Bernard, Lettres 390

LETTRE CCCXC. A ESKILE, ARCHEVÊQUE DE LUNDEN (a) ET LÉGAT DU SAINT SIÈGE EN DACIE ET EN SUÈDE.



Saint Bernard se montre humblement reconnaissant de son amitié et lui offre la sienne.



A son bien-aimé père et seigneur Eskile, par la grâce de Dieu, archevêque de Lunden, le frère Bernard abbé de Clairvaux, salut en Celui qui est notre vrai salut.



1. L'affection toute particulière que je ressens pour vous et que vous payez de retour, je le sais, fait que j'éprouve toujours le plus grand bonheur à recevoir une de vos lettres où se peignent si bien les sentiments de votre âme; je ne puis y lire le récit de toutes vos tribulations, sans les partager avec vous et les ressentir comme si c'étaient les miennes; car il m'est impossible de vous savoir dans la peine sans y compatir, et je ne puis voir avec le calme de l'indifférence toutes les épreuves et les anxiétés de votre âme. Tout ce qui vous touche et vous blesse a son contre-coup dans mon coeur, et vos persécuteurs me persécutent avec vous; c'est ainsi, pour moi, que des amis absents doivent acquitter la dette de l'amitié, dette dont je me crois redevable à votre égard comme vous l'êtes au mien. Je vais peut-être un peu loin en m'exprimant ainsi, mais je ne dis rien que de parfaitement vrai; d'ailleurs c'est Votre Grandeur qui me donne cette présomption, par les bontés dont elle m'honore. Sans cela aurais-je jamais osé parler ainsi, et pourrais-je me flatter, moi humble et pauvre religieux, de l'amitié d'un si grand prélat? Mais si je ne puis vous payer entièrement de retour, l'Eternel lui-même sera ma caution; vous ne perdrez rien, il vous payera pour moi, lui qui est le principe et la fin de l'affection que vous me témoignez. Je bénis votre ange de vous avoir suggéré la pensée de m'aimer, et Dieu de vous y avoir fait donner suite. Je suis tout fier d'être au rang de vos amis de choix et de prédilection, et j'en ai reçu l'assurance avec le plus grand bonheur de la bouche de mon très-cher frère, votre fils Guillaume, et de celle de votre messager, en même-temps que j'enlisais le témoignage dans votre lettre, et que je l'apprenais par tous ceux qui peuvent venir de chez vous ici ou aller de notre pays dans le vôtre.



a C'était la ville métropolitaine de Danemark, dont Eskile était archevêque. Ce prélat reçut plusieurs lettres de Pierre de Celles, qui, à sa prière, envoya des Chartreux en Danemark, et qui le loue, livre I, lettre vingt-troisième, de ce que, par ses soins l'ordre de Clairvaux ou de Cîteaux, et celui de Prémontré poussaient dans ces contrées, non-seulement en herbe, mais en épis, et voyaient lé nombre de leurs religieux s'augmenter tous tes jours.»



2. Que ne puis-je vous dire tout cela de vive vois plutôt que de vous l'écrire? La parole rendrait mieux ma pensée qu'une lettre, le langage parlé est bien plus explicite que le langage écrit; dans l'homme qui parle, l'éloquence du regard s'ajoute à celle du discours et la rend plus persuasive; le visage traduit les sentiments de l'âme plus énergiquement que les doigts ne sauraient les peindre sur le papier. Mais puisqu'il faut que je sois éloigné de vous, je supplée à ce que je ne puis faire de vive voix par les lettres qui sont le langage des absents. J'ai reçu votre messager avec bien du plaisir et je me suis empressé d'appuyer votre affaire de tout le crédit que je puis avoir auprès du Pape.

Pour ce qui regarde le secret dessein (a) que votre coeur nourrit avec amour; Guillaume, votre dévoué serviteur en Jésus-Christ, vous dira ce que j'en pense; je le lui ai dit, écoutez-le comme si je vous parlais par sa bouche. Hélas! me voici obligé de vous quitter; on m'enlève, on m'arrache à ce cher entretien, je ne puis le prolonger davantage. Il ne se peut voir un plus mauvais jour que celui-ci pour moi, une foule de visiteurs me réclament et me font interrompre brusquement plutôt que terminer ma lettre. Mais s'ils me forcent de vous écrire moins longuement que je ne le voudrais, ils ne sauraient diminuer mon affection pour vous; ils m'empêchent de vous l'exprimer à loisir, mais ils ne peuvent faire que je ne la sente très-vivement. Je suis libre de mon coeur, sinon de mes moments, et il sera toujours à vous tant qu'il battra dans ma poitrine. Veuillez en recevoir ici l'assurance, mon très-aimable, très-vertueux et très-révérend père.



a Il avait la pensée de prendre l'habit monastique à Clairvaux. Saint Bernard Vivait encore quand Eskile mit ce projet à exécution. Voir la Vie de saint Bernard, livre 4, n. 25 et suivants, où il est aussi question de deux monastères fondés par ce prélat. Pierre de Celles le félicite, livre VII, lettre dix-septième, d'être venu à bout de son dessein. Il mourut à Clairvaux en 1182. On a une lettre de Pierre de Celles au successeur d'Eskile, nommé Absalon, c'est la vingtième du livre VIII. Voir aux notes placées à la fin du volume.





NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON LETTRE CCCXC.



217. A son bien aimé père et seigneur Eskile..... Non-seulement archevêque de Lunden, mais encore primat de Suède, en vertu d'un décret du pape Adrien IV. Il entreprit le voyage de France et vint à Clairvaux visiter saint Bernard. Voir l'histoire de sa Vie, qui est fort intéressante, dans la Vie de saint Bernard, livre 4, chapitre IV.

Pour ce qui est du secret dessein que votre cour nourrit..... Quelr était ce dessein? Je ne saurais le dire, mais peut-être ne s'agit-il pas ici d'un autre projet que celui dont Saxon le grammairien parle en ces termes, à propos de notre Eskile, livre XIV de son Histoire du Danemark. «Vers le même temps, Eskile, fatigué par des affaires domestiques qui étaient au dessus de ses forces, songea très-sérieusement. à goûter enfin un peu de repos, et après avoir obtenu du roi de Danemark la permission de quitter le pays, il se rendit en France, au fameux monastère de Clairvaux.» Un peu plus loin, le même historien continue: «Eskile ayant demandé une audience secrète au roi: Valdemare, le pria de ne pas repousser comme intempestive l'exécution d'un projet qu'il nourrissait depuis longtemps et dont il venait l'entretenir. Encouragé par le roi à exposer sa requête, Eskile lui dit que depuis longtemps il avait formé le projet de se démettre de l'épiscopat, qui était devenu un fardeau trop pesant pour son âge. Que loin d'ambitionner de mourir dans les honneurs, il n'avait pas de plus grand désir que de passer le reste de ses jours, libre de toute charge,, après avoir échangé ses habits pontificaux contre le vêtement des simples religieux.

Quelques lignes plus loin, Saxon reprend en ces termes: «Absalon, son successeur dans l'évêché de Lunden, demanda à Eskile pourquoi,à voulait, par son éloignement, plonger son peuple dans la tristesse. Eskile lui répondit que son âge avancé et l'exil de ses neveux lui relaient désormais la patrie insupportable. Ajoutez à cela, disait-il encore, que j'ai fait voeu depuis longtemps entre les mains de Bernard, abbé de Clairvaux, de me démettre de la charge pastorale, pour mener, loin des honneurs, une vin humble et privée.» Voilà, je crois, quel était sou secret.

Or, en 1178, Eskile vint à Clairvaux, où il passa dans les exercices do la piété et de la vie religieuse les quatre dernières années de sa vie qu'il termina en 1182. Voir Saxon le grammairien, livre IV; la Vie des hommes illustres de l'ordre de Cîteaux, distinct. 3, chapitre XXV; la Vie de saint Bernard, livre 4, chapitre IV; Rrantz, livre 6, Histoire du Danemark, chapitre XLI et XLII; et Henriquez dans son Ménologe, au 10 avril. (Note de Horstius.)

Sur la retraite d'Eskile à Clairvaux, on peut lire en particulier deux lettres de Pierre de Celles, la dix-septième du livre VII, et la première du livre VIII. Le même auteur, livre I, lettre XXIII loue Eskile d'avoir tenté «de faire de son pays comme une pépinière de toute espèce d'ordres religieux,» et d'avoir en partie réussi dans son entreprise à l'aide des religieux de Cîteaux et de Prémontré qu'il introduisit dans son pays et qui devaient être peu de temps après suivis des Chartreux. (Note de Mabillon.)




LETTRE CCCXCI. A L'ABBESSE DE FAVERNAY (b).


Saint Bernard l'engage à réparer les brèches faites non-seulement aux murs, mais aux moeurs de la maison, et lui rappelle le soin qu'elle doit prendre de l'Hôtel-Dieu joint à son abbaye.

Bernard, abbé de Clairvaux, à A..., abbesse de Favernay, salut et le double mérite de la pudeur et de la grâce.

Ces religieux qui sont venus me consulter sur les affaires de leur conscience m'ont fait un sensible plaisir en m'apprenant le zèle que vous déployez pour le rétablissement de la maison dont vous êtes chargée.; n'oubliez pas cependant, je vous en prie, que vous ne devez pas apporter moins de soin à réformer les moeurs de vos religieuses qu'à réparer les murs de votre monastère. C'est également un devoir pour vous de vous occuper d'une manière toute particulière de l'Hôtel-Dieu que ces religieux gouvernent sous votre direction, et d'empêcher que vos serviteurs et vos vassaux n'en pillent ou dissipent les revenus. On m'a assuré qu'à leur suggestion perverse vous avez repris à cette maison ce que les abbesses qui vous ont précédée lui avaient donné; croyez-m'en, rétablissez les choses dans leur premier état, car vous n'êtes pas moins obligée à conserver et à maintenir, que dis-je? à multiplier même et à étendre le, le bien qu'elles ont fait, qu'à réformer les abus qu'elles ont laissé s'introduire dans votre monastère. Quant au prêtre qui habite cette maint son en conservant les biens qu'il possède en dehors, il doit opter entre ces deux partis: renoncer à ses biens, ou quitter l'Hôtel-Dieu. Je vous souhaite une bonne santé et vous assure, à cause du bien que j'ai entendu dire de vous, que vous pouvez compter sur mon amitié s'il se présente une occasion devons être utile.



