ont toujours leur bonheur. « Il ne m'est pas pénible et il vous est avantageux que je vous écrive les mêmes choses: Gardez-vous des chiens, des mauvais ouvriers, des faux circoncis » (Ph 3,1-2).

Vous voyez que saint Paul n'a pas commencé par les avertissements. Au contraire, il leur a donné plusieurs éloges, il leur a témoigné son admiration; il les loue de nouveau, avant de donner des avis. C'est qu'en effet, un discours d'avis est, de sa nature, pénible à entendre : aussi veut-il l'adoucir de toutes manières.

Qui appelle-t-il « des chiens ? » (Ph 3,2) C'étaient ces mêmes hommes que toutes ses épîtres laissent deviner, juifs impurs et abominables, avides d'argent et d'empire, et qui, pour attirer à eux nombre de fidèles, prêchaient à la fois le judaïsme et le christianisme, corrompant ainsi l'Evangile. « Prenez garde » à eux, dit-il, car ils sont difficiles à découvrir ; prenez garde « à ces chiens » (Ph 3,2). Les juifs ne sont plus les enfants de Dieu ; le nom de chiens qui désignait autrefois les gentils, leur convient maintenant. Comment? Parce qu'autant les gentils étaient éloignés de Dieu et de Jésus-Christ, autant les juifs ont rompu avec lui. Cette appellation si rude met à nu leur impudence, leur malice, leur séparation profonde et haineuse d'avec les enfants légitimes. Que les gentils aient été appelés chiens d'abord, la Chananéenne vous l'apprend : « Oui, Seigneur », s'écrie-t-elle; « mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ». (Mt 15,27) Mais pour qu'ils n'aient pas même cette espérance d'être parmi les chiens admis autour de la table de famille, il ajoute un mot qui les exclut absolument : « Prenez garde aux mauvais ouvriers » (Ph 3,2). Désignation étonnamment bien choisie : mauvais ouvriers, puisqu'ils travaillent sans doute, mais au bénéfice du mal; leur labeur est pire que l'oisiveté, puisqu'ils renversent les plus nobles institutions de Dieu.

« Prenez garde aux faux circoncis » (Ph 3,2). La circoncision, chez les juifs, était chose honorable, puisque devant elle la loi cédait, le sabbat n'était plus un jour sacré. Car pour donner la circoncision, on violait le sabbat, tandis que la loi de circoncision ne pliait pas devant celle du saint repos. Comprenez de là l'économie du plan divin : la circoncision était plus respectée que le sabbat lui-même, puisqu'aucun temps ne pouvait en dispenser. Or la première loi est tombée : combien plus le sabbat avec elle ! Aussi Paul ne laisse pas même à la circoncision son nom en cet endroit. Il ne dit pas qu'elle soit mauvaise, qu'elle soit inutile, pour ne pas irriter les sectaires; mais il poursuit plus prudemment le même but, détournant de la cérémonie même dont il leur laisse encore le nom imparfait, mais avec le désir d'ébranler cette loi. Avec les Galates, il procède autrement. Comme cette plaie des faux circoncis y était plus dangereuse, il tranche dans le vif hardiment et avec une grande autorité. Avec les Philippiens, au contraire, comme les mauvaises doctrines n'avaient pas de succès, il épargne leurs oreilles et ne leur dit rien de dur tout en les combattant là comme ailleurs : Prenez garde « aux faux circoncis. C'est nous qui sommes la vraie circoncision » (Ph 3,2-3); comment? « Puisque nous servons Dieu en esprit sans nous flatter d'aucun avantage charnel » (Ph 3,3). Il n'a pas dit : Comparons entre cette circoncision et cette autre, et jugeons laquelle est préférable. Il ne donne pas même à ce rit à jamais éteint son nom antique : Ce n'est plus la circoncision, dit-il, ce n'est plus qu'une « concision », une plaie inutile, et pourquoi? C'est que les juifs se bornent à retrancher leur chair. Dès qu'une telle observance n'est plus consacrée par la loi, elle n'est plus qu'une incision, qu'une section. Peut-être aussi la désigne-t-il sous ce nom, parce que ces sectaires cherchaient à fractionner, à diviser l'Eglise. Notre langue [grecque] emploie ce terme katatome pour toute manière de couper quand elle est maladroite et sans règle.

1002 2. Mais si vous tenez, dit l'apôtre, à connaître une circoncision véritable, vous la trouverez chez nous qui servons Dieu en esprit » (Ph 3,3), c'est-à-dire par notre âme et notre (67) coeur. Lequel vaut mieux, en effet, dites-moi, du corps ou de l'âme? Celle-ci, évidemment. Donc la circoncision charnelle n'est pas la meilleure, et même la circoncision spirituelle est la seule vraie. Tant que dura l'obligation du rit extérieur, il y avait lieu à comparer les deux circoncisions; on pouvait parler, avec l'apôtre, « de retrancher telles parties superflues de notre coeur ». Saint Paul, parlant aux Romains, pouvait exalter cette circoncision spirituelle et s'écrier : « Le vrai juif n'est pas celui qui l'est au dehors, et la véritable circoncision n'est pas celle qui se fait dans la chair; mais le vrai juif est celui qui l'est intérieurement, et la circoncision véritable, est celle du coeur qui se fait par l'esprit et non selon la lettre ». (Rm 2,28) Ici, saint Paul va plus loin; il refuse au rit ancien son nom même, il ne veut plus qu'il s'appelle circoncision. Car la figure peut avoir le nom de la vérité, tant que celle-ci n'a pas brillé ; mais elle doit le perdre aussitôt que la vérité paraît. Il en est de même dans l'art de la peinture. Supposez un portrait de l'empereur, mais seulement au trait et à l'état d'ébauche ; tant que l'éclat des couleurs n'a pas accusé le modèle, nous ne disons pas que le prince est là ; mais quand la couleur a été posée, le premier trait s'efface, se couvre sous ce ton plein de vérité, et nous disons : Voilà l'empereur ! Aussi saint Paul ne dit pas : Nous avons; mais bien « Nous sommes » la circoncision (Ph 3,3), et son langage est très-exact. La circoncision par la vertu, tel est le chrétien, en toute vérité. Il n'ajoute pas : Les juifs ne l'ont plus ! mais « Prenez garde à ces misérables coupés! » (Ph 3,2) Désormais ils marchent dans la mort et le vice. Et pour mieux montrer que la circoncision ne doit plus être opérée sur le corps, mais sur le coeur, il ajoute : « N'ayez plus de confiance en un avantage charnel » (Ph 3,3).

« Ce n'est pas que moi-même je ne puisse prendre avantage du côté de la chair » (Ph 3,4). Qu'est-ce à dire « prendre avantage » et « du côté de la chair? » Ce serait en tirer vanité, en parler avec sérieux et avec pleine confiance. Cette réflexion est belle et prudente. Car si Paul était né dans la gentilité, et qu'il accusât dès lors et la circoncision et ceux même qui la recevaient sans raison, il me paraîtrait si ardent à l'attaque que, pour des motifs personnels, il laisserait voir qu'il est privé de cette marque de noblesse qui caractérisait le judaïsme; qu'il en ignore la grandeur et la majesté; qu'il n'a pas la gloire d'y participer. Mais, maintenant circoncis et censeur toutefois de la circoncision, il ne l'attaque pas par le dépit d'en être exclus, mais par le devoir qu'il a de la condamner ; loin d'agir avec ignorance, c'est en toute connaissance de cause. Voyez ce qu'il dit en cas semblable dans l'épître aux Galates; réduit à la nécessité de se glorifier lui-même, il révèle encore une grande humilité : « Vous savez», dit-il, « de quelle manière j'ai vécu autrefois dans le judaïsme ». (Ga 1,13) — Or, ici, c'est le même langage : « Si quelqu'un croit pouvoir tirer vanité de cet avantage charnel, je le puis encore plus que lui » (Ph 3,4) ; et il ajoute aussitôt : « Né Hébreu de pères Hébreux » (Ph 3,5). Il ne commence pas par cette recommandation de sa naissance, comme si son premier but avait été de parler ainsi de lui-même, il a commencé au contraire par ces mots : « Si quelqu'un » (Ph 3,4) m'oppose cet avantage, montrant ainsi qu'il s'avance parce qu'il le faut, et qu'il parle uniquement à cause de l'objection. Si vous avez confiance, dit-il, j'en ai plus que vous. Vous me forcez à le dire, sans quoi je me tairais. Et toutefois, jusqu'en sa réplique, il évite le ton de l'aigreur; il frappe sans nommer personne, il donne ainsi facilité d'éviter le coup en reculant. — « Si quelqu'un croit pouvoir tirer vanité » (Ph 3,4). Il choisit cette expression : « Croit pouvoir....», ou bien, parce qu'en effet leur confiance était moindre au fond qu'elle ne paraissait, ou parce que ce n'était pas une véritable confiance; tous ces avantages de nation ou de rite venant de la nécessité et non d'un libre choix.

« J'ai été circoncis au huitième jour » (Ph 3,5). Il commence par l'avantage le plus prisé de ses adversaires, la circoncision: «Etant », ajoute-t-il, « de la race d'Israël » : ce double fait montre aussi qu'il n'était ni prosélyte, ni même fils de prosélytes. Le non-prosélytisme se prouve par sa circoncision dès le huitième jour; et le fait que ses ancêtres n'étaient pas simplement prosélytes, ressort de ce qu'il était de la race d'Israël. Et pour que ces mots « la race d'Israël » ne soient pas compris d'une des dix tribus schismatiques, il se déclare de la tribu de Benjamin (Ph 3,5), comme s'il disait de la plus saine partie de la nation, car le sort avait placé dans cette tribu les biens propres aux prêtres. « Hébreu né de pères Hébreux » (Ph 3,5), (68) nouvelle preuve qu'il n'est pas simplement prosélyte, mais d'origine antique et issu des plus nobles juifs. On pouvait être israélite, en effet, sans être pour cela hébreu ni de pères hébreux. Bon nombre de juifs avaient déjà corrompu leur sang et ne gardaient plus même leur langage national, par suite d'alliances avec les gentils. Saint Paul rappelle donc cette dégénération de tant d'autres, en même temps que la noblesse bien conservée de son origine.

« Pour la manière d'observer la loi, j'étais pharisien ; pour le zèle du judaïsme, j'ai été persécuteur de l'Église; et pour la justice légale et mosaïque, ma vie fut irréprochable » (Ph 3,5-6). L'apôtre aborde les avantages qui résultaient de son libre choix, ceux qu'il a précédemment énumérés ne venant pas de sa volonté. En effet, ni sa circoncision, ni son origine israélite, ni sa naissance dans la tribu de Benjamin, n'étaient son oeuvre. Si, dans cette dernière catégorie, il avait des compagnons de gloire, du moins les faits qu'il va énoncer le relevaient au-dessus d'eux. Vous voyez pourquoi il dit : « J'ai plus » que personne (Ph 3,4)? C'est qu'en effet, déjà il avait une série d'avantages : il n'était pas simple prosélyte, il sortait d'une tribu très-estimée; il tenait tout cela d'ancienne date et de ses ancêtres; bien des judaïsants ne pouvaient rien dire de semblable. Mais comme on n'apercevait rien là qui fût le fruit de son libre choix, il arrive aux avantages que sa volonté a déterminés, et il rappelle tout d'abord : « Selon la loi, j'étais pharisien; et selon le zèle, j'étais persécuteur de l'Église » (Ph 3,5-6). Ce dernier trait semble corroborer le premier, et prouver mieux encore son pharisaïsme. On pouvait être pharisien sans pousser jusque-là le zèle. — Enfin, « selon la justice de la loi, j'ai mené une vie irréprochable » (Ph 3,6). Il se peut, en effet, qu'on méprise le péril par amour du commandement, comme faisaient les princes des prêtres, et non par zèle de la loi. Paul n'avait point ce caractère; jusqu'au point de vue de la justice légale, sa vie était sans reproche. Si donc je surpassais tous mes rivaux par la noblesse de mon origine, par mon zèle et mon ardeur, par ma vie et mes moeurs, pourquoi ai-je renoncé à toutes ces gloires, sinon parce que j'ai trouvé dans ce que Jésus-Christ m'offrait, plus de grandeur et des avantages vraiment incomparables ? Car « ce que je considérais comme un gain m'a paru depuis, en regardant Jésus-Christ, un désavantage et une perte » (Ph 3,7-8).

1003 3. Ce genre de vie si parfait selon le judaïsme, et par lui embrassé dès l'enfance, cette noblesse d'origine, ces dangers et ces travaux affrontés jusqu'alors, ce beau zèle, tous ces avantages enfin, ne furent plus aux yeux de Paul que de véritables malheurs et des pertes; il abjura ce qui lui avait été si avantageux, pour gagner Jésus-Christ. Et nous, l'attrait de gagner Jésus ne suffit pas pour nous inspirer le mépris de l'argent : que dis-je? La perte du salut éternel nous effraie moins que celle des biens présents, quoiqu'ils ne soient autre chose que dommage et que ruine. Examinons plutôt en détail, je vous prie, ce qui se trouve au fond des richesses. Ne doit-on pas appeler dommage et ruine, ce qui vous produit d'inexprimables ennuis sans aucune compensation ? Ainsi, répondez-moi, quel avantage trouvez-vous à posséder des vêtements en grand nombre et de grand prix? Que gagnons-nous à les porter? Rien absolument, rien que peine et dommage. N'est-il pas vrai que le pauvre, sous un vêtement grossier et usé, supporte facilement les plus fortes chaleurs de l'été? Il les endure même plus aisément; car un tissu simple et déjà fatigué gêne d'autant moins vos membres et vous facilite la respiration; au contraire, quand il est neuf, fût-il plus léger qu'une toile d'araignée, il vous fatigue davantage. D'ailleurs vous qui êtes heureux d'étaler votre luxe, il vous faut l'une sur l'autre deux et trois tuniques, souvent même un manteau, puis une ceinture, puis des caleçons. On en estime pas moins le pauvre pour n'avoir qu'une tunique ; il n'en supporte que mieux la chaleur de l'été. Nous voyons souvent les riches inondés de sueur, et les pauvres, jamais. Ainsi, puisqu'on trouve le même usage et même un meilleur usage dans ces vêtements grossiers et qui ne coûtent presque rien; tandis que ceux qu'on aura payés au poids de l'or, ne rendent pas plus de services, dites, n'y voyez-vous pas une inutile dépense, un vrai dommage? Ils ne sont ni plus utiles, ni plus commodes : ils vous ont coûté plus d'argent, voilà tout ! Tout au plus sont-ils de même usage et de même commodité. Seulement vous, riche, vous les avez achetés cent, peut-être même mille écus d'or, et le pauvre a ce qu'il lui faut pour quelques pièces d'argent. Voyez-vous le dommage.? Mais le luxe est aveugle.