b C'était une abbaye de Bénédictins, située dans le diocèse de Besançon; l'archevêque Anséric en confia la réforme à des religieux de la Chaise-Dieu, en 1132, date de cette lettre. C'est maintenant une maison d'hommes de la congrégation de Saint-Victor. On voit dans la lettre cent quatre-vingt-dix-neuvième, qu'un moine de la Chaise-Dieu fut chargé de l'administration de cette abbaye, où il exerçait, sans doute du consentement de son abbé, les fonctions de supérieur, comme il était autrefois d'usage que cela se fit dans les couvents de femmes.


NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON LETTRE CCCXCI.



218. A l'abbesse de Favernay, monastère du diocèse de Besançon dans le comté de Bourgogne. Fondée d'abord pour des religieuses de Saint-Benoît, cette abbaye, par suite des dissensions et de la vie relâchée des religieuses qui l'habitaient, passa en 1132 entre les mains des moines de la Chaise-Dieu, comme on le voit par le diplôme suivant que nous extrayons des Cartulaires de cette dernière abbaye.

«Anséric, par la grâce de Dieu archevêque de Besançon, au vénérable frère Etienne, abbé de la Chaise-Dieu, et à ses successeurs à perpétuité.

«En vertu de la charge pastorale dont nous sommes revêtu, c'est un devoir pour nous de pourvoir, avec une vigilance infatigable, à la paix des maisons religieuses et à l'accroissement de la ferveur dans les âmes qui y habitent. Ayant donc visité l'antique abbaye de Favernay, jadis célèbre par la régularité de ses habitantes, nous avons résolu d'apporter un remède à sa désolation. Nous étant donc adjoint les patrons de cette maison, savoir le consul Rainard, Guy de Joinville et Henri son frère, Thibaut de Rougemont, Humbert de Juillac et Louis son frère, nous avons trouvé cette abbaye abandonnée de ses habitantes, que les dissensions avaient contraintes de se séparer; toute vie religieuse en avait complètement disparu. Les représentations des personnes illustres que nous nous étions adjointes et les efforts de notre sollicitude pastorale eurent pour résultat, par la grâce de Dieu, de mettre fin à toutes les divisions qui désolaient cette abbaye; mais pour arriver à y rétablir la vie religieuse, les patrons susdits ont renoncé, entre les mains du comte Rainard, à toutes les coutumes justes, ou non, dont ils jouissaient dans la terre et les limites de la paroisse de Favernay, et se sont engagés à ne jamais revenir sur cette renonciation. Ils ont renoncé encore de la même manière, entre les mains du même consul, à toutes les coutumes dont ils étaient en possession de jouir dans tous les hameaux dépendant de Favernay, sous la réserve ales dettes. Richard de Montfaucon renonça également entre nos mains, sous la réserve des dettes, à tous ses droits et coutumes sur les mêmes hameaux. Rainard, qui avait reçu la renonciation des susdits patrons à tontes les coutumes dont ils jouissaient, remit entre nos mains les titres de ces renonciations, que nous avons à notre tour déposés sur l'autel de Dieu et de Marie.

«Cela fait avec la grâce de Dieu, les religieuses, le peuple et le clergé, les bénéficiaires et les patrons de l'abbaye demandèrent, tous d'une voix, que l'abbaye de Fayernay fût unie à celle de la Chaise-Dieu et qu'on prît à perpétuité dans le chapitre de cette dernière, l'abbé de Favernay pour qu'il fit fleurir dans cette maison l'ordre et la régularité de la Chaise-Dieu. En conséquence, cédant à la volonté des fidèles, nous avons donné le gouvernement de l'abbaye de Favernay avec toute dépendances, sous la réserve des droits du souverain Pontife et de ses représentants, au monastère de la Chaise-Dieu, et le droit d'en reprendre l'abbé, s'il y a lieu, à celui de la même maison et à tous ses successeurs. En cas de faute grave et de nature à provoquer là. destitution de l'abbé, on nous exposera le cas à Nous ou à nos successeurs, et si le dit abbé résiste et ne veut point se corriger, nous donnons à celui de la Chaise-Dieu plein pouvoir de le déposer.