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Voulez-vous aussi approfondir ce que vaut cet or dont on aime à parer les femmes et même les chevaux? Ici le mal et le ridicule ordinaire s'augmentent d'un trait de plus : les richesses donnent la folie. Oui, on honore de même manière et les femmes et les chevaux; aux unes comme aux autres on choisit mêmes parures; on veut faire briller celles-là par les mêmes ornements qu'on placera sur les chars, qu'on brodera sur les housses pompeuses où elles-mêmes viendront s'asseoir. Dites-moi, quel profit trouvez-vous à rehausser d'or un cheval, un mulet? Et cette femme ainsi chargée d'or, écrasée de pierreries, en est-elle plus riche? — Mais, dites-vous, les bijoux d'or ne s'usent point. Les gens du métier assurent tout le contraire; dans les bains et même souvent en d'autres endroits, les pierreries et l'or perdent beaucoup de leur prix. Au reste, je veux que vous ayez raison : ces bijoux ne se détériorent jamais ! Mais encore, quel rapport vous donnent-ils? Quand ils sont usés ou perdus, n'est-ce pas un dommage? Et quand ils vous ont attiré la haine et l'envie, n'est-ce pas un malheur? Oui, lorsque d'une part, je les vois sans rapport ni profit pour vous, charger votre femme, et que d'ailleurs ils allument contre vous les regards des envieux, les convoitises des voleurs, n'est-ce pas un dangereux profit? Quoi ! le mari pouvait trouver dans ces valeurs un précieux capital à utiliser dans quelque entreprise lucrative, et le luxe d'une femme dépensière l'arrête, et le voilà réduit à se défendre lui-même contre la famine, à lutter contre une gène extrême, tandis qu'il contemple cette créature chargée d'or, et ce n'est pas une ruine, un malheur? Et cependant le seul nom de la fortune, chez nous Khrmata, signifie biens utiles, et nous rappelle qu'il faut en faire usage, non pour un étalage de bijoutier, mais pour quelque oeuvre honorable et,lucrative. Si donc la folle ambition de l'or en parure vous en interdit le véritable usage, que vous laisse-t-elle enfin, que ruine et malheur? Ne pas oser vous en servir c'est vraiment ménager comme si c'était propriété d'autrui : dès lors cette richesse, sans emploi, est-elle encore un bien utile ?

Sommes-nous mieux avisés de construire des palais splendides, immenses, de les embellir de colonnes, de marbres, de portiques, de promenoirs, de mille ornements divers, d'y placer partout et peintures et statues? On reconnaît souvent, dans ces dernières, les images (lu démon : mais je veux l'oublier pour le moment. Que font encore ces toiles lamées d'or? Une habitation modeste et appropriée à nos besoins nous rend-elle moins de services? Mais, dites-vous, un palais vous ravit, vous enchante ! Oui, pour un jour ou deux; puis le charme s'évanouit. Le soleil lui-même n'excite pas en nous une grande admiration, à cause de l'habitude que nous avons de le voir; un objet d'art en excitera bien moins encore; bientôt nous ne le remarquons pas plus qu'un vase d'argile. A quoi servent pour la commodité d'une habitation, la multitude des colonnes ou la beauté des statues, ou l'or répandu à profusion sur les murs? A rien ; tout cela n'est que luxe insolent, fol orgueil, vrai délire ; les choses nécessaires ou vraiment utiles devraient nous occuper, et non pas d'inutiles folies. Ruine et malheur : telle est la suite de ces excès. En comprenez-vous la superfluité, la frivolité? On n'y trouve rien pour l'utilité, rien même pour l'agrément, puisqu'avec le temps ce faste engendre la satiété, et ne vous laisse que dommage et que ruine. Mais le goût de la vanité est un voile épais sur nos yeux. Paul abandonne ce qu'il croyait un gain; et nous, nous ne savons renoncer pour Jésus-Christ à ce qui nous perd ?

1004 4. Jusques à quand enfin serons-nous cloués à cette misérable terre? Jusques à quand enfin n'aurons-nous point de regard pour le ciel? Ne voyons-nous pas, comme en vieillissant, tels ou tels ont déjà perdu jusqu'au sentiment du passé ? Ne voyons-nous pas mourir et jeunes et vieux? N'en voyons-nous pas qui, dès cette vie même, sont dépouillés de tout et complètement ruinés? Pourquoi convoiter ce qui est si fragile? Pourquoi nous attacher à des biens sans stabilité? Jusques à quand négligerons-nous la seule richesse durable ? Que ne donneraient pas les vieillards pour déposer le lourd fardeau des ans? Dès lors, quelle folie que ce désir de retrouver sa jeunesse première, jusqu'à consentir à tout livrer en échange pour la reconquérir, tandis que; placés en face d'une autre jeunesse qui sera sans déclin, d'une jeunesse comblée de richesses ineffables et d'une vie bien autrement vigoureuse, on ne veut pas même faire le moindre sacrifice pour l'acquérir, l'on préfère retenir ce qui, dans la vie présente, nous est (70) absolument inutile ! Ces prétendus biens ne peuvent ni vous sauver de la mort, ni conjurer une maladie, ni empêcher la vieillesse, non plus qu'aucun de ces accidents nécessaires et imposés par la loi de la nature; et vous y êtes attaché !

Qu'y gagnez-vous, répondez-moi ? L'ivrognerie, la gourmandise, des plaisirs déréglés qui nous tourmentent plus cruellement que ne feraient des bourreaux. Là se borne le profit que nous retirons de nos richesses, parce que nous n'en voulons pas d'autres; car si nous voulions, nous pourrions avec nos richesses acheter le ciel même. —Elles sont donc un bien, m'objecterez-vous? — Non, le bien n'est pas dans les richesses elles-mêmes, mais dans le coeur et la disposition de celui qui les possède. En ce point, tout dépend de la volonté, et u n pauvre même, s'il le -veut, peut aussi gagner le ciel. En effet, et je l'ai dit souvent, Dieu tient compte, non pas de ce qu'on donne, mais du bon coeur de celui qui donne; et le pauvre, en donnant peu, reçoit la récompense des plus riches, Dieu demandant à chacun selon ses facultés. Ce ne sont ni les richesses qui gagnent le ciel, ni la pauvreté qui mérite l'enfer. Notre volonté bonne ou mauvaise nous fait trouver l'une ou l'autre. A nous de la corriger, à nous de la dresser, cette volonté, et de la faire ce qu'elle doit être : dès lors tout nous deviendra facile. L'ouvrier, en effet, que sa hache soit d'or ou qu'elle soit de fer, coupe et aplanit aussi aisément le bois ; il se servira même mieux d'une de fer ; ainsi la vertu s'acquiert beaucoup plus facilement par la pauvreté. Car Jésus-Christ, parlant des richesses, a dit : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu'à un riche d'entrer dans le royaume des cieux ». (
Mt 19,24) Contre la pauvreté il n'a point d'arrêt semblable; il dit au contraire : « Vendez tout ce que vous avez, donnez-le aux pauvres, et puis venez, suivez-moi » (Mc 10,21), parce qu'en effet, c'est le choix de la volonté qui décide à suivre Notre-Seigneur.

1005 5. Donc, gardons-nous de fuir la pauvreté comme un mal, puisqu'elle est le grand introducteur au ciel; gardons-nous de poursuivre la fortune comme un bien, puisqu'elle perd tant d'hommes irréfléchis; mais l'oeil attaché sur notre Dieu, usons, comme il convient, de tout ce qu'il nous a donné, force physique, richesses, biens de tout genre. Nous sommes ses créatures : il serait absurde de ne pas lui rapporter ce que nous tenons de lui, et d'en faire hommage à d'autres maîtres. Il vous a fait des yeux : consacrez-les à son service, et non pas au démon, Et comment les consacrez-vous à Dieu? Employez-les à contempler ses oeuvres pour lui en rapporter la gloire, et détournez-les des beautés charnelles. Il vous a fait des mains? Possédez-les pour lui et non pour le démon : qu'elles ne s'étendent pas pour le volet la rapine, mais pour accomplir les commandements, mais pour les bonnes oeuvres et la prière continuelle, mais pour relever ceux qui sont tombés. Il vous a fait des oreilles? Ouvrez-les pour Dieu, et non pour des chants corrompus et efféminés; l'Ecriture vous dit : « Ecoutez toujours la loi de Dieu » ; et encore: « Fréquentez l'assemblée des vieillards, et s'il est un sage, cherchez tout d'abord son amitié ». (Qo 9,23) Il vous a fait une bouche? Qu'il n'en sorte rien que Dieu puisse condamner, mais bien des psaumes, des hymnes, des cantiques spirituels, des discours qui procurent la grâce en ceux qui les entendent; qui soient capables d'affermir et non de renverser, de produire la bénédiction et non la malédiction ; qui éloignent des piéges au lieu d'y faire tomber. Il vous a fait des pieds, non pour courir aux vices, mais aux vertus. Il vous a fait un estomac, non pour le rompre par la bonne chère, mais pour le dominer par la sobriété et la sagesse. Il vous adonné le désir du mariage pour la procréa. tion des enfants, mais non pour la débauche et l'adultère. Il vous a donné de l'esprit, non certes pour jeter le blasphème contre lui et l'outrage contre le prochain, mais pour diriger et modérer votre langue. Il vous a donné l'argent, pour en user selon le devoir; toutes vos forces enfin, il vous les a départies avec la même intention. Il a créé les arts pour le soutien de notre vie, mais non pour nous distraire des choses spirituelles, et moins encore pour nous livrer à des métiers infâmes: Dieu permet les arts nécessaires, afin que mutuellement on s'entr'aide, mais non pour qu'on se nuise. Il vous a donné un toit, pour vous abriter contre la pluie, et non pas pour l'orner d'or, lorsque le pauvre meurt de faim. Il vous a donné des vêtements pour vous couvrir, et non pour l'ostentation; il ne veut pas que vous les enrichissiez d'or, tandis que (71) Jésus-Christ resterait nu. Il vous a donné une maison, non pour la posséder à vous seul, mais pour y recevoir votre prochain. Il vous a donné la terre, non pour dépenser la plus grande partie de vos revenus à l'entretien de prostituées ou de bouffons, à payer des joueurs de flûte, de lyre, de cithare ; ces biens du bon Dieu doivent servir aux malheureux, aux indigents. Il vous a donné la mer pour les besoins de la navigation, mais non pour vous fatiguer par des voyages sans but, pour en sonder curieusement les profondeurs et en extraire les pierres précieuses et autres bagatelles de ce genre; Dieu n'aime pas une semblable passion.

Alors, direz-vous, à quoi servent les pierres précieuses? — Répondez - moi plutôt vous-même. Pourquoi tant de valeur à un caillou? A-t-il quelque propriété secrète? A-t-il quelque usage? Les pierres qu'on ne va pas chercher dans la mer, sont certes plus utiles. Du moins servent-elles à la construction de nos maisons, et celles-là, jamais ! Du moins ont-elles le mérite d'être plus solides. — Mais, dites-vous, les pierreries rehaussent la beauté. —Comment? N'est-ce pas là pur et vain préjugé? — Elles sont d'un blanc plus vif. — Non, car elles ne surpassent pas l'éclat, la pureté d'un marbre bien blanc, j'ose dire qu'elles n'en approchent même pas. — Sont-elles plus résistantes, au moins? Pas davantage ; plus utiles, plus grosses? Non et toujours non. D'où vient donc leur valeur? Elle est toute de convention. Moins belles que d'autres, car nous en trouvons de plus diaphanes et d'un blanc plus brillant ; n'ayant d'ailleurs pas plus de solidité ni d'utilité, quelle raison les fait tant estimer? La mode, rien que la mode. — Alors, pourquoi Dieu nous les a-t-il données? Elles n'étaient pas un don, dans la pensée de Dieu; c'est votre imagination qui leur prête une valeur ! — Mais pourquoi, direz-vous, l'Ecriture même les a-t-elle célébrées? C'est qu'elle a voulu parler d'après votre opinion même. Quand un maître s'adresse à un petit enfant, force lui est d'admirer ce qu'admire cet innocent, pour gagner son coeur et l'élever peu à peu. Pourquoi désirez-vous la magnificence des vêtements? Donnez une robe à votre corps, et des chaussures à vos pieds ; et tenez-vous pour vêtu et paré suffisamment. — Mais, dites-vous, l'Ecriture parlant des commandements de Dieu, dit qu'ils sont plus « estimables que l'or et les pierres précieuses » . (Ps 8,11) Cela n'empêche pas que ces pierres précieuses ne soient des choses inutiles; autrement, la sainte Ecriture n'aurait pas commandé de les mépriser. Si parfois nos saints livres en parlent d'après notre estimation, n'y voyez qu'une condescendance de la divine bonté.

Vous me demandez pourquoi Dieu nous a donné la pourpre et d'autres ornements pareils? Reconnaissez-y les oeuvres de sa magnificence infinie; d'autres ouvrages de sa main témoigneraient ainsi de son incomparable richesse. Quand la Providence travaillait pour vous, elle vous donnait le pur et simple froment; c'est vous qui avez imaginé de le dénaturer, par mille préparations, en gâteaux, en friandises, en mets à l'infini qui flattent uniquement la sensualité. Le plaisir et la vanité ont fait ces inventions qui vous ont paru préférables à tout au monde. Mais vienne à passer un étranger ou un paysan ignorant de tous vos artifices; et que vous voyant extasiés devant vos oeuvres, il vous demande raison de voire admiration ridicule, dites, qu'aurez-vous à lui répondre? Que ces mets sont bien beaux voir? Rien n'est plus faux.