«Voulant que cet acte demeure à perpétuité, nous l'avons scellé de notre sceau et nous défendons sous peine d'anathème qu'on entreprenne jamais rien contre. Les témoins ont été Guillaume de Arguel, l'archidiacre Guy de Martigny, Pierre de Trèves, doyen de Saint-Etienne, Hugues, archidiacre de Favernay, l'archidiacre Gobert, Huges de Déle, Hugues, abbé de Lisieux, Guy, abbé de Charlieu, Lambert, abbé de Claire-Fontaine, l'abbé de Morimont, le chapelain Guérin, le comte Rainard, Frédéric, comte de Fontenay, Guy de Joinville et Henri son frère, Thibaut de Rougemont, Humbert de Vassy et Louis son frère.

«Donné à Besançon, dans le chapitre de Saint Jean, l'an de N.-S. J.-C. MCXXXII. Indiction XII, le 17 septembre. (Note de Mabillon.)




LETTRE CCCXCII. A RAOUL, PATRIARCHE D'ANTIOCHE.



Saint Bernard s'efforce de lui inculquer des sentiments d'humilité.



A son très-révérend père et seigneur B..., par la grâce de Dieu patriarche d'Antioche, le frère Bernard, abbé de Clairvaux, salut et tout ce qu'on peut attendre du dévouement d'un pauvre religieux et de la prière d'un pécheur.



Si malgré mon néant j'ose écrire à Votre Grandeur, ne l'imputez point à présomption de ma part, mais à une confiante simplicité. Le frère Hatton m'en a suggéré la pensée et la charité m'a déterminé à le faire. Après vous avoir témoigné en deux mots mon dévouement et mon respect, et vous avoir rendu mes hommages, laissez-moi vous dire que je n'adresse pas d'autre voeu pour vous au Tout-Puissant que de faire de vous un digne successeur de Pierre sur le siège qu'il a occupé; d'ailleurs vous êtes trop éclairé pour ignorer que vous ne recevrez la même couronne que lui, que si vous combattez selon les règles; c'est pourquoi celui à qui j'ai emprunté ces paroles ne parle de la couronne qui l'attend qu'après avoir dit: «J'ai combattu le bon combat (2Tm 4,7).» S'il est vrai, comme le dit Job, «que la vie de l'homme soit une guerre continuelle sur la terre,(Jb 7,1),» que doit-ce être de la vie d'un évêque qui doit combattre pour lui-même d'abord, et pour son troupeau ensuite? Il faut en effet qu'il lutte contre la chair et ses révoltes, le monde et ses artifices, les puissances de l'air et leur perversité. Je me demande quel homme est capable de rompre les mailles de ce triple filet, il n'est pas facile d'en trouver un qui le puisse. On peut dire de ces trois sortes d'ennemis que ce sont ces trois troupes de Chaldéens qui fondirent sur les troupeaux de Job et s'en emparèrent; oui, ce qu'elles figurent n'est autre que la chair, ses vices et ses concupiscences. Mais que Dieu se lève, et ses ennemis seront dispersés (Ps 67,2). Oui, qu'il se lève, celui qui dit: «Sans moi vous ne pouvez rien (Jn 15,5),» et dont l'Apôtre disait: «Je puis tout en celui qui est toute ma force (Ph 4,13).» Qu'il soit donc la vôtre aussi, mon père, et ne pliez pas dans la lutte: ceignez vos reins, tenez ferme dans la mêlée, combattez avec courage pour sauver les brebis qui ont été confiées à votre garde et les représenter toutes un jour à celui de qui vous les tenez, c'est là votre devoir d'évêque; mais combattez également pour vous, car il vous sera aussi demandé compte de votre âme. Vous êtes élevé en dignité, n'en soyez que plus vigilant, peut-être pourriez-vous tomber et la chute serait d'autant plus grave qu'elle aurait lieu de plus haut. Si vous occupez un poste élevé, n'en concevez pas de sentiments de complaisance. Suivez le conseil de l'Apôtre: «Tremblez là-haut et ne vous enorgueillissez pas d'y être (Rm 11,20);» en effet, pour un homme sensé, l'élévation est bien plutôt un sujet de crainte que d'orgueil. Si l'Eglise confère des dignités, elle n'en redoute pas moins la chute de ceux qu'elle élève; toutefois, ce n'est pas le rang, mais l'orgueil du rang qu'elle reprend et blâme. Or l'homme n'est humble au sommet des honneurs et ne baisse les yeux que lorsqu'il craint le précipice placé à ses pieds. Supprimez cette crainte de son coeur et vous le verrez tout entier en proie aux orgueilleuses pensées du pouvoir. D'ailleurs montrons-nous pour les autres ce que nous voulons que les autres soient à notre égard. Nous réclamons la soumission de nos inférieurs, remplissons le même devoir envers nos supérieurs, et ne soyons pas de ces gens qui ont deux poids et deux mesures, c'est une chose abominable aux yeux de Dieu (Pr 20,10). Or nous sommes dans ce cas si nous ne rendons pas à nos supérieurs les mêmes devoirs que nous réclamons de nos inférieurs. Je ne puis assez admirer la sage et humble réponse du centurion qui disait au Sauveur: «De même que je suis soumis à d'autres, ainsi j'ai des soldats qui me sont soumis (Lc 7,8).» Quel coeur humble! Quelle âme prudente! avant de parler de son propre pouvoir, il commence par s'humilier en rappelant celui qu'un autre a sur lui, pour montrer qu'il fait passer sa dépendance avant son propre droit de commander. Sa phrase même est composée de manière à mettre l'une en évidence avant l'autre. Je m'étendrais volontiers davantage sur ce sujet, mais je n'ose me le permettre; je vous en écrirai plus long une autre fois si vous me dites que ces lignes ne vous ont pas trop déplu. Je finis en vous priant, si je jouis auprès de vous du crédit qu'on me croit généralement, de vouloir bien en donner des preuves aux chevaliers du Temple et par considération pour moi-même les considérer davantage. En agissant ainsi, soyez sûr de vous rendre agréable à Dieu et aux hommes en même temps.