Laissons donc, mes frères, de vains préjugés, et attachons-nous aux seuls biens véritables. Ceux de la terre ne méritent point ce nom; ils passent, ainsi que coule l'eau d'un fleuve. Donc, je vous en prie, établissons-nous sur le roc afin de n'être point ballotés au caprice des vents, mais de gagner en outre les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ...... Ainsi soit-il.

HOMÉLIE 11 - Ph 3,7-13

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CE QUI M'ÉTAIT ALORS UN GAIN, JE L'AI CRU DEPUIS, POUR JÉSUS-CHRIST, UNE PERTE... (
Ph 3,7-13)

Analyse.

1. L'hérésie (probablement celle des manichéens), ne peut pas conclure des paroles de saint Paul que la loi mosaïque fut un mal.
2. La foi en Jésus-Christ est un bien infiniment préférable à la justice mosaïque.
3. Dignité de nos souffrances, unies à la passion de Jésus-Christ ; la résurrection glorieuse en est la récompense.
4. Malheur de l'éloignement de Dieu. Ses bienfaits. Notre ingratitude.

1101 1. Dans les combats que nous livrons aux hérétiques, il nous faut apporter une attention vive et soutenue sur l'objet de nos luttes. Le seul moyen de dissiper leurs bataillons et de remporter pleine victoire, c'est de ne pas même leur laisser reprendre haleine. Mon but est de vous dresser à ce genre de duels à l'aide des saintes Ecritures, et de vous faire trouver dans les textes mêmes qu'ils apportent, de quoi réduire au silence nos contradicteurs. Par conséquent, je veux commencer la discussion qui se présente aujourd'hui à l'endroit même où j'ai terminé celle d'hier. Où en sommes-nous restés hier? Saint Paul avait résumé tous les avantages judaïques qui lui donnaient quelque sujet de gloire, ce qu'il tenait de la nature, de son choix et de son oeuvre, et il avait ajouté : « Mais tout ce qui était gain pour moi, je le regarde à présent comme détriment à cause de l'éminente science de Jésus-Christ mon Seigneur; pour lui, j'ai renoncé à tous ces prétendus avantages que je regarde comme vile ordure, afin de gagner Jésus-Christ».

Ici l'hérésie se dresse avec insolence. Mais la sagesse de l'Esprit-Saint se plaît à éveiller chez l'ennemi l'espoir d'un triomphe, afin de l'engager à livrer bataille. Si Paul avait parlé ouvertement, les hérétiques auraient fait pour cette épître ce qu'ils ont fait pour d'autres livres sacrés, altérant le texte, lui déniant l'authenticité parce qu'ils n'osaient l'attaquer ouvertement. Mais comme les poissons ne voient point tomber dans l'onde l'hameçon qui doit les prendre, parce qu'on a soin de le couvrir et de le cacher sous l'appât, et qu'ainsi ils accourent à l'envi pour se faire prendre; ainsi en est-il de cet endroit où Paul appelle la loi un dommage. Telle est la déclaration de l'apôtre il appelle la loi un dommage, une chose vaine; il ne lui était pas permis, ajoute-t-il, de gagner Jésus-Christ, à moins de renoncer à cette loi. Les hérétiques se laissent prendre par la lettre et le mot, reçoivent l'épître avec bonheur, et pensent avoir gain de cause; puis, dès qu'ils l'ont reçue, ils se trouvent saisis comme dans les mailles étroites d'un filet inévitable.

Que disent donc ces adversaires insolents? Voyez : La loi est un dommage, elle n'est que paille et poussière : comment donc osez-vous dire que Dieu en soit l'auteur? Le vrai, c'est que ce passage est favorable à la loi; et vous allez clairement en voir la preuve: appliquons-nous avec soin à l'étude de tous ses termes.

L'apôtre n'a pas dit : La loi est une perte; mais : « Je l'ai considérée comme une perte ». Lorsqu'il parle du gain, il ne se sert point de la même expression, mais il affirme simplement et dit : « Tout ce qui a été gain pour moi». — Au contraire, lorsqu'il parle de perte, il n'affirme plus, mais il dit : «Je l'ai cru». — Admirable exactitude de langage qui nous définit d'un côté la loi telle qu'elle était dans son essence, et de l'autre la loi telle qu'elle est devenue dans notre condition de chrétiens.

Que faut-il donc affirmer? Peut-on dire absolument que la loi n'est pas un domptage?Elle est un dommage, mais en comparaison de Jésus-Christ; d'un autre point de vue elle a été un véritable gain. On pouvait ne pas y voir un gain; toutefois elle était déjà un gain, déclare saint Paul. C'est comme s'il vous disait: Pensez quel bonheur c'était déjà que des hommes indomptés par nature fussent amenés à un genre de vie plus humain. D'ailleurs, si la loi n'avait pas préexisté, la grâce n'aurait pas été donnée; pourquoi? C'est que la loi fut (73) comme un pont jeté pour son passage. De leur bassesse naturelle les hommes ne pouvaient s'élever jusqu'à la hauteur de la grâce; la loi fut leur échelle. Mais après que l'on est monté on n'a plus besoin d'échelle; toutefois celui qui s'en est servi pour monter ne la méprise pas ensuite pour cela : au contraire, il reconnaît l'obligation qu'il lui a. C'est elle-même, en effet, qui l'a mis en état de pouvoir se passer d'elle; il lui sait donc gré, et rien n'est plus juste, de ce qu'il n'a plus besoin d'elle. Sans elle, il ne pouvait monter si haut. Voilà aussi ce qu'il faut dire de la loi. Elle nous a élevés à une certaine hauteur; elle était donc un gain. Mais, dès lors, nous la regardons comme un dommage, et pourquoi? Elle ne l'est pas absolument, mais la grâce est bien préférable. Supposez, par exemple, un pauvre, un affamé: tant qu'il a quelque argent, il s'en sert pour conjurer la faim; mais qu'il trouve une bourse pleine d'or, et qu'il ne puisse retenir les deux valeurs à la fois, il regardera comme un dommage de garder l'argent, il le laissera pour s'emparer de l'or; s'il abandonne l'un, ce n'est pas qu'il le regarde comme nuisible, il sait bien tout le contraire; mais ne pouvant pas garder les deux, il faut bien qu'il laisse l'un ou l'autre : ainsi arrive-t-il ici.

Le détriment, le malheur n'est donc pas de suivre la loi; mais ce serait de s'attacher à elle pour délaisser Jésus-Christ. Si elle nous détourne de Jésus, elle est un dommage; si elle nous amène à lui, c'est tout l'opposé. Aussi l'apôtre la déclare « détriment en comparaison de Jésus-Christ». Si elle est sensible seulement à cause de Jésus-Christ, elle ne l'est donc pas par sa nature.