LETTRE CCCXCIII . A G. (a), PATRIARCHE DE JÉRUSALEM.



Saint Bernard lui recommande l'humilité.



A son vénérable seigneur et très-cher père, par la grâce de Dieu patriarche de Jérusalem, Bernard, abbé de Clairvaux, salut avec l'esprit de vérité qui procède du Père.



1. Je profite de l'occasion que me fournit notre ami commun, le fidèle messager qui doit vous remettre cette lettre, pour vous écrire quelques mots; mes nombreuses occupations ne me permettent pas de faire plus. Si ma démarche paraît indiscrète, la charité qui m'inspire de la tenter sera du moins mon excuse: mais pour ne pas dépasser les bornes que je me suis prescrites, permettez-moi d'en venir de suite au fait. Le Créateur., voulant montrer la profondeur de ses desseins de salut pour les hommes, les aima au point de leur donner son Fils unique; fait homme pour les hommes, ce Fils appela à lui ceux d'entre nous qu'il voulut, et ce choix de prédilection leur valut en même temps un amour privilégié de sa part; mais dans le nombre, il y en eut de plus aimés les uns que les autres, qu'il s'attacha par un choix particulier. Or, parmi ces derniers, c'est-à-dire parmi les élus d'entre les élus, Jésus en distingua encore un plus que tous les autres, pour le faire le favori de son coeur, et le substituer à sa place du haut de la croix où, les mains étendues vers le ciel, il consommait le sacrifice du soir avant de remettre son âme entre les mains de son Père, et tel qu'un frère plein de confiance en son frère, Dieu vierge il recommanda la vierge mère au disciple vierge. Peut-être me demandez-vous où je veux en venir avec ce préambule; écoutez, le voici.



a Il se nommait Guillaume; c'est le même que celui à qui est adressée la lettre cent soixante-quinzième. Voir la note qui accompagne cette lettre.



2. De tant de prélats que le Seigneur honore de son sacerdoce et place à la tête de son peuple comme des chefs qui doivent le conduire, c'est vous que par une faveur particulière, il a placé dans la vraie maison de David son serviteur. Oui, de tous les évêques du monde, vous êtes le seul à qui il ait confié la garde de l'heureux pays où naquit l'arbre de vie par excellence, celui qui se couvre de fruits selon sa nature, et au pied duquel poussent les fleurs des champs et les lis de la vallée. Oui, vous êtes entre tous son pontife intime, celui qui tous les jours entre dans sa tente et l'adore à l'endroit même qu'il a marqué de l'empreinte de ses pieds. Il est dit que Moïse reçut un jour du Seigneur l'ordre de dire aux Israélites: «Otez la chaussure de vos pieds, car le lieu où vous êtes est saint (Ex 3,5)» Quelle différence en faveur de celui où vous habitez! Si l'un était saint, l'autre l'est deux fois plus; si le premier fut sanctifié par des figures et des ombres, le second l'a été par la Vérité même. Quelle proportion y a-t-il entre la figure et la vérité, entre ce qu'on ne voit qu'en énigme et comme une figure réfléchie par un miroir, et cette splendeur qui se manifeste enfin à découvert et sans voile? Néanmoins, quoique toutes ces choses ne se passassent alors qu'en ombres et en figures, Dieu disait à Moïse: «Ote la chaussure de tes pieds, car le lieu où tu te trouves est saint.» N'ai-je pas plus de raison de vous dire également: Déposez vos sandales, la terre que vous foulez aux pieds est sainte! Ce qui veut dire: Si votre coeur est empêché dans sa marche par les lourdes chaussures des oeuvres de péché, hâtez-vous de les débarrasser de leurs entraves, en vous rappelant que la terre où vous êtes est sainte. Qui ne se sentirait ému d'une crainte respectueuse en foulant aux pieds ces contrées où les entrailles de la miséricorde de Dieu se sont ouvertes sur nos têtes et ont permis au vrai Soleil levant de venir du haut du ciel à nous pour nous visiter (Lc 1,78); où le Père a tendu les bras à son Fils bien-aimé et l'a comblé de ses plus doux baisers quand il est revenu d'un monde si peu fait pour lui? Il me semble impossible de se défendre d'un secret tremblement en touchant cette terre où le Père de toutes consolations et d'infinies miséricordes a daigné verser sur nos blessures le vin et l'huile qui devaient les cicatriser, ce pays qui l'a vu sceller son alliance avec nous. Soyez à jamais béni, Seigneur, d'avoir opéré le salut des hommes au sein de cette heureuse contrée et au milieu des temps et de nous y avoir montré un visage apaisé. N'est-ce pas le cas de dire avec le Prophète: «Votre colère cédera le pas à la miséricorde (Ha 3,2)?» On ne peut nier que cette terre ne soit bien autrement ennoblie et sanctifiée que celle où se trouvait Moïse, car c'est vraiment la patrie du Seigneur, c'est là qu'est né Celui qui est venu dans l'eau et dans le sang (1Jn 5,6), non pas seulement dans l'eau comme Moïse, mais dans l'eau et dans le sang. On peut dire en montrant cette contrée aux hommes: Voilà où l'on a déposé son corps. Après cela je me demande qui est-ce qui osera monter sur la montagne du Seigneur et s'arrêter à l'endroit même qu'il a sanctifié? Ce ne peut être qu'un homme qui, à l'école du Seigneur Jésus, est devenu doux et humble de coeur comme lui.

3. Oui, il n'y a que les humbles qui puissent monter sans crainte sur la montagne du Seigneur, par la raison qu'ils ne sauraient tomber. L'orgueilleux monte et s'élève certainement aussi, mais ce n'est pas pour longtemps, il semble qu'il ne peut se tenir d'aplomb sur ses jambes; il est vrai qu'il n'a qu'un pied, encore n'est-il même pas à lui, car c'est le pied dont le Prophète a dit: «Dieu me garde à jamais d'avoir le pied de l'orgueil (Ps 35,12)!» On peut bien dire, en effet, qu'il n'en a qu'un, l'amour de sa propre excellence; on comprend donc qu'il ne puisse se maintenir longtemps debout sur ce pied unique; aussi voyez comme sont tombés tous ceux qui n'en avaient pas d'autres, les anges dans le ciel et l'homme sur la terre. Dieu n'a point épargné l'arbre qu'il destinait à faire touche, il a puni l'homme qu'il avait créé plein de gloire et de grandeur, pour lui donner l'empire du monde au sortir de ses mains divines; bien plus, il a sévi sur les anges eux-mêmes, ses premières créatures, qu'il s'était plu à faire riches en sagesse, admirables de beauté, et je ne craindrais pas d'être puni pour la même faute, moi obscur habitant d'une vallée de larmes, bien différente, hélas! du paradis de délices et située si loin du ciel! Voulez-vous donc être sûr de ne pas tomber, soyez humble, appuyez-vous non sur l'unique pied de l'orgueil, mais sur les deux pieds de l'humilité; rien ne pourra vous ébranler en quelque endroit que vous vous posiez. De ces deux pieds, l'un est la pensée de la puissance de Dieu, l'autre est la conviction de notre propre faiblesse. Que ces pieds-là sont beaux à voir, qu'ils sont fermes à la marche! Ils ne savent ce que c'est que de s'avancer au milieu des ténèbres de l'ignorance ou de se souiller de la boue des passions. Au lieu donc de vous laisser aller à des sentiments de vaine gloire et d'orgueil, à cause du poste élevé que vous occupez, ne cessez de vous humilier sous la main puissante de celui qui foule aux pieds la tête des hommes glorieux et superbes. Songez que l'Eglise qui vous est confiée a été remise entre vos mains, non comme une esclave dans celles d'un maître, mais, pour en revenir au début de ma lettre, comme une mère à son fils, comme Marie à saint Jean, et faites en sorte qu'on puisse dire à cette Eglise en parlant de vous: «Femme, voilà votre fils;» et à vous, en parlant de votre Eglise: «Voici votre mère.» Il n'est pas de plus sûr moyen pour vous de remplir dignement tous les devoirs de votre place et de vous élever vers le royaume de celui qui, tout grand qu'il est, jette ses regards de prédilection sur tout ce qu'il y a de plus petit dans le ciel et sur la terre.




LETTRE CCCXCIV. A L'ARCHEVÊQUE DE LYON.



Pour l'abbé d'Aisnay près de Lyon,



A l'archevêque de Lyon, légat du saint Siège, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et voeu sincère qu'il songe à s'enrichir de bonnes oeuvres aux yeux de Dieu et des hommes.