Mais pourquoi la loi ne permet-elle pas qu'on s'approche de Jésus? Car, après tout, c'est pour nous mener à lui qu'elle a été donnée ! Jésus-Christ, dit saint Paul, est la plénitude de la loi, la fin de la loi. — Elle nous laisse venir à lui, si nous savons lui obéir à elle-même. —Alors, qui obéit à la loi, abandonne la loi? — Il l'abandonne, en effet, s'il la comprend et l'écoute; autrement, cette loi l'arrête et l'enchaîne. Il y a plus : « Bien certainement je regarde tout au monde comme un détriment », dit-il encore. Et que parlé-je de la loi? Le monde n'est-il pas bon? La vie actuelle n'est-elle pas bonne? Toutefois si ces biens m'éloignent de Jésus-Christ, je les déclare dommageables, pourquoi? «A cause et en comparaison de l'éminente science de Jésus-Christ mon Seigneur». Dès que le soleil brille, vous perdez à tenir votre flambeau allumé. Ainsi le désavantage d'une chose quelconque résulte nécessairement de sa comparaison avec un objet plus grand. Or, vous voyez que Paul fait une comparaison : « A cause « de l'éminente science », dit-il, sans rejeter le premier objet comme étranger au second. Car dire qu'une grandeur excelle sur une autre et la dépasse, c'est supposer au contraire qu'elle est du même genre qu'elle. En sorte que la prééminence comparative que l'apôtre attribue à la connaissance de Jésus-Christ sur la loi suppose que ces deux choses sont de même genre, c'est-à-dire bonnes toutes deux.

« Pour lui j'ai tout rejeté; j'ai tout regardé comme des ordures pour gagner Jésus-Christ». Il n'est pas évident, d'ailleurs, que sous ce nom « d'ordures », Paul désigne la loi; il est vraisemblable qu'il indique plutôt les choses de ce monde. Car il a dit d'abord : Tout ce qui a été un gain pour moi, je l'ai regardé comme détriment au prix de Jésus-Christ; et il ajoute ici d'une manière plus générale encore : Tout me paraît détriment; parole qui embrasse tout le présent aussi bien que tout le passé. Quand bien même ce terme signifierait la loi, il n'aurait encore rien de bien outrageux pour elle. Les ordures dont il s'agit, sont les issues du froment, ce qu'il a de grossier, le chaume, la paille. Or avant la maturité du froment, la paille avait son utilité; nous la recueillons même encore avec le froment; si le chaume n'avait d'abord poussé, le grain n'aurait point paru. Ainsi en est-il de la loi de Moïse. Ce n'est donc jamais absolument parlant et en considérant la chose en soi, que Paul appelle la loi dommageable, mais par rapport à Jésus-Christ. Ecoutez encore : « Je regarde tout comme détriment », nous dit-il. Pourquoi? «A cause de la science éminente de Jésus-Christ pour qui j'ai tout rejeté». Puis il ajoute : «d'estime que tout est « détriment, afin que je gagne Jésus-Christ ». Voulez-vous comme fidèle à s'appuyer sur la pierre fondamentale, sur Jésus-Christ, saint Paul se garde néanmoins de laisser la loi sans défense et en butte à tous les coups, et comme au contraire il la protége de toutes parts.

1102 2. « Et que je sois trouvé en Jésus-Christ n'ayant plus ma justice qui vient de la loi ». Si saint Paul, en possession d'une justice, est (74) accouru vers une justice meilleure, parce que l'ancienne n'était rien à côté de celle-ci, combien plus les gentils, placés en-dehors de toute justice, devront-ils saisir celle que Paul a préférée ! Je ne veux plus de « ma » justice, dit à bon droit l'apôtre, de celle que j'avais acquise par mes travaux et mes sueurs; je veux celle que j'ai trouvée par la grâce. Si donc, après avoir rempli les devoirs de la -vertu, Paul ne trouve son salut que dans la grâce, combien plus, ô Philippiens, ne l'aurez-vous que là ! Il est probable que parmi eux on aurait trouvé préférable la justice due à nos travaux personnels; aussi Paul démontre que celle-ci, auprès de l'autre, n'est que de la vile paille. Autrement, moi-même qui avais sué pour l'acquérir, je ne l'aurais pas rejetée pour embrasser celte qui lui succède.

Mais quelle est donc enfin cette justice? Celle qui vient « de Dieu par la foi »; cette justice est de Dieu; Dieu même est l'auteur de cette justice ; elle est par excellence un don de Dieu. Or les dons de Dieu laissent bien derrière eux la vileté de nos bonnes oeuvres, de celles qui sont les fruits de nos simples efforts.

Que veut dire maintenant : « Dans la foi, afin de connaître Jésus-Christ? » C'est que toute connaissance divine vient de la foi ; sans la foi, impossible de connaître Jésus; et pourquoi? C'est qu'elle seule nous apprend « la vertu de sa résurrection ». En effet, quel raisonnement nous démontrera jamais la résurrection? Aucun, mais la foi seule. Et si la résurrection de Jésus-Christ ne nous est connue que par la foi, comment la génération humaine du Dieu-Verbe pourra-t-elle être saisie par notre simple logique? Car la résurrection est un fait moindre que cette génération. En quel sens? C'est que l'on a vu plusieurs exemples de l'une, aucun de l'autre. Plusieurs morts ont ressuscités avant Jésus-Christ; bien que ressuscités, ils durent de nouveau subir la mort. Mais nul homme jamais ne naquit d'une vierge. Et si la résurrection de Jésus-Christ, qui sort de l'ordre commun bien moins que sa naissance, ne peut être cependant saisie que par la foi, comment pourrons-nous atteindre par nos raisonnements sa génération, divine, dogme bien autrement grand et pour mieux dire hors de toute comparaison ?Voilà pourtant la justice nouvelle; il a fallu croire que ses mystères sont possibles, sans qu'on puisse montrer jamais comment ils sont possibles.

C'est encore l'oeuvre de la foi de nous faire accepter « une participation aux souffrances de Jésus-Christ ». Si nous ne croyons pas, nous ne voudrons pas souffrir; non, si nous n'avons pas la foi qu'en souffrant avec lui, avec lui aussi nous régnerons, aucune considération ne nous décidera jamais à subir tarit de peines. Il faut que la foi nous ait appris d'abord et sa naissance et sa résurrection. Mais aussi, vous le voyez; on exige de nous non pas une foi nue et morte, mais unie aux bonnes oeuvres. On reconnaît, en effet, qu'un chrétien croit à la résurrection d'après son courage à s'exposer comme Jésus-Christ aux périls, à partager avec lui ses douleurs. Ainsi devient-il l'associé de ce Dieu ressuscité, de ce Dieu à jamais vivant. Aussi saint Paul disait-il : « Puissé-je être trouvé en Jésus-Christ, n'ayant point la justice qui me soit venue de la loi, mais ayant celle qui naît de la foi en Jésus-Christ; cette justice qui vient de Dieu par la foi; afin que je connaisse Jésus-Christ avec la vertu de sa résurrection et la participation de ses souffrances, étant rendu conforme à sa mort, pour tâcher de parvenir enfin à la bienheureuse résurrection des morts ».