Je ne puis voir sans une profonde douleur la bonne réputation dont vous jouissez et la sainteté que vous répandez dans l'Eglise où vous poussez et fleurissez comme un lis odorant, sur le point de s'évanouir. Ce qu'est le cèdre sur le Liban, vous l'êtes dans votre Eglise; vous y êtes aimé, estimé, chéri de tous; vous avez déjà fait de grandes choses dans votre diocèse, nous en espérons de plus grandes encore; mais en attendant, gardez-vous bien de perdre ce que vous avez déjà acquis; ne laissez pas se ternir une réputation aussi belle que celle dont vous jouissez, car il n'est pas de trésors comparables à un tel bien. Or comment avez-vous traité l'abbé d'Aisnay (a)? Il ne vous a fallu qu'un instant pour le juger, le condamner, le déposer et lui enlever en même temps son titre et ses fonctions! Vous avez agi en cette occasion avec beaucoup de précipitation, tout cela ne vous a demandé qu'un moment: en un clin d'oeil, tout a été fini; absolument comme les choses se passeront à la résurrection générale. Souffrez que je vous parle avec la franchise que permet l'amour que je vous porte. Or, je vous le demande, qu'a fait ce pauvre abbé? quelle faute lui reprochez-vous? Tout le monde sait qu'il est universellement estimé, il n'y a qu'une voix sur son compte, et elle lui est favorable; les gens du dehors sont d'accord sur ce point avec ses propres religieux. Aussi n'est-il rien moins que prouvé qu'il soit coupable; on n'a pas examiné sa cause selon les formes prescrites par les canons. Or il me semble qu'il n'y avait que deux choses à faire à son égard, le déposer dans les formes, sinon le laisser à sa place. En effet, il ne se reconnaît pas coupable, personne ne l'accuse, nul ne le convainc de quelque faute que ce soit, et vous le condamnez! Il n'avait, me direz-vous, qu'à se défendre quand il fut mis en demeure de le faire. Or il a si bien reconnu que sa cause était mauvaise qu'il s'est gardé de produire les témoins que je lui demandais. Fort bien! Selon vous, ce sont ses propres adversaires qui auraient dû déposer en sa faveur; mais c'était évidemment leur dire: Si vous ne déposez maintenant contre vous, il ne peut manquer d'être condamné. D'ailleurs à la place de ces témoins il eût pu en produire d'autres tout aussi dignes de foi que les vôtres. Envisageons à présent cette affaire à un autre point. de vue. Je vous accorde qu'il soit coupable, il a fait défaut à l'appel de sa cause, il n'a plus le droit de se dire innocent, il est jugé. Mais la voie de l'appel ne lui restait-elle pas ouverte pour soumettre toute son affaire à un autre tribunal, et si vous avez pu ne tenir aucun compte de cet appel quand il l'interjeta, au moins vous auriez dû cesser toutes vos procédures dès que le juge auquel il avait appelé évoqua sa cause à lui. Il ne sied pas au chef d'une Eglise de parler d'une manière inconsidérée et de rendre des jugements précipités; la précipitation, surtout dans une cause de cette nature qui ne saurait demeurer secrète et dont tout le monde est instruit, ne peut que nuire singulièrement à un prélat. Permettez-moi de vous dire que votre conduite dans cette affaire a blessé bien des gens qui ne voient pas d'un oeil indifférent la persécution dont cet abbé est l'objet; et pour ne vous rien cacher, je vous dirai que j'ai été vivement pressé d'écrire à Rome en faveur de cet abbé d'Aisnay, par un certain nombre de personnes dont les prières sont pour moi presque des ordres; mais comment aurais-je pu me résoudre à le faire sans m'être adressé directement à vous, mon seigneur et mon père bien-aimé? Je vous supplie donc, dans l'intérêt de la paix et de votre honneur, dont l'intégrité me préoccupe, de révoquer la malencontreuse sentence que vous avez portée, de rétablir cet homme dans son poste en attendant que son procès soit fait selon toutes les règles. Si votre très-humble serviteur se permet de vous écrire comme il le fait, ce n'est pas parce qu'il est contre vous, au contraire, c'est parce qu'il est tout entier pour vous; car soyez sûr que je me déclarerai toujours en votre faveur devant Dieu et devant les hommes.



a Aisnay était une abbaye de Bénédictins non moins ancienne que fameuse, située au confluent de la Saône et du Rhône. Ce fut plus tard une abbaye de chanoines séculiers.




LETTRE CCCICV. A L'ÉVÊQUE D'ARRAS, ALVISE.



Saint Bernard représente à cet évêque ce qu'il y a d'injuste dans sa demande de rendre aux religieux de Saint-Bertin, Thomas de SaintOmer, qui était venu faire profession à Clairvaux, et qu'ils réclamaient comme ayant été, dans son enfance, voué par ses parents à l'abbaye de Saint-Bertin.



A son vénérable père et ami Alvise (a), par la grâce de Dieu évêque d'Arras, le frère Bernard, abbé de Clairvaux, salut et l'assurance de ses humbles prières.