Reprenons. Saint Paul a dit : « Etant rendu conforme à sa mort », ou, comme il écrit ailleurs : « J'accomplis dans ma chair ce qui reste à souffrir à Jésus-Christ ». (
Col 1,24) Conforme à la mort, c'est participant à la mort. Comme mon Maître a été maltraité des hommes, ainsi je le serai, je lui deviendrai conforme; les vexations, les calamités reproduiront en moi une certaine image de sa mort. Il ne cherchait pas, en effet, son propre bonheur, mais notre salut. Donc aussi vexations, misères, angoisses, non-seulement ne doivent pas nous troubler, mais plutôt nous combler de joie, puisqu'elles nous rendent conformes à sa mort. On ne peut mieux dire qu'ainsi nous sommes façonnés à sa ressemblance, « portant partout dans notre chair s, comme il l'écrit ailleurs, la mort de Jésus-Christ ». (2Co 4,10)

La foi seule fait ces miracles. Nous croyons, par de tels sacrifices, non plus seulement que Jésus est ressuscité, mais qu'après sa résurrection même il possède une puissance infinie. Aussi embrassons-nous la voie qu'il a suivie, (75) et de ce côté encore nous devenons ses frères. C'est dire qu'ainsi nous devenons d'autres Jésus-Christ. Ciel! quelle est donc la dignité des souffrances? Car, comme parle baptême « nous avons été ensevelis à la ressemblance « de sa mort », ici nous devenons vraiment semblables à sa mort. L'apôtre se sert pour le baptême d'un mot bien exact : « A la ressemblance de sa mort », car nous n'avons pas subi alors le trépas véritable et entier; nous sommes morts seulement au péché, et non pas selon le corps et la chair. Dans les deux textes, il est question de mort ; seulement notre Maître est mort dans son corps, et nous, seulement au péché. Il est mort, lui, dans notre humanité même, dans notre chair qu'il avait adoptée; pour nous, au contraire, c'est l'homme de péché qui meurt en nous. Saint Paul a donc dû écrire que nous subissons « la ressemblance de sa mort», quand il s'agit de notre baptême; tandis que ce n'est plus une ressemblance, c'est sa « mort même » que nos souffrances nous font partager ici.

1103 3. Paul, en effet, dans les persécutions qu'il a endurées, n'est pas mort seulement au péché; mais dans son corps même, il a subi la mort comme son Maître pour arriver enfin, dit-il, « à la résurrection des morts ». Que dites-vous, ô grand apôtre? Tous les hommes ne doivent-ils pas ressusciter? N'avez-vous pas dit vous-même que nous ne nous endormirons pas tous, mais que nous serons tous changés? (1Co 15,51) Ce n'est pas d'ailleurs la résurrection seule qui attend tous les hommes, c'est aussi l'immortalité, les uns pour la gloire, les autres pour le supplice. Si donc tous arrivent à la résurrection et non pas à la résurrection seulement, mais à l'immortalité, comment, ô Paul, dites-vous comme s'il s'agissait d'obtenir quelque chose d'exceptionnel: « Je veux tâcher enfin d'arriver? » Je souffre tout, répondez-vous, pour arriver à la résurrection, « mais à celle qui fait sortir d'entre les morts »; si vous ne mourez d'abord, vous ne ressusciterez pas. Qu'est-ce à dire? L'apôtre semble avoir en vue une bien haute récompense. Elle était si haute qu'il n'ose se la garantir : « Je veux tâcher enfin », dit-il, j'ai cru en lui, j'ai cru en sa résurrection; j'ai fait plus, pour lui, je souffre; et cependant je n'ose me reposer avec une pleine confiance dans l'espérance de la résurrection. De quelle résurrection parle-t-il donc ici? De celle qui conduit à Jésus-Christ.

Oui, l'apôtre le déclare : je crois en lui, à la puissance de sa résurrection. à ma part dans ses souffrances, à ma conformité à sa mort; et malgré toutes mes convictions, je n'ose avoir pleine confiance. C'est, au reste, ce qu'il écrit ailleurs : « Que celui qui est debout prenne et garde de tomber ». Et : « Je crains qu'après avoir prêché aux autres, je ne devienne moi-même un réprouvé ». (1Co 10,12 1Co 9,27)

« Ce n'est pas que j'aie atteint jusque-là ni que je sois déjà parfait; mais je poursuis ma course, pour tâcher d'atteindre au terme où le Seigneur Jésus-Christ m'a destiné en me prenant». — « Je n'ai pas encore atteint », quoi donc? Le prix de la course. Ah ! si saint Paul, après tant de souffrances, au milieu même de tourments actuels, subissant déjà la mort, n'était pas encore pleinement confiant ni en pleine sécurité pour sa résurrection glorieuse, que dirons-nous de nous-mêmes, mes frères? — « Pour tâcher d'atteindre », qu'est-ce à dire? Rapprochez ici le texte : « Pour tâcher d'arriver à la résurrection d'entre les morts », et concluez qu'il se tient heureux s'il atteint, s'il saisit la résurrection de Jésus-Christ, dussé-je, dit-il, pour l'imiter autant que je pourrai, souffrir autant que lui et me modeler sur liai, comme lui-même a subi mille douleurs, comme il a été souillé de crachats, battu de soufflets et de verges, comme;. il a subi la mort. Voilà la carrière à parcourir; voilà le chemin par où il vous faut passer pour arriver à sa résurrection à travers tous les combats.

Tel est le sens de ces paroles : « Pour tâcher d'atteindre ». On peut aussi l'entendre comme s'il disait: Pour que je devienne digne d'arriver à cette résurrection si belle, si capable de combler mes voeux ; pour que j'arrive à la résurrection, enfin, de Jésus lui-même. Car si j'ai le coeur de subir tous les combats et tous les travaux, je pourrai aussi gagner sa résurrection et revivre avec gloire. Maintenant je n'en suis pas digne encore, mais je poursuis ma course pour tâcher enfin d'y atteindre. Ma vie n'est encore qu'une lutte perpétuelle; je suis encore loin du terme, encore loin du prix; il me faut courir encore, encore le poursuivre.

Remarquez même qu'il ne dit pas: Je cours; mais: « Je poursuis ». Il a raison. Car celui qui poursuit, vous savez avec quelle ardeur il presse ses rivaux; il ne regarde personne ; il (76) pousse et écarte par son invincible élan tous ceux qui font obstacle à sa course rapide ses pensées avec ses yeux, ses forces de corps et d'âme, tout en lui se ramasse et se concentre vers le prix à conquérir. Mais si Paul, jouteur si intrépide, après tant de souffrances, dit encore : « Si je puis enfin atteindre », que dirons-nous, pauvres concurrents tant de fois renversés? — Quant à lui, ses efforts lui semblent l'acquit d'une dette sacrée; je veux gagner, dit-il, « comme j'ai moi-même été gagné par Jésus-Christ ». J'étais dans la masse de perdition; j'étouffais; il me fallait périr; Dieu m'a ressaisi. Hélas ! nous n'avions d'ardeur que pour le fuir, et Dieu nous a poursuivis ! L'apôtre en rapporte à lui seul tout le mérite. Par ces paroles : J'ai été gagné et ressaisi, il nous a prouvé l'ardeur de sa volonté à nous retrouver, en même temps qu'il nous montre notre éloignement si grand déjà, et nos errements, et notre fuite déjà consommée.

1104 4. Chose, également déplorable ! Nous revenons tous à notre vieil état de péché, et, avec un compte déjà si redoutable, nul, parmi nous ne gémit, ne pleure, ne soupire. Ne croyez pas que je parle ici par ironie. Autant nous avons fui loin de Dieu avant l'arrivée de Jésus-Christ, autant le fuyons-nous maintenant encore. Car nous pouvons fuir Dieu; non par des changements de lieu, puisqu'il est présent partout, mais par nos oeuvres. Que par rapport au lieu nous ne puissions l'éviter, le Prophète le déclare : « Où irai-je, mon Dieu, pour me soustraire à votre esprit? Où fuirai-je pour éviter votre face? (Ps 138,7) Quel est donc le moyen de fuir Dieu? Comment s'éloigne-t-on de lui? Cet éloignement n'est que trop possible, puisque le même prophète dit encore : « Ceux qui s'éloignent de vous périront »; et Isaïe : « Est-ce que vos iniquités n'ont pas jeté entre vous et moi un mur de division? » (Ps 72,27 Is 59 Ps 2)

Comment donc se fait cet éloignement, cette séparation ? Par notre volonté, par notre coeur, puisque ce ne peut être une séparation locale; car comment fuir hors de celui qui est partout présent? Et cependant le pécheur fuit. C'est ce que marque l'Ecriture : « L'impie s'enfuit quand personne ne le poursuit ». (Pr 28,1) Nous fuyons donc Dieu, qui nous poursuit sans cesse. L'apôtre courait pour approcher de lui; nous courons aussi, nous, mais pour l'éviter et nous éloigner de lui.

Et ce n'est pas là un malheur déplorable! Où fuis-tu, malheureux? Où fuis-tu, misérable, loin de ta vie, loin de ton salut? Si tu évites ton Dieu, où sera ton refuge? Si tu évites la vie, comment pourras-tu vivre? Ah ! plutôt, fuyons l'ennemi de notre salut! Quand nous péchons, nous fuyons loin de Dieu; nous errons comme l'esclave fugitif; nous nous exilons sur la terre étrangère, semblable à cet enfant prodigue qui avait dévoré le bien de son père, et s'en était allé en pays étranger, après avoir épuisé son patrimoine, désormais il vivait, mais affamé. Nous aussi nous avons un patrimoine, et quel est-il ? La délivrance de nos péchés; la force que Dieu nous a donnée pour remplir les devoirs de la vertu ; cette ardeur et cette patience, cet Esprit-Saint qu'il nous a versé avec le baptême. Une fois que ces biens sont épuisés, nous sommes en proie à la famine.

Un malade, tant qu'il est agité par la fièvre et travaillé par des humeurs vicieuses, ne peut ni se lever, ni s'acquitter de ses fonctions, ni faire quoi que ce soit; mais que, délivré de sa maladie et rendu à la santé, il reste cependant inerte, sans action, vous ne l'imputerez qu'à sa paresse. C'est aussi notre histoire. Torturés par une grave maladie et par une .fièvre ardente, nous étions gisants non pas sur un lit de douleurs, mais sur une couche de malice; heureux de nous rouler dans le péché comme sur un fumier, couverts d'ulcères, respirant la puanteur, souillés, courbés, spectres enfin plutôt que créatures humaines. Les démons abominables nous entouraient; le prince de ce monde nous insultait par un rire affreux. Le Fils unique de Dieu est venu; il a fait luire les rayons de sa présence et dissipé l'ombre épaisse. Le roi qui s'asseyait sur le trône du Père, est venu vers nous quittant ce trône du Père;.et quand je dis qu'il l'a quitté, n'allez pas croire encore à un déplacement de sa substance divine, qui ne cesse de remplir et la terre et les cieux ; je parle de son incarnation. Il est venu vers cet ennemi qui lui portait une haine profonde, qui lui tournait le dos, et loin de vouloir, enfin, tourner vers lui ses yeux repentants, le poursuivait encore de ses blasphèmes journaliers. Il l'a vu gisant sur le fumier, dévoré par les vers, accablé par la fièvre et par la faim, travaillé par toutes les maladies à la fois. Oui, la fièvre le torturait, car c'est une fièvre avec ses flammes que la mauvaise (77) concupiscence ; c'est une fièvre avec sa faim anormale et insatiable, que l'ambition; c'est une fièvre avec son virus, que l'avarice; c'est une fièvre avec la privation de la vue, que l'impureté; l'idolâtrie, c'est une fièvre avec la surdité et le délire qui condamnait l'homme à adorer, à consulter la pierre et le bois ; c'est elle toujours avec l'altération des traits, car les vices nous dégradent; c'est tout ce qu'il a de plus triste et la plus redoutable maladie. Il vit des hommes plus fous dans leur langage que les êtres en démence, puisqu'ils appelaient Dieu la pierre et le bois. Il nous vit dans cette mer d'iniquités; et il ne nous prit pas en abomination, en haine, pas même en aversion; il ne détourna passa face; car il était le Seigneur et ne haïssait point son ouvrage. Que va-t-il donc faire? Comme un médecin charitable il prépare de précieux médicaments, et il v goûte le premier. Quand il en a constaté la vertu, il nous les présente. Comme premier remède et souverain antidote, il nous donne le bain sacré; il nous fait vomir toute notre iniquité; tous les symptômes ennemis prennent la fuite; l'inflammation cesse, la fièvre est éteinte, le virus est desséché. Tous les symptômes d'avarice, de colère, de tout mal enfla se sont évanouis par la présence de l'Esprit. Nos yeux et nos oreilles s'ouvrirent; notre langue se délia pour de pieuses paroles; notre âme acquit la force, notre corps la beauté, cette fleur de beauté que doit avoir un enfant de Dieu engendré par la grâce de son Esprit; une gloire telle que doit avoir le fils d'un roi, nouvellement né et couché sur la pourpre.

Oh ! quelle noblesse Dieu nous a donnée ! Et nous, envers celui qui nous a tant aimés, nous continuons à être ingrats. Il nous a enfantés, nourris, comblés de biens; pourquoi fuyons-nous ce généreux bienfaiteur? Et après tant de merveilles opérées en notre faveur, il nous prête encore sa force : tant que la maladie nous accablait, en effet, nous étions incapables de supporter le fardeau, si lui-même ne nous avait donné le pouvoir. Mais en vain nous a-t-il accordé la rémission de nos péchés, nous avons rendu ce pardon inutile; en vain tant de richesses, nous les avons dissipées et dévorées; en vain la force, nous l'avons usée; en vain la grâce, nous l'avons étouffée; et comment? en dépensant tous ces trésors pour des choses qui ne pouvaient nous servir, à de vraies inutilités. Celles-ci nous ont perdus, et, de plus, malheur incomparable, exilés que nous sommes sur une terre étrangère, réduits à la nourriture des pourceaux, nous ne disons pas encore : Revenons à notre Père, faisons-lui cet aveu, nous avons péché contre le ciel et contre vous; et cela, bien que nous ayons un père si aimant, si désireux de notre retour ! Car abandonnons seulement les voies du vice, et revenons à lui; et nous verrons qu'il ne peut se résoudre même à nous faire un reproche. Qu'ai-je dit? Dieu ne peut se résoudre à nous faire un reproche ? Non-seulement lui-même ne veut pas en faire, mais il ferme la bouche à tout autre qui nous en adresserait; quand même celui-là serait un de ceux qu'il aime le plus. Ah ! revenons ! jusqu'à quand resterons-nous éloignés ? Comprenons notre déshonneur; sentons notre dégradation. Le vice nous rabaisse au niveau de l'animal immonde; le vice affame notre coeur. Retrouvons notre âme; rentrons en nous-mêmes; revenons à notre ancienne noblesse et regagnons les biens à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.


Chrysostome Philippiens 1000