1. Vous sollicitez de moi une grâce pour l'abbaye de Saint-Bertin que vous affectionnez et que (aime aussi beaucoup moi-même depuis



a C'est le même abbé que celui à qui est adressée la lettre soixante-cinquième. Il fut évêque de 1131 à 1148, année de sa mort arrivée, d'après le Nécrologe de Saint-Denys de Reims, le 8 octobre, à Philippopolis. Il est mention de sa mort dans une lettre de Louis le Jeune, qui est la vingt-deuxième de la collection des lettres de Suger. Voir la lettre trois cent trente-neuvième.



fort longtemps; je regrette que vous n'ayez pas réfléchi plus mûrement sur la demande dont l'abbé de cette maison vous a fait l'interprète, car je suis sûr qu'au lieu de vous en charger, vous l'auriez déclarée contraire à la justice, et que vous n'auriez certainement pas manqué de blâmer l'abbé lui-même d'oublier à ce point les lois de l'amitié à mon égard, de vouloir porter un tel préjudice au religieux qu'il réclame et d'aller si évidemment contre les desseins mêmes de la Providence. Je me demande, mon bon père, comment on a pu vous déterminer à solliciter une pareille chose, de moi que vous honorez de votre amitié. Ainsi Dieu a fait entendre sa voix à Thomas, du haut du ciel, il lui a inspiré la pensée de quitter son pays et sa famille, de s'éloigner même de la maison de son père pour aller dans le lieu qu'il lui montrait en esprit, et moi je devrais étouffer l'inspiration de Dieu? Mais qui suis-je pour essayer de couvrir la voix de celui qui appelle ses brebis par leur nom et marche devant elles pour qu'elles ne suivent que lui? Thomas a choisi la pauvreté, ce n'est pas à moi de le renvoyer aux richesses et à leurs délices.

2. Je ne prétends pas qu'il soit impossible aux religieux de Saint-Bertin d'opérer leur salut dans leur abbaye, ils le peuvent certainement si Dieu les y a appelés a, et s'ils en observent exactement la règle. Mais je ne puis oublier que j'ai lu quelque part que «quiconque regarde en arrière après avoir mis la main à la charrue, est impropre au royaume de Dieu (Lc 9,62).» Or, pour rien au monde je n'en fermerai l'accès à mon très-cher fils Thomas, et jamais je ne détournerai de la voie du ciel une âme qui m'a été confiée. Aussi ne puis-je assez m'étonner qu'un évêque aussi judicieux que vous, se soit laissé persuader de me faire une pareille demande. Je serais tenté de vous dire, comme le Seigneur aux enfants de Zébédée: «Vous ne savez pas ce que vous demandez (Mt 20,22);» mais si l'amitié dont vous m'honorez est assez grande, du moins je le crois, pour excuser ce langage, elle ne doit pourtant pas me faire oublier que je parle à un évêque de l'Eglise.

3. Ne vous démentez point en cette occasion, mais honorez votre



a Quelles obligations la profession religieuse n'impose-t-elle pas à l'âme, quand il en résulte de si graves de la simple vocation? On peut lire sur ce sujet les lettres cent septième et cent huitième de saint Bernard, qui n'hésite pas à compter parmi les apostats, les novices mêmes qui s'éloignent de l'ordre monastique, ainsi qu'on peut le voir dans son sermon soixante-troisième sur le Cantique des cantiques, n. 6. Mais si, d'après notre Saint, dans son Apologie à Guillaume, n. 30, c'est une apostasie de passer d'un ordre sévère dans un ordre relâché, n'en sera-ce pas une de mener une vie malle et déréglée, au grand scandale de ses frères et au détriment certain de l'ordre tout entier, dans une communauté d'une stricte observance? On voit pourtant des religieux qui se croient en sûreté de conscience si leur relâchement ne va point jusqu'à porter atteinte aux pratiques essentielles de la vie religieuse, comme si on pouvait fouler aux pieds les observances saintes et les prescriptions de la règle, sans attaquer la profession religieuse elle-même, et respecter effectivement l'essentiel de la vie monastique en en négligeant à dessein les détails.



ministère en aidant de toutes vos forces les âmes qui sont les épouses du Christ à entrer sans difficulté et sans retard dans la chambré nuptiale où l'Epoux les appelle; montrez que vous êtes fami de l'Epoux par le bonheur que vous ressentez à entendre sa voix; prêtez la main à ces religieux, comme vous la prêtez aux autres, et au lien de combattre et d'éteindre l'inspiration d'en haut, montrez-vous fidèle coopérateur de la grâce. D'ailleurs Votre Paternité peut être bien assurée que jamais je ne conseillerai ni ne permettrai à ces religieux de sortir et d'aller dans une autre maison, tant je suis convaincu que je ne le puis sans pécher et sans les faire pécher eux-mêmes. Ce qu'ils ont de mien: à faire, c'est d'accomplir exactement les voeux qu'ils ont prononcés; s'ils ont la faiblesse de prêter l'oreille à ceux qui leur disent: «Le Christ est ici ou il est là,» je leur demanderai compte un jour au tribunal de Dieu du voeu qu'ils ont prononcé entre mes mains.





Bernard, Lettres 390